ORDONNANCE DE LA COUR (dixième chambre)
12 octobre 2017 (*)
« Renvoi préjudiciel – Fiscalité – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – Directive 2006/112/CE – Article 401 – Notion de “taxe sur le chiffre d’affaires” – Location de biens immeubles utilisés pour l’activité commerciale – Assujettissement à un droit d’enregistrement et à la TVA »
Dans l’affaire C‑549/16,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la Commissione tributaria di Secondo Grado di Bolzano (commission fiscale d’appel de Bolzano, Italie), par décision du 14 octobre 2016, parvenue à la Cour le 31 octobre 2016, dans la procédure
Agenzia delle Entrate – Direzione provinciale Ufficio controlli di Bolzano
contre
Palais Kaiserkron Srl,
LA COUR (dixième chambre),
composée de M. E. Levits, président de chambre, M^me M. Berger (rapporteur) et M. F. Biltgen, juges,
avocat général : M. M. Campos Sánchez-Bordona,
greffier : M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
considérant les observations présentées :
– pour Palais Kaiserkron Srl, par M. H. Dietmar et M^me B. Scampuddu,
– pour le gouvernement italien, par M^me G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de M. G. De Bellis, avvocato dello Stato,
– pour la Commission européenne, par M. R. Lyal ainsi que par M^mes M. Owsiany-Hornung et F. Tomat, en qualité d’agents,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de statuer par voie d’ordonnance motivée, conformément à l’article 99 du règlement de procédure de la Cour,
rend la présente
Ordonnance
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 401 de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO 2006, L 347, p. 1, ci-après la « directive TVA »).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant l’Agenzia delle Entrate – Direzione provinciale Ufficio controlli di Bolzano (Administration fiscale – Direction provinciale, bureau des contrôles de Bolzano, Italie) (ci-après l’« administration fiscale ») à Palais Kaiserkron Srl au sujet du paiement de droits d’enregistrement.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
3 L’article 401 de la directive TVA dispose :
« Sans préjudice d’autres dispositions communautaires, les dispositions de la présente directive ne font pas obstacle au maintien ou à l’introduction par un État membre de taxes sur les contrats d’assurance et sur les jeux et paris, d’accises, de droits d’enregistrement, et, plus généralement, de tous impôts, droits et taxes n’ayant pas le caractère de taxes sur le chiffre d’affaires, à condition que la perception de ces impôts, droits et taxes ne donne pas lieu dans les échanges entre États membres
à des formalités liées au passage d’une frontière. »
Le droit italien
4 Il ressort de l’article 40, paragraphe 1 bis, du Testo unico delle disposizioni concernenti la imposta di registro (texte unique des dispositions relatives aux droits d’enregistrement), approuvé par le décret du président de la République n° 131, du 26 avril 1986 (supplément ordinaire à la GURI n° 99, du 30 avril 1986), dans sa version applicable à l’affaire au principal (ci-après le « texte unique »), lu en combinaison avec l’article 5, paragraphe 1, sous a bis), du tarif figurant à
l’annexe du texte unique, que les baux commerciaux sont soumis à un droit proportionnel d’enregistrement, au taux de 1 %, même s’ils sont soumis à la taxe sur la valeur ajoutée (TVA).
Le litige au principal et la question préjudicielle
5 Selon le dossier dont dispose la Cour, Palais Kaiserkron exerce ses activités dans le secteur de l’immobilier. Lors de l’enregistrement de plusieurs contrats de bail portant sur des locaux commerciaux, cette société a acquitté des droits d’enregistrement d’un montant correspondant à 1 % du loyer annuel, ainsi que le prévoient les dispositions pertinentes du texte unique. À ce titre, ladite société a versé un montant global de 19 747,97 euros.
6 Le 22 janvier 2013, Palais Kaiserkron a introduit, auprès de l’administration fiscale, une demande de remboursement du montant total des droits d’enregistrement versés, au motif que l’imposition de loyers déjà soumis à la TVA serait incompatible avec l’article 401 de la directive TVA.
