CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
MME JULIANE KOKOTT
présentées le 3 mai 2018 ( 1 )
Affaire C‑16/17
TGE Gas Engineering GmbH - Sucursal em Portugal
contre
Autoridade Tributária e Aduaneira
(demande de décision préjudicielle formée par le Tribunal Arbitral Tributário [Centro de Arbitragem Administrativa] [tribunal arbitral en matière fiscale (centre d’arbitrage administratif), Portugal])
« Renvoi préjudiciel – Législation en matière de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – Déduction de la taxe payée en amont – Notion de “prestation de services” – Répartition des frais généraux de l’activité commerciale d’une société entre les associés »
I. Introduction
1. Il est bien connu que des prestations peuvent être échangées entre une société et ses associés non seulement dans le cadre du rapport de société, mais également sur le fondement d’un rapport de droit propre et indépendant.
2. La Cour a déjà examiné plusieurs fois les incidences de ce cas de figure sur le système de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) ( 2 ).
3. La présente demande de décision préjudicielle donne l’occasion à la Cour d’apporter des éclaircissements quant aux conséquences de la répartition par un groupement d’entreprises de ses frais généraux entre ses membres sur le droit à déduction de la taxe payée en amont.
II. Cadre juridique
A. Droit de l’Union
4. Le cadre juridique du droit de l’Union dans lequel s’inscrit la présente affaire est constitué par la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée ( 3 ). L’article 167 de cette directive énonce :
« Le droit à déduction prend naissance au moment où la taxe déductible devient exigible. »
5. L’article 168 de la directive 2006/112 prévoit :
« Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de ses opérations taxées, l’assujetti a le droit, dans l’État membre dans lequel il effectue ces opérations, de déduire du montant de la taxe dont il est redevable les montants suivants :
a) la TVA due ou acquittée dans cet État membre pour les biens qui lui sont ou lui seront livrés et pour les services qui lui sont ou lui seront fournis par un autre assujetti ;
[…] »
6. L’article 44, première phrase, de la directive 2006/112, dans sa version en vigueur depuis le 1er janvier 2010, prévoit que le lieu de la prestation de services fournie à un assujetti est le siège de l’activité économique de ce dernier. Par contre, si cette prestation de services est fournie à l’établissement stable de l’assujetti, le lieu de la prestation de services est, conformément à l’article 44, deuxième phrase, de la directive 2006/112, l’endroit où cet établissement stable est situé.
7. Des mesures d’exécution relatives à cette disposition sont prévues par le règlement (UE) no 282/2011 du Conseil, du 15 mars 2011, portant mesures d’exécution de la directive 2006/112 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée ( 4 ), en vigueur à compter du 1er juillet 2011. L’article 10 de ce règlement définit la notion de « siège de l’activité économique », l’article 11 le concept d’« établissement stable ».
B. Droit portugais
8. Les exigences prévues par les dispositions citées de la directive 2006/112 ont été transposées en droit national par le législateur portugais.
9. Le Regime do Registo Nacional de Pessoas Coletivas (loi portugaise sur le registre national des personnes morales, ci-après la « loi RNPC ») réglemente l’inscription des personnes morales au Registo Nacional de Pessoas Coletivas (registre national des personnes morales, ci-après le « RNPC »).
10. Conformément à l’article 4, paragraphe 1, sous a) et b), de la loi RNPC, ce registre contient des inscriptions tant de personnes morales de droit portugais ou de droit étranger que de représentations de personnes morales de droit international ou de droit étranger qui exercent habituellement des activités au Portugal.
11. L’article 13 de la loi RNPC prévoit que chaque personne morale inscrite au RNPC reçoit un Número de Identificação de Pessoa Coletiva (numéro d’identification de personne morale, ci-après le « NIPC ») et cet article réglemente les modalités d’attribution de ce numéro.
