CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
M. PRIIT PIKAMÄE
présentées le 24 mars 2021 ( 1 )
Affaires jointes C‑845/19 et C‑863/19
Okrazhna prokuratura – Varna
Procédure pénale
contre
DR (C‑845/19)
TS (C‑863/19)
[demande de décision préjudicielle formée par l’Apelativen sad – Varna (Cour d’appel de Varna, Bulgarie)]
« Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière pénale – Directive 2014/42/UE – Gel et confiscation des instruments et des produits du crime dans l’Union européenne – Champ d’application – Confiscation des avoirs illégalement acquis – Avantage économique résultant d’une infraction pénale n’ayant pas fait l’objet d’une condamnation – Article 4 – Confiscation – Article 5 – Confiscation élargie – Article 6 – Confiscation des avoirs des tiers – Conditions – Confiscation d’une somme pécuniaire
revendiquée comme appartenant à un tiers – Tiers n’ayant pas le droit de se constituer en tant que partie à la procédure de confiscation – Article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne »
1. Dans les présentes affaires, la Cour est saisie par l’Apelativen sad – Varna (Cour d’appel de Varna, Bulgarie) d’une demande de décision préjudicielle portant sur l’interprétation de la directive 2014/42/UE du Parlement européen et du Conseil, du 3 avril 2014, concernant le gel et la confiscation des instruments et des produits du crime dans l’Union européenne ( 2 ).
2. Plus particulièrement, la Cour dispose de l’opportunité de donner, pour la première fois, des éclaircissements sur des questions juridiques cruciales pour l’interprétation de cette directive. La première est celle relative à l’éventuelle nécessité de l’existence d’une situation transfrontière pour déclencher l’application de ladite directive. La deuxième concerne l’articulation des dispositions de la directive 2014/42 prévoyant différents cas de confiscation. La troisième a trait à la portée du
droit au recours effectif reconnu au tiers qui allègue détenir des droits de propriété sur un bien ayant fait l’objet d’une confiscation.
I. Le cadre juridique
A. Le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne
3. L’article 83, paragraphe 1, TFUE est ainsi libellé :
« 1. Le Parlement européen et le Conseil, statuant par voie de directives conformément à la procédure législative ordinaire, peuvent établir des règles minimales relatives à la définition des infractions pénales et des sanctions dans des domaines de criminalité particulièrement grave revêtant une dimension transfrontière résultant du caractère ou des incidences de ces infractions ou d’un besoin particulier de les combattre sur des bases communes.
Ces domaines de criminalité sont les suivants : le terrorisme, la traite des êtres humains et l’exploitation sexuelle des femmes et des enfants, le trafic illicite de drogues, le trafic illicite d’armes, le blanchiment d’argent, la corruption, la contrefaçon de moyens de paiement, la criminalité informatique et la criminalité organisée.
[...] »
B. Le droit de l’Union
1. La décision-cadre 2004/757/JAI
4. L’article 2, paragraphe 1, de la décision-cadre 2004/757/JAI du Conseil, du 25 octobre 2004, concernant l’établissement des dispositions minimales relatives aux éléments constitutifs des infractions pénales et des sanctions applicables dans le domaine du trafic de drogue ( 3 ), dispose :
« Chaque État membre prend les mesures nécessaires pour que les comportements intentionnels suivants soient punis lorsqu’ils ne peuvent être légitimés :
a) la production, la fabrication, l’extraction, la préparation, l’offre, la mise en vente, la distribution, la vente, la livraison à quelque condition que ce soit, le courtage, l’expédition, l’expédition en transit, le transport, l’importation ou l’exportation de drogues ;
[...]
c) la détention ou l’achat de drogues dans le but d’exercer l’une des activités énumérées au point a) ;
[...] »
2. La directive 2014/42
5. L’article 1er de la directive 2014/42, intitulé « Objet », prévoit :
« 1. La présente directive établit des règles minimales relatives au gel de biens en vue de leur éventuelle confiscation ultérieure et à la confiscation de biens en matière pénale.
2. La présente directive est sans préjudice des procédures auxquelles peuvent recourir les États membres pour confisquer les biens en question. »
6. L’article 2 de cette directive, intitulé « Définitions », dispose :
« Aux fins de la présente directive, on entend par :
1) “produit”, tout avantage économique tiré, directement ou indirectement, d’infractions pénales ; il peut consister en tout type de bien et comprend tout réinvestissement ou toute transformation ultérieurs des produits directs et tout autre gain de valeur ;
2) “bien”, un bien de toute nature, qu’il soit corporel ou incorporel, meuble ou immeuble, ainsi que les actes juridiques ou documents attestant d’un titre ou d’un droit sur ce bien ;
[...]
4) “confiscation”, une privation permanente d’un bien ordonnée par une juridiction en lien avec une infraction pénale ;
[...] »
7. L’article 3 de ladite directive, intitulé « Champ d’application », se lit comme suit :
« La présente directive s’applique aux infractions pénales couvertes par :
[...]
g) la [décision-cadre 2004/757] ;
[...] ».
8. L’article 4, paragraphe 1, de la directive 2014/42, intitulé « Confiscation », énonce :
« Les États membres prennent les mesures nécessaires pour permettre la confiscation de tout ou partie des instruments et des produits ou des biens dont la valeur correspond à celle de ces instruments ou produits, sous réserve d’une condamnation définitive pour une infraction pénale, qui peut aussi avoir été prononcée dans le cadre d’une procédure par défaut. »
9. L’article 5 de ladite directive, intitulé « Confiscation élargie », comporte un paragraphe 1 qui dispose :
« Les États membres adoptent les mesures nécessaires pour permettre la confiscation de tout ou partie des biens appartenant à une personne reconnue coupable d’une infraction pénale susceptible de donner lieu, directement ou indirectement, à un avantage économique, lorsqu’une juridiction, sur la base des circonstances de l’affaire, y compris les éléments factuels concrets et les éléments de preuve disponibles, tels que le fait que la valeur des biens est disproportionnée par rapport aux revenus
légaux de la personne condamnée, est convaincue que les biens en question proviennent d’activités criminelles. »
10. L’article 6 de cette même directive, intitulé « Confiscation des avoirs de tiers », prévoit :
« 1. Les États membres prennent les mesures nécessaires pour permettre la confiscation de produits ou de biens dont la valeur correspond à celle des produits qui ont été transférés, directement ou indirectement, à des tiers par un suspect ou une personne poursuivie ou qui ont été acquis par des tiers auprès d’un suspect ou d’une personne poursuivie, au moins dans les cas où ces tiers savaient ou auraient dû savoir que la finalité du transfert ou de l’acquisition était d’éviter la confiscation,
sur la base d’éléments ou de circonstances concrets, notamment le fait que le transfert ou l’acquisition a été effectué gratuitement ou en échange d’un montant sensiblement inférieur à la valeur marchande.
2. Le paragraphe 1 ne porte pas atteinte aux droits de tiers de bonne foi. »
11. Aux termes de l’article 8 de ladite directive, intitulé « Garanties » :
« 1. Les États membres prennent les mesures nécessaires pour faire en sorte que les personnes concernées par les mesures prévues par la présente directive aient droit à un recours effectif et à un procès équitable pour préserver leurs droits.
[...] »
C. Le droit bulgare
1. Le code pénal
12. L’article 53 du nakazatelen kodeks (code pénal, ci‑après le « NK ») énonce :
« (1) Indépendamment de toute responsabilité pénale, sont confisqués au profit de l’État :
a) les biens appartenant au coupable et qui étaient destinés ou qui ont servi à commettre une infraction pénale prédéterminée ; lorsque ces biens n’existent plus ou ont été cédés, le montant correspondant à leur valeur est déterminé [(complété, DV no 7/2019)] ;
b) les biens qui appartiennent au coupable et ont constitué l’objet d’une infraction pénale préméditée, dans les cas expressément prévus dans la partie spéciale du présent code.
(2) Sont également confisqués au profit de l’État [(nouveau, DV no 28/1982)] :
a) les biens qui ont constitué l’objet ou l’instrument d’une infraction pénale et dont la possession est interdite ; et
b) les produits directs et indirects obtenus grâce à l’infraction pénale, s’ils ne doivent pas être restitués ou remboursés ; lorsque ces produits n’existent plus ou ont été cédés, le montant correspondant à leur valeur est déterminé [(amendé, DV no 7/2019)].
(3) Au sens du paragraphe 2, sous b) [(nouveau, DV no 7/2019)] :
1. constitue un “produit direct” tout avantage économique né en tant que conséquence immédiate de l’infraction ;
2. constitue un “produit indirect” tout avantage économique résultant de la disposition d’un produit direct, ainsi que tout bien résultant de la transformation ultérieure totale ou partielle d’un produit direct, y compris lorsqu’il a été mélangé à des biens d’origine licite ; le bien est susceptible de confiscation à concurrence de la valeur du produit direct incorporé, ainsi que des augmentations du bien, lorsque ces augmentations sont directement liées à la disposition ou à la transformation
du produit direct et à l’incorporation du produit direct dans le bien. »
13. L’article 354a (première publication : DV no 95/1975 ; modifié : DV no 28/1982, no 10/1993, no 62/1997, no 21/2000, no 26/2004 et no 75/2006) du NK dispose :
« (1) Quiconque, sans autorisation appropriée, fabrique, transforme, acquiert ou détient des stupéfiants ou leurs équivalents à des fins de distribution, ou distribue des stupéfiants ou leurs équivalents, est puni, pour des stupéfiants à haut risque ou leurs analogues, d’une peine d’emprisonnement de deux à huit ans et d’une amende de [5000 à 20000 leva bulgares (BGN) (environ 2500 à 10000 euros)] et, pour des stupéfiants à risque ou leurs équivalents, d’une peine d’emprisonnement d’un à six
ans et d’une amende de [2000 à 10000 BGN (environ 1000 à 5000 euros)]. [...]
