CONCLUSIONS DE L’AVOCATE GÉNÉRALE
M^ME JULIANE KOKOTT
présentées le 2 juin 2022 (1)
Affaire C‑1/21
MC
contre
Direktor na Direktsia « Obzhalvane i danachno-osiguritelna praktika » Veliko Tarnovo pri Tsentralno upravlenie na Natsionalnata agentsia za prihodite
[demande de décision préjudicielle formée par l’Administrativen sad Veliko Tarnovo (tribunal administratif de Veliko Tarnovo, Bulgarie)]
« Recours préjudiciel – Législation fiscale – Taxe sur la valeur ajoutée – Directive 2006/112/CE – Réglementation nationale prévoyant la responsabilité solidaire du dirigeant d’une société dans le cas où celui-ci a retiré de mauvaise foi des actifs à la société et où celle-ci n’a, en conséquence, pas pu acquitter ses dettes fiscales (dont des dettes de taxe sur la valeur ajoutée) – Responsabilité s’étendant à la dette d’intérêts de la société – Champ d’application du droit de l’Union – Principe de
proportionnalité »
I. Introduction
1. Cette demande de décision préjudicielle soulève une question de compétence bien connue sous une nouvelle forme. L’obligation d’une personne physique [qui n’est elle-même pas assujettie à la taxe sur la valeur ajoutée (TVA)] de répondre solidairement des dettes fiscales et d’intérêts d’un tiers que prévoit le droit fiscal général constitue-t-elle une mise en œuvre du droit de l’Union, susceptible d’être encadrée par la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au
système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO 2006, L 347, p. 1, ci-après la « directive TVA ») ou d’autres dispositions du droit de l’Union ? Ou bien la responsabilité solidaire d’une personne qui a contribué de manière causale à ce que ce tiers n’ait pas pu se conformer dans les délais à son obligation de paiement de l’impôt est-elle une règle de procédure purement nationale, visant à garantir les recettes fiscales, qui échappe au droit de l’Union ?
2. Cela rappelle dans une certaine mesure le cas de figure en cause dans l’arrêt Åkerberg Fransson (2), très discuté (3), dans lequel la Cour a qualifié la condamnation pénale, pour fraude à la TVA, d’un assujetti de mise en œuvre du droit de l’Union. La question que la Cour est appelée à trancher dans la présente affaire va cependant plus loin.
3. La responsabilité en cause dans la présente affaire pèse en effet non pas sur un assujetti à la TVA, mais sur une personne qui n’a pas la qualité d’assujetti à la TVA. En outre, celle-ci ne s’est pas rendue coupable d’une fraude à la TVA, mais a apparemment augmenté le montant du salaire qu’elle percevait en sa qualité de dirigeant de la société de façon inappropriée, privant ainsi la société d’actifs. De ce fait, la société n’a pas encore pu s’acquitter, ou du moins pas dans les délais,
de l’intégralité de ses dettes (dont des dettes de TVA et les intérêts sur les dettes de TVA).
4. Une responsabilité solidaire générale d’un organe d’une société pour cause de comportement nuisant à la société (une sorte de détournement) relève-t-elle du champ d’application de la directive TVA, et donc de celui du droit de l’Union, du seul fait que, en conséquence de ce comportement, la société n’a pas pu acquitter dans les délais ou intégralement de ses dettes de TVA et des intérêts sur ces dettes ? En d’autres termes : où se situe la limite du champ d’application du droit de l’Union
lorsqu’il n’existe qu’un lien indirect avec la perception de la TVA ?
II. Le cadre juridique
A. Le droit de l’Union
5. Le cadre juridique dans lequel s’inscrit la présente affaire consiste, en ce qui concerne le droit de l’Union, en la directive TVA (4), la convention, établie sur la base de l’article K.3 du traité sur l’Union européenne, relative à la protection des intérêts financiers des Communautés européennes, signée à Bruxelles le 26 juillet 1995 (5) (ci‑après la « convention PIF »), et l’article 325 TFUE.
1. Le droit primaire
6. Conformément à l’article 325, paragraphe 1, TFUE, « [l]’Union et les États membres combattent la fraude et toute autre activité illégale portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union par des mesures prises conformément au présent article qui sont dissuasives et offrent une protection effective dans les États membres, ainsi que dans les institutions, organes et organismes de l’Union ».
7. L’article 325, paragraphe 2, TFUE énonce que « [l]es États membres prennent les mêmes mesures pour combattre la fraude portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union que celles qu’ils prennent pour combattre la fraude portant atteinte à leurs propres intérêts financiers ».
2. La convention PIF
8. L’article 1^er de la convention PIF, intitulé « Dispositions générales », dispose, à son paragraphe 1 :
« Aux fins de la présente convention, est constitutif d’une fraude portant atteinte aux intérêts financiers [de l’Union] :
[...]
