ARRÊT DE LA COUR (première chambre)
7 novembre 2019 ( *1 )
« Renvoi préjudiciel – Environnement – Évaluation des incidences de certains projets sur l’environnement – Participation du public au processus décisionnel et accès à la justice – Point de départ des délais de recours »
Dans l’affaire C‑280/18,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Symvoulio tis Epikrateias (Conseil d’État, Grèce), par décision du 21 mars 2018, parvenue à la Cour le 24 avril 2018, dans la procédure
Alain Flausch,
Andrea Bosco,
Estienne Roger Jean Pierre Albrespy,
Somateio « Syndesmos Iiton »,
Somateio « Elliniko Diktyo – Filoi tis Fysis »,
Somateio « Syllogos Prostasias kai Perithalpsis Agrias Zois – SPPAZ »
contre
Ypourgos Perivallontos kai Energeias,
Ypourgos Oikonomikon,
Ypourgos Tourismou,
Ypourgos Naftilias kai Nisiotikis Politikis,
en présence de :
105 Anonimi Touristiki kai Techniki Etaireia Ekmetallefsis Akiniton,
LA COUR (première chambre),
composée de M. J.‑C. Bonichot (rapporteur), président de chambre, MM. M. Safjan et L. Bay Larsen, juges,
avocat général : Mme J. Kokott,
greffier : M. R. Schiano, administrateur,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 27 mars 2019,
considérant les observations présentées :
– pour MM. Flausch, Bosco et Albrespy ainsi que pour le Somateio « Syndesmos Iiton », le Somateio « Elliniko Diktyo – Filoi tis Fysis » et le Somateio « Syllogos Prostasias kai Perithalpsis Agrias Zois – SPPAZ », par Mes G. Dellis et A. Chasapopoulos, dikigoroi,
– pour 105 Anonimi Touristiki kai Techniki Etaireia Ekmetallefsis Akiniton, par Mes G. Giannakourou et D. Valasis, dikigoroi,
– pour le gouvernement hellénique, par MM. K. Georgiadis, G. Karipsiadis et A. Banos ainsi que par Mme G. Papadaki, en qualité d’agents,
– pour la Commission européenne, par MM. G. Gattinara, M. Noll‑Ehlers et M. Konstantinidis ainsi que par Mme M. Patakia, en qualité d’agents,
ayant entendu l’avocate générale en ses conclusions à l’audience du 23 mai 2019,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 6 et 11 de la directive 2011/92/UE du Parlement européen et du Conseil, du 13 décembre 2011, concernant l’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement (JO 2012, L 26, p. 1, ci-après la « directive EIE »).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant MM. Alain Flausch, Andrea Bosco et Estienne Roger Jean Pierre Albrespy ainsi que le Somateio « Syndesmos Iiton », le Somateio « Elliniko Diktyo – Filoi tis Fysis » et le Somateio « Syllogos Prostasias kai Perithalpsis Agrias Zois – SPPAZ » à l’Ypourgos Perivallontos kai Energeias (ministre de l’Environnement et de l’Énergie, Grèce), l’Ypourgos Oikonomikon (ministre de l’Économie, Grèce), l’Ypourgos Tourismou (ministre du Tourisme,
Grèce) et l’Ypourgos Naftilias kai Nisiotikis Politikis (ministre des Affaires maritimes, Grèce) au sujet de la légalité des actes portant autorisation de la construction d’un complexe touristique sur l’île de Ios (Grèce).
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
3 Les considérants 7 et 16 de la directive EIE énoncent :
« (7) L’autorisation des projets publics et privés susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement ne devrait être accordée qu’après évaluation des incidences notables que ces projets sont susceptibles d’avoir sur l’environnement. Ladite évaluation devrait être effectuée sur la base de l’information appropriée fournie par le maître d’ouvrage et éventuellement complétée par les autorités et par le public susceptible d’être concerné par le projet.
[...]
