ARRÊT DE LA COUR (dixième chambre)
21 septembre 2017 (*)
« Renvoi préjudiciel – Taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – Huitième directive 79/1072/CEE – Directive 2006/112/CE – Assujetti résidant dans un autre État membre – Remboursement de la TVA grevant des biens importés – Conditions – Éléments objectifs confirmant l’intention de la personne assujettie d’utiliser les biens importés dans le cadre de ses activités économiques – Risque sérieux de non-réalisation de l’opération ayant justifié l’importation »
Dans l’affaire C‑441/16,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par l’Înalta Curte de Casație şi Justiție (Haute Cour de cassation et de justice, Roumanie), par décision du 22 juin 2016, parvenue à la Cour le 8 août 2016, dans la procédure
SMS group GmbH
contre
Direcţia Generală Regională a Finanțelor Publice București,
LA COUR (dixième chambre),
composée de M^me M. Berger (rapporteur), président de chambre, MM. E. Levits et F. Biltgen, juges,
avocat général : M. M. Campos Sánchez-Bordona,
greffier : M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
considérant les observations présentées :
– pour SMS group GmbH, par M^e E. Băncilă, avocat,
– pour le gouvernement roumain, par M. R.-H. Radu ainsi que par M^mes C.-M. Florescu et R.-M. Mangu, en qualité d’agents,
– pour le gouvernement italien, par M^me G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de M^meG. Galluzzo, avvocato dello Stato,
– pour la Commission européenne, par M^mes L. Lozano Palacios et L. Radu Bouyon, en qualité d’agents,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 2 à 6 de la huitième directive 79/1072/CEE du Conseil, du 6 décembre 1979, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Modalités de remboursement de la taxe sur la valeur ajoutée aux assujettis non établis à l’intérieur du pays (JO 1979, L 331, p. 11, ci-après la « huitième directive ») et de l’article 17, paragraphe 2 et paragraphe 3, sous a), de la
sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée : assiette uniforme (JO 1977, L 145, p. 1, ci-après la « sixième directive »).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant SMS group GmbH à la Direcţia Generală Regională a Finanțelor Publice București (direction générale régionale des finances publiques de Bucarest, Roumanie) (ci-après l’« administration fiscale ») au sujet du remboursement de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) acquittée par SMS group en Roumanie au cours de l’année 2009.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
3 L’affaire au principal concerne une demande de remboursement de TVA, déposée le 23 décembre 2009, à la suite de l’importation de biens le 14 septembre 2009. Par conséquent, sont applicables en l’occurrence, ratione temporis, la huitième directive et la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO 2006, L 347, p. 1, ci-après la « directive TVA »).
La huitième directive
4 L’article 1^er de la huitième directive prévoit :
« Pour l’application de la présente directive, est considéré comme un assujetti qui n’est pas établi à l’intérieur du pays l’assujetti [...] qui, au cours de la période visée à l’article 7 paragraphe 1 premier alinéa première et deuxième phrases, n’a eu dans ce pays ni le siège de son activité économique, ni un établissement stable à partir duquel les opérations sont effectuées [...] et qui, au cours de la même période, n’a effectué aucune livraison de biens ou prestation de services réputée se
situer dans ce pays, à l’exception :
a) des prestations de transport […] ;
b) des prestations de services dans le cas où la taxe est due uniquement par le preneur […]. »
5 L’article 2 de cette directive dispose :
« Chaque État membre rembourse à tout assujetti qui n’est pas établi à l’intérieur du pays mais qui est établi dans un autre État membre, dans les conditions fixées ci-après, la [TVA] ayant grevé des services qui lui sont rendus ou des biens meubles qui lui sont livrés à l’intérieur du pays par d’autres assujettis, ou ayant grevé l’importation de biens dans le pays, dans la mesure où ces biens et ces services sont utilisés pour les besoins des opérations visées à l’article 17 paragraphe 3 sous a) et
b) de la [sixième] directive [...] »
6 Aux termes de l’article 3 de ladite directive :
« Pour bénéficier du remboursement, tout assujetti visé à l’article 2 qui n’a effectué aucune livraison de biens ou aucune prestation de services réputée se situer à l’intérieur du pays, doit :
a) déposer, auprès du service compétent [...], une demande [...]
