CONCLUSIONS DE L’AVOCATE GÉNÉRALE
MME JULIANE KOKOTT
présentées le 22 septembre 2022 ( 1 )
Affaire C‑312/21
Tráficos Manuel Ferrer S.L.,
Ignacio
contre
Daimler AG
[demande de décision préjudicielle formée par le Juzgado de lo Mercantil no 3 de Valencia (tribunal de commerce no 3 de Valence, Espagne)]
« Renvoi préjudiciel – Concurrence – Droit des ententes – Mise en œuvre du droit sur l’initiative de la sphère privée – “Cartel des camions” – Article 101 TFUE – Principe d’effectivité – Directive 2014/104/UE – Règles nationales relatives au partage des dépens – Asymétries d’information – Caractère pratiquement impossible ou excessivement difficile de la quantification du préjudice – Estimation du montant du dommage »
I. Introduction
1. Un requérant demandant l’indemnisation d’un préjudice causé par une entente peut-il raisonnablement se voir imposer de payer la moitié des frais de justice s’il obtient partiellement gain de cause, ou une telle exigence nuit-elle de manière excessive à la mise en œuvre du droit à réparation du dommage causé par l’entente ? Et une juridiction nationale peut-elle estimer le montant du dommage causé par une entente lorsque les requérants ont eu accès aux données sur lesquelles se fondait le rapport
d’expertise de la défenderesse au sujet du préjudice et lorsque la demande d’indemnisation porte également sur des biens que les requérants ont acquis non pas auprès de la défenderesse, mais auprès d’autres participants à l’entente ?
2. Telles sont, en substance, les questions dont la Cour est saisie dans le cadre de la présente demande de décision préjudicielle. Elles se posent dans le contexte de ce qu’il est convenu d’appeler le « cartel des camions », qui a donné lieu à nombre d’actions en dommages-intérêts, notamment en Espagne, et dont la Cour a eu ou aura encore à connaître dans d’autres procédures ( 2 ).
3. Les présentes questions sont liées aux problèmes fondamentaux bien connus de l’indemnisation des dommages causés par les ententes, qui concernent notamment l’asymétrie de l’information entre les personnes lésées et les participants à l’entente, ainsi que les difficultés liées à la production des preuves de l’existence du préjudice et à sa quantification. La directive 2014/104/UE ( 3 ) vise à remédier à ces problèmes. Les dispositions pertinentes de cette directive sont applicables en l’espèce et
il est donc possible de s’y référer pour répondre aux questions préjudicielles.
II. Le cadre juridique
A. Le droit de l’Union
4. Outre l’article 101 TFUE, c’est la directive 2014/104 qui constitue le cadre juridique de l’Union dans la présente affaire.
5. Les considérants 14 et 15 de cette directive concernent les difficultés de preuve dans les actions privées en dommages et intérêts visant à réparer les préjudices causés par les ententes :
« (14) Les actions en dommages et intérêts pour infraction au droit de la concurrence de l’Union ou au droit national de la concurrence requièrent habituellement une analyse factuelle et économique complexe. Dans bien des cas, les preuves nécessaires pour démontrer le bien-fondé d’une demande de dommages et intérêts sont détenues exclusivement par la partie adverse ou des tiers et ne sont pas suffisamment connues du demandeur, ou celui-ci n’y a pas accès. Dans ces circonstances, des exigences
juridiques strictes faisant obligation aux demandeurs d’exposer précisément tous les faits de l’affaire au début de l’instance et de produire des éléments de preuve bien précis à l’appui de leur demande peuvent indûment empêcher l’exercice effectif du droit à réparation garanti par le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.
(15) Les preuves constituent un élément important lorsqu’il s’agit d’engager une action en dommages et intérêts pour infraction au droit national de la concurrence ou à celui de l’Union. Cependant, les litiges ayant trait au droit de la concurrence se caractérisant par une asymétrie de l’information, il y a lieu de veiller à ce que les demandeurs disposent du droit d’obtenir la production des preuves qui se rapportent à leur demande, sans avoir à désigner des éléments de preuve précis. Afin de
garantir l’égalité des armes entre les parties à une action en dommages et intérêts, ces moyens devraient aussi être accessibles aux défendeurs dans les actions en dommages et intérêts, de sorte qu’ils puissent demander aux demandeurs de produire des preuves. Les juridictions nationales devraient également pouvoir ordonner la production d’éléments de preuve par des tiers, y compris des autorités publiques. [...] »
6. Les considérants 45 et 46 de la directive 2014/104 expliquent le problème de la quantification des préjudices individuels causés par les ententes :
« (45) Une partie lésée qui a prouvé qu’elle a subi un préjudice causé par une infraction au droit de la concurrence doit encore démontrer l’étendue de ce préjudice pour pouvoir obtenir des dommages et intérêts. La quantification du préjudice dans des affaires relevant du droit de la concurrence est un processus qui repose sur un grand nombre de données factuelles et qui peut nécessiter l’application de modèles économiques complexes. Ce processus est souvent très coûteux, et les demandeurs ont
des difficultés à obtenir les données nécessaires pour étayer leurs demandes. La quantification du préjudice dans des affaires relevant du droit de la concurrence peut donc, en tant que telle, constituer un obstacle majeur à l’effectivité des demandes en réparation.
(46) À défaut de règles de l’Union relatives à la quantification du préjudice causé par une infraction au droit de la concurrence, il appartient à l’ordre juridique interne de chaque État membre de déterminer ses propres règles en matière de quantification du préjudice, et il appartient aux États membres et aux juridictions nationales de déterminer les exigences auxquelles le demandeur doit satisfaire lorsqu’il apporte la preuve du montant du préjudice subi, les méthodes autorisées pour
quantifier le montant et les conséquences de l’incapacité de respecter pleinement ces exigences. Les exigences du droit national relatives à la quantification du préjudice dans des affaires relevant du droit de la concurrence ne devraient cependant pas être moins favorables que celles qui régissent les actions nationales similaires (principe de l’équivalence), ni rendre pratiquement impossible ou excessivement difficile l’exercice du droit, conféré par l’Union, à des dommages et intérêts
(principe d’effectivité). Il convient de tenir compte de toute asymétrie de l’information entre les parties et du fait que la quantification du préjudice nécessite d’évaluer la manière dont aurait évolué le marché concerné en l’absence d’infraction. Cette évaluation suppose une comparaison avec une situation qui est hypothétique par définition et ne peut donc jamais être absolument exacte. Il convient donc de veiller à ce que les juridictions nationales aient le pouvoir d’évaluer le montant
du préjudice causé par l’infraction au droit de la concurrence. [...] »
7. L’article 5, paragraphe 1, de la directive 2014/104 régit l’injonction qu’ordonne une juridiction de produire des éléments de preuve :
« Les États membres veillent à ce que, dans les procédures relatives aux actions en dommages et intérêts intentées dans l’Union à la requête d’un demandeur qui a présenté une justification motivée contenant des données factuelles et des preuves raisonnablement disponibles suffisantes pour étayer la plausibilité de sa demande de dommages et intérêts, les juridictions nationales soient en mesure d’enjoindre au défendeur ou à un tiers de produire des preuves pertinentes qui se trouvent en leur
possession, sous réserve des conditions énoncées au présent chapitre. Les États membres veillent à ce que les juridictions nationales puissent, à la demande du défendeur, enjoindre au demandeur ou à un tiers de produire des preuves pertinentes. [...] »
8. L’article 17 de la directive 2014/104 s’intitule « Quantification du préjudice » et son paragraphe 1 dispose :
« Les États membres veillent à ce que ni la charge ni le niveau de la preuve requis pour la quantification du préjudice ne rendent l’exercice du droit à des dommages et intérêts pratiquement impossible ou excessivement difficile. Les États membres veillent à ce que les juridictions nationales soient habilitées, conformément aux procédures nationales, à estimer le montant du préjudice, s’il est établi qu’un demandeur a subi un préjudice, mais qu’il est pratiquement impossible ou excessivement
difficile de quantifier avec précision le préjudice subi sur la base des éléments de preuve disponibles. »
9. L’article 22 de la directive 2014/104 régit l’applicabilité de celle-ci dans le temps :
« 1. Les États membres veillent à ce que les dispositions nationales adoptées en application de l’article 21 afin de se conformer aux dispositions substantielles de la présente directive ne s’appliquent pas rétroactivement.
2. Les États membres veillent à ce qu’aucune disposition nationale adoptée en application de l’article 21, autre que celles visées au paragraphe 1, ne s’applique aux actions en dommages et intérêts dont une juridiction nationale a été saisie avant le 26 décembre 2014. »
B. Le droit espagnol
10. L’article 394, paragraphes 1 et 2, de la Ley 1/2000 de Enjuiciamiento Civil (loi 1/2000 portant code de procédure civile), du 7 janvier 2000 (BOE no 7, du 8 janvier 2000, p. 575), dans sa version applicable en l’espèce (ci-après la « LEC »), dispose :
« 1. Dans les procédures déclaratives, les dépens en première instance incombent à la partie dont tous les chefs de demande ont été rejetés, sauf si le tribunal apprécie, en le justifiant dûment, que l’affaire soulevait de sérieux doutes en fait ou en droit.
[...]