b) en matière de recettes, tout acte ou omission intentionnel relatif :
– à l’utilisation ou à la présentation de déclarations ou de documents faux, inexacts ou incomplets, ayant pour effet la diminution illégale de ressources du budget général [de l’Union] ou des budgets gérés par [l’Union] ou pour [son] compte,
– à la non‑communication d’une information en violation d’une obligation spécifique, ayant le même effet,
– au détournement d’un avantage légalement obtenu, ayant le même effet. »
9. L’article 2 de cette convention, intitulé « Sanctions », prévoit, à son paragraphe 1 :
« Chaque État membre prend les mesures nécessaires pour assurer que les comportements visés à l’article 1^er, ainsi que la complicité, l’instigation ou la tentative relatives aux comportements visés à l’article 1^er[,] paragraphe 1, sont passibles de sanctions pénales effectives, proportionnées et dissuasives, incluant, au moins dans les cas de fraude grave, des peines privatives de liberté pouvant entraîner l’extradition, étant entendu que doit être considérée comme fraude grave toute fraude
portant sur un montant minimal à fixer dans chaque État membre. Ce montant minimal ne peut pas être fixé à plus de 50 000 [euros]. »
10. L’article 9 de ladite convention, intitulé « Dispositions internes », stipule :
« Aucune disposition de la présente convention n’empêche les États membres d’adopter des dispositions de droit interne allant au-delà des obligations découlant de cette convention. »
3. La directive TVA
11. L’article 205 de la directive TVA est rédigé comme suit :
« Dans les situations visées aux articles 193 à 200 et aux articles 202, 203 et 204, les États membres peuvent prévoir qu’une personne autre que le redevable est solidairement tenue d’acquitter la TVA. »
12. Les articles ainsi visés, qui figurent dans le titre XI (chapitre 1) de la directive TVA, régissent l’obligation de paiement et la qualité de redevable « des assujettis et de certaines personnes non assujetties ». Les dirigeants de sociétés n’y sont pas mentionnés, pas plus que l’hypothèse de l’octroi d’un salaire inapproprié.
13. L’article 273 de la directive TVA précise :
« Les États membres peuvent prévoir d’autres obligations qu’ils jugeraient nécessaires pour assurer l’exacte perception de la TVA et pour éviter la fraude, sous réserve du respect de l’égalité de traitement des opérations intérieures et des opérations effectuées entre États membres par des assujettis, et à condition que ces obligations ne donnent pas lieu dans les échanges entre les États membres à des formalités liées au passage d’une frontière.
La faculté prévue au premier alinéa ne peut être utilisée pour imposer des obligations de facturation supplémentaires à celles fixées au chapitre 3. »
B. Le droit bulgare
14. Le Danachno-osiguritelen protsesualen kodeks (code de procédures fiscale et en matière de sécurité sociale, ci-après le « DOPK ») contient les dispositions suivantes.
15. L’article 14 du DOPK est consacré à la personne redevable :
« Les personnes redevables sont les personnes physiques et morales qui :
1) sont débitrices des taxes ou des cotisations de sécurité sociale obligatoires ».
16. L’article 19, paragraphe 2, du DOPK régit la responsabilité d’un organe d’administration au titre d’une diminution du patrimoine de la société ; il est rédigé comme suit :
« Si un gérant ou un membre d’un organe d’administration effectue, de mauvaise foi, à partir du patrimoine d’une personne morale redevable au sens de l’article 14, point 1 ou 2, des paiements en nature ou en espèces constituant une distribution dissimulée des bénéfices ou du dividende, ou s’il cède le patrimoine de la personne redevable gratuitement ou à un prix nettement inférieur au prix du marché, ce qui a pour effet une diminution du patrimoine de la personne redevable qui cause à son tour
l’absence de paiement des taxes ou des cotisations sociales obligatoires, ce gérant ou ce membre d’un organe d’administration répond de ces dettes à concurrence, selon le cas, des paiements qu’il aura effectués ou du montant de la diminution du patrimoine. »
17. L’article 20 du DOPK concerne l’ordre d’exécution et dispose :
« Dans les cas visés à l’article 19, la mesure conservatoire et l’exécution forcée sont dirigées en premier lieu contre le patrimoine du débiteur dont la dette fiscale ou sociale est mise à la charge du tiers. »
18. L’article 21, paragraphe 3, du DOPK apporte des précisions concernant le caractère accessoire à l’obligation principale que revêt l’obligation du tiers ; il énonce :
« La responsabilité des tiers devient caduque lorsqu’un acte définitif annule la dette qui en est la cause. Dans ce cas, la restitution des sommes acquittées s’effectue au titre du chapitre seizième, première section. »
19. Le Zakon za danaka varhy dobavenata stoynost (loi sur la taxe sur la valeur ajoutée) définit à son article 3, paragraphe 1, l’assujetti comme suit :
« Est considéré comme “assujetti” quiconque exerce, d’une façon indépendante, une activité économique, quels que soient les buts ou les résultats de cette activité. »
20. L’article 89, paragraphe 1, de cette loi fixe la date à laquelle la taxe doit être payée :
« Lorsque le résultat de la période est établi et qu’il implique le versement d’une taxe, l’assujetti immatriculé est tenu de verser la taxe au budget de l’État sur le compte de la direction territoriale compétente de la [Natsionalnata agentsia za prihodite (agence nationale des recettes publiques)], pendant le délai de dépôt de la déclaration de TVA pour cette période d’imposition. »
21. L’article 1^er du Zakon za lihvite varhu danatsi, taksi i drugi podobni darzhavni vzemania (loi relative aux intérêts sur les impôts, taxes et autres créances similaires de l’État) prévoit à son paragraphe 1 une obligation à intérêts :
« Est assorti d’intérêts, calculés au taux légal, le recouvrement d’impôts, de taxes, de déductions de bénéfices, de contributions au budget et d’autres créances de l’État d’une nature similaire, faisant ou non l’objet de prélèvements, qui n’ont pas été payés dans les délais prévus pour un versement volontaire. »
22. Selon la juridiction de renvoi, il existe des divergences de jurisprudence quant à la façon dont il convient d’interpréter l’article 19, paragraphe 2, du DOPK, lu en conjonction avec l’article 1^er de la loi relative aux intérêts sur les impôts, taxes et autres créances similaires de l’État. Selon certaines décisions, la responsabilité de l’organe qui avait agi de mauvaise foi couvre également les intérêts, selon d’autres elle se limite à la seule dette principale.
