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13/06/2019 | CJUE | N°C-364/18

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général M. M. Campos Sánchez-Bordona, présentées le 13 juin 2019., Eni SpA contre Ministero dello Sviluppo Economico et Ministero dell’Economia e delle Finanze et Shell Italia E & P SpA contre Ministero dello Sviluppo Economico e.a., 13/06/2019, C-364/18


CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. CAMPOS SÁNCHEZ-BORDONA

présentées le 13 juin 2019 ( 1 )

Affaires jointes C‑364/18 et C‑365/18

Eni SpA

contre

Ministero dello Sviluppo Economico,

Ministero dell’Economia e delle Finanze

en présence de

Autorità di Regolazione per l’Energia, Reti e Ambiente,

Regione Basilicata,

Comune di Viggiano,

Regione Calabria,

Comune di Ravenna,

et autres,

Assomineraria

[demande de décision pré

judicielle formée par le Tribunale amministrativo regionale per la Lombardia (tribunal administratif régional pour la Lombardie, Italie)]

et

Shell Italia E &a...

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. CAMPOS SÁNCHEZ-BORDONA

présentées le 13 juin 2019 ( 1 )

Affaires jointes C‑364/18 et C‑365/18

Eni SpA

contre

Ministero dello Sviluppo Economico,

Ministero dell’Economia e delle Finanze

en présence de

Autorità di Regolazione per l’Energia, Reti e Ambiente,

Regione Basilicata,

Comune di Viggiano,

Regione Calabria,

Comune di Ravenna,

et autres,

Assomineraria

[demande de décision préjudicielle formée par le Tribunale amministrativo regionale per la Lombardia (tribunal administratif régional pour la Lombardie, Italie)]

et

Shell Italia E & P SpA

contre

Ministero dello Sviluppo Economico,

Ministero dell’Economia e delle Finanze,

Autorità di Regolazione per l’Energia, Reti e Ambiente

en présence de

Regione Basilicata,

Comune di Viggiano,

Comune di Montemurro,

Comune di Grumento Nova,

Comune di Marisco Nuovo,

Comune di Marsicovetere,

Comune di Calvello,

Assomineraria

[demande de décision préjudicielle formée par le Tribunale amministrativo regionale per la Lombardia (tribunal administratif régional pour la Lombardie, Italie)]

« Renvoi préjudiciel – Directive 94/22/CE – Énergie – Conditions d’octroi et d’exercice des autorisations de prospecter, d’exploiter et d’extraire des hydrocarbures – Redevances dues pour les concessions de gaz naturel – Calcul des redevances – Indices QE et Pfor – Caractère discriminatoire »

1.  Le présent renvoi préjudiciel offre à la Cour l’occasion de se prononcer sur l’application de la directive 94/22/CE ( 2 ) aux redevances (royalties) que les États membres peuvent exiger des entreprises titulaires d’autorisations ( 3 ) de prospection, d’exploitation et d’extraction de gaz naturel. Lesdites redevances constituent, en réalité, la contrepartie que les entreprises payent à l’État pour l’accès et l’exploitation de ressources de l’État comme les hydrocarbures, en général, et le gaz
naturel, en particulier.

2.  Concrètement, il s’agit, ici, d’établir si la directive 94/22 permet aux États membres d’utiliser un certain indice de référence (appelé « indice QE ») pour calculer le montant de la redevance, en lieu et place d’un autre qui serait aligné sur le prix du marché du gaz naturel.

I. Le cadre juridique

A.   Le droit de l’Union

1. La directive 94/22

3. En vertu des quatrième, sixième, septième et huitième considérants :

« considérant que les États membres possèdent la souveraineté et des droits souverains sur les ressources en hydrocarbures situées sur leur territoire ;

[...]

considérant qu’il y a lieu d’assurer l’accès non discriminatoire aux activités de prospection, d’exploration et d’extraction des hydrocarbures, et leur exercice, dans des conditions qui favorisent une plus grande concurrence dans ce secteur et, par‑là, de favoriser les meilleures méthodes possibles pour prospecter, exploiter et extraire les ressources des États membres et de renforcer l’intégration du marché intérieur de l’énergie ;

considérant que, à cette fin, il est nécessaire d’instaurer des règles communes assurant que les procédures d’octroi des autorisations de prospecter, d’explorer et d’extraire des hydrocarbures soient ouvertes à toutes les entités possédant les capacités nécessaires ; que l’octroi des autorisations doit être basé sur des critères objectifs et publiés ; que, par ailleurs, toutes les entités participant à la procédure doivent avoir préalablement connaissance des conditions d’octroi ;

considérant que les États membres doivent conserver leur faculté de soumettre l’accès à ces activités et leur exercice à des limitations justifiées par l’intérêt général et au versement d’une contrepartie en espèces ou en hydrocarbures, les modalités dudit versement devant être fixées de manière à ne pas interférer dans la gestion des entités ; que cette faculté doit s’exercer d’une manière non discriminatoire ; que, à l’exception des obligations liées à l’usage de cette faculté, il convient
d’éviter d’imposer aux entités des conditions et obligations qui ne sont pas justifiées par la nécessité de mener à bien ces activités ; que le contrôle des activités des entités doit être limité à ce qui est nécessaire pour assurer le respect de ces obligations et conditions ».

4. L’article 2, paragraphes 1 et 2, dispose :

« 1.   Les États membres conservent le droit de désigner les aires de leur territoire où pourront être exercées les activités de prospection, d’exploration et d’exploitation des hydrocarbures.

2.   Chaque fois qu’une aire est ouverte à l’exercice des activités visées au paragraphe 1, l’État membre veille à ce qu’aucune discrimination ne soit pratiquée entre les entités quant à l’accès à ces activités et à leur exercice. »

5. L’article 6, paragraphes 1, 2 et paragraphe 3, premier alinéa, dispose :

« 1.   Les États membres veillent à ce que les conditions et exigences visées à l’article 5, paragraphe 2, ainsi que les diverses obligations liées à l’exercice d’une autorisation spécifique, soient justifiées exclusivement par la nécessité d’assurer que sont menées à bien les activités exercées dans l’aire pour laquelle l’autorisation est demandée, par l’application du paragraphe 2 ou par le versement d’une contrepartie en espèces ou en hydrocarbures.

2.   Les États membres peuvent imposer des conditions et exigences concernant l’exercice des activités visées à l’article 2, paragraphe 1, pour autant qu’elles soient justifiées par des considérations de sécurité nationale, d’ordre public, de santé publique, de sécurité des transports, de protection de l’environnement, de protection des ressources biologiques et des trésors nationaux ayant une valeur artistique, historique ou archéologique, par la sécurité des installations et des travailleurs,
la gestion rationnelle des ressources en hydrocarbures (par exemple, le taux d’épuisement des ressources en hydrocarbures ou l’optimisation de leur récupération) ou la nécessité d’assurer des revenus fiscaux.