2. En cas d’accueil ou de rejet partiel des chefs de demande, chaque partie paiera les frais liés à son instance et supportera par moitié les frais communs sauf juste motif de condamner l’une des parties aux dépens pour procédure abusive. »
11. Le 27 mai 2017, soit cinq mois après l’expiration du délai de transposition de la directive 2014/104, le 27 décembre 2016, est entré en vigueur, pour la transposition de cette directive en droit espagnol, le Real Decreto-ley 9/2017, por el que se transponen directivas de la Unión Europea en los ámbitos financiero, mercantil y sanitario, y sobre el desplazamiento de trabajadores (décret-loi royal 9/2017 portant transposition de directives de l’Union européenne en matière financière, commerciale
et de santé, ainsi que sur le détachement de travailleurs), du 26 mai 2017 (BOE no 126, du 27 mai 2017, p. 42820).
12. La transposition de la directive 2014/104 a notamment conduit à l’introduction de l’article 283 bis de la LEC, qui correspond à l’article 5 de cette directive.
III. Le litige au principal
13. Le 11 octobre 2019, M. Ignacio et la société espagnole Tráficos Manuel Ferrer S.L. (ci-après les « requérants ») ont introduit une action civile en dommages-intérêts contre Daimler AG (ci-après « Daimler » ou la « défenderesse »), fondée sur l’article 101 TFUE et l’article 1902 du code civil espagnol.
14. Cette action a pour toile de fond l’infraction au droit de la concurrence commise par la défenderesse et constatée dans la décision de la Commission du 19 juillet 2016 ( 4 ), laquelle avait consisté en une action concertée avec d’autres producteurs européens de camions au cours des années 1997 à 2011 (le « cartel des camions »). Il s’agissait d’accords visant à fixer et à augmenter les prix bruts de certains types de camions et à répercuter les coûts d’introduction de nouvelles technologies
visant à éviter les émissions polluantes.
15. À l’appui de leur recours, les requérants font valoir qu’ils ont acheté, pendant la durée de l’entente, des camions de marque Mercedes, Renault et Iveco, concernés par le comportement des constructeurs de poids lourds qu’avait sanctionné la Commission européenne. Les camions de marque Mercedes sont fabriqués par la défenderesse au principal.
16. En conséquence des accords anticoncurrentiels sur les prix, les requérants affirment avoir subi des dommages consistant en un surcoût des véhicules achetés. C’est ce dont atteste, selon eux, un rapport d’expertise quantifiant le préjudice subi. La défenderesse a contesté cette expertise en présentant son propre rapport d’expertise, dont il ressort que les bases, les hypothèses et la méthodologie retenues dans le rapport d’expertise des requérants seraient erronées. La défenderesse a ensuite
donné aux requérants l’accès à toutes les données prises en compte dans son rapport d’expertise. Les requérants ont alors produit un autre « rapport technique » sur les résultats obtenus grâce à l’accès aux données de la défenderesse, sans toutefois reformuler leur propre rapport d’expertise.
17. Une demande formée par la défenderesse en vue d’une intervention forcée de Renault Trucks SAS et Iveco SPA (fabricants des autres camions achetés par les requérants) a par ailleurs été rejetée par la juridiction de renvoi au motif que les conditions légales de l’intervention forcée n’étaient pas remplies ; la procédure n’a ainsi été poursuivie que contre Daimler.
IV. Les questions préjudicielles et la procédure devant la Cour
18. C’est dans ces conditions que le Juzgado de lo Mercantil no 3 de Valencia (tribunal de commerce no 3 de Valence, Espagne) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour, par décision du 10 mai 2021, parvenue à la Cour le 19 mai 2021, les questions préjudicielles suivantes :
« 1) Le droit à réparation intégrale d’une personne lésée par un comportement anticoncurrentiel visé à l’article 101 TFUE et la jurisprudence l’interprétant admettent-ils l’existence d’un régime tel que celui prévu à l’article 394, paragraphe 2, de la [LEC], qui permet qu’une telle personne lésée supporte une partie des dépens procéduraux en fonction du montant des sommes indûment payées en raison d’un surcoût qui lui sont restituées du fait de l’accueil partiel de sa demande de réparation, qui,
en tant que condition de fond, suppose l’existence d’une infraction aux règles de concurrence et un lien de causalité entre celle-ci et la survenance d’un préjudice, qui est effectivement reconnu, quantifié et indemnisé à l’issue de cette procédure ?
2) Le pouvoir dont dispose la juridiction nationale pour estimer le montant du préjudice permet-il de procéder à la quantification de celui-ci de manière subsidiaire et autonome, en raison de la constatation d’une situation d’asymétrie de l’information ou de difficultés de quantification insurmontables, qui ne doivent pas faire obstacle au droit à réparation intégrale de la personne lésée par une pratique anticoncurrentielle au titre de l’article 101 TFUE, en lien avec l’article 47 de la charte
des droits fondamentaux de l’Union européenne, même si la personne lésée par une infraction aux règles de concurrence consistant en une entente à l’origine d’un surcoût a eu accès, au cours de la procédure, aux informations sur lesquelles le défendeur lui-même fonde son rapport d’expertise afin d’exclure l’existence d’un préjudice indemnisable ?
3) Le pouvoir dont dispose la juridiction nationale pour estimer le montant du préjudice permet-il de procéder à la quantification de celui-ci de manière subsidiaire et autonome, en raison de la constatation d’une situation d’asymétrie de l’information ou de difficultés de quantification insurmontables, qui ne doivent pas faire obstacle au droit à réparation intégrale de la personne lésée par une pratique anticoncurrentielle au titre de l’article 101 TFUE, en lien avec l’article 47 de la charte
des droits fondamentaux, même si la personne lésée par une infraction aux règles de concurrence consistant en une entente à l’origine d’un surcoût dirige sa demande de réparation contre l’un des destinataires de la décision administrative [constatant l’infraction] qui est solidairement responsable des dommages concernés, mais qui n’a pas commercialisé le produit ou service acquis par ladite personne lésée ? »
19. Au cours de la procédure devant la Cour, les requérants, Daimler, le gouvernement espagnol et la Commission ont présenté des observations écrites.
V. Analyse
20. Avant d’analyser au fond la demande de décision préjudicielle (section B), il convient d’examiner les objections du gouvernement espagnol quant à la recevabilité de celle-ci (section A).
A. Recevabilité de la demande de décision préjudicielle
21. Le gouvernement espagnol conteste tant la compétence de la Cour pour répondre aux questions préjudicielles (sous-section 1) que la recevabilité de celles-ci (sous-section 2).
1. Sur la compétence de la Cour
22. Le gouvernement espagnol fait en premier lieu valoir que la Cour n’est pas compétente pour répondre à la première question préjudicielle, au motif que celle‑ci ne relèverait pas du champ d’application du droit de l’Union. Il relève que l’article 394, paragraphe 2, de la LEC régit, de manière générale, la répartition des dépens en matière de litiges et ne met pas en œuvre des dispositions du droit de l’Union. Le fait que le litige au fond porte sur le droit de l’Union n’y changerait rien, puisque
l’article 101 TFUE ne saurait avoir d’incidence sur la réglementation des dépens en droit national.
23. Cette objection ne saurait prospérer.
24. Certes, en l’absence d’harmonisation du droit de la procédure civile, la réglementation relative aux actions entamées pour faire valoir des prétentions de droit civil relève de l’ordre juridique interne des États membres en vertu du principe de l’autonomie procédurale ( 5 ). La directive 2014/104 ne comporte d’ailleurs pas non plus de règles concrètes sur la condamnation aux dépens.
25. Toutefois, même si elles relèvent de l’ordre juridique interne de chaque État membre en vertu du principe d’autonomie procédurale, les modalités procédurales destinées à assurer la sauvegarde des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union relèvent du champ d’application du droit de l’Union dans la mesure où elles doivent respecter les principes d’équivalence et d’effectivité ( 6 ). Ainsi la Cour est‑elle compétente pour donner à la juridiction de renvoi des indications lui permettant
de décider si les règles nationales concernées sont compatibles avec ces principes ( 7 ).
26. Étant donné que l’affaire au principal porte sur des droits à dommages et intérêts fondés sur l’article 101 TFUE, le recours au principal vise à faire valoir des droits découlant du droit de l’Union, et ses modalités d’exécution en droit national doivent être appréciées à l’aune des principes d’équivalence et d’effectivité du droit de l’Union. La situation juridique dans le litige au principal est donc couverte par le droit de l’Union ( 8 ).
27. En second lieu, le gouvernement espagnol considère que la Cour est également incompétente pour répondre aux deuxième et troisième questions préjudicielles, au motif qu’il appartient à la seule juridiction de renvoi d’interpréter les dispositions nationales relatives aux modes de preuve et d’apprécier s’il existe en l’espèce une asymétrie de l’information entre les parties, et si les possibilités en matière d’administration de la preuve ont été suffisamment exploitées.
28. Cette objection ne saurait davantage être retenue. En effet, les deuxième et troisième questions préjudicielles portent également sur les exigences du droit de l’Union en ce qui concerne l’effectivité de la mise en œuvre du droit à réparation découlant de l’article 101 TFUE. En outre, les deuxième et troisième questions préjudicielles portent sur l’interprétation de l’article 17, paragraphe 1, de la directive 2014/104, qui, contrairement à la thèse du gouvernement espagnol, est applicable en
l’espèce, ainsi que nous le verrons dans la partie suivante des présentes conclusions.
2. Sur la recevabilité des questions préjudicielles
a) Sur l’applicabilité de la directive 2014/104 dans l’affaire au principal
29. Le gouvernement espagnol fait valoir que les deuxième et troisième questions préjudicielles sont irrecevables en ce qu’elles portent sur le pouvoir de quantifier le préjudice conformément à l’article 17 de la directive 2014/104. Or cette disposition ne serait pas applicable dans le cadre de l’affaire au principal.
