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21/01/2016 | CJUE | N°C-515/14

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, Commission européenne contre République de Chypre., 21/01/2016, C-515/14


ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

21 janvier 2016 ( * )

«Manquement d’État — Libre circulation des personnes — Travailleurs — Articles 45 TFUE et 48 TFUE — Prestations de vieillesse — Différence de traitement liée à l’âge — Fonctionnaires d’un État membre âgés de moins de 45 ans et quittant cet État membre pour exercer une activité professionnelle dans un autre État membre ou au sein d’une institution de l’Union européenne»

Dans l’affaire C‑515/14,

ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’

article 258 TFUE, introduit le 14 novembre 2014,

Commission européenne, représentée par Mme H. Tserepa‑Lacombe et M....

ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

21 janvier 2016 ( * )

«Manquement d’État — Libre circulation des personnes — Travailleurs — Articles 45 TFUE et 48 TFUE — Prestations de vieillesse — Différence de traitement liée à l’âge — Fonctionnaires d’un État membre âgés de moins de 45 ans et quittant cet État membre pour exercer une activité professionnelle dans un autre État membre ou au sein d’une institution de l’Union européenne»

Dans l’affaire C‑515/14,

ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 258 TFUE, introduit le 14 novembre 2014,

Commission européenne, représentée par Mme H. Tserepa‑Lacombe et M. D. Martin, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

contre

République de Chypre, représentée par Mmes N. Ioannou et D. Kalli, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

LA COUR (première chambre),

composée de Mme R. Silva de Lapuerta (rapporteur), président de chambre, MM. A. Arabadjiev, J.‑C. Bonichot, S. Rodin et E. Regan, juges,

avocat général: Mme E. Sharpston,

greffier: M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1 Par sa requête, la Commission européenne demande à la Cour de constater que, en n’ayant pas abrogé, avec effet rétroactif à compter du 1er mai 2004, le critère lié à l’âge qui figure à l’article 27 de la loi 97 (Ι)/1997 sur les retraites, qui dissuade les travailleurs de quitter leur État membre d’origine pour exercer une activité professionnelle dans un autre État membre ou au sein d’une institution de l’Union européenne ou d’une autre organisation internationale et qui a pour effet d’établir une
inégalité de traitement entre les travailleurs migrants, y compris ceux qui travaillent dans les institutions de l’Union ou dans une autre organisation internationale, d’une part, et les fonctionnaires qui ont exercé leur activité à Chypre, d’autre part, la République de Chypre a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 45 TFUE et 48 TFUE ainsi que de l’article 4, paragraphe 3, TUE.

Le cadre juridique

2 Aux termes de l’article 24, paragraphe 1, de la loi 97 (I)/1997:

«Lorsqu’un fonctionnaire quitte son emploi pour exercer une fonction publique qui est incompatible avec la fonction ou le poste qu’il occupait auparavant, il reçoit dans tous les cas pour son service:

(a) une pension en vertu de l’article 8 (coefficient de pension et somme forfaitaire) sans tenir compte de la condition concernant les cinq années de service, et

(b) une pension supplémentaire d’un montant que le conseil ministériel juge équitable et raisonnable.»

3 L’article 25, paragraphe 1, de cette loi est libellé comme suit:

«Si un fonctionnaire occupant un poste ouvrant droit à pension est autorisé à quitter celui-ci en vue de sa nomination imminente dans un organisme, le gouvernement de la République de Chypre verse à l’organisme, au moment où le fonctionnaire quitte la fonction publique, une somme forfaitaire égale à un douzième de sa rémunération mensuelle ouvrant droit à pension au jour de son départ par mois de service accompli et une somme égale au montant des cotisations versées par le fonctionnaire pour le
transfert de la pension à sa veuve et ses enfants, majoré d’intérêts calculés selon un taux fixé par le ministre des Finances. Dans un tel cas, son service dans la fonction publique est pris en considération par l’organisme pour le calcul de la durée du service qui lui donne droit à des avantages et pour le calcul des avantages de départ qu’il aura le droit de recevoir de l’organisme sur la base du régime d’avantages de départ en vigueur dans l’organisme et similaire au régime gouvernemental de
retraites.»