(16) La participation effective du public à la prise de décisions permet à ce dernier de formuler des avis et des préoccupations pouvant être utiles pour les décisions en question et au décideur de tenir compte de ces avis et préoccupations, ce qui favorise le respect de l’obligation de rendre des comptes et la transparence du processus décisionnel et contribue à sensibiliser le public aux problèmes de l’environnement et à obtenir qu’il apporte son soutien aux décisions prises. »
4 L’article 1er, paragraphe 2, de cette directive prévoit :
« Aux fins de la présente directive, on entend par :
[...]
d) “public” : une ou plusieurs personnes physiques ou morales et, conformément à la législation ou à la pratique nationales, les associations, organisations ou groupes constitués par ces personnes ;
e) “public concerné” : le public qui est touché ou qui risque d’être touché par les procédures décisionnelles en matière d’environnement visées à l’article 2, paragraphe 2, ou qui a un intérêt à faire valoir dans ce cadre. Aux fins de la présente définition, les organisations non gouvernementales qui œuvrent en faveur de la protection de l’environnement et qui remplissent les conditions pouvant être requises en droit interne sont réputées avoir un intérêt ;
[...] »
5 L’article 2, paragraphe 1, de ladite directive dispose :
« Les États membres prennent les dispositions nécessaires pour que, avant l’octroi de l’autorisation, les projets susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement, notamment en raison de leur nature, de leurs dimensions ou de leur localisation, soient soumis à une procédure de demande d’autorisation et à une évaluation en ce qui concerne leurs incidences. Ces projets sont définis à l’article 4. »
6 S’agissant de la participation du public au processus décisionnel, l’article 6, paragraphes 2 à 5, de la directive EIE est libellé comme suit :
« 2. À un stade précoce des procédures décisionnelles en matière d’environnement visées à l’article 2, paragraphe 2, et au plus tard dès que ces informations peuvent raisonnablement être fournies, les informations suivantes sont communiquées au public par des avis au public ou d’autres moyens appropriés tels que les moyens de communication électroniques lorsqu’ils sont disponibles :
a) la demande d’autorisation ;
b) le fait que le projet fait l’objet d’une procédure d’évaluation des incidences sur l’environnement et que, le cas échéant, l’article 7 est applicable ;
c) les coordonnées des autorités compétentes pour prendre la décision, de celles auprès desquelles peuvent être obtenus des renseignements pertinents, de celles auxquelles des observations ou des questions peuvent être adressées ainsi que des précisions sur les délais de transmission des observations ou des questions ;
d) la nature des décisions possibles ou, lorsqu’il existe, le projet de décision ;
e) une indication concernant la disponibilité des informations recueillies en vertu de l’article 5 ;
f) une indication de la date et du lieu où les renseignements pertinents seront mis à la disposition du public et des moyens par lesquels ils le seront ;
g) les modalités précises de la participation du public prévues au titre du paragraphe 5 du présent article.
3. Les États membres veillent à ce que soient mis, dans des délais raisonnables, à la disposition du public concerné :
a) toute information recueillie en vertu de l’article 5 ;
b) conformément à la législation nationale, les principaux rapports et avis adressés à l’autorité ou aux autorités compétentes au moment où le public concerné est informé conformément au paragraphe 2 du présent article ;
c) conformément à la directive 2003/4/CE du Parlement européen et du Conseil, du 28 janvier 2003, concernant l’accès du public à l’information en matière d’environnement [(JO 2003, L 41, p. 26)], les informations autres que celles visées au paragraphe 2 du présent article qui sont pertinentes pour la décision en vertu de l’article 8 de la présente directive et qui ne deviennent disponibles qu’après que le public concerné a été informé conformément au paragraphe 2 du présent article.
4. À un stade précoce de la procédure, le public concerné se voit donner des possibilités effectives de participer au processus décisionnel en matière d’environnement visé à l’article 2, paragraphe 2, et, à cet effet, il est habilité à adresser des observations et des avis, lorsque toutes les options sont envisageables, à l’autorité ou aux autorités compétentes avant que la décision concernant la demande d’autorisation ne soit prise.