[...]
(3) Quiconque, sans autorisation appropriée, acquiert ou détient des stupéfiants ou leurs équivalents est puni :
1. pour des stupéfiants à haut risque ou leurs analogues, d’une peine d’emprisonnement d’un à six ans et d’une amende de [2000 à 10000 BGN (environ 1000 à 5000 euros)] ;
2. pour des stupéfiants à risque ou leurs équivalents, d’une peine d’emprisonnement jusqu’à cinq ans et d’une amende de [1000 à 5000 BGN (environ 500 à 2500 euros)].
[...] »
2. Le code de procédure pénale
14. L’article 306, paragraphe 1, point 1, du nakazatelno-protsesualen kodeks (code de procédure pénale, DV no 86, du 28 octobre 2005, ci‑après le « NPK ») prévoit :
« (1) Le tribunal peut statuer également par ordonnance sur les questions concernant :
1. la détermination de la peine globale en vertu des articles 25 et 27 et l’application de l’article 53 du [NK]. »
II. Les faits à l’origine des litiges, les procédures au principal et les questions préjudicielles
15. Les intéressés, seuls ou en tant que coauteurs, ont été reconnus coupables d’avoir commis, le 21 février 2019, dans la ville de Varna (Bulgarie), une infraction pénale visée à l’article 354a du NK, notamment d’avoir détenu sans autorisation, dans le but de la revente, des stupéfiants à haut risque. Par un jugement pénal rendu le 28 juin 2019, DR a été condamné à une peine privative de liberté d’un an ainsi qu’à une amende de 2500 BGN (environ 1250 euros). TS a, quant à lui, été condamné à une
peine privative de liberté de deux ans, assortie d’un sursis de quatre ans ainsi qu’à une amende de 5000 BGN (environ 2500 euros).
16. Lors d’une perquisition dans un logement où DR vivait avec sa mère et ses grands-parents et d’une fouille de sa voiture, effectuées par les autorités compétentes dans le cadre de la procédure précédant le procès, ces dernières ont découvert une somme d’argent d’un montant de 4447,06 BGN (environ 2200 euros).
17. Dans le cadre d’une perquisition dans un logement où TS vivait avec sa mère, effectuée également dans le cadre d’une procédure précédant le procès, les autorités compétentes ont découvert une somme d’argent d’un montant de 9324,25 BGN (environ 4800 euros).
18. Après la condamnation pénale des intéressés, le parquet a demandé à l’Okrazhen sad Varna (tribunal régional de Varna, Bulgarie, ci‑après la « juridiction de première instance ») la confiscation desdites sommes d’argent au profit de l’État, conformément à l’article 306, paragraphe 1, point 1, du NPK. La juridiction de première instance a examiné la demande du parquet en audience publique, à laquelle sont intervenus le procureur, les intéressés et leurs deux avocats.
19. Lors de cette procédure judiciaire, DR a déclaré que la somme d’argent en question appartenait à sa grand-mère, qui l’avait acquise en vertu d’un emprunt bancaire. Il a, en outre, fourni une preuve écrite établissant que, en décembre 2018, celle‑ci avait retiré de son compte bancaire la somme de 7000,06 BGN (environ 3500 euros). La grand-mère de DR n’a pas pris part à la procédure, au titre de l’article 306, paragraphe 1, point 1, du NPK, qui s’est déroulée en première instance, le droit bulgare
ne lui permettant pas d’y participer en tant que partie distincte. Elle n’a pas non plus été entendue en qualité de témoin.
20. Dans le cadre de cette procédure judiciaire, TS a, quant à lui, déclaré que la somme d’argent en question appartenait à sa mère et à sa sœur. À cet égard, il a également fourni une preuve écrite établissant que, en mars 2018, sa mère avait contracté auprès de la banque DSK EAD un crédit à la consommation d’un montant de 17000 BGN (environ 8500 euros). De plus, il a produit les copies des passeports de sa mère et de sa sœur attestant de leur voyage en Turquie pour la période du 19 au 21 avril
2019. La mère de TS n’a pas pu participer à la procédure devant la juridiction de première instance. Celle-ci a toutefois été entendue comme témoin en ce qui concerne la somme d’argent trouvée dans le logement où elle vivait avec son fils.
21. La juridiction de première instance a refusé d’autoriser la confiscation des sommes d’argent en cause, considérant que l’infraction pénale pour laquelle les intéressés ont été condamnés, à savoir la détention de stupéfiants dans le but de la revente, n’était pas de nature à générer des avantages économiques. À cet égard, cette juridiction a estimé que, bien qu’il existait des preuves, à savoir des dépositions de témoins, que, dans les affaires en cause, les intéressés vendaient des stupéfiants,
les conditions pour la confiscation au profit de l’État visées à l’article 53, paragraphe 2, du NK n’étaient pas réunies, dans la mesure où le ministère public n’avait pas formulé une telle accusation et que ledit trafic n’avait pas non plus été confirmé par la condamnation subséquente.
22. Le parquet régional a contesté le jugement rendu par la juridiction de première instance devant la juridiction de renvoi, en faisant valoir que ladite juridiction n’avait pas appliqué l’article 53, paragraphe 2, du NK à la lumière de la directive 2014/42. Les avocats des intéressés ne partagent pas l’avis du ministère public et estiment que seuls les biens matériels, qui sont tirés directement de l’infraction pour laquelle l’intéressé a été condamné, peuvent être confisqués.
23. Dans ce contexte, l’Apelativen sad – Varna (Cour d’appel de Varna) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes, rédigées de manière identique dans les affaires C‑845/19 et C‑863/19 :
« 1) La [directive 2014/42] et la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne sont-elles applicables à une infraction consistant en la détention de stupéfiants aux fins de leur distribution, commise par un ressortissant bulgare sur le territoire de la République de Bulgarie, alors même que l’éventuel avantage économique est également né et se situe en Bulgarie ?
2) Si la réponse à la première question est affirmative, comment doit-on entendre la notion d’“avantage économique tiré indirectement d’infractions pénales” figurant à l’article 2, point 1, de la directive [2014/42] ? La somme d’argent découverte et saisie dans le logement habité par l’individu condamné et par sa famille, ainsi que dans la voiture particulière utilisée par cet individu, peut-elle constituer un tel avantage économique ?
3) Convient-il d’interpréter l’article 2 de la directive [2014/42] en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation telle celle de l’article 53, paragraphe 2, du [NK], laquelle ne prévoit pas la confiscation de l’“avantage économique tiré indirectement d’une infraction pénale” ?
4) Convient-il d’interpréter l’article 47 de la charte des droits fondamentaux en ce sens qu’elle s’oppose à une réglementation telle celle de l’article 306, paragraphe 1, point 1, du [NPK], laquelle permet la confiscation au profit de l’État d’une somme d’argent dont il est allégué qu’elle appartient à une personne distincte de l’auteur de l’infraction pénale, alors même que ce tiers n’a pas la possibilité de se constituer en tant que partie à cette procédure et que son accès direct à la
justice n’est pas garanti ? »
III. La procédure devant la Cour
24. Ces questions ont fait l’objet d’observations écrites de la part du parquet, du gouvernement bulgare ainsi que de la Commission européenne.
25. Ces mêmes parties, ainsi que le gouvernement autrichien, ont été entendues lors de l’audience qui s’est tenue le 13 janvier 2021.
IV. Analyse
A. Sur la première question
26. Par sa première question, la juridiction de renvoi cherche à savoir, en substance, si la directive 2014/42 et la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci‑après la « Charte) sont applicables lorsqu’il s’agit d’une infraction, telle celle de détention de stupéfiants aux fins de leur distribution, alors même que tous les éléments inhérents à la commission de cette infraction se cantonnent à l’intérieur d’un seul État membre.
27. Il ressort clairement de cette question que la juridiction de renvoi tient pour acquis que l’existence d’une situation transfrontière doit être considérée comme étant une conditio sine qua non de l’application de la directive 2014/42. Le gouvernement bulgare a contesté, tant dans ses observations écrites que lors de l’audience, cette prémisse, en considérant que l’application dans un État membre des règles prévues par cette directive est indépendante de la possibilité d’identifier une situation
transfrontière dans le cadre du litige pendant devant une juridiction dudit État.
28. Compte tenu de cela, je prendrai d’abord position, en sens négatif, sur cet argument du gouvernement bulgare, et soutiendrai ainsi que la directive 2014/42 ne peut pas être appliquée si l’infraction pénale ne revêt pas une dimension transfrontière (section 1). Ensuite, j’expliquerai comment cette dimension doit être caractérisée (section 2) et j’appliquerai mon analyse au cas d’espèce (section 3). Enfin, je suggérerai à la Cour une réponse à la première question (section 4), étant précisé que
l’applicabilité de la Charte dépend de celle de la directive 2014/42 ( 4 ).
