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28/02/2018 | CJUE | N°C-14/17

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, VAR Srl et Azienda Trasporti Milanesi SpA (ATM) contre Iveco Orecchia SpA., 28/02/2018, C-14/17


CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. CAMPOS SÁNCHEZ-BORDONA

présentées le 28 février 2018 ( 1 )

Affaire C‑14/17

VAR Srl

contre

Iveco Orecchia SpA

[demande de décision préjudicielle formée par le Consiglio di Stato (Conseil d’État, Italie)]

« Renvoi préjudiciel – Marchés publics de transports – Fourniture de pièces de rechange pour bus, trolleybus et tramway – Spécifications techniques – Produits équivalents à ceux d’une marque déterminée – Preuve de l’équivalence –

Loi nationale permettant de fournir la preuve de l’équivalence après l’attribution du marché »

1. Dans le cahier des cha...

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. CAMPOS SÁNCHEZ-BORDONA

présentées le 28 février 2018 ( 1 )

Affaire C‑14/17

VAR Srl

contre

Iveco Orecchia SpA

[demande de décision préjudicielle formée par le Consiglio di Stato (Conseil d’État, Italie)]

« Renvoi préjudiciel – Marchés publics de transports – Fourniture de pièces de rechange pour bus, trolleybus et tramway – Spécifications techniques – Produits équivalents à ceux d’une marque déterminée – Preuve de l’équivalence – Loi nationale permettant de fournir la preuve de l’équivalence après l’attribution du marché »

1. Dans le cahier des charges qu’elles publient, les entités adjudicatrices sont tenues de définir les caractéristiques des travaux, des services ou des fournitures qu’elles ont l’intention d’acquérir dans le cadre d’un marché public. Ces caractéristiques peuvent notamment comprendre les « spécifications techniques » des produits ou services concernés.

2. Si ces spécifications techniques comportent une description partiale, cela peut représenter au minimum une importante « barrière à l’entrée » pour certains soumissionnaires et, dans des cas extrêmes, prédéterminer le choix final quant à l’adjudicataire (y compris de manière frauduleuse), lorsque celui-ci est le seul à pouvoir fournir des produits ou des services remplissant les caractéristiques décrites.

3. Le souci d’éviter ces pratiques irrégulières et l’objectif de « permettre l’ouverture des marchés publics à la concurrence» ( 2 ) ont amené le législateur de l’Union à adopter des dispositions réglementaires en la matière. Celles-ci comprennent notamment l’article 34, paragraphe 8, de la directive 2004/17/CE ( 3 ), applicable à l’espèce, en vertu duquel il est possible, à titre exceptionnel, de « faire référence à une marque, à un brevet ou à un type, à une origine ou à une production
déterminée », sous réserve que cette référence soit accompagnée de la mention « ou équivalent ».

4. Dans le litige sur lequel la juridiction de renvoi italienne doit se prononcer, le cahier des charges recourait à cette disposition exceptionnelle en indiquant que le marché avait pour objet la « fourniture de pièces de rechange d’origine et/ou de première monte et/ou équivalentes pour autobus et trolleybus Iveco ».

5. Le litige ne porte pas sur la validité de cette spécification technique en soi (étant donné qu’elle respectait la possibilité de fournir des pièces équivalentes), mais sur le moment auquel le soumissionnaire est tenu de produire le certificat d’équivalence des pièces de rechange.

6. Selon le cahier des charges, la preuve pouvait être présentée au pouvoir adjudicateur après attribution du marché « à la première livraison d’une pièce de rechange équivalente ». La juridiction de renvoi estime cependant que cette clause pourrait ne pas être conforme à l’article 34 de la directive 2004/17. Tel serait le cas si, en vertu de cette disposition, la preuve de l’équivalence devait être obligatoirement jointe à l’offre ou, en toute hypothèse, si elle devait être apportée avant
l’attribution du marché.

I. Le cadre juridique

A.   Le droit de l’Union : la directive 2004/17

7. L’article 34 de la directive 2004/17 dispose :

« 1.   Les spécifications techniques telles que définies au point 1 de l’annexe XXI figurent dans les documents du marché, tels que les avis de marché, le cahier des charges ou les documents complémentaires. Chaque fois que possible, ces spécifications techniques devraient être établies de manière à prendre en considération les critères d’accessibilité pour les personnes handicapées ou la conception pour tous les utilisateurs.

2.   Les spécifications techniques doivent permettre l’accès égal des soumissionnaires et ne pas avoir pour effet de créer des obstacles injustifiés à l’ouverture des marchés publics à la concurrence.

3.   Sans préjudice des règles techniques nationales juridiquement contraignantes, dans la mesure où elles sont compatibles avec le droit communautaire, les spécifications techniques doivent être formulées :

a) soit par référence à des spécifications techniques définies à l’annexe XXI et, par ordre de préférence, aux normes nationales transposant des normes européennes, aux agréments techniques européens, aux spécifications techniques communes, aux normes internationales, aux autres référentiels techniques élaborés par les organismes européens de normalisation ou, lorsque ceux-ci n’existent pas, aux normes nationales, aux agréments techniques nationaux ou aux spécifications techniques nationales en
matière de conception, de calcul et de réalisation des ouvrages et de mise en œuvre des produits. Chaque référence est accompagnée de la mention “ou équivalent” ;

b) soit en termes de performances ou d’exigences fonctionnelles ; celles-ci peuvent inclure des caractéristiques environnementales. Ces paramètres doivent cependant être suffisamment précis pour permettre aux soumissionnaires de déterminer l’objet du marché et aux entités adjudicatrices d’attribuer le marché ;

c) soit en termes de performances ou d’exigences fonctionnelles visées au point b), en se référant aux spécifications citées au point a) comme un moyen de présomption de conformité à ces performances ou exigences fonctionnelles ;

d) soit par une référence aux spécifications du point a) pour certaines caractéristiques, et en se référant aux performances ou exigences fonctionnelles visées au point b) pour d’autres caractéristiques.

4.   Lorsque les entités adjudicatrices font usage de la possibilité de se référer aux spécifications visées au paragraphe 3, point a), elles ne peuvent pas rejeter une offre au motif que les produits et services offerts sont non conformes aux spécifications auxquelles elles ont fait référence, dès lors que le soumissionnaire prouve dans son offre à la satisfaction de l’entité adjudicatrice, par tout moyen approprié, que les solutions qu’il propose satisfont de manière équivalente aux exigences
définies par les spécifications techniques.

Peut constituer un moyen approprié, un dossier technique du fabricant ou un rapport d’essais d’un organisme reconnu.