5. Les modalités précises de l’information du public (par exemple, affichage dans un certain rayon ou publication dans la presse locale) et de la consultation du public concerné (par exemple, par écrit ou par enquête publique) sont déterminées par les États membres. »
7 S’agissant de la décision relative au projet, l’article 9, paragraphe 1, de la directive EIE prévoit :
« Lorsqu’une décision d’accorder ou de refuser une autorisation a été prise, la ou les autorités compétentes en informent le public, conformément aux procédures appropriées [...] »
8 Concernant les recours, l’article 11 de cette directive énonce :
« 1. Les États membres veillent, conformément à leur cadre juridique en la matière, à ce que les membres du public concerné :
a) ayant un intérêt suffisant pour agir, ou sinon
b) faisant valoir une atteinte à un droit, lorsque le droit administratif procédural d’un État membre impose une telle condition,
puissent former un recours devant une instance juridictionnelle ou un autre organe indépendant et impartial établi par la loi pour contester la légalité, quant au fond ou à la procédure, des décisions, des actes ou omissions relevant des dispositions de la présente directive relatives à la participation du public.
2. Les États membres déterminent à quel stade les décisions, actes ou omissions peuvent être contestés.
3. Les États membres déterminent ce qui constitue un intérêt suffisant pour agir ou une atteinte à un droit, en conformité avec l’objectif visant à donner au public concerné un large accès à la justice. [...] »
Le droit hellénique
9 L’article 1er, paragraphe 1, de la loi 4014/2011 portant autorisation environnementale d’ouvrages et d’activités, régularisation de constructions sauvages en combinaison avec la mise en place d’un bilan écologique, et autres dispositions de la compétence du ministère de l’Environnement, de l’Énergie et du Changement climatique (FEK Α’ 209), répartit les projets du secteur public et du secteur privé en deux catégories (A et B) en fonction de leurs incidences sur l’environnement. La première
catégorie (A) comprend les ouvrages et les activités qui sont susceptibles d’avoir des incidences importantes sur l’environnement et pour lesquels une évaluation des incidences environnementales (ci-après l’« EIE ») est nécessaire afin que des exigences et des restrictions particulières, visant à protéger l’environnement, soient imposées. La seconde catégorie (B) comprend les projets qui ont des incidences moins graves sur l’environnement.
10 Les articles 3, 4 et 19 de la loi 4014/2011 régissent la participation du public. Conformément à l’article 12 de celle-ci, les diverses autorisations sont rassemblées en une décision d’approbation des exigences environnementales (ci‑après la « DAEE »).
11 L’article 30, paragraphe 9, de la loi 4014/2011 comporte une disposition transitoire qui prévoit que, jusqu’à l’introduction d’un registre environnemental électronique, les dispositions jusque-là en vigueur concernant la consultation des intéressés et la procédure de participation du public dans le cadre d’une autorisation environnementale demeurent valides. En vertu de ces dispositions, cette procédure est ouverte par l’affichage dans les locaux de l’administration de la région concernée et par
la publication dans la presse locale d’une communication des informations relatives au projet ainsi que d’une invitation à ce que tout intéressé prenne connaissance de l’EIE et s’exprime à son sujet.
12 Conformément à l’article 19 bis de la loi 4014/2011, la DAEE doit être publiée sur Internet dans le mois qui suit son adoption. Le non-respect de ce délai entraîne la nullité de l’approbation. L’affichage de la DAEE sur le site spécial équivaut à une publicité imposée par la loi et fait naître la présomption que tout intéressé en a connaissance de sorte à pouvoir exercer un recours en annulation ou toute autre voie de droit.
