CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
M. NILS WAHL
présentées le 16 mai 2017 ( 1 )
Affaire C‑111/17 PPU
OL
contre
PQ
[demande de décision préjudicielle formée par le Monomeles Protodikeio Athinon (tribunal de grande instance à juge unique d’Athènes, Grèce)]
«Renvoi préjudiciel — Coopération judiciaire en matière civile — Règlement (CE) no 2201/2003 — Compétence, reconnaissance et exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale — Articles 8, 10 et 11 — Demande de retour — Notion de “résidence habituelle” d’un nourrisson — Enfant né dans un État membre autre que celui où ses parents ont résidé ensemble et qui, ensuite, est resté avec sa mère dans l’État membre de sa naissance — Déplacement ou non-retour illicites
— Absence»
1. Dans la présente affaire, la Cour est invitée à interpréter l’article 11, paragraphe 1, du règlement (CE) no 2201/2003 ( 2 ) et, plus particulièrement, la notion de « résidence habituelle » qui figure dans ladite disposition.
2. Cette affaire trouve son origine dans un litige opposant OL, ressortissant italien, et PQ, ressortissante hellénique, respectivement père et mère d’un nourrisson, né en Grèce, à la suite d’un commun accord entre les parents. Le litige porte, plus précisément, sur une demande de retour, introduite par OL devant la juridiction de renvoi [le Monomeles Protodikeio Athinon (tribunal de grande instance à juge unique d’Athènes, Grèce)], de cet enfant vers l’Italie, l’État membre dans lequel les parents
de l’enfant ont résidé ensemble avant la naissance de l’enfant.
3. Dans ce contexte, la juridiction de renvoi interroge la Cour, en substance, sur la question de savoir si la détermination de la résidence habituelle d’un nourrisson dans un État membre donné exige que l’enfant ait été présent dans cet État membre et si, en absence d’une telle présence, d’autres facteurs, tels que la résidence commune antérieure des parents dans cet État membre, peuvent se voir accorder une importance déterminante aux fins d’établir la résidence habituelle d’un enfant.
4. À cet égard, la présente affaire invite la Cour, d’une part, à préciser sa jurisprudence sur la notion de « résidence habituelle » dans le cadre du règlement Bruxelles II bis et, d’autre part, à apporter des précisions quant aux éléments pertinents à prendre en considération aux fins de déterminer la résidence habituelle d’un nourrisson en vue d’apprécier si la circonstance selon laquelle l’enfant est resté avec sa mère dans l’État membre où il est né, contre la volonté du père, constitue un
déplacement ou un non-retour illicites, au sens de l’article 11 dudit règlement.
5. Comme je l’exposerai en détail ci-après, l’article 11 du règlement Bruxelles II bis n’a pas vocation à s’appliquer dans une situation telle que celle en cause dans l’affaire au principal.
Le cadre juridique
Le droit international
6. La convention sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants, conclue à La Haye, le 25 octobre 1980 (ci-après la « convention de La Haye de 1980 »), a pour objectif, ainsi qu’il ressort de son préambule, notamment, de protéger l’enfant, sur le plan international, contre les effets nuisibles d’un déplacement ou d’un non-retour illicites et d’établir des procédures en vue de garantir le retour immédiat de l’enfant dans l’État de sa résidence habituelle. Cette convention a été
ratifiée tant par la République italienne que par la République hellénique.
7. Aux termes de l’article 3 de ladite convention :
« Le déplacement ou le non-retour d’un enfant est considéré comme illicite :
a) lorsqu’il a lieu en violation d’un droit de garde, attribué à une personne, une institution ou tout autre organisme, seul ou conjointement, par le droit de l’État dans lequel l’enfant avait sa résidence habituelle immédiatement avant son déplacement ou son non-retour ; et
b) que ce droit était exercé de façon effective seul ou conjointement, au moment du déplacement ou du non-retour, ou l’eût été si de tels événements n’étaient survenus.
Le droit de garde visé en a) peut notamment résulter d’une attribution de plein droit, d’une décision judiciaire ou administrative, ou d’un accord en vigueur selon le droit de cet État. »
8. L’article 5, sous a), de cette même convention prévoit que, au sens de celle-ci, le « droit de garde » comprend le droit portant sur les soins de la personne de l’enfant, et en particulier celui de décider de son lieu de résidence.
Le droit de l’Union
9. Aux termes du considérant 12 du règlement Bruxelles II bis :
« Les règles de compétence établies par le présent règlement en matière de responsabilité parentale sont conçues en fonction de l’intérêt supérieur de l’enfant et en particulier du critère de proximité. Ce sont donc en premier lieu les juridictions de l’État membre dans lequel l’enfant a sa résidence habituelle qui devraient être compétentes, sauf dans certains cas de changement de résidence de l’enfant ou suite à un accord conclu entre les titulaires de la responsabilité parentale. »
10. Le considérant 17 de ce même règlement est ainsi libellé :
« En cas de déplacement ou de non-retour illicites d’un enfant, son retour devrait être obtenu sans délai et à ces fins la convention de La Haye [de 1980] devrait continuer à s’appliquer telle que complétée par les dispositions de ce règlement et en particulier de l’article 11[...] »
11. L’article 1er de ce règlement, intitulé « Champ d’application », dispose à son paragraphe 1 :
« Le présent règlement s’applique, quelle que soit la nature de la juridiction, aux matières civiles relatives :
[…]
b) à l’attribution, à l’exercice, à la délégation, au retrait total ou partiel de la responsabilité parentale. »
12. L’article 2 dudit règlement contient les définitions suivantes :
« […]
7) “responsabilité parentale” l’ensemble des droits et obligations conférés à une personne physique ou une personne morale sur la base d’une décision judiciaire, d’une attribution de plein droit ou d’un accord en vigueur, à l’égard de la personne ou des biens d’un enfant. Il comprend notamment le droit de garde et le droit de visite ;
8) “titulaire de la responsabilité parentale” toute personne exerçant la responsabilité parentale à l’égard d’un enfant ;
9) “droit de garde” les droits et obligations portant sur les soins de la personne d’un enfant, et en particulier le droit de décider de son lieu de résidence ;
[…]
11) “déplacement ou non-retour illicites d’un enfant” le déplacement ou le non-retour d’un enfant lorsque :
a) il a eu lieu en violation d’un droit de garde résultant d’une décision judiciaire, d’une attribution de plein droit ou d’un accord en vigueur en vertu du droit de l’État membre dans lequel l’enfant avait sa résidence habituelle immédiatement avant son déplacement ou son non-retour
et
b) sous réserve que le droit de garde était exercé effectivement, seul ou conjointement, au moment du déplacement ou du non-retour, ou l’eût été si de tels événements n’étaient survenus. La garde est considérée comme étant exercée conjointement lorsque l’un des titulaires de la responsabilité parentale ne peut, conformément à une décision ou par attribution de plein droit, décider du lieu de résidence de l’enfant sans le consentement d’un autre titulaire de la responsabilité parentale. »
13. Aux termes de l’article 8 du même règlement, intitulé « Compétence générale » :
« 1. Les juridictions d’un État membre sont compétentes en matière de responsabilité parentale à l’égard d’un enfant qui réside habituellement dans cet État membre au moment où la juridiction est saisie.
