ARRÊT DE LA COUR (sixième chambre)
20 octobre 2022 (*)
« Renvoi préjudiciel – Politique sociale – Égalité de traitement en matière d’emploi et de travail – Directive 2000/78/CE – Article 2, paragraphes 1 et 2 – Interdiction de discrimination fondée sur l’âge – Réglementation nationale ayant pour effet que le traitement perçu par certains magistrats est plus élevé que celui d’autres magistrats de même rang et exerçant les mêmes fonctions – Article 1er – Objet – Caractère exhaustif des discriminations énumérées »
Dans l’affaire C‑301/21,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la Curtea de Apel Oradea (cour d’appel d’Oradea, Roumanie), par décision du 12 avril 2021, parvenue à la Cour le 11 mai 2021, dans la procédure
Curtea de Apel Alba Iulia e.a.
contre
YF e.a.,
en présence de :
Consiliul Naţional pentru Combaterea Discriminării,
Tribunalul Cluj,
LA COUR (sixième chambre),
composée M. A. Arabadjiev (rapporteur), président de la première chambre, faisant fonction de président de la sixième chambre, M. A. Kumin et M^me I. Ziemele, juges,
avocat général : M. M. Campos Sánchez-Bordona,
greffier : M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
considérant les observations présentées :
– pour le gouvernement roumain, par M^me E. Gane, en qualité d’agent, assistée de M^me A. Wellman, consilier,
– pour l’Irlande, par M^me M. Browne, M. A. Joyce et M^me J. Quaney, en qualité d’agents, assistés de M. D. Fennelly, BL,
– pour la Commission européenne, par M^me M. Carpus Carcea et M. D. Martin, en qualité d’agents,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 1^er, de l’article 2, paragraphes 1 et 2, de l’article 3, paragraphe 1, sous c), dernière phrase, et de l’article 9, paragraphe 1, de la directive 2000/78/CE du Conseil, du 27 novembre 2000, portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail (JO 2000, L 303, p. 16), ainsi que de l’article 47, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l’Union
européenne (ci-après la « Charte »).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant YF e.a., sept magistrats roumains (ci- après les « magistrats en cause »), à la Curtea de Apel Alba Iulia (cour d’appel d’Alba Iulia, Roumanie), ainsi qu’à quatre autres juridictions roumaines, en leur qualité d’employeur de ces magistrats (ci-après les « juridictions concernées »), au sujet d’une demande visant, au titre d’une prétendue discrimination en matière d’emploi, à ce que ces dernières soient condamnées à verser aux
magistrats en cause une indemnité égale à la différence entre leur traitement effectivement perçu et celui qu’ils auraient dû percevoir conformément à une réglementation nationale qu’ils estiment leur être applicable.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
3 Aux termes de son article 1^er, la directive 2000/78 a « pour objet d’établir un cadre général pour lutter contre la discrimination fondée sur la religion ou les convictions, [le] handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle, en ce qui concerne l’emploi et le travail, en vue de mettre en œuvre, dans les États membres, le principe de l’égalité de traitement ».
4 L’article 2, paragraphes 1 et 2, de cette directive prévoit :
« 1. Aux fins de la présente directive, on entend par “principe de l’égalité de traitement” l’absence de toute discrimination directe ou indirecte, fondée sur un des motifs visés à l’article 1^er.
2. Aux fins du paragraphe 1 :
a) une discrimination directe se produit lorsqu’une personne est traitée de manière moins favorable qu’une autre ne l’est, ne l’a été ou ne le serait dans une situation comparable, sur la base de l’un des motifs visés à l’article 1^er ;
b) une discrimination indirecte se produit lorsqu’une disposition, un critère ou une pratique apparemment neutre est susceptible d’entraîner un désavantage particulier pour des personnes d’une religion ou de convictions, d’un handicap, d’un âge ou d’une orientation sexuelle donnés, par rapport à d’autres personnes, à moins que :
i) cette disposition, ce critère ou cette pratique ne soit objectivement justifié par un objectif légitime et que les moyens de réaliser cet objectif ne soient appropriés et nécessaires, ou que
ii) dans le cas des personnes d’un handicap donné, l’employeur ou toute personne ou organisation auquel s’applique la présente directive ne soit obligé, en vertu de la législation nationale, de prendre des mesures appropriées conformément aux principes prévus à l’article 5 afin d’éliminer les désavantages qu’entraîne cette disposition, ce critère ou cette pratique. »
5 L’article 3, paragraphe 1, sous c), de ladite directive dispose :
« Dans les limites des compétences conférées à la Communauté, la présente directive s’applique à toutes les personnes, tant pour le secteur public que pour le secteur privé, y compris les organismes publics, en ce qui concerne :
[...]
