CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
M. ATHANASIOS RANTOS
présentées le 27 janvier 2022 ( 1 )
Affaire C‑405/20
EB,
JS,
DP
contre
Versicherungsanstalt öffentlich Bediensteter, Eisenbahnen und Bergbau (BVAEB)
[demande de décision préjudicielle formée par le Verwaltungsgerichtshof (Cour administrative, Autriche)]
« Renvoi préjudiciel – Politique sociale – Article 157 TFUE – Protocole (no 33) sur l’article 157 TFUE – Égalité des rémunérations entre travailleurs masculins et travailleurs féminins – Limitation des effets dans le temps – Directive 2006/54/CE – Égalité des chances et égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d’emploi et de travail – Articles 5 et 12 – Interdiction de toute discrimination indirecte fondée sur le sexe – Régimes professionnels de sécurité sociale – Pensions de retraite
de fonctionnaires nationaux – Proportion des hommes dans la catégorie percevant les pensions les plus élevées – Réglementation prévoyant une adaptation annuelle des pensions de retraite – Revalorisation dégressive avec une exclusion totale au-delà d’un certain montant de pension – Justifications »
I. Introduction
1. Ainsi qu’il résulte de l’arrêt Defrenne III ( 2 ), l’élimination des discriminations fondées sur le sexe fait partie des droits fondamentaux de la personne humaine, en tant que principes généraux du droit de l’Union européenne, dont la Cour a pour mission d’assurer le respect.
2. À cet égard, dès l’arrêt Defrenne II ( 3 ), la Cour a reconnu un effet direct à l’article 119 du traité CEE (devenu, après modification, article 141 CE, lui-même devenu article 157 TFUE), prévoyant l’application du principe de l’égalité des rémunérations entre travailleurs masculins et travailleurs féminins pour un même travail. En vertu de l’arrêt du 17 mai 1990, Barber (C‑262/88, ci-après l’« arrêt Barber », EU:C:1990:209), l’article 119 du traité CEE s’applique aux régimes professionnels de
sécurité sociale ( 4 ), l’effet direct de cet article ne pouvant cependant être invoqué pour demander l’ouverture, avec effet à une date antérieure à celle de cet arrêt, d’un droit à pension ( 5 ). Cette jurisprudence est désormais codifiée par le protocole (no 33) sur l’article 157 TFUE et la directive 2006/54/CE ( 6 ).
3. En l’occurrence, EB, JS et DP (ci-après les « requérants au principal ») sont des fonctionnaires fédéraux autrichiens à la retraite, de sexe masculin. La réglementation nationale relative à l’adaptation des pensions de retraite pour l’année 2018, qui leur est applicable, a mis en œuvre une revalorisation dégressive avec une exclusion totale au-delà d’un certain montant de pension, ce qui a eu pour conséquence que leurs pensions n’ont pas augmenté, ou très peu, à la différence de celles des
retraités percevant des pensions d’un montant inférieur.
4. Dans le cadre de leur litige avec la Versicherungsanstalt öffentlich Bediensteter, Eisenbahnen und Bergbau (BVAEB) (caisse de maladie des fonctionnaires et agents des pouvoirs publics, des chemins de fer et du secteur minier, Autriche, ci-après la « BVAEB »), les requérants au principal ont soutenu devant le Verwaltungsgerichtshof (Cour administrative, Autriche), la juridiction de renvoi, que cette réglementation comportait une discrimination indirecte fondée sur le sexe dès lors que les
fonctionnaires fédéraux percevant les pensions de retraite les plus élevées sont en grande majorité des hommes.
5. Cette juridiction interroge la Cour sur l’interprétation de l’article 157 TFUE, du protocole (no 33) sur l’article 157 TFUE et de la directive 2006/54 aux fins de savoir si ladite réglementation est conforme au droit de l’Union.
6. Dans les présentes conclusions, je proposerai à la Cour de répondre aux questions posées que, en l’occurrence, le principe de l’égalité des rémunérations s’applique sans limitation de ses effets dans le temps et que, sous réserve des vérifications qu’il appartient à ladite juridiction d’effectuer, le droit de l’Union ne s’oppose pas à une réglementation telle que celle au principal, pour autant que cette réglementation est justifiée par des facteurs objectifs étrangers à toute discrimination
fondée sur le sexe.
II. Le cadre juridique
A. Le droit de l’Union
7. L’article 1er de la directive 2006/54, intitulé « Objet », énonce :
« La présente directive vise à garantir la mise en œuvre du principe de l’égalité des chances et de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d’emploi et de travail.
À cette fin, elle contient des dispositions destinées à mettre en œuvre le principe de l’égalité de traitement en ce qui concerne :
[...]
c) les régimes professionnels de sécurité sociale.
[...] »
8. L’article 2 de cette directive, intitulé « Définitions », prévoit, à son paragraphe 1 :
« Aux fins de la présente directive, on entend par :
[...]
b) “discrimination indirecte” : la situation dans laquelle une disposition, un critère ou une pratique apparemment neutre désavantagerait particulièrement des personnes d’un sexe par rapport à des personnes de l’autre sexe, à moins que cette disposition, ce critère ou cette pratique ne soit objectivement justifié par un but légitime et que les moyens pour parvenir à ce but soient appropriés et nécessaires ;
[...]
f) “régimes professionnels de sécurité sociale” : les régimes non régis par la directive 79/7/CEE du Conseil du 19 décembre 1978 relative à la mise en œuvre progressive du principe de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière de sécurité sociale [ ( 7 )] qui ont pour objet de fournir aux travailleurs, salariés ou indépendants, groupés dans le cadre d’une entreprise ou d’un groupement d’entreprises, d’une branche économique ou d’un secteur professionnel ou interprofessionnel, des
prestations destinées à compléter les prestations des régimes légaux de sécurité sociale ou à s’y substituer, que l’affiliation à ces régimes soit obligatoire ou facultative. »
9. L’article 5 de la directive 2006/54, qui figure dans le chapitre 2, intitulé « Égalité de traitement dans les régimes professionnels de sécurité sociale », du titre II de celle-ci, énonce :
« Sans préjudice de l’article 4, toute discrimination directe ou indirecte fondée sur le sexe est proscrite dans les régimes professionnels de sécurité sociale, en particulier en ce qui concerne :
[...]
c) le calcul des prestations, y compris les majorations dues au titre du conjoint et pour personne à charge, et les conditions de durée et de maintien du droit aux prestations. »
10. L’article 7 de cette directive, intitulé « Champ d’application matériel », prévoit, à son paragraphe 1, sous a), iii), que les dispositions figurant sous ledit chapitre 2 s’appliquent aux régimes professionnels de sécurité sociale qui assurent une protection contre le risque « vieillesse », y compris dans le cas de retraites anticipées.
11. L’article 12 de ladite directive, intitulé « Effet rétroactif », dispose, à son paragraphe 1 :
« Toute mesure de transposition du présent chapitre, en ce qui concerne les travailleurs, couvre toutes les prestations en vertu des régimes professionnels de sécurité sociale attribuées aux périodes d’emploi postérieures à la date du 17 mai 1990 et aura un effet rétroactif à cette date, sans préjudice des travailleurs ou de leurs ayants droit qui ont, avant cette date, engagé une action en justice ou soulevé une réclamation équivalente selon le droit national. Dans ce cas, les mesures de
transposition ont un effet rétroactif à la date du 8 avril 1976 et couvrent toutes les prestations attribuées à des périodes d’emploi après cette date. Pour les États membres qui ont adhéré à la Communauté après le 8 avril 1976 et avant le 17 mai 1990, cette date est remplacée par la date à laquelle l’article 141 du traité [devenu article 157 TFUE] est devenu applicable sur leur territoire. »
B. Le droit autrichien
12. L’article 41 du Bundesgesetz über die Pensionsansprüche der Bundesbeamten, ihrer Hinterbliebenen und Angehörigen (Pensionsgesetz 1965) [loi fédérale relative aux droits à pension des fonctionnaires fédéraux, de leurs survivants et des membres de leur famille (loi relative aux pensions de 1965)], du 18 novembre 1965 ( 8 ), dans sa version en vigueur à la date des faits au principal ( 9 ) (ci-après le « PG 1965 »), intitulé « Effets des modifications futures de la présente loi fédérale et
adaptation des prestations à versement périodique », énonce :
« [...]
