CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
M. MANUEL CAMPOS SÁNCHEZ-BORDONA
présentées le 29 janvier 2020 ( 1 )
Affaire C‑796/18
Informatikgesellschaft für Software-Entwicklung mbH
contre
Ville de Cologne,
en présence de
Land de Berlin
[demande de décision préjudicielle formée par l’Oberlandesgericht Düsseldorf (tribunal régional supérieur de Düsseldorf, Allemagne)]
« Renvoi préjudiciel – Marchés publics – Directive 2014/24/UE – Notion de “contrat à titre onéreux” – Coopération horizontale entre pouvoirs adjudicateurs – Mise à disposition d’un logiciel de coordination des opérations de sapeurs-pompiers – Accord de coopération pour la mise à jour et le développement du logiciel – Activité accessoire au service public – Interdiction de placer des tiers dans une situation privilégiée »
1. Les premières règles européennes en matière de marchés publics remontent aux années 70. Depuis lors, plusieurs dispositions se sont succédé jusqu’à l’adoption, en 2014, de trois textes visant à réglementer cette matière sous tous ses aspects : la directive 2014/24/UE ( 2 ) (dont l’interprétation fait l’objet du présent renvoi préjudiciel), la directive 2014/23/UE ( 3 ) et la directive 2014/25/UE ( 4 ).
2. Avant l’entrée en vigueur des directives de 2014, la Cour avait déjà admis que les règles du droit de l’Union en matière de marchés publics ne s’appliquaient pas, en principe, lorsque, sous certaines conditions :
– un pouvoir adjudicateur confiait à une personne morale sous son contrôle l’exécution de certaines tâches, sans recourir à d’autres entités externes (coopération verticale ou attribution « in house »),
ou
– deux pouvoirs adjudicateurs collaboraient entre eux afin de garantir la réalisation d’une mission de service public commune aux deux (coopération horizontale).
3. En ce qui concerne cette deuxième forme de coopération entre pouvoirs publics, la jurisprudence de la Cour avait engendré une certaine insécurité juridique ( 5 ), à laquelle la directive 2014/24 a tenté de remédier. Je ne suis pas sûr que cette tentative ait été couronnée du succès que l’on pouvait espérer.
4. Dans le litige à l’origine du présent renvoi préjudiciel, Informatikgesellschaft für Software-Entwicklung mbH (ci-après « ISE ») conteste devant l’Oberlandesgericht Düsseldorf (tribunal régional supérieur de Düsseldorf, Allemagne) les accords conclus entre la ville de Cologne et le Land de Berlin, en vertu desquels le Land de Berlin met à la disposition de la première un logiciel de gestion des interventions de son service de sapeurs-pompiers, contrat auquel est joint un accord de coopération
entre les deux administrations.
5. La juridiction de renvoi souhaite notamment savoir si la relation entre les pouvoirs adjudicateurs à l’origine du présent litige entre ou non dans le cadre des règles en matière de passation des marchés publics de la directive 2014/24. Elle permet ainsi à la Cour de compléter sa jurisprudence, même si à la lumière d’une nouvelle disposition (l’article 12, paragraphe 4, de la directive 2014/24) relativement à laquelle aucun arrêt n’a jusqu’à présent, sauf erreur de ma part, été rendu.
I. Le cadre juridique
A. Le droit de l’Union : la directive 2014/24
6. Le considérant 5 de la directive 2014/24 indique :
« [...] rien dans la présente directive ne fait obligation aux États membres de confier à des tiers ou d’externaliser la fourniture de services qu’ils souhaitent fournir eux‑mêmes ou organiser autrement que par la passation d’un marché public au sens de la présente directive [...] »
7. Aux termes du considérant 31 de la directive 2014/24 :
« Il existe une importante insécurité juridique quant à la question de savoir dans quelle mesure les règles sur la passation des marchés publics devraient s’appliquer aux marchés conclus entre entités appartenant au secteur public. La jurisprudence applicable de la Cour de justice de l’Union européenne fait l’objet d’interprétations divergentes entre États membres et même entre pouvoirs adjudicateurs. Il est dès lors nécessaire de préciser dans quels cas les marchés conclus au sein du secteur
public ne sont pas soumis à l’application des règles relatives à la passation des marchés publics.
Ces précisions devraient s’appuyer sur les principes énoncés dans la jurisprudence pertinente de la Cour de justice de l’Union européenne. La seule circonstance que les deux parties à un accord sont elles‑mêmes des pouvoirs publics n’exclut pas en soi l’application des règles relatives à la passation des marchés publics. L’application de ces règles ne devrait toutefois pas interférer avec la liberté des pouvoirs publics d’exercer les missions de service public qui leur sont confiées en utilisant
leurs propres ressources, ce qui inclut la possibilité de coopérer avec d’autres pouvoirs publics.
Il convient de veiller à ce qu’aucune coopération public-public ainsi exclue n’entraîne de distorsion de concurrence à l’égard des opérateurs économiques privés dans la mesure où cela place un prestataire de services privé dans une situation privilégiée par rapport à ses concurrents. »
8. Le considérant 33 de la directive 2014/24 énonce :
« Les pouvoirs adjudicateurs devraient pouvoir choisir de fournir conjointement leurs services publics par la voie de la coopération, sans être contraints de recourir à une forme juridique particulière. Cette coopération pourrait porter sur tous les types d’activités liées à l’exécution de services et à l’exercice de responsabilités confiées aux pouvoirs adjudicateurs participants ou assumées par eux, telles que des missions obligatoires ou volontaires relevant d’autorités locales ou régionales
ou des services confiés à des organismes particuliers par le droit public. Les services fournis par les différents pouvoirs adjudicateurs participants ne doivent pas nécessairement être identiques ; ils pourraient également être complémentaires.
Les marchés concernant la fourniture conjointe de services publics ne devraient pas être soumis à l’application des règles établies dans la présente directive, à condition qu’ils soient conclus exclusivement entre pouvoirs adjudicateurs, que la mise en œuvre de cette coopération n’obéisse qu’à des considérations d’intérêt public et qu’aucun prestataire privé de services ne soit placé dans une situation privilégiée par rapport à ses concurrents.
Pour que ces conditions soient remplies, il convient que la coopération soit fondée sur le concept de coopération. Cette coopération n’exige pas que tous les pouvoirs participants se chargent de l’exécution des principales obligations contractuelles, tant que l’engagement a été pris de coopérer à l’exécution du service public en question. En outre, la mise en œuvre de la coopération, y compris tout transfert financier entre les pouvoirs adjudicateurs participants, ne devrait obéir qu’à des
considérations d’intérêt public. »
9. L’article 1er, paragraphe 4, de la directive 2014/24 dispose :
« La présente directive ne porte pas atteinte à la faculté des États membres de définir, conformément au droit de l’Union, ce qu’ils entendent par services d’intérêt économique général, la manière dont ces services devraient être organisés et financés conformément aux règles relatives aux aides d’État et les obligations spécifiques auxquelles ils devraient être soumis. De même, la présente directive n’a pas d’incidence sur le droit qu’ont les pouvoirs publics de décider si, comment et dans quelle
mesure ils souhaitent assumer eux‑mêmes certaines fonctions publiques conformément à l’article 14 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et au protocole no 26. »
10. L’article 2, paragraphe 1, point 5, de la directive 2014/24 définit les marchés publics comme suit :
« [...] des contrats à titre onéreux conclus par écrit entre un ou plusieurs opérateurs économiques et un ou plusieurs pouvoirs adjudicateurs et ayant pour objet l’exécution de travaux, la fourniture de produits ou la prestation de services ».
11. L’article 12, paragraphe 4, de la directive 2014/24 prévoit :
« Un marché conclu exclusivement entre deux pouvoirs adjudicateurs ou plus ne relève pas du champ d’application de la présente directive, lorsque toutes les conditions suivantes sont réunies :
a) le marché établit ou met en œuvre une coopération entre les pouvoirs adjudicateurs participants dans le but de garantir que les services publics dont ils doivent assurer la prestation sont réalisés en vue d’atteindre les objectifs qu’ils ont en commun ;
b) la mise en œuvre de cette coopération n’obéit qu’à des considérations d’intérêt public ; et
c) les pouvoirs adjudicateurs participants réalisent sur le marché concurrentiel moins de 20 % des activités concernées par la coopération ».