III. Le litige au principal
23. La procédure devant la juridiction de renvoi a pour objet un recours introduit par MC (ci-après le « requérant ») pour contester la légalité d’un avis d’imposition à titre de débiteur solidaire. Cet avis réclamait au requérant paiement des dettes d’un tiers au titre de la période imposable décembre 2014 au motif qu’il en répondait personnellement. Cette obligation en qualité de débiteur solidaire repose apparemment sur des dettes de TVA encore impayées (majorées des intérêts) d’un autre
contribuable, à savoir de la société « ZZ » AD (ci‑après la « société »), dont le requérant était à l’époque en cause le gérant.
24. Une procédure d’exécution forcée a été lancée en vue de recouvrer les montants dus par la société. Plusieurs invitations à payer volontairement ont été adressées à la société, mais aucun paiement n’a eu lieu. Pour cette raison, l’autorité chargée de l’exécution a déclaré les dettes publiques de la société, y compris les intérêts sur la TVA non acquittée dans les délais, difficilement recouvrables.
25. Les poursuites contre le requérant sont dues au fait qu’il a augmenté le montant de sa rémunération à plusieurs reprises sans pouvoir fournir une preuve valable de cette augmentation. Les modalités de versement de la rémunération postérieurement à l’augmentation, non plus, ne répondaient pas aux exigences de la loi. Les montants ont été virés à l’avocat travaillant pour la société, lequel les a ensuite transférés sur le compte bancaire de l’épouse du requérant, compte auquel le requérant
avait accès.
26. Le requérant conteste devoir les sommes réclamées. Son principal argument est l’absence de lien causal entre la rémunération perçue par lui en sa qualité d’organe d’administration de l’assujetti et le manque de fonds pour régler les dettes fiscales. L’administration fiscale fait en substance valoir que, en tant qu’organe d’administration de l’assujetti (également à la TVA), le requérant était de mauvaise foi, dès lors qu’il avait reçu, au cours de la période imposable en cause, une
rémunération d’un montant dont il n’était pas établi qu’il avait été fixé de façon régulière.
27. Aux fins du renvoi préjudiciel, la juridiction de renvoi part de la prémisse que le requérant avait, par l’intermédiaire d’un tiers, ordonné le transfert d’un montant pris sur le patrimoine de la société à une personne physique qui lui était liée, ou en avait à tout le moins connaissance, et avait ainsi agi de mauvaise foi au sens du droit national. Du fait que le patrimoine de la société s’était trouvé diminué de ce montant, les intérêts dus sur la TVA, arrêtés au mois de décembre 2014,
n’avaient pas été payés. Au regard de la question préjudicielle, je pars du principe que les dettes de TVA n’ont pas non plus été payées, pour la même raison.
28. La juridiction de renvoi souligne par ailleurs que l’obligation de répondre des taxes impayées en application de l’article 19, paragraphe 2, du DOPK est d’une nature solidaire et, si elle prend naissance après la dette fiscale de l’assujetti, continue d’exister jusqu’à ce que la dette fiscale s’éteigne. Il faut en outre préciser que cette responsabilité n’est en aucune manière fondée sur des actes frauduleux ou abusifs accomplis dans le cadre de l’activité économique indépendante de
l’assujetti (c’est-à-dire de la société).
IV. La demande de décision préjudicielle et la procédure devant la Cour
29. L’Administrativen sad Veliko Tarnovo (tribunal administratif de Veliko Tarnovo, Bulgarie), saisi du recours attaquant l’avis d’imposition à titre de débiteur solidaire, a, par ordonnance du 18 novembre 2020, déféré les questions suivantes à la Cour :
« 1) L’article 9 de la [convention PIF], lu conjointement avec l’article 273 de la [directive TVA], doit-il être interprété en ce sens qu’il permet un mécanisme juridique national tel que celui qui est prévu, dans le domaine harmonisé de la TVA, à la disposition nationale de l’article 19, paragraphe 2, du DOPK, dont l’application entraîne le déclenchement ultérieur d’une responsabilité solidaire d’une personne physique non assujettie, qui n’est pas redevable de la TVA, mais dont le comportement
de mauvaise foi a eu pour effet que la personne morale assujettie qui est redevable de la TVA ne l’a pas acquittée ?
2) L’interprétation de ces dispositions et l’application du principe de proportionnalité permettent-elles que le mécanisme juridique national prévu à l’article 19, paragraphe 2, du DOPK s’applique également aux intérêts calculés sur la TVA qui n’a pas été acquittée dans les délais par la personne assujettie ?
3) Le mécanisme juridique national prévu à l’article 19, paragraphe 2, du DOPK, enfreint-il le principe de proportionnalité, lorsque le paiement tardif de la TVA générateur du paiement d’intérêts sur la dette de TVA est imputable, non pas au comportement de la personne physique non assujettie, mais au comportement d’une autre personne ou à la survenance de circonstances objectives ? »
30. Dans le cadre de la procédure devant la Cour, le requérant, les gouvernements bulgare et espagnol et la Commission européenne ont déposé des observations écrites. La Cour a décidé de ne pas tenir d’audience de plaidoiries, conformément à l’article 76, paragraphe 2, du règlement de procédure.
V. Appréciation
31. Les questions posées par la juridiction de renvoi visent toutes à savoir si le droit de l’Union fait obstacle à une réglementation nationale prévoyant la responsabilité solidaire d’une personne physique (d’une personne non assujettie) dans le cas où le comportement de cette personne, en tant qu’organe d’une personne morale, a eu pour effet que cette personne morale n’a pas pu acquitter ses dettes fiscales – dont des dettes de TVA – dans les délais ou intégralement. Ces questions
présupposent que cette responsabilité de la personne non assujettie relève du champ d’application du droit de l’Union.