2. Le paragraphe 1 s’applique sous réserve des dispositions des articles 9, 10 et 12. »
14. L’article 10 du règlement Bruxelles II bis, intitulé « Compétence en cas d’enlèvement d’enfant », prévoit :
« En cas de déplacement ou de non-retour illicites d’un enfant, les juridictions de l’État membre dans lequel l’enfant avait sa résidence habituelle immédiatement avant son déplacement ou son non-retour illicites conservent leur compétence jusqu’au moment où l’enfant a acquis une résidence habituelle dans un autre État membre et que
a) toute personne, institution ou autre organisme ayant le droit de garde a acquiescé au déplacement ou au non-retour
ou
b) l’enfant a résidé dans cet autre État membre pendant une période d’au moins un an après que la personne, l’institution ou tout autre organisme ayant le droit de garde a eu ou aurait dû avoir connaissance du lieu où se trouvait l’enfant, que l’enfant s’est intégré dans son nouvel environnement et que l’une au moins des conditions suivantes est remplie :
i) dans un délai d’un an après que le titulaire d’un droit de garde a eu ou aurait dû avoir connaissance du lieu où se trouvait l’enfant, aucune demande de retour n’a été faite auprès des autorités compétentes de l’État membre où l’enfant a été déplacé ou est retenu ;
ii) une demande de retour présentée par le titulaire d’un droit de garde a été retirée et aucune nouvelle demande n’a été présentée dans le délai fixé au point i) ;
iii) une affaire portée devant une juridiction de l’État membre dans lequel l’enfant avait sa résidence habituelle immédiatement avant son déplacement ou son non-retour illicites a été close en application de l’article 11, paragraphe 7 ;
iv) une décision de garde n’impliquant pas le retour de l’enfant a été rendue par les juridictions de l’État membre dans lequel l’enfant avait sa résidence habituelle immédiatement avant son déplacement ou son non-retour illicites. »
15. L’article 11 de ce règlement, intitulé « Retour de l’enfant », dispose :
« 1. Lorsqu’une personne, institution ou tout autre organisme ayant le droit de garde demande aux autorités compétentes d’un État membre de rendre une décision sur la base de la convention de La Haye [de 1980] en vue d’obtenir le retour d’un enfant qui a été déplacé ou retenu illicitement dans un État membre autre que l’État membre dans lequel l’enfant avait sa résidence habituelle immédiatement avant son déplacement ou son non-retour illicites, les paragraphes 2 à 8 sont d’application.
[…] »
16. L’article 13 du règlement Bruxelles II bis, intitulé « Compétence fondée sur la présence de l’enfant », prévoit :
« 1. Lorsque la résidence habituelle de l’enfant ne peut être établie et que la compétence ne peut être déterminée sur base de l’article 12, les juridictions de l’État membre dans lequel l’enfant est présent sont compétentes.
[…] »
Le litige au principal et la question préjudicielle
17. Il ressort de la décision de renvoi qu’OL et PQ se sont mariés en Italie le 1er décembre 2013 et qu’ils ont résidé ensemble en Italie.
18. Alors que PQ était enceinte de huit mois, les époux se seraient rendus ensemble en Grèce afin que PQ puisse y accoucher.
19. Le 3 février 2016, PQ a donné naissance, en Grèce, à une petite fille qui demeure dans cet État membre avec sa mère depuis sa naissance.
20. Après la naissance de l’enfant, OL serait retourné en Italie. Selon OL, il aurait consenti à ce que PQ séjourne en Grèce avec leur enfant jusqu’au mois de mai 2016, époque à laquelle il attendait le retour de son épouse et de son enfant en Italie. Cependant, en juin 2016, PQ aurait décidé de rester en Grèce avec l’enfant.
21. Selon PQ, les époux n’auraient pas déterminé de manière précise la date du retour en Italie. PQ affirme, notamment, qu’au mois de mai 2016 et, ensuite, au mois de juin 2016, OL aurait rendu visite à PQ et à leur enfant à Athènes, en Grèce. Ils se seraient, par ailleurs, convenus de passer ensemble les vacances d’été du mois d’août en Grèce.
22. Au mois de juillet 2016, OL a engagé une procédure de divorce devant les juridictions italiennes. Par requête du 18 juillet 2016, OL a saisi le tribunale di Ancona (tribunal d’Ancône, Italie) aux fins d’obtenir, d’une part, le divorce et, d’autre part, la garde exclusive de sa fille. Il a également demandé que les mesures nécessaires soient prises pour assurer le retour de l’enfant en Italie.