12. Conformément à l’article 18, paragraphe 1, de la directive 2014/24 :
« Les pouvoirs adjudicateurs traitent les opérateurs économiques sur un pied d’égalité et sans discrimination et agissent d’une manière transparente et proportionnée.
Un marché ne peut être conçu dans l’intention de le soustraire au champ d’application de la présente directive ou de limiter artificiellement la concurrence. La concurrence est considérée comme artificiellement limitée lorsqu’un marché est conçu dans l’intention de favoriser ou de défavoriser indûment certains opérateurs économiques. »
B. Le droit allemand
13. En vertu de l’article 91 c, paragraphe 1, de la Constitution allemande, « [l]a Fédération et les Länder peuvent coopérer pour la planification, la création et l’exploitation des systèmes informatiques nécessaires à l’accomplissement de leurs tâches ».
14. L’article 108 du Gesetz gegen Wettbewerbsbeschränkungen (loi sur la protection de la concurrence, ci‑après le « GWB ») reproduit l’article 12 de la directive 2014/24.
15. En vertu des décisions dites « de Kiel » adoptées en 1979, une administration publique peut partager un logiciel développé ou acquis (par elle‑même ou en son nom) avec d’autres administrations publiques en Allemagne, pour autant qu’il y ait réciprocité. On considère que cette dernière existe lorsque les règles budgétaires ou les lois ou statuts budgétaires des entités concernées – le propriétaire et le destinataire du logiciel – ont tenu compte des règles budgétaires recommandées en 1980 par la
conférence des ministres des Finances. En général, l’octroi de la réciprocité n’est pas évalué en termes commerciaux, mais en termes politiques. Ce n’est pas un échange mutuel spécifique qui est considéré, mais la possibilité de le faire ( 6 ).
II. Le litige au principal et les questions préjudicielles
16. En septembre 2017, la ville de Cologne et le Land de Berlin ont conclu un contrat de mise à disposition de logiciels en vertu duquel le dernier cédait à la première, à titre gratuit et pour une durée indéterminée, l’utilisation d’un logiciel de contrôle des interventions de son service de sapeurs-pompiers.
17. La mise à disposition devait respecter les conditions fixées dans un accord de coopération de même date, qui contenait, entre autres, les articles suivants :
« Article 1er. Finalité de la volonté de coopérer
[...] Les partenaires ont choisi un partenariat d’égal à égal et, si nécessaire, dans un esprit de compromis afin d’adapter le logiciel aux besoins respectifs du partenaire et le mettre à sa disposition. [...]
Article 2. Détermination de l’objectif de la coopération
[...] De nouvelles fonctionnalités techniques peuvent être ajoutées au système logiciel sous forme de modules et mises à la disposition des autres partenaires de la coopération en vue d’une utilisation gratuite.
[...]
Article 5. Configuration de la coopération
[...] La mise à disposition du logiciel de base est gratuite. Les modules techniques complémentaires et ajoutés sont proposés gratuitement aux partenaires de la coopération.
[...]
L’accord de coopération n’est contraignant qu’en tant que document conjoint avec le contrat [de mise à disposition de logiciel] ».
18. ISE, qui se consacre au développement et à la vente de logiciels, a saisi la Vergabekammer Rheinland (chambre des marchés publics de Rhénanie, Allemagne) en vue de l’annulation des contrats conclus entre le Land de Berlin et la ville de Cologne. Elle a fait valoir que la ville de Cologne avait attribué un marché public de fournitures d’une valeur supérieure au montant exempté de l’obligation d’appliquer les règles en matière de passation de marchés publics. La participation de la ville de
Cologne au développement ultérieur du logiciel mis à disposition constituait, selon elle, un avantage financier suffisant. En outre, l’acquisition du logiciel de base entraînerait de nouvelles commandes au fabricant : pour un tiers, le développement et la maintenance de ce logiciel représenterait un coût financier insupportable.
19. La Vergabekammer Rheinland (chambre des marchés publics de Rhénanie) a rejeté le recours d’ISE, niant que les accords entre la ville de Cologne et le Land de Berlin puissent être qualifiés de « marchés publics » au sens du droit de l’Union. Selon elle, les deux parties se seraient limitées à instaurer une coopération équitable dans le cadre de laquelle le logiciel était mis gratuitement à disposition.
20. ISE a formé un recours contre cette décision devant l’Oberlandesgericht Düsseldorf (tribunal régional supérieur de Düsseldorf). La ville de Cologne s’est opposée à ce recours, affirmant que la décision attaquée était correcte.
21. Dans ce contexte, l’Oberlandesgericht Düsseldorf (tribunal régional supérieur de Düsseldorf) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) Une mise à disposition d’un logiciel, par une administration publique à une autre administration publique, convenue par écrit et liée à un accord de coopération constitue-t-elle un “marché public” au sens de l’article 2, paragraphe 1, point 5, de la directive 2014/24 ou un marché relevant du champ d’application de la directive au sens de l’article 12, paragraphe 4, de la directive – à tout le moins dans un premier temps, sous réserve de l’article 12, paragraphe 4, sous a) à c) –, lorsque,
bien que l’administration ayant reçu le logiciel n’ait pas à payer un prix ou à rembourser le coût du logiciel, l’accord de coopération lié à la mise à disposition prévoit que chaque partie à l’accord de coopération – et donc aussi celle recevant le logiciel – met gratuitement à la disposition de l’autre les futurs développements logiciels qu’elle est susceptible, sans obligation à cet égard, d’avoir conçus ?
2) Conformément à l’article 12, paragraphe 4, sous a), de la directive 2014/24, la coopération entre les pouvoirs adjudicateurs participants doit-elle avoir pour objet les services publics devant être fournis conjointement au citoyen en tant que tels, ou suffit-il que la coopération porte sur des activités qui contribuent de quelque manière que ce soit aux services publics devant de même être fournis, mais pas forcément conjointement ?
3) Une interdiction non écrite de traitement plus favorable s’applique-t-elle dans le cadre de l’article 12, paragraphe 4, de la directive 2014/24, et si oui, quelle est sa teneur ? »
22. La décision de renvoi a été enregistrée au greffe de la Cour le 19 décembre 2018. Des observations écrites ont été déposées par la ville de Cologne, le gouvernement autrichien et la Commission européenne.
23. Une audience s’est tenue le 6 novembre 2019 en présence des représentants d’ISE, de la ville de Cologne, du gouvernement autrichien et de la Commission.
III. Analyse
A. Approche générale et observations préalables
24. La prestation de services par le biais de la coopération interadministrative, également appelée « horizontale » ou « public-public », a été expressément intégrée dans le droit de l’Union au titre I, chapitre I, section 3 (« Exclusions ») de la directive 2014/24, notamment à son article 12, paragraphe 4 ( 7 ).
25. Conformément à cette disposition, « un marché conclu exclusivement entre deux pouvoirs adjudicateurs ou plus ne relève pas du champ d’application » de la directive 2014/24 si toutes les conditions énumérées dans cette disposition sont remplies ( 8 ).
26. Le texte actuellement en vigueur accueille la coopération horizontale de manière plus généreuse que la jurisprudence de la Cour antérieure aux directives de 2014. Cette jurisprudence ( 9 ), mentionnée au considérant 31 de la directive 2014/24 ( 10 ), avait indiqué certaines conditions pour que la prestation de services publics puisse être effectuée sans recourir au marché, au moyen de la coopération entre administrations publiques.
27. Outre la nature de pouvoir adjudicateur des entités parties à l’accord, ces conditions imposaient que l’accord interadministratif :
– ait pour objet d’assurer la mise en œuvre d’une mission de service public commune aux entités ;
– soit conclu exclusivement par des entités publiques, sans participation d’une partie privée ;
– ne place aucun prestataire privé dans une situation privilégiée par rapport à ses concurrents ;
– instaure une coopération uniquement régie par des considérations et des exigences propres à la poursuite d’objectifs d’intérêt public.
28. La directive 2014/24 ne se contente toutefois pas de codifier ce qui existait déjà, mais procède à des reformulations, précisions, suppressions et ajouts relativement à l’une ou à plusieurs de ces conditions. Par conséquent, lors de l’interprétation de cette directive, il ne sera pas toujours pertinent ou utile de revenir purement et simplement à la jurisprudence antérieure.