13 En vertu de l’article 46 du décret présidentiel 18/1989 portant codification de dispositions de lois pour le Conseil d’État (FEK A’ 8), le recours en annulation est formé, sauf disposition contraire, dans un délai de 60 jours (90 jours pour les non-résidents) à compter du jour suivant la notification de l’acte attaqué ou sa publication, lorsque celle-ci est imposée par la loi, ou encore de la date à laquelle le requérant a pris pleinement connaissance de l’acte. Au sens de cette disposition,
telle que l’interprète une jurisprudence constante, lorsque la loi impose qu’un acte administratif individuel soit publié selon des modalités spécifiques, le délai imparti pour exercer un recours en annulation de cet acte court, en ce qui concerne les personnes visées, à compter de la notification de l’acte ou de la date à laquelle elles ont pris connaissance de sa teneur et, en ce qui concerne les tiers intéressés, à compter de la publication dudit acte.
Le litige au principal et les questions préjudicielles
14 Le litige au principal s’est noué autour du projet de création d’un complexe touristique sur l’île d’Ios. Cette île, qui est située dans l’archipel des Cyclades et dépend de la région administrative Égée méridionale (Grèce), s’étend sur une surface d’environ 100 km2, sur lesquels résident environ 2000 habitants permanents.
15 Le projet contesté prévoit la construction d’un hôtel, d’un spa, d’autres logements, d’ouvrages de soutien tels qu’une centrale de dessalement, des installations portuaires, des plages artificielles, un pont reliant un îlot à la terre, un réseau routier et d’autres infrastructures. Son emprise est une parcelle d’une surface d’environ 27 ha, occupée à hauteur de plus de 18 ha de bâti. Il comprend une occupation du littoral, de l’estran et de l’espace maritime.
16 Conformément à la législation grecque applicable aux ouvrages relevant de la catégorie du projet en cause au principal, à savoir la catégorie A, une EIE a été réalisée.
17 Le 2 août 2013, un appel à toute personne intéressée à participer à l’EIE a été publié dans le journal local de Syros (Koini Gnomi) ainsi que dans les bureaux de la région Égée méridionale, situés sur l’île de Syros (Grèce), distante d’Ios de 55 milles nautiques. C’est également à Syros qu’a été conservé le dossier de l’EIE et que devait se tenir la consultation.
18 Il ressort du dossier dont dispose la Cour que la liaison entre Ios et Syros n’est pas quotidienne, dure plusieurs heures du fait de l’absence de bateau à grande vitesse sur ce trajet et n’est pas d’un coût négligeable.
19 Le 8 août 2014, le ministre de l’Environnement et de l’Énergie et le ministre du Tourisme ont adopté la DAEE portant approbation du projet de création du complexe touristique sur l’île d’Ios et des exigences environnementales qui lui sont applicables.
20 Cette décision a été affichée le 11 août 2014 sur le portail d’affichage Diavgeia ainsi que le 8 septembre 2014 sur le site Internet www.aepo.ypeka.gr du ministère de l’environnement (ci-après le « site Internet du ministère de l’Environnement »), visé à l’article 19 bis de la loi 4014/2011.
21 Devant la juridiction de renvoi, les requérants au principal, à savoir trois personnes physiques propriétaires immobiliers sur l’île d’Ios mais résidant respectivement en Belgique, en Italie et en France, ainsi que trois associations, ont attaqué la DAEE du 8 août 2014 par un recours introduit seulement le 19 février 2016.
22 Ces derniers affirment n’avoir pris connaissance de la DAEE du 8 août 2014 que le 22 décembre 2015, date à laquelle ils ont pu constater le début de travaux d’aménagement du site.
23 105 Anonimi Touristiki kai Techniki Etaireia Ekmetallefsis Akiniton, société bénéficiaire des approbations et des autorisations afférentes au projet, est intervenue au litige et a excipé de la tardiveté du recours.