III. Faits et procédure au principal
12. La TGE Gas Engineering GmbH (ci-après la « TGE Bonn ») est une société de droit allemand dont le siège est situé à Bonn. Le 3 mars 2009, le NIPC 980410878 lui a été attribué au Portugal pour la réalisation d’un acte juridique isolé (acquisition de parts sociales), en tant qu’entreprise non résidente sans établissement stable.
13. La partie requérante au principal est une succursale portugaise de la TGE Bonn, dénommée « TGE Gas Engineering GmbH – Sucursal em Portugal » (ci-après la « TGE Portugal »). Le 7 avril 2009, le NIPC 980412463 lui a été attribué, en tant qu’entreprise non résidente avec établissement stable au Portugal.
14. La TGE Bonn a créé le 17 avril 2009, conjointement avec la Somague Engenharia SA (ci-après la « Somague »), un groupement d’intérêt économique (Agrupamento Complementar de Empresas) dénommé « Projesines Expansão do Terminal de GNL de Sines, ACE » (ci-après le « groupement »).
15. Le contrat de société fixe les contributions des membres du groupement à 85 % pour la Somague et à 15 % pour la TGE Bonn. Par dérogation à ce qui précède, un accord interne au groupement prévoit que la TGE Bonn et la Somague participent respectivement à hauteur de 64,29 % et de 35,71 % au résultat et aux frais du groupement.
16. Lors de la création du groupement, la TGE Bonn a utilisé le NIPC 980410878 qui lui a été attribué en tant qu’entreprise non résidente sans établissement stable et non le NIPC attribué à la TGE Portugal.
17. Le groupement lui-même est le partenaire contractuel de la Redes Engéticas Nacionais (ci-après la « REN »), une société portugaise d’électricité, et il met en œuvre, pour le compte de cette dernière, le projet d’extension du terminal de Sines, un terminal de gaz naturel liquéfié.
18. Le 4 mai 2009, le groupement a conclu avec la TGE Portugal un contrat de sous-traitance. Un contrat similaire existait également avec la Somague.
19. Sur le fondement de ces contrats, la TGE Portugal et la Somague ont effectué des livraisons et des prestations de services en tant que sous‑traitants du groupement. Conformément à la clause figurant dans le contrat de sous-traitance conclu entre le groupement et la TGE Portugal (« Full back-to-back general principle »), le groupement a facturé à la REN, en tant que maître d’ouvrage, l’ensemble des livraisons et autres prestations qui lui ont été fournies par la TGE Portugal.
20. Le groupement a facturé à la TGE Portugal les coûts résultant de de sa propre activité économique, à hauteur de 64,29 %, en utilisant le NIPC qui avait été attribué à la TGE Portugal. Le groupement a facturé à la Somague 35,71 % des coûts. La facturation servait uniquement à répartir les coûts du groupement entre ses membres. Par conséquent, les coûts ont été répartis conformément à l’accord interne des membres relativement à la contribution aux charges du groupement. Toutefois, ce dernier a
indiqué la TVA sur les factures et a acquitté celle-ci auprès de l’administration fiscale portugaise, ce que cette dernière n’a jamais contesté.
21. La TGE Portugal a ensuite procédé à la déduction de la taxe payée en amont pour la TVA indiquée sur ces factures.
22. Un rapport de contrôle fiscal a été établi dans le cadre d’un contrôle fiscal effectué auprès de la TGE Portugal concernant les périodes d’impositions 2009, 2010 et 2011 par l’Autoridade Tributária e Aduaneira (autorité fiscale et douanière, ci‑après l’« ATA »). L’ATA a constaté dans ce rapport que la TGE Portugal et la TGE Bonn devaient, en raison des NIPC différents, être traitées en tant qu’entités juridiques différentes. Étant donné que la TGE Bonn est membre du groupement, mais non la
TGE Portugal, le groupement a, selon l’ATA, indûment facturé ses coûts à la TGE Portugal. La déduction de la taxe payée en amont par la TGE Portugal n’était pas licite en ce qui concerne ces coûts.
