ARRÊT DE LA COUR (dixième chambre)
13 septembre 2018 (*)
« Pourvoi – Clauses compromissoires – Convention Pocemon conclue dans le cadre du septième programme-cadre pour des actions de recherche, de développement technologique et de démonstration (2007-2013) – Coûts éligibles – Décision de la Commission européenne – Obligation de remboursement des sommes versées – Demande reconventionnelle »
Dans l’affaire C‑172/17 P,
ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 5 avril 2017,
ANKO AE Antiprosopeion,Emporiou kai Viomichanias, établie à Athènes (Grèce), représentée par M^e S. Paliou, dikigoros,
partie requérante,
l’autre partie à la procédure étant :
Commission européenne, représentée par M. R. Lyal et M^me A. Kyratsou, en qualité d’agents,
partie défenderesse en première instance,
LA COUR (dixième chambre),
composée de M. E. Levits, président de chambre, M^me M. Berger (rapporteur) et M. F. Biltgen, juges,
avocat général : M^me E. Sharpston,
greffier : M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,
rend le présent
Arrêt
1 Par son pourvoi, ANKO AE Antiprosopeion, Emporiou kai Viomichanias demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 25 janvier 2017, ANKO/Commission (T-768/14, non publié, ci-après l’« arrêt attaqué », EU:T:2017:28), par lequel celui-ci a, d’une part, rejeté son recours tendant à faire constater que les dépenses déclarées au titre de l’exécution du projet intitulé « Plate-forme de suivi et de diagnostic pour les maladies auto-immunes » (ci-après le « projet Pocemon »),
financé par la convention de subvention n° 216088 (ci-après la « convention Pocemon »), constituaient des coûts éligibles et, d’autre part, a accueilli la demande reconventionnelle présentée par la Commission européenne tendant au remboursement des subventions indûment versées dans le cadre de cette convention.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
2 L’article 78 du règlement (UE, Euratom) n° 966/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 25 octobre 2012, relatif aux règles financières applicables au budget général de l’Union et abrogeant le règlement (CE, Euratom) n° 1605/2002 du Conseil (JO 2012, L 298, p. 1), tel que modifié par le règlement (UΕ, Euratom) 2015/1929 du Parlement européen et du Conseil, du 28 octobre 2015 (JO 2015, L 286, p. 1) (ci-après le « règlement financier »), intitulé « Constatation des créances », prévoit :
« 1. La constatation d’une créance est l’acte par lequel l’ordonnateur compétent :
a) vérifie l’existence de la dette du débiteur ;
b) détermine ou vérifie la réalité et le montant de la dette ;
c) vérifie les conditions d’exigibilité de la dette.
2. Les ressources propres mises à la disposition de la Commission ainsi que toute créance identifiée comme certaine, liquide et exigible sont constatées par un ordre de recouvrement donné au comptable, suivi d’une note de débit adressée au débiteur, tous deux établis par l’ordonnateur compétent.
