ARRÊT DE LA COUR (neuvième chambre)
4 mars 2020 ( *1 )
« Pourvoi – Concurrence – Aides d’État – Entreprise exploitant des réseaux de liaisons par autobus dans la région de Campanie (Italie) – Compensation pour des obligations de service public versée par les autorités italiennes à la suite d’une décision du Consiglio di Stato (Conseil d’État, Italie) – Décision de la Commission européenne déclarant la mesure d’aide illégale et incompatible avec le marché intérieur »
Dans l’affaire C‑586/18 P,
ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 19 septembre 2018,
Buonotourist Srl, établie à Castel San Giorgio (Italie), représentée par Mes M. D’Alberti et L. Visone, avvocati,
partie requérante,
les autres parties à la procédure étant :
Commission européenne, représentée par MM. G. Conte et P. J. Loewenthal ainsi que par Mme L. Armati, en qualité d’agents,
partie défenderesse en première instance,
Associazione Nazionale Autotrasporto Viaggiatori (ANAV), établie à Rome (Italie), représentée par Me M. Malena, avvocato,
partie intervenante en première instance,
LA COUR (neuvième chambre),
composée de M. S. Rodin, président de chambre, M. D. Šváby et Mme K. Jürimäe (rapporteure), juges,
avocat général : M. E. Tanchev,
greffier : M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,
rend le présent
Arrêt
1 Par son pourvoi, Buonotourist Srl demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 11 juillet 2018, Buonotourist/Commission (T‑185/15, non publié, ci-après l’« arrêt attaqué », EU:T:2018:430), par lequel celui-ci a rejeté son recours tendant à l’annulation de la décision (UE) 2015/1075 de la Commission, du 19 janvier 2015, relative à l’aide d’État SA.35843 (2014/C) (ex 2012/NN) mise à exécution par l’Italie – Compensation complémentaire de service public en faveur de
Buonotourist (JO 2015, L 179, p. 128, ci-après la « décision litigieuse »).
Le cadre juridique
2 L’article 1er du règlement (CEE) no 1191/69 du Conseil, du 26 juin 1969, relatif à l’action des États membres en matière d’obligations inhérentes à la notion de service public dans le domaine des transports par chemin de fer, par route et par voie navigable (JO 1969, L 156, p. 1), dispose :
« 1. Les États membres suppriment les obligations inhérentes à la notion de service public, définies dans le présent règlement, imposées dans le domaine des transports par chemin de fer, par route et par voie navigable.
2. Toutefois, les obligations peuvent être maintenues dans la mesure où elles sont indispensables pour garantir la fourniture de services de transport suffisants.
[...]
4. Les charges qui découlent pour les entreprises de transport du maintien des obligations visées au paragraphe 2 ainsi que de l’application des prix et conditions de transport visés au paragraphe 3, font l’objet de compensations selon des méthodes communes énoncées au présent règlement. »
3 Aux termes de l’article 2, paragraphes 1, 2 et 5, de ce règlement :
« 1. Par obligations de service public, il faut entendre les obligations que, si elle considérait son propre intérêt commercial, l’entreprise de transport n’assumerait pas ou n’assumerait pas dans la même mesure ni dans les mêmes conditions.
2. Les obligations de service public au sens du paragraphe 1 comprennent l’obligation d’exploiter, l’obligation de transporter et l’obligation tarifaire.
[...]
5. Est considérée au sens du présent règlement comme obligation tarifaire, l’obligation pour les entreprises de transport d’appliquer des prix fixés ou homologués par voie d’autorité contraires à l’intérêt commercial de l’entreprise et résultant soit de l’imposition, soit du refus de modification de mesures tarifaires particulières, notamment pour certaines catégories de voyageurs, certaines catégories de produits ou pour certaines relations.
Les dispositions de l’alinéa précédent ne s’appliquent pas aux obligations découlant de mesures générales de politique des prix s’appliquant à l’ensemble des activités économiques ou de mesures prises en matière de prix et conditions généraux de transport en vue de l’organisation du marché des transports ou d’une partie de celui-ci. »
4 Les articles 10 à 13 dudit règlement fixent les méthodes communes pour le calcul des compensations visées à l’article 6 et à l’article 9, paragraphe 1, du même règlement.
5 L’article 17, paragraphe 2, du règlement no 1191/69 prévoit :
« Les compensations qui résultent de l’application du présent règlement sont dispensées de la procédure d’information préalable prévue à l’article [108,] paragraphe 3[, TFUE]. »
6 Conformément à son article 12, le règlement (CE) n o 1370/2007 du Parlement européen et du Conseil, du 23 octobre 2007, relatif aux services publics de transport de voyageurs par chemin de fer et par route, et abrogeant les règlements (CEE) no 1191/69 et (CEE) no 1107/70 du Conseil (JO 2007, L 315, p. 1), est entré en vigueur le 3 décembre 2009.
7 L’article 3 du règlement no 1370/2007, intitulé « Contrats de service public et règles générales », prévoit, à ses paragraphes 1 et 2 :
« 1. Lorsqu’une autorité compétente décide d’octroyer à l’opérateur de son choix un droit exclusif et/ou une compensation, quelle qu’en soit la nature, en contrepartie de la réalisation d’obligations de service public, elle le fait dans le cadre d’un contrat de service public.
2. Par dérogation au paragraphe 1, les obligations de service public qui visent à établir des tarifs maximaux pour l’ensemble des voyageurs ou pour certaines catégories de voyageurs peuvent aussi faire l’objet de règles générales. Conformément aux principes énoncés à l’article 4, à l’article 6 et à l’annexe, l’autorité compétente octroie aux opérateurs de services publics une compensation pour l’incidence financière nette, positive ou négative, sur les coûts et les recettes occasionnés par le
respect des obligations tarifaires établies au travers de règles générales, de manière à éviter toute surcompensation, et ce nonobstant le droit qu’ont les autorités compétentes d’intégrer des obligations de service public fixant des tarifs maximaux dans les contrats de service public.
[...] »
8 L’article 4 de ce règlement précise le contenu obligatoire des contrats de service public et des règles générales.
9 L’article 6 dudit règlement, intitulé « Compensation de service public », dispose :
« 1. Toute compensation liée à une règle générale ou à un contrat de service public respecte les dispositions de l’article 4, quelles que soient les modalités d’attribution du contrat. Toute compensation, quelle qu’en soit la nature, liée à un contrat de service public attribué directement conformément à l’article 5, paragraphes 2, 4, 5 ou 6, ou liée à une règle générale est conforme, en outre, aux dispositions prévues à l’annexe.