23. À la suite d’un courrier des autorités italiennes du 12 juillet 2016, PQ a envoyé par courrier du 22 juillet 2016 une déclaration aux services d’état civil de la province d’Ancône indiquant qu’elle avait l’intention de revenir en Italie et que sa résidence habituelle était toujours dans ce pays.
24. Par ordonnance du 7 novembre 2016, le président du tribunale di Ancona (tribunal d’Ancône) a décidé, en ce qui concerne la demande de retour de l’enfant en Italie, qu’il n’y avait pas lieu de statuer sur ladite demande, dès lors que l’enfant a toujours résidé et réside toujours dans un État membre autre que la République italienne.
25. OL a, en date du 2 décembre 2016, interjeté appel contre la décision de non-lieu à statuer devant la Corte d’appello d’Ancona (cour d’appel d’Ancône, Italie). Par décision du 20 janvier 2017, devenue définitive, cette juridiction a confirmé la décision de non-lieu à statuer du président du tribunale di Ancona (tribunal d’Ancône).
26. OL a, en parallèle, le 20 octobre 2016, saisi la juridiction de renvoi afin que celle-ci ordonne le retour de sa fille en Italie.
27. Selon les informations dont dispose la Cour, il semblerait qu’OL a pu rendre visite à son enfant à plusieurs reprises depuis la naissance de celui-ci, y compris après l’engagement, par OL, d’une procédure de divorce.
28. Il ressort d’un échange de courriers électroniques que PQ a, en date du 19 janvier 2017, autorisé OL à rendre visite à son enfant au domicile des parents de PQ quand il le souhaitait, mais sous condition de ne pas sortir avec l’enfant du domicile. Par courrier électronique du 20 janvier 2017, OL aurait répondu qu’il considérait que PQ l’empêchait de voir son enfant et que, ainsi faisant, elle violait son droit de garde.
29. Éprouvant des doutes sur sa compétence pour statuer sur la demande de retour formulée par OL, la juridiction de renvoi a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question suivante :
« Quelle interprétation convient-il de donner aux termes “résidence habituelle”, au sens de l’article 11, paragraphe 1, du [règlement Bruxelles II bis], dans le cas d’un nourrisson qui, pour des raisons fortuites ou de force majeure, est né dans un lieu autre que celui que ses parents, qui exercent conjointement sur lui la responsabilité parentale, avaient envisagé pour lui comme lieu de résidence habituelle et qui, depuis lors, a été retenu illicitement par un de ses parents dans l’État où il
est né ou qui a été déplacé dans un État tiers ? Plus spécialement, la présence physique est-elle, dans tous les cas, un prérequis nécessaire et évident pour établir la résidence habituelle d’une personne et, notamment, d’un nouveau‑né ? »
30. Des observations ont été déposées par OL, PQ, le gouvernement hellénique et la Commission européenne.
31. Une audience s’est tenue le 4 mai 2017, à laquelle ont participé OL, PQ, le gouvernement hellénique, le gouvernement du Royaume-Uni et la Commission.
Sur la procédure d’urgence
32. La juridiction de renvoi a demandé que le présent renvoi préjudiciel soit soumis à la procédure d’urgence prévue à l’article 107 du règlement de procédure de la Cour.
33. Elle a motivé cette demande en faisant valoir que le litige concerne un enfant d’à peine un an, éloigné de son père pendant plus de neuf mois, sans que ce dernier ait la possibilité de communiquer avec lui. Selon la juridiction de renvoi, la poursuite de la situation existante est susceptible de porter gravement atteinte à la relation future de cet enfant avec son père.
34. Ayant considéré que les conditions pour le déclenchement de la procédure d’urgence étaient remplies, la cinquième chambre de la Cour a décidé, le 16 mars 2017, sur proposition du juge rapporteur, l’avocat général entendu, de faire droit à la demande de la juridiction de renvoi visant à soumettre le renvoi préjudiciel à la procédure d’urgence.
Analyse
Propos introductifs
35. D’emblée, il convient d’observer que la présente affaire se singularise par le fait qu’il n’y a jamais eu de déplacement géographique de l’enfant concerné d’un lieu à un autre. Toutefois, OL a introduit devant la juridiction de renvoi une demande de retour de l’enfant en Italie, l’État membre où OL et PQ ont résidé ensemble avant la naissance de leur enfant.
36. C’est dans ce contexte particulier que la juridiction de renvoi demande à la Cour de fournir des précisions sur l’interprétation de la notion de « résidence habituelle », notion clef du règlement Bruxelles II bis. En effet, il ressort de la demande de décision préjudicielle que la juridiction de renvoi s’interroge sur l’importance qu’il convient d’accorder à la présence physique de l’enfant en Grèce et sur la possibilité de fixer sa résidence habituelle en Italie où les parents avaient leur
résidence commune.
37. Selon la juridiction de renvoi, les critères dégagés dans la jurisprudence de la Cour en vue de déterminer le lieu de la résidence habituelle de l’enfant ne seraient pas pertinents dans l’affaire au principal en raison de la dépendance totale d’un nouveau-né ou d’un nourrisson aux personnes qui en ont la garde.
38. Cette juridiction considère, à cet égard, que, dans le cas d’un nourrisson, il serait plus pertinent d’utiliser, comme critère déterminant, la volonté exprimée par les parents avant la naissance de l’enfant. Une telle approche permettrait, selon elle, d’étendre le cadre protecteur du règlement Bruxelles II bis et de la convention de La Haye de 1980 aux cas comme celui de l’espèce.
39. En d’autres termes, la juridiction de renvoi demande à la Cour de dire pour droit que, en ce qui concerne la détermination de la résidence habituelle d’un nourrisson dans le cadre d’une demande de retour au sens de l’article 11 du règlement Bruxelles II bis, il n’est pas requis que l’enfant dont le retour a été demandé ait été physiquement présent dans l’État membre vers lequel le retour est demandé.