23. Sur le fondement de ces constatations, l’ATA a établi à l’encontre de la TGE Portugal des avis portant détermination de la TVA, majorée d’intérêts compensatoires. Le 28 mars 2014, la TGE Portugal a présenté une réclamation gracieuse contre ces avis, concernant les périodes d’imposition 2010 et 2011, que l’ATA a rejetée.
24. Le 19 septembre 2014, la TGE Portugal a introduit, contre la décision de rejet de la réclamation gracieuse, un recours hiérarchique qui a également été rejeté par décision notifiée à la requérante le 25 septembre 2015.
25. Le 22 décembre 2015, la TGE Portugal a présenté devant la juridiction de renvoi la demande de règlement arbitral dirigée contre cette décision.
IV. Demande décision préjudicielle et procédure devant la Cour
26. Par décision arbitrale du 29 juin 2016, parvenue le 16 janvier 2017, le Tribunal Arbitral Tributário (Centro de Arbitragem Administrativa) [tribunal arbitral en matière fiscale (centre d’arbitrage administratif), Portugal] a présenté à la Cour, conformément à l’article 267 TFUE, les questions suivantes à titre préjudiciel :
Les articles 44, 45, 132, paragraphe 1, sous f), 167, 168, 169, 178, 179 et 192a, 193, 194 et 196 de la directive 2006/112, les articles 10 et 11 du règlement d’exécution (UE) no 282/2011 et le principe de neutralité doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à ce que l’administration fiscale portugaise refuse le droit de déduire la TVA à une succursale d’une société de droit allemand lorsque :
27. À la suite d’une demande de renseignements présentée par la Cour, la juridiction de renvoi a indiqué – tout comme la requérante au principal – à titre complémentaire que les factures du groupement avaient uniquement pour but de répartir les frais généraux de son activité économique entre ses membres.
28. Dans le cadre de la procédure devant la Cour, la TGE Portugal, la République portugaise et la Commission européenne ont déposé des observations écrites et ont également pris part à l’audience qui s’est tenue le 19 mars 2018.
V. Analyse
A. Habilitation de la juridiction de renvoi à présenter un renvoi préjudiciel
29. Ainsi que l’a déjà jugé la Cour, le Tribunal Arbitral Tributário (Centro de Arbitragem Administrativa) [tribunal arbitral en matière fiscale (centre d’arbitrage administratif)] doit être considéré comme une juridiction d’un État membre au sens de l’article 267 TFUE et il est donc habilité à présenter un renvoi préjudiciel à la Cour ( 5 ).
B. Interprétation de la question préjudicielle
30. Dans sa question, la juridiction de renvoi fait référence aux NIPC différents qui ont été attribués à la TGE Bonn et à la TGE Portugal et qui ont été utilisés en lien avec le groupement, à savoir le NIPC de la TGE Bonn lors de la conclusion du contrat de constitution du groupement, ainsi que le NIPC de la TGE Portugal lors de la conclusion du contrat de sous‑traitance avec le groupement.
31. La question de la juridiction de renvoi vise cependant, en substance, à obtenir des éclaircissements sur le point de savoir si la TGE Bonn ou la TGE Portugal a un droit à déduction de la taxe payée en amont, lorsque le groupement facture ses frais généraux à la TGE Portugal en indiquant la TVA sur la facture. À cet égard, la juridiction de renvoi souhaite essentiellement savoir si les conditions de la déduction de la taxe payée en amont sont réunies dans le présent cas d’espèce.
C. Droit à déduction de la taxe payée en amont
32. Les conditions du droit à déduction de la taxe payée en amont sont énumérées à l’article 168, sous a), de la directive 2006/112 : est autorisé à déduire la taxe due ou acquittée en amont quiconque est lui‑même un assujetti et a reçu d’un autre assujetti une livraison ou un service qu’il utilise pour les besoins de sa propre activité économique.