4 L’article 27, paragraphe 1, de la loi 97 (I)/1997 dispose:

«a) Lorsqu’un fonctionnaire âgé de quarante-cinq ans au moins, qui occupe un poste ouvrant droit à pension et a accompli cinq années ou plus de service [...], dépose une demande de départ anticipé de son service, laquelle est acceptée par l’organe compétent, il perçoit immédiatement la somme forfaitaire à laquelle il a droit pour son service, tandis que sa retraite est consolidée puis liquidée lorsqu’il atteint l’âge de cinquante-cinq ans [...]. La pension et la somme forfaitaire sont calculées
conformément à l’article 8 (coefficient de pension et somme forfaitaire) sur la base de sa rémunération ouvrant droit à pension au jour de son départ anticipé. La pension, qui sera versée à partir du moment où l’intéressé aura atteint l’âge de cinquante-cinq ans, sera augmentée du pourcentage auquel les pensions auront éventuellement augmenté entre la date de son départ et la date de versement de la pension [...]

b) Lorsqu’un fonctionnaire, qui occupe un poste ouvrant droit à pension et ne remplit pas les autres conditions visées au point a) du présent paragraphe, mais a accompli au moins trois années de service ouvrant droit à pension, démissionne de son poste avec l’autorisation de l’organe compétent, il perçoit immédiatement après sa démission une somme forfaitaire égale à un douzième de sa rémunération mensuelle ouvrant droit à pension par mois de service accompli.»

5 L’article 26A de la loi (modificatrice) 31 (I)/2012 sur les retraites prévoit que les fonctionnaires qui occupent un poste ouvrant droit à pension dans la fonction publique et quittent celui-ci pour exercer une fonction à un poste de titulaire dans une institution de l’Union ont le droit de faire verser par le gouvernement chypriote à l’Union le montant représentant la valeur en capital des avantages qu’ils ont acquis en application du régime de retraite des fonctionnaires, actualisée jusqu’à la
date du transfert effectif. L’article 26B de cette loi prévoit un droit analogue s’agissant du transfert des droits à pension du régime de retraite de l’Union au régime de retraite de la fonction publique nationale, lorsqu’un fonctionnaire de l’Union ayant acquis des droits à pension est nommé à un poste de la fonction publique ouvrant droit à pension. Ces dispositions, qui modifient celles de loi 97 (I)/1997, sont entrées en vigueur avec effet rétroactif à compter du 1er mai 2004.

6 La loi 113 (I)/2011 sur les avantages de retraite des fonctionnaires et des agents du secteur public au sens large, y compris des collectivités locales (dispositions d’application générale) prévoit que les nouveaux fonctionnaires, c’est-à-dire ceux nommés après l’entrée en vigueur de cette loi, à savoir le 1er octobre 2011, sont assujettis à un autre régime de retraite, qui ne comporte pas de différence de traitement fondée sur l’âge.

La procédure précontentieuse

7 Après avoir mis la République de Chypre en demeure de présenter ses observations, la Commission lui a adressé, le 26 mars 2012, un avis motivé lui reprochant de ne pas avoir abrogé, à partir du 1er mai 2004, des dispositions liées à l’âge, prévues par la réglementation chypriote relative aux retraites, et d’avoir ainsi manqué aux obligations lui incombant au titre des articles 45 TFUE et 48 TFUE ainsi que de l’article 4, paragraphe 3, TUE, lu en combinaison avec l’article 11, paragraphe 2, de
l’annexe VIII du statut des fonctionnaires de l’Union européenne. La Commission a invité cet État membre à prendre les mesures nécessaires pour se conformer à cet avis motivé dans un délai de deux mois à compter de sa réception.

8 Dans sa réponse du 28 mai 2012 audit avis motivé, la République de Chypre a fait valoir que, dans la mesure où une modification législative était intervenue afin de donner la possibilité de transférer les droits à pension des fonctionnaires quittant cet État membre pour entrer en service dans une institution de l’Union, il avait été remédié à toute éventuelle violation de ces dispositions du droit de l’Union.

9 Considérant que cette réponse n’était pas pleinement satisfaisante, la Commission a décidé d’introduire le présent recours.

Sur la recevabilité

10 La République de Chypre soutient que le recours est irrecevable en ce que, en introduisant, pour la première fois au stade de la requête, des arguments relatifs à la situation de fonctionnaires nommés dans un autre État membre, au sein d’une organisation internationale autre que les institutions de l’Union, il élargit l’objet du litige circonscrit par la procédure précontentieuse.

11 Par ailleurs, la République de Chypre considère que les griefs relatifs aux travailleurs migrants en général sont irrecevables, au motif qu’ils ne sont pas suffisamment précis et que la lettre de mise en demeure ainsi que l’avis motivé ne visent que les fonctionnaires de l’Union en tant que fonctionnaires migrants.