c) les conditions d’emploi et de travail, y compris les conditions de licenciement et de rémunération ».
6 L’article 9, paragraphe 1, de la même directive se lit comme suit :
« Les États membres veillent à ce que des procédures judiciaires et/ou administratives, y compris, lorsqu’ils l’estiment approprié, des procédures de conciliation, visant à faire respecter les obligations découlant de la présente directive soient accessibles à toutes les personnes qui s’estiment lésées par le non-respect à leur égard du principe de l’égalité de traitement, même après que les relations dans lesquelles la discrimination est présumée s’être produite se sont terminées. »
Le droit roumain
L’OG n^o 137/2000
7 Aux termes de l’article 1^er, paragraphe 2, sous a), de l’Ordonanţa Guvernului nr. 137/2000 privind prevenirea și sancționarea tuturor formelor de discriminare (ordonnance du gouvernement n^o 137/2000 relative à la prévention et à la répression de toutes les formes de discrimination), du 31 août 2000 (Monitorul Oficial al României, partie I, n^o 166 du 7 mars 2014), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après l’« OG n° 137/2000 »), le principe de l’égalité entre les citoyens
ainsi que le principe de l’absence de privilèges et de discriminations sont garantis notamment dans l’exercice du droit à l’égalité de traitement devant les juridictions nationales et devant tout autre organe juridictionnel.
8 L’article 2, paragraphes 1 à 3, de l’OG n^o 137/2000 prévoit :
« 1. Au sens de la présente ordonnance, on entend par discrimination toute distinction, exclusion, restriction ou préférence fondée sur la race, la nationalité, l’appartenance à une ethnie, la langue, la religion, la catégorie sociale, les convictions, le sexe, l’orientation sexuelle, l’âge, le handicap, la maladie chronique non contagieuse, la séropositivité au virus de l’immunodéficience humaine (VIH), l’appartenance à une catégorie défavorisée, ainsi que tout autre critère ayant pour objet
ou effet de restreindre ou d’écarter la reconnaissance, l’usage ou l’exercice, sur un pied d’égalité, des droits de l’homme et des libertés fondamentales ou des droits reconnus par la loi, dans les domaines politique, économique, social et culturel ou dans tout autre domaine de la vie publique.
2. Une disposition discriminant des personnes sur l’une des bases visées au paragraphe 1 est considérée comme discriminatoire au sens de la présente ordonnance.
3. Sont discriminatoires, selon la présente ordonnance, les dispositions, critères ou pratiques apparemment neutres qui désavantagent certaines personnes sur la base des critères énoncés au paragraphe 1, par rapport à d’autres personnes, à moins que ces dispositions, critères ou pratiques ne soient objectivement justifiés par un objectif légitime et que les méthodes pour l’atteindre sont appropriées et nécessaires. »
9 L’article 5 de l’OG n^o 137/2000 précise que la différence de traitement fondée sur une caractéristique liée aux critères visés à l’article 2, paragraphe 1, de cette ordonnance ne constitue pas une discrimination lorsque, en raison de la nature des activités professionnelles ou du contexte dans lequel elles se déroulent, une telle caractéristique constitue une exigence professionnelle réelle et déterminante, pour autant que l’objectif soit légitime et l’exigence proportionnée.
10 Aux termes de l’article 27, paragraphes 1 et 2, de l’OG n^o 137/2000 :
« 1. Toute personne qui s’estime victime d’une discrimination peut demander réparation en justice et le retour à la situation antérieure à la discrimination ou l’annulation de la situation résultant de la discrimination, conformément au droit commun. [...]