1. Sur la nécessité de l’existence d’une situation transfrontière
29. À l’appui de l’interprétation qu’il propose, le gouvernement bulgare fait référence à l’arrêt Moro ( 5 ), dans lequel la Cour a jugé, s’agissant de la directive 2012/13/UE relative au droit à l’information dans le cadre des procédures pénales ( 6 ), que l’application dans un État membre des règles y prévues n’est pas subordonnée à l’existence d’une situation transfrontière dans le cadre d’un litige survenant dans cet État membre. Le raisonnement par lequel la Cour est parvenue à cette conclusion
serait, selon le gouvernement bulgare, transposable aux présentes affaires.
30. Il convient de résumer ce raisonnement ( 7 ). D’abord, la Cour a rappelé que la base juridique de la directive 2012/13 est l’article 82, paragraphe 2, TFUE, dont le premier alinéa se lit comme suit : « Dans la mesure où cela est nécessaire pour faciliter la reconnaissance mutuelle des jugements et décisions judiciaires, ainsi que la coopération policière et judiciaire dans les matières pénales ayant une dimension transfrontière, le Parlement européen et le Conseil, statuant par voie de
directives conformément à la procédure législative ordinaire, peuvent établir des règles minimales. Ces règles minimales tiennent compte des différences entre les traditions et les systèmes juridiques des États membres. » Ensuite, la Cour a observé, au regard du libellé de la directive 2012/13, que les articles 1er et 2 de cette directive, qui en définissent respectivement l’objet et le champ d’application, ne restreignent pas l’application de ladite directive aux situations ayant une dimension
transfrontière. Enfin, la Cour a en substance considéré, quant aux objectifs de la directive 2012/13, qu’il résulte de ses considérants que l’édiction de règles minimales communes encadrant le droit à l’information dans les procédures pénales vise à renforcer la confiance mutuelle entre les États membres dans leurs systèmes respectifs de justice pénale, et contribue ainsi à la reconnaissance mutuelle des décisions des autorités judiciaires même dans le cas où ces décisions portent sur des
situations purement internes. Dans un tel cadre, lorsque la coopération transfrontière apparaît nécessaire, les autorités policières et judiciaires d’un État membre peuvent en effet considérer les décisions judiciaires des autres États membres comme équivalentes aux leurs.
31. Je suis persuadé qu’un tel raisonnement ne peut pas être suivi lorsque la question portant sur le caractère nécessaire d’une dimension transfrontière est posée au regard de l’applicabilité de la directive 2014/42, dès lors que ni l’interprétation littérale ni l’interprétation téléologique de l’arrêt Moro ( 8 ) ne peuvent être appliquées par analogie à cette dernière directive, et cela pour les raisons exposées dans les points suivants.
32. Premièrement, s’agissant du libellé de la directive 2014/42, il y a lieu de relever que, à la différence de celui de la directive 2012/13, il semble restreindre les infractions pénales couvertes par cette directive à celles ayant une dimension transfrontière, dans la mesure où le considérant 1 de la directive 2014/42 justifie la nécessité que les autorités compétentes disposent des moyens de dépister, geler, gérer et confisquer les produits du crime par le fait que « [l]a criminalité organisée
transfrontière [...] poursuit essentiellement des fins lucratives » ( 9 ). La nécessité d’une dimension transfrontière aux fins de l’application de la directive 2014/42 est reflétée d’ailleurs par l’exposé des motifs de la proposition de la Commission à l’origine de cette directive ( 10 ), et notamment par le point 1.1, selon lequel « [l]a présente proposition de directive vise à faciliter la confiscation et le recouvrement par les autorités des États membres des gains tirés de la grande
criminalité transfrontière organisée [...] Les groupes criminels organisés sont des entreprises illégales conçues pour générer des gains. Ils se livrent à une multitude d’activités criminelles transfrontières, telles que le trafic de stupéfiants, la traite des êtres humains, le trafic d’armes et la corruption, qui génèrent d’immenses profits » ( 11 ).
33. Deuxièmement, concernant les objectifs de la directive 2014/42, je ne pense pas que la reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires occupe, au sein de cette directive, la même place qui lui est attribuée, selon la Cour, au sein de la directive 2012/13.
34. À cet égard, il importe en effet d’observer que la base juridique de la directive 2014/42 ne correspond pas pleinement à celle retenue pour la directive 2012/13. En effet, s’agissant de la directive 2014/42, l’article 83, paragraphe 1, TFUE, qui constitue la base juridique de l’harmonisation du droit pénal matériel, s’ajoute à l’article 82, paragraphe 2, TFUE. De plus, la proposition de directive indique que l’article 83, paragraphe 1, TFUE doit être considéré comme la « principale base
juridique » de celle‑ci.
35. Or, il ressort sans équivoque du libellé de l’article 83, paragraphe 1, premier alinéa, TFUE que, contrairement à l’article 82, paragraphe 2, TFUE, l’édiction de dispositions substantielles harmonisées n’est pas subordonnée à leur caractère nécessaire en vue de faciliter la reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires et la coopération policière et judiciaire transfrontière ( 12 ).
36. Bien au contraire, l’article 83, paragraphe 1, premier alinéa, TFUE prévoit expressément qu’une telle harmonisation est exclusivement conditionnée, au-delà du caractère particulièrement grave des domaines de criminalité considérés, à la circonstance que ces derniers revêtent une dimension transfrontière, résultant de la nature ou de l’impact des infractions pénales en cause ou d’un besoin particulier de les combattre sur des bases communes. Ces domaines de criminalité sont, selon l’article 83,
paragraphe 1, deuxième alinéa, TFUE, le terrorisme, la traite des êtres humains, l’exploitation sexuelle des femmes et des enfants, le trafic illicite de drogues, le trafic illicite d’armes, le blanchiment d’argent, la corruption, la contrefaçon de moyens de paiement, la criminalité informatique et la criminalité organisée. Ainsi qu’il résulte de l’article 3 de la directive 2014/42, cette dernière s’applique uniquement à des infractions pénales couvertes par les actes du droit dérivé harmonisant
le droit pénal matériel dans les domaines susmentionnés ou, pour mieux le dire, dans les domaines ayant une dimension transfrontière.
37. Par ailleurs, le fait que l’applicabilité de la directive 2014/42 dépend de l’existence d’une telle dimension transfrontière est confirmé, de manière probante, par un élément d’interprétation supplémentaire. Je note, en effet, que l’article 14, paragraphe 1, de la directive 2014/42 établit la relation entre cette directive et l’acte juridique qu’elle vise à remplacer, à savoir la décision-cadre 2005/212/JAI du Conseil, du 24 février 2005, relative à la confiscation des produits, des instruments
et des biens en rapport avec le crime ( 13 ), dans les termes suivants : « [L]es quatre premiers tirets de l’article 1er et l’article 3 de la [décision-cadre 2005/212] sont remplacés par la présente directive », ce qui implique, a contrario, que l’article 2 (« Confiscation ») ( 14 ), l’article 4 (« Voies de recours ») ( 15 ) et l’article 5 (« Garanties ») ( 16 ) de cette décision-cadre demeurent en vigueur. Or, le point 2.3 de la proposition de directive précise que, compte tenu de la limitation
du champ d’application de la directive proposée aux domaines de criminalité énumérés à l’article 83, paragraphe 1, TFUE, les articles 2, 4 et 5 de la décision-cadre 2005/212 n’ont pas été abrogés dans le but de préserver une certaine harmonisation en ce qui concerne les infractions pénales « qui ne relèvent pas de la présente proposition de directive » ( 17 ), et qui sont dépourvus, de ce fait, de toute dimension transfrontière.
2. Sur la caractérisation de l’existence d’une « dimension transfrontière »
38. La juridiction de renvoi soulève des doutes portant sur l’existence d’une dimension transfrontière dans le cas de l’espèce en relevant qu’aucun élément inhérent à la commission de l’acte criminel en cause ne se situe en dehors du territoire bulgare.
39. J’indique d’ores et déjà que ces doutes me semblent résulter d’un malentendu sur la manière dont est établie l’existence d’une situation transfrontière déclenchant l’application de la législation de l’Union fondée, principalement ou uniquement, sur l’article 83 TFUE.
40. Ainsi qu’il a été rappelé ci‑dessus, le libellé de cette disposition du traité fait en effet référence à une « dimension transfrontière », et non pas à un « élément transfrontalier ». Une telle formulation n’est pas, à mon sens, fortuite. Bien au contraire, elle manifeste que la satisfaction de cette condition ne dépend pas d’une appréciation des circonstances factuelles du cas concret, mais bien du simple fait que l’infraction pénale considérée relève d’un des domaines de criminalité
susceptibles de faire l’objet d’une harmonisation substantielle au sens de l’article 83, paragraphe 1, deuxième alinéa, TFUE, et qu’elle entre dans le champ d’application de l’acte juridique de droit dérivé adopté sur le fondement de l’article 83, paragraphe 1, TFUE et régissant un tel domaine ( 18 ). Si tel est le cas, l’infraction pénale considérée est ipso facto considérée comme remplissant la condition de la dimension transfrontière, tout comme celle de la particulière gravité. Il en découle
que la question de savoir si un des éléments inhérents à la commission de l’infraction en question, tels que la nationalité de l’auteur de l’infraction, le lieu où celle‑ci a été commise ou la localisation des produits du crime, possède un caractère transfrontalier, est dépourvue de toute pertinence.