7 Palais Kaiserkron a attaqué, devant la Commissione Tributaria di Primo Grado di Bolzano (commission fiscale de première instance de Bolzano, Italie), le refus tacite résultant de l’absence de réponse de l’administration fiscale à sa demande de remboursement au terme d’un délai de 90 jours. Par un jugement du 27 avril 2015, cette juridiction a accueilli ce recours, en considérant que le droit d’enregistrement concerné avait la nature d’une taxe sur le chiffre d’affaires, étant donné qu’il
présentait le même caractère proportionnel et avait la même base, à savoir le montant du loyer, que la TVA, dont il se différenciait uniquement par le fait que, à défaut d’un mécanisme de déduction, il ne présentait pas le caractère d’une taxe neutre. Or, cette différence permettrait, a fortiori, de qualifier ce droit d’enregistrement de « taxe sur le chiffre d’affaires », dès lors que l’assujetti, pour une même opération portant sur une même base imposable, serait soumis à une double imposition.
8 L’administration fiscale a formé, le 22 décembre 2015, un recours contre ce jugement devant la Commissione tributaria di Secondo Grado di Bolzano (commission fiscale d’appel de Bolzano, Italie). Elle soutient que le droit d’enregistrement concerné, en sa qualité de taxe portant sur un acte, frappe certains actes juridiques en tant qu’ils révèlent une capacité contributive n’ayant aucun rapport avec la notion de « chiffre d’affaires ». En revanche, la TVA, qui est un impôt indirect,
porterait non pas directement sur la capacité contributive d’un assujetti, mais sur la consommation.
9 Palais Kaiserkron fait valoir que la soumission des loyers tirés de la location d’un local commercial au droit d’enregistrement en cause au principal enfreint l’interdiction prévue à l’article 401 de la directive TVA, dès lors qu’il ne saurait être contesté que la mise en location de l’immeuble concerné a une incidence sur le chiffre d’affaires, pertinent aux fins de la TVA, et inhérent à l’activité exercée par la société assujettie. Par conséquent, l’application de ce droit
d’enregistrement à la même base imposable, à savoir les loyers, aurait pour conséquence une double imposition. La seule circonstance que ces prélèvements sont soumis à des modalités de recouvrement différentes et que ledit droit d’enregistrement, en particulier, ne met pas en œuvre, contrairement à la TVA, un mécanisme de déduction, ne saurait être suffisante pour réfuter cette argumentation. En effet, la Cour aurait jugé, dans son arrêt du 31 mars 1992, Dansk Denkavit et Poulsen Trading (C‑200/90,
EU:C:1992:152), que, pour qu’une taxe ait le caractère d’une « taxe sur le chiffre d’affaires », il n’est pas requis que ses caractéristiques soient en tous points analogues à celles de la TVA.
10 Selon la juridiction de renvoi, il serait manifeste que le droit d’enregistrement en cause, frappant les baux commerciaux, enfreint l’article 401 de la directive TVA, en ce que l’assujetti, pour la même opération et sur la même base imposable, est soumis à une double imposition, à savoir à la TVA et à ce droit d’enregistrement. Cependant, à la lumière des raisons exposées par l’administration fiscale, cette juridiction éprouve des doutes quant à la question de savoir si la réglementation de
l’Union fait effectivement obstacle à la perception d’un tel droit d’enregistrement.
11 Dans ces conditions, la Commissione tributaria di Secondo Grado di Bolzano (commission fiscale d’appel de Bolzano) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :
« [L]’article 401 de la directive TVA doit[-il] être interprété en ce sens que la TVA et le droit d’enregistrement pesant sur les baux commerciaux [...] peuvent être cumulés, ou [...] ce dernier impôt a[-t-il] le caractère d’une taxe sur le chiffre d’affaires ? »
Sur la question préjudicielle
12 En vertu de l’article 99 de son règlement de procédure, lorsqu’une réponse à une question posée à titre préjudiciel peut être clairement déduite de la jurisprudence, la Cour peut, à tout moment, sur proposition du juge rapporteur, l’avocat général entendu, décider de statuer par voie d’ordonnance motivée.