2. Le délai pour introduire le recours est de trois ans à compter de la date de survenance des faits ou de la date à laquelle l’intéressé a pu en prendre connaissance. »
L’OUG n^o 27/2006
11 L’article 2 de l’Ordonanţa de urgenţă a Guvernului nr. 27/2006 privind salarizarea şi alte drepturi ale judecătorilor, procurorilor şi altor categorii de personal din sistemul justiţiei (ordonnance d’urgence du gouvernement n^o 27/2006 relative à la rémunération et à d’autres droits des juges, des procureurs et des autres catégories de personnel du système judiciaire), du 29 mars 2006 (Monitorul Oficial al României, partie I, n^o 314 du 7 avril 2006), dans sa version applicable au litige au
principal (ci-après l’« OUG n^o 27/2006 »), est libellé comme suit :
« La rémunération et autres droits des juges, des procureurs, du personnel qui leur est assimilé et des magistrats-assistants sont déterminés en tenant compte du lieu et du rôle de la justice dans l’État de droit, de la responsabilité, de la complexité et des risques des fonctions, des incompatibilités et des interdictions prévues par la loi pour ces catégories de personnel. »
12 L’article 3 de l’OUG n^o 27/2006 prévoit que les juges, procureurs, magistrats-assistants, ainsi que le personnel juridique assimilé aux juges et procureurs ont droit, pour l’activité exercée, à une indemnité mensuelle brute d’encadrement fixée par rapport au niveau des juridictions ou parquets, aux fonctions détenues et à l’ancienneté dans la magistrature, sur la base de la « valeur de référence sectorielle » et des coefficients multiplicateurs visés à l’annexe qui fait partie intégrante de
cette ordonnance d’urgence.
13 Conformément à l’article 11 de l’OUG n^o 27/2006, les procureurs de la direction nationale anticorruption et ceux de la direction des enquêtes sur les infractions en matière de criminalité organisée et de terrorisme sont rémunérés conformément à ce qui est prévu à l’annexe, partie A, points 6 à 13, de cette ordonnance d’urgence, au regard des fonctions qu’ils possèdent ou auxquelles ils sont assimilés en vertu de la loi.
14 Aux termes de l’article 40 de l’OUG n^o 27/2006, les dispositions de celle-ci sont applicables à partir du mois d’avril 2006.
15 L’annexe, partie A, intitulée « Coefficients multiplicateurs », de l’OUG n^o 27/2006 contient un point 13 qui précise que le coefficient multiplicateur de 19,00 correspond à la fonction de « procureur » du parquet près l’Înalta Curte de Casație și Justiție (Haute Cour de cassation et de justice, Roumanie). Par ailleurs, le même coefficient est prévu au point 14 de la partie A de cette annexe pour la fonction de « Président, procureur général » des cours d’appel et des parquets près les cours
d’appel.