3. Sur l’existence d’une dimension transfrontière dans le cas de l’espèce
41. Eu égard au cas de l’espèce, il y a lieu de rappeler que l’article 3 de la directive 2014/42 énumère exhaustivement les infractions pénales auxquelles s’appliquent les dispositions de cette directive, à savoir celles visées par les actes de droit dérivé figurant aux points a) à k) de cet article. En vertu de son article 3, sous g), cette directive s’applique aux infractions pénales couvertes par la décision-cadre 2004/757.
42. Or, l’article 2, paragraphe 1, sous c), de cette décision-cadre inclut, parmi ces infractions, « la détention ou l’achat de drogues » dans le but d’exercer l’une des activités énumérées à l’article 2, paragraphe 1, sous a), à savoir notamment la distribution et la vente de drogues.
43. Il me paraît donc évident que l’infraction pénale pour laquelle les intéressés ont été condamnés par jugement définitif dans les affaires au principal, qui consiste en la détention, dans le but de la revente, de produits stupéfiants à haut risque, telle que prévue à l’article 354a, paragraphe 1, du NK, relève du champ d’application de la directive 2014/42.
44. L’argument contraire exposé par le gouvernement autrichien lors de son intervention à l’audience n’est pas susceptible, à mon avis, de remettre en question une telle conclusion. Je tenterai de le paraphraser. Selon ce gouvernement, le choix de l’article 83, paragraphe 1, TFUE comme base juridique principale de la directive 2014/42 implique que l’article 3 de cette directive, qui en définit le champ d’application, doit recevoir une interprétation restrictive, de sorte que ladite directive ne
s’applique pas à toutes les infractions pénales couvertes par les actes juridiques de droit dérivé énumérées dans cet article, mais uniquement aux infractions satisfaisant aux conditions de la particulière gravité et de la dimension transfrontière prévues par l’article 83, paragraphe 1, TFUE. Il en découlerait, d’après le gouvernement autrichien, que l’infraction en cause au principal n’entre pas dans le champ d’application de la directive 2014/42.
45. Or, aucun élément ne me semble plaider pour une telle lecture restrictive de l’article 3 de la directive 2014/42. En effet, cet article fait précéder l’énumération des actes juridiques de droit dérivé adoptés dans les domaines prévus par l’article 83, paragraphe 1, deuxième alinéa, TFUE par la phrase « [l]a présente directive s’applique aux infractions pénales couvertes par », qui ne peut être comprise que comme se référant à toutes les infractions pénales visées par chacun de ces actes. En
d’autres termes, cette disposition ne précise aucunement que, parmi ces infractions pénales, les seules infractions ayant un caractère particulièrement grave ainsi qu’une dimension transfrontière relèvent du champ d’application de la directive 2014/42. Au demeurant, ainsi qu’il a déjà été expliqué ci‑dessus, toutes les infractions couvertes par lesdits actes réunissent ipso facto les conditions de la particulière gravité et de la dimension transfrontière.
4. Conclusion sur la première question
46. Au vu de ce qui précède, je suggère à la Cour de répondre à la première question préjudicielle en ce sens que la directive 2014/42 et la Charte sont applicables lorsqu’il s’agit d’une infraction pénale relevant d’un des domaines de criminalité énumérés à l’article 83, paragraphe 1, deuxième alinéa, TFUE, telle celle de détention de stupéfiants aux fins de leur distribution, alors même que tous les éléments inhérents à la commission de cette infraction se cantonnent à l’intérieur d’un seul État
membre.
B. Sur les deuxième et troisième questions
1. Sur la reformulation des questions
47. Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi s’interroge, en substance, sur l’interprétation de la notion d’« avantage économique tiré indirectement d’infractions pénales » figurant à l’article 2, point 1, de la directive 2014/42. Plus précisément, elle souhaite savoir si les biens saisis au domicile des intéressés et leur famille ainsi que dans la voiture utilisée par DR constituent un tel avantage économique.
48. Par sa troisième question, la juridiction demande à la Cour de préciser si l’article 2 de la directive 2014/42 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale, telle que celle de l’article 53, paragraphe 2, du NK, qui ne prévoit pas la confiscation d’un avantage économique tiré indirectement d’une infraction pénale.
49. Tout d’abord, il y a lieu de relever que l’article 2, point 1, de la directive 2014/42 retient une appréhension large ( 19 ) de la notion de « produit », en le définissant comme « tout avantage économique tiré, directement ou indirectement, d’infractions pénales ; il peut consister en tout type de bien et comprend tout réinvestissement ou toute transformation ultérieurs des produits directs et tout autre gain de valeur ». Or, je constate que, en se référant expressément aux avantages économiques
directs ou indirects, le législateur de l’Union n’a pas entendu créer deux concepts indépendants l’un de l’autre. Il ressort, en effet, de la lecture du considérant 11 de la directive 2014/42 que la notion de « produit » englobe non seulement les biens découlant directement de l’infraction pénale, mais également toutes les transformations de ces biens ( 20 ). En conséquence, je considère que l’article 2, point 1, de la directive 2014/42 a été correctement transposé en droit bulgare puisque,
d’une part, l’article 53, paragraphe 2, du NK prévoit la confiscation des « produits directs et indirects obtenus grâce à l’infraction pénale », et, d’autre part, l’article 53, paragraphe 3, du même code précise que « constitue un “produit indirect” tout avantage économique résultant de la disposition d’un produit direct, ainsi que tout bien résultant de la transformation ultérieure totale ou partielle d’un produit direct ».
50. Une telle appréhension large de la notion de « produit » ne couvre toutefois pas les biens qui ne découlent pas de l’infraction pénale pour laquelle une personne a été condamnée. En effet, il s’évince de la définition figurant à l’article 2, point 1, de la directive 2014/42 que l’avantage économique, qu’il soit direct ou indirect, doit résulter d’une infraction pénale. Concernant la question de savoir si les sommes d’argent saisies dans la procédure au principal constituent un « bien » ( 21 )
susceptible d’être confisqué, j’observe qu’il ressort de la décision de renvoi que, d’une part, les intéressés ont été condamnés au titre de l’infraction pénale de détention, dans le but de la revente, de produits stupéfiants, qui n’est pas, en elle‑même, de nature à générer un avantage économique. D’autre part, il existait des preuves que ces intéressés se livraient à la vente de produits stupéfiants, mais qu’ils n’ont été ni poursuivis ni condamnés pour cette dernière infraction pénale ( 22 ).
Il s’ensuit que, pour statuer sur le bien‑fondé de la demande de confiscation, la juridiction de renvoi devra déterminer si l’avantage économique peut résulter d’une infraction pénale, telle que la vente de produits stupéfiants, pour laquelle la personne n’a pas été condamnée.
51. Dans ces conditions, il me paraît nécessaire, dans le but de donner à la juridiction de renvoi une réponse utile à la solution du litige, de procéder à une reformulation des questions qu’elle a déférées à la Cour ( 23 ).
52. Je suggère donc à la Cour de reformuler les deuxième et troisième questions en ces termes :
« La directive 2014/42 doit-elle être interprétée en ce sens que la confiscation suppose nécessairement que l’avantage économique résulte de l’infraction pénale pour laquelle une personne a été condamnée ou que cette confiscation peut concerner un avantage économique résultant d’une autre infraction pour laquelle la personne n’a pas été condamnée ? »
2. Sur les questions reformulées
53. Conformément à la logique suivie pour reformuler la question, il y a lieu d’analyser les différents types de confiscation qu’il appartient aux États membres de prévoir en vertu de la directive 2014/42 et de vérifier, lors de l’examen de ces dispositions, si les circonstances de l’espèce relèvent de l’une ou l’autre de ces hypothèses.
54. Les articles 4, 5 et 6 de cette directive prescrivent aux États membres de prévoir la confiscation de produits criminels dans trois séries d’hypothèses. La première, visée à l’article 4 de ladite directive, correspond à la confiscation « ordinaire » ( 24 ), tandis que les deuxième et troisième, envisagées aux articles 5 et 6 de la directive 2014/42, couvrent respectivement la confiscation élargie de biens supplémentaires et la confiscation des avoirs transférés à des tiers par un suspect ou une
personne poursuivie.
55. D’emblée, j’estime que les faits de l’espèce ne relèvent pas de la confiscation des avoirs de tiers régie par l’article 6 de la directive 2014/42 puisque la mise en œuvre de la mesure prévue par cette disposition implique à la fois un transfert de biens au profit d’un tiers et la connaissance par celui‑ci que l’éventuel transfert avait pour finalité d’éviter la confiscation de ces biens. Or, dans la décision de renvoi, la juridiction de renvoi ne constate ni la première ni la seconde de ces
circonstances.