40. Dès lors, à mon sens, la question préjudicielle soulève, d’une part, la question d’interprétation de la notion de « résidence habituelle » au sens de l’article 11, paragraphe 1, du règlement Bruxelles II bis et, d’autre part, la question de savoir si la juridiction de renvoi est compétente pour ordonner le retour d’un enfant – lorsque l’enfant est né, conformément à la volonté des parents, titulaires de la responsabilité parentale conjointe, dans un État membre autre que celui où les parents ont
résidé ensemble, et qui, ensuite, est resté avec sa mère dans l’État membre de sa naissance – vers l’État membre de résidence commune antérieure des parents.
41. S’il revient, en définitive, à la juridiction de renvoi de déterminer la résidence habituelle de l’enfant dont le retour a été demandé devant elle, la Cour peut néanmoins fournir des éléments d’orientation à la juridiction de renvoi.
42. Une réponse à la question préjudicielle exige de rappeler, dans un premier temps, le rôle que la notion de « résidence habituelle » joue dans le cadre du règlement Bruxelles II bis et, dans un second temps, la jurisprudence de la Cour portant sur cette notion dans le cadre de la détermination de la juridiction compétente en matière de responsabilité parentale.
La notion de « résidence habituelle » dans le cadre du règlement Bruxelles II bis
43. Le règlement Bruxelles II bis s’inspire fortement de la convention de La Haye de 1980 en ce qui concerne, notamment, la procédure régissant les demandes de retour en cas de déplacement ou de non-retour illicites de l’enfant. Toutefois, plutôt que de se substituer à ladite convention, ce règlement a vocation à compléter et à préciser les règles contenues dans ladite convention portant sur les demandes de retour ( 3 ). Ainsi que la Cour l’a précisé, les dispositions du règlement Bruxelles II bis
constituent un ensemble normatif indivisible qui s’applique aux procédures de retour des enfants illicitement déplacés au sein de l’Union ( 4 ).
44. Dans le cadre du système établi par le règlement Bruxelles II bis, la notion de « résidence habituelle » revêt un critère de compétence générale.
45. Conformément à l’article 8 dudit règlement, les juridictions compétentes pour se prononcer sur la responsabilité parentale concernant un enfant sont celles de l’État membre dans lequel il a sa résidence habituelle. En cas de déplacement ou de non-retour illicites d’un enfant, l’article 10 de ce même règlement dispose que les juridictions de l’État membre dans lequel l’enfant avait sa résidence habituelle immédiatement avant son déplacement ou son non-retour illicites conservent leur compétence
pour statuer sur le fond de l’affaire.
46. En effet, en vertu de l’article 11 de ce règlement, qui régit des demandes de retour de l’enfant et sur lequel la juridiction de renvoi interroge la Cour, cette disposition s’applique à un enfant qui a été déplacé ou retenu illicitement dans un État membre autre que l’État membre dans lequel l’enfant avait sa résidence habituelle immédiatement avant son déplacement ou son non-retour illicites.
47. Enfin, l’article 13, paragraphe 1, du règlement Bruxelles II bis prévoit un critère subsidiaire ( 5 ) aux fins d’établir la compétence juridictionnelle. En vertu de cette disposition, si la résidence habituelle de l’enfant ne peut être établie et si la compétence ne peut être déterminée sur le fondement de l’article 12 concernant la prorogation de compétence ( 6 ), les juridictions de l’État membre dans lequel l’enfant est présent sont compétentes.
48. En d’autres termes, en tant que critère d’attribution de compétence juridictionnelle, la notion de « résidence habituelle » garantit la réalisation de l’objectif premier du règlement Bruxelles II bis, qui est de déterminer la compétence en matière de responsabilité parentale sur la base du critère de proximité ( 7 ).
49. S’agissant, notamment, des articles 10 et 11 dudit règlement, il convient de mettre en exergue le double rôle de la notion de « résidence habituelle ».
50. En premier lieu, la résidence habituelle de l’enfant sert à déterminer la juridiction compétente pour se prononcer sur les questions ayant trait à la responsabilité parentale de l’enfant. Ainsi que cela a été observé ci-dessus, en cas de déplacement ou de non-retour illicites, les juridictions de l’État membre dans lequel l’enfant avait sa résidence habituelle immédiatement avant son déplacement ou son non-retour illicites conservent leur compétence conformément à l’article 10 du règlement
Bruxelles II bis.
51. En second lieu, la notion de « résidence habituelle » constitue un élément clef aux fins de déterminer si un déplacement ou un non-retour illicites d’un enfant au sens de l’article 11 dudit règlement a eu lieu. Ainsi, une demande de retour peut uniquement prospérer s’il s’avère que l’enfant dont le retour est demandé a été déplacé ou retenu illicitement dans un État membre autre que l’État membre dans lequel l’enfant avait sa résidence habituelle immédiatement avant son déplacement ou son
non-retour illicites.
52. Malgré son importance indéniable pour le bon fonctionnement du système de compétence juridictionnelle établi par le règlement Bruxelles II bis, ce règlement ne comporte aucune définition de la notion de « résidence habituelle ».
53. En effet, selon une approche entérinée par la jurisprudence de la Cour ( 8 ), la détermination de la résidence habituelle d’un enfant constitue un examen factuel propre à chaque cas d’espèce ( 9 ).
54. En dépit du caractère essentiellement factuel de cette appréciation, qu’il appartient à la juridiction de renvoi d’effectuer, la Cour a fourni certaines clarifications importantes sur les critères à la lumière desquels il convient d’établir la résidence habituelle de l’enfant.