29. Les dispositions actuellement pertinentes sont l’article 12, paragraphe 4, et les considérants 31 et 33 de la directive 2014/14. Leur combinaison donne lieu à un régime juridique qui concilie deux objectifs en tension : d’une part, la volonté de ne pas interférer avec les États membres dans l’organisation de leur administration interne ; d’autre part, veiller à ce que l’exclusion n’entraîne pas une violation des principes du droit de l’Union régissant la passation des marchés publics.
30. La directive 2014/24 insiste sur le fait que les États membres n’ont aucune obligation de recourir au marché pour s’approvisionner ou obtenir les services nécessaires à l’exercice de leur activité ( 11 ).
31. Cela étant, exclure ce type de contrats interadministratifs des procédures de passation de marchés publics pourrait aller à l’encontre de l’objectif visant à établir un marché intérieur dans ce domaine également. Plus le nombre de marchés exclus est élevé, moins grande est la marge de création et de développement du marché intérieur en matière de passation de marchés publics.
32. L’auto-approvisionnement des entités publiques, que ce soit sous la forme d’une coopération « in house » ou « horizontale », n’est pas sans risque pour la libre circulation des biens et des services ( 12 ). Les doutes quant à ses effets sur la libre concurrence sont légitimes, au-delà du cas expressément mentionné au considérant 33, deuxième alinéa, in fine, de la directive 2014/24, qui met en garde contre une coopération qui placerait un opérateur économique dans une situation privilégiée par
rapport à des concurrents.
33. Une utilisation inappropriée de ces mécanismes de collaboration pourrait effectivement conduire à un « rétrécissement » du marché du côté de la demande et à une réduction du nombre de fournisseurs que ce marché pourrait soutenir. Un abus de la position dominante (collective) que les pouvoirs adjudicateurs pourraient obtenir est également envisageable en théorie.
34. Sous un autre angle, il est également vrai que la plus grande flexibilité donnée par la directive 2014/24 à la coopération horizontale entre pouvoirs adjudicateurs (fruit d’une décision politique du législateur de l’Union) peut également avoir des effets positifs sur la concurrence, en encourageant les opérateurs privés à offrir de meilleures conditions contractuelles.
35. La décision d’un État membre quant à la manière de fournir un service public (qui peut précisément consister à ne pas recourir au marché, mais à la coopération administrative) doit respecter les règles fondamentales du TFUE, notamment celles relatives à la libre circulation des marchandises, à la liberté d’établissement et à la libre prestation de services, ainsi que les principes d’égalité de traitement, de non‑discrimination, de reconnaissance mutuelle, de proportionnalité et de transparence (
13 ). Ces règles et principes doivent également être mis en balance lors de l’interprétation de l’article 12 de la directive 2014/24.
36. L’ensemble de ces considérations explique l’existence de l’article 12 de la directive 2014/24 et justifie les conditions posées à la coopération « public-public », expressément mentionnées au paragraphe 4 de cette disposition.
37. Enfin, il convient d’indiquer que l’exclusion de ces mécanismes de collaboration entre pouvoirs adjudicateurs du champ d’application de la directive 2014/24 n’obéit pas à la logique binaire règle/exception, mais à une compréhension différente du domaine auquel cette directive s’applique.
38. En effet, en prévoyant que les relations de collaboration entre pouvoirs adjudicateurs visées à l’article 12, paragraphe 4, de la directive 2014/24 « ne relèvent pas » ( 14 ) du champ d’application de la directive, l’intention est de marquer les limites de cette directive, dont les autres règles ne sont tout simplement pas opposables à ces relations. Par conséquent, à proprement parler, je ne crois pas que les considérations faites dans les arrêts précédents quant au critère herméneutique
(restrictif) applicable aux exceptions, par opposition à la règle générale, soient automatiquement utiles à l’interprétation de cette exclusion ( 15 ).
B. La première question préjudicielle : la mise à disposition du logiciel et le champ d’application de la directive 2014/24
1. À titre liminaire : les conditions d’application de l’article 12
39. La juridiction de renvoi demande, en premier lieu, si une mise à disposition de logiciel telle que celle qui a eu lieu entre le Land de Berlin et la ville de Cologne relève du champ d’application de la directive 2014/24, soit en tant que « marché public » (au sens de l’article 2, paragraphe 1, point 5), soit en tant que simple « marché » (au sens de l’article 12, paragraphe 4).
40. La question, telle qu’elle a été formulée, se pose au vu de l’absence (apparente) de caractère onéreux de la mise à disposition. Il ressort du texte de la question que, pour la juridiction de renvoi, le champ d’application de la directive 2014/24 n’est pas défini uniquement à son article 2. L’absence, à l’article 12, paragraphe 4, de ce texte, de l’adjectif « public » accompagnant le terme « marché » pourrait signifier que certains marchés ne relevant pas de la définition de l’article 2,
paragraphe 1, point 5, seraient également soumis aux règles de l’Union en matière de passation de marchés publics.
41. Plutôt que procéder à une analyse détaillée des diverses acceptions du terme « marché » et des qualificatifs qui l’accompagnent au regard des différentes dispositions de la directive 2014/24 ( 16 ), je me concentrerai sur l’exégèse de son article 12, paragraphe 4, afin de déterminer si cette disposition est applicable à une relation telle que celle convenue entre le Land de Berlin et la ville de Cologne. J’examinerai donc la première question préjudicielle à la lumière de la spécificité de cette
disposition.
42. Le terme « marché » qui figure à l’article 12, paragraphe 4, de la directive 2014/24 s’explique par son lien systématique non pas tant avec l’article 2 de cette directive qu’avec les autres paragraphes de l’article 12 lui‑même. Dans ce contexte, il reflète la différence avec la coopération verticale (paragraphes 1 à 3 de cette disposition), dans le cadre de laquelle les relations entre les participants sont structurées sur la base du contrôle interne. Ce terme viserait en fait à exprimer qu’il
doit exister un accord ou une convention établissant la base et le cadre juridique des rapports entre les parties, l’objectif de la coopération ainsi que les actions (contributions) devant être réalisées par chacune d’entre elles ( 17 ).
43. Le considérant 33, deuxième alinéa, de la directive 2014/24 plaide également en ce même sens lorsqu’il mentionne les « marchés concernant la fourniture conjointe de services publics », puis, au troisième alinéa, l’« engagement [...] de coopérer à l’exécution du service », qui ne se traduit pas nécessairement par l’exécution par toutes les parties des obligations contractuelles principales.
44. Sur le fondement de cette prémisse, l’article 12 de la directive 2014/24 prévoit deux situations dans lesquelles l’acception habituelle du « marché public » pourrait ne pas être très appropriée, car elles constituent plutôt des alternatives à cette catégorie.
45. D’une part, l’article 12, paragraphes 1, 2 et 3, de la directive 2014/24 admet la « coopération verticale », dans laquelle, comme je l’ai déjà indiqué ailleurs, « [s]i l’on adopte une perspective fonctionnelle, en régime dit “in house ”, le pouvoir adjudicateur conclut un marché non pas avec une autre entité, mais en réalité avec lui‑même, compte tenu de son lien avec l’entité formellement distincte. Il s’agit à proprement parler non pas d’une attribution d’un marché, mais simplement d’une
commande ou d’une mission, que l’autre “partie” n’est pas en droit de refuser, quelle que soit la forme que l’une ou l’autre prend » ( 18 ).
46. D’autre part, l’article 12, paragraphe 4, de la directive 2014/24 admet également la « coopération horizontale », c’est‑à‑dire la coopération entre pouvoirs adjudicateurs qui utilisent la forme contractuelle aux fins de son articulation, pour que la prestation de services publics qui leur incombe vise à la réalisation d’un objectif commun, dans un cadre uniquement guidé par l’intérêt public et dans le respect de la libre concurrence.
47. Il va de soi que, bien que la directive 2014/24 ne le mentionne pas expressément, un autre type de relations interadministratives ne relève pas non plus de son champ d’application, tel que les relations découlant d’un transfert ou d’une délégation de compétences ( 19 ), y compris en cas de création d’un consortium d’entités ayant une personnalité morale de droit public. Ces situations sont réputées être, par principe, « étrangères au droit des marchés publics » ( 20 ).