2. Sur demande écrite de la Commission [européenne], les États membres lui communiquent, dans un délai de trois mois ou tout autre délai plus long fixé dans cette demande, toutes les informations que la Commission estime nécessaires pour déterminer si la compensation attribuée est compatible avec le présent règlement. »
Les antécédents du litige et la décision litigieuse
10 Les faits à l’origine du litige ont été exposés par le Tribunal aux points 1 à 39 de l’arrêt attaqué. Pour les besoins de la présente procédure, ils peuvent être résumés de la manière suivante.
11 La requérante est une société privée qui exploite des services de transport public local sur la base de concessions régionales et municipales. En particulier, elle a fourni des services de liaison par autobus en tant que concessionnaire de la Regione Campania (Région de Campanie, Italie) (ci-après la « Région »). L’activité de la requérante a été régie, au fil des années, par différents dispositifs législatifs et réglementaires successifs.
Les recours introduits par la requérante devant les juridictions nationales
12 Par recours du 5 janvier 2007, la requérante a demandé au Tribunale amministrativo regionale di Salerno (tribunal administratif régional de Salerne, Italie) de constater son droit à percevoir de la Région la somme de 5567582,57 euros, due à titre de compensation des charges économiques encourues pour la mise en œuvre des obligations de service public (ci-après les « OSP ») découlant des concessions accordées par la Région pour les années 1996 à 2002 (ci-après la « période considérée »), en vertu
du règlement no 1191/69.
13 Par un jugement du 28 août 2008, le Tribunale amministrativo regionale di Salerno (tribunal administratif régional de Salerne) a rejeté ce recours, estimant que la requérante n’avait pas le droit de percevoir une compensation pour les désavantages économiques découlant de l’imposition d’OSP, sans avoir demandé au préalable la suppression de ces dernières.
14 La requérante a fait appel de ce jugement devant le Consiglio di Stato (Conseil d’État, Italie). Par la décision no 4683/2009, du 27 juillet 2009 (ci-après la « décision du 27 juillet 2009 »), cette juridiction a accueilli le recours de la requérante, jugeant que celle-ci avait droit à la compensation demandée conformément aux articles 6, 10 et 11 du règlement no 1191/69.
15 Selon le Consiglio di Stato (Conseil d’État), le montant exact de la compensation due à la requérante devait être déterminé par la Région sur la base de données fiables provenant des comptes de la requérante, attestant la différence entre les coûts imputables à la partie de l’activité de celle-ci concernée par les OSP et les recettes correspondantes.
16 La Région n’ayant pas déterminé le montant de ladite compensation, la requérante a introduit une procédure judiciaire d’exécution de la décision du 27 juillet 2009, devant cette juridiction. Au cours de cette procédure, deux experts ont été nommés. Ladite procédure s’est achevée par la décision no 5650/2012 du Consiglio di Stato (Conseil d’État), du 7 novembre 2012 (ci-après la « décision du 7 novembre 2012 »), qui a fixé le montant de la compensation due pour les obligations tarifaires
à 838593,21 euros, augmenté de 272979,13 euros au titre d’intérêts. La Région a versé cette somme à la requérante le 21 décembre 2012.
La procédure administrative
17 Le 5 décembre 2012, les autorités italiennes ont notifié à la Commission, conformément à l’article 108, paragraphe 3, TFUE, une aide d’État consistant en une compensation complémentaire accordée à la requérante, en exécution de la décision du 7 novembre 2012, pour la fourniture de services de transport de voyageurs par autobus sur la base des concessions délivrées par la Région au cours de la période considérée (ci-après la « mesure en cause »).
18 Cette mesure a été traitée comme une mesure non notifiée, étant donné que, selon les informations dont disposait la Commission, la Région était tenue de verser à la requérante la compensation complémentaire qui lui était due à partir du 7 décembre 2012, à savoir après la notification par l’État italien de la mesure en cause, mais avant que la Commission ait pris sa décision.
19 Par lettre du 20 février 2014, la Commission a notifié à la République italienne sa décision d’ouvrir la procédure formelle d’examen prévue à l’article 108, paragraphe 2, TFUE.
La décision litigieuse
20 Le 19 janvier 2015, la Commission a adopté la décision litigieuse, par laquelle elle a constaté que la mesure en cause constituait une aide d’État, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, incompatible avec le marché intérieur, qui a été octroyée à la requérante en violation de l’article 108, paragraphe 3, TFUE, et a ordonné aux autorités italiennes sa récupération auprès de cette dernière.
21 En premier lieu, aux considérants 54 à 69 de la décision litigieuse, la Commission a constaté que la mesure en cause était imputable à l’État, impliquait l’utilisation de ressources étatiques, procurait un avantage économique à la requérante, avait un caractère sélectif et était susceptible de fausser la concurrence au point d’affecter les échanges entre États membres. Dans ce cadre, la Commission a relevé que cette mesure ne remplissait pas deux des conditions identifiées par la Cour dans
l’arrêt du 24 juillet 2003, Altmark Trans et Regierungspräsidium Magdeburg (C‑280/00, EU:C:2003:415) (ci-après les « conditions Altmark »). La Commission en a conclu, au considérant 70 de la décision litigieuse, que la mesure en cause constituait une aide, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.
22 En deuxième lieu, la Commission a examiné, aux considérants 72 à 88 de la décision litigieuse, la question de savoir si la mesure en cause pouvait être considérée, au regard de l’article 17, paragraphe 2, du règlement no 1191/69, comme une compensation exemptée de l’obligation de notification préalable prévue à l’article 108, paragraphe 3, TFUE.
23 Dans le cadre de cet examen, aux considérants 75 à 81 de la décision litigieuse, la Commission a vérifié si les autorités italiennes avaient imposé unilatéralement à la requérante des OSP, au sens de l’article 1er du règlement no 1191/69. À cet égard, la Commission a considéré que ni les autorités italiennes ni la requérante n’avaient été en mesure de présenter un mandat relatif à la période considérée. En particulier, si l’imposition de certaines OSP pouvait être inférée de la legge regionale
n. 16 – Interventi regionali in materia di servizi di trasporto pubblico locale per viaggiatori (loi régionale no 16 sur les interventions régionales en faveur des services de transport public local pour les voyageurs), du 25 janvier 1983 (GURI no 118, du 2 mai 1983 et BU Campania no 11), l’article 2 de cette loi aurait uniquement prévu que « les pertes et déficits éventuels non couverts par les subventions régionales [...] rest[aient] à la charge des exploitations ». De même, si certains actes
régionaux invoqués par la requérante indiquaient l’existence de certaines obligations contractuelles au cours de la période considérée, ces actes n’auraient pas identifié clairement d’obligations susceptibles de constituer des OSP, tout en étant de possibles indices de leur existence éventuelle et, en tout état de cause, leur nature contractuelle en aurait exclu l’imposition unilatérale. S’agissant, plus particulièrement, de l’existence d’une obligation tarifaire justifiant la mesure en cause, la
Commission a considéré qu’elle ne disposait d’aucun élément permettant de démontrer qu’une telle obligation avait été effectivement imposée à la requérante.