3. Les montants indûment payés sont recouvrés.
4. La Commission est habilitée à adopter des actes délégués conformément à l’article 210 en ce qui concerne l’établissement de règles détaillées en matière de prévision de créance, y compris la procédure et les pièces justificatives, et d’intérêts de retard. »
3 L’article 81 du règlement délégué (UE) n° 1268/2012 de la Commission, du 29 octobre 2012, relatif aux règles d’application du règlement n° 966/2012 (JO 2012, L 362, p. 1), intitulé « Constatation de créances », dispose :
« Pour constater une créance, l’ordonnateur compétent s’assure :
a) du caractère certain de la créance, en ce sens que celle-ci ne doit pas être affectée d’une condition ;
b) du caractère liquide de la créance, dont le montant doit être déterminé en argent et avec exactitude ;
c) du caractère exigible de la créance, qui ne doit pas être soumise à un terme ;
d) de l’exactitude de la désignation du débiteur ;
e) de l’exactitude de l’imputation budgétaire des montants à recouvrer ;
f) de la régularité des pièces justificatives, et
g) de la conformité avec le principe de bonne gestion financière, notamment selon les critères visés à l’article 91, paragraphe 1, sous a). »
4 Conformément au règlement (CE) n° 1906/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 18 décembre 2006, définissant les règles de participation des entreprises, des centres de recherche et des universités pour la mise en œuvre du septième programme-cadre de la Communauté européenne et fixant les règles de diffusion des résultats de la recherche (2007-2013) (JO 2006, L 391, p. 1), et dans le cadre défini par la décision n° 1982/2006/CE du Parlement européen et du Conseil, du 18 décembre 2006,
relative au septième programme-cadre de la Communauté européenne pour des actions de recherche, de développement technologique et de démonstration (2007-2013) (JO 2006, L 412, p. 1), la Commission, agissant pour le compte de la Communauté européenne, a conclu le 19 décembre 2007 avec PCS Professional Clinical Software GmbH, en sa qualité de coordinateur de consortium dont la requérante faisait partie, la convention Pocemon.
5 Cette convention comprend, outre le contrat de financement principal (ci-après le « contrat principal »), six annexes qui font partie intégrante de ce dernier, dont l’annexe I, qui contient la description des travaux à effectuer, et l’annexe II, qui se rapporte aux conditions générales applicables (ci-après les « conditions générales »).
6 Aux termes du point ΙΙ.14 des conditions générales relatif aux coûts éligibles :
« 1. Les coûts exposés pour l’exécution du projet doivent remplir les conditions suivantes pour être éligibles :
a) ils doivent être réels ;
b) ils doivent être exposés par le bénéficiaire ;
c) ils doivent être exposés pendant la durée du projet, sauf en ce qui concerne les coûts exposés pour l’établissement des rapports finaux et des rapports correspondants à la dernière période, et pour les certificats relatifs aux états financiers demandés au cours de la dernière période et, le cas échéant, les contrôles finaux, qui peuvent être exposés jusqu’à soixante jours après la fin du projet ou la date de résiliation, à la première de ces deux échéances ;
d) ils doivent être déterminés conformément aux principes et pratiques usuels de comptabilité et de gestion du bénéficiaire. Les méthodes comptables utilisées pour enregistrer les coûts et les recettes doivent être conformes aux normes comptables utilisées dans l’État où le bénéficiaire est établi. Les procédures internes de comptabilité et d’audit du bénéficiaire doivent permettre d’établir un rapprochement direct entre les coûts et recettes déclarés au titre du projet et les fiches
financières et pièces justificatives correspondantes ;
e) ils doivent être utilisés dans le seul but de réaliser les objectifs du projet et d’obtenir les résultats prévus, dans le respect des principes d’économie, d’efficience et d’efficacité ;
f) ils doivent être inscrits dans la comptabilité du bénéficiaire ; dans le cas de contribution de tiers, ils doivent être inscrits dans la comptabilité des tiers ;
g) ils doivent être indiqués dans le budget total estimé, indiqué à l’annexe I.
[...] »
7 Le point II.21, paragraphe 1, second alinéa, des conditions générales dispose :
« Dans le cas où un montant dû par un bénéficiaire à l’Union [européenne] doit être récupéré après la résiliation ou l’achèvement d’une convention de subvention au titre du [septième programme-cadre], la Commission demande le remboursement du montant dû en émettant un ordre de recouvrement à l’adresse du bénéficiaire en cause. [...] »
8 Le point II.22 des conditions générales, intitulé « Audits et contrôles financiers », prévoit, à son paragraphe 6 :
« Sur la base des conclusions de l’audit, la Commission prend les mesures appropriées qu’elle estime nécessaires, y compris l’établissement d’ordres de recouvrement portant sur tout ou partie des paiements qu’elle a effectués et l’imposition de toutes sanctions applicables. »
9 En vertu de l’article 9, premier alinéa, du contrat principal, la convention Pocemon était régie, à titre principal, par les stipulations dudit contrat, par les actes de la Communauté et de l’Union relatifs au septième programme-cadre, par le règlement (CE, Euratom) n° 1605/2002 du Conseil, du 25 juin 2002, portant règlement financier applicable au budget général des Communautés européennes (JO 2002, L 248, p. 1), et le règlement (CE, Euratom) n° 2342/2002 de la Commission, du 23 décembre
2002, établissant les modalités d’exécution du règlement n° 1605/2002 (JO 2002, L 357, p. 1), ainsi que par d’autres règles du droit de l’Union et, à titre subsidiaire, par le droit belge.