3.   Les modalités du versement des contributions visées au paragraphe 1, y compris les exigences concernant la participation de l’État, sont fixées par les États membres de manière à garantir le maintien de l’indépendance des entités en matière de gestion. »

B.   Le droit italien

1. Décret législatif no 625/96

6. En vertu de l’article 19, paragraphes 1, 5 et 5 bis, du décret législatif no 625/96 ( 4 ) :

« 1.   S’agissant des productions obtenues à compter du 1er janvier 1997, le titulaire de chaque concession d’extraction est tenu de verser annuellement à l’État la valeur d’une quote-part du produit de l’extraction, égale à 7 % de la quantité d’hydrocarbures liquides et gazeux extraits de la terre ferme, à 7 % ( 5 ) de la quantité d’hydrocarbures gazeux extraits en mer et à 4 % de la quantité d’hydrocarbures liquides extraits en mer.

[...]

5.   Les valeurs unitaires de la quote-part de chaque concession d’extraction sont déterminées, pour chaque concessionnaire, par la moyenne pondérée des prix de vente facturés par ceux-ci au cours de l’année de référence.

5-bis.   Pour les productions obtenues à compter du 1er janvier 2002, les valeurs unitaires de la quote-part d’extraction sont déterminées :

[...]

b) s’agissant du gaz, pour toutes les concessions et tous les concessionnaires, sur la base de la moyenne arithmétique relative à l’année de référence de l’indice QE, quote-part énergétique du coût de la matière première gaz, exprimé en euro par MJ (mégajoule), fixée par l’Autorité pour l’électricité et le gaz conformément à sa décision no 55/99, du 22 avril 1999, publiée à la Gazzeta ufficiale della Repubblica italiana no 100, du 30 avril 1999, telle que modifiée, sur la base de l’équivalence
fixe 1 Smc = 38,52 MJ. À compter du 1er janvier 2003, l’actualisation de cet indice, aux seules fins du présent article, est effectuée par l’Autorité sur le fondement des paramètres figurant dans ladite décision ».

2. Décret-loi no 7, du 31 janvier 2007, converti en loi no 40, du 2 avril 2007

7. L’article 11, paragraphe 1, dudit décret-loi ( 6 ) prévoit la cession, par les titulaires des concessions d’extraction, des quotes-parts de produit dus à l’État sur le marché réglementé des capacités, selon les modalités établies par décret du ministre du Développement économique, après avoir entendu l’Autorità di Regolazione per l’Energia, Reti e Ambiente (Autorité de régulation de l’énergie, des réseaux et de l’environnement, ci‑après l’« Autorité de régulation »).

8. En application de cette disposition, il a été adopté le décret ministériel du 6 août 2010 ( 7 ) qui, pour ce qui nous intéresse ici, prévoit que « les procédures de passation de contrats relatives aux quotas reposent sur la négociation par enchères » (article 4, paragraphe 1) ; que « les offres d’acquisition inférieures à l’indice QE [...] ne sont pas acceptées » (article 4, paragraphe 3) ; et que, « en l’absence de vente, le lot de gaz proposé reste à la disposition du concessionnaire, qui est
tenu de verser à l’État l’équivalent valorisé à hauteur de l’indice QE visé au paragraphe 3 » (article 4, paragraphe 4).

3. Décret-loi no 1, du 24 janvier 2012, converti, avec modifications dans la loi no 27, du 24 mars 2012

9. L’article 13 du décret-loi no 1/2012 ( 8 ) (« Mesures tendant à la réduction du prix du gaz naturel pour les clients vulnérables ») dispose :

« À compter du premier trimestre suivant l’entrée en vigueur du présent décret, l’Autorité pour l’électricité et le gaz, afin d’adapter les prix de référence du gaz naturel, pour les clients vulnérables visés à l’article 22 du décret législatif no 164 du 23 mai 2000, tel que modifié, aux valeurs européennes, dans le cadre de la détermination des montants variables couvrant les coûts d’approvisionnement en gaz naturel, introduit progressivement, parmi les paramètres sur lesquels se fonde
l’actualisation, la référence, dans une mesure graduellement croissante, aux prix du gaz relevés sur le marché. Dans l’attente de la mise en place du marché du gaz naturel visé à l’article 30, paragraphe 1, de la loi no 99 du 23 juillet 2009, les marchés de référence à prendre en considération sont les marchés européens identifiés conformément à l’article 9, paragraphe 6, du décret législatif no 130 du 13 août 2010 ».

4. Autres dispositions

10. Par sa décision 196/2013/R/gas ( 9 ), l’Autorité de régulation a définitivement abandonné, à compter du 1er octobre 2013, l’indice QE en tant que paramètre de calcul du coût du gaz au regard des conditions de fourniture en faveur des clients vulnérables sur le marché protégé.

11. La composante relative à la couverture des coûts d’approvisionnement du gaz naturel sur les marchés de gros est aujourd’hui constituée par l’indice Cmem, défini uniquement pour ce qui est du marché à court terme du gaz naturel, conformément au point 1, sous c), du dispositif de la décision susmentionnée.

12. L’indice Cmem est le résultat de la somme de différents éléments, parmi lesquels figure l’indice Pfor.

13. En vertu de l’article 6, paragraphe 2, sous d), du, TIVG , dans sa version modifiée par la décision 196/2013/R/gas, l’indice Pfor « exprimé en euro/Gj (gigajoules), qui couvre les coûts d’approvisionnement du gaz naturel [est] égal à la moyenne arithmétique des cotations forward (à terme) trimestrielles de gré à gré relatives au trimestre t du gaz, auprès du hub TTF ( 10 ), relevées par Platts ( 11 ) s’agissant du deuxième mois civil antérieur au trimestre t ».

II. Le litige au principal et la question préjudicielle

14. Eni SpA et Shell Italia E&P Spa (ci‑après « Shell ») sont deux sociétés titulaires de concessions pour l’extraction de gaz naturel en Italie ( 12 ) qui sont également présentes sur les marchés de gros et de détail de distribution et de vente de gaz dans cet État membre.

15. Ces deux sociétés s’opposent aux autorités italiennes ( 13 ) en contestant le montant des redevances correspondant à l’année 2015 qu’elles sont tenues de payer à l’État au titre de leurs concessions. Plus précisément, elles demandent l’annulation de la décision du 24 mars 2016, de la Direzione generale per la sicurezza dell’approvvigionamento e le infrastrutture energetiche (Direction générale de la sécurité de l’approvisionnement et les infrastructures énergétiques), qui avait pour objet le
« Decreto legislativo no 625/1996 – article 19, paragraphe 5 bis. Indice QE 2015 – quote-part énergétique, coût de la matière première du gaz naturel pour l’année 2015» ( 14 ), ainsi que les dispositions et les décisions sur lesquelles elle se fonde.