33. Il est constant que, en l’espèce, le groupement a acquitté la TVA qu’il avait facturée à la TGE Portugal. Il est également constant que le groupement est, en principe, un assujetti au sens de la directive 2006/112.
34. Il convient toutefois de clarifier le point de savoir si la TGE Portugal est le bénéficiaire d’une prestation de services constituant la contrepartie du paiement des coûts.
1. Un assujetti en tant que bénéficiaire de la prestation de services
35. Conformément à l’article 168 de la directive 2006/112, seul un assujetti a le droit de déduire la taxe payée en amont. Le bénéficiaire de la prestation de services doit donc être un assujetti au sens de cette directive.
36. L’article 9, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 2006/112 prévoit qu’un assujetti est quiconque exerce une activité économique d’une façon indépendante.
37. S’agissant du rapport d’une société à sa succursale établie dans un autre État membre, la Cour a déjà jugé que la succursale n’exerce pas une activité économique indépendante, car elle ne supporte pas elle‑même le risque économique découlant de son activité économique, notamment parce qu’elle ne dispose pas d’un capital de dotation ( 6 ). Au contraire, le risque économique est supporté uniquement par la société à laquelle appartient la succursale.
38. Même si la notion d’« assujetti », prévue par le droit de l’Union, doit être interprétée de manière autonome et uniforme ( 7 ) et ne vise donc pas seulement des personnes physiques et morales, mais englobe également des entités qui ne sont pas dotées de la personnalité morale ( 8 ), une société et sa succursale établie dans un autre État membre constituent une seule et même entité juridique au sein de laquelle il n’y a pas deux assujettis indépendants ( 9 ).
39. Selon ce critère, la TGE Bonn et la TGE Portugal constituent un assujetti (ci-après la « TGE ») au sens de la directive 2006/112.
40. Cette conclusion n’est pas remise en cause par la circonstance que la TGE Bonn et la TGE Portugal disposent de NIPC différents ni par le fait que le NIPC de la TGE Bonn a été utilisé lors de la constitution du groupement, mais que, pour l’établissement de la facture relative à la répartition des coûts, le groupement a eu recours au NIPC de la TGE Portugal.
2. Existence d’une prestation de services
41. L’article 168, sous a), de la directive 2006/112 exige qu’une prestation (livraison au sens de l’article 14 ou prestation de services au sens de l’article 24, paragraphe 1, de la directive 2006/112) soit fournie à l’assujetti qui est autorisé à déduire la taxe payée en amont.
42. Selon la jurisprudence constante de la Cour, une prestation n’est taxable que s’il existe entre le prestataire et le bénéficiaire un rapport juridique au cours duquel des prestations réciproques sont échangées, la rétribution perçue par le prestataire constituant la contre-valeur effective du service fourni au bénéficiaire ( 10 ).
43. Ainsi, la base d’imposition d’une prestation de services est constituée par tout ce qui est reçu en contrepartie du service fourni et, par conséquent, une prestation n’est taxable que s’il existe un rapport direct entre le service fourni et la contrepartie reçue ( 11 ).
44. En l’espèce, le groupement devrait donc avoir fourni une prestation effective de services dont la TGE serait le bénéficiaire. C’est uniquement dans ce cas que les montants facturés par le groupement à la TGE et acquittés par cette dernière constitueraient la contrepartie d’une prestation de services au titre de laquelle de la TVA est effectivement due.
45. Ainsi que l’indiquent cependant la juridiction de renvoi et la requérante au principal dans leurs réponses à la demande de renseignements présentée par la Cour, les montants en question constituent les frais généraux de l’activité économique du groupement. Les factures avaient uniquement pour but de faire supporter ces frais par la TGE en tant que membre. Ces montants n’ont pas été acquittés en contrepartie d’une prestation fournie par le groupement à la TGE et ne revêtaient donc aucun caractère
de rémunération.