24 Aux considérants 82 à 87 de la décision litigieuse, la Commission a vérifié le point de savoir si la compensation octroyée à la requérante était conforme à la méthode commune de compensation prévue par le règlement no 1191/69 pour pouvoir être exemptée de l’obligation d’information préalable prévue à l’article 17 de ce règlement. La Commission a conclu que cette compensation complémentaire n’était pas dispensée de la procédure d’information préalable prévue à cet article.
25 En troisième lieu, aux considérants 89 à 102 de la décision litigieuse, la Commission a examiné la compatibilité de la mesure en cause avec la législation en vigueur à la date d’adoption de cette décision, à savoir le règlement no 1370/2007. Elle a conclu que la compensation accordée à la requérante, en exécution de la décision du 7 novembre 2012, n’avait pas été versée conformément à ce règlement et, partant, que la mesure en cause était incompatible avec le marché intérieur.
La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué
26 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 14 avril 2015, la requérante a introduit un recours tendant à l’annulation de la décision litigieuse.
27 Au soutien de son recours, la requérante a soulevé huit moyens.
28 Le premier moyen était tiré de la violation des articles 93, 107, 108 et 263 TFUE, lus en combinaison avec l’article 17 du règlement no 1191/69, d’un détournement de pouvoir, de l’incompétence de la Commission et de la violation du droit à une procédure équitable.
29 Le deuxième moyen était tiré de la violation de l’article 4 du règlement (CE) no 659/1999 du Conseil, du 22 mars 1999, portant modalités d’application de l’article [108 TFUE] (JO 1999, L 83, p. 1), en ce qui concerne les articles 107 et 108 TFUE, ainsi que de la violation de l’équité dans la procédure et d’un détournement de pouvoir.
30 Le troisième moyen était tiré de la violation et d’une mauvaise interprétation des articles 93 à 108 TFUE, lus en combinaison avec l’article 17 du règlement no 1191/69 et l’article 9 du règlement no 1370/2007, de la violation des « principes de protection de la confiance légitime, tempus regit actum et de rétroactivité des décisions juridictionnelles », d’un détournement de pouvoir, d’une absence de « cohérence logique », de l’« irrationalité », du « caractère extrêmement anormal » de la décision
litigieuse ainsi que d’un défaut de motivation de celle-ci.
31 Le quatrième moyen était tiré de la violation de l’article 1er, sous f) et g), ainsi que des articles 4, 7 et 15 du règlement no 659/1999, des articles 93, 107 et 108 TFUE, d’un détournement de pouvoir, de l’absence totale de satisfaction d’une condition requise, de la violation des articles 6 et 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la « CEDH »), des articles 258 et suivants TFUE ainsi que de
l’article 17 du règlement no 1191/69.
32 Le cinquième moyen était tiré de la violation des articles 93, 107, 108 et 267 TFUE, des articles 6 et 13 de la CEDH, de l’incompétence de la Commission, d’un détournement de pouvoir et de la violation du principe de l’autonomie procédurale.
33 Le sixième moyen était tiré de la violation des articles 6, 7 et 13 de la CEDH, des articles 93 à 108 ainsi que 258 et suivants TFUE, lus en combinaison avec l’article 101 de la Costituzione (Constitution), de l’article 2909 du codice civile (code civil), de l’incompétence de la Commission, d’un détournement de pouvoir et de la violation des principes de protection de la confiance légitime et de sécurité juridique.
34 Le septième moyen était tiré de la violation des articles 11 et 17 du règlement no 1191/69, des articles 93 à 108 TFUE, d’un détournement de pouvoir, d’un défaut de motivation de la décision litigieuse, de l’insuffisance de l’instruction et du caractère erroné d’une condition préalable.
35 Le huitième moyen était tiré de la violation des articles 1er à 11 et 17 du règlement no 1191/69, des articles 93 à 108 TFUE, des « articles 44 à 46 et 48 du règlement de procédure du Tribunal no 659/1999 », d’un détournement de pouvoir, d’un défaut d’instruction et de motivation ainsi que du caractère erroné d’une condition préalable.
36 Par l’arrêt attaqué, le Tribunal a écarté chacun de ces moyens et, partant, a rejeté l’intégralité du recours.
Les conclusions des parties
37 Par son pourvoi, la requérante demande à la Cour :
– d’annuler l’arrêt attaqué ;
– de statuer de manière définitive sur son recours en annulation et d’annuler la décision litigieuse, ainsi que
– de condamner la Commission aux dépens.
38 La Commission demande à la Cour :
– de rejeter le pourvoi et
– de condamner la requérante aux dépens.
Sur le pourvoi
39 À l’appui de son pourvoi, la requérante invoque cinq moyens qui seront appréciés dans l’ordre où ils ont été soulevés.
Sur le premier moyen
Argumentation des parties
40 Par son premier moyen, la requérante fait valoir que, aux points 57 à 120 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a commis une erreur de droit en estimant que la mesure en cause constituait une aide nouvelle soumise à l’obligation de notification prévue à l’article 108, paragraphe 3, TFUE, et non pas une aide existante exemptée de cette obligation, conformément à l’article 108, paragraphe 1, TFUE et à l’article 17, paragraphe 2, du règlement no 1191/69.
41 Elle soutient, en se fondant sur les circonstances ayant conduit à l’adoption de la décision du 7 novembre 2012, que cette décision ne peut être considérée comme étant de nature à instituer une mesure de compensation pour des OSP. Il s’agirait, en effet, d’un arrêt déclaratif d’un droit préexistant, fondé sur le règlement no 1191/69.
42 En tout état de cause, selon la requérante, les conditions prévues par le règlement no 1191/69 sont remplies. En premier lieu, il existerait effectivement des obligations tarifaires à la charge de la requérante, lesquelles découleraient du droit national, auquel le Tribunal se serait lui-même explicitement référé au point 110 de l’arrêt attaqué, à savoir la legge regionale n. 9 – Disciplina e coordinamento tariffario dei servizi di trasporto di competenza regionale (loi régionale no 9, portant
discipline et coordination tarifaire des services de transport de compétence régionale), du 26 janvier 1987 (BU Campania du 2 février 1987) et la délibération de l’Assessore ai trasporti (Assesseur aux transports, Italie). En second lieu, le critère relatif à la fixation ex ante du montant de la compensation, prévu à l’article 13 du règlement no 1191/69, aurait, en l’espèce, été respecté dans le cadre de la décision du 7 novembre 2012.
43 La Commission estime que ce moyen doit être écarté comme irrecevable et, en tout état de cause, comme non fondé.
Appréciation de la Cour
44 Par son premier moyen, la requérante conteste, en substance, les motifs de l’arrêt attaqué, par lesquels le Tribunal a écarté ce que celui-ci a estimé comme étant la première branche dans le cadre de ses quatrième et huitième moyens d’annulation, tirée du fait que la compensation faisant l’objet de la mesure en cause constituait une aide existante, dispensée de l’obligation d’information préalable, en vertu de l’article 17 du règlement no 1191/69.