16. Selon les parties demanderesses, il est contraire au droit de maintenir l’indice QE en 2015 en tant que paramètre de référence pour le calcul des redevances. Selon elles, ce calcul doit s’effectuer sur la base de l’indice Pfor (lié au prix du gaz sur le marché à court terme) et non de l’indice QE (basé sur les cotations du pétrole et d’autres combustibles à plus long terme).

17. Elles soutiennent que, de fait, l’indice QE a été définitivement abandonné aux fins de la régulation tarifaire du marché protégé et ne devrait donc plus trouver à s’appliquer pour ce qui est du calcul du montant des redevances. Il y a donc lieu, selon elles, d’appliquer le nouvel indice Pfor, établi par l’Autorité de régulation en vue précisément de refléter la valeur de marché du gaz.

18. La juridiction de renvoi explique que, suivant le mécanisme de calcul actuel, les quotes-parts de produit revenant à l’État sont en premier lieu proposées sur le marché réglementé des capacités et du gaz à un prix correspondant à l’indice QE. Lorsque, comme cela se produit dans la plupart des cas, les quotes‑parts en question demeurent invendues, l’entreprise concessionnaire garde la quantité de gaz naturel en question, mais elle verse à l’État l’équivalent de son prix calculé en appliquant
l’indice QE, qui constitue un prix supérieur à celui du marché. La juridiction en déduit que les concessionnaires sont tenus d’acquérir les quotes-parts de gaz naturel à un prix sensiblement plus élevé que celui du marché, subissant de ce fait un préjudice par rapport aux autres opérateurs du secteur, dès lors que leurs concurrents ne sont pas soumis à une telle obligation.

19. Le Consiglio di Stato (Conseil d’État, Italie), dans son arrêt no 290/2018, du 18 janvier 2018, a réformé plusieurs décisions de la juridiction de renvoi, rendues en juin 2016, en confirmant la légalité des décisions des autorités italiennes qui appliquaient l’indice QE.

20. Malgré cela, la juridiction de renvoi persiste à considérer que les titulaires des concessions d’extraction de gaz naturel pourraient faire l’objet d’une discrimination, et se demande si l’interprétation de la réglementation interne, défendue par le Consiglio di Stato (Conseil d’État) dans son arrêt du 18 janvier 2018, n’est pas contraire aux principes de la directive 94/22.

21. Dans ce contexte, le Tribunale amministrativo regionale per la Lombardia (tribunal administratif régional pour la Lombardie, Italie) a posé à la Cour la question préjudicielle suivante :

« Les dispositions de l’article 6, paragraphe 1, de la directive [94/22] et le sixième considérant de ladite directive font-ils obstacle à une réglementation nationale telle que celle figurant notamment à l’article 19, paragraphe 5 bis, sous b), du décret législatif [no 625/96], qui, du fait de son interprétation par le Consiglio di Stato [Conseil d’État] dans l’arrêt no 290/2018, permet d’imposer, dans le cadre du paiement des redevances, l’indice QE, basé sur les cotations du prix du pétrole
et d’autres combustibles, plutôt que l’indice Pfor, qui est lui lié au prix du gaz sur le marché à court terme ? »

22. Eni, Shell, Assomineraria, le Comune di Viggiano (Commune de Viggiano, Italie), le gouvernement italien ainsi que la Commission européenne ont présenté des observations écrites. L’ensemble des parties ont participé à l’audience qui s’est tenue le 4 avril 2019, à l’exception de la Commune de Viggiano.

III. Réponse à la question préjudicielle

23. Les parties qui sont intervenues dans la procédure préjudicielle ont exposé des opinions divergentes quant à la réponse à donner à la juridiction de renvoi.

– Selon Eni, Shell et Assomineraria, la méthode de calcul des redevances basée sur l’indice QE donne lieu à une discrimination et porte préjudice aux entités titulaires de concessions d’extraction de gaz naturel, par rapport à celles qui exercent seulement des activités de distribution et de commercialisation de ce produit. L’indice QE prend en compte le prix du pétrole et d’autres hydrocarbures, plus élevé que celui du gaz naturel, de sorte que le montant des redevances pour les concessions
gazières est supérieur au prix de vente sur le marché des quantités de gaz pour la vente desquelles ces redevances sont dues.

– Le gouvernement italien, la Commune de Viggiano et la Commission estiment que la directive 94/22 laisse aux États membres la liberté de fixer le montant des redevances moyennant l’application d’un indice comme le QE. Selon ces intervenants, la directive 94/22 n’impose pas aux États membres de calculer lesdites redevances en fonction du prix de marché du gaz naturel.

24. En vue de trancher cette controverse, il y a lieu, me semble-t-il de se pencher tout d’abord sur la méthode de calcul des redevances pour les exploitations gazières appliquée en Italie.

A.   Calcul des redevances pour les exploitations gazières en Italie

25. À partir de la loi no 6/1957 ( 15 ), l’Italie a imposé aux entreprises extractrices de payer des redevances pour les exploitations gazières sur son territoire. Initialement, ces redevances pouvaient être payées en nature (une quote-part du gaz extrait) ou en espèces. Le montant final était identique dans les deux cas, le paiement en espèces étant fixé en considération du prix moyen de vente du gaz que l’entreprise concessionnaire aurait pratiqué durant une année déterminée.

26. Après la transposition de la directive 94/22 en droit italien, moyennant le décret législatif no 625/96, la situation précédente avait été maintenue. Les entreprises continuaient à payer une redevance en nature (équivalant à une quote‑part du gaz extrait) ou en espèces (consistant en la valeur de marché de ladite quantité de gaz).

27. Avec la réforme de l’article 19 du décret législatif no 625/96 introduite par la loi no 239, du 23 avril 2004, le régime des redevances a changé.

28. En effet, le nouveau libellé de l’article 19 du décret législatif no 625/96 a exigé que, à compter du 1er janvier 2002, le paiement soit effectué uniquement en espèces. La redevance consistait, à compter du 1er janvier 2003, en un pourcentage du produit extrait ( 16 ), auquel était appliqué le prix du gaz suivant l’indice QE. Ledit indice était défini comme étant la quote-part énergétique du coût de la matière première du gaz, exprimé en euros par MJ (mégajoule), et devait être fixé par
l’Autorité de régulation conformément aux paramètres de sa décision no 52/99.

29. D’après les informations fournies par les parties à la procédure, l’Autorité de régulation calculait tous les deux mois l’indice QE en référence à un panier de produits énergétiques ( 17 ), et, notamment, en fonction des cotations moyennes du pétrole et d’autres combustibles, découlant des contrats pluriannuels de vente en gros. L’indice QE reflétait, à ce moment-là, la valeur réelle de marché du gaz naturel, selon les affirmations de ces parties ( 18 ).

30. Par la suite, une réforme de 2007, qui a donné lieu à un décret du ministère du Développement économique du 6 août 2010, a permis que les entreprises titulaires de concessions puissent vendre sur le « marché réglementé des capacités et du gaz » (PSV) ( 19 ), moyennant une enchère, les quotes-parts de gaz dus à l’État, en transférant à l’État, à titre de redevance, les montants ainsi dégagés. Ce hub virtuel PSV est le marché de gros où sont réalisées toutes les transactions concernant le gaz
naturel en Italie.