46. Il convient donc de considérer que, en l’espèce, aucune prestation effective de services n’a été fournie à l’assujetti. Les montants facturés à la TGE et acquittés par cette dernière constituent plutôt la répartition des frais généraux du groupement entre ses membres, opérée sur le fondement de leur vocation aux bénéfices et de leur contribution aux pertes, mais non la contrepartie d’une activité effective.
47. Cette conclusion est étayée par l’arrêt de la Cour dans l’affaire Cibo Participations. La Cour a jugé dans cet arrêt que le paiement d’un dividende ne constitue pas la contrepartie d’une prestation de services, mais résulte uniquement de la détention de la participation et donc de la position d’associé. Notamment, le versement de dividendes présuppose normalement l’existence de bénéfices et dépend ainsi du résultat de l’exercice de la société ( 12 ). En l’espèce, des dividendes, à savoir des
quotes-parts du bénéfice, ne sont, certes, pas versés par le groupement aux associés. Au contraire, ce sont les membres du groupement qui acquittent un montant à ce dernier. Cependant, ainsi que l’a déjà indiqué l’administration fiscale dans la procédure au principal, il s’agit des frais généraux de l’activité commerciale du groupement. Cette contribution aux pertes constitue, en fin de compte, en quelque sorte le pendant du versement de dividendes dans l’affaire Cibo Participations : le montant
de la somme facturée par le groupement dépend de la situation de ce dernier au regard de ses bénéfices, tout comme le montant des dividendes versés dépendait de la situation en termes de bénéfices des sociétés dans lesquelles Cibo Participations détenait des parts sociales. Un associé est, de par sa position d’associé, non seulement autorisé à participer aux bénéfices, mais il est également tenu, en l’espèce, de couvrir les frais exposés. Alors que l’affaire Cibo Participations concernait la
participation aux bénéfices, le présent cas d’espèce porte sur la couverture des frais exposés. Dans les deux cas de figure, les paiements effectués découlent de la position d’associé et ne constituent donc pas une contrepartie d’une prestation de services.
48. L’absence de contrepartie distingue le présent cas d’espèce de la situation à l’origine de l’affaire Heerma. Dans cette affaire, l’associé d’une société civile avait donné en location à la société un immeuble pour lequel la société lui versait un loyer qui était indépendant de la participation de cet associé aux bénéfices et aux pertes de la société. La Cour a jugé dans ce cas de figure que la location de l’immeuble constituait une prestation soumise à la TVA, car la contrepartie consistait en
une rémunération effective ( 13 ).
49. Enfin, le présent cas de figure ne peut pas non plus être comparé à la cotisation d’un membre d’une association. Certes, la Cour a jugé dans l’affaire Kennemer Golf que la cotisation constitue la base d’imposition de la TVA lorsque cette cotisation représente la rémunération versée en contrepartie de la possibilité d’utiliser les biens de l’association ( 14 ). En effet, d’une part, l’obligation de payer la cotisation ne résulte pas directement du fait que l’association réalise un bénéfice ou une
perte, mais elle repose sur la liberté de rédaction des statuts de l’association. En outre, la contribution se rapportait dans le cas en question à une autorisation d’utilisation concrète en faveur des membres en ce qui concerne les installations sportives de l’association. En l’espèce, le montant des sommes facturées à la TGE et acquittées par cette dernière dépend, en revanche, uniquement du résultat économique du groupement. D’autre part, le groupement n’octroie pas à la TGE la possibilité
d’utiliser des biens lui appartenant ni ne facture une rémunération en contrepartie. Au contraire, le montant facturé découle de la position d’associé de la TGE, ainsi que de la vocation aux bénéfices et de la contribution aux pertes qui en résultent.