Les critères jurisprudentiels permettant d’établir la résidence habituelle de l’enfant
55. Selon une jurisprudence désormais bien établie, le sens et la portée de la notion de « résidence habituelle » de l’enfant doivent être déterminés en fonction de l’intérêt supérieur de celui-ci et, en particulier, du critère de proximité. Cette notion correspond au lieu qui traduit une certaine intégration de l’enfant dans un environnement social et familial, et qui doit être établi par la juridiction nationale en tenant compte de l’ensemble des circonstances particulières de chaque cas d’espèce.
Sont notamment pertinentes les conditions et les raisons du séjour de l’enfant sur le territoire d’un État membre ainsi que la nationalité de celui-ci ( 10 ).
56. Parmi les critères permettant d’établir la résidence habituelle de l’enfant, la présence physique de celui-ci dans l’État membre concerné revêt une importance particulière ( 11 ).
57. Selon la Cour, la détermination de la résidence habituelle d’un enfant dans un État membre donné exige à tout le moins que l’enfant ait été physiquement présent dans cet État membre. Dès lors, le seul fait que l’enfant ait une nationalité d’un État membre ne peut suffire pour considérer que cet enfant y a sa résidence habituelle ( 12 ).
58. Quant au transfert de la résidence habituelle d’un pays à un autre, il a été également précisé que, outre la présence physique de l’enfant dans un État membre, d’autres facteurs supplémentaires doivent faire apparaître que cette présence n’a nullement un caractère temporaire ou occasionnel ( 13 ).
59. À cet égard, toujours dans le cadre du transfert de résidence habituelle, la durée du séjour n’est pas en soi un critère déterminant. Certes, la résidence habituelle doit être distinguée d’une simple présence temporaire ou fortuite. En principe, le séjour doit être d’une certaine durée pour traduire une stabilité suffisante. En ce sens, le transfert de la résidence habituelle dans l’État d’accueil se traduit surtout par la volonté de l’intéressé d’y fixer, avec l’intention de lui conférer un
caractère stable, le centre permanent ou habituel de ses intérêts. Par ailleurs, la Cour a précisé que la durée d’un séjour ne saurait servir que d’indice dans le cadre de l’évaluation de la stabilité de la résidence, cette évaluation devant être effectuée à la lumière de l’ensemble des circonstances de fait particulières du cas d’espèce. Selon la Cour, peut constituer un indice pertinent l’intention des parents ou, selon le cas, le seul responsable parental, de s’établir avec l’enfant dans un
autre État membre ou la prise de certaines mesures tangibles telles que l’acquisition ou la location d’un logement dans l’État membre d’accueil ( 14 ).
60. S’agissant plus particulièrement d’un nourrisson, la Cour a mentionné dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Mercredi que l’environnement social et familial de l’enfant, essentiel pour la détermination du lieu de sa résidence habituelle, est composé de différents facteurs variant en fonction de l’âge de l’enfant. Dès lors qu’un nourrisson est entièrement dépendant des personnes qui l’entourent, l’environnement d’un enfant en bas âge est essentiellement un environnement familial, déterminé par
la personne ou les personnes de référence avec lesquelles l’enfant vit, qui le gardent effectivement et prennent soin de lui ( 15 ).
61. En conséquence, il ressort clairement de la jurisprudence que la résidence habituelle dans un État membre donné requiert au moins que l’enfant ait été présent dans ledit État membre ( 16 ), les autres éléments devant être pris en compte pouvant fluctuer selon les spécificités de chaque cas d’espèce.
62. Dès lors, il s’agit de déterminer si cette jurisprudence a vocation à s’appliquer dans les circonstances telles que celles en cause dans la présente affaire, à savoir dans le cas d’une absence de déplacement physique de l’enfant d’un État membre à l’autre. Plus particulièrement, il s’agit de déterminer si, en vertu de l’article 11 du règlement Bruxelles II bis, le critère de présence physique peut être écarté lorsque l’enfant est resté avec sa mère dans l’État membre où il est né.
63. Je me pencherai sur cette problématique dans les développements qui suivent.
La détermination de la résidence habituelle d’un nourrisson au sens de l’article 11 du règlement Bruxelles II bis dans les circonstances telles que celles de la présente affaire
64. Tout d’abord, il convient de relever que les développements jurisprudentiels exposés ci-dessus concernent les articles 8 et 10 du règlement Bruxelles II bis. Il pourrait ainsi être soutenu que les enseignements de ladite jurisprudence ne sont pas déterminants aux fins de la résolution de la présente affaire, affaire qui concerne l’article 11 du même règlement. Toutefois, à cet égard, il y a lieu de souligner que la Cour a expressément jugé que la notion de « résidence habituelle » de l’enfant
figurant à l’article 11 du règlement Bruxelles II bis ne saurait avoir un contenu différent de celui des articles 8 et 10 de ce règlement ( 17 ).
65. Ainsi, il me semble exclu de s’écarter de ladite jurisprudence du seul fait que la demande de décision préjudicielle vise l’article 11 dudit règlement, et non pas l’article 10 de celui-ci. En tout état de cause, ainsi que cela sera exposé plus en détail ci-après, une interprétation « différenciée » de la notion de « résidence habituelle », suggérée par la juridiction de renvoi, serait contraire à l’objectif de l’article 11 du règlement Bruxelles II bis visant à rétablir le statu quo ante qui
existait avant le déplacement ou le non-retour illicites de l’enfant.
66. En l’espèce, l’enfant dont le retour a été demandé devant la juridiction de renvoi a séjourné en Grèce depuis sa naissance sans jamais quitter ce pays.
67. Comme l’a fait observer le gouvernement hellénique, au cours de son séjour en Grèce, l’enfant a nécessairement créé des liens non seulement avec sa mère PQ, qui le garde et qui prend soin de lui au quotidien, mais également et plus globalement avec le seul et unique environnement familial qu’il a connu depuis sa naissance, à savoir celui des parents de PQ. Selon la jurisprudence issue notamment de l’arrêt Mercredi ( 18 ), un enfant en bas âge s’intègre nécessairement et d’emblée dans
l’environnement social et familial de l’entourage dont il dépend.