31. Malgré cela, la réglementation prévoyait le refus des offres à des prix inférieurs à l’indice QE. Dans ces conditions, les lots de gaz proposés resteraient à la disposition de l’entreprise titulaire, laquelle devrait verser à l’État la redevance équivalant auxdits lots évalués à un montant correspondant à l’indice QE.

32. Apparemment, l’indice QE ayant cessé d’être aligné sur le prix du gaz naturel sur les marchés, les entreprises concessionnaires d’exploitations gazières, en Italie, ne parvenaient pas à vendre les quotes-parts sur le marché réglementé.

33. La rupture entre l’indice QE et le prix du marché du gaz naturel s’est confirmée quand l’Autorité de régulation a adopté la décision 196/2013/R/gas, par laquelle elle a définitivement abandonné, à compter du 1er octobre 2013, l’indice QE en tant que paramètre de calcul du coût du gaz au regard des conditions de fourniture en faveur des clients sur le marché protégé ( 20 ).

34. La décision 196/2013/R/gas a fait référence, pour la détermination du coût du gaz, à l’indice Pfor, qui reflète les cotations trimestrielles du gaz naturel à la bourse du gaz néerlandaise (le hub TTF), enregistrées par Platts.

35. Toutefois, les autorités italiennes ont continué à appliquer l’indice QE pour fixer le prix du gaz naturel aux fins des redevances. Du moment que, en 2015, les entreprises concessionnaires n’ont pas pu vendre aux enchères du marché PSV les quotes-parts de gaz correspondant auxdites redevances, elles ont, dès lors, fait valoir qu’elles avaient été obligées de payer à l’État des montants plus élevés que ceux qu’elles auraient dû payer si le prix de marché du gaz à court terme (c’est‑à‑dire, celui
qui résulte de l’indice Pfor) avait été appliqué.

36. Il résulte des pièces du dossier que :

– Les valeurs de l’indice QE, exprimées en euros/GJ ( 21 ) pour les quatre trimestres de 2015, ont été de 7,976985 ; 6,940217 ; 6,194914 ; et de 5,573671. La moyenne de l’indice QE pour le calcul des redevances de 2015 a donc été de 6,671447 ( 22 ).

– Les valeurs en euros/GJ de l’indice Pfor pour les quatre trimestres de 2015 ont été de 6,553299 ; 5,984375 ; 5,665388 ; et de 5,564236. La moyenne de l’indice Pfor a été de 5,9418245 ( 23 ).

37. Il ressort de ces données qu’en 2015 l’indice QE a atteint des valeurs supérieures à celles de l’indice Pfor. Les entreprises concessionnaires d’exploitations gazières ont payé, par conséquent, des redevances d’un montant supérieur ( 24 ) à celui qu’elles auraient eu à payer en appliquant la valeur de marché aux lots de gaz naturel correspondants.

B.   Interprétation de la directive 94/22

38. La directive 94/22 opère une harmonisation non exhaustive des activités de prospection, d’exploitation et d’extraction d’hydrocarbures au sein de l’Union ( 25 ).

39. Cette harmonisation minimale admet, comme prémisse, la souveraineté des États membres sur les hydrocarbures situés sur leur territoire ( 26 ), qui sont des ressources naturelles à leur disposition. La directive 94/22 se borne à établir une procédure pour l’accès et l’exercice des activités en question, afin de favoriser une plus grande concurrence dans ce secteur, de contribuer à favoriser les meilleures méthodes possibles pour prospecter, exploiter et extraire lesdites ressources et de
renforcer l’intégration du marché intérieur de l’énergie ( 27 ).

40. Concrètement, la directive prévoit que les procédures d’octroi des autorisations correspondantes doivent être ouvertes à toutes les entités de l’Union possédant les capacités nécessaires, sur la base de « critères objectifs », dans le respect de conditions préalablement connues de toutes les entités participantes ( 28 ).

41. La directive 94/22 autorise les États membres à soumettre l’accès et l’exercice de ces activités à « des limitations justifiées par l’intérêt général », ainsi qu’au versement d’une contrepartie (redevance) ( 29 ).

42. Le huitième considérant et l’article 6, paragraphe 1, de la directive 94/22 laissent aux États membres la liberté de choisir entre une redevance consistant en une contribution financière (paiement en espèces) ou en hydrocarbures (paiement en nature). Par conséquent, une législation nationale comme celle en cause ici, qui a opté pour le paiement de la redevance sous forme de contribution financière, est compatible avec la directive 94/22.

43. La question clé, dans la présente affaire, est celle de savoir si la directive 94/22 énonce des conditions relatives au montant des redevances et à la méthode de leur calcul. J’affirmerais, d’emblée, que, d’après moi, cette directive laisse aux États membres une marge de manœuvre très large pour fixer la méthode de calcul des redevances.

44. Il n’en demeure pas moins que les États membres sont tenus d’exercer leur faculté de fixer les redevances d’une manière non discriminatoire (huitième considérant de la directive 94/22), de sorte que les entreprises soient mises sur un pied d’égalité (article 2, paragraphe 2) ( 30 ) quant à l’accès aux activités de prospection, d’exploration et d’exploitation d’hydrocarbures et à leur exercice.

45. Cependant, la directive n’impose aux États membres aucune restriction, ni au regard de la méthode de fixation ni au regard du montant de la redevance. Les entreprises concessionnaires d’exploitations gazières qui ont présenté des observations (Eni, Shell et l’association Assomineraria) reconnaissent qu’un État pourrait augmenter la redevance de 7 à 10 % des quantités de gaz extraites, comme l’a fait l’Italie en 1999.

46. Toutefois, ces mêmes entreprises font valoir que le calcul de la redevance doit s’opérer moyennant une formule qui reflète le prix de vente du gaz sur le marché, ce qui n’est pas le cas, actuellement, de l’indice QE. Et d’ajouter que l’application de cet indice leur cause un préjudice (discrimination) en ce qu’elles sont forcées d’acheter la quote-part de gaz naturel correspondant à la redevance à un prix supérieur à celui du marché (qui est à présent lié à l’indice Pfor).

47. Je ne partage pas ce point de vue. Je crois, au contraire, que l’application de l’indice QE ne discrimine pas les entreprises concessionnaires d’exploitations gazières d’une manière contraire à la directive 94/22. La discrimination que celle‑ci interdit est celle qu’un État membre pourrait opérer entre entreprises titulaires d’autorisations (par exemple, pour des raisons de nationalité, de lieu de résidence ( 31 ) ou de provenance de leur capital, entre autres) au regard du calcul des
redevances. Ce serait le cas si les entreprises dont le capital social proviendrait d’autres États membres devaient payer une redevance plus élevée que celles à capital italien.