10 L’article 9, troisième alinéa, du contrat principal contient une clause compromissoire, au sens de l’article 272 TFUE, attribuant au Tribunal et, en cas de pourvoi, à la Cour une compétence exclusive pour connaître des litiges entre l’Union, d’une part, et les bénéficiaires des subventions, d’autre part, concernant la validité, l’application et l’interprétation de ladite convention.
Le droit belge
11 En vertu de l’article 1134, troisième alinéa, du code civil, les conventions légalement formées doivent être exécutées de bonne foi.
12 L’article 1156 de ce code prévoit :
« On doit dans les conventions rechercher quelle a été la commune intention des parties contractantes, plutôt que de s’arrêter au sens littéral des termes. »
13 Aux termes de l’article 1315 dudit code :
« Celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l’extinction de son obligation. »
Les antécédents du litige
14 La requérante est une société de droit grec, qui a participé à l’exécution de plusieurs projets subventionnés par la Communauté ou par l’Union.
15 À l’issue d’un audit financier, la Commission a demandé à la requérante le remboursement d’une partie importante des sommes qu’elle avait perçues, conformément au point II.21, paragraphes 1 et 2, et au point II.22, paragraphe 6, des conditions générales.
Le recours devant le Tribunal et l’arrêt attaqué
16 Par requête introduite sur le fondement de l’article 272 TFUE et en vertu de la clause compromissoire contenue dans la convention Pocemon, la requérante a demandé au Tribunal, premièrement, de constater que les dépenses déclarées au titre de l’exécution du projet Pocemon constituent des coûts éligibles et, deuxièmement, de rejeter comme étant non fondée la demande reconventionnelle présentée par la Commission.
17 Par l’arrêt attaqué, le Tribunal a rejeté le recours de la requérante et a fait droit à la demande reconventionnelle présentée par la Commission.
Les conclusions des parties devant la Cour
18 La requérante demande à la Cour :
– d’annuler l’arrêt attaqué et de renvoyer l’affaire devant le Tribunal afin que celui-ci statue à nouveau sur le fond et
– de condamner la Commission aux dépens.
19 La Commission demande à la Cour :
– de rejeter comme étant non fondé le pourvoi dans son ensemble et
– de condamner la requérante aux dépens.
Sur le pourvoi
Sur le premier moyen, tiré d’une dénaturation des éléments de preuve
Argumentation des parties
20 La requérante reproche au Tribunal d’avoir dénaturé des éléments de preuve produits par elle en ce que ce dernier a estimé, au point 87 de l’arrêt attaqué, qu’elle n’avait pas satisfait à son obligation de démontrer que les relevés de temps de travail reflétaient les heures effectivement consacrées au projet Pocemon, puisque aucun des éléments de preuve invoqués n’était de nature à remettre en cause les conclusions de l’audit financier.
21 À cet égard, la requérante soutient, notamment, que le Tribunal a totalement ignoré et omis de statuer sur le « fichier général des absences » de son personnel qu’elle avait joint à son mémoire en réponse et lequel avait également été remis à la Commission au cours dudit audit financier.