45 S’agissant de la question de savoir si la compensation ayant fait l’objet de la décision litigieuse était une mesure instituée par la décision du 7 novembre 2012 ou si elle trouvait son origine, comme la requérante le soutient, dans le cadre législatif régissant les OSP auxquelles elle était soumise et au titre desquelles le Consiglio di Stato (Conseil d’État) aurait reconnu le droit à cette compensation, le Tribunal a relevé, d’une part, au point 94 de l’arrêt attaqué, que l’aide faisant l’objet
de la mesure en cause avait été effectivement accordée à la requérante en tant que mesure complémentaire pour les obligations tarifaires auxquelles elle aurait été soumise en vertu de l’article 11 du règlement no 1191/69.
46 Au point 95 de cet arrêt, le Tribunal en a déduit que la question de savoir si cette mesure constituait une aide existante, au sens de l’article 1er, sous b), v), du règlement no 659/1999, nécessitait de déterminer si ladite mesure remplissait les critères matériels prévus par le règlement no 1191/69, afin de pouvoir être exemptée de l’obligation de notification préalable, en vertu de l’article 17, paragraphe 2, de ce règlement.
47 D’autre part, à l’instar de la Commission, le Tribunal a estimé, au point 96 dudit arrêt, que cette dernière disposition exigeait notamment qu’il existe des OSP imposées unilatéralement et que la compensation soit calculée selon la méthode prévue aux articles 10 à 13 dudit règlement.
48 À cet égard, au point 106 du même arrêt, le Tribunal a relevé que la mesure en cause ayant été octroyée à la requérante par le Consiglio di Stato (Conseil d’État) sur le fondement du même règlement, à savoir en tant que compensation pour une obligation tarifaire, il lui appartenait de contrôler l’existence effective d’une telle obligation, consistant à imposer des prix fixes ou homologués par voie d’autorité, comme l’exige l’article 2, paragraphe 5, du règlement no 1191/69.
49 Au terme de cet examen, figurant aux points 106 à 112 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a validé, au point 113 de cet arrêt, le constat de la Commission, figurant au considérant 79 de la décision litigieuse, selon lequel cette institution ne disposait d’aucun élément permettant de démontrer que des obligations tarifaires avaient effectivement été imposées à la requérante. Dans ces conditions, au point 114 dudit arrêt, le Tribunal a estimé qu’il n’était pas nécessaire d’analyser l’éventuel caractère
unilatéral de cette prétendue mesure tarifaire.
50 Au regard du caractère cumulatif des conditions d’exemption prévues par le règlement no 1191/69, le Tribunal a jugé, au point 115 de l’arrêt attaqué, qu’il n’était pas nécessaire d’examiner si la mesure en cause remplissait les autres conditions prévues par ce règlement. Au point 116 de cet arrêt, il a toutefois considéré que, en tout état de cause, la Commission avait considéré à bon droit que le critère de la fixation ex ante du montant de la compensation n’était pas rempli.
51 Le Tribunal a, dès lors, considéré, au point 120 de l’arrêt attaqué, que, à défaut pour la mesure en cause de respecter au moins l’un des critères matériels prévus par le règlement no 1191/69, la Commission avait, à juste titre, conclu que celle-ci ne pouvait être exemptée de l’obligation de notification préalable, en vertu de l’article 17, paragraphe 2, de ce règlement, et, par conséquent, devait être qualifiée non pas d’aide existante, mais d’aide nouvelle devant être notifiée à la Commission,
conformément à l’article 108, paragraphe 3, TFUE.
52 Or, si l’argumentation invoquée par la requérante au soutien du premier moyen tend, en substance, à contester la conclusion figurant au point précédent du présent arrêt, selon laquelle la mesure en cause devait être qualifiée d’aide nouvelle, il y a lieu de constater que ce moyen ne contient aucun argument visant à démontrer que le raisonnement du Tribunal, reproduit aux points 45 à 51 du présent arrêt et ayant conduit à cette conclusion, serait entaché d’une quelconque erreur de droit.
53 En effet, la requérante se limite à faire valoir, en substance, que la mesure en cause constituait une aide existante, étant donné que la décision du 27 juillet 2009, qui a reconnu son droit de percevoir la compensation litigieuse au titre du règlement no 1191/69, était un arrêt déclaratif d’un droit préexistant fondé sur ce règlement.
54 Dans la mesure où une telle affirmation n’est pas autrement étayée, en méconnaissance des exigences prévues à l’article 256 TFUE, à l’article 58, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, à l’article 168, paragraphe 1, sous d), et à l’article 169, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, il y a lieu d’écarter le premier moyen du pourvoi comme étant irrecevable.
Sur le deuxième moyen
Argumentation des parties
55 Par son deuxième moyen, la requérante vise les points 121 à 136 de l’arrêt attaqué et fait valoir que ces points sont entachés d’une erreur de droit en ce que le Tribunal y a jugé que les conditions Altmark n’étaient pas remplies.
56 Le Tribunal aurait jugé de manière erronée qu’il était suffisant de se limiter à vérifier que l’une de ces conditions était remplie, à savoir celle relative à l’existence d’une OSP clairement définie, sans avoir à vérifier si les autres desdites conditions étaient satisfaites. Il se serait ainsi, à tort, limité à vérifier de manière incidente, au point 134 de l’arrêt attaqué, si la deuxième des mêmes conditions, relative à la définition préalable des paramètres de calcul de la compensation, était
remplie.
57 S’agissant de la prétendue absence d’OSP à la charge de la requérante, le Tribunal aurait omis de considérer que l’OSP dont elle a la charge trouve sa source dans les articles 2 à 6 de la loi régionale no 9, du 26 janvier 1987. En outre, le raisonnement du Tribunal serait critiquable en ce qu’il aurait pris connaissance de la délibération de l’Assesseur aux transports et aurait admis que cette décision imposait des obligations tarifaires à la requérante, sans pour autant reconnaître que la mesure
en cause constituait une compensation pour l’exécution d’une OSP. La requérante fait valoir, à cet égard, que la circonstance que ladite décision n’a pas été produite devant la Commission est la conséquence du déroulement anormal de la procédure administrative, dans la mesure où la Région disposait de la même décision et que cette dernière n’avait pas intérêt à la produire dans le cadre de cette procédure.
