ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)
29 novembre 2018 ( *1 )
« Pourvoi – Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises à l’encontre de la République islamique d’Iran – Gel de fonds et de ressources économiques – Annulation d’une inscription par le Tribunal – Réinscription – Motif d’inscription relatif à l’appui financier au gouvernement iranien et au concours à l’acquisition de biens et technologies interdits – Portée – Financement de projets dans le secteur pétrolier et gazier – Éléments de preuve portant une date antérieure à la
première inscription – Faits connus avant la première inscription – Article 266 TFUE – Autorité de la chose jugée – Portée – Protection juridictionnelle effective »
Dans l’affaire C‑248/17 P,
ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 11 mai 2017,
Bank Tejarat, établie à Téhéran (Iran), représentée par M. S. Zaiwalla, Mmes P. Reddy et A. Meskarian, solicitors, M. M. Brindle, QC, M. T. Otty, QC, ainsi que par M. R. Blakeley, barrister,
partie requérante,
l’autre partie à la procédure étant :
Conseil de l’Union européenne, représenté par MM. J. Kneale et M. Bishop, en qualité d’agents,
partie défenderesse en première instance,
LA COUR (quatrième chambre),
composée de M. T. von Danwitz (rapporteur), président de la septième chambre, faisant fonction de président de la quatrième chambre, Mme K. Jürimäe, MM. C. Lycourgos, E. Juhász et C. Vajda, juges,
avocat général : M. E. Tanchev,
greffier : M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,
rend le présent
Arrêt
1 Par son pourvoi, Bank Tejarat demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 14 mars 2017, Bank Tejarat/Conseil (T‑346/15, non publié, ci-après l’« arrêt attaqué », EU:T:2017:164), par lequel celui-ci a rejeté son recours tendant à l’annulation de la décision (PESC) 2015/556 du Conseil, du 7 avril 2015, modifiant la décision 2010/413/PESC du Conseil concernant des mesures restrictives à l’encontre de l’Iran (JO 2015, L 92, p. 101), et du règlement d’exécution (UE) 2015/549 du
Conseil, du 7 avril 2015, mettant en œuvre le règlement (UE) no 267/2012 concernant des mesures restrictives à l’encontre de l’Iran (JO 2015, L 92, p. 12), pour autant que ces actes la concernent (ci-après les « actes attaqués »).
Le cadre juridique
La résolution 1929 et la résolution 2231 (2015) du Conseil de sécurité des Nations unies
2 Le 9 juin 2010, le Conseil de sécurité des Nations unies a adopté la résolution 1929 (2010) (ci-après la « résolution 1929 »), destinée à élargir la portée des mesures restrictives instituées par les résolutions 1737 (2006), 1747 (2007), 1803 (2008) et à instaurer des mesures restrictives supplémentaires à l’encontre de la République islamique d’Iran. Dans cette résolution, le Conseil de sécurité des Nations unies mentionne, notamment, « le lien potentiel entre les recettes que l’Iran tire de son
secteur de l’énergie et le financement de ses activités nucléaires posant un risque de prolifération ».
3 Le 14 juillet 2015, la République islamique d’Iran, d’une part, et la République fédérale d’Allemagne, la République populaire de Chine, les États-Unis d’Amérique, la Fédération de Russie, la République française et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, ainsi que le haut représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, d’autre part, ont adopté, à Vienne (Autriche), le « Plan d’action global commun » en vue d’apporter une solution
globale de long terme à la question nucléaire iranienne (ci-après le « plan d’action global commun »).
4 Le 20 juillet 2015, le Conseil de sécurité des Nations unies a adopté la résolution 2231 (2015), par laquelle il approuve le plan d’action global commun, appelle à sa mise en œuvre intégrale conformément au calendrier qui y est établi et prévoit des actions à entreprendre conformément à ce plan.
Le droit de l’Union
5 Le 17 juin 2010, le Conseil européen a invité le Conseil de l’Union européenne à adopter des mesures mettant en œuvre celles prévues dans la résolution 1929 ainsi que des mesures d’accompagnement, en vue de contribuer à répondre, par la voie des négociations, à l’ensemble des préoccupations que continuait de susciter le développement par la République islamique d’Iran de technologies sensibles à l’appui de ses programmes nucléaire et balistique. Ces mesures devaient porter, notamment, sur le
secteur du commerce, le secteur financier, le secteur des transports iraniens et les grands secteurs de l’industrie gazière et pétrolière.
6 Le 26 juillet 2010, le Conseil de l’Union européenne a adopté la décision 2010/413/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de l’Iran et abrogeant la position commune 2007/140/PESC (JO 2010, L 195, p. 39), dont l’annexe II énumère les noms de personnes et d’entités dont les avoirs sont gelés. Le considérant 22 de cette décision se réfère à la résolution 1929 et mentionne le lien potentiel, relevé dans celle-ci, entre les recettes que la République islamique d’Iran tire de son secteur
de l’énergie et le financement de ses activités nucléaires posant un risque de prolifération.
7 Le 25 octobre 2010, le Conseil a adopté le règlement (UE) no 961/2010 concernant l’adoption de mesures restrictives à l’encontre de l’Iran et abrogeant le règlement (CE) no 423/2007 (JO 2010, L 281, p. 1), pour assurer la mise en œuvre, en ce qui concerne l’Union européenne, des mesures restrictives prévues par la décision 2010/413.
8 Le 23 janvier 2012, le Conseil a adopté la décision 2012/35/PESC modifiant la décision 2010/413 (JO 2012, L 19, p. 22). Selon le considérant 13 de cette décision, le gel des fonds et des ressources économiques devrait être appliqué à l’égard d’autres personnes et entités qui fournissent un appui au gouvernement iranien lui permettant de poursuivre des activités nucléaires posant un risque de prolifération ou la mise au point de vecteurs d’armes nucléaires, en particulier les personnes et entités
apportant un soutien financier, logistique ou matériel au gouvernement iranien.
9 Ladite décision a modifié le point b) et ajouté un point c) à l’article 20, paragraphe 1, de la décision 2010/413, qui prévoit le gel des fonds appartenant aux personnes et entités ci-après :
« b) les personnes et entités non mentionnées à l’annexe I qui participent, sont directement associées ou apportent un appui aux activités nucléaires de l’Iran posant un risque de prolifération ou à la mise au point de vecteurs d’armes nucléaires, y compris en concourant à l’acquisition des articles, biens, équipements, matières et technologies interdits [...], telles qu’énumérées à l’annexe II ;
c) les autres personnes et entités non mentionnées à l’annexe I qui fournissent un appui au gouvernement iranien et les personnes et entités qui leur sont associées, telles qu’énumérées à l’annexe II. »
10 Le 23 mars 2012, le Conseil a adopté le règlement (UE) no 267/2012 concernant l’adoption de mesures restrictives à l’encontre de l’Iran et abrogeant le règlement no 961/2010 (JO 2012, L 88, p. 1), qui met en œuvre, en ce qui concerne l’Union européenne, les mesures restrictives prévues par la décision 2012/35.