56. L’article 4, paragraphe 1, de la directive 2014/42 impose aux États membres de permettre, sous réserve d’une condamnation définitive pour une infraction pénale, la confiscation des instruments et des produits ou des biens dont la valeur correspond à celle de ces instruments ou produits. Le champ d’application de cette disposition peut être mieux appréhendé au regard du cas de confiscation visé à l’article 5 de ladite directive. À cet égard, la distinction entre les cas couverts par l’article 4
de la directive 2014/42 et celui régi par l’article 5 de la même directive s’exprime, à mon sens, dans les termes du considérant 19 de celle‑ci selon lequel « il peut exister certaines situations dans lesquelles il convient de faire suivre la condamnation pénale de la confiscation non seulement des biens liés à un crime déterminé, mais aussi de biens supplémentaires identifiés par la juridiction comme constituant les produits d’autres crimes » ( 25 ) et « [c]ette approche correspond à la notion
de “confiscation élargie” ». Il me semble découler de cette disposition que la confiscation élargie visée à l’article 5 de la directive 2014/42 couvre justement des situations où l’article 4 de celle‑ci ne peut être appliqué en raison de l’absence de lien entre le produit et l’infraction retenue par juge.
57. Ainsi, au regard de l’architecture des textes et de leur économie, j’estime que, pour l’application de l’article 4 de la directive 2014/42, il est nécessaire que le produit ou le bien dont la confiscation est envisagée ait été généré par l’infraction pénale pour laquelle la personne a été condamnée. Si l’on adopte cette interprétation, il faut considérer que l’article 4 de la directive 2014/42 ne peut être appliqué au cas d’espèce puisque, selon les motifs de la décision de renvoi, les sommes
d’argent dont la confiscation est requise n’ont pas pu être générées par l’infraction de détention de stupéfiants dans le but de la revente.
58. Pour sa part, l’article 5 de la directive 2014/42 prévoit un mécanisme de confiscation élargie ( 26 ) en imposant, en son paragraphe 1, aux États membres de prendre les mesures nécessaires pour permettre la confiscation de tout ou partie des biens appartenant à une personne reconnue coupable d’une infraction pénale susceptible de donner lieu, directement ou indirectement, à un avantage économique, lorsque la juridiction, sur la base des circonstances de l’affaire, est convaincue que les biens en
question proviennent d’activités criminelles. Par ailleurs, aux fins de cette disposition, la notion d’« infraction pénale » inclut, au moins, les infractions énumérées au paragraphe 2 de ladite disposition. Il en ressort que pour vérifier si la situation de l’espèce relève des dispositions de l’article 5 de la directive 2014/42, il y a lieu d’examiner successivement si les conditions fixées par chacun de ces paragraphes sont réunies.
59. En premier lieu, il convient de déterminer si, dans le cas d’espèce, l’infraction pénale pour laquelle l’intéressé a été condamné relève du champ d’application de l’article 5, paragraphe 2, sous e), de la directive 2014/42. Ce dernier se réfère, en effet, à « une infraction pénale sanctionnée, conformément à l’instrument applicable prévu à l’article 3 [...], par une peine privative de liberté d’une durée maximale d’au moins quatre ans ». Or, s’il n’est pas douteux que la détention de stupéfiants
dans le but de la revente est une infraction pénale sanctionnée conformément à l’article 2, paragraphe 1, sous c), de la décision-cadre 2004/757, à laquelle renvoie l’article 3, sous g), de la directive 2014/42, il convient de vérifier si cette infraction pénale, telle qu’elle a été qualifiée en l’espèce, est passible d’une peine privative de liberté d’une durée maximale d’au moins quatre ans. En effet, selon l’article 4, paragraphes 1 et 2, de la décision-cadre 2004/757, la peine maximale
prévue pour l’infraction visée à son article 2, paragraphe 1, sous c), est de un à trois ans d’emprisonnement au moins, peine relevée jusqu’à cinq à dix ans au moins dans les cas suivants : (i) l’infraction porte sur de grandes quantités de drogue ou (ii) elle porte sur des drogues parmi les plus dommageables pour la santé, soit a entraîné des dommages importants à la santé de plusieurs personnes. Il peut être supposé que ce critère est rempli dès lors que l’infraction pour laquelle les
intéressés ont été condamnés inclut la détention de produits stupéfiants à haut risque, une telle qualification paraissant correspondre à la notion précitée de « drogues parmi les plus dommageables pour la santé ».
60. En second lieu, il est nécessaire de déterminer si la condition selon laquelle l’infraction pénale doit être « susceptible de donner lieu, directement ou indirectement, à un avantage économique » est satisfaite en l’espèce ( 27 ). À cette fin, il me semble essentiel, afin de donner une réponse utile à la juridiction de renvoi, de préciser les éléments qui doivent être pris en compte dans le cadre d’une telle appréciation. Or, l’emploi du terme « susceptible » ( 28 ) implique, selon moi,
d’analyser la nature objective de l’infraction, telle qu’elle résulte de sa qualification pénale de droit national. Cependant, on pourrait s’interroger sur l’existence de critères supplémentaires dès lors que le considérant 20 de la directive 2014/42 énonce que « [l]orsqu’ils déterminent si une infraction pénale est susceptible de donner lieu à un avantage économique, les États membres peuvent prendre en compte le mode opératoire, par exemple si l’une des circonstances de l’infraction est que
celle‑ci a été commise dans le cadre de la criminalité organisée ou avec l’intention de tirer des profits réguliers d’infractions pénales ». Au regard de cette rédaction, marquée par l’emploi du verbe « pouvoir », je considère que ce texte n’impose pas aux États membres de prendre en compte le mode opératoire lorsqu’ils déterminent si une infraction pénale est susceptible de donner lieu à un avantage économique. Cette interprétation est, au demeurant, corroborée par la seconde phrase de ce même
considérant qui énonce que la prise en considération du mode opératoire « ne devrait pas, en général, porter atteinte à la possibilité de procéder à une confiscation élargie ». J’en déduis que la vérification de la satisfaction de cette condition n’est pas nécessairement subordonnée à l’examen du mode opératoire de l’infraction, les autorités nationales pouvant déduire de la seule qualification définie par le droit interne que l’infraction est susceptible de procurer un avantage économique.
61. À l’appui de cette conclusion, j’ajoute que si l’article 3, paragraphe 1, sous a), de la décision-cadre 2005/212 faisait référence à une infraction « commise dans le cadre d’une organisation criminelle », une telle condition n’est plus reprise qu’à l’article 5, paragraphe 2, sous b), de la directive 2014/42, ce dont il résulte que cette condition n’est pas systématiquement requise pour les autres infractions énumérées par ladite directive.
62. Si l’on applique ce raisonnement au cas présent, j’estime, à l’instar de la juridiction de renvoi, qu’il n’est nullement acquis que la qualification pénale de détention de produits stupéfiants dans le but de la revente soit susceptible de donner lieu, directement ou indirectement, à un avantage économique. Cela étant, pour se prononcer sur cette question, le juge national pourra, si cette possibilité lui est conférée par son droit interne, prendre en considération le mode opératoire de
l’infraction, dont notamment la circonstance qu’elle a été commise dans le cadre de la criminalité organisée ou avec l’intention de tirer des profits réguliers d’infractions pénales.
63. Enfin, à supposer que, suivant ces deux étapes, l’infraction relève du domaine de la confiscation élargie, le juge national devra, conformément à l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2014/42, déterminer, sur la base des éléments de fait et de preuve qui lui sont soumis, si les biens dont la confiscation est requise proviennent d’activités criminelles. La conviction du juge doit s’appuyer sur les circonstances concrètes de l’espèce dont, selon l’illustration donnée par ladite disposition,
la disproportion entre la valeur des biens en question et les revenus légaux de la personne condamnée ( 29 ).
64. À la lumière des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre aux deuxième et troisième questions préjudicielles, telles que reformulées, que la directive 2014/42 doit être interprétée en ce sens que la confiscation ne suppose pas nécessairement que l’avantage économique résulte de l’infraction pénale pour laquelle une personne a été condamnée mais qu’elle peut concerner les biens dont la juridiction est convaincue, sur la base des circonstances de l’affaire, qu’ils proviennent
d’autres activités criminelles, à la condition que l’infraction pénale dont la personne a été déclarée coupable figure parmi celles énumérées à l’article 5, paragraphe 2, de ladite directive et soit susceptible de donner lieu, directement ou indirectement, à un avantage économique.
C. Sur la quatrième question
65. Par la quatrième question préjudicielle, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 47 de la Charte doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale, telle que celle de l’espèce, qui permet la confiscation au profit de l’État d’un bien dont il est allégué qu’il appartient à une personne distincte de l’auteur de l’infraction pénale, alors même que ce tiers n’a pas la possibilité de se constituer en tant que partie à la procédure de confiscation.
66. À titre liminaire, il convient d’observer que, ainsi qu’il ressort du dossier, l’article 306, paragraphe 1, point 1, du NPK régit la procédure par laquelle le tribunal compétent se prononce, à la suite d’un jugement de condamnation, sur la légalité d’une confiscation au titre de l’article 53, paragraphe 2, sous b), du NK. Le tiers qui s’estime propriétaire du bien confisqué ne pouvant pas participer en tant que partie à cette procédure, la juridiction de renvoi semble considérer que la
réglementation en cause n’est pas conforme au droit à un recours effectif, tel que consacré à l’article 47 de la Charte.
67. S’agissant de cette disposition de la Charte, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante de la Cour, les droits fondamentaux garantis dans l’ordre juridique de l’Union, et donc essentiellement les droits consacrés par la Charte, ont vocation à être appliqués à toutes les situations régies par le droit de l’Union et non en dehors de telles situations ( 30 ).