[…]

8.   À moins qu’elles ne soient justifiées par l’objet du marché, les spécifications techniques ne peuvent pas faire mention d’une fabrication ou d’une provenance déterminée ou d’un procédé particulier, ni faire référence à une marque, à un brevet ou à un type, à une origine ou à une production déterminée qui auraient pour effet de favoriser ou d’éliminer certaines entreprises ou certains produits. Cette mention ou référence est autorisée, à titre exceptionnel, dans le cas où une description
suffisamment précise et intelligible de l’objet du marché n’est pas possible par application des paragraphes 3 et 4 ; une telle mention ou référence doit être accompagnée des termes “ou équivalent”. »

8. L’article 54 de cette directive, intitulé « Critères de sélection qualitative », prévoit :

« 1.   Les entités adjudicatrices qui fixent des critères de sélection dans une procédure ouverte doivent le faire selon des règles et des critères objectifs […]

[…] »

B.   Le droit italien

9. En vertu de l’article 68, paragraphe 13, du decreto legislativo n. 163 del 2006 (décret législatif no 163 de 2006) ( 4 ) :

« À moins qu’elles ne soient justifiées par l’objet du marché, les spécifications techniques ne peuvent pas faire mention d’une fabrication ou d’une provenance déterminée ou d’un procédé particulier, ni faire référence à une marque, à un brevet ou à un type, à une origine ou à une production déterminée qui auraient pour effet de favoriser ou d’éliminer certaines entreprises ou certains produits. Cette mention ou référence est autorisée, à titre exceptionnel, dans le cas où une description
suffisamment précise et intelligible de l’objet du marché n’est pas possible par application des paragraphes 3 et 4, et à condition qu’elle soit accompagnée des termes “ou équivalent” ».

II. Les antécédents du litige et la question préjudicielle

10. L’Azienda Trasporti Milanese (ci-après « ATM ») a lancé une procédure ouverte ( 5 ) pour l’attribution de la « fourniture de pièces de rechange d’origine et/ou de première monte et/ou équivalentes pour autobus et trolleybus Iveco ».

11. Le montant du marché s’élevait à 3350000 euros hors TVA, correspondant à la fourniture de 2195 pièces de rechange de marque IVECO/FIAT, ou équivalentes. Le critère d’attribution était celui du prix le plus bas, avec possibilité de remise en concurrence pour les soumissionnaires les mieux classés après les premières offres.

12. Le cahier des charges établissait ce qui suit :

– les « pièces de rechange d’origine » étaient soit les pièces « produites par le constructeur du véhicule » soit les pièces « produites par des fournisseurs du constructeur du véhicule […] dont le producteur certifie qu’elles ont été produites conformément aux spécifications et normes de production définies par le constructeur du véhicule » ;

– les « pièces de rechange équivalentes » étaient définies comme étant des pièces « fabriquées par toute entreprise qui certifie que la qualité des pièces de rechange correspond à celle des composants utilisés pour l’assemblage du véhicule et à celle des pièces de rechange fournies par le constructeur du véhicule» ( 6 ).

13. Le cahier des charges précisait qu’« à la première livraison d’une pièce de rechange équivalente, le fournisseur doit apporter le certificat d’équivalence à l’original, ce qui est une condition nécessaire pour accepter le produit» ( 7 ).

14. Seules VAR Srl, avec des pièces de rechange équivalentes et Iveco Orecchia SpA, avec des pièces de rechange d’origine ont participé à la procédure. Le marché a été attribué à VAR.

15. Iveco Orecchia a formé un recours contre cette décision devant le Tribunale amministrativo regionale della Lombardia, Milano (tribunal administratif régional de Lombardie, Milan, Italie) qui, par jugement no 679 du 11 avril 2016, a accueilli le recours.

16. Selon cette juridiction, en vertu de l’article 68 du décret législatif no 163 de 2006, il incombait au soumissionnaire de démontrer que les pièces proposées étaient équivalentes aux pièces d’origine dans le cadre de la procédure de marché. Dès lors, il y avait lieu d’exclure VAR, pour avoir manifesté son intention de fournir des pièces équivalentes aux pièces d’origine (comme le permettait la lex specialis) sans fournir ni avec l’offre ni au cours de la procédure d’appel d’offres les certificats
d’équivalence aux produits d’origine, ni aucune autre preuve.

17. Lors du recours contre ce jugement devant le Consiglio di Stato (Conseil d’État, Italie), celui-ci a souligné que le cahier des charges n’obligeait pas le soumissionnaire à démontrer l’équivalence avant l’attribution du marché, mais à la première livraison des pièces de rechange.

18. Selon cette même juridiction, étant donné que la disposition italienne transposant la directive 2004/17 est une copie littérale de son article 34, paragraphe 8, il est possible d’exclure à première vue tout conflit entre le droit national et celui de l’Union. Toutefois, elle se demande s’il serait utile d’interpréter systématiquement la directive 2004/17 afin que, conformément à celle-ci, la preuve de l’équivalence doive forcément être apportée au moment de la présentation de l’offre.

19. Dans ce contexte, le Consiglio di Stato (Conseil d’État) soumet à la Cour les deux questions préjudicielles suivantes :

« a) à titre principal : l’article 34, paragraphe 8, de la directive 2004/17/CE doit‑il être interprété en ce sens qu’il exige que la preuve de l’équivalence entre les produits à fournir et le produit d’origine soit apportée déjà dans le cadre de l’offre ?

b) à titre subsidiaire par rapport à la première question, en cas de réponse négative à la question d’interprétation énoncée sous a) ci-dessus : de quelle manière le respect des principes d’égalité de traitement et d’impartialité, de pleine concurrence et de bonne administration, ainsi que des droits de la défense et du contradictoire des autres soumissionnaires doit-il être assuré ? »

III. Résumé des arguments des parties

20. Selon VAR et ATM, il convient de répondre par la négative à la première question préjudicielle. Partant du postulat selon lequel, pour interpréter les dispositions du droit de l’Union, il y a lieu de tenir compte non seulement de leur libellé, mais également de leur contexte et des objectifs qu’elles poursuivent, VAR et ATM soutiennent que :

– l’article 34, paragraphe 8, de la directive 2004/17 ne contient aucune disposition imposant aux soumissionnaires de fournir une preuve de l’équivalence avec leur offre ;

– la qualité des produits faisant l’objet de l’offre est décrite à l’article 34, paragraphes 3 et 4, de la directive 2004/17. Par conséquent, le soumissionnaire qui entend présenter une offre relative aux produits visés au paragraphe 4, dont les caractéristiques techniques ne correspondent pas à celles qui sont précisées dans les spécifications techniques du cahier des charges, est tenu de prouver que les pièces différentes proposées sont fonctionnellement équivalentes, afin de répondre aux
besoins du pouvoir adjudicateur ;