48. Dans le cadre de la coopération horizontale, un pouvoir adjudicateur qui pourrait pourvoir à ses besoins (en biens, travaux ou fournitures) en ayant recours, au moyen d’un appel d’offres, à des entreprises privées choisit de renoncer à cette voie et de la remplacer par une collaboration avec une autre entité publique qui peut satisfaire à ces besoins.
49. D’un point de vue objectif, la spécificité de ce type de collaboration entre entités publiques repose sur trois éléments : la notion de coopération qui préside la relation entre les parties, l’objectif commun visé par cette relation et la finalité d’intérêt public qui doit guider la coopération.
50. La collaboration implique généralement des contributions de toutes les parties, avec les dépenses publiques en découlant. La relation entre ces parties ne s’épuise toutefois pas dans le « do ut des » [donnant-donnant] propre au contrat synallagmatique qui, selon la jurisprudence de la Cour, caractérise le marché public soumis aux directives en la matière ( 21 ).
51. En effet, il y aura opération juridique avec des prestations de tous les intervenants, exigibles par les uns et par les autres, pour autant que leurs contributions respectives visent à atteindre un objectif commun ultérieur. La cause des contributions est précisément cette finalité commune, qui doit être d’intérêt public.
2. Le caractère onéreux ou gratuit dans la relation entre le Land de Berlin et la ville de Cologne
52. Afin de déterminer si la relation entre la ville de Cologne et le Land de Berlin était régie par les règles de la directive 2014/24, il convient de tenir compte non seulement du contrat de mise à disposition (par lequel le logiciel est mis à la disposition de la ville de Cologne), mais également de l’accord de coopération qui l’accompagne ( 22 ).
53. Les intéressées ont elles‑mêmes configuré cette relation en tant qu’unité, indiquant explicitement à l’article 5 de l’accord de coopération que ce dernier était inséparable du contrat de mise à disposition du logiciel ( 23 ).
54. Comme je l’ai déjà indiqué, les doutes de la juridiction de renvoi surgissent en raison de l’absence apparente de caractère onéreux dans la relation entre le Land de Berlin et la ville de Cologne.
55. Le caractère onéreux fait partie de la définition du « marché public » donnée à l’article 2, paragraphe 1, point 5, de la directive 2014/24. Il peut selon moi également être considéré comme un élément caractéristique de la relation entre les pouvoirs adjudicateurs visée à l’article 12, paragraphe 4, qui, comme je l’ai déjà expliqué, ne s’identifie pas nécessairement avec l’acception habituelle du « marché public ».
56. En ce qui concerne sa signification, je rappellerai que, dans la jurisprudence de la Cour, la notion du caractère onéreux a fait l’objet d’une interprétation extensive ( 24 ).
57. Dans la relation entre le Land de Berlin et la ville de Cologne, la remise du logiciel est présentée comme étant gratuite et en tant qu’instrument de coopération afin de développer et d’adapter ce logiciel aux besoins de gestion des services de sapeurs-pompiers respectifs.
58. Comme l’affirme la juridiction de renvoi ( 25 ), ce développement futur a une valeur économique, qui peut être très élevée ( 26 ). Dans la description des faits, la ville de Cologne indique que le logiciel est mis à sa disposition afin qu’elle puisse participer à la coopération. Elle a préalablement reconnu que la prestation du service des sapeurs‑pompiers (à laquelle elle est légalement tenue, ainsi qu’elle l’a fait remarquer lors de l’audience) n’est pas réalisable sans un système de gestion
optimale des interventions, qui doit être constamment adapté aux besoins d’exécution du service, ce qui requiert un logiciel efficace.
59. Il est donc légitime de penser, à l’instar de ce qu’indique la Commission, que, même si l’accord ne prévoit pas d’obligation stricto sensu de développer le logiciel, il n’est pas vraisemblable qu’un tel développement et, le cas échéant, les adaptations successives du logiciel n’aient pas lieu. Ainsi qu’il a été exposé lors de l’audience, la mise à jour de ce logiciel, à court terme et ultérieurement, sera pratiquement inévitable ( 27 ).
60. On peut donc raisonnablement s’attendre à ce que la ville de Cologne développe et ajoute des modules au logiciel. Cet élément intervient en contrepartie de la mise à disposition du logiciel par le Land de Berlin, sans quoi le contrat de mise à disposition n’aurait pas été assorti d’un accord de coopération.
61. En définitive, du point de vue de la ville de Cologne, la contre‑valeur qui permet de parler de caractère onéreux dans sa relation avec le Land de Berlin est sa participation à une coopération susceptible d’apporter des avantages à ce dernier, sous forme d’adaptations du logiciel (article 1er de l’accord de coopération) et de modules techniques complémentaires (article 5 de cet accord). Ces adaptations, qui ont un certain coût économique, se produiront sans aucun doute, car les centres
opérationnels des sapeurs-pompiers ne peuvent pas fonctionner autrement.
62. La contrepartie ne dépend donc pas d’une condition purement potestative : ce n’est qu’une question de temps pour qu’elle intervienne. Il ne s’agit pas d’une simple proclamation de l’intention de coopérer, mais d’un engagement qui sera exigible, qui dépend d’un quand (lorsque la mise à jour sera effectuée) et non d’un si (si la mise à jour est effectuée).
63. L’accord de coopération prévoit certes la possibilité de développements du logiciel par les deux parties, l’une d’entre elles pouvant en théorie rester inactive et se contenter d’attendre les contributions de l’autre. Toutefois, il est, je le répète, très improbable que cela se produise, dans la mesure où cela mettrait en péril la fourniture du service public qui incombe à chacune d’entre elles. Un tel comportement priverait d’objet l’accord même de coopération volontairement formalisé entre
l’une et l’autre.
64. En résumé, la relation contractuelle entre les pouvoirs adjudicateurs ayant convenu de la mise à disposition du logiciel et des conditions de leur coopération pour le développer relève de l’article 12, paragraphe 4, de la directive 2014/24.
C. La deuxième question préjudicielle : l’objet de la coopération
1. Approche générale
65. La fourniture du service public des sapeurs-pompiers qui incombe aux entités parties à la coopération en l’espèce n’est pas conjointe : elle ne saurait l’être, ne serait-ce qu’en raison de la distance géographique entre les territoires sur lesquels chacune d’elles intervient.
66. C’est la raison pour laquelle la juridiction de renvoi doute que la coopération relève de l’article 12, paragraphe 4, sous a), de la directive 2014/24 et demande si, pour qu’il en soit ainsi, il suffit « que la coopération porte sur des activités qui contribuent de quelque manière que ce soit aux services publics devant de même être fournis, mais pas forcément conjointement ».
67. La réponse exige une analyse séparée de deux éléments : a) l’exploitation en commun du service public en vue duquel la coopération a lieu et b) la nature de « service public » de l’activité faisant l’objet de la coopération.
a) Sur la fourniture conjointe du service public. De la « mission de service public commune » aux « objectifs communs d’intérêt public »
68. Selon la jurisprudence de la Cour antérieure à la directive 2014/24, la viabilité de la coopération horizontale était subordonnée, entre autres, à l’exigence de la réalisation par les parties d’une mission de service public commune. La Cour n’a toutefois pas eu à se prononcer sur le point de savoir si ce caractère commun était exigé de la prestation même du service.
69. L’exemple type de coopération horizontale exclue des règles du droit de l’Union en matière de passation de marchés publics a été l’affaire C‑480/06, Commission/Allemagne, dans laquelle cette coopération, articulée sous forme d’actions et d’engagements de différentes nature et portée, garantissait en dernier lieu l’accomplissement d’une mission de service public qui relevait de la compétence de tous les pouvoirs adjudicateurs. Cette affaire concernait l’élimination de déchets, activité à laquelle
tous les intervenants participaient, puisqu’ils exploitaient l’usine de traitement desdits déchets.
70. La question qui nous intéresse ici n’a pas fait l’objet d’une attention particulière dans l’arrêt précité ni dans d’autres arrêts ultérieurs dans lesquels il manquait l’élément du caractère commun de la mission de service public en tant que condition pour sa prestation conjointe ( 28 ).