b) justifier, au moyen d’une attestation délivrée par l’administration de l’État dans lequel il est établi, qu’il est assujetti à la [TVA] dans cet État. [...]
c) certifier par une déclaration écrite qu’il n’a effectué aucune livraison de biens ou aucune prestation de services réputée se situer à l’intérieur du pays au cours de la période visée à l’article 7 paragraphe 1 premier alinéa première et deuxième phrases ;
d) s’engager à reverser toute somme indûment perçue. »
7 L’article 4 de la même directive dispose :
« Pour bénéficier du remboursement, tout assujetti visé à l’article 2 qui n’a effectué à l’intérieur du pays aucune livraison de biens ou aucune prestation de services réputée se situer dans le pays, autre que des prestations visées à l’article 1^er sous a) et b) doit :
a) remplir les obligations visées à l’article 3 sous a), b) et d) ;
b) certifier par une déclaration écrite qu’il n’a effectué, au cours de la période visée à l’article 7 paragraphe 1 premier alinéa première et deuxième phrases, aucune livraison de biens ou aucune prestation de services réputée se situer dans le pays, autre que des prestations visées à l’article 1^er sous a) et b).»
8 L’article 5, premier alinéa, de la huitième directive est libellé comme suit :
« Aux fins de la présente directive, le droit au remboursement de la taxe est déterminé conformément à l’article 17 de la [sixième directive] tel qu’il est appliqué dans l’État membre du remboursement. »
9 L’article 6 de cette directive est rédigé en ces termes :
« Les États membres ne peuvent imposer aux assujettis visés à l’article 2, outre les obligations visées aux articles 3 et 4, aucune obligation autre que celle de fournir, dans des cas particuliers, les renseignements nécessaires pour apprécier le bien-fondé de la demande de remboursement. »
10 L’article 7, paragraphe 1, de ladite directive prévoit :
« La demande de remboursement prévue aux articles 3 et 4 doit concerner des achats de biens ou de services facturés ou des importations effectuées au cours d’une période qui n’est ni inférieure à trois mois ni supérieure à une année civile. [...] »
La directive TVA
11 La directive TVA a abrogé et remplacé à compter du 1^er janvier 2007 la sixième directive. Selon les considérants 1 et 3 de la directive TVA, la refonte de la sixième directive était nécessaire afin de présenter toutes les dispositions applicables de façon claire et rationnelle dans une structure et une rédaction remaniées sans apporter, en principe, de changement de fond.
12 L’article 9, paragraphe 1, de la directive TVA dispose :
« Est considéré comme “assujetti” quiconque exerce, d’une façon indépendante et quel qu’en soit le lieu, une activité économique, quels que soient les buts ou les résultats de cette activité.
Est considérée comme “activité économique” toute activité de producteur, de commerçant ou de prestataire de services, y compris les activités extractives, agricoles et celles des professions libérales ou assimilées. [...] »
13 Aux termes de l’article 70 de cette directive :
« Le fait générateur intervient et la taxe devient exigible au moment où l’importation de biens est effectuée. »
14 L’article 146, paragraphe 1, de ladite directive prévoit :
« Les États membres exonèrent les opérations suivantes :
a) les livraisons de biens expédiés ou transportés par le vendeur, ou pour son compte, en dehors de la Communauté ;
[...] »
15 L’article 167 de la même directive, dont la rédaction est identique à celle de l’article 17, paragraphe 1, de la sixième directive, dispose :
« Le droit à déduction prend naissance au moment où la taxe déductible devient exigible. »
16 L’article 168 de la directive TVA, dont le contenu est, en substance, identique à celui de l’article 17, paragraphe 2, de la sixième directive, prévoit :
« Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de ses opérations taxées, l’assujetti a le droit, dans l’État membre dans lequel il effectue ces opérations, de déduire du montant de la taxe dont il est redevable les montants suivants :
a) la TVA due ou acquittée dans cet État membre pour les biens qui lui sont ou lui seront livrés et pour les services qui lui sont ou lui seront fournis par un autre assujetti ;
[...]