11 L’article 23, paragraphe 2, de ce règlement prévoit le gel des fonds et des ressources économiques des personnes, entités et organismes énumérés à son annexe IX, qui, conformément à l’article 20, paragraphe 1, sous b) et c), de la décision 2010/413, ont été reconnus :
« a) comme participant, étant directement associés ou apportant un appui aux activités nucléaires de l’Iran posant un risque de prolifération ou à la mise au point de vecteurs d’armes nucléaires par l’Iran, y compris en concourant à l’acquisition de biens et technologies interdits, ou appartenant à une telle personne, entité ou organisme, ou se trouvant sous son contrôle, y compris par des moyens illicites, ou agissant pour son compte ou sous son instruction.
[...]
d) comme étant d’autres personnes, entités ou organismes qui fournissent un appui au gouvernement iranien, notamment un soutien matériel, logistique ou financier, ou qui lui sont associés. »
12 La décision 2012/635/PESC du Conseil, du 15 octobre 2012, modifiant la décision 2010/413 (JO 2012, L 282, p. 58, et rectificatif JO 2013, L 251, p. 33), a modifié le libellé de l’article 20, paragraphe 1, sous c), de la décision 2010/413 comme suit :
« d’autres personnes et entités non mentionnées à l’annexe I qui fournissent un appui au gouvernement iranien et [les] entités qui sont leur propriété ou qui sont sous leur contrôle ou les personnes et entités qui leur sont associées, telles qu’énumérées à l’annexe II ».
13 Par le règlement (UE) no 1263/2012, du 21 décembre 2012, modifiant le règlement no 267/2012 (JO 2012, L 356, p. 34), le Conseil a modifié le libellé de l’article 23, paragraphe 2, sous d), de ce dernier règlement comme suit :
« comme étant d’autres personnes, entités ou organismes qui fournissent un appui, notamment matériel, logistique ou financier, au gouvernement iranien et comme des entités qu’ils ou elles détiennent ou contrôlent ou des personnes et entités qui leur sont associées ».
Les antécédents du litige
14 La requérante, Bank Tejarat, est une banque iranienne.
15 Le 23 janvier 2012, par la décision 2012/35 et le règlement d’exécution (UE) no 54/2012, du 23 janvier 2012, mettant en œuvre le règlement no 961/2010 (JO 2012, L 19, p. 1), le Conseil a inscrit le nom de la requérante sur les listes des personnes et des entités dont les avoirs sont gelés figurant, respectivement, à l’annexe II de la décision 2010/413 et à l’annexe VIII du règlement no 961/2010. Les motifs de son inscription sur ces listes étaient identiques et libellés comme suit :
« La Bank Tejarat appartient à l’État iranien. Elle a directement facilité les efforts nucléaires de l’Iran. Ainsi, en 2011, elle a permis que des dizaines de millions de dollars circulent pour appuyer les tentatives déployées par l’Organisation iranienne de l’énergie atomique, désignée par les Nations unies, pour se procurer du yellow cake (gâteau jaune). L’AEOI est la principale organisation iranienne de recherche et développement dans le domaine de la technologie nucléaire ; elle gère les
programmes de production de matière fissile.
La Bank Tejarat a également, par le passé, aidé des banques iraniennes désignées à contourner les sanctions internationales, par exemple dans des activités impliquant des sociétés écrans du Shahid Hemmat Industrial Group, désigné par les Nations unies.
Par l’intermédiaire des services financiers qu’elle a fournis ces dernières années à la Bank Mellat et à l’Export Development Bank of Iran (EDBI), désignées par l’UE, la Bank Tejarat a également soutenu les activités de filiales et de sous-unités du Corps des gardiens de la révolution islamique, de l’Organisation des industries de la défense désignée par les Nations unies et du MODAFL désigné par les Nations unies ».
16 Le 23 mars 2012, par le règlement no 267/2012, le nom de la requérante a été inscrit sur la liste figurant à l’annexe IX de ce règlement, sur la base des mêmes motifs.
17 La décision 2012/457/PESC du Conseil, du 2 août 2012, modifiant la décision 2010/413 (JO 2012, L 208, p. 18), et le règlement d’exécution (UE) no 709/2012 du Conseil, du 2 août 2012, mettant en œuvre le règlement no 267/2012 (JO 2012, L 208, p. 2, et rectificatif JO 2013, L 41, p. 14), ont modifié les motifs d’inscription de la requérante sur les listes des personnes et des entités dont les avoirs sont gelés, en précisant que « [l]a Bank Tejarat appartient pour partie à l’État iranien », le reste
de la motivation demeurant inchangé.
18 Par arrêt du 22 janvier 2015, Bank Tejarat/Conseil (T‑176/12, EU:T:2015:43), le Tribunal a annulé la décision 2012/35, le règlement d’exécution no 54/2012, le règlement no 267/2012 et le règlement d’exécution no 709/2012, pour autant qu’ils concernaient la requérante, au motif que le Conseil n’avait pas établi que la requérante avait apporté un appui à la prolifération nucléaire et aidé d’autres personnes et entités à enfreindre les mesures restrictives les visant ou à s’y soustraire. Aucun
pourvoi n’a été formé contre cet arrêt.
19 Le 7 avril 2015, le Conseil a, par les actes attaqués, réinscrit le nom de la requérante, d’une part, sur la liste des personnes et des entités dont les avoirs sont gelés figurant à l’annexe II de la décision 2010/413 et, d’autre part, sur celle figurant à l’annexe IX du règlement no 267/2012 (ci-après les « listes litigieuses »), sur le fondement de motifs libellés comme suit :
« La Bank Tejarat fournit un appui important au gouvernement iranien en mettant à disposition des moyens financiers et en finançant des services liés à des projets de développement dans le secteur pétrolier et gazier. Le secteur pétrolier et gazier constitue une source importante de financement pour le gouvernement iranien et plusieurs projets financés par la Bank Tejarat sont menés par des filiales d’entités détenues et contrôlées par le gouvernement iranien. En outre, la Bank Tejarat continue à
être partiellement détenue par le gouvernement iranien et étroitement liée à celui-ci, qui est donc en mesure d’influencer les décisions de la Bank Tejarat, notamment quant à sa participation au financement de projets que le gouvernement iranien juge hautement prioritaires.