58 S’agissant de la deuxième condition Altmark, elle aurait été brièvement examinée au point 134 de l’arrêt attaqué, par un renvoi erroné aux points 117 à 119 de cet arrêt. À ce point 134, le Tribunal aurait examiné de manière incorrecte le respect de la condition prévue par le règlement no 1191/69, relative à la fixation ex ante de la compensation, non pas au regard de paramètres sur la base desquels est calculée cette compensation, comme l’exigerait l’arrêt du 24 juillet 2003, Altmark Trans et
Regierungspräsidium Magdeburg (C‑280/00, EU:C:2003:415), mais en fonction du montant de la mesure en cause. En outre, le respect de cette condition ressortirait, en l’espèce, de la décision du 27 juillet 2009. Cette dernière démontrerait, en effet, que les paramètres de calcul de la compensation ont été préalablement définis et que le Consiglio di Stato (Conseil d’État) s’est borné à les appliquer, après avoir constaté un manquement de la Région dans la fixation de cette compensation.
59 Enfin, bien que les troisième et quatrième conditions Altmark n’aient fait l’objet d’aucun examen dans l’arrêt attaqué, la requérante fait valoir qu’il ressort de la décision du 7 novembre 2012 que ces conditions étaient également remplies en l’espèce.
60 La Commission estime que ce moyen doit être écarté comme irrecevable et, en tout état de cause, comme non fondé.
Appréciation de la Cour
61 Par son deuxième moyen, la requérante conteste, en substance, les motifs de l’arrêt attaqué, par lesquels le Tribunal a écarté ce qu’il a considéré comme étant la seconde branche des quatrième et huitième moyens d’annulation, relative à une erreur prétendument commise par la Commission qui a considéré que deux des conditions Altmark n’étaient pas remplies.
62 Dans la mesure où le deuxième moyen porte sur les conditions Altmark, il convient de relever, comme le Tribunal l’a d’ailleurs rappelé au point 123 de l’arrêt attaqué, que, selon une jurisprudence constante de la Cour, ne relève pas de l’article 107, paragraphe 1, TFUE une intervention étatique considérée comme une compensation représentant la contrepartie de prestations effectuées par les entreprises bénéficiaires pour exécuter des obligations de service public, de telle sorte que ces
entreprises ne profitent pas, en réalité, d’un avantage financier et que cette intervention n’a donc pas pour effet de placer ces entreprises dans une position concurrentielle plus favorable au regard des entreprises concurrentes (arrêts du 24 juillet 2003, Altmark Trans et Regierungspräsidium Magdeburg, C‑280/00, EU:C:2003:415, point 87, ainsi que du 20 décembre 2017, Comunidad Autónoma del País Vasco e.a./Commission, C‑66/16 P à C‑69/16 P, EU:C:2017:999, point 45 ainsi que jurisprudence citée).
63 Ainsi, une intervention étatique qui ne répond pas à une ou à plusieurs des conditions Altmark est susceptible d’être considérée comme étant une aide d’État, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE (arrêt du 20 décembre 2017, Comunidad Autónoma del País Vasco e.a./Commission, C‑66/16 P à C‑69/16 P, EU:C:2017:999, point 48 ainsi que jurisprudence citée).
64 À cet égard, au point 125 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a jugé, à bon droit, que, pour que, dans un cas concret, une telle compensation puisse échapper à la qualification d’aide d’État, les quatre conditions énoncées aux points 88 à 93 de l’arrêt du 24 juillet 2003, Altmark (C‑280/00, EU:C:2003:415), doivent être réunies (voir, en ce sens, arrêt du 20 décembre 2017, Comunidad Autónoma del País Vasco e.a./Commission, C‑66/16 P à C‑69/16 P, EU:C:2017:999, point 46).
65 Aux points 129 à 131 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a confirmé, en se fondant sur les points 106 à 114 de cet arrêt, la conclusion de la Commission, figurant au considérant 61 de la décision litigieuse, selon laquelle l’existence d’une OSP unilatéralement imposée n’avait pas été démontrée et que, par conséquent, la première condition Altmark n’était pas remplie.
66 Dans ses conditions, c’est à bon droit que le Tribunal a jugé, aux points 132 et 133 de l’arrêt attaqué, en se fondant sur le caractère cumulatif des conditions Altmark, que, dès lors que la première de celles-ci n’était pas remplie, il n’y avait pas lieu d’examiner l’appréciation de la Commission, au considérant 62 de la décision litigieuse, concernant la deuxième condition Altmark.
67 Dans la mesure où, par son deuxième moyen, la requérante conteste également les appréciations portées par le Tribunal aux points 106 à 114 de l’arrêt attaqué, sur la prétendue existence d’une OSP qui aurait été mise à la charge de la requérante par le droit national, il convient de rappeler que, conformément à l’article 256, paragraphe 1, second alinéa, TFUE et à l’article 58, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, le pourvoi est limité aux questions de droit. Le
Tribunal est, dès lors, seul compétent pour constater et apprécier les faits pertinents ainsi que pour apprécier les éléments de preuve. L’appréciation de ces faits et de ces éléments de preuve ne constitue donc pas, sous réserve du cas de leur dénaturation, une question de droit soumise, comme telle, au contrôle de la Cour dans le cadre d’un pourvoi (arrêt du 20 décembre 2017, Comunidad Autónoma de Galicia et Retegal/Commission, C‑70/16 P, EU:C:2017:1002, point 47 ainsi que jurisprudence citée).
68 Or, en l’espèce, la requérante n’a pas fait valoir et, a fortiori, n’a pas démontré l’existence d’une dénaturation du droit national.
69 En outre, le Tribunal ne s’étant pas prononcé sur les troisième et quatrième conditions Altmark, il y a lieu d’écarter comme étant irrecevables les arguments de la requérante tirés du fait que ces conditions étaient, en l’espèce, remplies.
70 Dans ces conditions, il y a lieu d’écarter le deuxième moyen comme étant, en partie, irrecevable et, en partie, non fondé.
Sur le troisième moyen
Argumentation des parties
71 Par son troisième moyen, la requérante fait valoir que le Tribunal a commis une erreur de droit, aux points 137 à 154 de l’arrêt attaqué, en considérant que la décision litigieuse était valide en ce qui concerne la qualification de la mesure en cause d’aide d’État, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE. Ce moyen vise, en particulier, les conditions selon lesquelles cette qualification requiert que l’aide, d’une part, affecte les échanges entre les États membres et, d’autre part, fausse ou
menace de fausser la concurrence.
72 Selon la requérante, le marché de service en cause n’est pas un marché ouvert à la concurrence. Quand bien même il y aurait eu une ouverture progressive de ce marché à la concurrence, il n’existerait encore aucune concurrence « pour le marché » ou « dans le marché ». Le Tribunal aurait ainsi commis une erreur de droit, au point 149 de l’arrêt attaqué, en constatant que la mesure en cause impliquait un obstacle à la concurrence dès lors que des entreprises, y compris des entreprises étrangères,
pourraient vouloir fournir leurs services de transport public sur le marché, notamment sur les marchés local ou régional, sur lesquels la requérante a bénéficié de cette mesure.