(2) Les pensions de retraite et les pensions de réversion dues en vertu de la présente loi [...] doivent être adaptées au même moment et dans la même mesure que les pensions relevant du régime d’assurance pension légal,
1. lorsque le droit à pension a déjà été constitué avant le 1er janvier de l’année concernée
[...]
(4) La méthode d’adaptation des pensions qui est fixée à l’article 711 de [l’Allgemeines Sozialversicherungsgesetz (loi générale sur la sécurité sociale) ( 10 ) (ci-après l’“ASVG”)] pour l’année civile 2018 est applicable par analogie [...] En cas d’augmentation en vertu de l’article 711, paragraphe 1, point 2, de l’ASVG, le montant total de l’augmentation doit être imputé à la pension de retraite ou de réversion. »
13. L’article 108f de l’ASVG, dans sa version en vigueur à la date des faits au principal ( 11 ), prévoit :
« (1) Le ministre fédéral de la Sécurité sociale, des Générations et de la Protection des consommateurs fixe le coefficient d’adaptation pour chaque année civile en tenant compte de la valeur de référence.
(2) La valeur de référence est fixée de manière que l’augmentation des pensions résultant de l’adaptation avec la valeur de référence corresponde à l’augmentation des prix à la consommation, conformément au paragraphe 3. Elle est arrondie à trois décimales.
(3) L’augmentation des prix à la consommation est à déterminer en fonction de l’augmentation moyenne sur douze mois civils jusqu’au mois de juillet de l’année précédant l’année d’adaptation, en recourant à l’indice des prix à la consommation pour 2000 ou à tout autre indice l’ayant remplacé. À cet effet, il convient de calculer la moyenne arithmétique des taux d’inflation annuels publiés par Statistik Austria [Institut autrichien de la statistique, Autriche] pour la période de calcul. »
14. L’article 108h de l’ASVG, dans sa version en vigueur à la date des faits au principal ( 12 ), dispose :
« (1) Avec effet au 1er janvier de chaque année,
a) toutes les pensions servies par l’assurance pension pour lesquelles le jour de référence (article 223, paragraphe 2) est antérieur au 1er janvier de cette année,
[...]
sont multipliées par le coefficient d’adaptation. [...]
(2) L’adaptation visée au paragraphe 1 est opérée sur la base de la pension à laquelle un droit était constitué en vertu des dispositions qui étaient en vigueur au 31 décembre de l’année précédente [...] »
15. L’article 711 de l’ASVG, dans sa version en vigueur à la date des faits au principal ( 13 ), est libellé comme suit, à son paragraphe 1 :
« Par dérogation à l’article 108h, paragraphe 1, première phrase, et paragraphe 2, l’augmentation des pensions pour l’année civile 2018 n’est pas effectuée selon le facteur d’ajustement, mais [est effectuée] comme suit : le montant total de la pension (paragraphe 2) est augmenté
1. de 2,2 % s’il ne dépasse pas 1500 euros par mois ;
2. de 33 euros s’il ne dépasse pas 2000 euros par mois ;
3. de 1,6 % s’il s’élève à plus de 2000 euros et à moins de 3355 euros par mois ;
4. d’un pourcentage diminuant de façon linéaire entre les valeurs mentionnées de 1,6 % à 0 % s’il s’élève à plus de 3355 euros et à moins de 4980 euros par mois.
Aucune augmentation n’est effectuée si le montant total de la pension est supérieur à 4980 euros par mois. »
III. Le litige au principal, les questions préjudicielles et la procédure devant la Cour
16. Les requérants au principal, de sexe masculin, nés respectivement en 1940, 1948 et 1941, ont travaillé en qualité de fonctionnaires fédéraux en Autriche. Mis à la retraite respectivement en 2000, 2013 et 2006, ils perçoivent des pensions de retraite en vertu du PG 1965, dont le montant mensuel brut s’élevait au cours de l’année 2017, pour le premier, à 6872,43 euros, pour le deuxième, à 4676,48 euros et, pour le troisième, à 5713,22 euros.
17. Les requérants au principal ont demandé chacun à la BVAEB l’adoption d’une décision fixant le montant de leurs pensions de retraite à partir du 1er janvier 2018. La BVAEB a décidé que le montant des pensions de retraite d’EB et de DP n’avait pas lieu d’être adapté au motif qu’il dépassait le plafond de 4980 euros mensuels visé à l’article 711, paragraphe 1, de l’ASVG. Quant à la pension de retraite de JS, l’adaptation a été établie en appliquant une majoration de 0,2989 %.
18. Les requérants au principal ont introduit un recours contre ces décisions devant le Bundesverwaltungsgericht (tribunal administratif fédéral, Autriche) en faisant valoir que l’article 41, paragraphe 4, du PG 1965, lu en combinaison avec l’article 711, paragraphe 1, point 4, ainsi que dernière phrase, de l’ASVG (ci-après la « réglementation en cause »), qui les prive entièrement ou presque entièrement d’une revalorisation pour l’année 2018 en raison du montant de leurs pensions de retraite, à la
différence des retraités percevant des pensions d’un montant plus modeste, n’est pas conforme au droit de l’Union en raison de l’existence d’une discrimination indirecte fondée sur le sexe.
19. À l’appui de leur recours, ils ont fait valoir que la réglementation en matière de rémunération et de pension qui leur est applicable n’avait cessé de se détériorer depuis l’année 1995 et que, depuis le 31 décembre 1998, l’adaptation du montant des pensions de retraite ne suivait plus l’évolution des traitements des fonctionnaires en activité, comme cela était prévu par la réglementation en vigueur jusqu’à cette date, et qu’elle était désormais fonction d’un coefficient d’adaptation qui
reflétait essentiellement l’évolution du pouvoir d’achat. Ils ont ajouté que l’adaptation des pensions qui aurait été nécessaire pour « préserver la valeur monétaire intrinsèque », en principe prévue par la réglementation relative à l’adaptation des pensions, n’avait pas toujours été effectuée lors des années précédentes.
20. Les requérants au principal ont produit une analyse statistique visant à montrer la répartition par sexe et par montant des bénéficiaires de pensions de retraite et de pensions de réversion relevant du PG 1965. Il ressortirait de cette analyse que la catégorie des bénéficiaires de pensions de retraite d’un montant supérieur à 4980 euros mensuels comprenait au total 8417 hommes et 1086 femmes. En prenant en considération uniquement les pensions de retraite, figureraient dans cette catégorie de
pensionnés 8417 hommes et 1040 femmes. En revanche, le nombre total des bénéficiaires de pensions de retraite de la fonction publique fédérale autrichienne s’élèverait à 79491 hommes et 22470 femmes. Lors de la procédure devant le Bundesverwaltungsgericht (tribunal administratif fédéral), ces chiffres n’auraient été contestés ni par la BVAEB ni par cette juridiction.
21. Dans les arrêts concernant EB et DP, respectivement des 29 novembre et 10 décembre 2018, ladite juridiction a constaté que beaucoup plus d’hommes que de femmes sont concernés par la réglementation en cause dans sa partie concernant l’article 711, paragraphe 1, dernière phrase, de l’ASVG au motif que la catégorie des personnes percevant des pensions supérieures à l’assiette maximale comprend davantage d’hommes. En revanche, la même juridiction n’a effectué aucune constatation de ce type dans
l’arrêt concernant JS, qui a été rendu, compte tenu du montant mensuel de la pension de retraite de celui-ci, sur le fondement de cette réglementation dans sa partie concernant l’article 711, paragraphe 1, point 4, de l’ASVG.
22. Par ces arrêts, le Bundesverwaltungsgericht (tribunal administratif fédéral) a rejeté les recours des requérants au principal. À cet égard, cette juridiction a considéré que la jurisprudence de la Cour tirée de l’arrêt du 20 octobre 2011, Brachner (C‑123/10, EU:C:2011:675), n’était pas applicable en l’occurrence dès lors que les affaires au principal concernent non pas une discrimination relative aux pensions minimales mais un traitement défavorable en raison du sexe pour les bénéficiaires de
pensions plus élevées, lequel doit être apprécié à l’aune d’un critère différent. Ladite juridiction a également jugé qu’une discrimination ne pouvait pas se produire lorsque l’appartenance à la catégorie des bénéficiaires de pensions plus élevées est associée à un traitement désavantageux lors de l’augmentation de la prestation concernée.