Par ailleurs, dans la mesure où elle finance divers projets de production et de raffinage de pétrole brut qui nécessitent l’acquisition d’équipements et de technologies essentiels à ces secteurs, dont la fourniture en vue de leur utilisation en Iran est interdite, la Bank Tejarat peut être considérée comme concourant à l’acquisition de biens et de technologies interdits. »
20 Le 18 octobre 2015, dans le cadre de la mise en œuvre du plan d’action global commun, le Conseil a adopté, d’une part, la décision (PESC) 2015/1863, modifiant la décision 2010/413 (JO 2015, L 274, p. 174), qui a suspendu, à l’égard de la requérante, les mesures restrictives prévues par la décision 2010/413, ainsi que, d’autre part, le règlement d’exécution (UE) 2015/1862, mettant en œuvre le règlement no 267/2012 (JO 2015, L 274, p. 161), qui a supprimé son nom de la liste figurant à l’annexe IX
de ce dernier règlement.
21 La décision 2015/1863 et le règlement d’exécution 2015/1862 sont applicables depuis le 16 janvier 2016, en vertu, respectivement, de la décision (PESC) 2016/37 du Conseil, du 16 janvier 2016, concernant la date d’application de la décision 2015/1863 (JO 2016, L 11 I, p. 1), et des informations concernant la date d’application du règlement (UE) 2015/1861 du Conseil modifiant le règlement no 267/2012 et du règlement d’exécution 2015/1862 (JO 2016, C 15 I, p. 1).
La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué
22 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 18 juin 2015, la requérante a introduit un recours en annulation contre les actes attaqués, en invoquant sept moyens tirés, le premier, de la violation de l’article 266 TFUE, le deuxième, d’un détournement de procédure ainsi que de la violation du principe de l’autorité de la chose jugée, du principe de sécurité juridique et du caractère définitif des décisions juridictionnelles, le troisième, de la violation du principe d’effectivité et du droit à une
protection juridictionnelle effective ainsi que de la violation de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») et des articles 6 et 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la « CEDH »), le quatrième, d’un détournement de pouvoir et de la violation du principe de bonne administration, le cinquième, de la violation de ses droits fondamentaux,
notamment de son droit de propriété et du droit au respect de sa réputation, ainsi que de la violation du principe de proportionnalité, le sixième, d’une violation de l’obligation de motivation et, le septième, d’une erreur manifeste d’appréciation.
23 Le Tribunal a écarté chacun de ces moyens et a, en conséquence, rejeté le recours dans son ensemble.
Les conclusions des parties et la procédure devant la Cour
24 La requérante demande à la Cour :
– d’accueillir le pourvoi et d’annuler les deux points du dispositif de l’arrêt attaqué ;
– de faire droit à la requête dirigée contre sa réinscription ;
– d’annuler les actes attaqués dans la mesure où ils la concernent, et
– de condamner le Conseil aux dépens du pourvoi et de la procédure devant le Tribunal.
25 Le Conseil demande à la Cour :
– de rejeter le pourvoi comme étant irrecevable et, à défaut, comme étant non fondé ;
– à titre subsidiaire, si la Cour décide d’annuler l’arrêt attaqué et de rendre elle-même une décision définitive, de rejeter le recours en annulation des actes attaqués, et
– de condamner Bank Tejarat aux dépens du pourvoi.
Sur le pourvoi
Sur la recevabilité du pourvoi
Argumentation des parties
26 Le Conseil fait valoir que la requérante n’a pas d’intérêt à la solution du présent pourvoi et que celui-ci est, dès lors, irrecevable, en raison de la levée, par la décision 2015/1863 et le règlement d’exécution 2015/1862, des mesures restrictives prises à son égard ainsi que de l’absence d’atteinte portée à sa réputation par les actes attaqués.
27 La requérante soutient qu’elle a bien un intérêt à poursuivre l’annulation de l’arrêt attaqué et celle des actes attaqués, dans le cadre du recours en indemnisation qu’elle a introduit devant le Tribunal, lequel est enregistré sous la référence T‑37/17, ainsi qu’à voir reconnaître l’illégalité de ces actes et à obtenir une forme de réparation non compensatoire du préjudice causé à sa réputation.
Appréciation de la Cour
28 Il est de jurisprudence constante que l’existence d’un intérêt à agir du requérant suppose que le pourvoi soit susceptible, par son résultat, de procurer un bénéfice à la partie qui l’a intenté (arrêt du 21 décembre 2011, France/People’s Mojahedin Organization of Iran, C‑27/09 P, EU:C:2011:853, point 43 et jurisprudence citée).
29 Or, la Cour a jugé qu’une personne ou une entité dont le nom a été inscrit sur une liste de personnes et d’entités dont les avoirs sont gelés persistait à avoir un intérêt à tout le moins moral à obtenir l’annulation de cette inscription, en vue de faire reconnaître par le juge de l’Union qu’elle n’aurait jamais dû être inscrite sur une telle liste, compte tenu des conséquences sur sa réputation, y compris après que son nom a été radié de ladite liste ou que le gel de ses avoirs a été suspendu
(voir, en ce sens, arrêts du 28 mai 2013, Abdulrahim/Conseil et Commission, C‑239/12 P, EU:C:2013:331, points 70 à 72 ; du 8 septembre 2016, Iranian Offshore Engineering & Construction/Conseil, C‑459/15 P, non publié, EU:C:2016:646, point 12, ainsi que du 15 juin 2017, Al-Faqih e.a./Commission, C‑19/16 P, EU:C:2017:466, point 36).
30 Il s’ensuit que la requérante dispose d’un intérêt, à tout le moins moral, à poursuivre l’annulation de sa réinscription sur les listes litigieuses même si, d’une part, le gel de ses avoirs résultant de cette réinscription sur la liste figurant à l’annexe II de la décision 2010/413 a été suspendu et, d’autre part, son nom a été retiré de la liste figurant à l’annexe IX du règlement no 267/2012, en vertu, respectivement, de la décision 2015/1863 et du règlement d’exécution 2015/1862.
31 Le pourvoi est dès lors recevable.
Sur le fond
32 Bank Tejarat présente quatre moyens au soutien de son pourvoi.
Sur les premier et deuxième moyens
– Argumentation des parties
33 Par son premier moyen, la requérante fait valoir que le Tribunal a commis une erreur de droit dans le traitement des preuves qu’elle a fournies pour contester les motifs de sa réinscription sur les listes litigieuses, en particulier en accordant un poids insuffisant au témoignage de son directeur, aux points 84 à 86 de l’arrêt attaqué. Ce faisant, le Tribunal aurait dénaturé les éléments de preuve et créé une charge impossible à son égard, rendant la procédure inéquitable.
34 Par son deuxième moyen, qui porte sur les points 83 à 114 de l’arrêt attaqué, la requérante soutient que le Tribunal a dénaturé les éléments de preuve fournis, dont le sens était clair et a inversé la charge de la preuve, en lui imposant cette charge et en exigeant d’elle des preuves négatives. Ainsi, le Tribunal aurait ignoré la preuve déterminante que constituait le témoignage de son directeur et préféré le contenu d’articles de presse inexacts et sélectifs produits par le Conseil, dont
certains, émanant du ministère du Pétrole iranien, constituaient de la propagande. Le Tribunal se serait aussi erronément appuyé sur la participation minoritaire du gouvernement iranien dans le capital de la requérante. Le Tribunal n’aurait donc pas soumis les éléments de preuve produits par le Conseil à un contrôle complet et rigoureux.