73 La Commission estime que ce moyen doit être écarté comme non fondé et, en tout état de cause, comme inopérant.
Appréciation de la Cour
74 Le troisième moyen vise à remettre en cause l’appréciation du Tribunal s’agissant des conditions selon lesquelles une aide d’État, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, doit, d’une part, affecter les échanges entre États membres et, d’autre part, fausser ou menacer de fausser la concurrence.
75 À cet égard, si la requérante vise, d’une manière générale, les points 137 à 154 de l’arrêt attaqué, elle fait essentiellement valoir que l’erreur de droit commise par le Tribunal réside, au point 149 de cet arrêt, en ce que le Tribunal y a jugé que la mesure en cause constituait un obstacle à la concurrence, dans la mesure où des entreprises, y compris des entreprises étrangères, pourraient vouloir fournir leurs services de transport public sur le marché italien, notamment local ou régional.
76 Outre le fait que le troisième moyen vise en réalité à remettre en cause des appréciations factuelles effectuées par le Tribunal, lesquelles échappent, ainsi qu’il a été rappelé au point 67 du présent arrêt, en l’absence de toute dénaturation, au contrôle de la Cour, il y a lieu de constater que ce moyen est, en tout état de cause, inopérant en ce qu’il vise uniquement le point 149 de l’arrêt attaqué.
77 En effet, au point 148 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a jugé que les éléments que la Commission avait pris en compte, dans le cadre de son appréciation, aux considérants 66 à 68 de la décision litigieuse, étaient de nature à démontrer que l’octroi de la mesure en cause était susceptible d’affecter les échanges entre les États membres et de fausser la concurrence.
78 Dans ce cadre, le Tribunal s’est fondé non pas uniquement sur le constat figurant au point 149 de l’arrêt attaqué, lequel est critiqué par la requérante, mais sur deux autres constats, figurant aux points 150 et 151 de cet arrêt, lesquels ne sont pas en substance contestés par la requérante.
79 Au point 150 dudit arrêt, le Tribunal a relevé, d’une part, que l’activité intérieure dans l’État membre concerné pouvait se trouver maintenue ou augmentée du fait de la mesure en cause, avec pour conséquence de voir les chances des entreprises établies dans d’autres États membres de pénétrer le marché en cause être diminuées. Au point 151 du même arrêt, le Tribunal a indiqué que la circonstance que la requérante était en concurrence avec des entreprises d’autres États membres également sur
d’autres marchés, sur lesquels elle était active, constituait un élément de nature à démontrer que l’octroi de l’aide faisant l’objet de la mesure en cause était susceptible d’affecter les échanges entre États membres.
80 Dans ces conditions, il y a lieu d’écarter le troisième moyen comme irrecevable et, en tout état de cause, comme inopérant.
Sur le quatrième moyen
Argumentation des parties
81 Par son quatrième moyen, la requérante soutient que le Tribunal a commis plusieurs erreurs de droit aux points 155 à 195 de l’arrêt attaqué. Ce moyen s’articule en trois branches.
82 Par la première branche, la requérante fait valoir que le Tribunal a commis une erreur de droit en considérant que la Commission était exclusivement compétente pour apprécier la compatibilité de la mesure en cause avec le marché intérieur, alors que le Consiglio di Stato (Conseil d’État) a rendu une décision passée en force de chose jugée en ce qui concerne cette mesure.
83 À cet égard, la jurisprudence de la Cour citée aux points 185, 186 et 188 de l’arrêt attaqué serait dénuée de pertinence, dans la mesure où elle concernerait des situations dans lesquelles il existait une décision de la Commission antérieure à une procédure judiciaire nationale. Il en résulterait une erreur de droit également au point 190 de l’arrêt attaqué, en ce que le Tribunal aurait estimé que le principe de l’autorité de la chose jugée ne saurait empêcher la Commission de constater
l’existence d’une aide d’État illégale, quand bien même cette qualification aurait été écartée antérieurement par une juridiction nationale statuant en dernier ressort. Une telle approche ne peut, selon la requérante, être déduite de la jurisprudence de la Cour et l’arrêt attaqué serait dépourvu de toute motivation sur ce point.
84 En l’espèce, le Consiglio di Stato (Conseil d’État) n’aurait pas adopté de décision contraire à une décision antérieure de la Commission. Il se serait prononcé de manière autonome avant la Commission, en appliquant directement le règlement no 1191/69 et en qualifiant la mesure en cause de compensation pour des OSP tarifaires, ce qui lui aurait permis d’exclure la qualification de cette mesure d’aide d’État. L’éventuelle intervention des institutions de l’Union, en l’espèce la Commission, aurait
pu prendre la forme d’une question préjudicielle posée à la Cour, mais le Consiglio di Stato (Conseil d’État) n’aurait pas estimé nécessaire de lui poser une telle question. En revanche, la Commission aurait été impliquée de manière irrégulière, étant donné que la compatibilité de cette mesure avec le droit de l’Union aurait fait l’objet d’une décision passée en force de chose jugée au niveau national.
85 Par la deuxième branche du quatrième moyen, la requérante soulève une « anomalie procédurale » en ce que la notification à la Commission de la mesure en cause par la Région aurait été effectuée en vue d’obtenir une décision négative de la Commission, ce qui permettrait d’expliquer les raisons pour lesquelles cette région n’aurait fourni à cette institution que des informations fragmentaires en ce qui concerne cette mesure. Ainsi, la Commission aurait enfreint le cadre procédural auquel elle
serait soumise, tel qu’il découle du règlement no 659/1999 et du règlement (UE) 2015/1589 du Conseil, du 13 juillet 2015, portant modalités d’application de l’article 108 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (JO 2015, L 248, p. 9). La Région aurait été considérée à tort comme une « partie intéressée », au sens de l’article 24 du règlement 2015/1589, et non pas comme l’auteur de la notification à la Commission. Le Tribunal aurait ainsi omis de constater l’illégalité de la décision
litigieuse en raison d’une telle irrégularité. En outre, ces règlements auraient été illégalement appliqués, ce qui aurait porté atteinte aux droits de la défense.