23. Les requérants au principal ont introduit un recours en Revision contre ces arrêts devant la juridiction de renvoi, laquelle a procédé à une jonction des affaires.
24. Cette juridiction relève que les requérants au principal perçoivent leurs pensions de retraite en application non pas de l’ASVG mais du PG 1965, dont les dispositions, pour autant qu’elles sont pertinentes en l’occurrence, s’appliquent aux pensions des fonctionnaires qui sont nés avant l’année 1955, ont été recrutés dans la fonction publique jusqu’à l’année 2005 au plus tard, puis ont été mis à la retraite.
25. Selon ladite juridiction, au regard de la jurisprudence de la Cour, les pensions de retraite perçues par les requérants au principal relèvent de la notion de « rémunération », au sens de l’article 157 TFUE, et elles doivent être considérées comme des prestations versées au titre d’un « régime professionnel de sécurité sociale », au sens du protocole (no 33) sur l’article 157 TFUE ainsi que du chapitre 2 du titre II de la directive 2006/54.
26. La même juridiction souligne que ce protocole et l’article 12 de la directive 2006/54 prévoient une limitation des effets dans le temps du principe de l’égalité des rémunérations entre hommes et femmes en ce qui concerne les « prestations en vertu des régimes professionnels de sécurité sociale », ayant son origine dans l’arrêt Barber. Pour les États membres qui, comme la République d’Autriche, ont adhéré à l’accord sur l’Espace économique européen ( 14 ) le 1er janvier 1994, le principe de
l’égalité des rémunérations entre hommes et femmes ne saurait être invoqué pour des prestations de pension afférentes à des périodes de travail antérieures au 1er janvier 1994.
27. La juridiction de renvoi se demande si, et dans quelle mesure, cette limitation a une incidence sur la possibilité des requérants au principal de se prévaloir du principe de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne la réglementation en cause, relative à l’adaptation des pensions de retraite pour l’année 2018. Cette juridiction considère que trois interprétations sont envisageables.
28. Selon la première interprétation proposée par ladite juridiction, l’adaptation des pensions de retraite constitue un élément de prestation pouvant être rattaché à des périodes d’emploi antérieures au 1er janvier 1994, la date de référence, ce qui interdirait aux requérants au principal de se prévaloir, en totalité, du principe de l’égalité de traitement tel que prévu à l’article 157 TFUE et par la directive 2006/54. Toutefois, les précisions apportées par la Cour, notamment dans l’arrêt du
6 octobre 1993, Ten Oever (C‑109/91, EU:C:1993:833), ainsi que le libellé du protocole (no 33) sur l’article 157 TFUE iraient à l’encontre de cette première interprétation.
29. En vertu de la deuxième interprétation, les périodes d’emploi accomplies empêcheraient d’invoquer l’application du principe de l’égalité de traitement pour autant que ces périodes sont antérieures à la date de référence. Il conviendrait alors, pour chacun des requérants au principal, de calculer la part de ses périodes d’emploi postérieures au 1er janvier 1994 par rapport à ses périodes d’emploi totales et de lui octroyer une adaptation de la pension de retraite de manière non discriminatoire
uniquement pour cette part.
30. La troisième interprétation consiste à considérer que la limitation des effets dans le temps du principe de l’égalité de traitement n’est pas applicable à des éléments de prestation tels qu’une adaptation annuelle des pensions de retraite. Selon la juridiction de renvoi, la jurisprudence de la Cour irait dans le sens de cette interprétation.
31. Par ailleurs, cette juridiction relève que, conformément à l’article 108h de l’ASVG, le montant des pensions de retraite doit être adapté annuellement en fonction du taux de l’inflation. Or, du fait de la réglementation en cause, les fonctionnaires percevant une pension de retraite mensuelle supérieure à un certain montant seraient désavantagés par rapport à ceux dont la pension de retraite est moins élevée dès lors que, à la différence de ces derniers, une augmentation leur a été refusée
entièrement, ou presque entièrement, pour l’année 2018. Partant, la question de savoir si une discrimination indirecte fondée sur le sexe résultant de cette réglementation peut, le cas échéant, être considérée comme étant justifiée au regard du droit de l’Union revêtirait une importance déterminante pour l’issue des affaires au principal.
32. À cet égard, la BVAEB a fait valoir devant la juridiction de renvoi que ladite réglementation poursuit, outre l’objectif classique de préservation du pouvoir d’achat des pensionnés, une finalité à « composante sociale ». En effet, si l’adaptation des pensions devait suivre chaque année un pourcentage uniforme, sans distinction selon le niveau de celles-ci, cette adaptation aboutirait très rapidement à voir apparaître un « fossé injustifiable ». Il serait donc compréhensible, tant au regard de la
préservation du pouvoir d’achat que de cette composante sociale, que le législateur national intervienne de manière régulatrice en donnant un « coup de pouce » aux pensions d’un montant modeste et que, en ce qui concerne celles d’un montant très supérieur à la moyenne, une augmentation du pouvoir d’achat ne soit pas nécessaire. La dégressivité par tranches choisie par ce législateur lors de l’adaptation des pensions de retraite pour l’année 2018 serait justifiée par le fait que les pensions d’un
montant petit ou moyen ont été touchées par une augmentation supérieure à la moyenne des coûts des denrées alimentaires et du coût de la vie (nourriture, boisson, logement).
33. La juridiction de renvoi nourrit des doutes quant au caractère nécessaire, approprié et, surtout, cohérent de la réglementation en cause. En effet, celle-ci se limiterait aux bénéficiaires de pensions de retraite alors qu’il existe des outils de politique sociale adaptés, dont le champ d’application est défini de manière objective, comme les taux d’imposition sur le revenu progressifs, les transferts et les autres prestations d’assistance financées par l’impôt. En outre, en vertu du droit
interne, les personnes concernées par l’article 41 du PG 1965, à savoir des fonctionnaires à la retraite, seraient dans une situation particulière qui les différencie de manière fondamentale des personnes percevant des pensions versées par des régimes de sécurité sociale, dès lors que la pension de retraite d’un fonctionnaire est une rémunération de droit public, qui doit être considérée comme une compensation au titre des services fournis. Selon la jurisprudence du Verfassungsgerichtshof (Cour
constitutionnelle, Autriche), la caractéristique essentielle des pensions de retraite des fonctionnaires réside notamment dans le fait que le lien qui unit le fonctionnaire à son employeur est une relation juridique à vie, dans le cadre de laquelle la pension de retraite est elle aussi une prestation de la part de l’employeur uniquement. Ainsi, si les pensions versées au titre des régimes de sécurité sociale reposent sur le principe d’un financement par cotisations et sont dues par un organisme
d’assurance, les cotisations des fonctionnaires en service actif sont versées non pas à la caisse d’un régime d’assurance pension mais au budget de l’État.
34. De plus, alors que le législateur national a procédé à une intervention importante quant à l’adaptation des pensions des fonctionnaires pour l’année 2018, il aurait omis de prendre une telle mesure de « compensation sociale » à l’égard des fonctionnaires en activité, pour lesquels aucune dégressivité n’a été appliquée lors de l’adaptation des rémunérations pour l’année 2018. Les fonctionnaires en activité auraient fait l’objet d’une augmentation générale de 2,33 %, qui ne s’est pas limitée à un
rattrapage de l’inflation mais aurait inclus une augmentation supplémentaire, justifiée par le fait que les fonctionnaires devaient avoir leur part des bénéfices de la croissance économique. De même, ce législateur serait intervenu seulement dans le cadre du régime professionnel de sécurité sociale applicable aux fonctionnaires, en s’abstenant dans le même temps d’interventions comparables dans les autres régimes professionnels de sécurité sociale, par exemple privés, ce qui n’apparaîtrait pas
cohérent.