35 Le Conseil soutient que le premier moyen n’est pas fondé. Concernant le deuxième moyen, il estime que la requérante demande en réalité à la Cour de procéder à une nouvelle appréciation des éléments de preuve et que ce moyen devrait donc être déclaré irrecevable et, subsidiairement, non fondé.
– Appréciation de la Cour
36 Par ses premier et deuxième moyens, qu’il convient d’examiner ensemble, la requérante fait valoir, en substance, que, dans le cadre de l’appréciation des motifs figurant dans les actes attaqués et notamment de sa participation au financement de divers projets dans le secteur pétrolier et gazier, le Tribunal a méconnu les règles relatives à la charge de la preuve ainsi que dénaturé les éléments de preuve.
37 Selon une jurisprudence bien établie, en cas de pourvoi, la Cour n’est pas compétente pour constater les faits ni, en principe, pour examiner les preuves que le Tribunal a retenues à l’appui de ces faits. En effet, dès lors que ces preuves ont été obtenues régulièrement, que les principes généraux du droit et les règles de procédure applicables en matière de charge et d’administration de la preuve ont été respectés, il appartient au seul Tribunal d’apprécier la valeur qu’il convient d’attribuer
aux éléments qui lui ont été soumis. Cette appréciation ne constitue donc pas, sous réserve du cas de la dénaturation des éléments de preuve produits devant le Tribunal, une question de droit soumise au contrôle de la Cour. En revanche, le pouvoir de contrôle de la Cour sur les constatations de fait opérées par le Tribunal s’étend, notamment, à la question de savoir si les règles en matière de charge et d’administration de la preuve ont été respectées (arrêts du 18 janvier 2017,
Toshiba/Commission, C‑623/15 P, non publié, EU:C:2017:21, point 39, et du 14 juin 2018, Makhlouf/Conseil, C‑458/17 P, non publié, EU:C:2018:441, point 57).
38 En ce qui concerne la question de savoir si le Tribunal a méconnu les règles relatives à la charge de la preuve en matière de mesures restrictives, il convient de rappeler que, lors du contrôle de ces mesures, les juridictions de l’Union doivent, conformément aux compétences dont elles sont investies en vertu des traités, assurer un contrôle, en principe complet, de la légalité de l’ensemble des actes de l’Union (voir, en ce sens, arrêts du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi,
C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 97 ; du 28 novembre 2013, Conseil/Fulmen et Mahmoudian, C‑280/12 P, EU:C:2013:775, point 58, ainsi que du 28 mars 2017, Rosneft, C‑72/15, EU:C:2017:236, point 106).
39 L’effectivité du contrôle juridictionnel garanti par l’article 47 de la Charte exige que, au titre du contrôle de la légalité des motifs sur lesquels est fondée la décision d’inscrire le nom d’une personne sur la liste des personnes faisant l’objet de mesures restrictives, le juge de l’Union s’assure que cette décision, qui revêt une portée individuelle pour cette personne, repose sur une base factuelle suffisamment solide. Cela implique, en l’espèce, une vérification des faits allégués dans
l’exposé des motifs qui sous-tend les actes attaqués, de sorte que le contrôle juridictionnel ne soit pas limité à l’appréciation de la vraisemblance abstraite des motifs invoqués, mais porte sur le point de savoir si ces motifs, ou, à tout le moins, l’un d’eux considéré comme suffisant en soi pour soutenir lesdits actes, sont étayés (voir, en ce sens, arrêts du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 119 ; du 18 juin 2015, Ipatau/Conseil,
C‑535/14 P, EU:C:2015:407, point 42, ainsi que du 18 février 2016, Conseil/Bank Mellat, C‑176/13 P, EU:C:2016:96, point 109). En outre, c’est à l’autorité compétente de l’Union qu’il appartient, en cas de contestation, d’établir le bien-fondé des motifs retenus à l’encontre de la personne concernée, et non à cette dernière d’apporter la preuve négative de l’absence de bien-fondé desdits motifs (arrêts du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518,
point 121, ainsi que du 28 novembre 2013, Conseil/Fulmen et Mahmoudian, C‑280/12 P, EU:C:2013:775, point 66).
40 En l’espèce, pour établir le bien-fondé des motifs figurant dans les actes attaqués, le Conseil a notamment produit, outre la proposition d’un État membre, une série de documents publics, tels que plusieurs articles de presse énumérés au point 65 de l’arrêt attaqué ainsi que le rapport annuel de la requérante pour l’année 2014 cité au point 108 de cet arrêt. Sur la base de ces documents, le Tribunal a examiné, de manière concrète, aux points 87 à 89, 107 à 109, 111 et 112 de l’arrêt attaqué, si
lesdits motifs étaient suffisamment étayés par le Conseil, tout en prenant en considération les arguments présentés par la requérante à l’appui des pièces qu’elle a fournies, à savoir le témoignage de son directeur et plusieurs documents internes.
41 Ainsi, il y a lieu de considérer que le Tribunal a examiné l’ensemble des documents produits et des arguments avancés tant par le Conseil que par la requérante. Or, en estimant que les éléments apportés par cette dernière n’étaient pas de nature à infirmer les conclusions tirées par le Conseil de ces éléments de preuve, le Tribunal n’a nullement inversé la charge de la preuve ni imposé à la requérante de fournir une preuve négative.
42 Par ailleurs, l’affirmation du Tribunal, aux points 110 et 114 de l’arrêt attaqué, selon laquelle le Conseil a pu, sans commettre d’erreur de fait ni d’« erreur manifeste d’appréciation », constater que la requérante finançait divers projets dans le secteur pétrolier et gazier, repose, ainsi qu’il ressort des points 85 à 109 de l’arrêt attaqué, sur la vérification, par le Tribunal, de la véracité des faits allégués dans les motifs des actes attaqués ainsi que sur l’exercice d’un contrôle complet
auquel il est tenu conformément à la jurisprudence citée aux points 38 et 39 du présent arrêt.
43 Dans ces conditions, l’argument de la requérante pris d’une méconnaissance et d’une inversion de la charge de la preuve revient, en réalité, à contester l’appréciation, par le Tribunal, des faits et des éléments de preuve ainsi que de la valeur qu’il a attribuée à ces éléments. Or, cette appréciation, en vertu de la jurisprudence citée au point 37 du présent arrêt, ne relève pas du contrôle de la Cour, sous réserve du cas de la dénaturation de ces éléments.