86 Par la troisième branche du quatrième moyen, la requérante soutient que la reconnaissance par le Tribunal de la compétence de la Commission pour se prononcer sur une mesure ayant fait l’objet d’une décision d’une juridiction nationale passée en force de chose jugée enfreint également le principe de protection de la confiance légitime, dans la mesure où, en l’espèce, plus de cinq ans se sont écoulés entre le moment où cette décision nationale a été adoptée et celui où la Commission a adopté sa
décision. Une telle période aurait déjà été prise en compte dans la jurisprudence de la Cour aux fins d’évaluer une situation au regard de ce principe. Au point 192 de l’arrêt attaqué, le Tribunal aurait jugé, en se fondant sur l’arrêt du 13 juin 2013, HGA e.a./Commission (C‑630/11 P à C‑633/11 P, EU:C:2013:387, point 134), que la confiance légitime ne peut être invoquée que si l’obligation de notification a été respectée. Or, le Tribunal aurait méconnu le fait que, en l’espèce, cette
notification n’était pas nécessaire, puisque, contrairement à ce que celui-ci aurait jugé, la mesure en cause ne constituerait pas une aide nouvelle. En outre, un lien pourrait être établi entre le principe de l’autorité de la chose jugée et le principe de sécurité juridique, lequel constituerait une limite à l’obligation de récupération, tel que cela ressortirait de l’article 14 du règlement no 659/1999. De plus, la requérante pouvait, selon elle, fonder une confiance légitime sur la
circonstance que le Consiglio di Stato (Conseil d’État) n’avait pas estimé nécessaire de poser une question préjudicielle à la Cour en ce qui concerne la mesure en cause. Dans ces conditions, elle considère avoir pu légitimement se fier à la légalité de cette mesure, dès lors que toutes les voies de recours étaient épuisées.
87 La Commission fait valoir que ce moyen doit être écarté, en partie, comme irrecevable et, en partie, comme non fondé.
Appréciation de la Cour
88 Par son quatrième moyen, dont il convient d’examiner les trois branches conjointement, la requérante estime, en substance, que le Tribunal a commis plusieurs erreurs de droit en écartant ses premier, cinquième et sixième moyens d’annulation, qui portaient sur l’absence de compétence de la Commission pour adopter la décision litigieuse, dans la mesure où cette décision allait, selon elle, contre une décision du juge national passée en force de chose jugée.
89 À cet égard, aux points 184 à 188 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a rappelé, à bon droit, que l’application des règles en matière d’aides d’État repose sur une obligation de coopération loyale entre, d’une part, les juridictions nationales et, d’autre part, la Commission et le juge de l’Union, dans le cadre de laquelle chacune agit en fonction du rôle qui lui est assigné par le traité FUE.
90 Ainsi, au point 185 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a relevé, à juste titre, en se fondant, à cet égard, sur la jurisprudence de la Cour, que les juridictions nationales peuvent, en matière d’aides d’État, être saisies de litiges les obligeant à interpréter et à appliquer la notion d’aide, visée à l’article 107, paragraphe 1, TFUE, en particulier en vue de déterminer si une mesure étatique a été instaurée en violation de l’article 108, paragraphe 3, TFUE. En revanche, les juridictions nationales
ne sont pas compétentes pour statuer sur la compatibilité d’une aide d’État avec le marché intérieur. L’appréciation de la compatibilité des mesures d’aides ou d’un régime d’aides avec le marché intérieur relève en effet de la compétence exclusive de la Commission, agissant sous le contrôle du juge de l’Union (voir, en ce sens, arrêts du 18 juillet 2007, Lucchini, C‑119/05, EU:C:2007:434, points 50 à 52, et du 15 septembre 2016, PGE, C‑574/14, EU:C:2016:686, points 30 à 32).
91 Ainsi que le Tribunal l’a jugé à bon droit, au point 186 de l’arrêt attaqué, cette jurisprudence implique que les juridictions nationales doivent s’abstenir, en particulier, de prendre des décisions allant contre une décision de la Commission.
92 Toutefois, contrairement à ce que fait valoir la requérante, dans la situation inverse, dans laquelle il existe une décision d’une juridiction nationale relative à une mesure étatique antérieure à la décision de la Commission, il découle également de ladite jurisprudence que cette circonstance ne saurait faire obstacle à ce que la Commission exerce la compétence exclusive qui lui est assignée par le traité FUE s’agissant de l’appréciation de la compatibilité de mesures d’aides avec le marché
intérieur.
93 Or, l’exercice d’une telle compétence implique que la Commission puisse examiner, en vertu de l’article 108 TFUE, si une mesure constitue une aide d’État qui aurait dû lui être notifiée, conformément au paragraphe 3 de cet article, dans une situation où les autorités d’un État membre ont estimé que cette mesure ne remplissait pas les conditions fixées à l’article 107, paragraphe 1, TFUE, y compris lorsque ces autorités se sont conformées, à cet égard, à l’appréciation d’une juridiction nationale.
94 Cette conclusion ne saurait être infirmée par le fait que cette juridiction a adopté une décision ayant acquis force de chose jugée. En effet, il y a lieu de souligner que la règle de la compétence exclusive de la Commission s’impose dans l’ordre juridique interne en conséquence du principe de la primauté du droit de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 18 juillet 2007, Lucchini, C‑119/05, EU:C:2007:434, point 62).
95 Ainsi, comme le Tribunal l’a relevé à bon droit, au point 188 de l’arrêt attaqué, en se fondant sur la compétence exclusive de la Commission, le droit de l’Union s’oppose à ce que l’application du principe d’autorité de la chose jugée fasse obstacle à la récupération d’une aide d’État octroyée en violation de ce droit et dont l’incompatibilité a été constatée par une décision de la Commission devenue définitive (voir, en ce sens, arrêt du 18 juillet 2007, Lucchini, C‑119/05, EU:C:2007:434,
point 63).
96 De même, c’est à bon droit que le Tribunal a jugé, au point 190 de l’arrêt attaqué, que l’application du principe d’autorité de la chose jugée ne saurait empêcher la Commission de constater l’existence d’une aide d’État illégale, quand bien même une telle qualification aurait été écartée antérieurement par une juridiction nationale statuant en dernier ressort.
97 Partant, le Tribunal n’a commis aucune erreur de droit en estimant, au point 190 de l’arrêt attaqué, que la Commission avait compétence pour examiner en vertu de l’article 108 TFUE la mesure en cause, dès lors que celle-ci constituait, ainsi qu’il ressort du point 189 de cet arrêt, une aide illégale, alors même que ladite mesure avait fait l’objet d’une décision du Consiglio di Stato (Conseil d’État).
98 Cette conclusion n’est pas remise en cause par l’argument de la requérante, tiré d’une prétendue violation du principe de protection de la confiance légitime.
99 En effet, il y a lieu de rappeler que le droit de se prévaloir de ce principe appartient à tout justiciable à l’égard duquel une institution de l’Union, en lui fournissant des assurances précises, a fait naître des espérances fondées (arrêts du 16 décembre 2010, Kahla Thüringen Porzellan/Commission, C‑537/08 P, EU:C:2010:769, point 63, et du 13 juin 2013, HGA e.a./Commission, C‑630/11 P à C‑633/11 P, EU:C:2013:387, point 132 ainsi que jurisprudence citée).
100 Au vu de cette jurisprudence, dont découle celle sur laquelle le Tribunal s’est fondé au point 192 de l’arrêt attaqué, la requérante ne saurait soutenir que la décision du Consiglio di Stato (Conseil d’État) a fait naître à son égard des espérances fondées, pour s’opposer à l’exercice par la Commission de sa compétence exclusive, telle qu’elle a été reconnue par la jurisprudence de la Cour rappelée au point 90 du présent arrêt.