e) la TVA due ou acquittée pour les biens importés dans cet État membre. »
17 Le contenu de l’article 169 de la directive TVA est, en substance, identique à celui de l’article 17, paragraphe 3, de la sixième directive. Ce premier article dispose :
« Outre la déduction visée à l’article 168, l’assujetti a le droit de déduire la TVA y visée dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins des opérations suivantes :
a) ses opérations relevant des activités visées à l’article 9, paragraphe 1, deuxième alinéa, effectuées en dehors de l’État membre dans lequel cette taxe est due ou acquittée, qui ouvriraient droit à déduction si ces opérations étaient effectuées dans cet État membre ;
b) ses opérations exonérées conformément [à l’article] 146 [...] ;
[...] »
18 L’article 170 de la directive TVA est rédigé dans les termes suivants :
« Tout assujetti qui, au sens de l’article 1^er de la [huitième directive] [...], n’est pas établi dans l’État membre dans lequel il effectue les achats de biens et services ou des importations de biens grevés de TVA a le droit d’obtenir le remboursement de cette taxe dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les opérations suivantes :
a) les opérations visées à l’article 169 ;
[...] »
19 L’article 171, paragraphe 1, de la directive TVA dispose :
« Le remboursement de la TVA en faveur des assujettis qui ne sont pas établis dans l’État membre dans lequel ils effectuent les achats de biens et services ou des importations de biens grevés de taxe mais qui sont établis dans un autre État membre est effectué selon les modalités d'application prévues par la [huitième directive].
[...] »
Le droit roumain
20 L’article 147ter de la Legea nr. 571/2003 privind Codul fiscal (loi n° 571/2003 relative au code fiscal), intitulé « Remboursement de la taxe aux assujettis non enregistrés aux fins de la TVA en Roumanie », prévoit :
« 1) Dans les conditions prévues par la loi :
a) l’assujetti non enregistré et qui n’est pas tenu de s’enregistrer aux fins de la TVA en Roumanie, établi dans un autre État membre, peut demander le remboursement de la taxe acquittée ; [...]
[...] »
21 Le point 49 de l’Hotărârea Guvernului nr. 44/2004 pentru aprobarea Normelor metodologice de aplicare a Codului fiscal (décision du gouvernement n° 44/2004, portant approbation des normes méthodologiques d’application du code fiscal) dispose :
« [...]
3) L’assujetti [...] est un assujetti qui [...] n’est pas enregistré et qui n’est pas tenu de s’enregistrer aux fins de la taxe en Roumanie [...], n’est pas établi et n’a pas de siège fixe en Roumanie à partir duquel les activités économiques sont réalisées et qui, au cours de cette période, n’a pas effectué de livraison de biens ou de prestations de services en Roumanie [...]
4) Le remboursement de la taxe [...] est accordé à l’assujetti visé au paragraphe 3 dans la mesure où les biens et les services [...] importés en Roumanie, pour lesquels la taxe a été acquittée, sont utilisés par l’assujetti pour :
a) les opérations concernant son activité économique pour lesquelles l’assujetti aurait été en droit de déduire la taxe si ces opérations avaient été effectuées en Roumanie [...] ;
[...]
5) Pour remplir les conditions du remboursement, tout assujetti visé au paragraphe 3 est tenu de se conformer aux obligations suivantes :
[...]
c) confirmer par déclaration écrite qu’au cours de la période visée dans sa demande de remboursement, il n’a pas effectué de livraison de biens ou de prestation de services ayant eu lieu ou ayant été considérée comme ayant eu lieu en Roumanie [...] ;
[...]
6) Les services fiscaux compétents ne peuvent imposer à l’assujetti qui demande le remboursement [...] d’autres obligations que celles visées au paragraphe 5. Exceptionnellement, les services fiscaux compétents peuvent demander à l’assujetti de fournir les renseignements nécessaires pour apprécier le bien-fondé de la demande de remboursement.
[...] »
Le litige au principal et les questions préjudicielles
22 SMS group est une société établie en Allemagne qui commercialise et monte des installations destinées au façonnage de l’acier. Le 7 février 2008, SMS Meer, entité qui a entre-temps été absorbée par SMS group, a conclu, en qualité de vendeur, un contrat dit « n° 27 » avec Zimekon Handels GmbH Autriche (ci-après l’« acheteur »), portant sur la réalisation et la livraison d’un système de soudage de conduites pour la production de tubes et de profils tubulaires en acier par soudage électrique
longitudinal (ci-après le « RSA »). Le destinataire du RSA était la société OOO Zimekon Ukraine.