71. En vertu de l’article 12, paragraphe 4, sous a), de la directive 2014/24, pour qu’une coopération interadministrative ne relève pas du champ d’application de cette directive, le marché doit concerner des objectifs communs aux pouvoirs adjudicateurs participants. Chacun d’entre eux fournit « les services publics dont ils doivent assurer la prestation » ( 29 )« en vue d’atteindre les objectifs qu’ils ont en commun ». Le marché ou l’accord spécifie la forme de prestation afin de s’assurer qu’il en
aille ainsi. Littéralement, le caractère commun qualifie maintenant les objectifs et non une mission de service public donnée.
72. Les travaux préparatoires du texte montrent que l’intention du législateur était de rendre la coopération plus flexible quant à son objet ( 30 ).
73. La proposition de directive de la Commission mentionnait encore le fait de « mener de concert leurs [des pouvoirs adjudicateurs] missions de service public ». Au cours de son passage par le Conseil et le Parlement, le texte a été reformulé plusieurs fois jusqu’à la version actuelle. L’actuel considérant 33 a également été modifié, parallèlement aux modifications apportées au texte de l’article et suivant la même ligne d’ouverture.
74. Lors des négociations finales, la référence à l’exécution conjointe des missions a disparu de l’article 12, paragraphe 4, de la directive 2014/24, bien qu’elle se trouve toujours dans l’actuel considérant 33. La mention aux objectifs communs a été introduite sur proposition du Parlement, tout en retirant du considérant correspondant (à l’époque, le considérant 14) la description de la notion de coopération comme incluant la « gestion et la prise de décision communes ainsi que le partage des
responsabilités en matière de risques et des effets de synergie » ( 31 ).
75. L’indication figurant au considérant 33, premier alinéa, in fine, selon laquelle les services publics fournis par les entités coopérant entre elles ne doivent pas nécessairement être identiques et peuvent être complémentaires confirme l’abandon de l’exigence d’une mission de service public commune.
76. Dans ce contexte, la référence à la fourniture conjointe des services, qui apparaît plusieurs fois dans ce considérant, signifie probablement que les services publics, identiques ou complémentaires, qui incombent à chacun des pouvoirs participants doivent être réalisés « en coopération », c’est‑à‑dire par chaque entité publique avec l’appui de l’autre ou de manière coordonnée.
77. Cela pourrait sembler être des considérations sémantiques, mais, comme c’est le cas en droit, les conséquences juridiques liées au choix d’un terme ou d’un autre peuvent varier sensiblement. Ce qui importe, je le répète, c’est que la (nouvelle) règle fait référence aux objectifs communs aux pouvoirs adjudicateurs qui coopèrent entre eux.
b) Le « service public » et les « activités d’appui à un service public »
78. La deuxième question préjudicielle oblige également à analyser la nature de l’activité faisant l’objet de la coopération entre les pouvoirs adjudicateurs, afin de savoir si elle doit être elle‑même un « service public » ( 32 ) ou s’il peut s’agir d’une activité auxiliaire, c’est‑à‑dire une activité d’appui à un service public ( 33 ).
79. Dans la jurisprudence antérieure à la directive 2014/24, l’arrêt Commission/Allemagne a apporté quelques éclaircissements sur le type d’activités susceptibles de relever de la coopération « public-public » exclue des règles en matière de passation de marchés publics ( 34 ).
80. À la lecture de cet arrêt, pouvaient faire l’objet d’une telle coopération les activités qui n’étaient pas, en soi ou par elles‑mêmes, des activités de service public, mais qui étaient directement liées à ce service pour la fourniture duquel les pouvoirs adjudicateurs convenaient de coopérer.
81. Cela ne résout toutefois pas la question de savoir si la coopération peut porter exclusivement sur une activité qui n’est pas, en soi ou par elle‑même, un service public, dans un contexte tel que celui du présent litige. Je rappellerai que, en l’espèce, les pouvoirs adjudicateurs participants fournissent chacun pour leur compte et séparément le même service public (celui propre au service des sapeurs‑pompiers), leur coopération se limitant à une activité auxiliaire (la gestion informatique du
centre d’interventions d’urgence).
82. Dans le cadre de la directive 2014/24, le considérant 33 plaide en faveur d’une réponse affirmative à cette question, lorsqu’il indique que la coopération peut porter sur « tous les types d’activités liées à l’exécution de services et à l’exercice de responsabilités confiées aux pouvoirs adjudicateurs participants ou assumées par eux » ( 35 ). Les travaux législatifs montrent à nouveau l’existence d’une volonté de souligner cet aspect, qui ne figurait pas dans la proposition initiale de la
Commission ( 36 ).
83. La flexibilité que j’ai indiquée comme constituant une caractéristique de la coopération horizontale dans la directive 2014/24, que l’on peut apprécier si l’on compare cette dernière à la situation réglementaire antérieure, à la jurisprudence antérieure de la Cour et à la proposition de la Commission, confirme le bien-fondé de cette réponse affirmative.
84. Cela ne signifie toutefois pas que la coopération horizontale ainsi admise n’a pas de limites. L’exigence qu’elle vise la fourniture de services publics qui relèvent de la compétence des parties ( 37 ) existe toujours. Lorsque l’objet de la coopération n’est pas le service public lui‑même, mais une activité « liée » à celui‑ci, ce lien doit consister dans l’orientation fonctionnelle de l’activité vers l’exécution du service.
85. L’équilibre entre les objectifs en tension, que j’ai examiné ci‑avant ( 38 ), recommande en outre d’examiner ce lien en distinguant les différentes activités en fonction de leur degré de rattachement au service à la fourniture duquel elles contribuent. Selon moi, peuvent entre autres relever de l’article 12, paragraphe 4, de la directive 2014/24 les activités d’appui qui sont immédiatement et indissociablement liées au service public, c’est‑à‑dire celles qui revêtent un caractère instrumental
d’une telle intensité que le service lui‑même en dépend pour pouvoir être exécuté en tant que service public.
86. La coopération doit, en outre, satisfaire aux autres conditions prévues à l’article 12, paragraphe 4, de la directive 2014/24 (en ce qui concerne les sujets, la finalité de la coopération et les principes devant la guider), que j’ai soulignées précédemment.
2. La coopération entre le Land de Berlin et la ville de Cologne
87. En l’espèce, les deux pouvoirs adjudicateurs n’exercent pas conjointement, comme je l’ai déjà mentionné, l’activité de service public principale, à savoir celle propre au service de sapeurs-pompiers. Leur coopération vise en revanche à mettre en place et à maintenir à jour un logiciel indispensable pour que chacun d’entre eux puisse gérer, de manière optimale, les interventions de leurs services de sapeurs‑pompiers respectifs, dans leurs propres zones géographiques.
88. Conformément à la description du logiciel et de sa mise à jour figurant dans le dossier, complétée par les déclarations concordantes faites lors de l’audience, le logiciel était et est indispensable pour la fourniture de ce service public.
89. Par conséquent, la coopération entre le Land de Berlin et la ville de Cologne, dans la mesure où elle porte sur une activité indispensable à l’exécution efficace d’un service public qu’il incombe aux deux pouvoirs adjudicateurs de fournir, satisfait à l’exigence prévue à l’article 12, paragraphe 4, sous a), de la directive 2014/24.
D. La troisième question préjudicielle : le traitement plus favorable de tiers
90. L’accord entre le Land de Berlin et la ville de Cologne se heurte à d’autres objections, fondées sur la tension entre la coopération horizontale et le droit de la concurrence. La juridiction de renvoi s’y réfère dans sa troisième question, lorsqu’elle demande si l’article 12, paragraphe 4, de la directive 2014/24 contient implicitement une interdiction non écrite de traitement plus favorable et, si oui, de quelle teneur.
1. La coopération horizontale et le droit de la concurrence
91. L’exigence qu’aucun opérateur privé ne soit placé dans une situation privilégiée par rapport à ses concurrents du fait de la coopération horizontale n’est pas énoncée expressément et séparément à l’article 12 de la directive 2014/24. Elle l’était en revanche dans la jurisprudence antérieure ( 39 ).
92. Afin d’établir si, malgré cette absence dans le texte, cette exigence demeure, je rappellerai d’emblée que les États membres jouissent d’une large marge de liberté pour décider s’ils effectuent eux‑mêmes une prestation de services ou s’ils l’externalisent.