12 Il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante de la Cour, s’il est vrai que l’objet du recours introduit en vertu de l’article 258 TFUE est circonscrit par la procédure précontentieuse prévue à cette disposition et que, par conséquent, l’avis motivé de la Commission et le recours doivent être fondés sur des griefs identiques, cette exigence ne saurait toutefois aller jusqu’à imposer en toute hypothèse une coïncidence parfaite dans leur formulation, dès lors que l’objet du litige
n’a pas été étendu ou modifié (voir, notamment, arrêts Commission/Allemagne, C‑433/03, EU:C:2005:462, point 28; Commission/Finlande, C‑195/04, EU:C:2007:248, point 18, et Commission/Pays-Bas, C‑576/10, EU:C:2013:510, point 34).

13 Ainsi, la Commission peut préciser ses griefs initiaux dans sa requête, à la condition cependant qu’elle ne modifie pas l’objet du litige (voir arrêt Commission/Finlande, C‑195/04, EU:C:2007:248, point 18 et jurisprudence citée).

14 En l’espèce, la Commission n’a ni étendu ni modifié l’objet du recours tel qu’il a été circonscrit par la procédure précontentieuse.

15 En effet, d’une part, ainsi que la Commission l’a indiqué dans son mémoire en réplique, la référence faite à la situation de fonctionnaires nommés au sein d’une organisation internationale autre que l’Union, située dans un État membre autre que la République de Chypre, visait non pas à élargir l’objet du recours, mais uniquement à illustrer l’applicabilité de l’article 45 TFUE à la situation d’un ressortissant de l’Union qui a accompli des périodes d’emploi auprès d’une organisation
internationale établie sur le territoire d’un tel État membre, aux fins de l’ouverture d’un droit à une pension de vieillesse.

16 Or, à cet égard, force est de constater que, tant dans sa lettre de mise en demeure que dans son avis motivé et dans son recours, la Commission a invoqué un manquement à l’article 45 TFUE en raison d’une entrave à la libre circulation des travailleurs migrants, dont font partie lesdits fonctionnaires.

17 D’autre part, si, certes, cette lettre de mise en demeure, cet avis motivé et ce recours contiennent des développements relatifs à la situation particulière des travailleurs migrants employés dans les institutions de l’Union, il n’en demeure pas moins que la Commission a, tant dans la procédure précontentieuse que dans son recours, soutenu que la réglementation chypriote avait pour effet d’entraver la libre circulation des travailleurs migrants dans leur acception générale, sans limiter son grief
à la situation des seuls travailleurs migrants quittant Chypre pour travailler dans les institutions de l’Union.

18 Dans ces conditions, le recours de la Commission est recevable dans son ensemble.

Sur le recours

Argumentation des parties

19 La Commission soutient que, dans la mesure où, en application de l’article 27, paragraphe 1, de la loi 97 (I)/1997, un fonctionnaire âgé de moins de 45 ans, qui démissionne de son emploi dans la fonction publique chypriote pour exercer une activité professionnelle dans un État membre autre que la République de Chypre ou des fonctions au sein d’une institution de l’Union ou d’une autre organisation internationale, ne perçoit qu’une somme forfaitaire et perd ses futurs droits à la retraite, alors
qu’un fonctionnaire qui continue à exercer une activité professionnelle à Chypre ou qui quitte son emploi dans la fonction publique de cet État membre pour exercer certaines fonctions publiques dans ce même État membre ou qui est recruté par un organisme de droit public chypriote conserve ces droits, cette disposition désavantage les travailleurs migrants par rapport à ceux qui n’exercent leur activité professionnelle qu’à Chypre.

20 Selon la Commission, ladite disposition introduit une différence de traitement entre les travailleurs qui n’ont pas fait usage de leur droit à la liberté de circulation et les travailleurs migrants, au détriment de ces derniers, puisque la perte des droits à pension n’affecte que les travailleurs ayant exercé leur droit à la libre circulation.

21 Même si elle est applicable indistinctement, une telle disposition serait susceptible de dissuader les travailleurs de quitter leur État membre d’origine pour exercer une activité économique dans un autre État membre ou au sein d’une institution de l’Union et constituerait, dès lors, une entrave à la libre circulation de ces travailleurs, interdite par l’article 45 TFUE.

22 De même, la Commission considère que l’article 27, paragraphe 1, de la loi 97 (I)/1997 prive le travailleur migrant de la possibilité de bénéficier de la totalisation de toutes les périodes d’assurance et ne garantit pas l’unité de carrière de ce travailleur, en matière de sécurité sociale, comme l’impose l’article 48 TFUE.