44 S’agissant de la dénaturation des éléments de preuve invoquée, il y a lieu de rappeler qu’une telle dénaturation existe lorsque, sans avoir recours à de nouveaux éléments de preuve, l’appréciation des éléments de preuve existants apparaît manifestement erronée. Toutefois, cette dénaturation doit ressortir de façon manifeste des pièces du dossier, sans qu’il soit nécessaire de procéder à une nouvelle appréciation des faits et des preuves (arrêt du 7 avril 2016, Akhras/Conseil, C‑193/15 P,
EU:C:2016:219, point 68 et jurisprudence citée). Par ailleurs, lorsqu’un requérant allègue une dénaturation d’éléments de preuve, il doit indiquer de façon précise les éléments qui auraient été dénaturés par le Tribunal et démontrer les erreurs d’analyse qui, dans son appréciation, auraient conduit celui-ci à cette dénaturation (arrêts du 3 décembre 2015, Italie/Commission, C‑280/14 P, EU:C:2015:792, point 52, et du 19 octobre 2017, Yanukovych/Conseil, C‑598/16 P, non publié, EU:C:2017:786,
point 46 ainsi que jurisprudence citée).
45 En l’occurrence, en ce qui concerne les constatations relatives au témoignage du directeur de la requérante, figurant aux points 83 à 86 de l’arrêt attaqué, ainsi que celles fondées sur ce témoignage, il y a lieu de relever que la requérante n’a aucunement démontré que ces constatations constitueraient une erreur d’analyse du Tribunal conduisant à une dénaturation. En outre, aucune dénaturation ne ressort manifestement des articles de presse visés aux points 88 et 89 de l’arrêt attaqué, ni des
constatations de nature factuelle du Tribunal figurant aux points 91 à 112 de l’arrêt attaqué. Au contraire, ces constatations montrent que le Tribunal a bien pris en compte le témoignage du directeur de la requérante, tout en précisant les raisons pour lesquelles ce témoignage, auquel il convenait de reconnaître une faible valeur probante, ne permettait pas d’infirmer la conclusion, exposée au point 89 de l’arrêt attaqué, tirée des documents présentés par le Conseil.
46 La requérante laisse encore entendre que le Tribunal a dénaturé ledit témoignage, en estimant qu’il ne saurait être qualifié de différent et d’indépendant du sien et qu’il disposerait d’une faible valeur probante au motif qu’il a été effectué à la demande de celle-ci pour les besoins du recours de première instance et qu’il émane d’une personne exerçant les fonctions de directeur de cette dernière. Or, cette allégation ne vise pas à établir une dénaturation d’un élément de preuve mais à contester
l’appréciation des faits et des preuves par le Tribunal, ce qui n’est pas recevable au stade du pourvoi.
47 Il s’ensuit qu’il y a lieu de rejeter les premier et deuxième moyens du pourvoi.
Sur le troisième moyen
– Argumentation des parties
48 Par son troisième moyen, qui se divise en deux branches, la requérante soutient que le Tribunal a erronément jugé que les motifs contestés à la base de sa réinscription sur les listes litigieuses, même à les supposer étayés, remplissaient les critères d’inscription.
49 Dans le cadre de la première branche, la requérante fait valoir que le Tribunal a commis une erreur de droit, aux points 128 et 129 de l’arrêt attaqué, en estimant qu’elle fournissait un appui financier direct au gouvernement iranien et que, par conséquent, le critère prévu à l’article 20, paragraphe 1, sous c), de la décision 2010/413 et à l’article 23, paragraphe 2, sous d), du règlement no 267/2012, qui exigeait un tel appui, était satisfait. Or, les allégations avancées par le Conseil
auraient tout au plus exprimé qu’il s’agissait d’un soutien financier indirect, puisqu’il lui était reproché de mettre à disposition des moyens financiers et de financer des services liés à des projets de développement dans le secteur pétrolier et gazier, dont certains menés par des filiales d’entités contrôlées par le gouvernement iranien.
50 Dans le cadre de la seconde branche, la requérante avance que le Tribunal a commis une erreur de droit en décidant, au point 133 de l’arrêt attaqué, qu’elle concourait directement à l’acquisition de biens et de technologies interdits et que le critère prévu à l’article 20, paragraphe 1, sous b), de la décision 2010/413 et à l’article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement no 267/2012 était rempli, alors qu’elle n’était engagée d’aucune façon dans une quelconque acquisition de ces biens ou
technologies.
51 Le Conseil soutient que le troisième moyen n’est pas fondé. La requérante estimerait à tort, s’agissant du critère relatif à l’appui financier au gouvernement iranien, que seul un appui direct permettrait de justifier l’inscription d’une entité sur les listes litigieuses, notamment au regard de l’objectif poursuivi par la décision 2010/413 et le règlement no 267/2012. Concernant le critère relatif à l’acquisition de biens et de technologies interdits, celui-ci exigerait simplement un concours de
la personne ou de l’entité à cette acquisition.
– Appréciation de la Cour
52 En ce qui concerne la première branche du troisième moyen, il convient de relever que le Tribunal a rappelé, à juste titre, au point 122 de l’arrêt attaqué, que le critère de l’appui au gouvernement iranien figurant à l’article 20, paragraphe 1, sous c), de la décision 2010/413, telle que modifiée par la décision 2012/635, et à l’article 23, paragraphe 2, sous d), du règlement no 267/2012, tel que modifié par le règlement no 1263/2012, doit être compris en ce sens qu’il vise des activités propres
à la personne ou à l’entité concernée et qui, même si elles n’ont, en tant que telles, aucun lien direct ou indirect avec la prolifération nucléaire, sont cependant susceptibles de favoriser celle-ci, en fournissant au gouvernement iranien des ressources ou des facilités d’ordre matériel, financier ou logistique lui permettant de poursuivre les activités de prolifération (voir, en ce sens, arrêts du 1er mars 2016, National Iranian Oil Company/Conseil, C‑440/14 P, EU:C:2016:128, points 80 et 81,
ainsi que du 7 avril 2016, Central Bank of Iran/Conseil, C‑266/15 P, EU:C:2016:208, point 44).
53 Ainsi qu’il ressort des points 81 et 82 de l’arrêt du 1er mars 2016, National Iranian Oil Company/Conseil (C‑440/14 P, EU:C:2016:128), ce critère tient compte du « lien potentiel entre les recettes que l’Iran tire de son secteur de l’énergie et le financement de ses activités nucléaires posant un risque de prolifération », relevé notamment dans la résolution 1929 et au considérant 22 de la décision 2010/413, en vue de porter atteinte au financement du programme nucléaire iranien par le
gouvernement iranien. Le lien entre le secteur de l’énergie et la prolifération nucléaire est ainsi établi par le législateur de l’Union lui-même.
54 En outre, il ressort de la jurisprudence de la Cour que ce critère, lu à la lumière des objectifs poursuivis par le Conseil, vise les formes d’appui au gouvernement iranien qui, par leur importance quantitative ou qualitative, contribuent à la poursuite des activités nucléaires iraniennes (voir, en ce sens, arrêt du 1er mars 2016, National Iranian Oil Company/Conseil, C‑440/14 P, EU:C:2016:128, point 83, et ordonnance du 4 avril 2017, Sharif University of Technology/Conseil, C‑385/16 P, non
publiée, EU:C:2017:258, point 64).