– en revanche, l’article 34, paragraphe 8, de la directive 2004/17 ne comporte pas de description des caractéristiques, des fonctions et des performances du produit concerné ; seule la fourniture du produit défini dans les documents, mais d’une autre provenance que celle du produit conçu par le fabricant d’origine, est demandée, parce qu’il s’agit d’hypothèses dans lesquelles il n’est pas possible de fournir cette description sans indiquer une marque déterminée ;

– dans une telle situation, aux fins de protéger la libre concurrence, les soumissionnaires sont autorisés à proposer des produits équivalents, même s’ils sont d’une autre marque, sans devoir présenter la preuve de leur équivalence en vertu de l’article 34, paragraphes 3 et 4, de la directive 2004/17. Une interprétation en sens contraire entraînerait des injustices et on ne comprendrait pas pourquoi, lorsque le pouvoir adjudicateur renvoie à une marque en vue de simplifier la procédure, le
soumissionnaire devrait se trouver dans une situation plus défavorable que celle dans laquelle il se serait trouvé si les caractéristiques techniques étaient décrites de la manière usuelle ;

– exiger que la preuve de l’équivalence soit apportée conjointement à l’offre apparaît contraire à l’objectif d’ouvrir les marchés publics à la concurrence, car cela impliquerait de disposer, à l’avance, de preuves concernant un nombre élevé de produits (dans certains cas, des milliers), que l’administration pourrait au final ne pas acheter. Il s’agit donc d’une charge inutile et onéreuse, qui rendrait excessivement difficile la participation aux procédures de passation pour les fournisseurs de
« produits équivalents », à l’avantage des distributeurs de pièces de rechange d’origine et des constructeurs automobiles ;

– la communication de la Commission du 28 mai 2010 sur les lignes directrices supplémentaires sur les restrictions verticales dans les accords de vente et de réparation de véhicules automobiles et de distribution de pièces de rechange de véhicules automobiles ( 8 ), confirmerait, en ce qui concerne la politique de concurrence dans le secteur automobile, la nécessité de protéger l’accès des fabricants de pièces de rechange au secteur de la rechange automobile. Cela garantirait ainsi que des
pièces de rechange de marques concurrentes seraient accessibles de manière permanente aux ateliers de réparation automobile, qu’ils soient indépendants ou agréés, et aux distributeurs grossistes.

21. Au sujet de la deuxième question, VAR et ATM estiment que les modalités destinées à assurer le respect des principes auxquels fait référence la juridiction de renvoi découlent des documents de la procédure de passation du marché tels qu’ils ont été rédigés par le pouvoir adjudicateur.

22. Selon Iveco Orecchia, le gouvernement italien ainsi que la Commission, l’article 34, paragraphe 8, de la directive 2004/17 n’exige pas que la preuve de l’équivalence soit apportée avec l’offre, mais une interprétation systématique de cette disposition conduit néanmoins à cette conclusion.

23. Iveco Orecchia et le gouvernement italien considèrent que la preuve doit être présentée avec l’offre, alors que la Commission estime suffisant qu’elle le soit au cours de la procédure de passation, mais avant l’attribution du marché. Leurs arguments peuvent être résumés de la façon suivante :

– si l’article 34, paragraphes 4 et 5, de la directive 2004/17 désigne l’offre comme le moment où le soumissionnaire doit fournir la preuve de l’équivalence, le silence du paragraphe 8 du même article n’implique pas qu’il existe une dérogation à cette règle ;

– l’article 34, paragraphe 8, de la directive 2004/17 aurait pour objectif, d’une part, d’interdire la prévision, dans le cahier des charges, de spécifications techniques mentionnant toute fabrication ou provenance déterminée et, d’autre part, d’indiquer dans quels cas exceptionnels une telle indication est admise. Il s’agirait donc d’un contenu spécifique que le législateur de l’Union a attribué à cette disposition, de sorte qu’il n’est pas surprenant qu’il n’ait pas jugé nécessaire d’indiquer,
une fois de plus, le moment auquel la preuve de l’équivalence doit être apportée ;

– quel que soit l’objet du marché, la finalité de la preuve de l’équivalence est que le pouvoir adjudicateur vérifie dans quelle mesure le soumissionnaire peut satisfaire aux conditions du marché. Cette preuve doit être apportée au cours de la procédure d’appel d’offres, étant donné qu’à son terme, le pouvoir adjudicateur devra décider de l’attribution en fonction de la meilleure adéquation de l’offre aux termes de l’appel d’offres ;

– une interprétation différente entraînerait un conflit entre les paragraphes 4 et 5, d’une part, et le paragraphe 8, d’autre part, de l’article 34 de la directive 2004/17, en violation du principe de l’égalité de traitement. Si les soumissionnaires étaient libres de fournir la preuve de l’équivalence après l’attribution du marché, les offres ne seraient plus comparables et certains soumissionnaires pourraient déjà l’avoir apportée alors qu’il serait loisible à d’autres de la présenter plus
tard ;

– plus important encore, le pouvoir adjudicateur s’exposerait au risque de s’engager à acquérir des produits inadaptés à ses besoins, la seule issue s’offrant à lui étant d’annuler le marché, ce qui n’est pas, selon eux, l’intention du législateur de l’Union lors de l’élaboration de la directive 2004/17 ;

– d’autres dispositions de la directive 2004/17 confirmeraient cette interprétation, comme l’article 49, paragraphe 2, deuxième tiret, auquel il est prévu que « les entités adjudicatrices communiquent, dans les meilleurs délais […] à tout soumissionnaire écarté les motifs du rejet de son offre, y compris […] les motifs de leur décision de non équivalence ou de leur décision selon laquelle les travaux, fournitures, ou services ne répondent pas aux performances ou exigences fonctionnelles ». Cela
implique bien entendu que l’examen de l’équivalence du produit proposé au produit décrit au moyen des spécifications techniques du cahier des charges soit effectué avant l’attribution du marché ;

– l’article 51, paragraphe 3, de la directive 2004/17, irait dans le même sens. La preuve de l’équivalence est indispensable pour vérifier que l’offre correspond aux spécifications techniques, ce qui doit, en toute hypothèse, être fait avant l’attribution du marché.

IV. Procédure devant la Cour

24. L’ordonnance de renvoi préjudiciel a été déposée au greffe de la Cour le 11 janvier 2017.

25. VAR, Iveco Orecchia, ATM, le gouvernement italien et la Commission ont présenté des observations écrites. À l’exception du gouvernement italien, toutes ces parties ont assisté à l’audience qui s’est tenue le 6 décembre 2017.