30. Si la juridiction de renvoi n’a certes pas fait référence à l’article 17 de la directive 2014/104 dans l’énoncé de ses questions préjudicielles, elle n’en a pas moins mentionné cette disposition dans les motifs de l’ordonnance de renvoi. Au surplus, la Cour est en tout état de cause tenue de prendre en considération les dispositions pertinentes du droit de l’Union afin de fournir une réponse utile à la juridiction de renvoi ( 9 ).
31. La question de savoir si l’article 17 de la directive 2014/104 est applicable ratione temporis découle de l’article 22 de celle-ci. En vertu de l’article 22, paragraphe 1, de cette directive, les dispositions nationales adoptées en vue de transposer les dispositions substantielles de ladite directive ne peuvent s’appliquer rétroactivement. En revanche, en vertu de son paragraphe 2, les dispositions transposant la même directive autres que celles visées au paragraphe 1 peuvent s’appliquer dans le
cadre d’actions introduites après l’entrée en vigueur de la directive le 26 décembre 2014.
32. Comme l’avocat général Szpunar l’a indiqué dans ses conclusions dans l’affaire PACCAR e.a., il ressort de l’économie de l’article 22 de la directive 2014/104 « que la référence à “une disposition nationale [...] autre que [la disposition substantielle]”, au sens de l’article 22, paragraphe 2, de [cette] directive, concerne une disposition procédurale » ( 10 ).
33. Dans son arrêt dans l’affaire Volvo et DAF Trucks, la Cour a déclaré que (contrairement à la thèse du gouvernement espagnol dans la présente procédure, qu’il a toutefois exprimée avant que cet arrêt ne soit rendu) le point de savoir quelles sont, parmi les dispositions de la directive 2014/104, celles qui sont substantielles et celles qui ne le sont pas doit être apprécié au regard du droit de l’Union et non pas au regard du droit national applicable. En effet, l’article 22 de cette directive ne
comporte pas de renvoi au droit national ( 11 ).
34. La Cour a en outre jugé, dans cet arrêt, d’une part, que l’article 17, paragraphe 1, de la directive 2014/104, qui concerne la possibilité de quantifier le préjudice et qui est en cause en l’espèce, a un caractère procédural ( 12 ). Elle y a d’autre part constaté que cette disposition est applicable ratione temporis à une action en dommages et intérêts introduite après le 26 décembre 2014 et après la date de transposition de la directive 2014/104 en droit national. Cette dernière date est
pertinente, car, en l’absence de dispositions nationales de transposition, l’application des dispositions de la directive à l’encontre de particuliers serait problématique, du moins avant l’expiration du délai de transposition de la directive ( 13 ).
35. Ainsi, les dispositions nationales transposant l’article 17, paragraphe 1, de la directive 2014/104 sont applicables dans l’affaire au principal, conformément à l’article 22, paragraphe 2, de celle-ci. Le recours y a en effet été introduit le 11 octobre 2019, c’est-à-dire postérieurement au 26 décembre 2014 et à la date de transposition de la directive en droit espagnol, le 27 mai 2017 (voir points 11 et 13 des présentes conclusions).
36. L’applicabilité dans le temps des autres dispositions de la directive 2014/104 qui pourraient être pertinentes en l’espèce doit, le cas échéant, être examinée dans le cadre de l’appréciation au fond des questions préjudicielles.
37. Il convient de relever à titre liminaire que, dans la mesure où les dispositions de la directive 2014/104 codifient de manière purement déclaratoire des principes qu’avait auparavant déjà consacrés la jurisprudence ( 14 ), ces principes restent applicables, sans qu’il soit nécessaire de déterminer si les dispositions correspondantes de cette directive doivent être qualifiées de « substantielles » au sens de son article 22, paragraphe 1.
38. Par ailleurs, les questions préjudicielles sont en tout état de cause recevables, indépendamment de l’applicabilité de la directive 2014/104. En effet, à supposer même que certaines dispositions de cette directive ne soient pas applicables ratione temporis, il convient de répondre à ces questions à l’aune de l’article 101 TFUE, lu en combinaison avec le principe d’effectivité.
b) Sur la prescription en ce qui concerne le recours au principal
39. Contrairement à ce que soutient le gouvernement espagnol, la pertinence des questions préjudicielles pour le litige au principal ne saurait davantage être mise en doute au motif que l’action au principal serait prescrite.
40. Dans son arrêt du 22 juin 2022, Volvo et DAF Trucks (C‑267/20, EU:C:2022:494), la Cour a catégorisé en tant que disposition substantielle l’article 10 de la directive 2014/104, qui régit le délai de prescription des actions en dommages et intérêts fondées sur le droit de la concurrence et prévoit à cet effet un délai de prescription minimal de cinq ans ( 15 ). En outre, la Cour a constaté que le délai de prescription commence généralement à courir à la date de la publication au Journal officiel
du résumé de la décision de la Commission constatant l’infraction ( 16 ).
41. Enfin, la Cour a jugé que le délai de prescription de cinq ans fixé à l’article 10 de la directive 2014/104 peut être appliqué dans le cadre d’un recours en dommages et intérêts qui, bien que portant sur une infraction au droit de la concurrence ayant pris fin avant l’entrée en vigueur de cette directive, a été introduit après l’entrée en vigueur des dispositions transposant celle-ci dans le droit national. Il en va en tout état de cause ainsi lorsque le délai de prescription applicable à ce
recours en vertu des anciennes règles ne s’est pas écoulé avant la date d’expiration du délai de transposition de cette même directive et qu’il a même continué à courir après l’entrée en vigueur des dispositions nationales de transposition ( 17 ).
42. Selon les informations fournies par le gouvernement espagnol, le délai de prescription en droit national était d’un an avant la transposition de la directive 2014/104. En l’espèce, la publication au Journal officiel du résumé de la décision de la Commission constatant l’infraction a eu lieu le 6 avril 2017 ( 18 ). Sous réserve de l’appréciation de la juridiction de renvoi, il peut être considéré que les requérants ont obtenu à cette date les informations indispensables à l’introduction de leur
recours et que le délai de prescription d’un an a commencé à courir à cette date. Ainsi, ce délai n’a pris fin ni avant l’expiration du délai de transposition de la directive 2014/104, le 27 décembre 2016, ni avant l’entrée en vigueur des règles de transposition espagnoles, le 27 mai 2017 (voir point 11 des présentes conclusions). Par conséquent, sous réserve de l’appréciation de la juridiction de renvoi, l’article 10 de la directive 2014/104 et le délai de prescription de cinq ans introduit en
Espagne par la transposition de celle-ci sont applicables dans l’affaire au principal.
43. Le recours au principal ayant été introduit le 11 octobre 2019, soit moins de cinq ans après le début du délai de prescription, il n’est donc pas prescrit et les questions préjudicielles sont pertinentes.
3. Conclusion sur la recevabilité de la demande de décision préjudicielle
44. Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que la demande de décision préjudicielle est recevable.
B. Analyse au fond des questions préjudicielles
45. Les trois questions préjudicielles posées par le Juzgado de lo Mercantil no 3 de Valencia (tribunal de commerce no 3 de Valence) portent essentiellement sur deux thématiques. En premier lieu, il s’agit de savoir si le régime général espagnol en matière de dépens, qui, même lorsque le requérant obtient partiellement gain de cause, prévoit un partage à parts égales de ceux-ci, rend excessivement difficile la mise en œuvre du droit à réparation du préjudice causé par l’entente (sous‑section 1). En
second lieu, il s’agit de savoir dans quelles conditions une juridiction nationale peut faire usage de la possibilité d’estimer le montant du dommage invoqué, causé par l’entente (sous-section 2).
1. Sur le partage des dépens en vertu de l’article 394, paragraphe 2, de la LEC (première question préjudicielle)
46. Le régime des dépens prévu à l’article 394, paragraphe 2, de la LEC est de nature à dissuader le requérant d’invoquer et de faire valoir ses droits, car il comporte pour lui le risque de devoir supporter l’ensemble de ses propres dépens ainsi que la moitié des dépens communs, même s’il obtient partiellement gain de cause (a). La question se pose toutefois de savoir si cette règle, lue en combinaison avec l’article 394, paragraphe 1, de la LEC, peut être interprétée conformément au droit de
l’Union, de telle sorte qu’elle ne constitue pas un obstacle excessif à la mise en œuvre effective du droit à réparation du préjudice causé par une infraction au droit de la concurrence (b).
a) Le régime des dépens prévu à l’article 394, paragraphe 2, de la LEC : un obstacle excessif à la mise en œuvre effective du droit à réparation du préjudice causé par une infraction au droit de la concurrence ?
47. Par sa première question, la juridiction de renvoi souhaite savoir si le régime de répartition des dépens prévu à l’article 394, paragraphe 2, de la LEC est compatible avec l’article 101 TFUE, lu en combinaison avec le principe d’effectivité, et le droit à la réparation intégrale du préjudice causé par une infraction au droit de la concurrence.
48. Conformément à la jurisprudence de la Cour relative à l’article 101 TFUE, lu en combinaison avec le principe d’effectivité, qui a fait l’objet d’une codification déclaratoire à l’article 4 de la directive 2014/104, les règles de procédure des États membres servant à mettre en œuvre le droit à réparation du préjudice causé par une infraction au droit de la concurrence ne doivent pas rendre cette mise en œuvre pratiquement impossible ou excessivement difficile ( 19 ).