55 Dans ces conditions, au regard de l’objectif rappelé au point 52 du présent arrêt, la question qui importe est celle de savoir si l’activité propre à la personne ou à l’entité concernée est susceptible de favoriser la prolifération nucléaire, par son importance quantitative ou qualitative, en fournissant au gouvernement iranien des ressources ou des facilités d’ordre matériel, financier ou logistique lui permettant de poursuivre les activités de prolifération.
56 Or, en l’occurrence, ainsi qu’il ressort des points 125 à 128 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a relevé, sur la base de ses constatations factuelles, que la requérante avait participé au financement de plusieurs projets de grande ampleur dans le secteur pétrolier et gazier en Iran, visant à rénover certaines installations ou à en créer de nouvelles, dont certains augmenteraient de manière significative la capacité de production et de raffinage de pétrole brut de ces installations, et donc de la
République islamique d’Iran. La requérante n’a pas contesté, devant le Tribunal, l’importance quantitative de cette participation.
57 Il s’ensuit que, eu égard à l’activité financière de la requérante, consistant à financer des projets de grande ampleur dans un secteur pour lequel le lien avec la prolifération nucléaire est établi par la réglementation applicable, le Tribunal n’a pas commis d’erreur de droit en estimant que celle-ci fournissait un appui au gouvernement iranien, de sorte que le critère figurant à l’article 20, paragraphe 1, sous c), de la décision 2010/413, telle que modifiée par la décision 2012/635 et à
l’article 23, paragraphe 2, sous d), du règlement no 267/2012, tel que modifié par le règlement no 1263/2012, était rempli. Ainsi, la question de savoir si un tel appui doit être qualifié de direct ou d’indirect est, en l’espèce, dépourvue de pertinence.
58 Dans ces conditions, en tant que les actes attaqués ont réinscrit le nom de la requérante sur les listes litigieuses au motif qu’elle fournit un appui au gouvernement iranien, le dispositif de l’arrêt attaqué doit être considéré comme étant fondé.
59 S’agissant de la seconde branche du troisième moyen du pourvoi, il convient de relever qu’elle vise à établir que le Tribunal a commis une erreur de droit en estimant que le motif d’inscription, selon lequel la requérante peut être considérée comme concourant à l’acquisition de biens et de technologies interdits, remplissait le critère prévu à l’article 20, paragraphe 1, sous b), de la décision 2010/413 et à l’article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement no 267/2012.
60 Or, selon la jurisprudence de la Cour, s’agissant du contrôle de la légalité d’une décision adoptant des mesures restrictives, eu égard à leur nature préventive, si le juge de l’Union considère que, à tout le moins, l’un des motifs mentionnés est suffisamment précis et concret, qu’il est étayé et qu’il constitue en soi une base suffisante pour soutenir cette décision, la circonstance que d’autres de ces motifs ne le seraient pas ne saurait justifier l’annulation de ladite décision (arrêt du
28 novembre 2013, Conseil/Manufacturing Support & Procurement Kala Naft, C‑348/12 P, EU:C:2013:776, point 72 ainsi que jurisprudence citée).
61 À cet égard, dès lors que, ainsi qu’il résulte du point 58 du présent arrêt, le dispositif de l’arrêt attaqué doit être considéré comme étant fondé dans la mesure où les actes attaqués ont réinscrit le nom de la requérante sur les listes litigieuses au motif qu’elle fournit un appui au gouvernement iranien, une erreur du Tribunal quant au motif relatif à l’acquisition de biens et de technologies interdits, à la supposer avérée, ne saurait entraîner l’annulation des actes attaqués, si bien que la
seconde branche du troisième moyen du pourvoi doit être écartée comme étant inopérante.
62 Eu égard à ce qui précède, il y a lieu de rejeter le troisième moyen du pourvoi.
Sur le quatrième moyen
– Argumentation des parties
63 Par son quatrième moyen, la requérante fait valoir que le Tribunal a commis une erreur de droit en jugeant que le Conseil pouvait adopter une décision de réinscription sur les listes litigieuses sur la base de motifs se référant à un comportement ancien et non à un comportement nouveau ou nouvellement découvert, alors que ces motifs auraient pu et dû être invoqués dans le cadre de sa première inscription. Lors de la réinscription d’une personne ou d’une entité sur les listes de personnes et
d’entités visées par des mesures restrictives, le Conseil ne saurait se borner à modifier les motifs servant de fondement à son inscription initiale sur de telles listes. Le Tribunal aurait ainsi estimé à tort, en particulier aux points 31, 32, 36 à 40, 45, 47 et 145 de l’arrêt attaqué, que le Conseil n’avait pas violé l’article 266 TFUE ainsi que les principes de l’autorité de la chose jugée, de sécurité juridique et du caractère définitif des décisions juridictionnelles, mais également le droit
à une protection juridictionnelle effective et le principe d’effectivité, les droits conférés par l’article 47 de la Charte et les articles 6 et 13 de la CEDH ainsi que ses droits à une bonne administration.
64 La requérante ajoute que sa réinscription sur les listes litigieuses revient, en violation de l’article 266 TFUE, à remplacer l’inscription initiale, contrairement à ce qu’a jugé le Tribunal. En outre, le Tribunal aurait dû conclure que le comportement du Conseil avait contourné et privé de tout effet utile l’arrêt du 22 janvier 2015, Bank Tejarat/Conseil (T‑176/12, EU:T:2015:43), rendant le recours en annulation inefficace et vain en pratique et constituant un abus de procédure. La requérante
allègue en outre que, en violation de l’article 41 de la Charte, sa situation n’a pas été traitée de manière impartiale, équitable et dans un délai raisonnable, la procédure de réinscription ne pouvant être séparée des inscriptions qui l’ont précédée. La requérante fait enfin valoir que, dès lors que ces droits et principes ne sont pas respectés, sa réinscription viole ses droits fondamentaux, en particulier son droit de propriété ainsi que le principe de proportionnalité.
65 Le Conseil estime, au contraire, qu’il n’était pas tenu, au moment de l’inscription initiale de la requérante, d’invoquer l’ensemble des critères d’inscription et des motifs susceptibles d’être retenus et que, à la suite d’un arrêt annulant une décision d’inscription initiale, il lui est possible d’adopter une décision de réinscription pour autant que cette nouvelle décision ne soit pas entachée des mêmes vices de fond ou de procédure que ceux révélés dans cet arrêt.