23 En vertu du plan de paiement prévu par le contrat n° 27, l’acheteur devait verser, pour la première tranche des travaux de mise en production du RSA, une avance de 2 millions d’euros au mois de mars 2008, ensuite un montant de 800 000 euros pour le 15 avril 2008, 1 million d’euros supplémentaires pour la date du 15 mai 2008 et, enfin, un montant de 1 million d’euros pour le 15 juin 2008. La livraison au destinataire devait intervenir entre le 1^er juin 2009 et le 30 septembre 2009, à
condition que les versements prévus par ce contrat aient été effectués dans les délais impartis.
24 Le 26 juin 2008, alors que l’acheteur n’avait payé que l’avance de 2 millions d’euros, SMS Meer a conclu avec Asmas AES, établie en Turquie, un protocole de sous-traitance, ayant pour objet la livraison d’équipement dont SMS Meer avait besoin pour produire le RSA (ci-après les « biens en cause »). Le 5 novembre 2008, à la demande de l’acheteur, l’exécution du contrat n° 27 a toutefois été suspendue jusqu’au 1^er septembre 2009, l’acheteur s’étant trouvé en difficulté financière. SMS Meer a
demandé à l’acheteur d’effectuer les paiements restants, tout en précisant que les travaux ne reprendraient qu’après paiement des montants dus.
25 Le 14 septembre 2009, SMS Meer a importé de Turquie vers la Roumanie les biens en cause et acquitté la TVA y relative pour un montant de 1 487 739 lei roumains (RON) (environ 327 500 euros). Après l’importation, ces biens ont été déposés dans un entrepôt situé en Roumanie.
26 L’acheteur n’ayant pas honoré les paiements restants, l’exécution du contrat n° 27 n’a pas été reprise. Selon SMS group, les biens en cause n’ont pas pu être utilisés pour d’autres projets et elle a l’intention de les mettre au rebut en tant que ferraille.
27 Le 23 décembre 2009, SMS Meer a demandé à l’administration fiscale le remboursement de la TVA acquittée à l’État roumain à l’occasion de l’importation des biens en cause. En réponse à une demande d’informations complémentaires de l’administration fiscale, SMS Meer a fait valoir que, en cas de non-exécution du contrat n° 27, elle avait l’intention d’exporter ces biens. Elle n’a cependant pas fourni d’informations concrètes quant à la destination ou à la date à laquelle interviendrait cette
exportation.
28 L’administration fiscale a toutefois refusé de rembourser la TVA, considérant que SMS Meer n’avait pas présenté de pièces justificatives établissant le cheminement ultérieur des biens en cause et leur bénéficiaire final. Après que le service de traitement des réclamations de l’administration fiscale a rejeté le recours administratif introduit par SMS Meer contre cette décision de refus, la Curtea de Apel Bucureşti (cour d’appel de Bucarest, Roumanie), par un premier arrêt du 30 mai 2012, a
écarté la demande de SMS Meer visant à faire annuler ces deux décisions de l’administration fiscale.
29 Ce premier arrêt a toutefois été cassé par l’Înalta Curte de Casaţie şi Justiţie (Haute Cour de cassation et de justice, Roumanie), qui a renvoyé l’affaire devant la Curtea de Apel Bucureşti (cour d’appel de Bucarest). Par arrêt du 9 juillet 2014, cette dernière a de nouveau rejeté la demande de SMS Meer comme étant non fondée, l’administration fiscale ayant, selon ladite juridiction, exigé à juste titre que SMS Meer justifie le cheminement ultérieur des biens en cause. En effet, SMS Meer
serait tenue, en vertu de l’article 147ter, paragraphe 1, sous a), de la loi n° 571/2003, d’apporter la preuve de la destination des biens importés en Roumanie, la destination effective de ceux-ci étant pertinente pour le régime fiscal applicable.