13 Il y a lieu de faire application de cette disposition dans le cadre de la présente affaire.
14 Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 401 de la directive TVA doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à la perception d’un droit proportionnel d’enregistrement frappant les baux commerciaux, tel que celui prévu par la réglementation nationale en cause au principal, lorsque ces baux sont également soumis à la TVA.
15 Afin de répondre à cette question, il y a lieu de rappeler, tout d’abord, que la directive TVA ne permet, à son article 401, le maintien ou l’introduction, par un État membre, d’impôts, de droits et de taxes frappant les livraisons de biens, les prestations de services ou les importations que s’ils n’ont pas le caractère de taxes sur le chiffre d’affaires (arrêt du 11 octobre 2007, KÖGÁZ e.a., C‑283/06 et C‑312/06, EU:C:2007:598, point 32 ainsi que jurisprudence citée).
16 Pour apprécier si un impôt, un droit ou une taxe présente le caractère d’une taxe sur le chiffre d’affaires, au sens de l’article 401 de la directive TVA, il y a lieu, notamment, de rechercher s’il a pour effet de compromettre le fonctionnement du système commun de la TVA en grevant la circulation des biens et des services, et en frappant les transactions commerciales d’une façon comparable à celle qui caractérise la TVA (arrêt du 11 octobre 2007, KÖGÁZ e.a., C‑283/06 et C‑312/06,
EU:C:2007:598, point 34 ainsi que jurisprudence citée).
17 La Cour a précisé, à cet égard, que doivent, en tout cas, être considérés comme grevant la circulation des biens et des services d’une façon comparable à la TVA les impôts, les droits et les taxes qui présentent les caractéristiques essentielles de la TVA, même s’ils ne sont pas en tous points identiques à celle-ci (arrêt du 11 octobre 2007, KÖGÁZ e.a., C‑283/06 et C‑312/06, EU:C:2007:598, point 35 ainsi que jurisprudence citée).
18 En revanche, l’article 401 de la directive TVA ne s’oppose pas au maintien ou à l’introduction d’une taxe qui ne présenterait pas l’une des caractéristiques essentielles de la TVA (arrêt du 11 octobre 2007, KÖGÁZ e.a., C‑283/06 et C‑312/06, EU:C:2007:598, point 36 ainsi que jurisprudence citée).
19 La Cour a précisé quelles sont les caractéristiques essentielles de la TVA. Nonobstant quelques différences de rédaction, il ressort de sa jurisprudence que lesdites caractéristiques sont au nombre de quatre : l’application générale de la TVA aux transactions ayant pour objet des biens ou des services ; la fixation de son montant proportionnellement au prix perçu par l’assujetti en contrepartie des biens et des services qu’il fournit ; la perception de cette taxe à chaque stade du processus
de production et de distribution, y compris à celui de la vente au détail, quel que soit le nombre de transactions intervenues précédemment, ainsi que la déduction de la TVA due par un assujetti des montants acquittés lors des étapes précédentes du processus de production et de distribution, de telle sorte que cette taxe ne s’applique, à un stade donné, qu’à la valeur ajoutée à ce stade et que la charge finale de ladite taxe repose en définitive sur le consommateur (arrêt du 11 octobre 2007, KÖGÁZ
e.a., C‑283/06 et C‑312/06, EU:C:2007:598, point 37 ainsi que jurisprudence citée).
20 S’agissant de la première caractéristique essentielle de la TVA, à savoir l’application généralisée de la taxe aux transactions ayant pour objet des biens ou des services, force est de constater que le droit d’enregistrement en cause au principal ne constitue pas un impôt général. En effet, en tant qu’il s’applique uniquement aux baux commerciaux, il ne concerne qu’une catégorie restreinte d’opérations et n’a pas, en conséquence, pour objet d’appréhender l’ensemble des opérations économiques
dans l’État membre concerné (voir, en ce sens, arrêts du 16 décembre 1992, Beaulande, C‑208/91, EU:C:1992:524, point 16 ; du 17 septembre 1997, Solisnor-Estaleiros Navais, C‑130/96, EU:C:1997:416, point 17 ; du 9 mars 2000, EKW et Wein & Co, C‑437/97, EU:C:2000:110, point 24, et du 19 septembre 2002, Tulliasiamies et Siilin, C‑101/00, EU:C:2002:505, point 101, ainsi que ordonnance du 27 novembre 2008, Vollkommer, C‑156/08, non publiée, EU:C:2008:663, points 32 et 33).