35. Selon la juridiction de renvoi, se pose également la question de savoir si, lors de l’examen de la proportionnalité et de la cohérence de la réglementation en cause, il est permis de se focaliser uniquement sur une année, considérée isolément, ou s’il convient de prendre en compte le fait que cette mesure n’était pas unique en son genre, le législateur national s’étant déjà écarté à plusieurs reprises, pour certaines années, de la règle d’adaptation fondamentale introduite au cours de
l’année 2004. Ainsi, l’un des requérants au principal aurait fait valoir, sans que cela soit contesté par le Bundesverwaltungsgericht (tribunal administratif fédéral), que, depuis sa mise à la retraite jusqu’à l’année 2017, l’adaptation de sa pension a conduit à une baisse de 22 % au total par rapport à un rattrapage correct de l’inflation et, après l’entrée en vigueur de la réglementation en cause, à 25 % au total.
36. Enfin, il conviendrait d’établir si l’existence d’une catégorie de personnes définie par le fait qu’elle perçoit des pensions de retraite plus élevées, et comporte une proportion plus importante d’hommes parce que – les femmes ayant été historiquement défavorisées dans la vie professionnelle – ils ont plus souvent accédé à des postes conduisant à des pensions de retraite plus élevées, constitue un motif de justification à part entière ou exclut la possibilité de faire valoir une discrimination
des hommes dans ce contexte.
37. C’est dans ces conditions que le Verwaltungsgerichtshof (Cour administrative) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) La limitation du champ d’application dans le temps de l’exigence d’égalité de traitement entre hommes et femmes, résultant de l’arrêt rendu dans l’affaire C‑262/88, Barber, ainsi que du protocole (no 33) sur l’article 157 TFUE et de l’article 12 de la directive [2006/54], signifie-t-elle qu’un pensionné (autrichien) ne saurait à bon droit invoquer, ou ne saurait invoquer que pour la partie de ses droits à pension qui peuvent être attribués à des périodes d’emploi postérieures au 1er janvier
1994 (au prorata de celles‑ci), le principe de l’égalité de traitement, pour faire valoir qu’il a été discriminé par des réglementations relatives à une adaptation des pensions de retraite de la fonction publique fixée pour l’année 2018, telle que celle qui a été appliquée dans les procédures au principal ?
2) L’exigence d’égalité de traitement entre hommes et femmes (en vertu des dispositions combinées de l’article 157 TFUE et de l’article 5 de la directive 2006/54) signifie-t-elle qu’une discrimination indirecte telle que celle qui – le cas échéant – découle des réglementations relatives à l’adaptation des pensions de retraite pour l’année 2018 applicables dans la procédure au principal, compte tenu également des mesures analogues déjà prises antérieurement et de la dévalorisation considérable
des pensions de retraite (selon le cas, 25 % de la valeur réelle) résultant de l’effet cumulé de celles‑ci, par rapport à une indexation sur l’inflation, s’avère être justifiée, notamment
– pour empêcher l’apparition d’un “fossé” (qui se créerait si les adaptations étaient chaque fois opérées en appliquant un taux uniforme) entre le niveau des pensions de retraite, quand bien même celui‑ci serait purement nominal et ne modifierait pas la valeur relative des pensions les unes par rapport aux autres ;
– aux fins de la mise en œuvre d’une “composante sociale” générale destinée à renforcer le pouvoir d’achat des personnes percevant des pensions de retraite plus modestes, alors que a) cet objectif pourrait également être atteint sans restriction de l’adaptation des pensions plus élevées et que b) le législateur ne prévoit pas, dans le cadre de l’indexation des traitements sur l’inflation, de mécanisme analogue pour renforcer le pouvoir d’achat des fonctionnaires en activité percevant des
rémunérations plus faibles (au détriment des fonctionnaires en activité percevant des rémunérations plus élevées), ni n’a adopté de réglementation pour une intervention comparable dans l’adaptation du montant des pensions de retraite versées au titre d’autres régimes professionnels de sécurité sociale (auxquels l’État ne participe pas) pour renforcer (au détriment de l’adaptation des pensions de retraite plus élevées) le pouvoir d’achat des pensionnés plus modestes ;
– aux fins de la préservation et du financement du “régime”, alors même que les pensions de retraite des fonctionnaires ne sont pas versées par un organisme d’assurance au titre d’un régime organisé à la manière d’une assurance et financé par des cotisations, mais par la Fédération, en sa qualité d’employeur des fonctionnaires à la retraite, en tant que rémunération pour le travail accompli, si bien que, en définitive, ce n’est pas la préservation ou le financement d’un régime qui seraient
déterminants, mais uniquement des considérations d’ordre budgétaire ;
– parce que la surreprésentation statistique des hommes dans la catégorie des personnes percevant des pensions de retraite plus élevées doit être considérée comme étant la conséquence de l’inégalité historique des chances des femmes face à l’emploi et au travail, ce qui constitue un motif de justification autonome, voire (en amont d’une telle justification), exclut d’emblée la possibilité de retenir une discrimination indirecte en raison du sexe, au sens de la directive 2006/54, au détriment
des hommes, ou
– parce que cette réglementation est licite en tant que mesure positive au sens de l’article 157, paragraphe 4, TFUE ? »
38. Des observations écrites ont été déposées par les requérants au principal, le gouvernement autrichien ainsi que par la Commission européenne. DP a également déposé des observations écrites complémentaires.
IV. Analyse
A. Sur la première question préjudicielle
39. Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si le protocole (no 33) sur l’article 157 TFUE et l’article 12 de la directive 2006/54 doivent être interprétés en ce sens que la limitation des effets dans le temps du principe de l’égalité des rémunérations entre travailleurs masculins et travailleurs féminins prévue par ces dispositions s’applique à une réglementation nationale, relative à des prestations octroyées en vertu d’un régime professionnel de sécurité sociale,
prévoyant une adaptation annuelle des pensions de retraite postérieure au 1er janvier 1994, lorsque les périodes d’emploi de la personne concernée ont été en partie antérieures à cette date.
40. À titre liminaire, il convient de vérifier si des pensions de retraite telles que celles des requérants au principal entrent dans le champ d’application de l’article 157 TFUE et de la directive 2006/54.
41. Conformément à l’article 157, paragraphe 2, TFUE, il faut entendre par « rémunération » le salaire ou le traitement ordinaire de base ou minimal, et tous autres avantages payés directement ou indirectement, en espèces ou en nature, par l’employeur au travailleur en raison de l’emploi de ce dernier. Selon la jurisprudence de la Cour, la notion de « rémunération », au sens de cette disposition, doit être interprétée dans un sens large et comprend, notamment, tous les avantages en espèces ou en
nature, actuels ou futurs, pourvu qu’ils soient consentis, fût-ce indirectement, par l’employeur au travailleur en raison de l’emploi de ce dernier, que ce soit en vertu d’un contrat de travail, de dispositions législatives ou à titre volontaire ( 15 ).
42. S’agissant, en particulier, des pensions octroyées aux fonctionnaires fédéraux en vertu du PG 1965, la Cour a relevé que le montant de la pension de retraite dépend des périodes de service et des périodes assimilables ainsi que du traitement que percevait le fonctionnaire. La pension de retraite constitue un futur paiement en espèces, versé par l’employeur à ses employés, en conséquence directe de la relation d’emploi de ces derniers. En effet, cette pension est, en droit national, considérée
comme une rémunération qui continue à être versée dans le cadre d’une relation de service qui se poursuit après l’admission du fonctionnaire au bénéfice des prestations de retraite. En conséquence, la Cour a jugé que ladite pension constitue, à ce titre, une « rémunération », au sens de l’article 157, paragraphe 2, TFUE ( 16 ).
43. Par ailleurs, l’article 1er, sous c), de la directive 2006/54 énonce qu’elle contient des dispositions destinées à mettre en œuvre le principe de l’égalité de traitement en ce qui concerne les « régimes professionnels de sécurité sociale ». L’article 2, paragraphe 1, sous f), de cette directive définit ceux-ci comme les « régimes non régis par la directive [79/7] qui ont pour objet de fournir aux travailleurs, salariés ou indépendants, groupés dans le cadre d’une entreprise ou d’un groupement
d’entreprises, d’une branche économique ou d’un secteur professionnel ou interprofessionnel, des prestations destinées à compléter les prestations des régimes légaux de sécurité sociale ou à s’y substituer, que l’affiliation à ces régimes soit obligatoire ou facultative ».