93. Dans la première de ces deux hypothèses (auto‑approvisionnement au sens large) et pour autant que certaines conditions soient remplies, les États membres ne sont pas tenus de respecter les règles et les procédures du droit de l’Union en matière de marchés publics. Toutefois, ils continuent à être soumis à d’autres règles ( 40 ), y compris celles relatives à la libre concurrence visées à l’article 106, paragraphe 2, TFUE.
94. C’est pourquoi l’article 18, paragraphe 1, second alinéa, de la directive 2014/24 indique, dans un domaine connexe, qu’« [u]n marché ne peut être conçu dans l’intention de le soustraire au champ d’application de la présente directive ou de limiter artificiellement la concurrence ».
95. La limitation imposée par les règles en matière de libre concurrence concerne donc également la coopération horizontale entre pouvoirs adjudicateurs. Elle le fait au moins de deux façons :
– d’une part, elle préside leurs relations avec les opérateurs privés, dans leur ensemble, en tant que concurrents sur le marché ;
– d’autre part, elle détermine comment les entités publiques doivent agir pour que leur coopération, si elle implique également des opérateurs privés sous quelque forme que ce soit, ne fausse pas la concurrence entre eux.
96. L’article 12, paragraphe 4, de la directive 2014/24 vise à éviter les distorsions de la libre concurrence du premier point de vue, lorsqu’il exige que la collaboration soit conclue exclusivement entre pouvoirs adjudicateurs ( 41 ). Dans le même temps, il marque certaines préventions inspirées du même dessein :
– la coopération doit être limitée à la fourniture des services publics qui incombent aux pouvoirs adjudicateurs participants, c’est‑à‑dire ne pas porter sur l’exercice de leurs activités économiques ordinaires [sous a)] ;
– la coopération doit être uniquement guidée par des raisons d’intérêt public, et non liées au marché [sous b)] ;
– si les entités coopérant entre elles interviennent également sur le « marché concurrentiel », elles ne peuvent y réaliser plus de 20 % des activités concernées par cette coopération.
97. Il ne saurait être considéré, comme l’affirme la ville de Cologne, que l’obligation de respecter la libre concurrence est limitée à la situation dans laquelle les pouvoirs adjudicateurs sont en concurrence sur le marché avec les opérateurs privés dans leur ensemble.
98. Au contraire, comme je l’ai déjà indiqué, l’obligation générale de ne pas fausser la concurrence est inscrite dans le droit primaire (article 106, paragraphe 2, TFUE) et, dans le cadre spécifique des marchés publics, à l’article 18, paragraphe 1, second alinéa, de la directive 2014/24.
2. Les marchés conclus avec des tiers
a) Considérations générales
99. Les considérants 31 et 33 de la directive 2014/24 confirment que la coopération entre pouvoirs adjudicateurs ne peut « entraîne[r] de distorsion de concurrence » en plaçant un prestataire de services privé dans une situation privilégiée par rapport à ses concurrents ( 42 ). Il convient d’insister sur le fait que ces considérants n’ajoutent en fait pas de nouveaux éléments normatifs au texte de la directive : ils ne font que guider l’interprétation de son article 12, paragraphe 4.
100. Les comportements des pouvoirs adjudicateurs qui entraîneraient des distorsions de la concurrence en désavantageant un prestataire de services privé par rapport à ses concurrents ne seraient donc pas conformes à la directive 2014/24. Le « traitement plus favorable » auquel la juridiction de renvoi fait référence, en ce sens qu’il privilégie un opérateur privé au détriment des autres, est par conséquent interdit.
101. À cet égard, deux situations peuvent se présenter qui ne sont pas parfaitement équivalentes :
– une coopération horizontale dans le cadre de laquelle un pouvoir adjudicateur met à la disposition d’un autre pouvoir adjudicateur certains biens ou services qu’il a achetés, à son tour, à un opérateur privé sans se soumettre aux règles en matière de marchés publics. Dans la mesure où ces règles seraient applicables (en raison de l’objet, de la valeur du marché, etc.), les opérateurs tiers subiraient un nouveau et, pour ainsi dire, double traitement désavantageux, en raison de leur non‑prise
en considération initiale et successive ;
– une coopération horizontale nécessitant, pour son développement futur, la participation d’opérateurs économiques autres que les pouvoirs adjudicateurs. Si certains de ces opérateurs privés étaient privés, de manière discriminatoire ou arbitraire, de leurs possibilités de s’intégrer dans le mécanisme de prestation future des biens et des services, cela les placerait en situation désavantageuse.
102. Dans la seconde hypothèse, lorsqu’une procédure d’appels d’offres est ouverte afin de compléter ou de poursuivre la prestation de services, il n’y a pas de raison d’affirmer qu’un particulier se trouve inéluctablement, de jure ou de facto, mieux placé que ses concurrents pour contribuer aux tâches faisant l’objet de la coopération interadministrative.
b) Les marchés conclus avec des tiers aux fins de la coopération entre le Land de Berlin et la ville de Cologne
103. Il n’y a pas suffisamment d’informations dans le dossier pour savoir dans quelles conditions le Land de Berlin a initialement acquis le logiciel ultérieurement mis à la disposition de la ville de Cologne. Il n’y a pas non plus de certitude absolue quant au point de savoir si le Land de Berlin se dote de nouveaux modules logiciels, en marge de la coopération avec la ville de Cologne, en soumettant un tel achat aux règles du marché ou en l’excluant de celles‑ci ( 43 ). Il appartiendra à la
juridiction de renvoi de vérifier ces éléments de fait.
104. Au contraire, le développement futur de la coopération semble nécessiter la participation de tiers, au point que la ville de Cologne a publié un avis d’appel d’offres (restreint) pour l’adaptation, le déploiement et la maintenance du logiciel fourni par le Land de Berlin ( 44 ).
105. Les extensions et les mises à jour du logiciel fourni par le Land de Berlin à la ville de Cologne aux fins de la coopération se caractérisent par une valeur économique élevée. Il est donc logique que l’intérêt des opérateurs du marché ( 45 ) se portent sur les marchés consécutifs aux fins de l’adaptation, de la maintenance et du développement de ce logiciel.
106. Pour ISE, la complexité technique de ces opérations ne permet à personne d’autre que le fabricant du logiciel d’être en mesure de les réaliser. Si tel était le cas, la décision relative à l’acquisition initiale du logiciel pourrait avoir un poids important dans l’attribution des marchés publics ultérieurs, bloquant, de facto, l’intervention d’opérateurs autres que le créateur du logiciel.
107. Dans une telle situation (qu’il incombe à la juridiction de renvoi de vérifier), l’exigence de ne pas placer les opérateurs du marché dans une situation privilégiée par rapport à leurs concurrents ( 46 ) requerrait une attention particulière dans la conception de l’appel d’offres relatif aux prestations consécutives. Il conviendrait notamment de fournir à tous les candidats potentiels les informations nécessaires pour qu’ils puissent participer à la procédure ( 47 ).
108. Cette mesure pourrait toutefois se révéler insuffisante, ce qui indiquerait que le problème se situe en amont, au stade même de l’achat du logiciel. Il appartient à la juridiction de renvoi de déterminer si l’acquisition initiale donne lieu à une situation d’exclusivité, pour des raisons techniques, qui prédétermine les procédures de passation de marché ultérieures et, dans un tel cas, d’établir les mesures appropriées afin de corriger ses effets ( 48 ).
IV. Conclusions
109. Eu égard aux considérations précédentes, je propose de répondre aux questions préjudicielles posées par l’Oberlandesgericht Düsseldorf (tribunal régional supérieur de Düsseldorf, Allemagne) comme suit :
1) L’article 12, paragraphe 4, de la directive 2014/24/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 février 2014, sur la passation des marchés publics et abrogeant la directive 2004/18/CE, doit être interprété en ce sens que la mise à disposition d’un logiciel convenue par écrit entre deux pouvoirs adjudicateurs et liée à un accord de coopération entre eux constitue un « marché » au sens de cette disposition.
Une telle relation contractuelle a un caractère onéreux, même si l’entité recevant le logiciel ne doit pas payer de prix ni compenser les coûts de celui‑ci, si chacune des parties (et donc aussi celle recevant le logiciel) s’engage à mettre à la disposition de l’autre les adaptations et les développements futurs dudit logiciel et que ceux‑ci sont indispensables à la fourniture d’un service public qui incombe aux deux pouvoirs adjudicateurs, de sorte qu’il est inévitable que ces adaptations
et développements soient réalisés.