24 C’est dans ces conditions que le Symvoulio tis Epikrateias (Conseil d’État, Grèce) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) Les articles 6 et 11 de la directive [2011/92], lus en combinaison avec l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, doivent-il être interprétés en ce sens qu’ils autorisent des dispositions du droit national, telles que celles visées aux considérants 8, 9 et 10 de [la décision de renvoi], en vertu desquelles les procédures préalables à l’adoption d’une décision d’approbation des exigences environnementales applicables à des ouvrages et [à des] travaux ayant des
incidences significatives sur l’environnement (à savoir la publication des évaluations d’incidences environnementales, l’information du public et la participation de ce dernier à la consultation) sont principalement exécutées et contrôlées par l’entité administrative plus grande qu’est la région, et non par la municipalité concernée ?
2) Les articles 6 et 11 de la directive [2011/92], lus en combinaison avec l’article 47 de la [charte des droits fondamentaux], doivent-il être interprétés en ce sens qu’ils autorisent un système de dispositions du droit national, tel qu’exposé aux mêmes considérants, lequel prévoit en fin de compte que la publication des décisions d’approbation des exigences environnementales applicables à des ouvrages et [à des] travaux ayant des incidences significatives sur l’environnement au moyen de leur
affichage sur un site Internet spécial fait naître une présomption de pleine connaissance par tout intéressé, aux fins de l’exercice par ce dernier de la voie de droit prévue par la loi en vigueur [un recours en annulation devant le Symvoulio tis Epikrateias [(Conseil d’État)] dans un délai de soixante jours, si l’on tient compte des dispositions légales – relatives à la publication des évaluations des incidences environnementales, à l’information du public et à la participation de ce dernier
à la procédure d’approbation des exigences environnementales applicables à de tels ouvrages et [à de tels] travaux –, qui font de l’entité administrative plus grande qu’est la région, et non de la municipalité concernée, le centre de ces procédures ? »
Sur les questions préjudicielles
Sur la première question
25 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 6 de la directive EIE doit être interprété en ce sens qu’un État membre peut conduire les opérations de participation du public au processus décisionnel afférentes à un projet au niveau du siège de l’autorité administrative régionale compétente, et non au niveau de l’unité municipale dont dépend le lieu d’implantation de ce projet.
26 Il y a lieu de relever, à cet égard, que l’article 6, paragraphe 5, de la directive EIE réserve expressément aux États membres le soin de déterminer les modalités précises tant de l’information du public que de la consultation du public concerné.
27 Dans ces conditions, en l’absence de règles fixées par le droit de l’Union concernant les modalités procédurales suivant lesquelles les États membres doivent s’acquitter de leurs obligations en matière d’information et de participation du public au processus décisionnel en matière environnementale, il appartient, selon une jurisprudence constante, à l’ordre juridique interne de chaque État membre de régler ces modalités en vertu du principe de l’autonomie procédurale, à condition, toutefois,
qu’elles ne soient pas moins favorables que celles régissant des situations similaires de nature interne (principe d’équivalence) et qu’elles ne rendent pas impossible en pratique ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union (principe d’effectivité) (voir, par analogie, arrêt du 20 octobre 2016, Danqua, C‑429/15, EU:C:2016:789, point 29).
28 Il convient, d’emblée, de dissiper tout doute quant au respect de la condition tenant au principe d’équivalence dans une situation de demande d’autorisation environnementale telle que celle en cause au principal. En effet, et sous réserve des vérifications incombant à la juridiction de renvoi, il ne ressort pas du dossier dont dispose la Cour, et il n’a d’ailleurs pas été allégué, que des situations similaires soient régies par des modalités procédurales nationales qui seraient plus favorables
que celles prévues pour la mise en œuvre de la directive EIE et appliquées au principal.
29 S’agissant du principe d’effectivité, en revanche, la juridiction de renvoi s’interroge au regard de trois aspects de la procédure en cause au principal.
30 Elle mentionne, en premier lieu, la manière dont le public a été informé de l’existence du projet et de la consultation dont celui-ci devait faire l’objet.
31 À cet égard, il convient de rappeler que, en vertu de l’article 6, paragraphe 4, de la directive EIE, les possibilités que se voit reconnaître le public concerné de participer à un stade précoce au processus décisionnel environnemental doivent être effectives.