30 SMS Meer s’est pourvue en cassation contre l’arrêt du 9 juillet 2014, soutenant que la conclusion du contrat n° 27 avec l’acheteur et son exécution partielle était une opération imposable. De surcroît, le contrat n° 27 aurait également été exécuté moyennant le versement d’une avance de 2 millions d’euros sur le montant total du prix convenu, la conclusion d’un contrat de sous-traitance et l’achat auprès d’un fournisseur en Turquie d’une partie des composants nécessaires à la fabrication du
RSA. SMS Meer aurait donc établi un lien direct entre l’importation des biens en cause et ses opérations taxables. Le remboursement de la TVA ne saurait dépendre, selon SMS Meer, de la preuve du cheminement de ces biens après l’importation, alors que le contrat n° 27 n’a, en définitive, pas été mené à terme. Au moment de l’importation, les parties auraient encore souhaité que la transaction soit réalisée.
31 Selon la juridiction de renvoi, à la date de l’importation, SMS Meer courait un risque sérieux que le contrat n° 27 soit rompu, dans la mesure où l’acheteur n’avait plus honoré les tranches de paiement dues conformément à ce contrat. Dans ces conditions, se poserait la question de savoir si le fait de réaliser l’importation à une date à laquelle l’exécution dudit contrat était suspendue implique que l’importation des biens en cause n’avait plus de lien avec son exécution.
32 C’est dans ces conditions que l’Înalta Curte de Casație şi Justiție (Haute Cour de cassation et de justice) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) Les articles 2 à 5 de la huitième directive, lus en combinaison avec l’article 17, paragraphes 2 et 3, sous a), de la sixième directive doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une pratique des autorités fiscales nationales qui considèrent qu’il n’existe pas d’éléments objectifs confirmant l’intention déclarée dudit assujetti d’utiliser des biens importés dans le cadre de ses activités économiques, dès lors que, au moment de l’importation, le contrat en vertu duquel
l’assujetti a acheté et importé les biens était suspendu, ce qui impliquait un risque sérieux que la livraison/l’opération subséquente pour laquelle lesdits biens avaient été importés ne se réalise plus ?
2) Le fait de devoir prouver le cheminement ultérieur des biens importés, à savoir établir si et de quelle manière les biens importés ont été effectivement utilisés pour les opérations taxables de l’assujetti, est-il une condition supplémentaire exigée aux fins du remboursement de la TVA autre que celles prévues aux articles 3 et 4 de la huitième directive et interdite en vertu des dispositions de l’article 6 de cette même directive, ou bien s’agit-il d’un renseignement nécessaire relatif à la
condition de fond pour ledit remboursement, concernant l’utilisation des biens importés dans le cadre des transactions taxables, que les autorités fiscales peuvent exiger en vertu de l’article 6 de la huitième directive ?
3) En vue de l’interprétation des articles 2 à 5 de la huitième directive, lus conjointement avec l’article 17, paragraphes 2 et 3, sous a), de la sixième directive, le droit au remboursement de la TVA peut-il être refusé si l’opération subséquente en cause, dans le cadre de laquelle les biens importés devaient être utilisés, ne s’est finalement pas réalisée ? Dans de telles circonstances, la destination effective des biens, en l’occurrence savoir si lesdits biens ont été utilisés, de quelle
manière et sur quel territoire, dans l’État membre où la TVA a été payée ou bien ailleurs, devient-elle pertinente ? »
Sur les questions préjudicielles
33 Par ses trois questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la huitième directive, lue en combinaison avec l’article 170 de la directive TVA, doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à ce qu’un État membre refuse à un assujetti qui n’est pas établi sur son territoire le droit au remboursement de la TVA acquittée au titre de l’importation de biens dans une situation, telle que celle en cause au principal, où, au moment de
l’importation, l’exécution du contrat dans le cadre duquel l’assujetti a acheté et importé ces biens était suspendue, l’opération pour laquelle ceux-ci devaient être utilisés ne s’est finalement pas réalisée et l’assujetti n’a pas apporté la preuve de leur cheminement ultérieur.
34 En vue de répondre à cette question, il convient de rappeler, tout d’abord, que la huitième directive a pour objet d’établir les modalités de remboursement de la TVA payée dans un État membre par des assujettis établis dans un autre État membre et d’harmoniser ainsi le droit au remboursement tel qu’il résulte de l’article 170 de la directive TVA (arrêt du 28 juin 2007, Planzer Luxembourg, C‑73/06, EU:C:2007:397, point 34 et jurisprudence citée).