68. En l’espèce, il ressort de la décision de renvoi que l’article 53, paragraphe 2, sous b), du NK a été introduit par le zakon na izmenenie i dopalnenie na nakazatelnia kodeks [loi modifiant et complétant le code pénal (DV no 7, du 22 janvier 2019)], et que cette loi visait la mise en œuvre, en droit bulgare, de la directive 2014/42, au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la Charte. Le législateur bulgare était ainsi tenu de respecter les droits fondamentaux consacrés à l’article 47 de
celle‑ci, et notamment les droits des justiciables à bénéficier d’une protection juridictionnelle effective des droits qu’ils tirent du droit de l’Union ( 31 ).
69. L’article 47, premier alinéa, de la Charte prévoit que toute personne dont les droits et libertés garantis par le droit de l’Union ont été violés a droit à un recours effectif devant un tribunal dans le respect des conditions prévues à cet article. Afin d’assurer le respect de ce droit fondamental au sein de l’Union, l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE impose aux États membres l’obligation d’établir les voies de recours nécessaires pour assurer une protection juridictionnelle
effective dans les domaines couverts par le droit de l’Union ( 32 ).
70. Par ailleurs, il y a lieu de relever que le droit à un recours effectif est réaffirmé par la directive 2014/42 elle‑même ( 33 ). L’article 8 de celle‑ci dispose en effet, à son paragraphe 1, que les États membres doivent prendre les mesures nécessaires pour faire en sorte que les personnes concernées par les mesures prévues par cette directive aient droit à un recours effectif et à un procès équitable pour préserver leurs droits. Eu égard au caractère général de son libellé, il ne fait point de
doute que cette disposition s’applique également aux tiers ( 34 ). C’est ainsi que la conformité au droit à un recours effectif de la réglementation nationale en cause doit être examinée au regard de l’article 8, paragraphe 1, de la directive 2014/42, lu à la lumière de l’article 47 de la Charte, qui sont donc les dispositions dont l’interprétation devrait être visée par la présente question préjudicielle.
71. Or, il est évident qu’une réglementation nationale n’offrant aucune possibilité aux tiers de faire valoir leur droit de propriété devant une juridiction nationale comporterait une violation du droit à un recours effectif. Toutefois, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante de la Cour, il n’est possible de parvenir à une telle conclusion qu’à la suite d’une appréciation globale de l’ordre juridique national ( 35 ). Ce n’est que dans le cas où cette appréciation aboutit à une
réponse négative que le droit de l’Union entraîne la création d’une nouvelle voie de recours ( 36 ).
72. À cet égard, le gouvernement bulgare a souligné, dans ses observations écrites, que le droit national offre à tout tiers qui allègue que son droit de propriété a été violé dans le cadre de la procédure de confiscation prévue à l’article 306, paragraphe 1, point 1, du NPK, la possibilité de faire valoir sa prétention devant une juridiction civile. Plus précisément, ce tiers peut se prévaloir d’une voie de recours classique du droit des biens des systèmes de civil law, à savoir l’action en
revendication, régie par l’article 108 du zakon za sobstvenostta (loi sur la propriété). Cette voie de recours permet, selon le gouvernement bulgare, d’engager une action en exécution et imprescriptible, permettant au propriétaire d’un bien de le réclamer à toute personne le possédant ou le détenant indûment.
73. Ainsi, la Cour devra déterminer, dans son arrêt à venir, si l’existence de cette voie de recours dans le droit national est de nature à satisfaire aux exigences du droit à un recours effectif, au sens de l’article 8 de la directive 2014/42, lu à la lumière de l’article 47 de la Charte, ou si ces dernières dispositions exigent que la réglementation nationale en cause permette aux tiers de se constituer en tant que parties à la procédure même de confiscation.
74. À titre liminaire, il y a lieu de réfuter l’argument avancé par la Commission, au cours de l’audience, selon lequel la seconde interprétation évoquée au point précédent s’imposerait au motif que l’article 8 de la directive 2014/42 ferait obligation aux États membres de prévoir une voie de recours réservée aux tiers qui affirment avoir des droits de propriété sur le bien confisqué. Cet argument me semble en effet impliquer que ledit article 8 accorderait à ces tiers le droit de former un recours
direct contre la décision de confiscation. Or, il découle de l’article 8, paragraphe 6, de cette directive qu’une telle possibilité n’est prévue qu’au profit de toute personne « à l’encontre de laquelle une confiscation est ordonnée » ( 37 ), tandis que, selon le considérant 33 ( 38 ) et l’article 8, paragraphe 7 ( 39 ), de la directive 2014/42, lesdits tiers, lorsqu’une confiscation n’est pas ordonnée à leur encontre, disposent uniquement du droit d’être entendus et du droit d’avoir accès à un
avocat pendant toute la procédure de confiscation ( 40 ).
75. Cela étant dit, je passe à l’examen de la question de savoir si l’action en revendication prévue par le droit bulgare peut être qualifiée de recours effectif au sens de l’article 47 de la Charte. Cet examen doit comporter, à mon sens, deux étapes : premièrement, il convient d’apprécier si cette voie de recours est susceptible de remédier directement à la situation incriminée ; deuxièmement, il convient de s’assurer que les modalités procédurales de celle‑ci ne rendent pas excessivement difficile
l’exercice des droits de propriété des tiers.
76. La première étape se déduit, à mon sens, de l’arrêt rendu par la Cour dans l’affaire Okrazhna prokuratura – Haskovo et Apelativna prokuratura – Plovdiv ( 41 ). Dans cette affaire, la Cour était appelée à se prononcer sur une question relative à la confiscation, à la suite de la condamnation d’un individu pour une infraction de contrebande douanière, d’un bien appartenant à un tiers de bonne foi. La Cour y a considéré qu’une réglementation bulgare imposant la confiscation de tout bien utilisé
pour commettre une infraction pénale et appartenant à un tiers de bonne foi ne respectait pas les exigences du droit à un recours effectif. La seule voie de recours ouverte au tiers propriétaire du bien confisqué étant une action en indemnisation contre la personne condamnée, ladite réglementation ne donnait pas à ce tiers la possibilité de contester la légalité de la décision de confiscation afin de récupérer son bien ( 42 ).
77. En l’espèce, il ne fait pas de doute, selon moi, que l’action de revendication prévue par le droit bulgare constitue une voie de recours susceptible de remédier directement à la situation incriminée, dès lors que, si cette action est exercée avec succès, la procédure ainsi déclenchée débouche sur un jugement ayant un effet exécutoire et permet ainsi au tiers concerné de récupérer le bien ayant fait l’objet d’une confiscation au titre de l’article 306 du NPK ( 43 ). Quand bien même l’État
procéderait à la vente du bien à la suite d’une telle confiscation, j’estime, contrairement à la position exprimée par la Commission lors de l’audience, que la réponse ne saurait être différente, dans la mesure où l’action en revendication me semble pouvoir être exercée non seulement à l’encontre de l’État, mais également à l’égard de l’acquéreur du bien. De la même manière, je ne rejoins pas davantage la Commission lorsqu’elle soutient, en substance, que le recours n’est pas effectif s’il ne
peut être exercé avant que la décision de confiscation devienne définitive. En effet, l’article 47 de la Charte requiert, ainsi qu’il a déjà été indiqué, que ce recours mette les tiers concernés en mesure de récupérer leur bien, sans imposer qu’il soit formé avant une telle date.
78. Quant à la seconde étape, elle requiert de reproduire l’analyse classique de la Cour concernant le respect du principe d’effectivité, lequel, conjointement au principe d’équivalence, constitue la limite de l’autonomie procédurale des États membres. Or, les procédures écrite et orale n’ont fourni qu’un nombre limité d’informations à l’égard des modalités procédurales régissant l’exercice de l’action de revendication au sens du droit bulgare. Il y a lieu de les examiner.
79. Premièrement, le gouvernement bulgare a indiqué lors de l’audience que le tiers exerçant une action en revendication d’un droit de propriété sur un bien confisqué peut choisir s’il souhaite être représenté par un avocat ou se représenter lui‑même. Or, même si l’absence d’une règle imposant la représentation juridique obligatoire peut être prise en compte pour soutenir que ce recours doit être qualifié d’effectif, il importe de rappeler que la possibilité pour ce tiers de se voir octroyer une
aide judiciaire peut être nécessaire pour parvenir à une telle conclusion, ce qui doit être apprécié, ainsi que la Cour l’a jugé dans l’arrêt DEB ( 44 ), à l’aune des critères suivants : l’objet du litige, les chances raisonnables de succès du requérant, la gravité de l’enjeu pour celui‑ci, la complexité du droit et de la procédure applicables, ainsi que la capacité du requérant de défendre effectivement sa cause. Le soin de procéder à cette évaluation devrait être laissé, à l’évidence, à la
juridiction de renvoi.