32 Par conséquent, ainsi que l’a relevé Mme l’avocate générale au point 53 de ses conclusions, toute communication en la matière n’est pas en soi suffisante. En effet, les autorités compétentes doivent s’assurer que les canaux d’information utilisés peuvent être raisonnablement regardés comme étant propres à atteindre les membres du public concerné, afin de leur donner une possibilité adéquate d’être tenus informés des activités projetées, du processus décisionnel et de leurs possibilités de
participation à un stade précoce de la procédure.
33 Il appartient à la juridiction de renvoi de déterminer si de telles exigences ont été respectées dans la procédure ayant précédé l’affaire au principal.
34 Toutefois, afin de lui fournir une réponse utile, il peut être relevé que, dans la mesure où, à la date à laquelle a été diffusé l’appel à participer à une EIE, la plupart des intéressés résidaient ou étaient propriétaires d’un bien immobilier sur l’île d’Ios, un affichage dans les locaux du siège administratif régional, situé sur l’île de Syros, même assorti d’une publication dans un journal local de cette dernière île, ne paraîtrait pas avoir été de nature à contribuer de façon adéquate à
l’information du public concerné.
35 L’appréciation inverse ne pourrait découler que du constat que le journal local en question faisait alors l’objet d’une diffusion et d’une lecture très larges sur l’île d’Ios. Au cas contraire, des modalités de communication telles que celles retenues au principal ne pourraient être regardées comme suffisantes qu’en l’absence d’autres moyens de communication plus adaptés, qui auraient pu être mis en œuvre par les autorités compétentes sans pour autant requérir d’efforts disproportionnés, tels
qu’un affichage dans des endroits les plus fréquentés de l’île d’Ios ou sur le lieu même d’implantation du projet.
36 La Cour ne disposant pas d’informations précises quant aux modalités de diffusion du journal local sur l’île d’Ios, c’est à la juridiction de renvoi de vérifier si, à la lumière des considérations énoncées au point précédent, l’information du public concerné a été adéquate s’agissant de la procédure en cause.
37 La juridiction de renvoi émet des réserves, en deuxième lieu, à l’égard du lieu où le dossier contenant les informations relatives au projet en cause au principal a été mis à la disposition du public.
38 À cet égard, les conditions d’accès au dossier de la procédure de participation doivent être de nature à permettre au public concerné d’exercer ses droits de manière effective, ce qui implique une accessibilité audit dossier dans des conditions aisées.
39 Les éventuelles difficultés rencontrées par le public concerné dans cette démarche peuvent toutefois être justifiées par l’existence d’une charge administrative disproportionnée pour l’autorité compétente.
40 S’il appartient à la juridiction de renvoi de déterminer si de telles exigences ont été respectées dans la procédure ayant conduit à l’affaire au principal, il convient de faire observer que cette appréciation devra tenir compte, ainsi que l’a relevé Mme l’avocate générale aux points 71 et 72 de ses conclusions, de l’effort à fournir par le public concerné pour effectuer la traversée entre l’île d’Ios et l’île de Syros ainsi que des possibilités qu’avaient les autorités compétentes pour
permettre, au prix d’un effort proportionné, la mise à disposition du dossier sur l’île d’Ios.
41 Les doutes de la juridiction de renvoi portent, en troisième et dernier lieu, sur la manière dont a été menée la consultation sur l’île de Syros.
42 Il y a lieu de rappeler à cet égard que, en vertu de l’article 6, paragraphe 5, de la directive EIE, les modalités précises de la consultation du public concerné sont déterminées par les États membres, cette disposition mentionnant seulement, à titre d’exemple, la consultation « par écrit ou l’enquête publique ».
43 C’est à la juridiction de renvoi qu’il incombe de vérifier si le principe d’effectivité a été, à cet égard, respecté dans la procédure en cause au principal, en appréciant le respect d’exigences analogues à celles mentionnées aux points 38 et 39 du présent arrêt.