22 La Commission considère que ce moyen est non fondé et, en outre, inopérant.
Appréciation de la Cour
23 Il y a lieu de rappeler la jurisprudence constante de la Cour en vertu de laquelle il résulte de l’article 256 TFUE et de l’article 58, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne que le Tribunal est seul compétent, d’une part, pour constater les faits, sauf dans le cas où l’inexactitude matérielle de ses constatations résulterait des pièces du dossier qui lui ont été soumises, et, d’autre part, pour apprécier ces faits. Lorsque le Tribunal a constaté ou apprécié
les faits, la Cour est compétente pour exercer, en vertu de l’article 256 TFUE, un contrôle sur la qualification juridique de ces faits et les conséquences de droit qui en ont été tirées par le Tribunal. La Cour n’est donc pas compétente pour constater les faits ni, en principe, pour examiner les preuves que le Tribunal a retenues à l’appui de ces faits. Cette appréciation ne constitue dès lors pas, sous réserve du cas de la dénaturation de ces éléments, une question de droit soumise, comme telle,
au contrôle de la Cour (voir, notamment, arrêt du 23 novembre 2017, SACE et Sace BT/Commission, C-472/15 P, non publié, EU:C:2017:885, point 56 ainsi que jurisprudence citée).
24 Dans ce contexte, il y a lieu de rappeler qu’un requérant doit, en application de l’article 256 TFUE, de l’article 58, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et de l’article 168, paragraphe 1, sous d), du règlement de procédure de la Cour, indiquer de façon précise les éléments qui auraient été dénaturés par celui-ci et démontrer les erreurs d’analyse qui, dans son appréciation, auraient conduit le Tribunal à cette dénaturation. Par ailleurs, une dénaturation
doit apparaître de façon manifeste des pièces du dossier, sans qu’il soit nécessaire de procéder à une nouvelle appréciation des faits et des preuves (voir, notamment, arrêts du 30 novembre 2016, Commission/France et Orange, C‑486/15 P, EU:C:2016:912, point 99, ainsi que du 23 novembre 2017, SACE et Sace BT/Commission, C‑472/15 P, non publié, EU:C:2017:885, point 58 ainsi que jurisprudence citée).
25 À cet égard, il convient de constater que la motivation du Tribunal portant sur le système d’enregistrement du temps de travail utilisé par la requérante figure, en ce qui concerne la fiabilité de ce système, notamment aux points 77 à 97 de l’arrêt attaqué, qui doivent être lus dans leur ensemble.
26 Dès lors, le point 89 de l’arrêt attaqué, dans lequel le Tribunal a constaté que la requérante avait violé une obligation financière stipulée dans la convention Pocemon, dans la mesure où elle n’avait pas pu produire, lors de l’audit financier, des relevés de temps de travail fiables pour justifier les coûts de personnel déclarés et que le non-respect de cette obligation était un motif suffisant pour rejeter l’ensemble de ces coûts, ne pouvait être examiné de manière isolée sans tenir compte
de l’entière appréciation du Tribunal s’agissant de la fiabilité des relevés de temps de travail.
27 Dans ce contexte, il convient de relever que le Tribunal, au point 85 de l’arrêt attaqué, a jugé que « […] le système d’enregistrement du temps de travail du personnel mis en place par la requérante ne fournissait pas la certitude que seuls les frais liés à des heures effectivement ouvrées dans le cadre de l’exécution du projet Pocemon et effectuées par les personnes réalisant directement les travaux en cause étaient imputés audit projet, comme l’exige le point II.15, paragraphe 1, des
conditions générales, et que, concernant les coûts de personnel, les dépenses déclarées à la Commission dans le cadre de l’exécution de la convention Pocemon remplissaient les critères d’éligibilité énoncés au point II.14, paragraphe 1, sous a) à c), desdites conditions ».
28 En outre, au point 87 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a constaté qu’« [i]l convient de rappeler, à cet égard, qu’il revenait à la requérante de démontrer que les relevés de temps de travail fournis aux auditeurs reflétaient les heures effectivement consacrées aux projets par les personnes ayant effectué les travaux concernés, ce qu’elle s’est abstenue de faire en l’espèce, en ne fournissant aucun élément de preuve devant le Tribunal de nature à remettre en cause les conclusions de l’audit ».