A. Sur la compétence de la Cour
32. Dans ses observations, le gouvernement bulgare a mis en doute la compétence de la Cour. Dans le cadre d’un renvoi préjudiciel au titre de l’article 267 TFUE, la Cour peut uniquement interpréter le droit de l’Union dans les limites des compétences qui lui sont attribuées (6). Par conséquent, lorsqu’une situation juridique ne relève pas du champ d’application du droit de l’Union, la Cour n’est pas compétente pour en connaître (7).
33. La Cour n’a donc compétence pour répondre aux questions préjudicielles que si l’obligation solidaire du requérant, constatée en application de l’article 19, paragraphe 2, du DOPK et sur laquelle porte la procédure au principal, repose sur la mise en œuvre du droit de l’Union.
34. Il n’y a en l’espèce pas de mise en œuvre du droit de l’Union sous la forme d’une transposition de la directive TVA. Le droit national prévoit une responsabilité générale de nature accessoire lorsqu’un organe d’une société retire des actifs à cette dernière et que celle-ci n’est dès lors plus en mesure de régler ses dettes fiscales ponctuellement. Cette obligation accessoire n’est liée ni au type de taxe dont le débiteur solidaire est tenu de répondre, ni au point de savoir si ce dernier a
la qualité d’assujetti ; elle ne dépend donc en rien de la directive TVA.
35. La Cour a toutefois déjà jugé qu’il s’agit également d’une mise en œuvre du droit de l’Union lorsque l’application du droit national tend à sanctionner une violation des dispositions de ladite directive et vise donc à mettre en œuvre l’obligation imposée par le traité aux États membres de sanctionner de manière effective les comportements attentatoires aux intérêts financiers de l’Union (8).
36. Il convient par conséquent d’examiner si la responsabilité du requérant en vertu de l’article 19, paragraphe 2, du DOPK vise à mettre en œuvre une telle obligation imposée aux États membres par le droit de l’Union. Celle-ci pourrait découler de l’article 325 TFUE (section 1 ci‑après), de la convention PIF (section 2 ci-après), de l’article 205 (section 3 ci-après) ou de l’article 273 (section 4 ci-après) de la directive TVA.
1. L’article 325 TFUE
37. L’article 325 TFUE fait obligation aux États membres de lutter contre les activités illégales portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union par des mesures dissuasives et effectives. Ils sont notamment tenus de prendre les mêmes mesures pour combattre la fraude portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union que celles qu’ils prennent pour combattre la fraude portant atteinte à leurs propres intérêts financiers (9). Il incombe aux États membres de garantir un prélèvement efficace
des ressources propres de l’Union. À ce titre, ils sont tenus de procéder au recouvrement des sommes correspondant aux ressources propres qui, en raison de fraudes, ont été soustraites au budget de l’Union (10).
38. En matière douanière, la Cour a étendu (11) le champ d’application de l’article 325 TFUE à l’obligation des États membres « de prendre les mesures nécessaires afin de garantir le prélèvement effectif et intégral des droits de douane ». Cet arrêt concernait toutefois l’omission de procéder à des contrôles douaniers efficaces en dépit d’un modèle connu de fraude douanière. La présente affaire ne concerne cependant pas un modèle de fraude à la TVA. Rien ne permet de penser, non plus, que les
autorités auraient omis de procéder à des contrôles fiscaux efficaces. L’article 19, paragraphe 2, du DOPK ne constitue, enfin, pas un contrôle fiscal.
39. La responsabilité en vertu de l’article 19, paragraphe 2, du DOPK ne constitue pas non plus une mesure de lutte contre une autre activité illégale portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union. Il s’agit, au contraire, d’une responsabilité pour la diminution inappropriée du patrimoine d’une société qui, de ce fait, ne peut pas acquitter intégralement certaines dettes (dettes fiscales). La société elle‑même n’a commis aucun acte illégal, elle n’est simplement plus en mesure de payer
ses impôts.
40. C’est l’organe, la personne physique, qui agit de mauvaise foi (il est plutôt douteux que cela puisse déjà être qualifié d’activité illégale), et même cela uniquement sous l’angle des intérêts financiers de la société, du fait qu’il s’est accordé une rémunération inappropriée, au détriment du patrimoine social. À ce stade, il n’agit en tout cas pas de façon illégale en ce qui concerne les intérêts financiers de l’Union. Ce n’est qu’indirectement que ce comportement peut, sous certaines
circonstances – la société n’est par la suite plus en mesure de payer ses impôts –, avoir une incidence sur les recettes fiscales (et, partant, indirectement aussi sur les recettes de TVA), ce qui déclenche ensuite la responsabilité. C’est éventuellement de façon indirecte qu’une telle responsabilité peut aussi éliminer le risque de perte de recettes de TVA.
41. C’est en cela que le présent cas de figure diffère de celui à l’origine de l’arrêt Åkerberg Fransson (12). La conclusion y tirée par la Cour, selon laquelle des sanctions fiscales et des poursuites pénales pour fraude fiscale en raison de l’inexactitude des informations fournies en matière de TVA constituent une mise en œuvre de l’article 325 TFUE (13), était relative à la lutte directe contre la fraude à la TVA. Or, ce qui est sanctionné dans la présente affaire est non pas une fraude à la
TVA, mais un comportement de mauvaise foi au détriment de la société (éventuellement une sorte de détournement). Il n’existe cependant aucun rapport entre la responsabilité de l’organe de mauvaise foi d’une société en vertu de l’article 19, paragraphe 2, du DOPK et l’obligation imposée aux États membres par l’article 325 TFUE.