L’OG n^o 10/2007
16 L’article 1^er de l’Ordonanţa Guvernului nr. 10/2007 privind creşterile salariale ce se vor acorda în anul 2007 personalului bugetar şi personalului salarizat potrivit Ordonanței de urgență a Guvernului nr. 24/2000 privind sistemul de stabilire a salariilor de bază pentru personalul contractual din sectorul bugetar și personalului salarizat potrivit anexelor nr. II şi III la Legea nr. 154/1998 privind sistemul de stabilire a salariilor de bază în sectorul bugetar şi a indemnizaţiilor pentru
persoane care ocupă funcţii de demnitate publică (ordonnance du gouvernement n^o 10/2007 relative aux augmentations de rémunération qui seront accordées en 2007 au personnel budgétaire et au personnel salarié conformément à l’ordonnance d’urgence du gouvernement n^o 24/2000 sur le système de fixation des traitements de base pour le personnel contractuel du secteur budgétaire et pour le personnel salarié au titre des annexes II et III de la loi n^o 154/1998 relative au système de fixation des
traitements de base du secteur budgétaire et des indemnités pour les responsables publics), du 31 janvier 2007 (Monitorul Oficial al României, partie I, n^o 80 du 1^er février 2007), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après l’« OG n^o 10/2007 »), prévoit :
« En 2007, les traitements de base du personnel contractuel du secteur budgétaire [...] ont été augmentés [...] :
a) de 5 % à partir du 1^er janvier 2007, par rapport à celui du mois de décembre 2006 ;
b) de 2 % à compter du 1^er avril 2007, par rapport au taux du mois de mars 2007 ;
c) de 11 % à partir du 1^er octobre 2007, par rapport au taux du mois de septembre 2007. »
La loi-cadre n^o 330/2009
17 L’article 1^er, paragraphes 1 et 2, de la Legea-cadru nr. 330/2009 privind salarizarea unitară a personalului plătit din fonduri publice (loi-cadre n^o 330/2009 relative au système uniforme de rémunération du personnel payé sur des fonds publics), du 5 novembre 2009 (Monitorul Oficial al României, partie I, n^o 762 du 9 novembre 2009), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après la « loi-cadre n^o 330/2009 »), est entré en vigueur le 1^er janvier 2010. Cette disposition est
libellée comme suit :
« 1. La présente loi a pour objet de régir la mise en œuvre d’un système uniforme de rémunération du personnel du secteur budgétaire payé sur le budget général consolidé de l’État.
2. À compter de la date d’entrée en vigueur de tout ou partie de la présente loi, les droits du personnel visé au paragraphe 1 sont et restent exclusivement ceux prévus par la présente loi. [...] »
18 Il ressort de l’article 2 de cette loi-cadre que ses dispositions s’appliquent au personnel des autorités et des institutions publiques, parmi lesquelles l’autorité judiciaire est expressément mentionnée.
19 Conformément à l’article 12, paragraphe 1, de ladite loi-cadre, les coefficients de classement sur la base desquels sont fixés les indemnités mensuelles d’encadrement, les primes et autres droits spécifiques à chaque domaine d’activité sont prévus dans les annexes de la même loi-cadre. Selon l’article 12, paragraphe 2, de la loi-cadre n^o 330/2009, le montant du coefficient de classement 1,00 pour l’année 2010 était de 705 lei roumains (RON) (environ 143,15 euros) et l’augmentation du
coefficient de classement 1,00 après l’année 2010 était subordonnée à la réduction du nombre d’employés, nécessaire à la réalisation des objectifs annuels relatifs à la part des dépenses de personnel dans le produit intérieur brut (PIB), prévu à l’article 5 de cette loi-cadre, afin d’atteindre un niveau du coefficient de classement 1,00 de 1 110 RON (environ 225,39 euros) en 2015. En outre, l’article 12, paragraphe 3, de ladite loi-cadre prévoit que, pour ce qui concerne l’année 2010, les indemnités
mensuelles d’encadrement sont fixées conformément à l’article 30, paragraphe 5, de la même loi-cadre sans que soient utilisés les coefficients de classement prévus aux annexes de celle-ci.
20 L’article 30, paragraphe 5, de la loi-cadre n^o 330/2009 est libellé comme suit :
« En 2010, le personnel en fonction au 31 décembre 2009 conservera son salaire, sans être affecté par les mesures de réduction des frais de personnel du mois de décembre 2009, de la manière suivante :
a) […] l’indemnité mensuelle d’encadrement sera […] celle qui correspond aux fonctions du mois de décembre 2009 auxquelles s’ajoutent les primes qui y sont insérées conformément aux annexes de la présente loi ;
b) les primes prévues aux annexes de la présente loi, qui sont restées en dehors [de] […] l’indemnité mensuelle d’encadrement, sont octroyées pour un montant donnant lieu à une valeur égale au montant calculé pour le mois de décembre 2009. »
Le code du travail
21 L’article 5 de la Legea nr. 53/2003 privind Codul muncii (loi n^o 53/2003 portant code du travail), du 24 janvier 2003 (Monitorul Oficial al României, partie I, n^o 72 du 5 février 2003), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après le « code du travail »), dispose :
« 1. Les relations de travail sont régies par le principe d’égalité de traitement à l’égard de tous les salariés et employeurs.