44. Il ressort de la jurisprudence de la Cour que le régime de retraite des fonctionnaires fédéraux prévu dans le cadre du PG 1965 constitue un régime qui fournit aux travailleurs d’un secteur professionnel donné des prestations destinées à se substituer aux prestations d’un régime légal de sécurité sociale, au sens de l’article 2, paragraphe 1, sous f), de la directive 2006/54. En effet, les fonctionnaires fédéraux sont exclus du régime de l’assurance retraite mis en place par l’ASVG en raison de
leur emploi dans la fonction publique de l’État fédéral, dans la mesure où leur relation de travail leur confère un droit à des prestations de retraite équivalentes à celles que prévoit ce régime de l’assurance retraite ( 17 ).
45. Dès lors, comme l’a relevé la juridiction de renvoi, des pensions de retraite telles que celles perçues par les requérants au principal doivent être considérées comme une « rémunération », au sens de l’article 157, paragraphe 2, TFUE, et comme des prestations versées au titre d’un « régime professionnel de sécurité sociale », au sens de l’article 2, paragraphe 1, sous f), de la directive 2006/54, de sorte qu’elles entrent dans le champ d’application de cette dernière.
46. S’agissant de telles prestations, le droit de l’Union a prévu une limitation dans le temps de l’application du principe de l’égalité des rémunérations entre travailleurs masculins et travailleurs féminins. À cet égard, dans l’arrêt Barber, la Cour a jugé que des considérations impérieuses de sécurité juridique s’opposent à ce que des situations juridiques qui ont épuisé leurs effets dans le passé soient remises en cause, alors que, dans un tel cas, l’équilibre financier de nombre de régimes de
pensions conventionnellement exclus risquerait d’être rétroactivement bouleversé et qu’il convient, toutefois, d’aménager une exception en faveur des personnes qui auraient pris en temps utile des initiatives en vue de sauvegarder leurs droits. Selon cet arrêt, aucune limitation des effets de ladite interprétation ne peut être admise pour ce qui concerne l’ouverture du droit à une pension à partir de la date dudit arrêt, avec la conséquence que l’effet direct de l’article 119 du traité CEE
(devenu, après modification, article 157 TFUE) ne peut être invoqué pour demander l’ouverture, avec effet à une date antérieure à celle du même arrêt, d’un droit à pension, exception faite pour les travailleurs ou leurs ayants droit qui ont, avant cette date, engagé une action en justice ou soulevé une réclamation équivalente selon le droit national applicable ( 18 ).
47. Partant, en vertu de l’arrêt Barber, l’effet direct de l’article 119 du traité CEE (devenu, après modification, article 157 TFUE) ne peut être invoqué, afin d’exiger l’égalité de traitement en matière de pensions professionnelles, que pour les prestations dues au titre de périodes d’emploi postérieures au 17 mai 1990, date de cet arrêt, sous réserve de l’exception prévue ( 19 ). Cette limitation est reprise par le protocole (no 33) sur l’article 157 TFUE, dont la rédaction est identique au
protocole (no 2) sur l’article 119 du traité CE, lequel présente un lien évident avec l’arrêt Barber puisqu’il se réfère en particulier à la même date du 17 mai 1990 ( 20 ). Une telle limitation figure également à l’article 12, paragraphe 1, de la directive 2006/54.
48. En l’occurrence, en vertu de la jurisprudence de la Cour, étant donné que les faits au principal concernent des périodes de travail se situant à la fois avant et après l’adhésion de la République d’Autriche à l’accord sur l’Espace économique européen et à l’Union, le principe de l’égalité des rémunérations entre hommes et femmes ne saurait être invoqué pour des prestations de pension afférentes à des périodes de travail antérieures au 1er janvier 1994 ( 21 ).
49. Il ressort de la décision de renvoi que la réglementation en cause, relative à l’adaptation des pensions pour l’année 2018 dans le cadre du PG 1965, a prévu une revalorisation dégressive avec une exclusion totale au-delà d’un certain montant de pension. Il en résulte que les requérants au principal n’ont pas bénéficié, entièrement (pour EB et DP) ou presque entièrement (pour JS), d’une augmentation de leurs pensions, eu égard à leur montant supérieur à 4980 euros mensuels, ou proche de celui-ci,
à la différence des retraités percevant des pensions d’un montant inférieur. Devant la juridiction de renvoi, ils ont fait valoir que la catégorie des bénéficiaires de pensions d’un montant supérieur à 4980 euros mensuels se compose d’une grande majorité d’hommes, qui seraient ainsi victimes d’une discrimination fondée sur le sexe.
50. Cette juridiction se demande dans quelle mesure les requérants au principal peuvent invoquer le principe de l’égalité des rémunérations entre travailleurs masculins et travailleurs féminins pour faire valoir que la réglementation en cause comporte une discrimination fondée sur le sexe interdite par le droit de l’Union. À cet égard, ladite juridiction mentionne trois interprétations possibles ( 22 ), estimant que plusieurs arguments plaident en faveur de la troisième interprétation, selon
laquelle la limitation des effets dans le temps du principe de l’égalité des rémunérations prévue par le protocole (no 33) sur l’article 157 TFUE et l’article 12 de la directive 2006/54 ne s’applique pas à une adaptation annuelle des pensions de retraite telle que celle au principal.
51. Je partage l’analyse de la juridiction de renvoi. En effet, ce protocole énonce que, aux fins de l’application de l’article 157 TFUE, des prestations en vertu d’un régime professionnel de sécurité sociale ne seront pas considérées comme rémunération si et dans la mesure où elles peuvent être attribuées aux périodes d’emploi antérieures au 17 mai 1990 ( 23 ). Or, ainsi qu’il résulte de la jurisprudence de la Cour ( 24 ), ledit protocole doit être lu au regard de l’arrêt Barber. À cet égard,
l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt concernait le fait qu’un travailleur féminin ait droit à une pension de retraite immédiate à la suite de son licenciement pour cause économique, alors que, en pareil cas, un travailleur masculin du même âge ne pouvait prétendre qu’à une pension différée ( 25 ). La Cour a énoncé que l’effet direct de l’article 119 du traité CEE (devenu, après modification, article 157 TFUE) ne pouvait être invoqué pour demander l’ouverture, avec effet à une date antérieure à
celle dudit arrêt, d’un droit à pension ( 26 ).
52. Cependant, en l’occurrence, les affaires au principal ne portent pas sur l’ouverture d’un droit à pension. Les requérants au principal ont été mis à la retraite postérieurement au 1er janvier 1994 et ils bénéficient d’une pension dont ils ne contestent ni la date d’ouverture ni le montant fixé initialement. Ils ne remettent pas davantage en cause le montant de leur pension en lien avec des versements effectués dans le passé ni avec des périodes d’emploi antérieures au 1er janvier 1994.
53. Les requérants au principal invoquent le principe de l’égalité des rémunérations uniquement en ce qui concerne la réglementation relative à l’adaptation des pensions de retraite pour l’année 2018. Cette adaptation vaut pour cette seule année et n’a pas d’effet rétroactif. Dans ces conditions, je considère qu’il n’y a pas lieu de limiter l’application du principe de l’égalité des rémunérations pour la partie de leurs droits à pension qui peuvent être attribués à des périodes d’emploi postérieures
au 1er janvier 1994. Au contraire, les requérants au principal peuvent pleinement invoquer le principe de l’égalité des rémunérations, sans limitation des effets dans le temps de ce principe.
54. Partant, je propose de répondre à la première question que le protocole (no 33) sur l’article 157 TFUE et l’article 12 de la directive 2006/54 doivent être interprétés en ce sens que la limitation des effets dans le temps du principe de l’égalité des rémunérations entre travailleurs masculins et travailleurs féminins prévue par ces dispositions ne s’applique pas à une réglementation nationale, relative à des prestations octroyées en vertu d’un régime professionnel de sécurité sociale, prévoyant
une adaptation annuelle des pensions de retraite postérieure au 1er janvier 1994, y compris lorsque les périodes d’emploi de la personne concernée ont été en partie antérieures à cette date.