68. À l’instar de la Commission, il convient de relever que, si l’enfant, dont le retour en Italie a été demandé devant la juridiction de renvoi, n’a jamais été physiquement présent dans ce pays, il paraît peu probable que le centre de ses intérêts puisse se situer dans ce même pays.
69. Il s’ensuit que, à première vue, il semble difficilement envisageable que, en application des critères esquissés dans la jurisprudence de la Cour, l’enfant dont le retour a été demandé en l’espèce puisse avoir une telle résidence dans un pays autre que la Grèce. Il en est ainsi, notamment, compte tenu du fait que la présence physique constitue, selon l’approche retenue dans la jurisprudence, une condition préalable à l’appréciation des autres éléments pertinents aux fins d’établir la résidence
habituelle d’un enfant.
70. La juridiction de renvoi semble être consciente de cette impasse, en ce qui concerne le manque d’éléments permettant d’établir un lien de rattachement avec l’Italie, qui pourrait primer celui existant entre l’enfant et la Grèce. Dès lors, face à cette difficulté, elle demande, en ce qui concerne la détermination de la résidence habituelle d’un nourrisson, quelle importance il convient d’accorder à la résidence commune antérieure des parents en Italie et, plus particulièrement, au fait que, avant
leur séparation, les parents auraient envisagé ledit État membre comme lieu de résidence habituelle de l’enfant, et, enfin, au fait que PQ demeurait, jusqu’à son huitième mois de grossesse, dans ce pays.
71. Certes, afin d’établir la résidence habituelle de l’enfant, doit être pris en compte l’ensemble des circonstances de fait particulières de chaque cas d’espèce. Ainsi, il appartient à la juridiction de renvoi d’examiner l’ensemble de ces circonstances pour établir où se trouve le centre des intérêts de l’enfant. À cet égard, conformément à l’approche globale entérinée par la Cour, outre la présence physique de l’enfant, l’un des facteurs à prendre en considération est indéniablement la volonté
des parents ayant la garde de l’enfant et la résidence habituelle de ceux-ci ( 19 ).
72. Or, à défaut de présence physique de l’enfant antérieurement en Italie, les circonstances évoquées par la juridiction de renvoi ne peuvent pas, selon moi, se voir accorder une importance déterminante aux fins d’établir la résidence habituelle de l’enfant dont le retour a été demandé devant la juridiction de renvoi.
73. Plusieurs considérations plaident en faveur de cette conclusion.
74. En premier lieu, il convient de souligner qu’il est constant que la volonté des parents était que l’enfant naisse en Grèce et qu’il y reste un certain temps avec sa mère ( 20 ).
75. Dès lors, contrairement à ce que semble suggérer la question préjudicielle telle que posée par la juridiction de renvoi, il n’y a rien de fortuit dans la présence de l’enfant en Grèce.
76. En deuxième lieu, il y a lieu de relever que la résidence habituelle, en tant que notion autonome du droit de l’Union ( 21 ), est une notion factuelle. Ainsi que l’a rappelé M. l’avocat général Szpunar, la notion de « résidence habituelle » est indépendante de toute question de savoir si la résidence est ou non établie de manière légale. En effet, dans le cas contraire, l’article 10 du règlement Bruxelles II bis serait sans objet, étant donné que cette disposition permet d’acquérir une résidence
habituelle en dépit d’un déplacement ou d’un non-retour illicites ( 22 ).
77. En l’occurrence, quand bien même il était considéré que le fait que PQ est restée en Grèce avec l’enfant, en l’absence de l’accord d’OL, a privé OL de l’exercice de son droit de garde, il n’en reste pas moins que ce fait ne devrait pas avoir d’incidence sur la question de savoir où, de facto, l’enfant a sa résidence habituelle.
78. De surcroît, contrairement à ce qui a pu être retenu par certaines juridictions nationales ( 23 ) – qui semblent adhérer à une approche légale de la notion de « résidence habituelle » mettant l’accent sur la résidence habituelle des personnes ayant la garde de l’enfant ou, d’une manière plus générale, sur celle de l’unité familiale ( 24 ) –, la résidence habituelle des parents dans un État membre donné ne saurait, à défaut de la présence physique de l’enfant antérieurement dans cet État membre,
être déterminante.
79. Enfin, dans ce contexte, l’approche suggérée par la juridiction de renvoi de s’écarter du critère de présence physique permettrait, certes, d’étendre le champ d’application de l’article 11 du règlement Bruxelles II bis et de la convention de La Haye de 1980 aux cas tels que celui en l’espèce. Toutefois, il importe de souligner que le règlement Bruxelles II bis régit, surtout, l’attribution de la compétence juridictionnelle. Si l’article 11 dudit règlement n’a pas vocation à s’appliquer dans une
situation telle que celle dans la présente affaire, cela n’empêche en rien OL de faire valoir ses droits devant les juridictions compétentes au sens de l’article 8 de ce règlement, en ce qui concerne les questions de fond ayant trait à la responsabilité parentale à l’égard de son enfant.
80. En troisième lieu, et dans le prolongement de ces considérations, je souligne que l’article 11 du règlement Bruxelles II bis fait référence au « retour » de l’enfant et non à son déplacement pour la première fois vers un lieu dans lequel il n’a jamais résidé. À cet égard, ladite disposition ainsi que l’article 3 de la convention de La Haye de 1980 ont clairement pour objectif de rétablir le statu quo ante. En revanche, ces instruments n’ont nullement pour objectif de créer une situation qui n’a
jamais existé, comme dans le cas d’espèce, à savoir une vie familiale en Italie envisagée avant la séparation des parents ( 25 ).