2. Toute discrimination directe ou indirecte à l’égard d’un salarié, fondée sur le sexe, l’orientation sexuelle, les caractéristiques génétiques, l’âge, l’appartenance nationale, la race, la couleur, l’ethnie, la religion, les choix politiques, l’origine sociale, le handicap, la situation ou la responsabilité familiale, l’appartenance ou l’activité syndicale, est interdite.
3. Constituent une discrimination directe, les actes et les faits d’exclusion, la différence, la restriction ou la préférence, fondées sur un ou plusieurs des critères énoncés au paragraphe 2, qui ont pour objet ou pour effet de ne pas accorder, de restreindre ou d’écarter la reconnaissance, l’usage ou l’exercice des droits prévus par la législation du travail.
4. Constituent une discrimination indirecte, les actes et les faits qui sont apparemment fondés sur d’autres critères que ceux visés au paragraphe 2, mais qui produisent les effets d’une discrimination directe. »
22 Aux termes de l’article 268, paragraphe 1, sous c), du code du travail, les demandes visant à régler un conflit de travail peuvent être présentées dans un délai de trois ans à compter de la naissance du droit d’action, lorsque l’objet du conflit individuel de travail consiste dans le paiement de créances de salaire impayées ou d’indemnisation au salarié, ainsi qu’en cas de responsabilité patrimoniale des salariés à l’égard de l’employeur.
La loi sur le dialogue social
23 L’article 211 de la Legea nr. 62/2011 a dialogului social (loi n^o 62/2011 sur le dialogue social), du 10 mai 2011 (republiée dans le Monitorul Oficial al României, partie I, n^o 625 du 31 août 2012), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après la « loi sur le dialogue social »), dispose :
« Les recours peuvent être introduits par ceux dont les droits ont été violés, de la manière suivante :
[...]
c) le paiement de dommages et intérêts pour le préjudice causé et la répétition de l’indu peuvent être réclamés dans un délai de trois ans à compter de la survenance du dommage. »
Le litige au principal et les questions préjudicielles
24 Au cours des années 2006 à 2009, la majorité des magistrats en fonction en Roumanie (ci-après les « anciens magistrats ») ont obtenu des décisions judiciaires leur reconnaissant le droit de bénéficier du versement d’indemnités mensuelles brutes d’encadrement majorées prenant en compte, d’une part, l’application à leur traitement d’un coefficient multiplicateur plus élevé, correspondant à celui dont bénéficient les procureurs de la direction nationale anticorruption et de la direction des
enquêtes sur les infractions en matière de criminalité organisée et de terrorisme, ainsi que, d’autre part, une valeur de référence sectorielle majorée, conformément aux dispositions de l’article 1^er de l’OG n° 10/2007.
25 À la suite de l’entrée en vigueur, le 1^er janvier 2010, de la loi-cadre n^o 330/2009, les traitements des juges ont été calculés de manière égale pour l’ensemble de ceux-ci conformément aux dispositions de cette loi et tous les recours introduits par les magistrats ayant pris leurs fonctions à compter du 1^er janvier 2010 en vue de bénéficier des majorations de traitement visées au point précédent ont été rejetés sur le fondement de cette égalité salariale.
26 Par décision n^o 7/2019 du 11 février 2019, contraignante pour les juridictions nationales, l’Înalta Curte de Casație și Justiție (Haute Cour de cassation et de justice, Roumanie), saisie d’un pourvoi dans l’intérêt de la loi, a décidé que, conformément à l’article 1^er, paragraphe 2, de la loi-cadre n^o 330/2009, les majorations prévues à l’article 1^er, paragraphe 1, de l’OG n^o 10/2007 étaient et demeuraient incluses dans l’indemnité mensuelle brute d’encadrement même après l’entrée en
vigueur de ladite loi-cadre (ci-après l’« arrêt de la Haute Cour de cassation et de justice »).