49. En vertu de l’article 394, paragraphe 2, de la LEC, le requérant supporte ses propres dépens et la moitié des frais communs, même si ses demandes sont partiellement accueillies.
1) Sur la possibilité de transposer la jurisprudence relative à la directive 93/13/CEE
50. Cette disposition a fait l’objet de l’arrêt Caixabank ( 20 ), que cite également la juridiction de renvoi. La Cour y a jugé que la directive 93/13/CEE ( 21 ), lue en combinaison avec le principe d’effectivité, s’oppose au régime prévu à l’article 394 de la LEC, en tant que celui-ci permet de faire peser une partie des dépens procéduraux sur le consommateur selon le niveau auquel ses demandes sont accueillies. Il s’agissait de l’hypothèse dans laquelle il est entièrement fait droit à l’action en
nullité d’une clause contractuelle abusive introduite par un consommateur, mais où l’action en restitution des sommes versées en vertu de cette clause n’est que partiellement accueillie. Selon la Cour, dans une telle hypothèse, le régime litigieux crée un obstacle substantiel susceptible de décourager les consommateurs d’exercer le droit à un contrôle juridictionnel effectif du caractère potentiellement abusif de clauses contractuelles tel que conféré par la directive 93/13.
51. Cette constatation est-elle transposable au domaine concerné en l’espèce, à savoir celui de la mise en œuvre de droits à dommages-intérêts fondés sur le droit de l’Union au titre d’infractions au droit de la concurrence ?
52. Il est évident qu’il existe des parallèles structurels entre la problématique des clauses abusives et celle qui caractérise le domaine de la réparation du préjudice causé par une infraction au droit de la concurrence. L’on constate en effet dans ces deux domaines une tendance à un déséquilibre structurel au détriment d’une partie.
53. Ce déséquilibre est notoire dans les relations entre les professionnels, d’une part, qui utilisent souvent des modèles de contrats standardisés, et les consommateurs, d’autre part. C’est pourquoi, selon ses considérants, la directive 93/13 vise à protéger les citoyens dans leur rôle de consommateurs et à renforcer leurs droits.
54. Ainsi que le font valoir les requérants en l’espèce et qu’il ressort des considérants 14, 15, 45 et 46 de la directive 2014/104, le droit à la réparation du préjudice causé par une infraction au droit de la concurrence se caractérise également par un déséquilibre structurel entre le requérant lésé et le défendeur auteur du dommage. Ce déséquilibre est notamment dû à une asymétrie de l’information au détriment du requérant ainsi qu’à des difficultés dans l’administration de la preuve et la
quantification du préjudice, auxquelles la directive 2014/104 entend remédier par ses règles relatives à la production de preuves et à la quantification du préjudice (articles 5, 6 et 17).
55. Il s’ensuit que, même si les requérants dans les actions en dommages et intérêts du fait d’infractions au droit de la concurrence ne sont généralement pas des consommateurs, leur situation d’infériorité structurelle est néanmoins suffisamment comparable à celle des consommateurs au sens de l’arrêt Caixabank.
56. Comme le font en outre valoir les requérants, dans des affaires telles que celle-ci et d’autres procédures en dommages et intérêts au titre du cartel des camions, le fait que les victimes soient souvent des petites ou moyennes entreprises, alors que les défenderesses sont des multinationales, constitue une circonstance aggravante. Si une telle situation n’est pas nécessairement constituée dans les procédures visant à obtenir réparation du préjudice causé par une entente, elle n’en est pas moins
fréquente ( 22 ). Cela explique également la diffusion de modèles de financement de procès dans ce domaine. Or, pour une mise en œuvre effective du droit de la concurrence, il convient justement d’encourager les personnes qui n’ont subi que des dommages relativement faibles, voire des dommages diffus (dans l’absolu, pas forcément du point de vue individuel), à faire valoir leurs droits.
57. Un autre parallèle structurel et téléologique entre le champ d’application de la directive 93/13 et celui des actions en dommages et intérêts pour les infractions au droit de la concurrence est à cet égard que, dans ces deux domaines, les demandeurs contribuent, en faisant valoir leurs propres droits, à la réalisation d’objectifs de l’Union tels que le fonctionnement du marché intérieur ou la protection d’une concurrence loyale. En effet, contrairement à ce que prétend le gouvernement espagnol,
la directive 93/13 ne vise pas seulement à indemniser le consommateur concerné, mais aussi à mettre fin à l’utilisation des clauses abusives dans leur ensemble. De même, le droit à la réparation du préjudice causé par une entente ne vise pas seulement à remédier au dommage, mais aussi à dissuader, et donc à une mise en œuvre effective du droit de la concurrence ( 23 ). Une telle fonction du requérant en tant que « défenseur » ou « exécutant » des intérêts de l’Union se retrouve également, par
exemple, dans les actions engagées par des concurrents dans le cadre du droit des aides d’État ou des marchés publics, ou dans les actions collectives en droit de l’environnement.
58. Comme le rappelle Daimler, l’arrêt Caixabank portait néanmoins sur une affaire comportant deux objets (constatation du caractère abusif de la clause en cause et restitution des sommes versées en vertu de cette clause), dont le premier a été accueilli en totalité et le second en partie seulement ( 24 ). En revanche, le présent litige au principal porte sur une demande unique de dommages-intérêts.
59. Contrairement à la thèse de Daimler, une telle différence ne remet certes pas fondamentalement en cause le caractère comparable des deux situations. Elle peut toutefois conduire à nuancer la solution de l’arrêt Caixabank en l’espèce. Il convient à cet égard de tenir compte des considérations suivantes.
2) Nuancement de la jurisprudence relative à la directive 93/13 en matière de réparation des préjudices causés par les infractions au droit de la concurrence
60. En premier lieu, il n’apparaît pas exclu de se fonder sur la satisfaction des demandes, même dans un cas tel que celui en l’espèce. En effet, en accueillant une partie des prétentions du requérant, la juridiction reconnaît que celui-ci a subi un préjudice du fait de l’infraction en cause au droit de la concurrence. De ce point de vue, la présente situation est comparable à celle de l’arrêt Caixabank, dans lequel il a été fait droit à la demande principale de constatation du caractère abusif de
la clause concernée.
61. En deuxième lieu, il n’en faut pas moins reconnaître à Daimler que, s’agissant de la réparation d’un préjudice causé par une infraction au droit de la concurrence, et à l’instar des procédures d’indemnisation de façon générale, le calcul du montant des dommages-intérêts est une question centrale. En effet, dès lors que le droit à réparation est reconnu, la somme accordée n’est en principe pas un simple montant forfaitaire, totalement détaché des circonstances concrètes. Au contraire, le système
de la directive 2014/104 relatif à l’administration de la preuve et à la quantification du préjudice ( 25 ) vise à permettre un chiffrage aussi précis que possible du dommage. De même, la présomption réfragable prévue à l’article 17, paragraphe 2, de la directive 2014/104, en vertu de laquelle il est présumé que les infractions commises dans le cadre d’une entente causent un préjudice, ne porte pas, selon le considérant 47 de cette directive, sur le montant réel du préjudice. Aussi n’apparaît-il
pas déraisonnable, s’agissant d’actions en dommages-intérêts dans des affaires de concurrence, de s’appuyer sur la proportion quantitative de la réparation allouée au requérant pour apprécier s’il a obtenu gain de cause aux fins de la décision sur les dépens.
62. En troisième lieu, le partage des frais dans une affaire où les deux parties obtiennent partiellement gain de cause et succombent en partie est l’expression de l’équité procédurale ( 26 ). Comme le relève Daimler, un tel partage est également prévu à l’article 138, paragraphe 3, du règlement de procédure de la Cour. Une telle règle vise précisément à éviter, dans les procédures en dommages et intérêts, que les requérants ne présentent des demandes excessives, sans rapport avec le préjudice subi.
63. En quatrième lieu, il n’en demeure pas moins que les procédures en dommages et intérêts relatives aux infractions au droit de la concurrence se caractérisent par le fait que la détermination de l’étendue des dommages est à cet égard particulièrement problématique et peut donc constituer un obstacle majeur à l’effectivité des demandes en réparation (voir point 54 des présentes conclusions). C’est la raison pour laquelle les juridictions nationales doivent avoir la possibilité d’estimer le montant
du préjudice, conformément à l’article 17, paragraphe 1, de la directive 2014/104.
64. En cinquième lieu, étant donné ces difficultés émaillant la quantification précise du préjudice et la possibilité de l’estimer, le risque qu’un requérant succombe en partie est particulièrement élevé dans les actions en dommages‑intérêts pour infraction au droit de la concurrence. En outre, ainsi qu’il est indiqué au considérant 45 de la directive 2014/104 et que le relèvent la juridiction de renvoi et les requérants, l’établissement des rapports d’expertise économiques nécessaires pour
quantifier le préjudice peut être très coûteux. Comme le souligne la juridiction de renvoi, le fait de supporter la moitié des dépens est donc susceptible de réduire considérablement l’indemnisation effectivement obtenue.
65. Il résulte de la combinaison de ces facteurs que, dans les actions en dommages et intérêts fondées sur le droit de la concurrence, le risque de devoir, même en obtenant partiellement gain de cause, supporter ses propres dépens et la moitié des frais communs, tout comme le risque, dans l’arrêt Caixabank, de succomber partiellement, « crée un obstacle substantiel susceptible de décourager [le requérant] d’exercer le droit [à obtenir réparation du préjudice causé par une infraction au droit de la
concurrence au titre de l’article 101 TFUE] » ( 27 ).