29 Partant, selon le Tribunal, la requérante n’a pas présenté de relevés de temps de travail fiables apportant la certitude du caractère réel et de l’éligibilité des coûts dont elle demandait le remboursement. Le Tribunal a ainsi considéré, à bon droit, que le système d’enregistrement du temps de travail mis en place par la requérante n’était pas conforme aux conditions énoncées au point II.14, paragraphe 1, sous d), de la convention Pocemon, qu’il était insuffisant et ne permettait pas de
vérifier que les heures de travail déclarées correspondaient aux coûts que la requérante prétendait avoir supportés. Pour ces raisons, le Tribunal a conclu, à juste titre, que, dans le cadre du projet Pocemon, tous les coûts de personnel déclarés avaient été rejetés comme étant non éligibles et non remboursables.
30 En évaluant, notamment aux points 77 à 97 de l’arrêt attaqué, l’ensemble des éléments de preuve sur lesquels les constatations de l’audit financier avaient été fondées, le Tribunal, qui, par ailleurs, n’est pas obligé de se référer à chaque élément de preuve séparément, a considéré que le registre général des absences ne constitue qu’un seul élément de preuve parmi plusieurs produits afin de prouver la fiabilité du système d’enregistrement du temps de travail, et n’a pas attribué à cet
élément de preuve une importance de nature à modifier les conclusions tirées du rapport de l’audit financier.
31 Il y a également lieu de constater que la requérante n’a pas précisé de quelle manière l’élément de preuve « fichier général des absences » aurait pu remettre en cause les conclusions générales à l’égard du manque de fiabilité des relevés présentés et n’a apporté aucun élément faisant apparaître, de manière manifeste, que le Tribunal aurait ainsi dénaturé les preuves produites par elle.
32 En effet, il appartient au seul Tribunal d’apprécier les éléments de preuve produits devant lui. Or, le Tribunal ne saurait, sous réserve de l’obligation de respecter les principes généraux et les règles de procédure en matière de charge et d’administration de la preuve et de ne pas dénaturer les éléments de preuve, être tenu de motiver de manière expresse ses appréciations en ce qui concerne la valeur de chaque élément de preuve qui lui a été soumis, notamment lorsqu’il considère que
ceux-ci sont sans intérêt ou dépourvus de pertinence pour la solution du litige (voir, en ce sens, arrêt du 15 juin 2000, Dorsch Consult/Conseil et Commission, C‑237/98 P, EU:C:2000:321, points 50 et 51).
33 En outre, selon une jurisprudence constante, l’obligation de motivation qui incombe au Tribunal n’impose pas à ce dernier de fournir un exposé qui suivrait, de manière exhaustive et un par un, tous les raisonnements articulés par les parties au litige, et que la motivation du Tribunal peut donc être implicite à condition qu’elle permette aux intéressés de connaître les raisons pour lesquelles le Tribunal n’a pas fait droit à leurs arguments et à la Cour de disposer des éléments suffisants
pour exercer son contrôle (arrêt du 7 juin 2018, ANKO/Commission, C‑7/17 P, non publié, EU:C:2018:407, point 20 et jurisprudence citée).
34 En l’occurrence, le raisonnement suivi par le Tribunal, aux points 77 à 97 de l’arrêt attaqué, est, en lui-même, clair, compréhensible et de nature à motiver à suffisance la conclusion qu’il vise à étayer.
35 En conséquence, il convient de rejeter le premier moyen comme étant non fondé.
Sur le deuxième moyen, tiré d’une erreur de droit et de vices de procédure concernant l’objet et la charge de la preuve dans le cadre du recours
Argumentation des parties
36 La requérante fait valoir que les points 67 à 124 de l’arrêt attaqué, dans lesquels le Tribunal a rejeté le premier moyen de recours, sont entachés d’une part, d’un vice de procédure en ce que le Tribunal a omis de statuer sur ses arguments relatifs à la production de preuves et à la preuve contraire et, d’autre part, d’une erreur de droit en ce qui concerne la répartition de la charge de la preuve.