48. L’approche d’Eni et de Shell met l’accent sur la discrimination qui, selon elles, est faite entre les entreprises titulaires des concessions et celles qui interviennent sur le marché de la distribution et de la commercialisation du gaz naturel, sans exploiter aucun gisement. Cette approche souligne que :

– Les concessionnaires seraient forcés d’acheter le gaz naturel correspondant à la quote-part de leur production qu’ils doivent payer, à titre de redevance, à un prix supérieur à celui du marché, en application de l’indice QE qui est la référence pour la vente de ces lots de gaz dans les enchères du marché PSV ( 32 ).

– Les entreprises qui, sans être concessionnaires pour l’exploitation, opèrent sur le marché du gaz naturel en Italie ne sont pas tenues de réaliser ces acquisitions et ne doivent pas payer de redevances à l’État italien.

49. Cependant, la directive 94/22 se borne à interdire la discrimination entre les entreprises concessionnaires (ou plutôt, titulaires d’autorisations) d’exploitations gazières, mais elle n’interdit pas les inégalités de traitement entre celles-ci et celles qui opèrent seulement en tant qu’intermédiaires et qui commercialisent le gaz naturel sur le marché réglementé de gros PSV ou sur le marché de détail pour des clients protégés.

50. Du point de vue du paiement des redevances, les concessionnaires d’exploitations et les sociétés de distribution et de commercialisation de gaz naturel sur les marchés italiens ne se trouvent pas dans des situations comparables ( 33 ) puisque ces dernières, je le répète, n’ont à s’acquitter d’aucune redevance d’exploitation au profit de l’État italien. C’est pourquoi, j’estime que la discrimination alléguée n’existe pas.

51. Cette discrimination, alléguée par les entreprises concessionnaires, par rapport aux entreprises qui ne font que commercialiser du gaz naturel en Italie, pourrait se produire uniquement dans le cas où le prix du marché du gaz serait bas. Si ledit prix augmente par rapport à celui du pétrole et des autres hydrocarbures utilisés dans l’indice QE, la situation se renverse : les enchères attirent des soumissionnaires et les entreprises concessionnaires vendent le gaz naturel à un prix supérieur à
celui découlant de l’application de l’indice QE. Selon les données fournies par le gouvernement italien et non contestées par les concessionnaires, une telle situation s’est produite en 2016 et en 2017, exercices au cours desquels les concessionnaires ont vendu le gaz naturel aux enchères à un prix supérieur à celui résultant de l’application de l’indice QE (32 % en 2016 et 36,7 % en 2017) et de l’indice Pfor (46,3 % en 2016 et 52,1 % en 2017). Dans ces cas, les concessionnaires n’ont pas eu à
racheter le gaz naturel extrait à un prix supérieur à celui découlant de l’application de l’indice QE.

52. La directive 94/22 pose d’autres limites, pas trop précises, pour encadrer la large marge de manœuvre reconnue aux États membres au regard de la quantification et de la méthode de calcul de ce type de contributions. Plus précisément :

– L’article 6, paragraphe 1, impose que les redevances soient « justifiées exclusivement par la nécessité d’assurer que sont menées à bien les activités exercées dans l’aire pour laquelle l’autorisation est demandée ».

– L’article 6, paragraphe 3, précise que « les modalités du versement des contributions [...] sont fixées par les États membres de manière à garantir le maintien de l’indépendance des entités en matière de gestion ».

53. Or, ni la juridiction de renvoi ni les entreprises tenues de payer les redevances n’ont fait valoir que la législation italienne dépasse ces limites.

54. Ces mêmes entreprises affirment, toutefois, qu’il est incohérent d’appliquer l’indice QE pour le calcul des redevances, au motif qu’il ne prend pas en compte le prix du marché du gaz naturel, mais le prix dans les contrats à long terme du pétrole et d’autres hydrocarbures. Selon elles, la directive 94/22 interdirait cette possibilité et imposerait d’appliquer un indice lié au prix du marché du gaz naturel (tel que l’indice Pfor, utilisé depuis 2013, sur le marché italien, pour les clients
protégés).

55. Eni fait valoir, en ce sens, que l’application de l’indice QE pourrait déboucher sur la situation absurde où la valeur de la redevance serait supérieure au prix du gaz naturel extrait par l’entreprise concessionnaire, si le prix du marché du pétrole et des autres hydrocarbures augmentait de manière significative par rapport au prix du marché du gaz.

56. Cet argument, qui semble avoir convaincu la juridiction de renvoi, s’appuie sur une hypothèse (l’augmentation différentielle d’un indice par rapport à l’autre) étrangère aux faits qui se sont produits en 2015 et auxquels fait référence la décision de l’Autorité de régulation objet du litige. Comme je l’ai déjà exposé, l’écart entre l’indice QE et l’indice Pfor durant ledit exercice n’a pas été important ( 34 ), de sorte que le montant des redevances n’a pas subi une augmentation à ce point
significative qu’elle aurait mis en péril la viabilité des exploitations gazières des concessionnaires. En outre, comme cela a été évoqué précédemment, en 2016 et en 2017 la situation a été inversée, puisque le prix du marché du gaz naturel a été supérieur à celui résultant de l’application des indices QE et Pfor.

57. Quoi qu’il en soit, le choix d’un indice plutôt qu’un autre peut dépendre de facteurs relevant de la discrétion et de l’opportunité politique, selon que l’on souhaite fixer les redevances à un niveau plus ou moins onéreux pour les entreprises concessionnaires (et, symétriquement, plus ou moins favorable aux finances publiques).

58. Il peut être logique, en effet, de se servir d’un indice qui reflète le prix du marché du gaz à court terme (indice Pfor). Mais il n’est pas déraisonnable de choisir un autre indice lié au prix à moyen ou à long terme du pétrole et d’autres hydrocarbures, comme l’indice QE. De fait, le choix d’un indicateur moins volatile peut être un facteur légitimement envisagé par le législateur pour assurer une plus grande stabilité et prévisibilité des recettes publiques tirées de l’extraction
d’hydrocarbures.

59. Enfin, il n’est pas contesté que l’État italien pourrait, tout aussi légitimement, augmenter le montant des redevances, en augmentant la quote-part de gaz naturel destinée au paiement desdites contributions (une redevance de 15 % du gaz extrait, au lieu de 10 %, par exemple), ce qui reviendrait à un résultat analogue.

60. Ce qui importe, pour la réponse à la question préjudicielle, c’est que l’application d’un indice comme l’indice QE n’enfreint aucune des limites de l’article 6 de la directive 94/22, auxquelles j’ai fait allusion précédemment. La raison en est, à mon avis, que :

– D’une part, « la nécessité d’assurer des revenus fiscaux » (article 6, paragraphe 2) justifie l’utilisation de l’indice QE, puisque son application à la quote-part de gaz que les entreprises doivent destiner au paiement des redevances (actuellement 10 %), permet à l’État italien d’obtenir davantage de recettes fiscales.