2. La convention PIF
42. La convention PIF est, pour des raisons similaires, sans application. En effet, cette convention s’attache elle aussi à lutter de façon efficace contre des actes frauduleux. Son article 1^er mentionne ainsi expressément l’utilisation ou la présentation de déclarations ou de documents faux, inexacts ou incomplets, ayant pour effet la diminution illégale de ressources du budget général de l’Union ou des budgets gérés par l’Union ou pour son compte. La notion de « fraude portant atteinte aux
intérêts financiers », visée à l’article 1^er, paragraphe 1, de la convention PIF, doit dès lors nécessairement être interprétée comme incluant l’utilisation intentionnelle de déclarations fausses ou inexactes présentées postérieurement à l’exécution du projet bénéficiant d’un financement (14).
43. Il n’y a rien de tel en l’espèce. Ainsi que je l’ai indiqué ci-dessus, le requérant n’a pas fait de déclaration de ce type, qui aurait entraîné une diminution illégale des ressources du budget général de l’Union. Le fait qu’il se soit accordé, en sa qualité d’organe de la société, un salaire inapproprié et nui ainsi aux intérêts financiers de la société ou à son patrimoine n’entre pas dans l’objet de la convention PIF.
3. L’article 205 de la directive TVA
44. À première vue, la responsabilité prévue à l’article 19, paragraphe 2, du DOPK pourrait cependant se fonder sur l’article 205 de la directive TVA. Celui-ci prévoit en effet que, dans certains cas (à savoir dans les situations visées aux articles 193 à 200 et 202 à 204 de la directive TVA), les États membres peuvent prévoir qu’une personne autre que le redevable est solidairement tenue d’acquitter la TVA.
45. Cette disposition a pour but d’assurer au Trésor public une perception efficace de la TVA auprès de la personne la plus adéquate au regard de la situation envisagée, en particulier lorsque les parties au contrat ne sont pas situées dans le même État membre ou bien lorsque la transaction soumise à TVA porte sur des opérations dont la spécificité commande d’identifier une personne autre que celle visée à l’article 193 de cette directive (15).
46. Ce n’est pas le cas de figure qui se présente en l’espèce. La Commission et le gouvernement espagnol le soulignent à juste titre.
47. L’article 204 de la directive TVA concerne la désignation d’un représentant fiscal (externe) si l’assujetti n’est pas établi dans l’État membre dans lequel il a effectué des opérations. Or, le requérant n’a pas été désigné en qualité de représentant fiscal. L’article 203 de la directive TVA régit la TVA due du fait qu’elle a été indûment mentionnée sur une facture. Ni le requérant ni sa société n’a en l’espèce établi une telle facture. L’article 202 de la directive TVA est relatif à des
biens se trouvant dans des entrepôts douaniers ou en transit entre de tels dépôts. Ce n’est pas ce qui est en cause en l’espèce.
48. Les articles 193 à 200 de la directive TVA, cependant, concernent certaines opérations (livraisons et autres prestations) faisant naître une dette fiscale dans le chef d’un assujetti ou de certaines personnes non assujetties. En présence d’une telle opération, une personne autre que le redevable peut se voir reconnaître la qualité de débiteur solidaire. Le fait d’accorder un salaire inapproprié ne constitue cependant pas une livraison ou autre prestation imposable et soumise à la TVA
faisant naître une dette fiscale à la charge d’une personne. Sans dette fiscale, il n’y a pas de redevable. Il n’est alors pas possible d’en réclamer paiement à une personne autre que le redevable.
49. Les conditions d’application de l’article 205 de la directive TVA, qui se réfère aux seules situations décrites aux articles 193 à 204 de cette même directive, ne sont donc pas remplies. La responsabilité prévue à l’article 19, paragraphe 2, du DOPK ne se fonde pas sur l’article 205 de la directive TVA.
4. L’article 273 de la directive TVA
50. Reste donc encore l’article 273 de la directive TVA. Aux termes de cet article, les États membres peuvent prévoir d’autres obligations qu’ils jugeraient nécessaires pour assurer l’exacte perception de la TVA et pour éviter la fraude, sous réserve du respect de l’égalité de traitement des opérations intérieures et des opérations effectuées entre États membres par des assujettis, et à condition que ces obligations ne donnent pas lieu, dans les échanges entre les États membres, à des
formalités liées au passage d’une frontière.
51. Les points déterminants sont par conséquent, d’une part, de savoir si la responsabilité de l’organe d’une société qu’impose l’article 19, paragraphe 2, du DOPK assure l’« exacte perception de la TVA » au sens de l’article 273 de la directive TVA afin d’éviter la fraude [section b) ci-après] et, d’autre part, de savoir si les autres obligations que mentionne l’article 273 de la directive TVA peuvent également concerner une personne non assujettie – qui, jusque-là, n’était encore tenue
d’aucune obligation en application de la directive TVA – [section a) ci-après].
a) Autres obligations d’une personne non assujettie ?
52. Ainsi qu’il ressort déjà du libellé de l’article 273 de la directive TVA, l’éventuelle extension des obligations s’entend d’obligations des assujettis au sens de la directive TVA. En effet, la réserve de l’« égalité de traitement [...] des assujettis » n’a de sens que si les obligations qui s’ajoutent concernent un (autre) assujetti. Des obligations supplémentaires imposées à une personne non assujettie, qui ne participe à aucune opération, ne peuvent par définition pas constituer une
inégalité de traitement d’opérations intérieures et d’opérations effectuées entre États membres.
53. L’article 273 de la directive TVA n’autorise donc pas les États membres à imposer des obligations supplémentaires à de quelconques personnes (salariés, membres de la famille, voisins, etc.) ayant un rapport indirect, quel qu’il soit, avec la dette de TVA d’un tiers et à étendre ainsi le champ d’application de la directive TVA à ces personnes.
54. De même, l’expression « autres obligations » me semble présupposer qu’il existe déjà des obligations au sens de la directive TVA que l’article 273 de celle-ci permet de compléter pour certaines raisons. D’après moi, cette formulation ne permet donc pas de créer des obligations nouvelles à la charge de personnes qui, jusque-là, ne relevaient pas de la directive TVA.