44 Il convient, par suite, de répondre à la première question que l’article 6 de la directive EIE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce qu’un État membre conduise les opérations de participation du public au processus décisionnel afférentes à un projet au niveau du siège de l’autorité administrative régionale compétente, et non au niveau de l’unité municipale dont dépend le lieu d’implantation de ce projet, lorsque les modalités concrètes mises en œuvre n’assurent pas un respect
effectif de ses droits par le public concerné, ce qu’il appartient à la juridiction nationale de vérifier.
Sur la seconde question
45 Par sa seconde question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si, eu égard à la réponse apportée à la première question, les articles 9 et 11 de la directive EIE doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation, telle que celle en cause au principal, prévoyant que l’annonce de l’approbation d’un projet sur un site Internet spécifique fait courir un délai de 60 jours pour l’introduction d’un recours.
46 À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que l’article 11 de la directive EIE, sur lequel porte en partie cette question, a été interprété en ce sens que son champ d’application est circonscrit aux aspects d’un litige consistant à faire valoir le droit du public concerné à participer au processus décisionnel conformément aux règles précises énoncées en la matière par cette directive. En revanche, les recours se fondant sur toute autre règle de ladite directive, et a fortiori sur toute autre
législation, qu’elle soit de l’Union ou des États membres, ne relèvent pas de cet article (voir, en ce sens, arrêt du 15 mars 2018, North East Pylon Pressure Campaign et Sheehy, C‑470/16, EU:C:2018:185, points 36 et 39).
47 Cela étant dit, l’article 11 de la directive EIE trouve à s’appliquer dans une configuration telle que celle en cause au principal, quand bien même le recours concerne la seule décision d’autorisation et non des questions de participation du public au processus décisionnel.
48 En effet, l’article 11, paragraphe 2, de la directive EIE dispose que les États membres déterminent à quel stade les décisions, actes ou omissions prévus à l’article 11, paragraphe 1, de cette directive peuvent être contestés.
49 Or, il ressort d’une réponse du gouvernement grec à une question de la Cour lors de l’audience que le droit hellénique prévoit que les éventuels vices de participation du public doivent être soulevés dans le cadre du recours contre la décision finale d’autorisation.
50 Il convient, ensuite, de relever que, en vertu de l’article 9, paragraphe 1, de la directive EIE, la ou les autorités compétentes informent le public, conformément aux procédures appropriées, de la décision d’accorder ou de refuser une autorisation. Si cette disposition prévoit certaines conditions relatives au contenu de l’annonce, elle est muette quant à la procédure à suivre.
51 Aucune règle relative au déclenchement et au calcul des délais de recours n’étant par ailleurs prévue dans la directive EIE, il convient de constater que le législateur de l’Union a entendu réserver ces questions à l’autonomie procédurale des États membres, dans le respect des principes d’équivalence et d’effectivité mentionnés au point 27 du présent arrêt, et sachant que, en l’occurrence, seul paraît être en cause le second de ces deux principes pour des raisons analogues à celles énoncées au
point 28 du présent arrêt.
52 Il y a lieu, à cet égard, de dissiper les doutes de la juridiction de renvoi au regard du principe d’effectivité s’agissant d’une publication de la décision sur Internet ou de l’existence d’un délai de recours, en elles‑mêmes.
53 En effet, l’article 6, paragraphe 2, de la directive EIE mentionne explicitement la voie électronique, lorsqu’elle est disponible, comme moyen de communication pour informer le public.
54 Quant aux délais de recours, il y a lieu de rappeler que la Cour a reconnu la compatibilité avec le principe d’effectivité de la fixation de délais raisonnables de recours à peine de forclusion dans l’intérêt de la sécurité juridique qui protège à la fois l’intéressé et l’administration concernée, même si, par définition, l’écoulement de ces délais entraîne le rejet, total ou partiel, de l’action intentée (voir, en ce sens, arrêt du 20 décembre 2017, Caterpillar Financial Services, C‑500/16,
EU:C:2017:996, point 42).