– D’autre part, la nécessité d’assurer que sont menées à bien les activités exercées dans l’aire pour laquelle l’autorisation est demandée (article 6, paragraphe 1) ou le maintien de l’indépendance des entités en matière de gestion (article 6, paragraphe 3) ne sont pas compromis par l’application de l’indice QE, à tout le moins dans les pourcentages appliqués en 2015.

61. Dans tous les cas, il incombe aux juges nationaux, qui disposent de tous les éléments de fait, d’apprécier si le recours à un indice comme l’indice QE, qui n’est pas lié au prix du marché du gaz, pour calculer les redevances dues pour les concessions gazières, aura produit, pour une année déterminée, des effets incompatibles avec les limites que l’article 6 de la directive 94/22 fixe pour le calcul desdites redevances.

62. Bien que la juridiction de renvoi ne soulève pas cette question dans son ordonnance, j’ajouterais qu’il incombe également aux juges nationaux de vérifier, moyennant une appréciation globale de toutes les circonstances factuelles et juridiques pertinentes, si la réglementation nationale, objet du litige au principal, satisfait aux exigences du principe de proportionnalité ( 35 ), et à la Cour de lui fournir tous les éléments d’interprétation du droit de l’Union qui lui permettront de se
prononcer ( 36 ).

63. Cette conclusion particulière a déjà été consacrée par le Consiglio di Stato (Conseil d’État) dans son arrêt no 290/2018, auquel fait référence le juge de renvoi. Ce dernier, pour s’écarter du critère établi au plus haut niveau de la juridiction du contentieux administratif italienne, qui a le dernier mot sur l’application de son droit interne, devrait selon moi avancer de très solides motifs susceptibles d’affaiblir manifestement ladite conclusion.

64. Ces réserves étant exposées, j’estime qu’il existe à tout le moins deux éléments supplémentaires qui plaident pour la compatibilité avec le droit de l’Union de la méthode de fixation des redevances adoptée par les autorités italiennes.

65. Le premier est que tant l’article 6, paragraphe 1, que le huitième considérant de la directive 94/22 permettent aux États membres d’opter pour une contribution en nature ou une contribution en espèces. Le choix est ainsi laissé aux États membres entre ces deux alternatives, sans qu’il existe un lien entre elles. Ainsi, il ne saurait être tiré de la directive que la redevance, qu’elle soit en nature ou sous forme de contribution financière, doit coïncider ou être liée à la valeur de marché de la
quote-part du gaz extrait.

66. Le deuxième est qu’un État membre ne viole pas nécessairement le principe de proportionnalité lorsqu’il fixe le montant de la redevance en espèces en appliquant un indice comme l’indice QE, qui n’assure pas l’équivalence entre la valeur de marché de la quote-part de gaz correspondant à la redevance et la valeur financière de ladite redevance. Cette équivalence, je le répète, n’est pas un objectif de la directive 94/22. Le principe de proportionnalité n’impose pour autant pas aux États membres
d’employer des indices de références tels que l’indice Pfor.

67. L’incompatibilité avec le principe de proportionnalité d’une réglementation nationale d’application de la directive 94/22 pourrait se présenter si la procédure pour déterminer les montants entraînait l’imposition de redevances tellement élevées qu’elles rendraient, en pratique, non viables les activités de prospection, d’exploitation et d’extraction de gaz naturel. Il ne ressort pas des éléments du dossier que la réglementation italienne qui impose l’application de l’indice QE soit à l’origine
d’une telle situation.

68. En revanche, l’application de l’indice QE pourrait provoquer une altération plus ou moins importante de l’équilibre financier initialement prévu par les contrats de concessions respectifs. Si ce problème venait à se poser (ce qui pourrait se produire tant par un changement des indices que par une augmentation du pourcentage de la redevance), sa solution devrait être recherchée dans la réglementation interne régissant l’équilibre des concessions, et non dans la directive 94/22 ( 37 ).

69. Enfin, on peut écarter, sans qu’il y ait besoin de se justifier, l’allégation selon laquelle l’application de l’indice QE constituerait une restriction injustifiée du droit de propriété protégé par l’article 17 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. La propriété initiale des hydrocarbures appartient à l’État italien et, si ce dernier décide d’autoriser sa concession à une entreprise pour qu’elle procède à leur extraction, il peut soumettre cette attribution des ressources
publiques à la condition du paiement d’une contribution aux finances de l’État, à charge de celui qui l’exploite.

IV. Conclusion

70. Eu égard aux considérations exposées dans les présentes conclusions, je propose de répondre au Tribunale amministrativo regionale per la Lombardia (tribunal administratif régional pour la Lombardie, Italie) de la manière suivante :

L’article 6, paragraphes 1, 2 et 3, et le huitième considérant de la directive 94/22/CE du Parlement européen et du Conseil, du 30 mai 1994, sur les conditions d’octroi et d’exercice des autorisations de prospecter, d’exploiter et d’extraire des hydrocarbures, ne s’opposent pas à une réglementation nationale fixant le montant des redevances que doivent payer les entreprises titulaires d’autorisations d’exploitation de gaz en fonction d’un indice (comme l’indice QE) basé sur les cotations du
pétrole et d’autres combustibles à moyen et à long terme, plutôt que sur un autre indice (comme l’indice Pfor) lié au prix du gaz sur le marché à court terme.

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( 1 ) Langue originale : l’espagnol.

( 2 ) Directive 94/22/CE du Parlement européen et du Conseil, du 30 mai 1994, sur les conditions d’octroi et d’exercice des autorisations de prospecter, d’exploiter et d’extraire des hydrocarbures (JO 1994, L 164, p. 3).

( 3 ) La directive 94/22 emploie, en son article 1er, point 3, le terme « autorisation » dans un sens large (« toute disposition législative, réglementaire, administrative ou contractuelle ou tout instrument qui en découle, par lesquels les autorités compétentes d’un État membre habilitent une entité à exercer, pour son compte et à ses risques, le droit exclusif de prospecter, d’explorer ou d’extraire des hydrocarbures dans une aire géographique »). D’après les informations qui ressortent du
dossier, en Italie, ces autorisations prennent la forme juridique de « concessions » (plus précisément, de concessions du domaine public) et leurs titulaires sont dénommés « concessionnaires ». J’utiliserai ces deux termes dans les présentes conclusions.

( 4 ) Decreto legislativo 25 novembre 1996, n. 625 – Attuazione della direttiva 94/22/CE relativa alle condizioni di rilascio e di esercizio delle autorizzazioni alla prospezione, ricerca e coltivazione di idrocarburi (décret législatif no 625, du 25 novembre 1996, portant transposition de la directive 94/22/CE sur les conditions d’octroi et d’exercice des autorisations de prospecter, d’exploiter et d’extraire des hydrocarbures ; GURI no 293, du 14 décembre 1996 ; ci‑après le « décret législatif
no 625/96 »).