55. Cette conclusion est en harmonie avec l’économie et l’objectif de la directive TVA. En effet, celle-ci régit le droit (matériel) de la TVA, c’est-à-dire la naissance de la dette de TVA dans le chef d’un assujetti. C’est pour cette raison que le fait générateur de base (article 2, paragraphe 1, de la directive TVA) est une livraison ou prestation d’un assujetti. L’article 9 de la directive TVA définit ensuite qui a la qualité d’assujetti. Ce sont uniquement des personnes qui accomplissent
une activité économique d’une façon indépendante. N’en relèvent pas, par principe, les organes salariés d’une société (16).
56. Par ailleurs, l’article 273 figure dans le chapitre 7 (« Dispositions diverses ») du titre XI de la directive TVA, intitulé « Obligations des assujettis et de certaines personnes non assujetties ». Tandis que l’article 272 de la directive TVA permet de dispenser certains assujettis de certaines obligations ou de toute obligation visées aux chapitres 2 à 6, l’article 273 étend les obligations en y ajoutant d’autres obligations. Compte tenu de l’économie de la directive, cela peut donc
uniquement viser les obligations des assujettis et de certaines personnes non assujetties relevant du titre XI.
57. Si le champ d’application de la directive TVA n’englobe en principe (17) pas de personnes qui ne sont pas assujetties à la TVA, alors l’article 273 de cette directive peut difficilement autoriser les États membres à prévoir des obligations particulières (d’autres obligations) à la charge de personnes qui, jusque-là, ne relevaient pas de ladite directive au seul motif que cela permet également de garantir les recettes fiscales et d’éviter des fraudes. Ainsi, les demandes de décision
préjudicielle relatives à l’article 273 de la directive TVA dont la Cour a été saisie portaient toutes sur des cas dans lesquels des obligations supplémentaires ou sanctions avaient été imposées à un assujetti (18).
58. Les obligations ne peuvent être étendues sur le fondement de l’article 273 de la directive TVA qu’à des personnes qui, bien qu’elles n’aient pas la qualité d’assujetti, relèvent néanmoins déjà de la directive TVA. Un exemple en sont les personnes morales non assujetties qui sont identifiées à la TVA et peuvent de ce fait également devenir redevables de la TVA [voir article 197, paragraphe 1, sous b), de la directive TVA].
59. C’est ce que l’article 273, deuxième alinéa, de la directive TVA montre lui aussi. En effet, la faculté prévue au premier alinéa « ne peut être utilisée pour imposer des obligations de facturation supplémentaires à celles fixées au chapitre 3 [(“Facturation”) du titre XI (“Obligations des assujettis et de certaines personnes non assujetties”)] ». Les obligations y mentionnées concernent elles aussi uniquement des assujettis et certaines personnes non assujetties relevant déjà de la
directive.
60. Cette analyse s’impose tout spécialement au regard de l’article 205 de la directive TVA. Comme celui-ci s’applique expressément uniquement à certains cas de figure, une extension à d’autres cas de figure ne pourra que difficilement être justifiée en invoquant l’article 273 de la directive TVA. Ainsi, si le client répondait solidairement de la dette de TVA de l’entreprise prestataire, cela serait certes utile pour garantir les recettes fiscales et éviter la fraude. C’est également le cas de
la responsabilité de tout voleur dont le vol a pour effet de mettre la victime dans l’impossibilité d’acquitter ses dettes de TVA. Le texte de l’article 273 de la directive TVA n’autorise toutefois pas de faire peser une telle responsabilité sur des personnes non assujetties.
b) La responsabilité est-elle nécessaire à une exacte perception de la TVA et pour éviter la fraude fiscale ?
61. La question se pose en outre, déjà, de savoir si la responsabilité en vertu de l’article 19, paragraphe 2, du DOPK est même propre à garantir l’exacte perception de la TVA et éviter des fraudes fiscales.
62. Cela reste en effet une obligation générale – pesant en l’occurrence même sur une personne non assujettie – de répondre de la taxe due par un tiers. Le montant dû par le requérant n’est donc pas une taxe sur la valeur ajoutée. Celle-ci est toujours due par l’assujetti. C’est ce que montre l’article 21, paragraphe 3, du DOPK. Aux termes de ce dernier, la responsabilité devient caduque dès que la dette fiscale s’éteint et les montants déjà versés sont remboursés à la personne répondant de la
dette. Le paiement par la personne répondant de la dette n’a donc même pas pour effet d’éteindre la dette fiscale.
63. Or, si ce qui est dû par le requérant n’est pas la TVA, la responsabilité en vertu de l’article 19, paragraphe 2, du DOPK ne peut pas non plus assurer l’exacte perception de la TVA. Ce que cette responsabilité vise à sanctionner ou empêcher est une diminution de mauvaise foi du patrimoine de la société, qui n’est de ce fait pas en mesure d’acquitter ses dettes (en l’occurrence, ses dettes fiscales). La responsabilité en vertu de l’article 19, paragraphe 2, du DOPK ne fait donc pas obstacle
à la perception exacte de la TVA, pas plus qu’elle n’y contribue. En effet, la TVA doit toujours être perçue auprès de l’assujetti, et son montant est resté exactement le même.
64. En outre, cette responsabilité d’une personne non assujettie ne permet pas non plus d’empêcher une fraude fiscale de la part de l’assujetti. Elle est attachée au seul non‑paiement de l’impôt en conséquence de l’insuffisance du patrimoine de l’assujetti. Or, le simple fait de ne pas payer un impôt dûment déclaré ne saurait être considéré comme une fraude fiscale (19). Les conditions d’application de l’article 273 de la directive TVA ne sont donc pas non plus réunies à cet égard.