55 En particulier, la Cour ne considère pas comme une difficulté excessive le fait d’imposer des délais de recours qui ne commencent à courir qu’à partir de la date à laquelle la personne concernée a pris connaissance de l’annonce ou, à tout le moins, aurait dû en prendre connaissance (voir, en ce sens, arrêts du 27 février 2003, Santex, C‑327/00, EU:C:2003:109, points 55 et 57 ; du 6 octobre 2009, Asturcom Telecomunicaciones, C‑40/08, EU:C:2009:615, point 45, ainsi que du 8 septembre 2011, Rosado
Santana, C‑177/10, EU:C:2011:557, point 96).
56 Il ne serait, en revanche, pas compatible avec le principe d’effectivité d’opposer un délai à une personne si le comportement des autorités nationales combiné avec l’existence du délai a eu pour conséquence de la priver totalement de la possibilité de faire valoir ses droits devant les juridictions nationales, c’est-à-dire si les autorités, par leur comportement, ont été à l’origine de la tardiveté du recours (voir, en ce sens, arrêt du 19 mai 2011, Iaia e.a., C‑452/09, EU:C:2011:323, point 21).
57 Enfin, il résulte de l’article 11, paragraphe 3, de la directive EIE que les États membres doivent poursuivre un objectif de large accès à la justice lorsqu’ils établissent les règles de recours en matière de participation du public au processus décisionnel (voir, en ce sens, arrêts du 11 avril 2013, Edwards et Pallikaropoulos, C‑260/11, EU:C:2013:221, points 31 et 44, ainsi que du 17 octobre 2018, Klohn, C‑167/17, EU:C:2018:833, point 35).
58 Il peut être relevé à cet égard que, ainsi qu’il ressort de la réponse à la première question, le public concerné doit être informé sur la procédure d’autorisation et ses possibilités d’y participer de façon adéquate et suffisamment à l’avance. Or, si tel n’est pas le cas, les membres du public concerné ne sauraient s’attendre à être informés d’une décision finale d’autorisation.
59 Cela est tout particulièrement vrai dans des conditions telles que celles en cause au principal. En effet, le simple fait de pouvoir accéder ex post à une décision d’autorisation sur le site Internet du ministère de l’Environnement ne pourrait être considéré comme étant satisfaisant au regard du principe d’effectivité, dès lors que, en l’absence d’information suffisante sur le lancement de la procédure de participation du public, nul ne saurait être censé se tenir informé de la publication de la
décision finale correspondante.
60 Il convient par conséquent de répondre à la seconde question que les articles 9 et 11 de la directive EIE doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation, telle que celle en cause au principal, qui conduit à opposer à des membres du public concerné un délai pour déposer un recours commençant à courir à compter de l’annonce d’une autorisation d’un projet sur Internet, lorsque ces membres du public concerné n’ont pas eu préalablement la possibilité adéquate de s’informer
sur la procédure d’autorisation conformément à l’article 6, paragraphe 2, de cette directive.
Sur les dépens
61 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit :
1) L’article 6 de la directive 2011/92/UE du Parlement européen et du Conseil, du 13 décembre 2011, concernant l’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce qu’un État membre conduise les opérations de participation du public au processus décisionnel afférentes à un projet au niveau du siège de l’autorité administrative régionale compétente, et non au niveau de l’unité municipale dont dépend le lieu
d’implantation de ce projet, lorsque les modalités concrètes mises en œuvre n’assurent pas un respect effectif de ses droits par le public concerné, ce qu’il appartient à la juridiction nationale de vérifier.
2) Les articles 9 et 11 de la directive 2011/92 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation, telle que celle en cause au principal, qui conduit à opposer à des membres du public concerné un délai pour déposer un recours commençant à courir à compter de l’annonce d’une autorisation d’un projet sur Internet, lorsque ces membres du public concerné n’ont pas eu préalablement la possibilité adéquate de s’informer sur la procédure d’autorisation conformément à l’article 6,
paragraphe 2, de cette directive.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : le grec.