23 La Commission relève que l’adoption de la loi 113 (I)/2011 est sans incidence sur le fait que ledit article 27, paragraphe 1, continue de s’appliquer aux fonctionnaires entrés en fonctions avant le 1er octobre 2011, date de l’entrée en vigueur de cette loi.

24 Par ailleurs, la Commission estime que la condition liée à l’âge, prévue à l’article 27 de la loi 97 (I)/1997, est susceptible de dissuader des fonctionnaires chypriotes de quitter, avant d’avoir atteint l’âge de 45 ans, la fonction publique nationale pour exercer une activité professionnelle au sein d’une institution de l’Union, puisque, en acceptant un emploi auprès d’une telle institution, ils perdraient la possibilité de bénéficier, au titre du régime national de sécurité sociale, d’une
prestation de retraite à laquelle ils auraient eu droit s’il n’avaient pas accepté cet emploi, ce qui ne saurait être admis au regard des articles 45 TFUE et 4, paragraphe 3, TUE.

25 Enfin, la Commission fait valoir que la justification invoquée par la République de Chypre n’a pas de rapport direct avec la discrimination fondée sur l’âge en cause en l’espèce, que cet État membre ne fournit aucun élément permettant d’étayer son allégation et que, en outre, des considérations de nature purement économique ne sauraient constituer des raisons impérieuses d’intérêt général de nature à justifier une restriction à une liberté fondamentale garantie par le traité FUE.

26 La République de Chypre soutient que l’article 48 TFUE n’est pas applicable et qu’il ne peut pas servir de fondement au recours de la Commission, au motif que, en substance, si cet article constitue la base juridique permettant l’adoption de mesures réglementant la prise en considération de toutes les périodes d’assurance accomplies dans différents États membres, il ne crée pas, en tant que tel, un droit à la prise en compte de ces périodes.

27 Selon cet État membre, depuis l’adoption de la loi 31 (I)/2012, entrée en vigueur avec effet rétroactif à compter du 1er mai 2004, la condition liée à l’âge, prévue à l’article 27 de la loi 97 (I)/1997, ne s’applique plus en cas de départ d’un fonctionnaire national aux fins d’occuper un poste de fonctionnaire dans une institution de l’Union, et inversement.

28 La République de Chypre considère que non seulement un fonctionnaire quittant la fonction publique chypriote pour occuper un poste dans les institutions de l’Union ne fait pas l’objet d’une différence de traitement, mais que ce fonctionnaire fait, au contraire, l’objet d’un traitement plus favorable que celui réservé à un fonctionnaire quittant la fonction publique chypriote pour exercer une activité professionnelle auprès d’un autre employeur à Chypre, dès lors que ce dernier fonctionnaire n’a
pas la possibilité de transférer ses droits à pension.

29 Par ailleurs, cet État membre fait valoir que l’article 27 de la loi 97 (I)/1997 s’applique indifféremment aux travailleurs ayant effectué toute leur carrière professionnelle sur le territoire national et aux travailleurs ayant choisi de travailler dans un autre État membre, indépendamment de leur nationalité.

30 Selon la République de Chypre, cet article implique la perte d’un avantage non pas du fait de l’exercice du droit à la libre circulation, mais en raison de la décision d’un travailleur de démissionner de la fonction publique nationale et de quitter le régime professionnel de sécurité sociale correspondant.

31 Enfin, la République de Chypre estime que des variations dans les conditions d’octroi des avantages de sécurité sociale pourraient mettre en péril l’équilibre du système chypriote, de sorte que, à supposer même que ledit article institue une entrave à la libre circulation des travailleurs, une telle entrave est justifiée puisqu’elle vise à garantir l’équilibre du régime professionnel des fonctionnaires, dans le respect du principe de proportionnalité.

Appréciation de la Cour

32 À titre liminaire, il y a lieu d’écarter l’argument de la République de Chypre selon lequel l’article 48 TFUE ne saurait servir de fondement au recours de la Commission.

33 En effet, contrairement à ce que soutient cet État membre, la circonstance que cet article constitue une base juridique pour l’adoption de mesures ayant pour objet l’établissement de la libre circulation des travailleurs, notamment par la mise en place d’un système permettant d’assurer aux travailleurs la prise en considération de toutes les périodes d’assurance accomplies dans différents États membres, n’implique pas que l’invocation dudit article ne soit pas pertinente dans le cadre du présent
recours.