66. En sixième lieu, enfin, il n’en résulte pas pour autant que, chaque fois que le requérant obtient partiellement gain de cause, le défendeur devrait obligatoirement supporter l’intégralité des frais du requérant. En effet, comme le fait valoir Daimler, le droit à la réparation intégrale du préjudice causé par une infraction au droit de la concurrence, reconnu par la jurisprudence ( 28 ) et codifié à l’article 3 de la directive 2014/104, n’implique pas nécessairement que la mise en œuvre de ce
droit ne doive entraîner aucuns frais. Le critère selon lequel une personne ayant subi un préjudice doit être placée dans la situation où elle aurait été si l’infraction au droit de la concurrence n’avait pas été commise (article 3, paragraphe 2, de la directive 2014/104) ne signifie pas que cette personne doive, en tout état de cause, être placée dans la situation qui aurait été la sienne si la procédure visant à obtenir cette réparation n’avait pas eu lieu.
67. En ce sens, la Cour a jugé, dans une autre affaire relative à la directive 93/13, que le principe d’effectivité n’exclut pas qu’un consommateur supporte certains frais de justice lorsqu’il engage une action en justice visant à faire constater le caractère abusif d’une clause contractuelle. À cet égard, la Cour a considéré qu’il était conforme au principe d’effectivité que les consommateurs ne soient pas nécessairement remboursés de l’intégralité des frais d’avocat qu’ils ont exposés, mais
seulement à concurrence d’un montant raisonnable, pour autant que les dépens alloués ne soient pas d’un montant si faible, par rapport à celui de la créance litigieuse, qu’ils dissuaderaient le consommateur de faire valoir ses droits. À l’appui de son raisonnement, la Cour a relevé, en substance, que le montant des honoraires convenus par le consommateur avec son avocat relève de la responsabilité du consommateur et que le professionnel défendeur ne doit pas courir le risque d’être obligé de
payer des frais de justice excessifs et objectivement disproportionnés du consommateur ( 29 ).
68. On peut en déduire, mutatis mutandis, pour les procédures en réparation des préjudices causés par des infractions au droit de la concurrence, que si un requérant succombe en partie, il peut lui être raisonnablement imposé de supporter ses propres frais ou, à tout le moins, une partie de ceux-ci, ainsi qu’une partie des frais communs, dès lors que la survenance de ces frais est imputable à sa propre sphère de responsabilité. Cela pourrait être le cas, par exemple, si le requérant succombe
partiellement en raison de demandes excessives ou du fait de la façon dont il a mené la procédure.
69. En revanche, si le fait qu’un requérant ait partiellement succombé s’explique par la difficulté structurelle excessive, généralement admise, voire par l’impossibilité pratique de quantifier les dommages causés par les infractions au droit de la concurrence, la responsabilité du rejet partiel de ses demandes ne relève pas de la sphère du requérant et il n’est pas justifié de mettre à sa charge les frais qu’il a engagés pour exercer ses droits à réparation. La mise en œuvre de ces droits s’en
trouverait sinon rendue excessivement difficile, voire impossible en pratique, et cela serait donc de nature à le dissuader de faire valoir et de mettre en œuvre de façon effective son droit à réparation du préjudice causé par l’entente.
70. Dans ce cas, le risque que le requérant succombe partiellement doit au contraire être imputé à la sphère de responsabilité du défendeur qui a commis l’infraction interdite au droit de la concurrence. Les défendeurs sont en principe responsables du litige, puisqu’ils ont constitué une entente. Une telle entente ayant pour but de fixer les prix est au moins aussi grave que l’utilisation de clauses abusives. De plus, l’interdiction de telles infractions est connue et les recours des victimes de
l’entente ainsi que les frais de justice qui y sont liés sont prévisibles pour les auteurs de l’entente. Le problème de la quantification des préjudices causés par les ententes est également notoire. Le risque de voir les victimes d’une entente succomber en partie est donc suffisamment prévisible pour les auteurs des dommages ( 30 ).
71. Il semble donc justifié et équitable, dans le cadre d’actions en dommages et intérêts fondées sur le droit de la concurrence, de déroger au principe général du partage des frais de justice dans le cas où les deux parties obtiennent partiellement satisfaction et succombent en partie, lorsque l’insuccès partiel du requérant s’explique par les difficultés excessives auxquelles se heurte la quantification du préjudice, voire par l’impossibilité de quantifier celui-ci, de sorte que cet insuccès n’est
pas imputable à sa sphère de responsabilité. C’est au juge saisi de l’affaire d’apprécier si tel est le cas au regard des circonstances concrètes de l’affaire.
72. Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que, en l’espèce, tout comme dans le domaine de la directive 93/13, le régime des dépens prévu à l’article 394, paragraphe 2, de la LEC n’est pas conforme au principe d’effectivité s’il conduit à ce que le requérant doive supporter ses propres dépens et la moitié des dépens communs, lorsqu’il succombe partiellement du fait de difficultés excessives dans la quantification du préjudice ou de l’impossibilité de quantifier celui-ci.
b) Sur la possibilité d’une interprétation conforme au droit de l’Union de l’article 394, paragraphes 1 et 2, de la LEC
73. Selon une jurisprudence constante, il incombe à la juridiction de renvoi d’interpréter les dispositions nationales en cause au principal, dans toute la mesure possible, à la lumière du droit de l’Union et, plus particulièrement, du texte et de la finalité de l’article 101 TFUE, sans toutefois procéder à une interprétation contra legem de ces dispositions nationales ( 31 ).
74. En outre, la question de savoir si une disposition nationale rend impossible ou excessivement difficile l’application du droit de l’Union doit être analysée en tenant compte de la place de cette disposition dans l’ensemble de la procédure, de son déroulement et de ses particularités, devant les diverses instances nationales ( 32 ).
75. Selon les informations fournies par la juridiction de renvoi, l’article 394, paragraphe 1, de la LEC, qui prévoit la condamnation aux dépens de la partie dont toutes les demandes ont été rejetées, est interprété de la manière suivante par les juridictions espagnoles : même en c as d’« accueil substantiel des conclusions » (« estimación sustancial »), et dès lors qu’il n’existe qu’une légère différence entre ce qui a été demandé et ce qui a été accordé, il est possible de condamner le défendeur
aux dépens.
76. Selon les informations fournies par la juridiction de renvoi et les observations exposées par Daimler, cette jurisprudence est toutefois (à tout le moins également) d’inspiration « quantitative » et non pas seulement « qualitative ». Aussi ne peut-elle manifestement s’appliquer que si les demandes pour lesquelles le requérant a succombé peuvent être considérées comme accessoires par rapport à l’objet de la procédure et à sa portée économique globale. On ne sait donc pas si cette règle de
l’« accueil substantiel des conclusions » ne peut être appliquée que dans les cas où la demande initiale de dommages et intérêts du requérant est acceptée à près de 100 % (ou au moins à plus de 70 à 80 %). On peut se demander si elle est également applicable dans les cas où cet accueil concerne moins de 70 %, voire moins de 50 % de la demande initiale (ce qui conduirait en fait à l’application de l’article 394, paragraphe 2, de la LEC), lorsque ce rejet partiel s’explique par les difficultés
excessives rencontrées dans la quantification du préjudice ou par l’impossibilité pratique de le quantifier.
77. En outre, selon les allégations de Daimler, la jurisprudence espagnole a reconnu la possibilité pour un requérant d’obtenir le remboursement intégral des dépens même s’il a partiellement succombé, à condition qu’il adapte sa demande en cours de procédure. Il appartient à la juridiction de renvoi d’examiner dans quelle mesure cette jurisprudence pourrait, dans une situation telle que celle de l’affaire au principal, conduire à accorder au requérant le remboursement des dépens même en cas
d’accueil partiel de ses conclusions. À cet égard, il conviendrait notamment d’examiner si l’obligation d’adapter la demande en cours de procédure rendrait pratiquement impossible ou excessivement difficile la mise en œuvre du droit à réparation du préjudice causé par l’infraction. Il ne serait pas acceptable, par exemple, que le risque de devoir supporter la moitié des frais de justice pousse le demandeur à réduire ses demandes initialement raisonnables à un niveau déraisonnable. En revanche,
il serait envisageable que le demandeur adapte ses demandes en fonction de l’appréciation des preuves et de l’estimation du montant du préjudice par la juridiction compétente.
78. En outre, Daimler fait valoir que les tribunaux espagnols ont admis, dans le cadre d’actions en dommages et intérêts pour des infractions au droit de la concurrence, la possibilité de ne pas condamner les requérants à supporter tous les frais, même lorsque leurs recours sont rejetés dans leur intégralité.
79. On ne sait pas non plus si l’article 394, paragraphe 2, de la LEC permettrait également, le cas échéant, de ne condamner le requérant qu’à supporter une partie (et non la totalité) de ses propres dépens et des dépens communs, si les circonstances de l’espèce le justifiaient, notamment, d’une part, les difficultés excessives rencontrées dans la quantification du préjudice ou l’impossibilité de le quantifier et, d’autre part, le comportement procédural des parties.