37 S’agissant de ce dernier grief, la requérante fait valoir que le Tribunal a, à tort, exonéré la Commission de la charge de démontrer que les éléments de preuve apportés par la requérante étaient inadéquats ou insuffisants, en jugeant que le rapport d’audit financier élaboré par la Commission suffisait à lui seul à démontrer que les dépenses de la requérante n’étaient pas éligibles. L’arrêt attaqué aurait donc écarté l’éligibilité des dépenses de la requérante au motif que celle-ci n’avait
pas « remis en cause » ce rapport d’audit financier.
38 La Commission, en revanche, est d’avis que ce moyen est non fondé.
Appréciation de la Cour
39 S’agissant de la prétendue omission du Tribunal de prendre en compte les arguments de la requérante relatifs à l’objet de la preuve et à la preuve contraire en ce qui concerne l’éligibilité de ses coûts, il suffit de constater que, conformément à la jurisprudence constante rappelée au point 33 du présent arrêt, le Tribunal a, aux points 67 à 124 de l’arrêt attaqué, indiqué les raisons pour lesquelles il a estimé que les éléments apportés par la requérante afin d’établir l’éligibilité de ses
coûts ne constituaient pas des preuves de la réalité des coûts déclarés. Par conséquent, le Tribunal n’a pas omis de statuer sur les arguments de la requérante, mais les a jugés non fondés, pour les motifs de droit et de fait exposés auxdits points de l’arrêt attaqué.
40 En ce qui concerne l’erreur prétendue de droit, relative à la répartition de la charge de la preuve, il ressort clairement des dispositions des conditions générales citées au point 57 de l’arrêt attaqué que les coûts déclarés par la requérante ne peuvent lui être remboursés qu’à la condition que celle-ci démontre leur réalité, leur lien avec la convention de subvention en cause et qu’elle justifie du respect des autres critères d’éligibilité posés par cette dernière.
41 À cet égard, le Tribunal a jugé, pour les motifs exposés aux points 67 à 124 de l’arrêt attaqué, que la requérante, notamment en n’établissant pas un système d’enregistrement des coûts de personnel suffisamment fiable et en n’accordant pas d’accès aux informations demandées par les auditeurs, avait violé ses obligations découlant des conditions générales.
42 Il s’ensuit que, le Tribunal n’ayant pas commis d’erreur de droit en ce qui concerne la répartition de la charge de la preuve, le deuxième moyen doit être rejeté comme étant non fondé.
Sur le troisième moyen, tiré d’une erreur de droit concernant la répartition de la charge de la preuve dans le cadre de la demande reconventionnelle
Argumentation des parties
43 La requérante soutient que, aux points 146 à 151 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a violé le droit et la jurisprudence de l’Union applicables en matière de répartition de la charge de la preuve dans le cadre d’une demande reconventionnelle.
44 Elle prétend que, dans la mesure où la Commission a, dans le cadre de sa demande reconventionnelle, introduit une demande autonome, le Tribunal était tenu de vérifier si la Commission avait prouvé les affirmations avancées dans cette demande selon lesquelles les dépenses n’étaient pas éligibles, ce qu’il n’a pas fait.
45 La Commission considère que ce moyen est non fondé et inopérant.
Appréciation de la Cour
46 Il y a lieu de constater que les arguments avancés par la requérante dans le cadre du présent moyen méconnaissent le lien étroit qui existe entre le recours de première instance formé par la requérante et la demande reconventionnelle introduite par la Commission.
47 En l’occurrence, le Tribunal a constaté, au point 148 de l’arrêt attaqué, que les conclusions du rapport d’audit financier ainsi que l’ensemble des données qui les étayent doivent être analysés comme des éléments de preuve, présentés et invoqués à l’appui de la demande reconventionnelle.