34 La Cour a déjà jugé que l’article 48 TFUE, dont l’objectif est de contribuer à l’établissement d’une liberté de circulation des travailleurs migrants aussi complète que possible (voir arrêt da Silva Martins, C‑388/09, EU:C:2011:439, point 70 et jurisprudence citée), implique, notamment, que les travailleurs migrants ne doivent ni perdre des droits à des prestations de sécurité sociale ni subir une réduction du montant de celles-ci en raison du fait qu’ils ont exercé le droit à la libre
circulation que leur confère le traité (voir arrêts Nemec, C‑205/05, EU:C:2006:705, point 38, et Bouman, C‑114/13, EU:C:2015:81, point 39).

35 Par ailleurs, la Cour a également jugé qu’une demande de totalisation peut être satisfaite directement en application des articles 45 TFUE à 48 TFUE, sans devoir recourir à des règles de coordination adoptées par le Conseil, conformément à ce dernier article (voir, en ce sens, arrêt Vougioukas, C‑443/93, EU:C:1995:394, point 36).

36 En outre, il convient de relever que le recours de la Commission se fonde non pas de manière exclusive, principale ou prépondérante sur l’article 48 TFUE, mais sur une violation du droit à la libre circulation des travailleurs prévu à l’article 45 TFUE, lu en combinaison avec les articles 48 TFUE et 4, paragraphe 3, TUE.

37 Par conséquent, il y a lieu d’examiner la compatibilité de la réglementation chypriote visée par le recours de la Commission avec ces trois dispositions.

38 Si les États membres conservent leur compétence pour aménager leurs systèmes de sécurité sociale, ils doivent néanmoins, dans l’exercice de cette compétence, respecter le droit de l’Union et, notamment, les dispositions du traité relatives à la libre circulation des travailleurs et au droit d’établissement (voir arrêt Gouvernement de la Communauté française et gouvernement wallon, C‑212/06, EU:C:2008:178, point 43).

39 À cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante de la Cour, l’ensemble des dispositions du traité relatives à la libre circulation des personnes vise à faciliter, pour les ressortissants de l’Union, l’exercice d’activités professionnelles de toute nature sur le territoire de l’Union et s’oppose aux mesures qui pourraient défavoriser ces ressortissants lorsqu’ils souhaitent exercer une activité économique sur le territoire d’un autre État membre. Dans ce contexte, les
ressortissants des États membres disposent en particulier du droit, qu’ils tirent directement du traité, de quitter leur État membre d’origine pour se rendre sur le territoire d’un autre État membre et y séjourner, afin d’y exercer une activité économique (voir, notamment, arrêts Bosman, C‑415/93, EU:C:1995:463, points 94 et 95, Ritter-Coulais,C‑152/03, EU:C:2006:123, point 33; Gouvernement de la Communauté française et gouvernement wallon, C‑212/06, EU:C:2008:178, point 44; CasteelsC‑379/09,
EU:C:2011:131, point 21, ainsi que Las, C‑202/11, EU:C:2013:239, point 19).

40 Certes, si le droit primaire de l’Union ne saurait garantir à un assuré qu’un déplacement dans un autre État membre soit neutre en matière de sécurité sociale, notamment en matière de prestations de maladie et de pensions de vieillesse, un tel déplacement, compte tenu des disparités existant entre les régimes et les législations des États membres, pouvant, selon le cas, être plus ou moins avantageux ou désavantageux pour la personne concernée sur le plan de la protection sociale, il ressort d’une
jurisprudence bien établie que, dans le cas où son application est moins favorable, une réglementation nationale n’est conforme au droit de l’Union que pour autant que, notamment, cette réglementation nationale ne désavantage pas le travailleur concerné par rapport à ceux qui exercent la totalité de leurs activités dans l’État membre où elle s’applique et qu’elle ne conduit pas purement et simplement à verser des cotisations sociales à fonds perdus (voir arrêt Mulders, C‑548/11, EU:C:2013:249,
point 45 et jurisprudence citée).

41 Ainsi, la Cour a itérativement jugé que le but des articles 45 TFUE et 48 TFUE ne serait pas atteint si, par suite de l’exercice de leur droit de libre circulation, les travailleurs migrants devaient perdre les avantages de sécurité sociale que leur assure la seule législation d’un État membre (voir, notamment, arrêts Gouvernement de la Communauté française et gouvernement wallon, C‑212/06, EU:C:2008:178, point 46; da Silva Martins, C‑388/09, EU:C:2011:439, point 74, ainsi que Mulders, C‑548/11,
EU:C:2013:249, point 46).