2) La coopération entre pouvoirs adjudicateurs conformément à l’article 12, paragraphe 4, sous a), de la directive 2014/24 ne doit pas nécessairement porter sur les services publics devant être fournis aux citoyens en tant que tels. Une coopération ayant pour objet les activités d’appui à ces services relève de l’article 12, paragraphe 4, de la directive 2014/24, entre autres lorsque l’activité auxiliaire est un instrument indispensable pour le service public, de sorte que ce dernier dépend
d’elle pour être exécuté.
3) La coopération entre pouvoirs adjudicateurs qui place un opérateur privé dans une situation privilégiée par rapport à ses concurrents sur le marché ne peut être couverte par l’article 12, paragraphe 4, de la directive 2014/24.
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( 1 ) Langue originale : l’espagnol.
( 2 ) Directive du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2014 sur la passation des marchés publics et abrogeant la directive 2004/18/CE (JO 2014, L 94, p. 65).
( 3 ) Directive du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2014 sur l’attribution de contrats de concession (JO 2014, L 94, p. 1).
( 4 ) Directive du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2014 relative à la passation de marchés par des entités opérant dans les secteurs de l’eau, de l’énergie, des transports et des services postaux et abrogeant la directive 2004/17/CE (JO 2014, L 94, p. 243).
( 5 ) Qualifiée d’« importante » dans le considérant 31 de la directive 2014/24. Il est affirmé dans ce même considérant que la jurisprudence en la matière « fait l’objet d’interprétations divergentes entre États membres et même entre pouvoirs adjudicateurs ».
( 6 ) Selon une étude réalisée en 2014, la compréhension commune en Allemagne du fonctionnement pratique des décisions de Kiel est la suivante : lorsque le principe de réciprocité générale prévu dans ces décisions est appliqué à une coopération en particulier, l’un des éléments essentiels de la définition de marché public au sens du GWB fait défaut. L’absence de compensation pour la mise à disposition du logiciel confirme l’idée qu’une telle mise à disposition est gratuite, du point de vue du GWB.
Lors de l’application du principe de réciprocité générale, le destinataire du service ne s’engage pas spécifiquement à une compensation monétaire : il s’est contenté de déterminer de manière abstraite que, dans une situation comparable, il mettra le cas échéant aussi gratuitement à disposition des développements de logiciel (Gutachten Evaluierung der Kieler Besschlüsse II, 20 août 2014, p. 106).
( 7 ) Une formule similaire figure à l’article 17 de la directive 2014/23 et à l’article 28 de la directive 2014/25.
( 8 ) Les États membres décident librement s’ils appliquent ou non à ces relations leurs propres règles en matière de passation des marchés publics.
( 9 ) Arrêts du 9 juin 2009, Commission/Allemagne (C‑480/06, ci‑après l’« arrêt Commission/Allemagne , EU:C:2009:357), et du 19 décembre 2012, Azienda Sanitaria Locale di Lecce et Università del Salento contre Ordine degli Ingegneri della Provincia di Lecce e.a. (C‑159/11, ci‑après l’« arrêt ASL , EU:C:2012:817) ; ordonnance du 16 mai 2013, Consulta Regionale Ordine Ingegneri della Lombardia e.a. (C‑564/11, non publiée, EU:C:2013:307) ; arrêt du 13 juin 2013, Piepenbrock (C‑386/11, EU:C:2013:385) ;
ordonnance du 20 juin 2013, Consiglio Nazionale degli Ingegneri (C‑352/12, ci‑après l’« ordonnance Consiglio Nazionale », non publiée, EU:C:2013:416), et arrêt du 8 mai 2014, Datenlotsen Informationssysteme (C‑15/13, ci‑après l’« arrêt Datenlotsen , EU:C:2014:303). Des références à la coopération horizontale figurent dans d’autres arrêts concernant la coopération verticale.
( 10 ) Conformément à ce considérant, les précisions relatives aux marchés entre entités appartenant au secteur public qui ne relèvent pas de la directive 2014/24 « devraient s’appuyer sur les principes énoncés dans la jurisprudence pertinente de la Cour de justice de l’Union européenne ».
( 11 ) Le pouvoir discrétionnaire de recourir ou non au marché a été réitéré dans la jurisprudence de la Cour en matière de coopération verticale : voir arrêts du 11 janvier 2005, Stadt Halle et RPL Lochau (C‑26/03, EU:C:2005:5, point 48) ; du 13 novembre 2008, Coditel Brabant (C‑324/07, EU:C:2008:621, point 48), et récemment du 3 octobre 2019, Irgita (C‑285/18, EU:C:2019:829, points 50 et 2 du dispositif). Concernant la coopération horizontale, voir arrêt Commission/Allemagne (point 45).
( 12 ) Les risques sont comparables à ceux que la directive 2014/24 dénonce en matière de regroupement et de centralisation des achats, opérations qui, en vertu de son considérant 59, doivent être surveillées attentivement « pour éviter une concentration excessive du pouvoir d’achat et le risque de collusion et pour préserver la transparence et la concurrence, ainsi que les possibilités d’accès au marché pour les petites et moyennes entreprises ».
( 13 ) Arrêt du 3 octobre 2019, Irgita (C‑285/18, EU:C:2019:829, points 48, 50 et 2 du dispositif), relativement à l’interprétation de l’article 12, paragraphe 1, de la directive 2014/24.
( 14 ) Telle est l’expression utilisée à l’article 12, paragraphe 4, premier alinéa, de la directive 2014/24.
( 15 ) Voir, relativement à la coopération verticale, point 45 des conclusions de l’avocat général Hogan dans l’affaire Irgita (C‑285/18, EU:C:2019:369). La même idée se retrouve dans les arrêts du 11 janvier 2005, Stadt Halle et RPL Lochau (C‑26/03, EU:C:2005:5, point 46) ; du 13 octobre 2005, Parking Brixen (C‑458/03, EU:C:2005:605, point 63) ; du 11 mai 2006, Carbotermo et Consorzio Alisei (C‑340/04, EU:C:2006:308, point 45), et dans l’arrêt Datenlotsen (point 23).
( 16 ) Il existe des arguments pour défendre une notion unitaire du terme « marché » : l’intitulé même de l’article 12 (« Marchés publics passés entre entités appartenant au secteur public ») ; le fait que ce terme se retrouve à plusieurs endroits de la directive 2014/24 ainsi que dans d’autres directives en tant que formule abrégée de « marché public » ; l’ajout de l’adjectif « public », en tant que qualificatif ajouté au substantif « marché », varie selon la version linguistique du texte
consulté : ainsi, il figure à l’article 12 (concrètement dans le paragraphe 1 de cette disposition) de certaines versions linguistiques, telles que les versions en langues allemande, anglaise, française et italienne, mais non dans d’autres, telles que la version en langue espagnole.
( 17 ) L’article 11, paragraphe 4, de la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil, du 20 décembre 2011, sur la passation des marchés publics [COM(2011) 896 final], utilisait la formule suivante : « Un accord conclu entre deux pouvoirs adjudicateurs ou plus n’est pas réputé être un marché public au sens de l’article 2, point 6), de la présente directive [...] » (mise en italique par mes soins).
( 18 ) Point 70 des conclusions que j’ai présentées dans l’affaire LitSpecMet (C‑567/15, EU:C:2017:319).
( 19 ) En ce qui concerne les conditions dans lesquelles un transfert de compétences en vue de l’exécution de missions publiques est exclu du champ d’application des règles en matière de passation de marchés publics (à l’époque, la directive 2004/18), voir arrêt du 21 décembre 2016, Remondis (C‑51/15, ci‑après l’« arrêt Remondis , EU:C:2016:985, points 41 et suiv.).
( 20 ) Arrêt Remondis (point 53).
( 21 ) Arrêt Remondis (point 43).
( 22 ) Voir, dans le même sens, arrêt Remondis (point 37) : « Aux fins de la possible qualification de marché public [...] d’une opération qui comporte plusieurs phases, cette opération doit être examinée dans sa globalité et en tenant compte de sa finalité .»