50. Contrairement à ce qu’a affirmé la Commission lors de l’audience, l’on n’est pas en présence d’un contrat de commission de prestation de services au sens de l’article 28 de la directive 2006/112. L’objet de la procédure au principal est uniquement la facturation des dépenses qui ont été exposées par le groupement aux fins de bénéficier de livraisons ou de prestations de services effectuées par des tiers. Ces prestations effectuées par des tiers ont cependant été fournies en faveur du groupement
lui-même. Elles servaient l’activité économique du groupement et elles n’ont pas été ensuite fournies à ses membres. En effet, ainsi que la juridiction de renvoi l’a décrit explicitement, une prestation fournie par le groupement à ses membres fait, à cet égard, défaut. Par conséquent, les conditions de l’article 28 de la directive 2006/112 (« dans une prestation de services ») ne sont réunies.
51. Il ne résulte rien d’autre du principe de neutralité.
52. Selon la jurisprudence constante de la Cour, le droit à déduction de la taxe payée en amont constitue un principe fondamental du système commun de TVA et vise à soulager entièrement l’entrepreneur du poids de la TVA due ou acquittée dans le cadre de toutes ses activités économiques ( 15 ).
53. Le système commun de TVA garantit donc la neutralité quant à la charge fiscale de toutes les activités économiques. La condition requise à cet égard est en principe cependant que ces activités soient elles-mêmes soumises à la TVA ( 16 ).
54. Étant donné que, conformément aux constatations qui précèdent, ne serait‑ce que la fourniture d’une « prestation de services » au sens de l’article 24, paragraphe 1, de la directive 2006/112 fait défaut, le groupement n’était d’emblée pas redevable de la TVA pour la « refacturation » des frais généraux de son activité commerciale, qu’il a répartis entre ses membres. La TVA a donc été acquittée à tort. Étant donné que cette taxe n’était pas due au regard du droit de l’Union, il n’y a pas lieu
d’appliquer le principe de neutralité. Celui-ci n’impose en l’espèce précisément pas de soulager la TGE du poids de la TVA grevant les montants acquittés par le groupement, dès lors que la taxe n’est pas préalablement due au regard du droit de l’Union.
55. Il convient donc de considérer que le groupement ne fournit à la TGE aucune prestation de services susceptible de fonder le droit de la TGE à la déduction de la taxe payée en amont.
3. Lieu de la prestation
56. La juridiction de renvoi demande à la Cour également d’interpréter les articles 44 et 45 de la directive 2006/112, qui définissent le lieu de la prestation de services.
57. Conformément à l’article 44, première phrase, de la directive 2006/112, le lieu de la prestation de services à un assujetti est le siège de l’activité économique du bénéficiaire de la prestation de services. Le législateur de l’Union a retenu ce point de rattachement à titre principal, car il offre, en tant que critère objectif, simple et pratique, une grande sécurité juridique ( 17 ).
58. En revanche, le rattachement à l’établissement stable du bénéficiaire, visé à l’article 44, deuxième phrase, de la directive 2006/112, est un point de rattachement secondaire qui constitue une disposition dérogatoire à la règle générale ( 18 ).
59. Même si la Cour a clarifié dans l’affaire Welmory le rapport existant entre ces deux points de rattachement, l’élément essentiel réside assurément, tant en application de l’article 44, première phrase, qu’en vertu de l’article 44, deuxième phrase, de la directive 2006/112, dans la réception d’une prestation de services par l’assujetti.
60. Comme cela a été constaté précédemment, une prestation de services fait toutefois défaut en l’espèce. En l’absence de prestation de services, il n’est donc pas possible de déterminer le lieu de la prestation de services.
61. Par conséquent, la question posée par la juridiction de renvoi ne peut, à cet égard, pas recevoir de réponse.
VI. Conclusion
62. Au regard des constatations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre à la demande de décision préjudicielle présentée par le Tribunal Arbitral Tributário (Centro de Arbitragem Administrativa) [tribunal arbitral en matière fiscale (centre d’arbitrage administratif), Portugal] de la manière suivante :
L’article 168 de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, doit être interprété en ce sens que, en l’absence de livraison ou de prestation de services soumise à la TVA, il n’existe aucun droit à déduction de la taxe payée en amont, lorsque qu’un Agrupamento Complementar de Empresas (groupement d’intérêt économique) fait supporter les frais généraux de son activité commerciale par une société de droit étranger, membre du
groupement, même si la TVA a été acquittée à tort au titre de ce montant et que celui-ci a été facturé à la succursale nationale de la société membre du groupement.