21 La condition relative à l’application généralisée aux transactions ayant pour objet des biens ou des services n’est donc pas satisfaite, ce qui suffit pour conclure que ce droit d’enregistrement ne présente pas les caractéristiques essentielles de la TVA et qu’il échappe, dès lors, à l’interdiction prévue à l’article 401 de la directive TVA (voir, en ce sens, arrêts du 17 septembre 1997, Solisnor-Estaleiros Navais, C‑130/96, EU:C:1997:416, points 18 et 19, ainsi que du 9 mars 2000, EKW et
Wein & Co, C‑437/97, EU:C:2000:110, points 24 et 25).
22 Par ailleurs, dans la mesure où Palais Kaiserkron tente, dans ses observations écrites, de différencier le droit d’enregistrement concerné de celui qui était en cause dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 16 décembre 1992, Beaulande (C‑208/91, EU:C:1992:524), en indiquant que ce dernier droit s’appliquait uniquement aux transactions impliquant un consommateur final, il suffit de relever que la qualité du cocontractant et, partant, le fait que l’imposition ait lieu ou non à un seul
stade d’une chaîne de transactions sont dénués de pertinence (voir, en ce sens, s’agissant d’un impôt similaire allemand frappant les mutations foncières, ordonnance du 27 novembre 2008, Vollkommer, C‑156/08, non publiée, EU:C:2008:663, point 34).
23 En tout état de cause, le droit d’enregistrement en cause au principal n’est pas perçu dans le cadre d’un processus de production et de distribution prévoyant que, à chaque stade de celui-ci, peuvent être déduits de l’impôt les montants acquittés lors des étapes précédentes de ce processus. En effet, il n’existe, en l’occurrence, aucune possibilité de déduction de la taxe acquittée en raison d’une éventuelle transaction antérieure (voir, en ce sens, arrêt du 16 décembre 1992, Beaulande,
C‑208/91, EU:C:1992:524, point 17, et ordonnance du 27 novembre 2008, Vollkommer, C‑156/08, non publiée, EU:C:2008:663, point 34).
24 En ce qui concerne, enfin, l’admissibilité du prélèvement, sur les baux commerciaux, du droit d’enregistrement en cause au principal et de la TVA, il y a lieu de relever que le droit de l’Union admet l’existence de régimes de taxation en concurrence avec la TVA (arrêt du 11 octobre 2007, KÖGÁZ e.a., C‑283/06 et C‑312/06, EU:C:2007:598, point 33 ainsi que jurisprudence citée). Plus particulièrement, il résulte de la jurisprudence de la Cour qu’un tel droit d’enregistrement peut être perçu
même lorsque, comme en l’occurrence, sa perception peut conduire à un cumul de celui-ci avec la TVA pour une seule et même opération (voir, en ce sens, arrêt du 8 juillet 1986, Kerrutt, 73/85, EU:C:1986:295, point 22, et ordonnance du 27 novembre 2008, Vollkommer, C‑156/08, non publiée, EU:C:2008:663, point 25).
25 Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre à la question posée que l’article 401 de la directive TVA doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à la perception d’un droit proportionnel d’enregistrement frappant les baux commerciaux, tel que celui prévu par la réglementation nationale en cause au principal, même lorsque ces baux sont également soumis à la TVA.
Sur les dépens
26 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Par ces motifs, la Cour (dixième chambre) dit pour droit :
L’article 401 de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à la perception d’un droit proportionnel d’enregistrement frappant les baux commerciaux, tel que celui prévu par la réglementation nationale en cause au principal, même lorsque ces baux sont également soumis à la taxe sur la valeur ajoutée.
Signatures
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* Langue de procédure : l’italien.