80. Il appartient à la juridiction de renvoi d’examiner, au vu de l’ensemble de ces éléments, si l’article 394, paragraphes 1 et 2, de la LEC peut être interprété, conformément au droit de l’Union, en ce sens que, lorsque le requérant succombe partiellement en raison de difficultés excessives rencontrées dans la quantification du préjudice ou de l’impossibilité de quantifier celui-ci, le défendeur peut être condamné à supporter l’intégralité des frais ou, le cas échéant, au moins une partie
raisonnable des frais du requérant.
c) Conclusion intermédiaire
81. Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que l’article 101 TFUE, lu en combinaison avec le principe d’effectivité, doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une réglementation nationale qui, dans certains cas, prévoit un partage des dépens par moitié, même lorsque le requérant obtient partiellement satisfaction. Cela présuppose toutefois que cette réglementation peut être interprétée conformément au droit de l’Union, de telle sorte que, lorsque le requérant
succombe en partie du fait de difficultés excessives rencontrées dans la quantification du préjudice ou de l’impossibilité pratique de quantifier celui-ci, le défendeur est condamné à l’intégralité des dépens ou, le cas échéant, au moins à une partie raisonnable de ceux qu’a exposés le requérant.
2. Sur les conditions d’une estimation du montant du préjudice (deuxième et troisième questions préjudicielles)
82. Par ses deuxième et troisième questions, la juridiction de renvoi souhaite savoir si elle peut faire usage de la possibilité d’estimer le montant du préjudice individuel causé par l’entente dans une affaire telle que celle en cause. Elle souligne à cet égard deux particularités de cette affaire : premièrement, le fait que les données sur lesquelles se fondait le rapport d’expertise de la défenderesse ont été divulguées aux requérants (a) ; deuxièmement, le fait que les requérants ont dirigé leur
action contre l’un des participants à l’entente, auprès duquel ils n’ont acheté qu’une partie des produits faisant l’objet de l’entente (b).
a) Sur l’accès aux données sur lesquelles s’appuie le rapport d’expertise de la défenderesse au sujet du préjudice (deuxième question préjudicielle)
83. Dans sa deuxième question préjudicielle, la juridiction de renvoi évoque la notion d’« asymétrie de l’information » entre les parties. On peut déduire de cette formulation, ainsi que de la référence à l’accès aux données sur lesquelles s’appuie le rapport d’expertise de la défenderesse relatif au préjudice, que la juridiction de renvoi souhaite savoir si elle est habilitée à estimer le montant du préjudice lorsque le requérant a eu accès à ces données, ce qui, le cas échéant, a permis de réduire
partiellement l’asymétrie entre les parties.
84. L’existence d’une « asymétrie de l’information » n’est pas, selon l’article 17, paragraphe 1, de la directive 2014/104, une condition préalable à la possibilité d’estimer le montant du préjudice.
85. L’asymétrie de l’information entre les parties et les difficultés notoires à quantifier le préjudice sont mentionnées au considérant 46 de la directive 2014/104 à propos de la nécessité de prévoir la possibilité d’évaluer le préjudice. On peut en déduire que le caractère typique de l’asymétrie de l’information n’était pour le législateur qu’une raison parmi d’autres d’instituer la possibilité d’estimer le préjudice.
86. En effet, même en cas d’équilibre de l’information, des difficultés peuvent survenir lors de la quantification concrète du préjudice. Par conséquent, l’estimation ne vise pas seulement à compenser l’inégalité d’information entre les parties, mais bien plutôt à surmonter les difficultés de preuve lors de la quantification du préjudice dans leur ensemble.
87. En revanche, le considérant 15 de la directive 2014/104 mentionne l’asymétrie de l’information entre les parties comme raison de l’institution des règles relatives à l’administration des preuves, qui doivent servir à réduire cette asymétrie.
88. Les articles 5 et 6 de la directive 2014/104 ( 33 ) disposent que les juridictions nationales peuvent enjoindre au demandeur, au défendeur, à des tiers ou à une autorité de concurrence de produire des preuves. L’article 17, paragraphe 1, de cette directive prévoit la possibilité d’une estimation dans le cas où il est pratiquement impossible ou excessivement difficile de quantifier avec précision le préjudice subi sur la base des éléments de preuve disponibles ( 34 ). Cette disposition repose
donc sur la prémisse que les possibilités d’ordonner la production des éléments de preuve ont déjà été épuisées, mais que la quantification n’en reste pas moins pratiquement impossible ou excessivement difficile. L’estimation du préjudice présente est donc un caractère subsidiaire par rapport à la quantification exacte du préjudice par la voie de l’administration des preuves.
89. La production de preuves par le défendeur, même si ce n’est pas dans le cadre d’une injonction au titre de l’article 5 de la directive 2014/104, mais de sa propre initiative, n’est donc rien de plus qu’une autre manière d’établir les faits. Aussi n’exclut-elle pas que la quantification du préjudice soit néanmoins pratiquement impossible ou excessivement difficile.
90. En outre, on ne saurait considérer de manière générale que l’accès aux données sur lesquelles se fonde le rapport d’expertise de la défenderesse relatif au préjudice élimine totalement l’asymétrie de l’information entre les parties. Et même un équilibre de l’information ne signifierait pas qu’il ne pourrait pas y avoir impossibilité pratique ou difficulté excessive de quantifier le préjudice.
91. En premier lieu, il convient d’apprécier au cas par cas les modalités concrètes de la mise à disposition des données, ainsi que leur volume et leur valeur informative pour savoir dans quelle mesure l’accès aux données en question réduit effectivement l’asymétrie de l’information entre les parties. Il peut par exemple s’agir du point de savoir si une très grande quantité de données dans des formats difficilement accessibles a été mise à la disposition d’un requérant dans un bref délai, ou de la
mesure dans laquelle ces données sont exploitables, etc.
92. Selon les informations fournies par les requérants, la divulgation ne concernait en l’espèce que les données utilisées par la défenderesse pour établir son rapport d’expertise concernant le préjudice. Il n’y avait aucune possibilité pour les experts des requérants de demander la production d’autres données. En outre, le délai de consultation de ces données était assez bref (la juridiction de renvoi évoque « une semaine aux heures de travail », les requérants « cinq jours ouvrables en matinée »).
Lors de la consultation des données, les requérants n’étaient pas autorisés à faire des copies ou à utiliser leur propre équipement électronique. En outre, les données en question n’ont pas été versées au dossier et n’ont pas pu être consultées par la juridiction de renvoi elle‑même. Enfin, l’expert des requérants disposait d’un bref délai de dix à quinze jours pour réviser, le cas échéant, son rapport sur la base des données consultées.
93. Dans ces conditions, il semble difficile de considérer, ne serait-ce qu’en raison des modalités de divulgation, que cette mesure ait totalement éliminé l’asymétrie de l’information entre les parties en ce qui concerne le calcul du préjudice.
94. Le fait que les requérants n’ont pas modifié leur propre rapport d’expertise après avoir consulté les données de la défenderesse ne saurait justifier la conclusion générale voulant que les requérants n’auraient pas fait tous les efforts pour quantifier le préjudice et que l’on ne pourrait donc pas retenir l’existence d’une impossibilité pratique ou d’une difficulté excessive à cet égard. Il convient au contraire de tenir compte de la pertinence des données ainsi que du fait que les requérants
ont produit un rapport technique sur les résultats qu’ils ont obtenus en accédant aux données de la défenderesse (voir point 16 des présentes conclusions).
95. Certes, on peut en règle générale attendre du requérant qu’il adapte son argumentation en fonction des données obtenues au cours de la procédure. Toutefois, si ces données ne sont a priori pas de nature à permettre une quantification plus précise, ce qu’il appartient à la juridiction nationale de constater, on ne saurait non plus exiger du requérant qu’il adapte ses conclusions. Il appartient à la juridiction nationale d’apprécier si d’éventuelles données sont de nature à permettre la
quantification du préjudice, le cas échéant à l’aide d’expertises à cet effet.
96. En second lieu, quand bien même y aurait-il équilibre de l’information, il n’en serait pas pour autant exclu de parvenir néanmoins à la conclusion selon laquelle il est pratiquement impossible ou excessivement difficile, sur la base des éléments de preuve disponibles, de quantifier avec précision le préjudice subi.
97. Cela s’explique simplement par la complexité parfois extrêmement grande des faits. Ainsi, même les participants à une entente ne sont souvent pas en mesure d’évaluer avec certitude le niveau auquel les prix auraient évolué en l’absence d’accord collusoire. Il leur est notamment impossible de savoir dans quelle mesure certains concurrents auraient réussi à réduire les coûts et donc les prix en cas de pression concurrentielle pleinement effective. Il leur serait alors également impossible de
produire des données de nature à permettre une quantification définitive du préjudice.
98. Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que la divulgation des données utilisées pour établir le rapport d’expertise de la défenderesse n’exclut pas qu’il subsiste une asymétrie de l’information entre les parties et qu’il soit pratiquement impossible ou excessivement difficile de quantifier avec précision le préjudice subi sur la base des éléments de preuve disponibles.
b) Sur le recours formé contre un seul des participants à l’entente auprès desquels les biens faisant l’objet de l’entente ont été acquis (troisième question préjudicielle)
99. La troisième question porte sur le point de savoir si et dans quelle mesure le fait que les requérants n’aient dirigé leur action que contre l’un des participants à l’entente auprès desquels ils ont acquis les biens faisant l’objet de l’entente a une incidence sur la possibilité d’estimer le montant du préjudice.