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( 1 ) Langue originale : l’allemand.
( 2 ) Arrêts du 27 janvier 2000, Heerma (C‑23/98, EU:C:2000:46), et du 27 septembre 2001, Cibo Participations (C‑16/00, EU:C:2001:495).
( 3 ) JO 2006, L 347, p. 1.
( 4 ) JO 2011, L 77, p. 1.
( 5 ) Arrêt du 12 juin 2014, Ascendi Beiras Litoral e Alta, Auto Estradas das Beiras Litoral e Alta (C‑377/13, EU:C:2014:1754, points 23 à 34).
( 6 ) Arrêts du 23 mars 2006, FCE Bank (C‑210/04, EU:C:2006:196, points 33 à 37), et du 17 septembre 2014, Skandia America (USA), filial Sverige (C‑7/13, EU:C:2014:2225, points 25 et 26.).
( 7 ) Arrêt du 17 septembre 2014, Skandia America (USA), filial Sverige (C‑7/13, EU:C:2014:2225, point 23).
( 8 ) Arrêt du 27 janvier 2000, Heerma (C‑23/98, EU:C:2000:46, point 8).
( 9 ) Conclusions de l’avocat général Léger dans l’affaire FCE Bank (C‑210/04, EU:C:2005:582, point 38).
( 10 ) Arrêts du 3 mars 1994, Tolsma (C‑16/93, EU:C:1994:80, point 14) ; du 21 mars 2002, Kennemer Golf (C‑174/00, EU:C:2002:200, point 39) ; du 23 mars 2006, FCE Bank (C‑210/04, EU:C:2006:196, point 34), et du 17 septembre 2014, Skandia America (USA), filial Sverige (C‑7/13, EU:C:2014:2225, point 24).
( 11 ) Arrêts du 3 mars 1994, Tolsma (C‑16/93, EU:C:1994:80, point 13), et du 21 mars 2002, Kennemer Golf (C‑174/00, EU:C:2002:200, point 39).
( 12 ) Arrêt du 27 septembre 2001, Cibo Participations (C‑16/00, EU:C:2001:495, points 42 et 43) ; l’on entend par là que le versement de dividendes dépend du résultat économique de la société.
( 13 ) Arrêt du 27 janvier 2000, Heerma (C‑23/98, EU:C:2000:46, points 13 et 19).
( 14 ) Arrêt du 21 mars 2002, Kennemer Golf (C‑174/00, EU:C:2002:200, point 40).
( 15 ) Arrêts du 27 septembre 2001, Cibo Participations (C‑16/00, EU:C:2001:495, point 27) ; du 12 septembre 2013, Le Crédit Lyonnais (C‑388/11, EU:C:2013:541, points 26 et 27), et du 15 septembre 2016, Barlis 06 – Investimentos Imobiliários e Turísticos (C‑516/14, EU:C:2016:690, points 37 à 39).
( 16 ) Arrêts du 27 septembre 2001, Cibo Participations (C‑16/00, EU:C:2001:495, point 27) ; du 12 septembre 2013, Le Crédit Lyonnais (C‑388/11, EU:C:2013:541, point 27), et du 15 septembre 2016, Barlis 06 – Investimentos Imobiliários e Turísticos (C‑516/14, EU:C:2016:690, point 39).
( 17 ) Arrêt du 16 octobre 2014, Welmory (C‑605/12, EU:C:2014:2298, points 53 à 55).
( 18 ) Arrêt du 16 octobre 2014, Welmory (C‑605/12, EU:C:2014:2298, point 56).