B. Sur la seconde question préjudicielle
55. Par sa seconde question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 157 TFUE et l’article 5 de la directive 2006/54 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale prévoyant une adaptation annuelle des pensions de retraite de fonctionnaires nationaux sous la forme d’une revalorisation dégressive avec une exclusion totale au-delà d’un certain montant de pension, dans l’hypothèse où cette réglementation affecte négativement une proportion
significativement plus importante d’hommes que de femmes.
56. Aux termes de l’article 5, sous c), de la directive 2006/54, toute discrimination directe ou indirecte fondée sur le sexe est interdite dans le calcul des prestations dans les régimes professionnels de sécurité sociale qui, conformément à l’article 7, paragraphe 1, sous a), iii), de cette directive, assurent une protection, notamment, contre le risque « vieillesse » ( 27 ).
57. Il y a lieu de constater, d’emblée, qu’une réglementation nationale telle que celle en cause au principal ne comporte pas de discrimination directement fondée sur le sexe, dès lors qu’elle s’applique indistinctement aux travailleurs masculins et aux travailleurs féminins.
58. S’agissant de la question de savoir si une telle réglementation crée une discrimination indirecte fondée sur le sexe, celle-ci est définie, aux fins de la directive 2006/54, à l’article 2, paragraphe 1, sous b), de cette dernière, comme étant la situation dans laquelle une disposition, un critère ou une pratique apparemment neutre désavantagerait particulièrement des personnes d’un sexe par rapport à des personnes de l’autre sexe, à moins que cette disposition, ce critère ou cette pratique ne
soit objectivement justifié par un but légitime et que les moyens pour parvenir à ce but soient appropriés et nécessaires.
59. Ainsi que l’a relevé la juridiction de renvoi, en vertu de la réglementation en cause, les fonctionnaires fédéraux qui perçoivent une pension de retraite mensuelle supérieure à un certain montant sont désavantagés par rapport à ceux dont la pension de retraite est moins élevée, dès lors que leurs pensions n’ont pas bénéficié d’une augmentation.
60. Au regard de l’article 2, paragraphe 1, sous b), de la directive 2006/54, la Cour a jugé que l’existence d’un désavantage particulier peut être établie, notamment, s’il est prouvé qu’une réglementation nationale affecte négativement une proportion significativement plus importante de personnes d’un sexe par rapport à des personnes de l’autre sexe ( 28 ). L’appréciation des faits qui permettent de présumer l’existence d’une discrimination indirecte appartient à la juridiction nationale,
conformément au droit national ou aux pratiques nationales qui peuvent prévoir, en particulier, que la discrimination indirecte peut être établie par tous moyens, y compris sur la base de données statistiques ( 29 ). Ainsi, il incombe à cette juridiction d’apprécier dans quelle mesure les données statistiques produites devant elle sont fiables et si celles-ci peuvent être prises en compte, c’est-à-dire si, notamment, elles ne sont pas l’expression de phénomènes purement fortuits ou conjoncturels
et si elles sont suffisamment significatives ( 30 ).
61. À cet égard, la juridiction de renvoi énonce que, sur la base des constatations établies par le Bundesverwaltungsgericht (tribunal administratif fédéral) s’agissant des affaires concernant EB et DP, il n’est pas exclu que soient réunies les conditions statistiques d’une discrimination indirecte fondée sur le sexe. Dans l’hypothèse où la juridiction de renvoi aboutirait à la conclusion que la réglementation en cause affecte négativement une proportion significativement plus importante d’hommes
que de femmes, il appartiendrait alors à cette juridiction d’examiner dans quelle mesure une telle différence de traitement peut néanmoins être justifiée par des facteurs objectifs étrangers à toute discrimination fondée sur le sexe, ainsi qu’il découle de l’article 2, paragraphe 1, sous b), de la directive 2006/54.
62. Conformément à la jurisprudence de la Cour, tel est en particulier le cas si les moyens choisis répondent à un but légitime de politique sociale, sont aptes à atteindre l’objectif poursuivi par la réglementation en cause et sont nécessaires à cet effet, étant entendu qu’ils ne sauraient être considérés comme étant propres à garantir l’objectif invoqué que s’ils répondent véritablement au souci de l’atteindre et s’ils sont mis en œuvre de manière cohérente et systématique ( 31 ). C’est à l’État
membre concerné, en sa qualité d’auteur de la règle présumée discriminatoire, qu’il incombe de faire apparaître que cette règle répond à un objectif légitime de politique sociale, que cet objectif est étranger à toute discrimination fondée sur le sexe et qu’il pouvait raisonnablement estimer que les moyens choisis étaient aptes à la réalisation dudit objectif ( 32 ). La Cour a également jugé que, en choisissant les mesures susceptibles de réaliser les objectifs de leur politique sociale et de
l’emploi, les États membres disposent d’une large marge d’appréciation ( 33 ).
63. Il ressort en outre de la jurisprudence de la Cour que, s’il appartient en dernier lieu au juge national, qui est seul compétent pour apprécier les faits et pour interpréter la législation nationale, de déterminer si et dans quelle mesure la disposition législative concernée est justifiée par un tel facteur objectif, la Cour, appelée à fournir à celui-ci des réponses utiles dans le cadre d’un renvoi préjudiciel, est compétente pour donner des indications, tirées du dossier de l’affaire au
principal ainsi que des observations qui lui ont été soumises, de nature à permettre à la juridiction nationale de statuer ( 34 ).
64. En l’occurrence, il résulte de la décision de renvoi et des observations écrites du gouvernement autrichien que la réglementation en cause, outre l’objectif de la préservation du pouvoir d’achat des pensionnés, comporte une finalité à « composante sociale », en ce sens que, pour ce qui concerne l’année 2018, la hausse supérieure à la moyenne des coûts de biens de consommation courante (denrées alimentaires) et du logement a touché plus particulièrement les fonctionnaires retraités percevant des
pensions d’un montant peu élevé. L’adaptation spéciale des pensions établie par cette réglementation aurait visé à compenser la perte de pouvoir d’achat spécifique des revenus plus modestes et moyens par une adaptation plus importante que celle normalement prévue à l’article 108h de l’ASVG. En outre, selon le gouvernement autrichien, la revalorisation dégressive des pensions avec une exclusion totale au-delà d’un certain montant de pension aurait permis au régime de pensions de fonctionnaires,
financé non pas par des cotisations mais par des ressources d’État, de réaliser des économies ( 35 ). La réglementation en cause serait ainsi placée sous le signe du financement durable des prestations et de l’équité générationnelle.
65. À cet égard, la Cour a jugé que, si des considérations d’ordre budgétaire ne sauraient justifier une discrimination au détriment de l’un des sexes, les finalités consistant à assurer le financement durable des pensions de retraite et à réduire l’écart entre les niveaux de pensions financées par l’État peuvent être considérées, compte tenu de la large marge d’appréciation dont jouissent les États membres, comme constituant des objectifs légitimes de politique sociale qui sont étrangers à toute
discrimination fondée sur le sexe ( 36 ).
66. Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que la réglementation en cause est objectivement justifiée par des buts légitimes, au sens de l’article 2, paragraphe 1, sous b), de la directive 2006/54.
67. En l’occurrence, et sous réserve des vérifications qu’il appartient à la juridiction de renvoi d’effectuer à cet égard, la réglementation en cause semble de nature à tendre vers de tels objectifs. En effet, d’une part, les économies effectuées du fait de l’absence d’adaptation des pensions de retraite les plus élevées ont permis de revaloriser les pensions plus modestes, tout en aboutissant à réaliser une économie budgétaire pour l’État, laquelle vise à garantir le financement à long terme des
pensions des fonctionnaires ( 37 ).
68. D’autre part, ainsi que l’a souligné la Commission, une indexation des pensions de retraite sur le taux d’inflation ne modifie pas en soi les différences de niveau entre les différentes pensions et l’écart entre celles-ci demeurerait inchangé d’un point de vue mathématique. Cependant, la volonté du législateur national de protéger davantage les pensions de retraite d’un montant plus modeste des effets de l’inflation est un objectif de politique sociale acceptable dans la mesure où la hausse des
prix pèse davantage sur le niveau de vie des personnes percevant des pensions de retraite d’un montant peu élevé. En l’occurrence, la réglementation en cause frappant les seules prestations dont le montant dépasse un certain seuil, elle a eu pour effet de rapprocher ces dernières du niveau des pensions plus modestes ( 38 ).