( 5 ) Ce pourcentage a été par la suite augmenté à 10 % en application de l’article 45, paragraphe 1, de la loi no 99, du 23 juillet 2009.

( 6 ) Legge 2 aprile 2007, n. 40, Conversione in legge, con modificazioni, del decreto‑legge 31 gennaio 2007, n. 7, recante misure urgenti per la tutela dei consumatori, la promozione della concorrenza, lo sviluppo di attività economiche e la nascita di nuove imprese (loi no 40, du 2 avril 2007, convertissant en loi, avec modifications, le décret-loi no 7, du 31 janvier 2007, portant mesures urgentes pour la protection des consommateurs, la promotion de la concurrence, le développement d’activités
économiques et la naissance de nouvelles entreprises ; GURI no 77, du 2 avril 2007).

( 7 ) Decreto ministeriale 6 agosto 2010 – Decreto per la vendita delle aliquote di prodotto della produzione di gas nel territorio nazionale, royalties, destinate allo stato (Décret ministériel du 6 août 2010 sur la vente des quotes-parts de la production de gaz sur le territoire national, redevances, destinées à l’État ; GURI no 200, du 27 août 2010).

( 8 ) Legge 24 marzo 2012, n. 27 – Disposizioni urgenti per la concorrenza, lo sviluppo delle infrastrutture e la competitività (Loi no 27, du 24 mars 2012 – Dispositions urgentes en faveur de la concurrence, du développement des infrastructures et de la compétitivité ; GURI no 71, du 24 mars 2012).

( 9 ) Deliberazione 9 maggio 2013, 196/2013/R/gas, seconda fase della riforma delle condizioni economiche applicate ai clienti finali del servizio di tutela nel mercato del gas naturale a partire dall’1 ottobre 2013 (Décision 196/2013/R/gas, du 9 mai 2013, deuxième phase de la réforme des conditions économiques appliquées aux clients finals du service de protection sur le marché du gaz naturel à partir du 1er octobre 2013). Modifications au Testo integrato delle attività di vendita al dettaglio di
gas naturale e gas diversi da gas naturale distribuiti a mezzo di reti urbane (texte consolidé relatif aux activités de vente au détail de gaz naturel et de gaz autres que le gaz naturel distribués par les réseaux urbains) (ci‑après le « TIVG »). Voir https://www.arera.it/allegati/docs/13/196-13.pdf.

( 10 ) Le hub TTF (Title Transfer Facility) est la bourse hollandaise du gaz. Voir https://www.gasunietransportservices.nl/en/shippers/products-and-services/ttf.

( 11 ) Platts était une filiale de la multinationale McGraw-Hill, qui faisait fonction de société de surveillance du marché financier des opérations et des options de produits dérivés négociés sur les marchés d’origine des produits énergétiques à l’échelle mondiale. En 2016, McGraw Hill Financial s’est transformée en S&P Global et Platts est devenue S&P Global Platts, et continue d’être une société indépendante qui fournit des informations, des prix de référence et des analyses sur les marchés des
matières premières et des produits énergétiques. Voir https://www.spglobal.com/platts/en/about.

( 12 ) Eni possède des exploitations de gaz tant sur la terre ferme que dans le sous-sol marin. Shell en possède uniquement sur la terre ferme, dans la région de Basilicate.

( 13 ) En l’espèce, au Ministero dello Sviluppo Economico (ministère du Développement économique, Italie), au Ministero dell’Economia e delle Finanze (ministère de l’Économie et des Finances, Italie) et à l’Autorité de régulation.

( 14 ) Communiqué du 24 mars 2016 – Indice QE 2015. Quota energetica costo materia prima del gas naturale per l’anno 2015 (Indice QE 2015 – quote-part énergétique, coût de la matière première du gaz naturel pour l’année 2015), disponible à l’adresse https://www.mise.gov.it/index.php/it/98-normativa/altri-atti-amministrativi/2034303-comunicato-del-24-marzo-2016-indice-qe-2015-quota-energetica-costo-materia-prima-del-gas-naturale-per-l-anno-2015.

( 15 ) Legge 11 gennaio 1957, n. 6, Ricerca e coltivazione degli idrocarburi liquidi e gassosi (loi no 6, du 11 janvier 1957, Prospection et extraction des hydrocarbures liquidez et gazeux ; GURI no 25, du 29 janvier 1957).

( 16 ) La quote-part s’élevait à 7 % de la quantité d’hydrocarbures liquides et gazeux extraits de la terre ferme, à 7 % de la quantité d’hydrocarbures gazeux extraits en mer (quoique ce chiffre ait été élevé à 10 % en vertu de l’article 45, paragraphe 1, de la loi no 99, du 23 juillet 2009) et à 4 % de la quantité d’hydrocarbures liquides extraits en mer

( 17 ) Deliberazione 28 maggio 2009 – ARG/gas 64/09 Approvazione del Testo integrato delle attività di vendita al dettaglio di gas naturale e gas diversi da gas naturale distribuiti a mezzo di reti urbane (Décision du 28 mai 2009 – ARG/gas 64/09 Approbation du texte consolidé des activités de vente au détail de gaz naturel et de gaz autres que le gaz naturel distribués par les réseaux urbains – TIVG), in https://www.arera.it/it/docs/09/064-09arg.htm. En vertu de l’article 6, paragraphe 2, de cette
décision de l’Autorité de régulation, l’indice QE est fixé en prenant comme référence les cotations du pétrole Brent, du gasoil et de l’huile combustible à faible teneur en soufre.

( 18 ) Il faut considérer que les activités de prospection, d’exploitation et d’extraction du pétrole et du gaz naturel sont soumises à des conditions similaires et doivent donc être abordées dans un cadre commun, distinct de celui des activités en aval. C’est ce que l’on peut lire dans l’exposé des motifs de la proposition de directive du Conseil sur les conditions d’octroi et d’exercice des autorisations de prospecter, d’explorer et d’extraire des hydrocarbures, COM(92) 110 final, du 11 mai 1992
(JO 1992, C 139, p. 12).

( 19 ) Snam Rete Gas gère le hub virtuel PSV (« Punto di Scambio Virtuale » – point d’échange virtuel), où s’opèrent les cessions et les échanges bilatéraux journaliers du gaz injecté dans le réseau national de gazoducs italiens. L’Autorité de régulation a attribué au PSV la qualification de « marché réglementé des capacités et du gaz ». Voir http://www.snam.it/en/transportation/Online_Processes/PSV/.

( 20 ) La Cour s’est penchée sur ce marché dans son arrêt du 20 avril 2010, Federutility e.a. (C‑265/08, EU:C:2010:205). On entend par « client protégé », un client résidentiel qui est connecté à un réseau de distribution de gaz et auquel il y a lieu d’assurer l’approvisionnement, ainsi que l’établit l’article 2, paragraphe 5, du règlement (UE) 2017/1938 du Parlement européen et du Conseil, du 25 octobre 2017, concernant des mesures visant à garantir la sécurité de l’approvisionnement en gaz naturel
et abrogeant le règlement (UE) no 994/2010 (JO 2017, L 280, p. 1).