101 Enfin, en ce qui concerne l’argument de la requérante, tiré d’une « anomalie procédurale » affectant la légalité de la décision litigieuse, il y a lieu de le déclarer irrecevable, étant donné que la requérante n’identifie aucun motif de l’arrêt attaqué qu’elle entendrait spécifiquement critiquer.
102 Par conséquent, il y a lieu d’écarter le quatrième moyen comme étant, en partie, irrecevable et, en partie, non fondé.
Sur le cinquième moyen
Argumentation des parties
103 Par son cinquième moyen, la requérante soutient que le Tribunal a commis une erreur de droit en estimant que le règlement no 1370/2007 était applicable ratione temporis et ratione materiae aux fins d’apprécier la compatibilité de la mesure en cause avec le marché intérieur. S’agissant de l’application ratione temporis de ce règlement, le Tribunal aurait jugé de manière erronée, au point 216 de l’arrêt attaqué, que le critère pertinent serait la date à laquelle la mesure a été exécutée ou l’aide
versée, ce qui, en l’espèce, serait une date postérieure à l’entrée en vigueur dudit règlement. Le point 220 de l’arrêt attaqué serait entaché d’un défaut de motivation en ce qui concerne l’application matérielle du même règlement en l’espèce.
104 Selon la requérante, il ne fait aucun doute que le règlement no 1370/2007 n’est pas applicable en l’espèce, dans la mesure où ce règlement fait référence exclusivement aux « contrats de service public », lesquels doivent, conformément à l’article 5, paragraphes 1 et 3, dudit règlement, être attribués par voie d’un appel d’offres. Or, les contrats en cause n’auraient fait l’objet d’aucun appel d’offres et ne relèveraient d’aucune exception à la règle de mise en concurrence prévue par le même
règlement.
105 La Commission considère que ce moyen doit être écarté comme étant manifestement non fondé.
Appréciation de la Cour
106 Par son cinquième moyen, la requérante estime que le Tribunal a commis plusieurs erreurs de droit en écartant son troisième moyen d’annulation, par lequel elle contestait le choix de la Commission, au considérant 92 de la décision litigieuse, d’examiner la compatibilité de la mesure en cause au regard du règlement no 1370/2007, qui est entré en vigueur le 3 décembre 2009 et a abrogé le règlement no 1191/69.
107 Dans la mesure où la requérante faisait valoir devant le Tribunal que, s’agissant de la date d’exécution de la mesure en cause, la Commission aurait dû prendre en compte la date de la décision du 27 juillet 2009 et non celle de la décision du 7 novembre 2012, le Tribunal a relevé, au point 216 de l’arrêt attaqué, que, conformément à la jurisprudence de la Cour, le critère à prendre en compte pour l’appréciation de la compatibilité d’une aide est la date à laquelle cette mesure a été exécutée ou
cette aide versée, soit en l’espèce le 21 décembre 2012.
108 Si, certes, par son cinquième moyen, la requérante estime que ce point 216 est entaché d’une erreur de droit, elle n’indique toutefois aucunement en quoi consisterait cette erreur, de telle sorte que son argument doit être écarté comme étant irrecevable.
109 S’agissant du grief de la requérante selon lequel l’arrêt attaqué est entaché d’un défaut de motivation s’agissant de l’application ratione materiae du règlement no 1370/2007, il convient de relever que ce grief se fonde sur une lecture incomplète de l’arrêt attaqué.
110 En effet, il ressort des points 208 et 209 de l’arrêt attaqué que le Tribunal a répondu à l’argument de la requérante selon lequel le règlement no 1370/2007 n’était pas applicable à l’examen de la compatibilité de la mesure en cause, dès lors que ce règlement se fondait sur la notion de contrat de service public et que, en l’espèce, aucun contrat n’aurait été conclu par la Région. Le Tribunal a indiqué, à cet égard, que cette question avait déjà été examinée par la Cour dans l’arrêt du 6 octobre
2015, Commission/Andersen (C‑303/13 P, EU:C:2015:647), et que les parties avaient eu l’occasion de se prononcer sur les conséquences à tirer de cet arrêt en réponse à une question écrite posée par le Tribunal, ainsi que lors de l’audience, ce que la requérante ne conteste pas dans le cadre de son pourvoi.
111 En outre, au point 220 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a écarté les arguments de la requérante, relatifs à une « application illogique et irrationnelle du règlement no 1370/2007 » à une situation dans laquelle un contrat de service public n’avait pas été conclu, mais où les OSP trouvaient leur origine dans un régime de concession, en se référant aux points précédents de cet arrêt, auxquels le Tribunal a constaté que la Commission avait fait application à bon droit des règles définies dans ce
règlement.
112 Il découle de ce qui précède que le point 220 de l’arrêt attaqué, lu à la lumière notamment des points 208 et 209 de ce dernier, est de nature à permettre tant à la requérante de connaître les raisons pour lesquelles le Tribunal a écarté ses arguments qu’à la Cour de disposer des éléments suffisants pour exercer son contrôle juridictionnel dans le cadre d’un pourvoi, de telle sorte qu’il est conforme aux exigences de la jurisprudence constante de la Cour en la matière (voir, en ce sens, arrêt du
24 octobre 2013, Land Burgenland e.a./Commission, C‑214/12 P, C‑215/12 P et C‑223/12 P, EU:C:2013:682, point 81 ainsi que jurisprudence citée).
113 Il convient, partant, d’écarter, comme non fondé, le grief de la requérante tiré d’une violation de l’obligation de motivation.
114 Enfin, il y a également lieu d’écarter l’argument de la requérante tiré du fait que le règlement no 1370/2007 n’est pas applicable ratione materiae à la présente affaire. En effet, à défaut pour la requérante d’indiquer le point de l’arrêt attaqué qu’elle entend contester et d’identifier une quelconque erreur de droit que le Tribunal aurait commise à cet égard, cet argument est irrecevable.
115 Partant, le cinquième moyen doit être écarté comme étant, en partie, irrecevable et, en partie, non fondé.
116 Aucun des moyens soulevés par la requérante à l’appui de son pourvoi n’ayant été accueilli, il y a lieu de rejeter ce pourvoi dans son intégralité.
Sur les dépens
117 En vertu de l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure, lorsque le pourvoi n’est pas fondé, la Cour statue sur les dépens. Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, de ce règlement, rendu applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, dudit règlement, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de la requérante et cette dernière ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de
la condamner aux dépens.
Par ces motifs, la Cour (neuvième chambre) déclare et arrête :
1) Le pourvoi est rejeté.
2) Buonotourist Srl est condamnée aux dépens.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : l’italien.