100. À cet égard, il convient tout d’abord de préciser que cette question ne porte pas sur l’interprétation de l’article 11 de la directive 2014/104, relatif à la responsabilité solidaire. En effet, la juridiction de renvoi ne remet nullement en cause le fait que les requérants pouvaient poursuivre Daimler non seulement en ce qui concerne les camions qu’ils avaient achetés à cette dernière, mais également en ce qui concerne ceux qu’ils avaient achetés à d’autres participants à l’entente.
101. Ce n’est donc que par souci d’exhaustivité qu’il convient de noter que le principe selon lequel toute victime d’une entente peut demander des dommages‑intérêts à tout participant à l’entente, à condition qu’il existe un lien de causalité entre le dommage subi par cette victime et l’infraction commise par ce participant à l’entente, découle en tout état de cause déjà de la jurisprudence de la Cour. Aussi ce principe n’a-t-il été codifié à l’article 11 de la directive 2014/104 qu’à titre
déclaratoire, et il est en tout état de cause applicable en l’espèce (voir point 37 des présentes conclusions).
102. En effet, comme la Cour l’a récemment indiqué, sans se référer à la directive 2014/104, une infraction au droit de la concurrence emporte en principe la responsabilité solidaire de ses auteurs ( 35 ). C’est ce qui ressort également déjà des arrêts rendus dans les affaires Kone e.a. et Otis Gesellschaft e.a., dans lesquels il s’agissait d’actions intentées par des victimes d’effets de prix de protection ou par des organismes publics octroyant des subventions, qui n’avaient de relations
contractuelles directes avec aucun des participants à l’entente et qui n’avaient acquis directement de biens concernés par l’entente auprès d’aucun d’entre eux ( 36 ). On ne voit guère les raisons pour lesquelles, lorsqu’un requérant a acheté des biens faisant l’objet d’une entente directement auprès d’un ou de plusieurs participants à l’entente, son droit de poursuivre l’ensemble des participants à l’entente ou seulement certains d’entre eux, en vue d’obtenir réparation du dommage causé par
une infraction commune, dépendrait du point de savoir s’il a acheté les biens à l’un des participants défendeurs à l’entente ou à l’ensemble de ceux-ci, ou du point de savoir si ces biens ont été fabriqués par ce ou ces participant(s).
103. La troisième question préjudicielle vise donc plutôt l’équité procédurale à l’égard de Daimler. La juridiction de renvoi y demande s’il est possible de considérer qu’il existe une asymétrie de l’information au détriment des requérants et d’estimer le montant du préjudice, même si Daimler n’a pas vendu et produit tous les biens litigieux faisant l’objet de l’entente. En effet, Daimler dispose nécessairement de moins d’informations que les autres participants à l’entente en ce qui concerne ces
biens. La juridiction de renvoi semble donc douter du fait que l’on puisse considérer qu’il existerait en l’espèce une situation d’asymétrie de l’information au détriment des requérants et en faveur de Daimler.
104. Il découle toutefois des considérations exposées aux points 84 à 88 des présentes conclusions que, même pour cette situation, et conformément à l’article 17, paragraphe 1, de la directive 2014/104, seul importe le point de savoir s’il est pratiquement impossible ou excessivement difficile de quantifier avec précision le préjudice subi sur la base des éléments de preuve disponibles.
105. Aussi est-il en principe nécessaire, dans une telle situation, d’ordonner, par la voie d’injonctions judiciaires prises en application de l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2014/104, la communication d’informations, le cas échéant par des tiers. Cela permet également de préserver les droits de la défense de la partie défenderesse. En effet, l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2014/104 prévoit que le défendeur est lui-même autorisé à demander la production de preuves par le
requérant ou par des tiers. La juridiction compétente doit à cet égard tenir compte des chances de succès des éventuelles demandes de preuves présentées par la partie défenderesse, afin que ces demandes ne conduisent pas à ralentir la procédure pour des raisons purement tactiques.
106. Lorsque ces possibilités de recueillir des preuves ont été épuisées, il appartient à la juridiction concernée de déterminer s’il reste pratiquement impossible ou excessivement difficile de quantifier avec précision le préjudice subi sur la base des éléments de preuve disponibles, et d’estimer le montant du préjudice.
107. En tout état de cause, rien ne justifie de présumer de façon générale qu’il n’existe pas d’asymétrie de l’information au détriment du requérant lorsque la partie défenderesse n’a pas distribué ou fabriqué tous les biens litigieux concernés par l’entente. En effet, comme le fait elle-même remarquer la juridiction de renvoi, il faut alors toujours supposer que les participants à l’entente disposent généralement de plus d’informations sur l’infraction et ses effets sur les prix que les parties
lésées.
108. En outre, l’exercice par un requérant de son droit de poursuivre n’importe quel participant à l’entente ne doit pas lui porter préjudice de sorte que cela exclurait de manière générale la possibilité d’une estimation. En ce sens, Daimler affirme que les requérants auraient sciemment renoncé à créer une situation dans laquelle toutes les informations pertinentes sur le montant du dommage seraient disponibles. Le droit des victimes d’une entente de poursuivre en justice tous les membres de
l’entente, ou seulement certains d’entre eux, est cependant une composante importante de la mise en œuvre effective du droit à réparation du préjudice causé par une infraction au droit de la concurrence et ne saurait être limité sans raison. Il doit au contraire être exercé dans le respect de tous les principes pertinents, dont font également partie les droits de la défense des participants à l’entente contre lesquels l’action est engagée.
109. Le fait que le requérant a assigné un participant à l’entente auprès duquel il n’avait acquis qu’une partie des biens litigieux ayant fait l’objet de l’entente n’exclut donc pas qu’il y ait estimation du préjudice au motif qu’il est pratiquement impossible ou excessivement difficile de le quantifier, dès lors que, sur demande de la partie défenderesse, toutes les possibilités prometteuses et proportionnées d’administration des preuves en faveur de celle-ci ont également été épuisées.
c) Conclusion intermédiaire
110. Il résulte des considérations qui précèdent qu’une estimation du montant du préjudice au titre de l’article 17, paragraphe 1, de la directive 2014/104 suppose qu’il soit établi qu’un requérant a subi un préjudice, mais qu’il est pratiquement impossible ou excessivement difficile de quantifier avec précision celui-ci sur la base des éléments de preuve disponibles. Si, à la demande de la partie défenderesse, toutes les possibilités prometteuses et proportionnées d’administration des preuves en
faveur de celle-ci ont été épuisées, ces conditions peuvent également être réunies lorsque la partie défenderesse a divulgué certaines données et que seule une partie des biens ayant fait l’objet de l’entente a été acquise auprès d’elle.
VI. Conclusion
111. Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, nous proposons à la Cour de répondre comme suit aux questions préjudicielles posées par le Juzgado de lo Mercantil no 3 de Valencia (tribunal de commerce no 3 de Valence, Espagne) :
1) L’article 101 TFUE, lu en combinaison avec le principe d’effectivité, doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une réglementation nationale qui, dans certains cas, prévoit un partage des dépens par moitié, même lorsque le requérant obtient partiellement satisfaction. Cela présuppose toutefois que cette réglementation peut être interprétée conformément au droit de l’Union, de telle sorte que, lorsque le requérant succombe en partie du fait de difficultés excessives rencontrées
dans la quantification du préjudice ou de l’impossibilité pratique de quantifier celui‑ci, le défendeur est condamné à l’intégralité des dépens ou, le cas échéant, au moins à une partie raisonnable de ceux qu’a exposés le requérant.
2) Une estimation du montant du préjudice au titre de l’article 17, paragraphe 1, de la directive 2014/104/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 novembre 2014, relative à certaines règles régissant les actions en dommages et intérêts en droit national pour les infractions aux dispositions du droit de la concurrence des États membres et de l’Union européenne suppose qu’il soit établi qu’un requérant a subi un préjudice, mais qu’il est pratiquement impossible ou excessivement difficile de
quantifier avec précision celui-ci sur la base des éléments de preuve disponibles. Si, à la demande de la partie défenderesse, toutes les possibilités prometteuses et proportionnées d’administration des preuves en faveur de celle-ci ont été épuisées, ces conditions peuvent également être réunies lorsque la partie défenderesse a divulgué certaines données et que seule une partie des biens ayant fait l’objet de l’entente a été acquise auprès d’elle.
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( 1 ) Langue originale : l’allemand.
( 2 ) Voir arrêts du 29 juillet 2019, Tibor-Trans (C‑451/18, EU:C:2019:635) ; du 15 juillet 2021, Volvo e.a. (C‑30/20, EU:C:2021:604) ; du 6 octobre 2021, Sumal (C‑882/19, EU:C:2021:800) ; du 22 juin 2022, Volvo et DAF Trucks (C‑267/20, EU:C:2022:494), et du 1er août 2022, Daimler (Ententes – Camions à ordures ménagères) (C‑588/20, EU:C:2022:607), ainsi que les affaires pendantes C‑163/21, PACCAR e.a., et C‑285/21, Dalarjo e.a. Voir également arrêt du Tribunal du 2 février 2022, Scania
e.a./Commission (T‑799/17, EU:T:2022:48), ainsi que le pourvoi dont fait l’objet cet arrêt dans l’affaire C‑251/22 P, Scania e.a./Commission.
( 3 ) Directive du Parlement européen et du Conseil du 26 novembre 2014 relative à certaines règles régissant les actions en dommages et intérêts en droit national pour les infractions aux dispositions du droit de la concurrence des États membres et de l’Union européenne (JO 2014, L 349, p. 1).