( 23 ) Une autre configuration aurait été possible, comme l’a affirmé la représentante de la ville de Cologne lors de l’audience, en se référant à un contrat de mise à disposition de logiciels entre le Land de Berlin et la ville de Hambourg sans accord de coopération annexé.
( 24 ) Ordonnance Consiglio Nazionale (point 38) ; arrêts Remondis (point 43), et du 18 octobre 2018, IBA Molecular Italy (C‑606/17, EU:C:2018:843, point 31). Au point 32 de ses conclusions dans l’affaire Ordine degli Ingegneri della Provincia di Lecce e.a. (C‑159/11, EU:C:2012:303), l’avocate générale Trstenjak a affirmé qu’« il est légitime de soutenir que seule une interprétation large de la notion de “caractère onéreux” est à la mesure de la finalité des directives en matière de marchés publics,
qui est d’ouvrir les marchés en vue de garantir une concurrence réelle », faisant spécifiquement référence à d’autres formes de rémunération, telles que le troc ou la renonciation entre les parties à des créances réciproques.
( 25 ) Point 29 de la décision de renvoi.
( 26 ) Et dépasser celle du logiciel lui‑même. ISE a insisté sur ce point lors de l’audience, dans le cadre de la troisième question préjudicielle.
( 27 ) La représentante de la ville de Cologne a fait une distinction entre les mises à jour importantes et mineures. Les premières sont indispensables trois ou quatre fois par an et sont réalisées après consultation de l’autre (ou des autres) partie à la coopération, afin de tenir compte, dans la mesure du possible, de ses besoins. Les secondes, qui consistent à corriger de petites erreurs, ne requièrent pas une telle consultation.
( 28 ) Arrêt ASL (point 37). Les prononcés ultérieurs de la Cour ont suivi la jurisprudence établie dans l’arrêt ASL dans des affaires presque identiques quant à la nature des acteurs et à la question du fond : voir ordonnances du 16 mai 2013, Consulta Regionale Ordine Ingegneri della Lombardia e.a. (C‑564/11, non publiée, EU:C:2013:307), et Consiglio Nazionale. Cette jurisprudence a également été appliquée à d’autres domaines dans l’arrêt du 13 juin 2013, Piepenbrock (C‑386/11, EU:C:2013:385,
point 39), et dans l’arrêt Datenlotsen (point 35).
( 29 ) Je considère que l’exigence que cette prestation leur incombe implique que les pouvoirs adjudicateurs sont tenus de fournir le service préalablement à la conclusion de l’accord de coopération. L’expression pourrait également inclure le service public devant être fourni dans le cadre d’une coopération spécifique.
( 30 ) Cette flexibilité s’apprécie également en ce qui concerne les sujets : voir considérant 32 de la directive 2014/24 concernant la coopération horizontale entre pouvoirs adjudicateurs impliquant des capitaux privés. La proposition de la Commission excluait toutefois cette possibilité à l’article 11, paragraphe 4, sous e).
( 31 ) Voir note du Conseil de l’Union européenne du 26 juin 2013, no 11644/13.
( 32 ) Je rappelle que l’article 12, paragraphe 4, sous a), de la directive 2014/24 mentionne expressément les « services publics dont [les pouvoirs adjudicateurs] doivent assurer la prestation ». Cette catégorie n’est utilisée qu’à l’article 93 TFUE. Dans une large mesure, son équivalent est le « service d’intérêt général » (SIG), qui peut avoir ou non un contenu économique. La liberté des États membres de définir, d’organiser et de financer les services d’intérêt économique général (SIEG) est
visée à l’article 1er, paragraphe 4, de la directive 2014/24, qui renvoie à son tour à l’article 14 TFUE et au protocole no 26 annexé au TFUE et au TUE. Voir, à cet égard, conclusions de l’avocat général Hogan dans l’affaire Engie Cartagena (C‑523/18, EU:C:2019:769).
( 33 ) La directive 2014/24 ne précise pas la portée, la qualité ou la nature (principale ou accessoire, obligatoire ou facultative, économique ou non) des services publics pouvant faire l’objet d’une coopération horizontale. Le considérant 33 suggère une grande flexibilité à cet égard. Il est donc exclu que la coopération se limite à des activités qui relèvent d’une compétence principale du pouvoir adjudicateur, contrairement à ce qui semblait découler de la première phrase du point 37 de l’arrêt
ASL.
( 34 ) Dans cette affaire, l’une des contributions consistait à mettre à disposition une infrastructure dans laquelle il aurait été procédé à la valorisation des déchets collectés par les participants, chacun dans sa zone géographique de compétence. La mise à disposition des excédents faisait également partie de la coopération : les capacités de mise en décharge non utilisées par l’une des parties auraient pu pallier le manque de telles capacités d’une autre partie. Une autre contribution consistait
dans l’engagement des services de voirie de l’un des pouvoirs adjudicateurs de défendre les droits des autres à l’égard de l’exploitant de l’installation, dans le cas où cette dernière leur aurait causé un préjudice.
( 35 ) Mise en italique par mes soins.
( 36 ) Voir, à titre de comparaison, document interinstitutionnel no 12167/13.
( 37 ) Dans la jurisprudence antérieure, la Cour en avait jugé ainsi, au point 16 (auquel le point 34 renvoyait) de l’arrêt Datenlotsen : « [...] tant l’université que HIS ne constituent pas des autorités publiques et HIS n’est pas directement chargée d’exécuter une mission de service public ».
( 38 ) Points 29 et suivants des présentes conclusions : la volonté de ne pas interférer avec les États membres dans l’organisation de leur administration interne doit être conciliée avec l’impératif que l’exclusion du champ d’application du droit de l’Union n’entraîne pas une violation des principes en matière de marchés publics et de la libre concurrence.
( 39 ) Arrêts Commission/Allemagne (point 47), et ASL (points 35, 38 et dispositif) ; ordonnance Consiglio Nazionale (point 44 et dispositif).
( 40 ) Voir points 30 à 35 des présentes conclusions.
( 41 ) Bien que, conformément au régime de coopération « in house », la directive 2014/24 admette une certaine participation des capitaux privés aux entités publiques : voir note 30 des présentes conclusions.
( 42 ) Il existe, bien entendu, d’autres formes de distorsion possibles, par exemple si l’acquisition du logiciel et les opérations successives de maintenance ou de complément devenaient l’objet de marchés fragmentés, afin d’éviter un seul marché dont la valeur dépasserait le seuil à partir duquel la procédure d’appels d’offres publique est impérative. Voir arrêts du 18 janvier 2007, Auroux e.a. (C‑220/05, EU:C:2007:31, point 67), et Commission/Allemagne, dans lequel la Cour mentionne un « montage
destiné à contourner les règles en matière de marchés publics » (point 48).
( 43 ) Lors de l’audience, le représentant d’ISE a affirmé que, en juillet 2018, le Land de Berlin avait publié un avis de préinformation d’appel d’offres pour le développement du logiciel, pour un montant de 3500000 euros.
( 44 ) Lors de l’audience, il a été précisé que l’avis (portant le numéro de référence 2019-0040-37-3) a été publié au JO 2019/S 160-394603 et que le montant du marché est de 2000000 d’euros.
( 45 ) Lors de l’audience, le représentant d’ISE a déclaré que l’intérêt économique ne résidait pas dans l’acquisition du logiciel de base ou dans sa vente, mais dans les opérations consécutives d’adaptation, de maintenance et de développement du logiciel.
( 46 ) Mais également l’objectif visant à ce que le marché revienne à l’offre économiquement la plus avantageuse.
( 47 ) Lors de l’audience, il a été débattu du point de savoir s’il suffisait de préciser, dans les appels d’offres ultérieurs, que l’adjudicataire aurait accès au code source du logiciel. La ville de Cologne a affirmé que c’est ce qu’elle a fait, même si, selon ISE, cela ne serait pas suffisant, étant donné les difficultés pratiques à développer, sans risque, les adaptations à partir du logiciel de base.
( 48 ) La possibilité d’un effet de blocage après l’acquisition du logiciel d’origine aurait idéalement dû être établie au moment de l’achat de celui‑ci. À défaut, il ne serait actuellement plus possible de le faire et les remèdes ne pourraient être que palliatifs. Lors de l’audience, la Commission a suggéré de demander au fabricant du logiciel de s’engager à coopérer avec les adjudicataires des prestations consécutives.