V. Appréciation

A.   Observations liminaires

26. Comme je l’ai déjà précisé, la formulation des spécifications techniques dans les clauses qui régissent la procédure de passation des marchés publics peut exercer une influence considérable (le cas échéant, négative) sur la concurrence, en imposant des barrières injustifiées à la participation des opérateurs économiques.

27. La préoccupation du législateur de l’Union sur ce point est manifeste, c’est pourquoi il a inclus à l’article 34, paragraphe 2, de la directive 2004/17 la règle en vertu de laquelle « [l]es spécifications techniques […] ne [doivent] pas avoir pour effet de créer des obstacles injustifiés à l’ouverture des marchés publics à la concurrence» ( 9 ).

28. Étant donné que le marché litigieux porte sur la fourniture de pièces de rechange de véhicules motorisés, avant d’analyser la directive 2004/17, j’estime utile de rappeler que, dans ce secteur, le législateur de l’Union a combiné la protection de la concurrence avec un régime d’exemptions par catégorie qui se reflète dans le règlement (CE) no 1400/2002 ( 10 ). Dans le cadre de ce règlement, il visait précisément à préserver la concurrence ( 11 ) entre pièces de rechange d’origine et pièces de
rechange de qualité équivalente ( 12 ).

29. La Commission partage le même avis, ce qui l’a amenée, en 2010, à approuver des lignes directrices supplémentaires accompagnant le règlement no 461/2010. Au point 18 de celles-ci, il est souligné qu’elles visent à « protéger l’accès des fabricants de pièces de rechange aux marchés de l’après-vente automobile, garantissant ainsi que des pièces de rechange de marques concurrentes soient accessibles de manière permanente aux réparateurs, qu’ils soient indépendants ou agréés, et aux grossistes ».

30. Dans les mêmes lignes directrices, la Commission souligne que « [d]u côté des consommateurs, le fait que ces pièces de rechange soient disponibles représente un grand avantage, d’autant plus qu’il y a souvent de grands écarts de prix entre les pièces vendues ou revendues par un constructeur automobile et les pièces alternatives» ( 13 ). La restriction de la concurrence peut de même être particulièrement préjudiciable aux consommateurs, parce qu’elle peut avoir pour effet de « limiter le choix ou
de faire baisser la qualité ou le caractère novateur des produits» ( 14 ).

31. Il est vrai que, si la protection de la concurrence en matière d’accords verticaux porte principalement sur le pouvoir dont disposent les producteurs sur le marché et sur l’influence qu’ils exercent pour contrôler l’offre, le marché public a dès lors plutôt lieu dans le cadre de la demande. Toutefois, le même effet de limitation de l’offre peut être produit par le pouvoir adjudicateur qui demande des produits ou services, s’il établit des spécifications techniques qui réduisent de manière
injustifiée le cercle des soumissionnaires potentiels. Sur ce fondement, les avantages de la concurrence dans le domaine des marchés privés peuvent être transposés au domaine des marchés publics.

32. On peut déduire de ces interventions législatives que, dans le secteur des marchés privés de pièces de rechange de véhicules motorisés, le principe de l’ouverture à la concurrence doit promouvoir, la possibilité tendancielle de proposer les pièces d’origine et les pièces de qualité équivalente dans des conditions égales. Cette même tendance doit, à plus forte raison, être étendue aux marchés publics.

B.   Sur la première question préjudicielle

33. La prévision, dans les avis de marchés publics ou dans leurs cahiers des charges, de spécifications techniques qui renvoient à une marque déterminée avait déjà été examinée par la Cour, avant l’adoption des directives sur les marchés publics de 2004.

34. Lorsque la directive 77/62/CEE ( 15 ) était encore en vigueur, dans l’arrêt Commission/Pays-Bas ( 16 ), la Cour a analysé la clause d’un marché public qui désignait le système d’exploitation UNIX sans préciser « ou équivalent ». Elle a conclu que « le fait de ne pas ajouter la mention “ou équivalent” après le terme UNIX peut […] dissuader les opérateurs économiques utilisant des systèmes analogues à UNIX de soumissionner à l’appel d’offres ».

35. Cette orientation jurisprudentielle s’est maintenue sous la directive 93/37/CEE ( 17 ). Dans l’arrêt Commission/Autriche ( 18 ), la Cour a accueilli le moyen avancé par la Commission, en vertu duquel la façon dont cet État membre avait rédigé la spécification technique dans le cahier des charges d’un marché public « avait pour effet de favoriser les “produits Unix” », en violation de l’article 10, paragraphe 6, de la directive 93/37.

36. L’idée qui sous-tend ces arrêts est qu’employer une marque pour définir les spécifications techniques, lorsque cela est admis à titre exceptionnel, requiert d’élargir le cercle des destinataires au moyen de la locution « ou équivalent ». Ainsi est-il possible que des soumissionnaires autres que les fabricants des articles d’origine participent à la procédure d’appel d’offres, ce qui contribue à empêcher la création d’obstacles injustifiés à l’ouverture des marchés publics à la concurrence.

37. L’article 34, paragraphe 8, de la directive 2004/17 ne comporte aucune indication réglementaire en ce qui concerne le moment auquel l’équivalence des pièces de rechange doit être démontrée au pouvoir adjudicateur. Ce silence permet aux États membres de régler cette question en droit interne suivant leurs propres critères, que ce soit au moyen d’une disposition de portée générale ou en laissant libres leurs pouvoirs adjudicateurs. Nonobstant, ils sont tenus de se laisser guider par les principes
fondamentaux qui sous-tendent les règles relatives aux marchés publics ( 19 ).

38. L’interprétation de l’article 34, paragraphe 8, de la directive 2004/17, en lien avec celle de ses paragraphes 3 et 4, devrait-elle amener à conclure que le certificat d’équivalence doit inévitablement être apporté avec l’offre du soumissionnaire ? Les arguments apportés par les tenants de cette solution ne sont pas négligeables dans la perspective de la garantie d’une sélection correcte de l’attributaire ( 20 ).

39. En effet, cette preuve est l’un des éléments d’appréciation permettant au pouvoir adjudicateur d’établir si le soumissionnaire est en condition de satisfaire à ses obligations contractuelles. Elle devrait donc précéder l’attribution du marché car, dans le cas contraire, la seule issue serait de résoudre le contrat pour inexécution de ses obligations par l’attributaire.

40. En outre, compte tenu du fait que l’article 34, paragraphe 8, de la directive 2004/17 se borne à établir l’interdiction générale de prévoir des spécifications techniques qui renvoient à une marque déterminée et à définir les cas exceptionnels dans lesquels elle le permet, il serait pertinent d’appliquer les mêmes critères que ceux prévus aux paragraphes 3 et 4. Selon ceux-ci, il apparaît que la preuve doit accompagner l’offre.