35 Dans ce cadre, il découle de l’article 2 de la huitième directive que chaque État membre rembourse à tout assujetti qui est établi non pas sur son territoire, mais dans un autre État membre, dans les conditions fixées par cette directive, la TVA ayant grevé, notamment, l’importation de biens dans ce premier État membre, dans la mesure où ces biens sont utilisés pour les besoins des opérations visées à l’article 170 de la directive TVA.
36 À cet égard, les articles 3 et 4 de la huitième directive précisent les formalités à accomplir pour obtenir un tel remboursement.
37 Or, comme la Commission européenne l’a exposé à juste titre dans ses observations écrites, la huitième directive n’a pour objectif de déterminer ni les conditions d’exercice ni l’étendue du droit au remboursement. En effet, il ressort de l’article 5 de cette directive que le droit au remboursement de la TVA est déterminé conformément aux dispositions pertinentes de la directive TVA.
38 Dans ce contexte, il y a lieu de relever que le droit, pour un assujetti établi dans un État membre, d’obtenir le remboursement de la TVA acquittée dans un autre État membre, tel que régi par la huitième directive, est le pendant du droit, instauré en sa faveur par la directive TVA, de déduire la TVA payée en amont dans son propre État membre (arrêt du 25 octobre 2012, Daimler et Widex, C‑318/11 et C‑319/11, EU:C:2012:666, point 41 ainsi que jurisprudence citée).
39 Selon une jurisprudence constante de la Cour, ledit droit à déduction fait partie intégrante du mécanisme de la TVA et ne peut en principe être limité. Il s’exerce immédiatement pour la totalité des taxes ayant grevé les opérations effectuées en amont (arrêt du 22 juin 2016, Gemeente Woerden, C‑267/15, EU:C:2016:466, point 31 et jurisprudence citée).
40 En effet, le régime des déductions, et, partant, des remboursements, vise à soulager entièrement l’entrepreneur du poids de la TVA due ou acquittée dans le cadre de toutes ses activités économiques. Le système commun de la TVA garantit, par conséquent, la parfaite neutralité quant à la charge fiscale de toutes les activités économiques, quels que soient les buts ou les résultats de ces activités, à condition que lesdites activités soient elles-mêmes soumises à la TVA (arrêt du 22 mars 2012,
Klub, C‑153/11, EU:C:2012:163, point 35 et jurisprudence citée).
41 En ce qui concerne plus particulièrement les conditions du droit au remboursement, il ressort de l’article 170 de la directive TVA, lu en combinaison avec l’article 169 de cette directive, que tout assujetti qui, au sens de l’article 1^er de la huitième directive, n’est pas établi dans l’État membre dans lequel il effectue des importations de biens grevés de TVA a le droit d’obtenir le remboursement de cette taxe, dans la mesure où ces biens sont utilisés soit pour ses opérations relevant
des activités visées à l’article 9, paragraphe 1, deuxième alinéa, de la directive TVA, effectuées en dehors de l’État membre dans lequel cette taxe est due ou acquittée et qui ouvriraient droit à déduction si elles étaient réalisées dans cet État membre, soit pour certaines opérations exonérées.
42 Ce droit au remboursement prend naissance, conformément aux articles 70 et 167 de la directive TVA, au moment où la taxe devient exigible, soit lors de l’importation des biens (voir, par analogie, arrêt du 22 mars 2012, Klub, C‑153/11, EU:C:2012:163, point 36 et jurisprudence citée).
43 S’agissant, en premier lieu, de la question de savoir si SMS Meer peut être considérée comme assujettie, au sens de l’article 1^er de la huitième directive, il y a lieu de rappeler que cette disposition prévoit, en substance, deux conditions cumulatives. D’une part, l’assujetti en question ne doit disposer, au cours de la période visée à l’article 7, paragraphe 1, de cette directive, d’aucun établissement dans l’État membre dans lequel il sollicite ce remboursement. D’autre part, il ne doit
pas avoir effectué, au cours de la même période, des livraisons de biens ou des prestations de services réputées avoir lieu dans cet État membre, à l’exception de certaines prestations de services spécifiées (voir, en ce sens, arrêt du 6 février 2014, E.ON Global Commodities, C‑323/12, EU:C:2014:53, point 42).