81. Cela étant, il ne saurait être exclu qu’il puisse exister des circonstances tout à fait exceptionnelles dans lesquelles il pourrait être envisagé de s’écarter du critère de présence physique. Toutefois, la présente affaire, traitée dans le cadre de la procédure d’urgence, ne se prête pas à un examen approfondi de cette question de principe. En effet, eu égard aux circonstances de l’espèce, une réponse à une telle question n’est pas nécessaire aux fins de répondre utilement à la question posée
par la juridiction de renvoi.
82. Cependant, il semble opportun de relever que, dans un tel cas, et compte tenu notamment du caractère factuel de la résidence habituelle, il serait nécessaire qu’un lien de rattachement tangible soit établi avec un pays autre que celui dans lequel l’enfant séjourne effectivement.
83. Un tel lien devrait être fondé, dans l’intérêt supérieur de l’enfant, sur des indices forts et réels qui pourraient ainsi prédominer sur la présence physique de l’enfant. De toute évidence, ne saurait suffire comme lien la perspective qu’un État membre particulier devienne, dans un avenir indéfini, le lieu de résidence habituelle de l’enfant, sans que cette perspective soit confortée par d’autres liens tangibles d’une nature telle qu’il puisse être fait abstraction de la condition nécessaire de
la présence physique de l’enfant.
84. En outre, dans ce contexte, il ne saurait être perdu de vue que, s’agissant des questions en matière de responsabilité parentale, l’économie générale du règlement Bruxelles II bis repose sur le critère de proximité, qui se traduit, principalement, par la présence physique de l’enfant. En effet, lorsque la résidence habituelle d’un enfant ne peut être établie, la règle de compétence subsidiaire visée à l’article 13 du règlement Bruxelles II bis prévoit que sont compétentes les juridictions de
l’État membre où se trouve l’enfant.
85. En quatrième lieu, je me dois de souligner que, si l’on s’en tient au raisonnement exposé par la juridiction de renvoi concernant la présence de PQ, pendant sa grossesse, en Italie, cela reviendrait à accepter qu’un enfant non encore né puisse relever du champ d’application du règlement Bruxelles II bis.
86. Certes, ledit règlement reste silencieux sur ce point. Or, à mon avis, il serait inopportun d’interpréter ledit règlement comme étant applicable avant la naissance même de l’enfant.
87. En effet, une telle interprétation du champ d’application de l’article 11 du règlement Bruxelles II bis aurait des conséquences non négligeables, sans doute non voulues par le législateur. En particulier, une telle interprétation permettrait de considérer comme un déplacement ou un non-retour illicites, au sens de l’article 11 du règlement Bruxelles II bis, le choix d’une femme enceinte de s’établir dans un pays autre que celui du père du futur enfant.
88. En cinquième et dernier lieu, je rappelle que la résidence habituelle de l’enfant doit, ainsi que cela a été observé dans les développements ci-dessus, être déterminée en tenant compte de l’intérêt supérieur de l’enfant.
89. Comme l’a fait remarquer la Commission, l’utilisation d’un critère comme l’intention des parents de fixer le lieu de la résidence habituelle de l’enfant dans un État membre donné ou comme la résidence antérieure commune des parents dans un État membre, même si l’enfant n’y a jamais été présent physiquement, serait susceptible de mettre en péril l’intérêt supérieur de l’enfant, puisque, dans des affaires le concernant, la compétence serait conférée à une juridiction d’un État membre qui ne
présente pas de proximité géographique avec l’enfant. Cela me semble être en nette contradiction avec l’objectif premier du règlement Bruxelles II bis, qui est de déterminer la compétence en matière de responsabilité parentale sur la base de la proximité ( 26 ).
90. En l’occurrence, il est permis de s’interroger sur les circonstances pouvant permettre d’établir la résidence habituelle de l’enfant en Italie, tout en se basant sur l’intérêt supérieur de l’enfant. En effet, je rappelle que le seul environnement familial que l’enfant a connu et auquel il est intégré depuis sa naissance se situe en Grèce.
91. En conséquence, je suis d’avis que la résidence habituelle de l’enfant au sens de l’article 11, paragraphe 1, du règlement Bruxelles II bis présuppose que l’enfant a été physiquement présent dans l’État membre vers lequel le retour est demandé. Dès lors, dans les circonstances telles que celles en cause dans l’affaire au principal, ne peut constituer un déplacement ou un non-retour illicites au sens de cette disposition le fait qu’un enfant, né dans un État membre autre que celui où ses parents
ont résidé ensemble, est resté avec sa mère dans l’État membre de sa naissance.
Conclusion
92. Eu égard aux développements qui précèdent, je propose à la Cour de répondre à la question préjudicielle posée par le Monomeles Protodikeio Athinon (tribunal de grande instance à juge unique d’Athènes, Grèce) de la manière suivante :
L’article 11, paragraphe 1, du règlement (CE) no 2201/2003 du Conseil, du 27 novembre 2003, relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale, doit être interprété en ce sens que la résidence habituelle de l’enfant au sens de cette disposition présuppose que l’enfant a été physiquement présent dans l’État membre vers lequel le retour est demandé. Dès lors, dans les circonstances telles que celles en cause
dans l’affaire au principal, ne peut constituer un déplacement ou un non-retour illicites au sens de ladite disposition le fait qu’un enfant, né dans un État membre autre que celui où ses parents ont résidé ensemble, est resté avec sa mère dans l’État membre de sa naissance.
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( 1 ) Langue originale : le français.
( 2 ) Règlement du Conseil du 27 novembre 2003, relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale abrogeant le règlement (CE) no 1347/2000 (JO 2003, L 338, p. 1, ci-après le « règlement Bruxelles II bis »).
( 3 ) Avis 1/13 (Adhésion d’États tiers à la convention de La Haye), du 14 octobre 2014 (EU:C:2014:2303, point 77), et considérant 17 du règlement Bruxelles II bis.