42 En outre, selon la jurisprudence de la Cour, les articles 45 TFUE à 48 TFUE ont notamment pour objet d’éviter qu’un travailleur qui, en faisant usage de son droit de libre circulation, a occupé des emplois dans plus d’un État membre soit, sans justification objective, traité de façon plus défavorable que celui qui a effectué toute sa carrière dans un seul État membre (voir arrêt da Silva Martins, C‑388/09, EU:C:2011:439, point 76).

43 En l’espèce, il ressort du dossier soumis à la Cour que, en application de l’article 27, paragraphe 1, de la loi 97 (I)/1997, lu en combinaison avec les articles 24 et 25 de cette loi, un fonctionnaire âgé de moins de 45 ans, qui démissionne de l’emploi qu’il occupe dans la fonction publique chypriote pour exercer une activité professionnelle dans un autre État membre, au sein d’une institution de l’Union ou d’une autre organisation internationale, perçoit immédiatement une somme forfaitaire et
perd le droit de voir sa retraite consolidée, liquidée et versée lorsqu’il aura atteint l’âge de 55 ans, alors qu’un fonctionnaire qui continue à exercer cet emploi ou qui quitte celui-ci pour exercer d’autres fonctions publiques à Chypre perçoit immédiatement ladite somme et conserve ce droit.

44 À cet égard, même si la loi 113 (I)/2011 prévoit que les «nouveaux fonctionnaires», à savoir ceux nommés après le 1er octobre 2011, sont assujettis à un autre régime de retraite ne comportant plus une telle différence de traitement, il n’en demeure pas moins que, ainsi que le fait valoir la Commission sans être contredite sur ce point par la République de Chypre, le régime précédent, c’est-à-dire celui prévu par la loi 97 (I)/1997, continue de s’appliquer aux fonctionnaires nommés avant cette
date, y compris à ceux qui, parmi ces derniers, ont déjà démissionné.

45 Il s’ensuit que la réglementation chypriote en cause en l’espèce est susceptible de gêner ou de rendre moins attrayant l’exercice, par les fonctionnaires chypriotes concernés, de leur droit à la libre circulation. En effet, cette réglementation peut dissuader ceux-ci de quitter leur emploi au sein de la fonction publique de leur État membre d’origine pour exercer une activité professionnelle sur le territoire d’un autre État membre, au sein d’une institution de l’Union ou d’une autre organisation
internationale et constitue, dès lors, une entrave à la libre circulation des travailleurs interdite, en principe, par l’article 45 TFUE.

46 S’agissant de l’argument de la République de Chypre selon lequel la réglementation en cause en l’espèce ne défavorise pas les travailleurs migrants au motif qu’elle s’applique indifféremment à tous les travailleurs choisissant de quitter la fonction publique chypriote, afin de travailler dans leur État membre d’origine ou dans un autre État membre, il convient de rappeler que pour qu’une mesure restreigne la libre circulation, il n’est pas nécessaire qu’elle soit fondée sur la nationalité des
personnes concernées ni même qu’elle ait pour effet de favoriser l’ensemble des travailleurs nationaux ou de ne défavoriser que les seuls ressortissants des autres États membres à l’exclusion des travailleurs nationaux. Il suffit que la mesure avantageuse bénéficie à certaines catégories de personnes exerçant une activité professionnelle dans l’État membre en question (voir arrêt Gouvernement de la Communauté française et gouvernement wallon, C‑212/06, EU:C:2008:178, point 50 et jurisprudence
citée).

47 S’il est vrai que la réglementation en cause en l’espèce s’applique tant aux fonctionnaires chypriotes choisissant de démissionner afin de travailler dans le secteur privé, dans leur État membre d’origine, qu’à ceux démissionnant et quittant cet État membre afin de travailler dans un autre État membre, au sein d’une institution de l’Union ou d’une autre organisation internationale, il n’en demeure pas moins que cette réglementation est susceptible de restreindre la libre circulation de cette
dernière catégorie de fonctionnaires en les empêchant ou en les dissuadant de quitter leur État membre d’origine pour accepter un emploi dans un autre État membre, au sein d’une institution de l’Union ou d’une autre organisation internationale. Une telle réglementation conditionne directement l’accès des fonctionnaires chypriotes au marché du travail dans les États membres autres que la République de Chypre et est ainsi apte à entraver la libre circulation des travailleurs (voir, en ce sens,
arrêt Bosman, C‑415/93, EU:C:1995:463, points 98 à 100 et 103).