B. Conclusion intermédiaire
65. L’article 19, paragraphe 2, du DOPK ne constitue donc pas – comme le gouvernement bulgare l’a souligné – une mise en œuvre du droit de l’Union. Il ne sanctionne pas une violation des dispositions de la directive TVA, mais une violation des obligations de loyauté envers la société. Cette violation a tout au plus une incidence indirecte sur le paiement de la TVA par un tiers.
66. Or, ainsi que je l’ai déjà exposé ailleurs, toute relation indirecte avec le droit de la TVA n’est pas suffisante pour qu’une situation relève du champ d’application du droit de l’Union (20). Cette approche est conforme à celle suivie par la Cour pour déterminer le champ d’application de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (21). L’applicabilité de la charte des droits fondamentaux présuppose, elle aussi, l’existence d’un lien de rattachement entre un acte du droit de
l’Union et la mesure nationale en cause, qui dépasse le voisinage des matières visées ou les incidences indirectes de l’une des matières sur l’autre.
67. La Cour n’a par conséquent pas compétence pour répondre aux questions qui lui ont été déférées dans la présente affaire. La responsabilité solidaire générale de l’organe d’une société (une personne non assujettie au sens de la directive TVA) en raison d’un comportement préjudiciable à la société (en l’occurrence, le fait de s’être accordé un salaire d’un montant inapproprié) qui est à l’origine du non‑paiement de dettes fiscales échues de la société ne relève pas de la directive TVA, ni du
champ d’application du droit de l’Union. Il en va également ainsi si les dettes fiscales de la société qui sont restées impayées ou n’ont été payées que tardivement comprennent des dettes de TVA ou des intérêts sur des dettes de TVA payées tardivement.
C. À titre subsidiaire : Le droit de l’Union fait-il obstacle à une obligation solidaire de répondre de dettes de TVA, y compris les intérêts ?
68. Dans l’hypothèse, toutefois, où la Cour considérerait la responsabilité prévue par l’article 19, paragraphe 2, du DOPK comme étant une mise en œuvre de la directive TVA et s’estimerait par conséquent compétente pour connaître des questions préjudicielles, il est possible de répondre comme suit aux trois questions posées par la juridiction de renvoi : Le droit de l’Union n’exige aucune telle responsabilité, mais il n’y fait pas non plus obstacle.
69. Selon la Cour, concernant une responsabilité conformément à l’article 205 de la directive TVA, le fait que la responsabilité couvre non seulement la dette fiscale d’un tiers, mais également les intérêts de retard n’appelle pas de réserves (22). En effet, même si, d’après le libellé de l’article 205 de la directive TVA, la responsabilité solidaire prévue à cet article ne porte que sur l’acquittement de la TVA, cette disposition n’exclut pas que les États membres puissent mettre à la charge
du débiteur solidaire l’ensemble des éléments afférents à cette taxe. Cela inclut également les intérêts moratoires dus en raison du défaut de paiement de ladite taxe par le redevable de cette dernière (23).
70. Il en va, d’après moi – tout comme de l’avis de la Commission et du gouvernement espagnol –, également ainsi dans le cas où, comme en l’occurrence, l’adjonction d’une responsabilité peut être fondée sur l’article 273 de la directive TVA. Si l’organe de la société a causé, par son propre comportement (en s’octroyant un salaire inapproprié), l’incapacité de la société d’acquitter sa dette de TVA dans les délais, le faire répondre de ces taxes impayées et de l’enrichissement d’un tiers en
résultant (avantage lié aux intérêts) poursuit un objectif légitime (sécuriser le patrimoine de la société par l’obligation de répondre des taxes dues ainsi que du préjudice de retard qui en résulte).
71. Cette responsabilité satisfait également aux autres conditions liées au principe de proportionnalité (24). Elle est appropriée et nécessaire à la réalisation de cet objectif. Il ne semble pas exister de moyen tout aussi approprié qui soit moins contraignant. Dans la mesure où cela frappe la personne qui en est responsable, qui s’est personnellement enrichie en conséquence de l’appauvrissement de la société qui était la cause du non‑paiement de la dette fiscale et de la dette d’intérêts, une
telle responsabilité est bien un moyen approprié.
VI. Conclusion
72. Je propose par conséquent à la Cour de répondre comme suit à l’Administrativen sad Veliko Tarnovo (tribunal administratif de Veliko Tarnovo, Bulgarie) :
La responsabilité solidaire générale d’un organe d’une société (une personne non assujettie au sens de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée) en raison d’un comportement préjudiciable à la société (en l’occurrence, le fait de s’être accordé un salaire d’un montant inapproprié), qui est à l’origine du non‑paiement de dettes fiscales échues de la société, ne relève pas de la directive TVA, ni du champ d’application du droit
de l’Union. La Cour n’a dès lors pas compétence pour répondre aux questions qui lui ont été déférées.
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1 Langue originale : l’allemand.
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2 Arrêt du 26 février 2013 (C‑617/10, EU:C:2013:105).
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3 Voir, par exemple, déclarations du Bundesverfassungsgericht (Cour constitutionnelle fédérale, Allemagne) dans l’arrêt du 24 avril 2013, « Antiterrordatei » (fichier anti-terrorisme) (1 BVR 1215/07, BVerfGE 133, 277, DE :BVerfG :2013 :rs20130424.1bvr121507, point 91). Un point de vue très critique est également exprimé par Widmann, W., « Geltung der EU‑Grundrechte-Charta bei der Sanktion mehrwertsteuerlicher Verfehlungen », Umsatzsteuer‑Rundschau 2014, p. 5 (p. 6 et 7).
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4 Dans sa version en vigueur au cours de l’année litigieuse (l’année 2014).