( 4 ) Avis 1/13 (Adhésion d’États tiers à la convention de La Haye), du 14 octobre 2014 (EU:C:2014:2303, point 78).
( 5 ) Voir, en ce sens, arrêt du 9 octobre 2014, C (C‑376/14 PPU, EU:C:2014:2268, point 51).
( 6 ) Cette disposition prévoit notamment que les juridictions de l’État membre où la compétence est exercée en vertu de l’article 3 du règlement Bruxelles II bis pour statuer sur une demande en divorce, en séparation de corps ou en annulation du mariage des époux sont compétentes pour toute question relative à la responsabilité parentale liée à cette demande lorsque au moins l’un des époux exerce la responsabilité parentale à l’égard de l’enfant et la compétence de ces juridictions a été acceptée
expressément ou de toute autre manière non équivoque par les époux et par les titulaires de la responsabilité parentale, à la date à laquelle la juridiction est saisie, et qu’elle est dans l’intérêt supérieur de l’enfant.
( 7 ) Considérant 12 du règlement Bruxelles II bis.
( 8 ) Voir, ci-après, points 55 et suiv.
( 9 ) Voir le rapport explicatif de Elisa Pérez-Vera, Madrid, avril 1981, point 66, consultable à l’adresse http://www.hcch.net/upload/expl28.pdf. Voir aussi le Guide pratique pour l’application du nouveau règlement Bruxelles II, p. 12, consultable à l’adresse http://ec.europa.eu/civiljustice/parental_resp/parental_resp_ec_vdm_fr.pdf
( 10 ) Arrêts du 2 avril 2009, A (C‑523/07, EU:C:2009:225, points 35, 37 et 39) ; du 22 décembre 2010, Mercredi (C‑497/10 PPU, EU:C:2010:829, points 46 et 47) ; du 9 octobre 2014, C (C‑376/14 PPU, EU:C:2014:2268, points 51 et 52), et du 15 février 2017, W et V (C‑499/15, EU:C:2017:118, point 60).
( 11 ) Arrêts du 2 avril 2009, A (C‑523/07, EU:C:2009:225, point 38) ; du 22 décembre 2010, Mercredi (C‑497/10 PPU, EU:C:2010:829, point 49), et du 15 février 2017, W et V (C‑499/15, EU:C:2017:118, point 61).
( 12 ) Arrêt du 15 février 2017, W et V (C‑499/15, EU:C:2017:118, points 61 et 62).
( 13 ) Arrêt du 2 avril 2009, A (C‑523/07, EU:C:2009:225, point 38).
( 14 ) Arrêts du 2 avril 2009, A (C‑523/07, EU:C:2009:225, point 40) et du 22 décembre 2010, Mercredi (C‑497/10 PPU, EU:C:2010:829, point 50).
( 15 ) Arrêt du 22 décembre 2010, Mercredi (C‑497/10 PPU, EU:C:2010:829, points 53 et 54).
( 16 ) Sur la présence physique en tant que condition sine qua non de la résidence habituelle, voir aussi les arrêts de la Supreme Court of the United Kingdom (Cour suprême du Royaume-Uni), du 9 septembre 2013, dans l’affaire A(Children) ([2013] UKSC 60) et de la High Court of Justice (England and Wales) [Haute Cour de justice (Angleterre et pays de Galles), Royaume-Uni)], du 25 août 2006, dans l’affaire F (Abduction : Unborn Child) [2006] EWHC 2199 (Fam), ainsi que de la Corte di Cassazione (Cour
de cassation, Italie) arrêt du 17 janvier – 13 février 2012, no 1984 et du 18 mars 2016, no 5418.
( 17 ) Arrêt du 9 octobre 2014, C (C‑376/14 PPU, EU:C:2014:2268, point 54).
( 18 ) Arrêt du 22 décembre 2010, Mercredi (C‑497/10 PPU, EU:C:2010:829, point 54).
( 19 ) Arrêts du 2 avril 2009, A (C‑523/07, EU:C:2009:225, points 39 et 40), ainsi que du 22 décembre 2010, Mercredi (C‑497/10 PPU, EU:C:2010:829, points 50 et 51).
( 20 ) Quant à la volonté de PQ de retourner en Italie et à la question de savoir si elle continue ou non à résider d’une manière habituelle dans ce pays, il semblerait que, si une telle volonté a pu exister avant l’engagement de la procédure de divorce, elle a désormais cessé d’être.
( 21 ) Voir, notamment, arrêt du 22 décembre 2010, Mercredi (C‑497/10 PPU, EU:C:2010:829, points 45 et 46).
( 22 ) Voir prise de position de l’avocat général Szpunar dans l’affaire C (C‑376/14 PPU, EU:C:2014:2275, point 80).
( 23 ) Voir, notamment, arrêt rendu par la Cour de cassation (France) le 26 octobre 2011 (Cass. civ. 1re, no 10-19.905).
( 24 ) Voir, en ce qui concerne les différentes approches envisageables, P. Beaumont et J. Holliday, « Recent developments on the meaning of “habitual residence” in alleged child abduction cases », p. 3, accessible à l’adresse suivante : https ://www.abdn.ac.uk/law/documents/Recent_Developments_on_the_Meaning_of_Habitual_Residence_in_Alleged_Child_Abduction_Cases_.pdf
( 25 ) Voir le rapport explicatif de Elisa Pérez-Vera, Madrid, avril 1981, point 16, consultable à l’adresse http://www.hcch.net/upload/expl28.pdf.
( 26 ) C’est la juridiction géographiquement proche de la résidence habituelle de l’enfant qui est considérée par le législateur de l’Union comme la mieux placée pour apprécier les mesures à adopter dans l’intérêt de l’enfant (voir arrêt du 15 juillet 2010, Purrucker, C‑256/09, EU:C:2010:437, point 91).