– Appréciation de la Cour
66 Dans le cadre du quatrième moyen du pourvoi, la violation des différents principes du droit de l’Union et droits fondamentaux invoquée par la requérante repose, en substance, sur l’argument selon lequel le Tribunal a commis une erreur de droit en considérant qu’une entité ayant obtenu l’annulation de mesures restrictives prises à son encontre pouvait faire l’objet d’une réinscription sur une liste d’entités dont les avoirs sont gelés, dès lors que les allégations contenues dans le nouvel exposé
des motifs ne se réfèrent pas à un comportement nouveau, ou nouvellement découvert, et auraient donc dû être avancées lors de la première inscription de cette entité.
67 Tout d’abord, en vertu de l’article 266 TFUE, l’institution dont émane l’acte annulé est tenue de prendre les mesures que comporte l’exécution de l’arrêt annulant cet acte.
68 Selon cette disposition, dans l’hypothèse où un acte est annulé ou invalidé, les institutions dont émane cet acte sont uniquement tenues de prendre les mesures qu’implique l’exécution de cet arrêt. Par conséquent, les institutions disposent d’un large pouvoir d’appréciation pour décider des moyens à mettre en œuvre pour remédier à l’illégalité constatée, étant entendu que ces moyens doivent être compatibles avec le dispositif de l’arrêt en cause et les motifs qui en constituent le soutien
nécessaire (voir, en ce sens, arrêts du 28 janvier 2016, CM Eurologistik et GLS, C‑283/14 et C‑284/14, EU:C:2016:57, points 75 et 76, ainsi que du 15 mars 2018, Deichmann, C‑256/16, EU:C:2018:187, point 87).
69 Cela étant, l’article 266 TFUE n’apporte pas, en tant que tel, de réponse à la question de savoir s’il reste loisible au Conseil de procéder à une réinscription sur la base de motifs autres que ceux figurant dans les actes annulés. En revanche, cette question, qui nécessite de déterminer si l’arrêt d’annulation limite la faculté du Conseil d’adopter des actes de réinscription, peut être appréciée à l’aune du principe de l’autorité de la chose jugée.
70 Quant à ce principe, il convient de rappeler que les arrêts d’annulation prononcés par les juridictions de l’Union jouissent, dès qu’ils sont devenus définitifs, de l’autorité de la chose jugée. Celle-ci recouvre non seulement le dispositif de l’arrêt d’annulation, mais aussi les motifs qui constituent le soutien nécessaire du dispositif et en sont, de ce fait, indissociables (voir, en ce sens, arrêt du 15 novembre 2012, Al-Aqsa/Conseil et Pays-Bas/Al-Aqsa, C‑539/10 P et C‑550/10 P,
EU:C:2012:711, point 49 ainsi que jurisprudence citée).
71 Or, il est de jurisprudence constante que l’autorité de la chose jugée ne s’attache qu’aux points de fait et de droit qui ont été effectivement ou nécessairement tranchés par une décision juridictionnelle (arrêts du 29 mars 2011, ThyssenKrupp Nirosta/Commission, C‑352/09 P, EU:C:2011:191, point 123, ainsi que du 13 septembre 2017, Pappalardo e.a./Commission, C‑350/16 P, EU:C:2017:672, point 37).
72 En l’occurrence, dans l’arrêt du 22 janvier 2015, Bank Tejarat/Conseil (T‑176/12, EU:T:2015:43), le Tribunal a annulé l’inscription initiale de la requérante en considérant, au point 60 de cet arrêt, que les allégations invoquées par le Conseil n’étaient pas susceptibles de justifier qu’elle avait apporté un appui à la prolifération nucléaire ou aidé d’autres personnes et entités à enfreindre les mesures restrictives les visant ou à s’y soustraire. Dans la procédure ayant donné lieu audit arrêt,
ainsi qu’il ressort des points 40 et 41 de cet arrêt, le Conseil n’avait produit, pour établir le bien-fondé des mesures restrictives visant la requérante, outre la proposition d’un État membre, qu’une lettre émanant de la requérante ainsi que son annexe.
73 C’est donc en raison de l’insuffisance des éléments fournis par le Conseil afin d’étayer leur base factuelle que les actes du Conseil ont été annulés par ledit arrêt. Il ne saurait être inféré d’une telle constatation, à laquelle s’attache l’autorité de la chose jugée selon la jurisprudence citée au point 71 du présent arrêt, que le Conseil ne pouvait, par la suite, retenir d’autres éléments de preuve destinés à attester la véracité des motifs invoqués, ou qu’il ne pourrait jamais démontrer que
la requérante apporte un appui à la prolifération nucléaire ou aide d’autres personnes et entités à enfreindre les mesures restrictives les visant ou à s’y soustraire.
74 Or, il convient de constater que la réinscription de la requérante sur les listes litigieuses, par les actes attaqués, est fondée sur des critères d’inscription différents de ceux qui se trouvaient à la base de son inscription initiale, laquelle a été annulée par l’arrêt du 22 janvier 2015, Bank Tejarat/Conseil (T‑176/12, EU:T:2015:43), et, partant, sur un fondement juridique différent, ainsi que l’a jugé le Tribunal au point 36 de l’arrêt attaqué. En outre, les exposés des motifs figurant dans
les actes attaqués et dans les actes ayant procédé à l’inscription initiale de la requérante ainsi que les éléments de preuve soumis au Tribunal ne sont pas les mêmes.
75 La requérante fait toutefois valoir que, dans la mesure où des éléments factuels sur lesquels le Conseil a fondé sa décision de la réinscrire sur les listes litigieuses étaient déjà disponibles lors de son inscription initiale, le Conseil avait l’obligation d’épuiser l’ensemble des éléments à sa disposition et des qualifications juridiques susceptibles de justifier l’imposition de mesures restrictives à son encontre, à l’occasion de cette première inscription.
76 À cet égard, il suffit de relever que ce grief ne peut aboutir à constater une violation du principe de l’autorité de la chose jugée dès lors que, par hypothèse, lesdits éléments et qualifications juridiques n’ayant pas été pris en compte par la décision revêtue de l’autorité de la chose jugée, ils ne peuvent constituer des points de droit ou de fait effectivement ou nécessairement tranchés par ladite décision au sens de la jurisprudence citée au point 71 du présent arrêt.
77 Il résulte de ce qui précède que c’est sans commettre d’erreur de droit que le Tribunal a jugé que le Conseil n’a pas violé l’autorité de la chose jugée attachée à l’arrêt du 22 janvier 2015, Bank Tejarat/Conseil (T‑176/12, EU:T:2015:43), en adoptant les actes attaqués sur la base de motifs relatifs à l’appui au gouvernement iranien, rappelés au point 19 du présent arrêt.
78 En ce qui concerne le principe de sécurité juridique, il convient de relever que, dans son pourvoi, la requérante n’apporte pas d’argument précis en vue de soutenir que ce principe accorderait, en l’espèce, une protection plus étendue que celle résultant du principe de l’autorité de la chose jugée à une personne ou à une entité ayant obtenu l’annulation de son inscription sur une liste de personnes et d’entités dont les avoirs sont gelés, contre l’adoption de nouvelles mesures restrictives
fondées sur d’autres critères d’inscription ou motifs.