44 En l’occurrence, il n’est pas contesté que SMS Meer remplit lesdites conditions. En particulier, il est constant que, au moment de l’importation en cause au principal, cette société était assujettie à la TVA en Allemagne, en tant que société exerçant dans cet État membre des activités économiques consistant à commercialiser et monter des installations destinées au façonnage de l’acier, et qu’elle n’était pas tenue de s’enregistrer aux fins de la TVA en Roumanie.
45 En ce qui concerne, en deuxième lieu, le point de savoir si SMS Meer a agi en tant qu’assujettie lors de l’importation des biens en cause en Roumanie, il convient de relever que la notion d’« assujetti » est définie, conformément à l’article 9, paragraphe 1, de la directive TVA, en relation avec celle d’« activité économique » (arrêt du 29 novembre 2012, Gran Via Moineşti, C‑257/11, EU:C:2012:759, point 24 et jurisprudence citée).
46 Un particulier qui importe des biens pour les besoins d’une activité économique, au sens de cette disposition, le fait en tant qu’assujetti, même si ces biens ne sont pas immédiatement utilisés pour cette activité économique (voir, en ce sens, arrêt du 29 novembre 2012, Gran Via Moineşti, C‑257/11, EU:C:2012:759, point 25 et jurisprudence citée). En effet, il résulte de la jurisprudence constante de la Cour que celui qui effectue des dépenses d’investissement dans l’intention, confirmée par
des éléments objectifs, d’exercer une activité économique, au sens de l’article 9, paragraphe 1, de la directive TVA, doit être considéré comme un assujetti (voir, en ce sens, arrêts du 14 février 1985, Rompelman, 268/83, EU:C:1985:74, point 24 ; du 29 février 1996, INZO, C‑110/94, EU:C:1996:67, point 17, et du 22 octobre 2015, Sveda, C‑126/14, EU:C:2015:712, point 20 et jurisprudence citée).
47 La question de savoir si un assujetti agit en tant que tel est une question de fait qui doit être appréciée compte tenu de l’ensemble des données de l’espèce, parmi lesquelles figurent la nature du bien visé et la période écoulée entre son acquisition et son utilisation aux fins des activités économiques de cet assujetti (arrêt du 22 mars 2012, Klub, C‑153/11, EU:C:2012:163, point 41 et jurisprudence citée).
48 Dans ce contexte, il convient de rappeler que, dans le cadre d’un renvoi préjudiciel, c’est le juge national qui est seul compétent pour apprécier les faits en cause au principal et pour interpréter la législation nationale. Toutefois, la Cour, appelée à fournir au juge national des réponses utiles, est compétente pour donner des indications tirées du dossier de l’affaire au principal ainsi que des observations qui lui ont été soumises, susceptibles de permettre à la juridiction de renvoi de
statuer (arrêt du 11 mai 2017, Posnania Investment, C‑36/16, EU:C:2017:361, point 37 et jurisprudence citée).
49 En l’occurrence, il est établi que SMS Meer, après avoir reçu un acompte de 2 millions d’euros, a procédé, le 26 juin 2008, à la conclusion d’un protocole de sous-traitance, ayant pour objet les biens en cause, lesquels ont été achetés en tant qu’équipement nécessaire à la réalisation du RSA, et, partant, en vue de l’exécution du contrat n° 27. Il apparaît ressortir de ces constatations que cette société a importé les biens en cause dans l’intention, confirmée par des éléments objectifs,
d’exercer une activité économique.
50 À cet égard, la seule circonstance que le contrat n° 27 était suspendu à la date à laquelle les biens en cause ont été importés est dénuée de pertinence, en raison, notamment, de ce qu’il doit être présumé que SMS Meer aurait violé ses obligations contractuelles vis-à-vis de son sous-traitant si elle avait refusé la livraison des biens au seul motif de la suspension du contrat n° 27. Ce ne fût, par ailleurs, seulement après que ces biens eurent été importés que l’exécution du contrat n’a
définitivement pas été reprise, et ce pour des raisons indépendantes de la volonté de SMS Meer, à savoir les difficultés de paiement auxquelles l’acquéreur a été confronté.
51 SMS Meer a donc agi, lors de l’importation des biens en cause, en tant qu’assujettie, au sens de l’article 9, paragraphe 1, de la directive TVA.