( 4 ) Décision C(2016) 4673 final de la Commission, du 19 juillet 2016, relative à une procédure d’application de l’article 101 [TFUE] et de l’article 53 de l’accord EEE (affaire AT.39824 – Camions). Le résumé de cette décision a été publié le 6 avril 2017 (JO 2017, C 108, p. 6).
( 5 ) Voir nos conclusions dans l’affaire Profi Credit Polska (C‑176/17, EU:C:2018:293, point 54 et jurisprudence citée).
( 6 ) Voir en ce sens arrêts du 20 septembre 2001, Courage et Crehan (C‑453/99, EU:C:2001:465, points 25 à 29) ; du 26 octobre 2006, Mostaza Claro (C‑168/05, EU:C:2006:675, point 24) ; du 28 mars 2019, Cogeco Communications (C‑637/17, EU:C:2019:263, point 42), et du 16 juillet 2020, Caixabank et Banco Bilbao Vizcaya Argentaria (C‑224/19 et C‑259/19, ci-après l’ arrêt Caixabank , EU:C:2020:578, points 83 et 85).
( 7 ) Voir, en ce sens, arrêt du 11 septembre 2018, IR (C‑68/17, EU:C:2018:696, point 56).
( 8 ) À cet égard, la situation dans l’affaire au principal ne correspond justement pas à celles qui ont donné lieu aux arrêts, invoqués par le gouvernement espagnol, du 27 mars 2014, Torralbo Marcos (C‑265/13, EU:C:2014:187, points 30 à 33), et du 8 décembre 2016, Eurosaneamientos e.a. (C‑532/15 et C‑538/15, EU:C:2016:932, points 52 à 56). Dans ces affaires, les règles de procédure nationales ne servaient pas à faire valoir des droits découlant du droit de l’Union, et l’objet des procédures au
principal ne concernait pas l’interprétation ou l’application d’une règle du droit de l’Union, de sorte que ces procédures ne relevaient pas du champ d’application du droit de l’Union. Les juridictions de renvoi ne demandaient donc pas si les règles litigieuses rendaient excessivement difficile l’exercice de droits conférés par le droit de l’Union, mais uniquement si ces règles étaient, de manière générale, compatibles avec la charte des droits fondamentaux. Cet élément ne saurait, à lui seul,
ouvrir le champ d’application du droit de l’Union.
( 9 ) Voir arrêt du 22 juin 2022, Volvo et DAF Trucks (C‑267/20, EU:C:2022:494, point 28 et jurisprudence citée).
( 10 ) Voir conclusions de l’avocat général Szpunar dans l’affaire PACCAR e.a. (C‑163/21, EU:C:2022:286, point 55). Voir également conclusions de l’avocat général Szpunar dans l’affaire RegioJet (C‑57/21, EU:C:2022:363, points 27 à 29).
( 11 ) Arrêt du 22 juin 2022 (C‑267/20, EU:C:2022:494, points 39 à 41) ; voir également conclusions de l’avocat général Szpunar dans l’affaire PACCAR e.a. (C‑163/21, EU:C:2022:286, point 56).
( 12 ) Arrêt du 22 juin 2022, Volvo et DAF Trucks (C‑267/20, EU:C:2022:494, points 80 à 85). Aux points 90 et suivants de cet arrêt, la Cour a en revanche constaté que l’article 17, paragraphe 2, de la directive 2014/104 constitue une disposition substantielle au sens de l’article 22, paragraphe 1, de cette directive ; ce n’est toutefois pas de cette disposition qu’il s’agit en l’espèce.
( 13 ) Arrêt du 22 juin 2022, Volvo et DAF Trucks (C‑267/20, EU:C:2022:494, points 76 et 77, ainsi que 86 à 89).
( 14 ) Voir, à cet égard, considérant 12 de la directive 2014/104.
( 15 ) Sur la catégorisation de règles de prescription en tant que disposition substantielle ou en tant que disposition procédurale, voir toutefois, également, nos conclusions dans l’affaire Taricco e.a. (C‑105/14, EU:C:2015:293, points 114 et 115).
( 16 ) Arrêt du 22 juin 2022, Volvo et DAF Trucks (C‑267/20, EU:C:2022:494, points 46, 47, 71 et 72).
( 17 ) Arrêt du 22 juin 2022, Volvo et DAF Trucks (C‑267/20, EU:C:2022:494, points 33, 34, 42, 48, 49 et 73 à 79) ; voir, à cet égard également, conclusions de l’avocat général Pitruzzella dans l’affaire ZA e.a. (C‑25/21, EU:C:2022:659, points 52 et 53).
( 18 ) Voir note en bas de page 4 des présentes conclusions.
( 19 ) Arrêts du 13 juillet 2006, Manfredi e.a. (C‑295/04 à C‑298/04, EU:C:2006:461, point 62) ; du 6 juin 2013, Donau Chemie e.a. (C‑536/11, EU:C:2013:366, point 27), et du 28 mars 2019, Cogeco Communications (C‑637/17, EU:C:2019:263, point 43).
( 20 ) Voir arrêt Caixabank (points 93 à 99).
( 21 ) Directive du Conseil du 5 avril 1993 concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (JO 1993, L 95, p. 29).
( 22 ) C’est ce qui a conduit la Cour à étendre le champ de protection du droit à réparation des préjudices causés par les ententes aux petites entreprises dirigées par des personnes physiques, même lorsqu’une telle entreprise est elle-même partie (en tant que partie économiquement la plus faible) à l’accord en cause, qui enfreint l’article 101 TFUE. Voir arrêt du 20 septembre 2001, Courage et Crehan (C‑453/99, EU:C:2001:465, points 24 à 34).
( 23 ) Voir arrêts du 20 septembre 2001, Courage et Crehan (C‑453/99, EU:C:2001:465, points 26 et 27), ainsi que du 6 octobre 2021, Sumal (C‑882/19, EU:C:2021:800, point 36), et conclusions de l’avocat général Wahl dans l’affaire Skanska Industrial Solutions e.a. (C‑724/17, EU:C:2019:100, points 27 à 31).
( 24 ) Voir arrêt Caixabank (points 94 et 96).
( 25 ) Voir considérants 45 et 46 (point 6 des présentes conclusions), ainsi que articles 5 (point 7 des présentes conclusions), 6 et 17 (point 8 des présentes conclusions) de la directive 2014/104.
( 26 ) Voir, à cet égard, conclusions de l’avocat général Saugmandsgaard Øe dans l’affaire Caixabank (C‑385/20, EU:C:2021:828, point 59).
( 27 ) Voir, par analogie, arrêt Caixabank (point 99).
( 28 ) Arrêt du 6 juin 2013, Donau Chemie e.a. (C‑536/11, EU:C:2013:366, point 24) ; voir également, dans le même sens, arrêt du 13 juillet 2006, Manfredi e.a. (C‑295/04 à C‑298/04, EU:C:2006:461, points 95 et 96).
( 29 ) Arrêt Caixabank (points 42 à 58) ; voir également, à cet égard, conclusions de l’avocat général Saugmandsgaard Øe dans l’affaire Caixabank (C‑385/20, EU:C:2021:828, points 50 à 54).
( 30 ) Voir, à cet égard, mutatis mutandis, arrêts du 5 juin 2014, Kone e.a. (C‑557/12, EU:C:2014:1317, points 30 et 34), ainsi que du 12 décembre 2019, Otis Gesellschaft e.a. (C‑435/18, EU:C:2019:1069, point 32). Voir également nos conclusions dans l’affaire Kone e.a. (C‑557/12, EU:C:2014:45, points 37, 41 et suiv., ainsi que point 75) et dans l’affaire Otis Gesellschaft e.a. (C‑435/18, EU:C:2019:651, points 83, 142 et suiv.).
( 31 ) Arrêts du 21 janvier 2021, Whiteland Import Export (C‑308/19, EU:C:2021:47, points 60 à 62), et du 22 juin 2022, Volvo et DAF Trucks (C‑267/20, EU:C:2022:494, point 52).
( 32 ) Arrêts du 14 mars 2013, Aziz (C‑415/11, EU:C:2013:164, point 53) ; du 1er octobre 2015, ERSTE Bank Hungary (C‑32/14, EU:C:2015:637, point 51), et Caixabank (points 85 et 97).
( 33 ) Selon l’avocat général Szpunar, il s’agit en l’occurrence de règles de procédure [voir conclusions de l’avocat général Szpunar dans l’affaire PACCAR e.a. (C‑163/21, EU:C:2022:286, point 57) et dans l’affaire RegioJet (C‑57/21, EU:C:2022:363, point 29)]. Si la Cour devait suivre cette analyse, les règles nationales de transposition de ces dispositions seraient donc applicables en l’espèce ratione temporis, sans que ce point soit décisif dans le cadre de la présente argumentation.
( 34 ) Mise en italique par nos soins.
( 35 ) Arrêt du 29 juillet 2019, Tibor-Trans (C‑451/18, EU:C:2019:635, point 36). En outre, la Cour a estimé que l’article 11 de la directive 2014/104 ne portait pas sur la détermination des personnes tenues à réparation, mais sur la répartition de la responsabilité entre les personnes tenues à réparation : voir arrêt du 14 mars 2019, Skanska Industrial Solutions e.a. (C‑724/17, EU:C:2019:204, point 34).
( 36 ) Arrêts du 5 juin 2014, Kone e.a. (C‑557/12, EU:C:2014:1317), et du 12 décembre 2019, Otis Gesellschaft e.a. (C‑435/18, EU:C:2019:1069).