48 Par ailleurs, les modifications apportées à la loi 97 (I)/1997 par la loi 31 (I)/2012 et entrées en vigueur avec effet rétroactif à compter du 1er mai 2004, prévoyant notamment que les fonctionnaires occupant un poste ouvrant droit à pension dans la fonction publique chypriote et quittant celui-ci pour occuper un poste de titulaire dans une institution de l’Union ont le droit de faire verser par le gouvernement chypriote à l’Union le montant représentant la valeur en capital des avantages qu’ils
ont acquis en application du régime de retraite des fonctionnaires, n’éliminent pas toute forme d’entrave à la libre circulation des fonctionnaires concernés, puisqu’elles ne visent pas la situation de ceux, qui, parmi ces derniers, choisissent de ne pas transférer leurs droits à pension. En effet, si ces fonctionnaires démissionnent ou ont démissionné de la fonction publique chypriote avant d’avoir atteint l’âge de 45 ans, ils perdent leurs droits à la retraite.

49 À cet égard, la circonstance invoquée par la République de Chypre, selon laquelle lesdits fonctionnaires peuvent, outre la perception d’une somme forfaitaire au titre de la loi 97 (I)/1997, bénéficier d’une pension en vertu de la loi 59 (I)/2010 sur la sécurité sociale, s’ils satisfont aux conditions prévues par cette loi, n’est pas de nature à remettre en cause l’existence de l’entrave identifiée au point précédent du présent arrêt.

50 En effet, dans sa réplique, la Commission a, sans être contredite sur ce point par la République de Chypre, indiqué que, à la différence d’un fonctionnaire qui démissionne après avoir atteint l’âge de 45 ans et qui a droit à une pension à la fois en vertu de la loi 97 (I)/1997 et de la loi 59 (I)/2010, un fonctionnaire occupant un poste ouvrant droit à pension dans la fonction publique chypriote et qui décide de quitter celui-ci, avant d’avoir atteint cet âge, pour exercer une fonction au sein
d’une institution de l’Union, sans faire transférer ses droits à pension, n’a pas droit à une pension en vertu de la loi 97 (I)/1997.

51 Ainsi, la réglementation chypriote est susceptible de dissuader cette dernière catégorie de fonctionnaires de quitter Chypre pour exercer une activité professionnelle au sein d’une institution de l’Union, puisque, en acceptant un emploi auprès d’une telle institution, ils perdent la possibilité de bénéficier, au titre du régime national de sécurité sociale, d’une prestation de vieillesse à laquelle ils auraient eu droit s’ils n’avaient pas accepté cet emploi (voir, en ce sens, arrêts My,
C‑293/03, EU:C:2004:821, point 47; Rockler, C‑137/04, EU:C:2006:106, point 19, et Öberg, C‑185/04, EU:C:2006:107, point 16).

52 Or, outre le fait qu’elle constitue une entrave interdite par l’article 45 TFUE, une telle conséquence ne saurait être admise au regard du devoir de coopération et d’assistance loyales qui incombe aux États membres à l’égard de l’Union et qui trouve son expression dans l’obligation, prévue à l’article 4, paragraphe 3, TUE, de faciliter à celle-ci l’accomplissement de sa mission (voir, en ce sens, arrêt My, C‑293/03, EU:C:2004:821, point 48).

53 S’agissant de l’argument avancé par la République de Chypre, selon lequel l’entrave à la libre circulation des travailleurs résultant des dispositions de l’article 27 de la loi 97 (I)/1997 est justifiée par le fait que des variations dans les conditions d’octroi des avantages de sécurité sociale pourraient mettre en péril l’équilibre du système et que ces dispositions visent à garantir cet équilibre, dans le respect du principe de proportionnalité, il convient de rappeler que, si des motifs de
nature purement économique ne peuvent constituer une raison impérieuse d’intérêt général de nature à justifier une restriction à une liberté fondamentale garantie par le traité (voir arrêts Verkooijen, C‑35/98, EU:C:2000:294, point 48; Kranemann, C‑109/04, EU:C:2005:187, point 34, et Thiele Meneses, C‑220/12, EU:C:2013:683, point 43), une réglementation nationale peut toutefois constituer une entrave justifiée à une liberté fondamentale lorsqu’elle est dictée par des motifs d’ordre économique
poursuivant un objectif d’intérêt général (voir arrêt Essent e.a., C‑105/12 à C‑107/12, EU:C:2013:677, point 52). Ainsi, il ne saurait être exclu qu’un risque d’atteinte grave à l’équilibre financier du système de sécurité sociale puisse constituer une raison impérieuse d’intérêt général susceptible de justifier qu’il soit porté atteinte aux dispositions du traité relatives au droit à la libre circulation des travailleurs (voir, en ce sens, arrêt Kohll, C‑158/96, EU:C:1998:171, point 41).