41. Tout en étant acceptable, ce raisonnement ne prend peut-être pas en considération d’autres éléments du processus de décision. Concrètement, les paragraphes 3 et 4 de l’article 34 de la directive 2004/17 laissent au pouvoir adjudicateur une importante marge d’appréciation lorsqu’il rédige les spécifications techniques afin qu’il traite, d’un point de vue fonctionnel, les objectifs du marché, de telle sorte que les soumissionnaires puissent présenter des solutions différentes qui les satisfont, y
compris, évidemment, les solutions équivalentes à celles qui sont demandées dans le cahier des charges. Il est donc logique que, dans ces cas, le pouvoir adjudicateur doive disposer dès le départ des éléments d’appréciation des différentes offres, y compris les preuves.

42. Cette perspective change légèrement lorsque les spécifications techniques mentionnent directement une marque ou un modèle de produit, comme c’est le cas en l’espèce. La règle générale en vertu de laquelle il est obligatoire de formuler les spécifications techniques en des termes ouverts, en vertu de l’article 34, paragraphe 4, de la directive 2004/17, est réaffirmée au paragraphe 8, qui interdit la fermeture injustifiée du champ d’appréciation.

43. Ce qui justifie la mention d’une marque, d’un brevet ou de dispositifs similaires en particulier (toujours accompagnée de la mention relative à leurs « équivalents ») est la disparition du champ de l’indéterminé. Lorsque, par exemple, seule la fourniture de pièces de rechange de véhicules d’une seule marque (en l’espèce IVECO) ou de leurs équivalents, est possible, le pouvoir adjudicateur a déjà choisi de faire « une description suffisamment précise et intelligible de l’objet du marché ». C’est
ici que se situe la différence clé avec l’article 34, paragraphes 3 et 4, de la directive 2004/17, qui permet de traiter différemment les conditions relatives aux certificats d’équivalence ( 21 ).

44. C’est le pouvoir adjudicateur qui est le mieux placé pour définir ses besoins au moyen des spécifications techniques. Dans une situation telle que celle du litige au principal, dans laquelle il n’existe pas d’autre choix que celui de fournir des pièces de rechange correspondant à un type précis de véhicules, la définition par référence à une marque apparaît adéquate et n’est pas contestée.

45. La Commission met l’accent sur le fait que le défaut de preuve préalable de l’équivalence crée le risque, pour le pouvoir adjudicateur, d’acquérir un ensemble de produits inadéquats et d’être contrainte de résoudre le contrat. Pour renforcer sa thèse relative au choix du meilleur candidat, elle cite l’arrêt CoNISMa ( 22 ), dans lequel la Cour a soutenu que l’harmonisation des directives sur les marchés publics est faite également dans l’intérêt du pouvoir adjudicateur.

46. Il est indubitable que cet arrêt souligne la perspective de l’acheteur public, qui doit veiller à l’intérêt général. Cependant, comme dans d’autres arrêts précédents et postérieurs, il y est également souligné que « l’un des objectifs des règles communautaires en matière de marchés publics est l’ouverture à la concurrence la plus large possible […] et qu’il est de l’intérêt du droit communautaire que soit assurée la participation la plus large possible de soumissionnaires à un appel d’offres» (
23 ). Or si, je le répète, l’intérêt du pouvoir adjudicateur est présent dans cet arrêt, il l’est dans la mesure où la participation la plus large possible lui permet de disposer d’« un choix élargi quant à l’offre la plus avantageuse et la mieux adaptée aux besoins de la collectivité publique concernée» ( 24 ).

47. Cela étant, ni cet arrêt, ni les autres arrêts précédemment cités ne répondent directement au dilemme posé dans la présente demande de décision préjudicielle, c’est à dire à la question de savoir quand le soumissionnaire qui propose des pièces de rechange équivalentes doit apporter la preuve documentée que celles-ci correspondent aux pièces d’origine, selon la directive 2004/17.

48. La préoccupation de ne pas faire échouer la procédure, ce qui pourrait se produire si le pouvoir adjudicateur qui n’aurait pas requis la preuve préalable se trouvait, à la fin, dans une situation où l’attributaire serait incapable de démontrer l’équivalence des pièces, est certes légitime.

49. Toutefois, cette aspiration ne saurait prévaloir sur les principes essentiels des marchés publics, en particulier sur ceux qui visent à garantir aux soumissionnaires de pouvoir participer à la procédure d’appel d’offres dans des conditions d’égalité et à ne pas leur opposer des « obstacles injustifiés à l’ouverture des marchés à la concurrence ». J’aborderai l’un et l’autre immédiatement.

50. Il n’y a pas d’infraction au principe de l’égalité de traitement lorsque tous les soumissionnaires ont la possibilité d’apporter leurs certificats d’équivalence au moment de la livraison des pièces. Contrairement à ce qu’une des parties a allégué, cette possibilité ne déséquilibre pas la position des soumissionnaires qui sont libres, selon leur choix, d’ajouter ces preuves à leurs offres ou d’attendre le résultat de la procédure de sélection. Dans cette perspective, il leur est uniquement
demandé de respecter la clause correspondante, qui doit être claire et qu’il y a lieu d’appliquer sans exception ( 25 ).

51. Je ne crois donc pas que l’égalité de traitement des soumissionnaires soit compromise par le fait qu’ils puissent présenter la preuve de l’équivalence au moment de l’exécution du contrat. En revanche, l’exiger auparavant pourrait discriminer les soumissionnaires en avantageant le fabricant de pièces d’origine au préjudice du soumissionnaire qui propose des pièces équivalentes, lorsque ce dernier ne les a pas déjà fabriquées. Il est aisé de supposer que, dans de nombreux cas (celui-ci en serait
un), le soumissionnaire qui propose des pièces équivalentes ne possède pas, au départ, tous les certificats correspondant à chaque modèle.

52. Lors de l’audience, il a été discuté de la manière dont le pouvoir adjudicateur pourrait apprécier la qualité des fournitures avant l’attribution du marché, si la preuve qu’elles sont de « qualité équivalente » n’est pas apportée. Pour préciser cette notion dans son application aux pièces de rechange automobiles, il est utile de s’en référer aux lignes directrices supplémentaires ( 26 ).

53. Il y est établi une présomption réfragable d’aptitude qualitative, en vertu de laquelle il est permis à celui qui reçoit les pièces de rechange (en l’espèce le pouvoir adjudicateur) de se fier au fait que les produits mis à sa disposition, même s’ils sont de qualité équivalente, satisferont aux exigences nécessaires pour remplir leur fonction. Cette même présomption, appliquée au domaine des marchés publics, permet de placer tous les fournisseurs sur un pied d’égalité ( 27 ).