79 S’agissant du principe de protection juridictionnelle effective, celui-ci constitue un principe général du droit, qui est à présent affirmé à l’article 47 de la Charte. Cet article assure, dans le droit de l’Union, la protection conférée par l’article 6, paragraphe 1, et l’article 13 de la CEDH (arrêt du 16 mai 2017, Berlioz Investment Fund, C‑682/15, EU:C:2017:373, point 54 et jurisprudence citée). Ledit article 47 exige, à son premier alinéa, que toute personne dont les droits et les libertés
garantis par le droit de l’Union ont été violés ait droit à un recours effectif devant un tribunal dans le respect des conditions prévues à cet article.
80 Or, le principe de protection juridictionnelle effective ne saurait empêcher le Conseil de réinscrire une personne ou une entité sur les listes de personnes et d’entités dont les avoirs sont gelés, sur la base d’autres motifs que ceux sur lesquels reposait l’inscription initiale de cette personne ou de cette entité. En effet, ce principe vise à garantir qu’un acte faisant grief puisse être attaqué devant le juge et non à ce qu’un nouvel acte faisant grief, fondé sur des motifs différents, ne
puisse être adopté.
81 Ainsi que l’a déjà jugé la Cour, lorsque la décision d’une institution de l’Union faisant l’objet d’un recours est annulée, celle-ci est censée n’avoir jamais existé et cette institution, qui entend prendre une nouvelle décision, peut procéder à un réexamen complet et invoquer des motifs autres que ceux sur lesquels était fondée la décision annulée (voir, par analogie, arrêt du 6 mars 2003, Interporc/Commission, C‑41/00 P, EU:C:2003:125, point 31).
82 Dans ces conditions, une illégalité telle que celle constatée par le Tribunal dans l’arrêt du 22 janvier 2015, Bank Tejarat/Conseil (T‑176/12, EU:T:2015:43), à l’occasion de la première inscription de la requérante sur les listes de personnes et d’entités dont les avoirs sont gelés, n’est pas de nature à empêcher le Conseil, à la suite d’un réexamen de la situation de celle-ci, d’adopter de nouvelles mesures restrictives sur la base d’éléments factuels déjà existants ou disponibles.
83 Il convient également de relever que, dans le cadre de la procédure ayant donné lieu à l’arrêt du 22 janvier 2015, Bank Tejarat/Conseil (T‑176/12, EU:T:2015:43), lequel est devenu définitif, la requérante a sollicité et obtenu l’annulation des mesures restrictives adoptées en 2012, lesquelles ont donc été éliminées de l’ordre juridique de l’Union, comme l’a constaté le Tribunal au point 45 de l’arrêt attaqué. Il s’ensuit que la requérante peut invoquer cet arrêt à l’appui du recours en
indemnisation qu’elle a introduit devant le Tribunal, lequel est enregistré sous la référence T‑37/17. En outre, la requérante dispose de la faculté, dont elle s’est saisie, d’introduire un nouveau recours devant le juge de l’Union pour contrôler la légalité d’une décision de réinscription en vue d’être, le cas échéant, rétablie dans sa position initiale, ainsi que d’obtenir une indemnisation.
84 Il s’ensuit que, en l’espèce, le Tribunal n’a pas commis d’erreur de droit en estimant que l’adoption des actes attaqués ne constituait pas une violation du principe de protection juridictionnelle effective, ainsi qu’il ressort du point 47 de l’arrêt attaqué.
85 Par ailleurs, la requérante n’a pas apporté d’éléments de nature à démontrer une violation du principe de bonne administration, lequel est consacré à l’article 41 de la Charte (voir, en ce sens, arrêts du 8 mai 2014, N., C‑604/12, EU:C:2014:302, point 49, ainsi que du 17 juillet 2014, YS e.a., C‑141/12 et C‑372/12, EU:C:2014:2081, point 68). En effet, le droit de toute personne à voir ses affaires traitées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable par les institutions de l’Union
lors de l’adoption d’une mesure individuelle qui l’affecterait défavorablement, qui résulte de ce principe, ne vise pas à garantir que le Conseil n’adoptera pas, pour l’avenir, de nouvelles mesures restrictives fondées sur des motifs différents.
86 La requérante n’a pas non plus fourni d’éléments de nature à établir un détournement de pouvoir commis par le Conseil. Selon la jurisprudence de la Cour, un acte n’est entaché de détournement de pouvoir que s’il apparaît, sur la base d’indices objectifs, pertinents et concordants, qu’il a été pris exclusivement, ou à tout le moins de manière déterminante, à des fins autres que celles pour lesquelles le pouvoir en cause a été conféré ou dans le but d’éluder une procédure spécialement prévue par
les traités pour parer aux circonstances de l’espèce (arrêt du 28 mars 2017, Rosneft, C‑72/15, EU:C:2017:236, point 135 et jurisprudence citée). En outre, le Tribunal a constaté, au point 144 de l’arrêt attaqué, que la réinscription de la requérante sur les listes litigieuses visait à la mise en œuvre des objectifs poursuivis par les dispositions de la décision 2010/413 et du règlement no 267/2012. Ainsi, le Tribunal a rejeté à bon droit, au point 146 de l’arrêt attaqué, le moyen tiré d’un
détournement de pouvoir et de la violation du principe de bonne administration.
87 Enfin, la requérante soutient que, dès lors que les principes et les droits qu’elle a invoqués au soutien de son quatrième moyen ne seraient pas respectés, sa réinscription sur les listes litigieuses violerait ses droits fondamentaux, notamment son droit de propriété ainsi que le principe de proportionnalité. Or, il ressort des considérations qui précèdent que les droits et principes invoqués par la requérante n’ont pas été violés. Au demeurant, la requérante ne critique pas les points 147 à 165
de l’arrêt attaqué, par lesquels le Tribunal a rejeté son moyen tiré de ce que la décision du Conseil de la réinscrire sur les listes litigieuses constituait une violation de ses droits fondamentaux, notamment de son droit de propriété et du principe de proportionnalité.
88 Compte tenu de ce qui précède, il convient de rejeter le quatrième moyen du pourvoi ainsi que le présent pourvoi dans son intégralité.
Sur les dépens
89 En vertu de l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, lorsque le pourvoi n’est pas fondé, cette dernière statue sur les dépens. L’article 138, paragraphe 1, du même règlement, rendu applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui-ci, dispose que toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.
90 Le Conseil ayant conclu à la condamnation de la requérante et celle-ci ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par le Conseil.
Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) déclare et arrête :
1) Le pourvoi est rejeté.
2) Bank Tejarat est condamnée à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par le Conseil de l’Union européenne.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : l’anglais.