54 Cependant, selon une jurisprudence constante de la Cour, il appartient aux autorités nationales compétentes, lorsqu’elles adoptent une mesure dérogatoire à un principe consacré par le droit de l’Union, de prouver, dans chaque cas d’espèce, que ladite mesure est propre à garantir la réalisation de l’objectif invoqué et ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre celui-ci. Les raisons justificatives susceptibles d’être invoquées par un État membre doivent donc être accompagnées des
preuves appropriées ou d’une analyse de l’aptitude et de la proportionnalité de la mesure restrictive adoptée par cet État, ainsi que des éléments précis permettant d’étayer son argumentation. Il importe qu’une telle analyse objective, circonstanciée et chiffrée soit en mesure de démontrer, à l’aide de données sérieuses, convergentes et de nature probante, qu’il existe effectivement des risques pour l’équilibre du système de sécurité sociale (voir, notamment, arrêts Commission/Belgique, C‑254/05,
EU:C:2007:319, point 36, ainsi que Bressol e.a., C‑73/08, EU:C:2010:181, point 71).

55 Or, force est de constater que, en l’espèce, une telle démonstration fait défaut. En effet, le gouvernement chypriote se borne à faire allusion à un risque de déséquilibre du système de sécurité sociale et à affirmer que la réglementation en cause satisfait à la condition de proportionnalité visée au point précédent du présent arrêt.

56 Par conséquent, l’entrave à la libre circulation des travailleurs en cause en l’espèce n’est pas justifiée.

57 Dès lors, le recours de la Commission doit être déclaré fondé.

58 Dans ces conditions, il y a lieu de constater que, en n’ayant pas abrogé, avec effet rétroactif à compter du 1er mai 2004, la condition liée à l’âge figurant à l’article 27 de la loi 97 (Ι)/1997, qui dissuade les travailleurs de quitter leur État membre d’origine pour exercer une activité professionnelle dans un autre État membre ou au sein d’une institution de l’Union ou d’une autre organisation internationale et qui a pour effet d’établir une inégalité de traitement entre les travailleurs
migrants, y compris ceux qui travaillent dans les institutions de l’Union ou dans une autre organisation internationale, d’une part, et les fonctionnaires qui ont exercé leur activité à Chypre, d’autre part, la République de Chypre a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 45 TFUE et 48 TFUE ainsi que de l’article 4, paragraphe 3, TUE.

Sur les dépens

59 Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de la République de Chypre et celle-ci ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

  Par ces motifs, la Cour (première chambre) déclare et arrête:

  1) En n’ayant pas abrogé, avec effet rétroactif à compter du 1er mai 2004, la condition liée à l’âge figurant à l’article 27 de la loi 97 (Ι)/1997 sur les retraites, qui dissuade les travailleurs de quitter leur État membre d’origine pour exercer une activité professionnelle dans un autre État membre ou au sein d’une institution de l’Union européenne ou d’une autre organisation internationale et qui a pour effet d’établir une inégalité de traitement entre les travailleurs migrants, y compris ceux
qui travaillent dans les institutions de l’Union européenne ou dans une autre organisation internationale, d’une part, et les fonctionnaires qui ont exercé leur activité à Chypre, d’autre part, la République de Chypre a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 45 TFUE et 48 TFUE ainsi que de l’article 4, paragraphe 3, TUE.

  2) La République de Chypre est condamnée aux dépens.

  Signatures

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( * )   Langue de procédure: le grec.


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : C-515/14
Date de la décision : 21/01/2016
Type de recours : Recours en constatation de manquement - fondé

Analyses

Manquement d’État – Libre circulation des personnes – Travailleurs – Articles 45 TFUE et 48 TFUE – Prestations de vieillesse – Différence de traitement liée à l’âge – Fonctionnaires d’un État membre âgés de moins de 45 ans et quittant cet État membre pour exercer une activité professionnelle dans un autre État membre ou au sein d’une institution de l’Union européenne.

Libre circulation des travailleurs


Parties
Demandeurs : Commission européenne
Défendeurs : République de Chypre.

Composition du Tribunal
Avocat général : Sharpston
Rapporteur ?: Silva de Lapuerta

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2016:30

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