54. L’analyse dans la perspective de l’ouverture la plus large possible des marchés à la concurrence vient à l’appui de cette même idée : devoir apporter les certificats d’équivalence avant l’attribution du marché peut, selon les circonstances de chaque procédure de passation, devenir un obstacle disproportionné, qui empêche les opérateurs économiques intéressés de proposer leurs produits ( 28 ).

55. Le marché publié par ATM est un bon exemple de procédure de passation dans laquelle il est possible de reconnaître au pouvoir adjudicateur une marge d’appréciation suffisante pour établir raisonnablement le critère de la preuve a posteriori qu’il a fixé dans le cahier des charges. S’il avait prévu l’obligation d’apporter le certificat d’équivalence en même temps que l’offre, le soumissionnaire proposant des pièces de rechange aurait été soumis soit à la charge de fabriquer « préalablement »
chacune des pièces (2195 dans l’affaire au principal), soit à celle de posséder, dans le même nombre, les certificats de toutes les pièces demandées. En revanche, le fabricant de pièces d’origine aurait eu l’avantage de disposer de pièces déjà prêtes.

56. Selon le cahier des charges, le critère de l’« offre économiquement la plus avantageuse » était le critère déterminant dans la procédure publiée par ATM. Ce critère a été examiné après l’enchère entre les deux soumissionnaires qui avaient déposé leurs offres. Avant ce moment, le pouvoir adjudicateur a dû soupeser leur aptitude à tous deux en évaluant, entre autres facteurs, leur capacité technique à exécuter le contrat.

57. En réalité, les arguments en faveur d’une présentation impérative des certificats d’équivalence avant l’attribution du marché font de cette preuve le facteur déterminant de l’évaluation de la capacité technique.

58. Je crois toutefois que le pouvoir adjudicateur peut recourir à d’autres éléments d’appréciation pour évaluer la capacité technique des candidats ( 29 ), même si les certificats d’équivalence ne sont pas apportés initialement pour chacune des pièces requises dans le cadre de la procédure de passation. En d’autres termes, la preuve que le fabricant ou le fournisseur de pièces non d’origine possèdent la capacité technique indispensable pour exécuter le contrat peut être apportée par d’autres moyens
(par exemple en exigeant une certaine expérience antérieure dans la fabrication ou la fourniture de pièces de rechange, y compris d’autres marques).

59. De fait, le cahier des charges publié par ATM contenait un renvoi aux « informations et formalités nécessaires pour évaluer le respect des conditions » de capacité technique ( 30 ). Dans ce document, il était demandé aux candidats, notamment, d’apporter la preuve documentée qu’ils « avaient mené à bien, au cours des trois dernières années (2012 – 2013 – 2014) la fourniture de pièces d’origine […] ou équivalentes pour bus, trolleybus ou véhicules industriels produits par IVECO » et qu’ils
« avaient conclu avec succès, au cours des trois dernières années […] au moins deux marchés relatifs à la fourniture susmentionnée, d’un montant supérieur à 750000 euros» ( 31 ).

60. Un cahier des charges rédigé en ces termes est en soi restrictif, car il circonscrit le cercle des destinataires à ceux qui ont déjà fabriqué des pièces de marque IVECO, qu’elles soient d’origine ou équivalentes, ce qui empêche la participation d’autres fabricants. Selon moi, le pouvoir adjudicateur, qui avait déjà imposé ces conditions rigoureuses, pouvait raisonnablement s’en tenir à ce critère pour évaluer la capacité technique des soumissionnaires, sans devoir en outre exiger qu’ils
apportent dans un premier temps les certificats d’équivalence des 2195 pièces visées par le marché de fourniture ( 32 ).

61. Ces considérations m’amènent à proposer de répondre par la négative à la première question posée dans la demande de décision préjudicielle : après avoir limité le doute du Consiglio di Stato (Conseil d’État) à la question de savoir si l’article 34, paragraphe 8, de la directive 2004/17 impose de prouver l’équivalence au moment de la présentation de l’offre, il convient de répondre que cela n’est pas nécessairement le cas.

62. Cet article n’impose pas cette obligation, car il laisse l’État membre (ou, si la disposition nationale l’admet, le pouvoir adjudicateur) libre d’établir le moment de la remise des certificats d’équivalence. Il ne détermine pas à l’avance une solution unique, car le législateur a préféré, prudemment, que les États membres et leurs pouvoirs adjudicateurs soient ceux qui soupèsent les avantages et les inconvénients de choisir l’une ou l’autre solution.

63. Dans une situation telle que celle de la présente affaire, devant le nombre de pièces dont le certificat d’équivalence était nécessaire, il me semble approprié que le pouvoir adjudicateur accepte la présentation des certificats concernés après l’étape des offres initiales, ou même après celle de l’attribution du marché, sous réserve que le cahier des charges prévoie des conditions rigoureuses permettant de garantir la capacité technique des soumissionnaires.

64. Je dois ajouter une dernière précision, dans l’esprit de celles que j’ai formulées dans mes conclusions dans l’affaire VSA Vilnius ( 33 ), en ce qui concerne une condition « qui n’apparaît pas dans le cahier des charges, et qui n’est prévu[e] ni dans le droit national ni dans la directive 2004/18 ». Si un soumissionnaire se fiait aux clauses du cahier des charges qui lui permettent expressément d’apporter les certificats d’équivalence a posteriori, rejeter cet apport ne satisferait pas au
critère de transparence établi par la Cour, lorsqu’elle a déclaré que « les principes de transparence et d’égalité de traitement qui régissent toutes les procédures de passation de marchés publics exigent que les conditions de fond et de procédure concernant la participation à un marché soient clairement définies au préalable et rendues publiques, en particulier les obligations pesant sur les soumissionnaires, afin que ceux-ci puissent connaître exactement les contraintes de la procédure et être
assurés du fait que les mêmes exigences valent pour tous les concurrents» ( 34 ).

65. Je propose donc de répondre par la négative à la première question préjudicielle.

C.   Remarques concernant la deuxième question préjudicielle

66. La deuxième question préjudicielle est posée dans l’hypothèse où, comme je le propose, la Cour répondrait à la première question par la négative. Le Consiglio di Stato (Conseil d’État) demande à la Cour de quelle manière le respect des principes de l’égalité de traitement et de l’impartialité, de la pleine concurrence et de la bonne administration, ainsi que celui des droits de la défense et du contradictoire des autres soumissionnaires doit être assuré.

67. Cette question est excessivement générale, et dans la demande de décision préjudicielle, il n’est pas expliqué en quoi ces principes seraient compromis s’il devait être admis que le certificat d’équivalence soit apporté après l’offre.