69. Cette réglementation ne paraît pas entraîner des mesures qui iraient au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs visés, notamment dans la mesure où les limitations d’augmentation des pensions prévues à l’article 711 de l’ASVG sont échelonnées en fonction des montants des prestations octroyées ( 39 ).
70. Eu égard aux arguments soulevés par la juridiction de renvoi, il convient d’examiner si une réglementation telle que celle au principal est mise en œuvre de manière cohérente et systématique.
71. Premièrement, cette juridiction relève que la réglementation en cause se limite aux bénéficiaires de pensions de retraite alors qu’il existe des outils de politique sociale adaptés, comme les taux d’imposition sur le revenu progressifs ou les prestations d’assistance financées par l’impôt. Cependant, selon moi, le fait qu’il existe d’autres outils de politique sociale n’est pas de nature à priver un État membre de la possibilité de moduler l’adaptation du montant des pensions de retraite. Dans
le cadre de la large marge d’appréciation dont il dispose, cet État membre doit avoir la faculté d’utiliser ces différents moyens, ensemble ou séparément, en vue de poursuivre un but légitime de politique sociale.
72. Deuxièmement, ladite juridiction souligne que si les pensions versées au titre des régimes de sécurité sociale reposent sur le principe d’un financement par cotisations et sont dues par un organisme d’assurance, les cotisations des fonctionnaires en service actif sont versées non pas à la caisse d’un régime d’assurance pension mais au budget de l’État. À mon sens, cette différence de situation juridique entre les fonctionnaires et les personnes cotisant à un régime de sécurité sociale ne
signifie pas que les pensions de retraite des fonctionnaires doivent nécessairement être revalorisées de manière uniforme en fonction du taux d’inflation. En effet, le financement durable des pensions de retraite et la réduction de l’écart entre les niveaux de pensions, objectifs légitimes de politique sociale qui sont étrangers à toute discrimination fondée sur le sexe, peuvent s’appliquer tout aussi bien à un régime de pension financé par l’État qu’à un régime reposant sur des cotisations
versées à un organisme d’assurance.
73. Troisièmement, la même juridiction fait observer que si le législateur national a procédé à une intervention importante quant à l’adaptation des pensions des fonctionnaires pour l’année 2018, il aurait omis de prendre une telle mesure de « compensation sociale » à l’égard des fonctionnaires en activité, pour lesquels aucune dégressivité n’a été appliquée lors de l’adaptation des rémunérations pour l’année 2018. Néanmoins, il me semble que, afin de vérifier si les moyens choisis pour répondre à
un but légitime de politique sociale sont mis en œuvre de manière cohérente et systématique, il convient de se référer à la catégorie concernée, à savoir celle des fonctionnaires à la retraite. À cet égard, il appartient à la juridiction de renvoi d’examiner si, comme le fait valoir le gouvernement autrichien, la réglementation en cause s’applique de la même manière à tous les bénéficiaires d’une pension étatique. Dans la négative, cette réglementation n’apparaîtrait pas cohérente à cet égard.
Dans l’affirmative, la différence entre les pensions de retraite des fonctionnaires et les traitements des fonctionnaires en activité ne relève pas, à mon sens, du champ d’application de l’article 5 de la directive 2006/54, qui vise uniquement à proscrire toute discrimination directe ou indirecte fondée sur le sexe dans les régimes professionnels de sécurité sociale.
74. Quatrièmement, la juridiction de renvoi fait valoir que le législateur national est intervenu seulement dans le cadre du régime professionnel de sécurité sociale applicable aux fonctionnaires, en s’abstenant dans le même temps d’interventions comparables dans les autres régimes professionnels de sécurité sociale, par exemple privés. S’agissant de cet argument, il me semble, là encore, qu’il n’entre pas dans le champ d’application de l’article 5 de la directive 2006/54. En effet, il convient
d’examiner si, en ce qui concerne le régime professionnel de sécurité sociale en cause et ceux du même type, le principe de l’égalité des rémunérations entre les travailleurs masculins et les travailleurs féminins est respecté. La mise en œuvre de ce principe ne suppose pas que la réglementation nationale s’applique de la même façon à tous les régimes professionnels de sécurité sociale de l’État membre, y compris ceux qui ne relèvent pas de l’article 2, paragraphe 1, sous f), de la directive
2006/54.
75. Cinquièmement, la juridiction de renvoi indique que, pour l’un des requérants au principal, sa pension de retraite, après l’entrée en vigueur de la réglementation en cause, a diminué de 25 % par rapport à un rattrapage correct de l’inflation depuis qu’il est à la retraite. Dans leurs observations écrites, les requérants au principal font valoir que, en tant que fonctionnaires unis à leur employeur par une relation d’emploi de droit public, l’élément décisif est qu’ils ont accompli une prestation
de travail correspondant à une rémunération qui, aujourd’hui, est a posteriori revue à la baisse. Cependant, à mon sens, cette situation relève du droit interne et de la politique sociale que l’État membre entend mener. En effet, le droit de l’Union n’impose pas que le montant d’une pension de retraite suive le taux d’inflation et reste stable, en monnaie constante. S’agissant de l’article 157 TFUE et de la directive 2006/54, en particulier, dont l’interprétation est sollicitée, ces dispositions
prévoient uniquement l’application du principe de l’égalité de traitement entre les hommes et les femmes, dans le cadre duquel, ainsi qu’il a été énoncé, la réduction de l’écart entre les niveaux de pensions de retraite financées par l’État constitue un objectif légitime de politique sociale, et dans le cadre duquel les États membres disposent d’une large marge d’appréciation.
76. De façon générale, il me semble que ces cinq premiers arguments avancés par la juridiction de renvoi relèvent des limites qui pourraient être apportées à la liberté d’action d’un État membre dans le domaine de la politique sociale. Ils ne concernent pas, en tant que tels, le principe de l’égalité de traitement dans les régimes professionnels de sécurité sociale, au sens de l’article 5 de la directive 2006/54, lequel impose que, au sein d’un tel régime, l’égalité entre les hommes et les femmes
soit assurée.
77. Enfin, la juridiction de renvoi se demande si avantager les femmes en ce qui concerne la revalorisation des pensions de retraite, au motif qu’elles ont été historiquement défavorisées dans la vie professionnelle, constitue un objectif légitime, au sens de l’article 157, paragraphe 4, TFUE. À cet égard, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence de la Cour, cette disposition ne saurait s’appliquer à une réglementation nationale si celle-ci se borne à accorder aux femmes une pension de
retraite plus élevée sans porter remède aux problèmes qu’elles peuvent rencontrer durant leur carrière professionnelle, et que cette augmentation n’apparaît pas comme étant de nature à compenser les désavantages auxquels seraient exposées les femmes en aidant celles-ci dans cette carrière et, ainsi, à assurer concrètement une pleine égalité entre les hommes et les femmes dans la vie professionnelle ( 40 ).
78. Il s’ensuit que, selon moi, sous réserve des vérifications qu’il appartient à la juridiction de renvoi d’effectuer, une réglementation telle que celle en cause au principal est mise en œuvre de manière cohérente et systématique.
79. En conclusion, je souhaiterais souligner que, comme l’a mentionné la juridiction de renvoi dans sa seconde question préjudicielle, la surreprésentation statistique des hommes dans la catégorie des personnes percevant des pensions de retraite plus élevées a pour origine l’inégalité des chances des femmes par rapport aux hommes face à l’emploi. En effet, l’écart entre les montants de pension des hommes et ceux des femmes résulte historiquement des différences de parcours professionnels. À mon
sens, l’application du principe de l’égalité de traitement dans les régimes professionnels de sécurité sociale, tel que prévu à l’article 157 TFUE et par la directive 2006/54, n’a pas pour objet de faire perdurer cette inégalité de traitement, en maintenant les hommes dans une situation nettement plus favorable. Il s’ensuit que les exigences relatives à la justification d’une éventuelle discrimination indirecte fondée sur le sexe doivent être d’autant moins élevées ( 41 ).