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5 JO 1995, C 316, p. 49.
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6 Arrêts du 19 novembre 2019, A. K. e.a. (Indépendance de la chambre disciplinaire de la Cour suprême) (C‑585/18, C‑624/18 et C‑625/18, EU:C:2019:982, point 77), ainsi que du 15 novembre 2016, Ullens de Schooten (C‑268/15, EU:C:2016:874, point 40).
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7 Arrêt du 26 février 2013, Åkerberg Fransson (C‑617/10, EU:C:2013:105, point 22), ainsi qu’ordonnance du 12 juillet 2012, Currà e.a. (C‑466/11, EU:C:2012:465, point 26).
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8 Arrêt du 26 février 2013, Åkerberg Fransson (C‑617/10, EU:C:2013:105, point 28).
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9 Arrêts du 8 mars 2022, Commission/Royaume-Uni (Lutte contre la fraude à la sous-évaluation) (C‑213/19, EU:C:2022:167, points 208 et suiv.) ; du 14 octobre 2021, Ministerul Lucrărilor Publice, Dezvoltării şi Administraţiei (C‑360/20, EU:C:2021:856, point 36), ainsi que du 26 février 2013, Åkerberg Fransson (C‑617/10, EU:C:2013:105, point 26).
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10 Arrêt du 5 décembre 2017, M.A.S. et M.B. (C‑42/17, EU:C:2017:936, point 32) ; voir, en ce sens, arrêt du 7 avril 2016, Degano Trasporti (C‑546/14, EU:C:2016:206, point 21).
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11 Arrêt du 8 mars 2022, Commission/Royaume-Uni (Lutte contre la fraude à la sous‑évaluation) (C‑213/19, EU:C:2022:167, point 211).
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12 Arrêt du 26 février 2013, Åkerberg Fransson (C‑617/10, EU:C:2013:105).
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13 Arrêt du 26 février 2013, Åkerberg Fransson (C‑617/10, EU:C:2013:105, point 27), confirmé par arrêts du 8 septembre 2015, Taricco e.a. (C‑105/14, EU:C:2015:555, points 39 et suiv.), ainsi que du 5 décembre 2017, M.A.S. et M.B. (C‑42/17, EU:C:2017:936, points 32 et suiv.).
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14 Arrêt du 14 octobre 2021, Ministerul Lucrărilor Publice, Dezvoltării şi Administraţiei (C‑360/20, EU:C:2021:856, point 29).
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15 En ce sens, arrêt du 20 mai 2021, ALTI (C‑4/20, EU:C:2021:397, point 28).
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16 Voir même, concernant un membre non salarié du conseil de surveillance, arrêt du 13 juin 2019, IO (TVA – Activité de membre d’un conseil de surveillance) (C‑420/18, EU:C:2019:490).
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17 Il existe des exceptions, par exemple, en ce qui concerne les personnes morales non assujetties, dans la mesure où celles-ci effectuent, par exemple, également des acquisitions intracommunautaires [voir article 2, paragraphe 1, sous b), et article 20, paragraphe 2, de la directive TVA] ou peuvent devenir redevables de la TVA [voir article 197, paragraphe 1, sous b), de la directive TVA].
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18 Voir ordonnance du 21 octobre 2021, EuroChem Agro Hungary (C‑583/20, non publiée, EU:C:2021:919, point 25) ; arrêts du 15 avril 2021, Grupa Warzywna (C‑935/19, EU:C:2021:287, point 24) ; du 8 mai 2019, EN.SA. (C‑712/17, EU:C:2019:374) ; du 26 octobre 2017, BB construct (C‑534/16, EU:C:2017:820, point 22 concernait la garantie à constituer par de nouveaux assujettis) ; du 19 octobre 2017, Paper Consult (C‑101/16, EU:C:2017:775, point 55) ; du 5 octobre 2016, Maya Marinova (C‑576/15,
EU:C:2016:740, point 42), ainsi que du 21 juin 2012, Mahagében et Dávid (C‑80/11 et C‑142/11, EU:C:2012:373, point 54 parle d’opérateurs, point 61 d’assujettis).
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19 Arrêt du 2 mai 2018, Scialdone (C‑574/15, EU:C:2018:295, points 39 et 40) ; à cet égard, voir également, en détail, mes conclusions dans l’affaire HA.EN. (C‑227/21, EU:C:2022:364, points 35 et suiv.).
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20 Voir mes conclusions dans les affaires jointes Belgische Staat (C‑469/18 et C‑470/18, EU:C:2019:597, point 65). À ce sujet, voir également arrêt du 24 octobre 2019, Belgische Staat (C‑469/18 et C‑470/18, EU:C:2019:895, point 18).
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21 Arrêts du 6 octobre 2016, Paoletti e.a. Paoletti e.a. (C‑218/15, EU:C:2016:748, point 14) ; du 10 juillet 2014, Julián Hernández e.a. (C‑198/13, EU:C:2014:2055, point 34), ainsi que du 6 mars 2014, Siragusa (C‑206/13, EU:C:2014:126, point 24).
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22 Arrêt du 20 mai 2021, ALTI (C‑4/20, EU:C:2021:397, points 40 et suiv.).
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23 Arrêt du 20 mai 2021, ALTI (C‑4/20, EU:C:2021:397, point 42) ; la Cour n’a pas retenu l’interprétation plus étroite de l’article 205 de la directive TVA que j’avais proposée, voir mes conclusions dans l’affaire ALTI (C‑4/20, EU:C:2021:12, points 31 et suiv.).
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24 À titre d’exemples : arrêts du 26 octobre 2010, Schmelz (C‑97/09, EU:C:2010:632, point 57), et du 27 janvier 2009, Persche (C‑318/07, EU:C:2009:33, point 52).