80. Deuxièmement, le gouvernement bulgare a précisé lors de l’audience que la durée de la procédure civile déclenchée par l’exercice de l’action en revendication se situe entre deux et cinq ans. À cet égard, il me paraît utile de se référer à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme relative à l’article 13 de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci-après la « CEDH »), qui peut être prise en considération aux fins de l’interprétation de
l’article 47 de la Charte en vertu de la clause d’homogénéité prévue à l’article 52, paragraphe 3, de celle-ci ( 45 ). Selon cette jurisprudence, puisque le recours doit être effectif en pratique comme en droit ( 46 ), les exigences du procès équitable découlant de l’article 6 de la CEDH peuvent être pertinentes pour l’évaluation du caractère effectif d’un recours au sens de l’article 13 de celle‑ci ( 47 ). Plus particulièrement, le droit à être jugé dans un délai raisonnable peut constituer un
critère adéquat de vérification d’un tel caractère effectif ( 48 ). Cela étant, le caractère « raisonnable » du délai doit être apprécié, selon une jurisprudence constante de la Cour, en fonction de l’ensemble des circonstances propres à chaque affaire et, notamment, de l’enjeu du litige pour l’intéressé, de la complexité de l’affaire et du comportement des parties en présence ( 49 ). Il appartiendra à la juridiction de renvoi de procéder à une telle appréciation.
81. Au vu des considérations susvisées, je propose à la Cour de répondre à la quatrième question préjudicielle que l’article 8 de la directive 2014/42, lu à la lumière de l’article 47 de la Charte, doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une réglementation nationale, telle que celle de l’espèce, qui permet la confiscation au profit de l’État d’un bien dont il est allégué qu’il appartient à une personne distincte de l’auteur de l’infraction pénale, alors même que ce tiers n’a pas le
droit de se constituer en tant que partie à la procédure de confiscation, lorsque celui‑ci dispose d’une voie de recours de droit interne, devant la juridiction civile, lui donnant la possibilité de récupérer le bien confisqué, à condition que les modalités procédurales d’une telle voie de recours ne rendent excessivement difficile l’exercice de son droit de propriété.
82. J’ajoute enfin que le niveau de protection du droit à un recours effectif ainsi assuré ne serait, à mon sens, aucunement inférieur à celui que garantit la Cour européenne des droits de l’homme. S’il est vrai, en effet, que, selon la jurisprudence issue de l’arrêt Silickieně c. Lituanie, toutes les personnes dont les biens sont confisqués doivent, comme principe général, se voir conférer le statut de partie au procès dans le cadre duquel la confiscation a été ordonnée, il est également vrai qu’il
ressort de cette même jurisprudence que les circonstances factuelles de l’affaire peuvent faire ressortir que les autorités nationales ont de facto donné aux personnes en cause une opportunité raisonnable et suffisante de protéger leurs droits de manière adéquate ( 50 ).
V. Conclusion
83. Compte tenu de ce qui précède, je propose à la Cour de répondre comme suit aux questions préjudicielles posées par l’Apelativen sad – Varna (Cour d’appel de Varna, Bulgarie) :
1) La directive 2014/42/UE du Parlement et du Conseil, du 3 avril 2014, concernant le gel et la confiscation des produits du crime dans l’Union européenne et la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne sont applicables lorsqu’il s’agit d’une infraction pénale, telle que celle en cause au principal, consistant en la détention de stupéfiants aux fins de leur distribution, alors même que tous les éléments inhérents à la commission de cette infraction se cantonnent à l’intérieur d’un
seul État membre.
2) La directive 2014/42 doit être interprétée en ce sens que la confiscation ne suppose pas nécessairement que l’avantage économique résulte de l’infraction pénale pour laquelle une personne a été condamnée mais qu’elle peut concerner les biens dont la juridiction est convaincue, sur la base des circonstances de l’affaire, qu’ils proviennent d’autres activités criminelles, à la condition que l’infraction pénale dont la personne a été déclarée coupable figure parmi celles énumérées à l’article 5,
paragraphe 2, de ladite directive et soit susceptible de donner lieu, directement ou indirectement, à un avantage économique.
3) L’article 8 de la directive 2014/42, lu à la lumière de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux, doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une réglementation nationale, telle que celle de l’espèce, qui permet la confiscation au profit de l’État d’un bien dont il est allégué qu’il appartient à une personne distincte de l’auteur de l’infraction pénale, alors même que ce tiers n’a pas le droit de se constituer en tant que partie à la procédure de confiscation, lorsque
celui‑ci dispose d’une voie de recours de droit interne, devant la juridiction civile, lui donnant la possibilité de récupérer le bien confisqué, à condition que les modalités procédurales d’une telle voie de recours ne rendent excessivement difficile l’exercice de son droit de propriété.
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( 1 ) Langue originale : le français.
( 2 ) JO 2014, L 127, p. 39, et rectificatif JO2014, L 138, p. 114.
( 3 ) JO 2004, L 335, p. 8.
( 4 ) Voir, en ce sens, arrêt du 14 janvier 2021, Okrazhna prokuratura – Haskovo et Apelativna prokuratura – Plovdiv (C‑393/19, EU:C:2021:8, point 31 et jurisprudence citée).
( 5 ) Arrêt du 13 juin 2019 (C‑646/17, EU:C:2019:489).
( 6 ) Directive du Parlement et du Conseil du 22 mai 2012 (JO 2012, L 142, p. 1).
( 7 ) Arrêt du 13 juin 2019, Moro (C‑646/17, EU:C:2019:489, points 32 à 36).
( 8 ) Arrêt du 13 juin 2019 (C‑646/17, EU:C:2019:489).
( 9 ) Mise en italique par mes soins.
( 10 ) Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil concernant le gel et la confiscation des produits du crime dans l’Union européenne [COM(2012) 085 final] (ci-après la « proposition de directive »).
( 11 ) Mise en italique par mes soins.
( 12 ) Dans la doctrine, cette harmonisation est communément dénommée « autonome ». Voir, notamment, Zapatero L. A. et Muñoz de Morales Romero M., « Droit pénal européen et traité de Lisbonne : le cas de l’harmonisation autonome (article 83.1 TFUE) », dans Giudicelli-Delage G. et Lazerges C. (éd.), Le droit pénal de l’Union européenne au lendemain du traité de Lisbonne, Société de législation comparée, Paris, 2012, p. 116, selon lesquels « [l]a dénomination d’harmonisation autonome souligne que pour
la première fois il est permis de parler de compétences stricto sensu de nature indirecte en matière de droit pénal matériel que les institutions européennes exercent au moyen de la méthode communautaire et qui, à la différence des compétences précédemment reconnues par l’ancien troisième pilier (article 29 TUE), ne sont pas liées à l’exigence de la coopération judiciaire » (mise en italique par mes soins). Voir également Wieckzorek I., The Legitimacy of EU Criminal Law, Hart Publishing, 2020,
p. 118, qui remarque que la proposition contenue dans le rapport final du Working Group X on Freedom, Security and Justice – un des groupes de travail composant la convention en charge de la rédaction du traité de Lisbonne (« Convention sur l’avenir de l’Europe ») – de conditionner l’attribution de la compétence harmonisatrice du droit pénal matériel à la nécessité de rendre possible la coopération judiciaire n’a pas été retenue par les auteurs du traité.
( 13 ) JO 2005, L 68, p. 49.
( 14 ) L’article 2, paragraphe 1, de la décision-cadre 2005/212 dispose : « Chaque État membre prend les mesures nécessaires pour permettre la confiscation de tout ou partie des instruments et des produits provenant d’infractions pénales passibles d’une peine privative de liberté d’une durée supérieure à un an, ou de biens dont la valeur correspond à ces produits. »
( 15 ) L’article 4 de la décision-cadre 2005/212 énonce : « Chaque État membre prend les mesures nécessaires pour faire en sorte que les personnes affectées par les mesures prévues aux articles 2 et 3 disposent de voies de recours effectives pour préserver leurs droits. »
( 16 ) L’article 5 de la décision-cadre 2005/212 est libellé comme suit : « La présente décision-cadre ne saurait avoir pour effet de modifier l’obligation de respecter les droits fondamentaux et les principes fondamentaux, y compris notamment la présomption d’innocence, tels qu’ils sont consacrés par l’article 6 [TUE]. »
( 17 ) Proposition de directive, p. 5.
( 18 ) Voir, en ce sens, Mitsilegas V., EU Criminal Law after Lisbon : Rights, Trust and the Transformation of Justice in Europe, Hart Publishing, Londres, 2016, p. 59.
( 19 ) La Commission, dans sa proposition de directive, notait au point 2.6 que « [l]a définition du terme “produit” a été élargie par rapport à la définition figurant dans la [décision-cadre 2005/212] afin de prévoir également la possibilité de confisquer tous les gains résultant des produits du crime, y compris les produits indirects ».
( 20 ) Aux termes de ce considérant : « les produits peuvent comprendre tout bien, y compris celui qui a été transformé ou converti, en totalité ou en partie, en d’autres biens, et celui qui a été mêlé à des biens acquis légitimement, à concurrence de la valeur estimée des produits qui y ont été mêlés. Ils peuvent aussi comprendre les revenus ou autres avantages dérivés des produits du crime, ou dérivés des biens en lesquels ces produits ont été transformés ou convertis ou des biens auxquels ils ont
été mêlés ».
( 21 ) Aux termes de l’article 2, point 2, de la directive 2014/42, on entend par « bien »« un bien de toute nature, qu’il soit corporel ou incorporel, meuble ou immeuble, ainsi que les actes juridiques ou documents attestant d’un titre ou d’un droit sur ce bien ».
( 22 ) Voir points 21 à 22 des présentes conclusions ainsi que points 6, 7, 8 et 16 de la décision de renvoi.