68. Le libellé de l’ordonnance de renvoi met (à bon droit) l’accent sur les questions herméneutiques relatives au jeu des différents articles de la directive 2004/17 mais, je le réaffirme, il ne comporte aucune considération propre (à la juridiction de renvoi) ( 35 ) concernant ces principes.

69. La fonction de la Cour, dans le cadre des renvois préjudiciels, n’est pas de formuler des déclarations abstraites sur la manière dont certains principes généraux pourraient être appliqués, mais de donner au juge national l’interprétation du droit de l’Union qui peut lui être utile pour résoudre le litige dont il est saisi.

70. Dans cette perspective, les considérations que j’ai formulées dans ma proposition de réponse à la première question donnent déjà à la juridiction de renvoi suffisamment d’indications quant à l’interprétation d’au moins quelques‑uns des principes auxquels elle se réfère, en ce qui concerne leur application à la présente affaire, comme les principes de l’égalité de traitement, de la promotion de la concurrence et de l’impartialité du pouvoir adjudicateur.

71. En ce qui concerne les autres principes mentionnés, je ne vois pas en quoi les droits de la défense ou le principe du contradictoire entre soumissionnaires (et éventuellement entre les parties au litige) devraient être affectés, quelle que soit la réponse à la première question. Les deux personnes morales qui sont intervenues dans cette procédure de passation ont pu soumettre leurs arguments en faveur de la décision de l’ATM ou contre elle aux organes juridictionnels nationaux, dans le plein
respect de leurs droits à un juste procès et à obtenir une protection juridictionnelle (qui ne doit évidemment pas forcément coïncider avec le succès de leurs prétentions respectives dans le cadre du procès).

72. Quant au droit à une bonne administration, il convient de supposer que, dans le cadre du renvoi préjudiciel, le Consiglio di Stato (Conseil d’État) souhaitait renvoyer au droit consacré à l’article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Il suffit de dire, à cet égard, que ce droit peut être exercé en présence d’institutions, d’organes et d’organismes de l’Union européenne, et qu’il n’est par conséquent pas opposable à une entreprise de transports d’un État membre qui
opère en tant que société par action, comme l’ATM (même si elle était assimilable à une administration publique dans le droit national).

73. Dans ces conditions, je crois qu’il n’est pas nécessaire de répondre à la deuxième question préjudicielle.

VI. Conclusion

74. Compte tenu de ce qui précède, je propose à la Cour de répondre au Consiglio di Stato (Conseil d’État, Italie) de la façon suivante :

L’article 34, paragraphes 3, 4 et 8, de la directive 2004/17/CE du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, portant coordination des procédures de passation des marchés dans les secteurs de l’eau, de l’énergie, des transports et des services postaux, doit être interprété en ce sens qu’il n’impose pas à un soumissionnaire d’apporter forcément avec son offre les certificats d’équivalence des pièces de rechange de véhicules motorisés avec les pièces d’origine lorsque :

– dans le cahier des charges, les spécifications techniques sont exceptionnellement formulées par un renvoi à une marque déterminée « ou équivalente », et

– dans le même cahier des charges, il est disposé que la présentation de ces certificats peut être faite lors de la première livraison d’une pièce équivalente.

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( 1 ) Langue originale : l’espagnol.

( 2 ) Considérant 29 de la directive 2004/18/CE du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services (JO 2004, L 134, p. 114).

( 3 ) Directive du Parlement européen et du Conseil du 31 mars 2004 portant coordination des procédures de passation des marchés dans les secteurs de l’eau, de l’énergie, des transports et des services postaux (JO 2004, L 134, p. 1).

( 4 ) Décret législatif du 12 avril 2006, portant transposition des directives 2004/17 et 2004/18 (GURI no 100, du 2 mai 2006).

( 5 ) L’avis a été publié au supplément du Journal officiel de l’Union européenne du 25 février 2015 (2015/S 039-067523).

( 6 ) Document « Spécifications techniques » points 2.1 et 2.2.

( 7 ) Ibidem, point 5.

( 8 ) JO 2010, C 138, p. 16, ci-après les « lignes directrices supplémentaires ».

( 9 ) L’article 60, paragraphe 2, de la directive 2014/25/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 février 2014, relative à la passation de marchés par des entités opérant dans les secteurs de l’eau, de l’énergie, des transports et des services postaux et abrogeant la directive 2004/17/CE (JO 2014, L 94, p. 243) est formulé dans les mêmes termes.

( 10 ) Règlement de la Commission du 31 juillet 2002 concernant l’application de l’article 81, paragraphe 3, du traité à des catégories d’accords verticaux et de pratiques concertées dans le secteur automobile (connu sous le nom de « règlement Monti » ; JO 2002, L 203, p. 30), remplacé, après son expiration le 31 mai 2010, par le règlement (UE) no 461/2010 de la Commission, du 27 mai 2010, concernant l’application de l’article 101, paragraphe 3, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne
à des catégories d’accords verticaux et de pratiques concertées dans le secteur automobile (JO 2010, L 129, p. 52).

( 11 ) Au considérant 23 du règlement no 1400/2002, il est précisé que « [p]our assurer une concurrence effective sur les marchés de la réparation et de l’entretien, ainsi que pour permettre aux réparateurs d’offrir aux utilisateurs finals des pièces de rechange concurrentes, telles que des pièces de rechange d’origine ou des pièces de rechange de qualité équivalente, l’exemption ne doit pas couvrir les accords verticaux qui restreignent la capacité des réparateurs agréés membres du système de
distribution d’un constructeur automobile, des distributeurs indépendants de pièces de rechange, des réparateurs indépendants ou des utilisateurs finals de se procurer les pièces chez le fabricant de ces pièces ou chez un tiers de leur choix ». Le considérant 17 du règlement no 461/2010 est formulé dans des termes similaires, bien que du point de vue de la restriction de la capacité de vente du fabricant de pièces de rechange et non de celui de la capacité d’achat.

( 12 ) Selon l’article 1er, paragraphe 1, sous u), du règlement no 1400/2002, « on entend par “pièces de rechange de qualité équivalente” […] exclusivement des pièces de rechange fabriquées par toute entreprise capable de certifier à tout moment que la qualité en est équivalente à celle des composants qui sont ou ont été utilisés pour le montage des véhicules automobiles en question ».

( 13 ) Lignes directrices supplémentaires, point 18.

( 14 ) Ibidem, point 28.

( 15 ) Directive du Conseil du 21 décembre 1976 portant coordination des procédures de passation des marchés publics de fournitures (JO 1977, L 13, p. 1).