80. Eu égard aux considérations qui précèdent, je propose de répondre à la seconde question que l’article 157 TFUE et l’article 5 de la directive 2006/54 doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une réglementation nationale prévoyant une adaptation annuelle des pensions de retraite de fonctionnaires nationaux sous la forme d’une revalorisation dégressive avec une exclusion totale au-delà d’un certain montant de pension, dans l’hypothèse où cette réglementation affecte
négativement une proportion significativement plus importante d’hommes que de femmes, pour autant que ladite réglementation soit justifiée par des facteurs objectifs étrangers à toute discrimination fondée sur le sexe.
V. Conclusion
81. Au vu des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre aux questions préjudicielles posées par le Verwaltungsgerichtshof (Cour administrative, Autriche) de la manière suivante :
1) Le protocole (no 33) sur l’article 157 TFUE et l’article 12 de la directive 2006/54/CE du Parlement européen et du Conseil, du 5 juillet 2006, relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité des chances et de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d’emploi et de travail, doivent être interprétés en ce sens que la limitation des effets dans le temps du principe de l’égalité des rémunérations entre travailleurs masculins et travailleurs féminins prévue par ces
dispositions ne s’applique pas à une réglementation nationale, relative à des prestations octroyées en vertu d’un régime professionnel de sécurité sociale, prévoyant une adaptation annuelle des pensions de retraite postérieure au 1er janvier 1994, y compris lorsque les périodes d’emploi de la personne concernée ont été en partie antérieures à cette date.
2) L’article 157 TFUE et l’article 5 de la directive 2006/54 doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une réglementation nationale prévoyant une adaptation annuelle des pensions de retraite de fonctionnaires nationaux sous la forme d’une revalorisation dégressive avec une exclusion totale au-delà d’un certain montant de pension, dans l’hypothèse où cette réglementation affecte négativement une proportion significativement plus importante d’hommes que de femmes, pour autant
que ladite réglementation soit justifiée par des facteurs objectifs étrangers à toute discrimination fondée sur le sexe.
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( 1 ) Langue originale : le français.
( 2 ) Arrêt du 15 juin 1978, Defrenne, dit « Defrenne III » (149/77, EU:C:1978:130, points 26 et 27).
( 3 ) Arrêt du 8 avril 1976, Defrenne, dit « Defrenne II » (43/75, EU:C:1976:56, point 40).
( 4 ) Arrêt Barber, point 30.
( 5 ) Arrêt Barber, point 45. Il existe une exception pour les travailleurs ou leurs ayants droit qui ont, avant la date de cet arrêt, engagé une action en justice ou soulevé une réclamation équivalente selon le droit national applicable.
( 6 ) Directive du Parlement européen et du Conseil du 5 juillet 2006 relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité des chances et de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d’emploi et de travail (JO 2006, L 204, p. 23).
( 7 ) JO 1979, L 6, p. 24.
( 8 ) BGBl., 340/1965.
( 9 ) BGBl. I, 151/2017.
( 10 ) BGBl., 189/1955.
( 11 ) BGBl. I, 29/2017.
( 12 ) BGBl. I, 111/2010.
( 13 ) BGBl. I, 151/2017.
( 14 ) Accord signé le 2 mai 1992 (JO 1994, L 1, p. 3) et approuvé par la décision 94/1/CE, CECA du Conseil et de la Commission, du 13 décembre 1993, relative à la conclusion de l’accord sur l’Espace économique européen entre les Communautés européennes, leurs États membres et la République d’Autriche, la République de Finlande, la République d’Islande, la principauté de Liechtenstein, le Royaume de Norvège, le Royaume de Suède et la Confédération suisse (JO 1994, L 1, p. 1).
( 15 ) Arrêt du 8 mai 2019, Praxair MRC (C‑486/18, EU:C:2019:379, point 70 et jurisprudence citée)
( 16 ) Arrêt du 21 janvier 2015, Felber (C‑529/13, EU:C:2015:20, point 23).
( 17 ) Arrêt du 16 juin 2016, Lesar (C‑159/15, EU:C:2016:451, point 28).
( 18 ) Points 44 et 45 de l’arrêt Barber. Voir également arrêt du 23 octobre 2003, Schönheit et Becker (C‑4/02 et C‑5/02, EU:C:2003:583, point 99).
( 19 ) Arrêt du 23 octobre 2003, Schönheit et Becker (C‑4/02 et C‑5/02, EU:C:2003:583, point 100 et jurisprudence citée).
( 20 ) Voir, en ce sens, arrêt du 23 octobre 2003, Schönheit et Becker (C‑4/02 et C‑5/02, EU:C:2003:583, point 101 et jurisprudence citée).
( 21 ) Voir, par analogie, arrêt du 12 septembre 2002, Niemi (C‑351/00, EU:C:2002:480, points 54 et 55). Dans le même sens, l’article 12, paragraphe 3, de la directive 2006/54 dispose que « [p]our les États membres dont l’adhésion à la Communauté a eu lieu après le 17 mai 1990 et qui, au 1er janvier 1994, étaient parties contractantes à l’accord sur l’Espace économique européen, la date du 17 mai 1990 [...] est remplacée par celle du 1er janvier 1994. »
( 22 ) Voir points 28 à 30 des présentes conclusions.
( 23 ) L’article 12, paragraphe 1, de la directive 2006/54 est libellé dans des termes quasiment identiques à ceux du protocole (no 33) sur l’article 157 TFUE, en énonçant que « [t]oute mesure de transposition du présent chapitre, en ce qui concerne les travailleurs, couvre toutes les prestations en vertu des régimes professionnels de sécurité sociale attribuées aux périodes d’emploi postérieures à la date du 17 mai 1990 et aura un effet rétroactif à cette date ». Ces deux dispositions sont sous
réserve d’une exception non applicable dans des affaires telles que celles au principal.
( 24 ) Voir point 47 des présentes conclusions.
( 25 ) Arrêt Barber, point 38.
( 26 ) Sous réserve d’une exception non applicable dans des affaires telles que celles au principal.
( 27 ) Arrêt du 24 septembre 2020, YS (Pensions d’entreprise de personnel cadre) (C‑223/19, ci-après l’« arrêt YS », EU:C:2020:753, point 41).
( 28 ) Arrêt YS, point 49 et jurisprudence citée.
( 29 ) Arrêt YS, point 50 et jurisprudence citée.
( 30 ) Arrêt YS, point 51 et jurisprudence citée. Je souligne que ces données statistiques n’ont qu’une valeur relative et ne peuvent s’entendre comme une référence absolue en vue d’établir un désavantage particulier des personnes d’un sexe par rapport à des personnes de l’autre sexe.
( 31 ) Arrêt YS, point 56 et jurisprudence citée.
( 32 ) Arrêt du 17 juillet 2014, Leone (C‑173/13, EU:C:2014:2090, point 55 et jurisprudence citée).
( 33 ) Arrêt YS, point 57 et jurisprudence citée.
( 34 ) Voir, en ce sens, arrêt YS, point 58 et jurisprudence citée.
( 35 ) Je relève que, dans ses observations écrites, DP conteste que ces objectifs constituent le fondement de la réglementation en cause.
( 36 ) Arrêt YS, points 60 et 61. Voir également arrêt du 21 janvier 2021, INSS (C‑843/19, EU:C:2021:55, point 38).
( 37 ) Voir, à cet égard, conclusions de l’avocate générale Kokott dans l’affaire NK (Pensions d’entreprise de personnel cadre) (C‑223/19, EU:C:2020:356, point 79), selon laquelle le législateur national semble poursuivre l’objectif de diminution de la charge pour les finances publiques de manière globale et systématique.
( 38 ) Voir, en ce sens, arrêt YS, point 63.
( 39 ) Voir, en ce sens, arrêt YS, point 65.
( 40 ) Voir, en ce sens, arrêt du 12 décembre 2019, Instituto Nacional de la Seguridad Social (Complément de pension pour les mères) (C‑450/18, EU:C:2019:1075, point 65 et jurisprudence citée).
( 41 ) Voir, en ce sens, conclusions de l’avocate générale Kokott dans l’affaire NK (Pensions d’entreprise de personnel cadre) (C‑223/19, EU:C:2020:356, point 76).