( 23 ) Voir, en ce sens, arrêt du 14 mai 2020, T-Systems Magyarország (C‑263/19, EU:C:2020:373, point 45 et jurisprudence citée).
( 24 ) Pour la dénomination « confiscation ordinaire », voir Commission Staff Working Paper – Accompanying document to the Proposal for a Directive of the European Parliament and the Council on the freezing and confiscation of proceeds of crime in the European Union – Impact assessment [SWD(2012) 31 final, point 3.2].
( 25 ) Mise en italique par mes soins.
( 26 ) Comme le rappelle le considérant 19 de la directive 2014/42, la décision-cadre 2005/212 prévoyait, en son article 3, trois séries d’exigences minimales parmi lesquelles les États membres pouvaient choisir pour appliquer la confiscation élargie, de sorte que lors de la transposition de ce texte, les États membres ont retenu des solutions divergentes.
( 27 ) Cette vérification me semble d’autant plus nécessaire que l’article 5, paragraphe 2, de la directive 2014/42 couvre une très grande variété d’infractions qui, en raison de leur nature ou de leur qualification, n’impliquent pas nécessairement qu’elles seraient susceptibles de procurer un avantage économique.
( 28 ) Je relève également que le lien entre l’infraction pénale et l’avantage économique est caractérisé de la même manière dans les versions en langues espagnole (« que directa o indirectamente pueda dar lugar a una ventaja económica »), estonienne (« mis võimaldavad otseselt või kaudselt majanduslikku kasu tuua võivas kuriteos »), anglaise (« liable to give rise, directly or indirectly, to economic benefit »), italienne (« suscettibile di produrre, direttamente o indirettamente, un vantaggio
economico ») et portugaise (« que possa ocasionar direta ou indiretamente um benefício económico ») de la directive 2014/42.
( 29 ) Sur cette question, je relève également que, selon les termes de l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2014/42, le juge doit être « convaincu » de la provenance criminelle des biens en question alors que, pour chacune des hypothèses de confiscation envisagées à l’article 3, paragraphe 2, de la décision-cadre 2005/212, le tribunal devait être « pleinement convaincu ». Il me semble néanmoins que cette expression doit être lue à la lumière des garanties procurées par l’article 8,
paragraphe 8, de la directive 2014/42 aux termes duquel « [d]ans les procédures visées à l’article 5, la personne concernée a une possibilité réelle de contester les circonstances de l’espèce, y compris les éléments factuels concrets et les éléments de preuve disponibles sur la base desquels les biens concernés sont considérés comme des biens provenant d’activités criminelles » (mise en italique par mes soins). Voir, sur ce point, Boucht J., « Extended Criminal Confiscation », The Limits of Asset
Confiscation: On the Legitimacy of Extended Appropriation of Criminal Proceeds, Hart Publishing, Londres, 2017, p. 39.
( 30 ) Voir arrêt du 14 janvier 2021, Okrazhna prokuratura – Haskovo et Apelativna prokuratura – Plovdiv (C‑393/19, EU:C:2021:8, point 31 et jurisprudence citée).
( 31 ) Voir arrêt du 17 avril 2018, Egenberger (C‑414/16, EU:C:2018:257, point 49 et jurisprudence citée).
( 32 ) Arrêt du 8 mai 2019, Leitner (C‑396/17, EU:C:2019:375, points 59 et 60).
( 33 ) À cet égard, il convient de rappeler que les tiers doivent être mis en mesure d’invoquer des droits de propriété des biens dans tous les cas de confiscation prévus par la directive 2014/42 dès lors que l’article 8, paragraphe 9, de cette directive énonce que les « tiers sont en droit de faire valoir leur titre de propriété ou d’autres droits de propriété, y compris dans les cas visés à l’article 6 » (mise en italique par mes soins).
( 34 ) L’interprétation de l’article 4 de la décision-cadre 2005/112 fournie par la Cour dans l’arrêt du 14 janvier 2021, Okrazhna prokuratura – Haskovo et Apelativna prokuratura – Plovdiv (C‑393/19, EU:C:2021:8, point 61) est applicable par analogie, selon moi, en raison du contenu substantiellement identique de ces deux dispositions.
( 35 ) Voir arrêt du 14 mai 2020, Országos Idegenrendészeti Főigazgatóság Dél-alföldi Regionális Igazgatóság (C‑924/19 PPU et C‑925/19 PPU, EU:C:2020:367, point 143 et jurisprudence citée).
( 36 ) Arrêt du 3 octobre 2013, Inuit Tapiriit Kanatami e.a./Parlement et Conseil (C‑583/11 P, EU:C:2013:625, point 103).
( 37 ) L’article 8, paragraphe 6, seconde phrase, de la directive 2014/42 dispose : « Les États membres prévoient la possibilité effective pour une personne à l’encontre de laquelle une confiscation est ordonnée d’attaquer la décision devant un tribunal. »
( 38 ) Aux termes du considérant 33 de la directive 2014/42, « [i]l est donc nécessaire de prévoir des garanties spécifiques et des voies de recours judiciaires afin de garantir la sauvegarde des droits fondamentaux de ces personnes lors de la mise en œuvre de la présente directive. Cela inclut le droit d’être entendu pour les tiers qui font valoir qu’ils sont les propriétaires des biens concernés ou qui affirment détenir d’autres droits de propriété (“droits réels”, “ius in re”), tels qu’un droit
d’usufruit ».
( 39 ) L’article 8, paragraphe 7, première phrase, de la directive 2014/42 dispose : « Sans préjudice des directives [2012/13] et 2013/48/UE [du Parlement européen et du Conseil, du 22 octobre 2013, relative au droit d’accès à un avocat dans le cadre des procédures pénales et des procédures relatives au mandat d’arrêt européen, au droit d’informer un tiers dès la privation de liberté et au droit des personnes privées de liberté de communiquer avec des tiers et avec les autorités consulaires (JO
2013, L 294, p. 1)], les personnes dont les biens sont concernés par la décision de confiscation ont le droit d’avoir accès à un avocat pendant toute la procédure de confiscation en ce qui concerne la détermination des produits et instruments afin qu’elles puissent préserver leurs droits. »
( 40 ) Je note, à cet égard, qu’un amendement visant à conférer aux tiers le « droit à un tribunal impartial et à un recours effectif avant qu’il ne soit statué à titre définitif sur la confiscation » (mise en italique par mes soins) avait été déposé au cours de travaux de la commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures du Parlement européen. Néanmoins, cet amendement n’a pas été retenu dans le texte final de la directive 2014/42. Voir projet de rapport Monica Luisa
Macovei (PE494.663v01‑00) sur la proposition de directive, amendement 151.
( 41 ) Arrêt du 14 janvier 2021 (C‑393/19, EU:C:2021:8).
( 42 ) Arrêt du 14 janvier 2021, Okrazhna prokuratura – Haskovo et Apelativna prokuratura – Plovdiv (C‑393/19, EU:C:2021:8, points 63 et 64).
( 43 ) À ce titre, il me semble que les actions sur le fondement de la responsabilité civile, prévues par le droit bulgare et évoquées par la Commission lors de l’audience, se distinguent de l’action en revendication, laquelle porte sur les droits de propriété et offre la possibilité d’obtenir la restitution du bien concerné.
( 44 ) Arrêt du 22 décembre 2010 (C‑279/09, EU:C:2010:811, point 61).
( 45 ) Aux termes de l’article 52, paragraphe 3, de la Charte : « [d]ans la mesure où la présente Charte contient des droits correspondant à des droits garantis par la [CEDH], leur sens et leur portée sont les mêmes que ceux que leur confère ladite convention. Cette disposition ne fait pas obstacle à ce que le droit de l’Union accorde une protection plus étendue ».
( 46 ) Cour EDH, 27 juin 2000, İlhan c. Turquie (CE:ECHR:2000:0627JUD002227793, § 97) ; Cour EDH, 26 octobre 2000, Kudła c. Pologne (CE:ECHR:2000:1026JUD003021096, § 157), et Cour EDH, 19 avril 2007, Vilho Eskelinen et autres c. Finlande (CE:ECHR:2007:0419JUD006323500, § 80).
( 47 ) Cour EDH, 7 juin 2011, Csüllög c. Hongrie (CE:ECHR:2011:0607JUD003004208, § 46).
( 48 ) Cour EDH, 10 avril 2008, Wasserman c. Russie, (CE:ECHR:2008:0410JUD002107105, § 55) ; et Cour EDH, 17 juillet 2008, Kaić et autres c. Croatie (CE:ECHR:2008:0717JUD002201404, § 37).
( 49 ) Voir, notamment, arrêt du 28 février 2013, Réexamen Arango Jaramillo e.a./BEI (C‑334/12 RX‑II, EU:C:2013:134, point 28 et jurisprudence citée).
( 50 ) Cour EDH, 10 avril 2012, Silickieně c. Lituanie (CE:ECHR:2012:0410JUD002049602, §§ 47 à 50). Voir également Cour EDH, 15 janvier 2015, Veits c. Estonie (CE:ECHR:2015:0115JUD001295111, §§ 57 à 60), et Cour EDH, 16 avril 2019, Bokova c. Russie (CE:ECHR:2019:0416JUD002787913, §§ 55 à 59).