( 16 ) Arrêt du 24 janvier 1995, Commission/Pays-Bas (C‑359/93, EU:C:1995:14, points 23 à 28). L’ordonnance du 3 décembre 2001, Vestergaard (C‑59/00, EU:C:2001:654, point 22), renvoie à cet arrêt.

( 17 ) Directive du Conseil du 14 juin 1993 portant coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux (JO 1993, L 199, p. 54).

( 18 ) Arrêt du 28 octobre 1999, Commission/Autriche (C‑328/96, EU:C:1999:526, point 68, en lien avec le point 78).

( 19 ) Le considérant 9 de la directive 2004/17 souligne l’ouverture à la concurrence des marchés publics, le respect des principes d’égalité de traitement, dont le principe de non-discrimination n’est qu’une expression particulière, du principe de reconnaissance mutuelle, du principe de proportionnalité, ainsi que du principe de transparence.

( 20 ) Le régime des spécifications techniques figurant dans la directive 2014/25 (article 60) n’a pas changé, étant donné qu’à côté du régime général (paragraphe 3) un régime exceptionnel (paragraphe 4) persiste et permet de se référer à une marque « dans le cas où il n’est pas possible de fournir une description suffisamment précise et intelligible de l’objet du marché en application » de la règle générale, en exigeant que cette référence soit accompagnée des termes « ou équivalent ». Les
paragraphes 5 et 6 requièrent que la preuve de l’équivalence soit apportée avec l’offre dans les cas prévus au paragraphe 3, mais pas dans ceux qui relèvent du paragraphe 4.

( 21 ) Ce raisonnement est applicable mutatis mutandis aux articles 49 et 51 de la directive 2004/17 invoqués par certaines parties au litige.

( 22 ) Arrêt du 23 décembre 2009 (C‑305/08, EU:C:2009:807).

( 23 ) Ibidem, point 37.

( 24 ) Ibidem, point 37 in fine.

( 25 ) Dans l’arrêt du 13 juillet 2017, Ingsteel et Metrostav (C‑76/16, EU:C:2017:549, point 34), la Cour a réaffirmé, que « le principe d’égalité de traitement impose que les soumissionnaires disposent des mêmes chances dans la formulation des termes de leurs offres et implique donc que ces offres soient soumises aux mêmes conditions pour tous les soumissionnaires. D’autre part, l’obligation de transparence, qui en constitue le corollaire, a pour but de garantir l’absence de risque de favoritisme
et d’arbitraire de la part du pouvoir adjudicateur. Cette obligation implique que toutes les conditions et les modalités de la procédure d’attribution soient formulées de manière claire, précise et univoque dans l’avis de marché ou dans le cahier des charges, de façon, premièrement, à permettre à tous les soumissionnaires raisonnablement informés et normalement diligents d’en comprendre la portée exacte et de les interpréter de la même manière et, deuxièmement, à mettre le pouvoir adjudicateur en
mesure de vérifier effectivement si les offres des soumissionnaires correspondent aux critères régissant le marché en cause (arrêt du 2 juin 2016, Pizzo, C‑27/15, EU:C:2016:404, point 36 ainsi que jurisprudence citée) ».

( 26 ) Aux points 19 et 20 de ces lignes directrices, une distinction est effectuée entre les pièces de rechange « d’origine » et les pièces de « qualité équivalente ». Ces dernières sont celles dont la « d’une qualité suffisamment élevée pour que leur emploi ne porte pas atteinte à la réputation du réseau agréé en question. Comme pour tout autre critère de sélection, le constructeur automobile peut apporter la preuve qu’une pièce de rechange donnée ne satisfait pas à cette condition ».

( 27 ) Le recours aux « déclarations sur l’honneur » ou à des instruments similaires au moyen desquels les opérateurs économiques communiquent, dans un premier temps, qu’ils sont en mesure de fournir certaines fournitures, sous réserve d’une vérification ultérieure par l’administration, est admis dans plusieurs articles de la directive 2014/24.

( 28 ) Voir, en ce sens, le considérant 84 de la directive 2014/24 : « De nombreux opérateurs économiques, et en particulier les PME, estiment que les lourdeurs administratives découlant de l’obligation de produire un nombre important de certificats ou d’autres documents en rapport avec les critères d’exclusion et de sélection constituent l’un des principaux obstacles à leur participation aux marchés publics. Limiter ces exigences, par exemple en utilisant un document unique de marché européen
(DUME) consistant en une déclaration sur l’honneur actualisée, pourrait conduire à une simplification considérable dont bénéficieraient tant les pouvoirs adjudicateurs que les opérateurs économiques. »

( 29 ) La directive 2014/24 comporte une annexe consacrée aux « moyens de preuve du respect des critères de sélection », l’annexe XII, dont la deuxième partie se réfère en particulier aux « moyens de preuve attestant des capacités techniques des opérateurs économiques visées à l’article 58 ».

( 30 ) Paragraphe III.2.3 du document dénommé « Avviso di gara – Settori speciali » [avis d’appel d’offres – secteurs spéciaux].

( 31 ) Paragraphe 6.1.A, points III et IV du document « disciplinare di gara » [réglementation de la procédure de sélection].

( 32 ) Iveco Orecchia s’est bornée à insister sur la (prétendue) obligation de joindre les certificats d’équivalence à l’offre, sans mettre en doute le fait que son concurrent possède la capacité technique pour exécuter le contrat.

( 33 ) Conclusions de l’avocat général Campos Sánchez-Bordona dans l’affaire VSA Vilnius e.a. (C‑531/16, EU:C:2017:883, points 47 et 48).

( 34 ) Arrêt du 2 juin 2016, Pizzo (C‑27/15, EU:C:2016:404, point 37).

( 35 ) En réalité, le Consiglio di Stato (Conseil d’État) se borne à reprendre la proposition de formulation de certaines des questions préjudicielles formulées par Iveco Orecchia. Il n’explique pas concrètement pourquoi il accueille, en tant que seconde question préjudicielle, celle qui figurait à la lettre b1) de cette proposition.


Synthèse
Formation : Quatrième chambre
Numéro d'arrêt : C-14/17
Date de la décision : 28/02/2018
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Renvoi préjudiciel – Marchés publics – Directive 2004/17/CE – Article 34 – Fourniture de pièces de rechange pour bus et trolleybus – Spécifications techniques – Produits équivalents – Possibilité de fournir la preuve de l’équivalence après l’adjudication du marché.

Rapprochement des législations

Libre prestation des services

Droit d'établissement


Parties
Demandeurs : VAR Srl et Azienda Trasporti Milanesi SpA (ATM)
Défendeurs : Iveco Orecchia SpA.

Composition du Tribunal
Avocat général : Campos Sánchez-Bordona

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2018:135

Source

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