( 21 ) Le gigajoule (GJ) équivaut à 109 joules (J), le joule étant l’unité dérivée du Système international d’unités pour quantifier l’énergie, le travail et la quantité de chaleur. En tant qu’unité d’énergie et de travail, le joule se définit comme la quantité de travail fourni par une force constante d’un newton sur une longueur d’un mètre dans la même direction que la force.

( 22 ) Comunicato del 24 marzo 2016 – Indice QE 2015. Quota energetica costo materia prima del gas naturale per l’anno 2015 (communiqué du 24 mars 2016 – indice QE. quota énergétique coût de la matière première gaz naturel pour l’année 2015), disponible à l’adresse https://www.mise.gov.it/index.php/it/98-normativa/altri-atti-amministrativi/2034303-comunicato-del-24-marzo-2016-indice-qe-2015-quota-energetica-costo-materia-prima-del-gas-naturale-per-l-anno-2015.

( 23 ) Ces données se trouvent sur le site Internet de l’Autorité de régulation : https://www.arera.it/it/che_cosa/presentazione.htm.

( 24 ) Lors de l’audience, Shell a affirmé avoir souffert un préjudice de 1237538 euros, et Eni un préjudice de 8114895 euros, au titre de l’exercice 2015.

( 25 ) La directive 94/22 a été à l’origine de très peu de litiges : il y a seulement eu un recours en manquement contre la Pologne, pour sa transposition incorrecte de ladite directive, qui a donné lieu à l’arrêt du 27 juin 2013, Commission/Pologne (C‑569/10, EU:C:2013:425).

( 26 ) Quatrième considérant : « Les États membres possèdent la souveraineté et des droits souverains sur les ressources en hydrocarbures situées sur leur territoire ».

( 27 ) Voir, notamment, sixième considérant et article 3 de la directive 94/22.

( 28 ) Voir, notamment, septième et article 5 de la directive 94/22.

( 29 ) Voir, notamment, huitième considérant et article 6 de la directive 94/22.

( 30 ) « En vertu de l’article 2, paragraphe 2, de la directive 94/22, les États membres veillent à ce qu’aucune discrimination ne soit pratiquée entre les entités quant à l’accès aux activités de prospection d’exploration et d’exploitation des hydrocarbures et à leur exercice dans les aires ouvertes à l’exercice de ces activités » (arrêt du 27 juin 2013, Commission/Pologne, C‑569/10, EU:C:2013:425, point 50).

( 31 ) Selon la Cour, l’article 18, paragraphe 1, sous 2 b), de la loi géologique et minière polonaise, exigeait d’un opérateur économique, établi dans un autre État membre et désireux d’obtenir une concession de prospection, d’exploration ou d’exploitation des hydrocarbures en Pologne, qu’il dispose d’un siège ou d’un établissement sur le territoire polonais avant même que la concession ne lui soit octroyée. Cette disposition a été jugée incompatible avec l’article 2, paragraphe 2, de la directive
94/22 (arrêt du 27 juin 2013, Commission/Pologne, C‑569/10, EU:C:2013:425, points 51 et 52) en ce qu’elle rendait l’accès à l’activité d’exploitation d’hydrocarbures plus difficile pour un opérateur étranger que pour un opérateur établi à titre principal en Pologne.

( 32 ) Les entreprises concessionnaires doivent acheter leurs lots de gaz aux enchères du marché de gros PSV au prix résultant de l’indice QE, qu’elles doivent payer à l’État à titre de redevance. Ensuite, elles doivent vendre ce même gaz au prix le plus bas en vigueur sur le marché de détail protégé pour des clients vulnérables, sur lequel s’applique l’indice Pfor pour déterminer le prix de vente du gaz naturel, qui est plus bas que l’indice QE.

( 33 ) Selon une jurisprudence constante, le principe général d’égalité de traitement, en tant que principe général du droit de l’Union, impose que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié (voir arrêts du 28 novembre 2018, Solvay Chimica Italia e.a., C‑262/17, C‑263/17 et C‑273/17, EU:C:2018:961, point 66, et du 16 décembre 2008, Arcelor
Atlantique et Lorraine e.a., C‑127/07, EU:C:2008:728, point 23).

( 34 ) Voir point 36 des présentes conclusions.

( 35 ) « Il appartient à la juridiction de renvoi, tout en tenant compte des indications fournies par la Cour, de vérifier, lors d’une appréciation globale des circonstances entourant l’octroi des nouvelles concessions, si la restriction en cause au principal satisfait aux conditions qui ressortent de la jurisprudence de la Cour en ce qui concerne leur proportionnalité » (arrêts du 12 juin 2014, Digibet et Albers, C‑156/13, EU:C:2014:1756, point 40, et du 28 janvier 2016, Laezza, C‑375/14,
EU:C:2016:60, point 37).

( 36 ) Le principe de proportionnalité s’applique aux États membres lorsqu’ils transposent et appliquent le droit de l’Union, leurs agissements devant être propres à atteindre les objectifs qu’ils poursuivent, et ne pas dépasser les limites de ce qui est nécessaire à la réalisation de ceux‑ci. Voir, entre autres, arrêts du 12 juillet 2018, Spika e.a. (C‑540/16, EU:C:2018:565, points 45 et 46) ; du 20 décembre 2017, Global Starnet (C‑322/16, EU:C:2017:985, point 52), ainsi que du 26 mars 2015,
Macikowski (C‑499/13, EU:C:2015:201, points 47 et 48).

( 37 ) C’est encore l’arrêt no 290/2018 du Consiglio di Stato (Conseil d’État) qui, en son point 66, in fine, aborde cette question. Afin d’établir s’il s’était produit « un déséquilibre survenu dans les conditions intégrantes des concessions [gazières] », il fallait procéder à « un examen complet de toutes les clauses [desdites concessions] ainsi que des charges et avantages [...] conséquents », ce qui excédait l’objet du litige dont la juridiction en question était saisie.


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-364/18
Date de la décision : 13/06/2019
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demandes de décision préjudicielle, introduites par le Tribunale amministrativo regionale per la Lombardia.

Renvoi préjudiciel – Directive 94/22/CE – Énergie – Conditions d’octroi et d’exercice des autorisations de prospecter, d’exploiter et d’extraire des hydrocarbures – Redevances – Méthodes de calcul – Indices QE et Pfor – Caractère discriminatoire.

Droit d'établissement

Libre prestation des services


Parties
Demandeurs : Eni SpA
Défendeurs : Ministero dello Sviluppo Economico et Ministero dell’Economia e delle Finanze et Shell Italia E & P SpA

Composition du Tribunal
Avocat général : Campos Sánchez-Bordona

Origine de la décision
Date de l'import : 08/11/2024
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2019:503

Source

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