52 S’agissant, en troisième lieu, de l’utilisation des biens en cause pour des opérations visées à l’article 170 de la directive TVA, il est constant que le destinataire du RSA, pour la réalisation duquel SMS Meer a acquis ces biens, se trouvait en Ukraine. Partant, l’importation desdits biens avait lieu en vue d’effectuer, en définitive, une exportation, au sens de l’article 146 de la directive TVA, opération à laquelle l’article 170 de cette directive renvoie.
53 Dans ces circonstances, il doit être considéré que SMS Meer a acquis, lors de l’importation des biens en cause en Roumanie, le droit au remboursement de la TVA acquittée.
54 L’existence de ce droit n’est pas remise en cause par le fait que l’opération dans le cadre de laquelle les biens en cause devaient être utilisés ne se soit finalement pas réalisée et que SMS Meer n’ait pas pu apporter la preuve, exigée par l’administration fiscale, du cheminement ultérieur desdits biens.
55 En effet, il découle d’une jurisprudence bien établie de la Cour que, en l’absence de circonstances frauduleuses ou abusives, et sous réserve d’éventuelles régularisations conformément aux conditions prévues par la directive TVA, le droit au remboursement, une fois né, reste acquis (voir, par analogie, arrêt du 22 mars 2012, Klub, C‑153/11, EU:C:2012:163, point 46 et jurisprudence citée).
56 Plus particulièrement, lorsque l’assujetti n’a pas pu utiliser les biens ayant donné lieu au remboursement dans le cadre de l’opération envisagée en raison de circonstances étrangères à sa volonté, le droit au remboursement reste acquis puisque, dans un tel cas, il n’existe aucun risque de fraude ou d’abus pouvant justifier le refus du remboursement (voir, par analogie, arrêt du 22 mars 2012, Klub, C‑153/11, EU:C:2012:163, point 47 et jurisprudence citée). De telles considérations trouvent a
fortiori à s’appliquer à un assujetti, tel que SMS Meer, dès lors que, selon ses déclarations, celle-ci n’avait pas d’autre usage pour les biens en cause.
57 Il en résulte que, en l’occurrence, dans la mesure où les autorités fiscales nationales ne détiennent pas d’éléments objectifs prouvant que le droit au remboursement est né de manière abusive ou frauduleuse, ce qu’il incombe, en définitive, à la juridiction de renvoi de vérifier, les faits ultérieurs à l’importation sont dépourvus de pertinence. En particulier, exiger de SMS Meer qu’elle rapporte la preuve que les biens en cause ont finalement été exportés en dehors de la Roumanie revient,
en réalité, à ajouter une condition de fond à l’exercice du droit au remboursement, non prévue par le système de la TVA.
58 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre aux questions posées que la huitième directive, lue en combinaison avec l’article 170 de la directive TVA, doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à ce qu’un État membre refuse à un assujetti qui n’est pas établi sur son territoire le droit au remboursement de la TVA acquittée au titre de l’importation de biens dans une situation, telle que celle en cause au principal, où, au moment de l’importation,
l’exécution du contrat dans le cadre duquel l’assujetti a acheté et importé ces biens était suspendue, l’opération pour laquelle ceux-ci devaient être utilisés ne s’est finalement pas réalisée et l’assujetti n’a pas apporté la preuve de leur cheminement ultérieur.
Sur les dépens
59 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (dixième chambre) dit pour droit :
La huitième directive 79/1072/CEE du Conseil, du 6 décembre 1979, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Modalités de remboursement de la taxe sur la valeur ajoutée aux assujettis non établis à l’intérieur du pays, lue en combinaison avec l’article 170 de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à ce qu’un
État membre refuse à un assujetti qui n’est pas établi sur son territoire le droit au remboursement de la taxe sur la valeur ajoutée acquittée au titre de l’importation de biens dans une situation, telle que celle en cause au principal où, au moment de l’importation, l’exécution du contrat dans le cadre duquel l’assujetti a acheté et importé ces biens était suspendue, l’opération pour laquelle ceux-ci devaient être utilisés ne s’est finalement pas réalisée et l’assujetti n’a pas apporté la preuve de
leur cheminement ultérieur.
Signatures
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* Langue de procédure : le roumain.