48 La Commission ayant étayé ses affirmations sur la base du rapport d’audit financier, il incombait à la requérante de les réfuter. Constatant qu’elle ne l’avait pas fait, le Tribunal a pu, à bon droit, accueillir la demande reconventionnelle de la Commission.
49 Il y a donc lieu de rejeter le troisième moyen comme étant non fondé.
Sur le quatrième moyen, tiré d’un vice de procédure substantiel concernant le caractère certain, liquide et exigible de la créance de la Commission
Argumentation des parties
50 Par son quatrième moyen, la requérante invoque un vice de procédure substantiel en ce qui concerne le caractère certain, liquide et exigible de la créance de la Commission, dans la mesure où le Tribunal n’a pas indiqué, aux points 154 à 157 de l’arrêt attaqué, les raisons pour lesquelles elle estime que la créance de la Commission remplit ces conditions.
51 Plus particulièrement, la requérante fait valoir qu’une créance dont l’existence et le montant précis sont contestés par le débiteur devant le Tribunal ne peut être considérée comme étant certaine qu’après une appréciation irrévocable en ce sens de celui-ci. Par conséquent, cette appréciation devrait être motivée à suffisance. Cependant, l’arrêt attaqué ne contiendrait aucune motivation cohérente et juridiquement étayée relative au caractère certain, liquide et exigible de la créance de la
Commission.
52 La Commission soutient que ce moyen est irrecevable et, en tout état de cause, non fondé et inopérant.
Appréciation de la Cour
53 Il convient de rappeler que l’article 78, paragraphe 2, du règlement financier prévoit que toute créance identifiée comme étant certaine, liquide et exigible est constatée par un ordre de recouvrement donné au comptable, suivi d’une note de débit adressée au débiteur. Le paragraphe 1 de cet article dispose que la constatation d’une créance est l’acte par lequel l’ordonnateur compétent vérifie l’existence de la dette du débiteur, détermine ou vérifie la réalité ainsi que le montant de la
dette et vérifie les conditions d’exigibilité de cette dette.
54 À cette fin, l’article 81, sous a) à c), du règlement délégué n° 1268/2012 précise que le terme « certain » signifie que la créance ne doit pas être affectée d’une condition, le terme « liquide » doit être compris en ce sens que le montant doit être déterminé en argent et avec exactitude et la notion d’« exigibilité » de la créance ne doit pas être soumise à un terme.
55 La requérante méconnaît donc la portée des termes « certain », « liquide » et « exigible » si elle les interprète en ce sens que la créance ou son montant ne doivent pas être contestés en justice par l’autre partie contractante. En effet, une telle interprétation est manifestement erronée dans la mesure où elle impliquerait l’impossibilité pour la Commission d’engager la procédure de recouvrement d’une dette si celle-ci était contestée en justice.
56 Cette argumentation est corroborée notamment par le fait qu’une compensation, en vertu de l’article 80, paragraphe 1, du règlement financier, n’est pas exclue lorsque l’une des dettes est contestée ou lorsque des négociations concernant lesdites dettes ont eu lieu entre la Commission et le débiteur. Dans le cas contraire, le débiteur pourrait retarder indéfiniment la récupération d’une dette. Dès lors, a fortiori, l’émission d’une note de débit, qui constitue une étape précédant la
compensation, ne saurait être exclue dans le cas où la dette est contestée par le débiteur.
57 Il y a donc lieu de rejeter le quatrième moyen comme étant non fondé.
58 Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que le pourvoi doit être rejeté dans son intégralité.
Sur les dépens
59 En vertu de l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure, lorsque le pourvoi n’est pas fondé, la Cour statue sur les dépens. Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du même règlement, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui-ci, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.
60 La Commission ayant conclu à la condamnation de la requérante aux dépens et celle-ci ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de condamner cette dernière aux dépens.
Par ces motifs, la Cour (dixième chambre) déclare et arrête :
1) Le pourvoi est rejeté.
2) ANKO AE Antiprosopeion, Emporiou kai Viomichanias est condamnée aux dépens.
Signatures
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* Langue de procédure : le grec.