27 À la suite de l’arrêt de la Haute Cour de cassation et de justice, le Ministerul Justiției (ministère de la Justice, Roumanie) a alloué des fonds aux juridictions pour le paiement rétroactif, aux anciens magistrats, de majorations de traitement au titre des décisions rendues en leur faveur au cours des années 2006 à 2009. En revanche, ce ministère a refusé de débloquer des fonds au profit des autres magistrats, tels que les magistrats en cause, qui n’avaient pas bénéficié de telles décisions
judiciaires.
28 C’est dans ce contexte que, le 10 mars 2020, les magistrats en cause ont introduit un recours devant le Tribunalul Bihor (tribunal de grande instance de Bihor, Roumanie), en demandant que les juridictions concernées soient condamnées à leur verser une indemnité égale à la différence entre leur traitement effectivement perçu et celui qu’ils auraient dû percevoir en tenant compte du coefficient multiplicateur prévu par l’OUG n^o 27/2006. À l’appui de cette action, ils ont soutenu qu’ils
faisaient l’objet d’une discrimination par rapport aux anciens magistrats qui avaient bénéficié d’une majoration de traitement, étant donné qu’ils ont exercé le même travail, au cours de la même période et pour le même employeur. Les juridictions concernées ont, d’une part, excipé de la prescription de cette action, sur le fondement de l’article 211, sous c), de la loi sur le dialogue social, en faisant valoir que plus de trois ans s’étaient écoulés depuis la date à laquelle le prétendu dommage
était survenu, et, d’autre part, soutenu qu’il n’existait pas, en l’occurrence, de situation de discrimination, puisque la situation des deux catégories de magistrats n’est pas comparable.
29 Par jugement du 18 septembre 2020, le Tribunalul Bihor (tribunal de grande instance de Bihor) a fait droit à l’action des magistrats en cause. Cette juridiction a, d’une part, rejeté l’exception de prescription au motif que c’était le délai de prescription spécial de trois ans prévu à l’article 27, paragraphe 2, de l’OG n^o 137/2000 qui était applicable, lequel court à compter de la date à laquelle l’événement discriminatoire s’est produit ou de la date à laquelle l’intéressé aurait pu en
prendre connaissance. D’autre part, cette même juridiction a estimé que les juridictions concernées avaient créé une situation de discrimination à l’égard des magistrats en cause en n’ayant procédé au versement rétroactif de majorations de traitement qu’au profit de certains magistrats. Par conséquent, les juridictions concernées ont été condamnées à verser aux magistrats en cause les mêmes majorations de traitement que celles qu’elles avaient payées rétroactivement aux mois de décembre 2019 et de
janvier 2020 aux anciens magistrats.
30 Les juridictions concernées ont fait appel de ce jugement devant la juridiction de renvoi, la Curtea de Apel Oradea (cour d’appel d’Oradea, Roumanie). Elles soutiennent, en substance, que les magistrats en cause ne sauraient faire valoir l’existence d’une discrimination à leur égard, le paiement des majorations de traitement ayant été effectué au profit des anciens magistrats sur la base des décisions judiciaires qui leur étaient favorables, après qu’elles ont fait l’objet d’une
interprétation par l’arrêt de la Haute Cour de cassation et de justice. Or, les magistrats en cause ne sauraient se prévaloir de telles décisions.
31 Les magistrats en cause font valoir, quant à eux, que, bien que, au cours de la période au cours de laquelle des décisions judiciaires ont été prononcées en faveur des anciens magistrats, comprise entre l’année 2006 et l’année 2009, ils n’avaient pas encore la qualité de magistrats, il n’en demeure pas moins que l’arrêt de la Haute Cour de cassation et de justice a été prononcé postérieurement à cette période, de telle sorte que les effets de ces décisions ont été étendus pour l’avenir. Ces
effets concerneraient dès lors également une période au cours de laquelle les magistrats en cause ont exercé leurs fonctions en même temps que les anciens magistrats, à savoir la période comprise entre l’année 2010 et l’année 2015.
32 La juridiction de renvoi relève que, selon la législation nationale, les litiges en matière de droit du travail relatifs au paiement d’arriérés de salaire sont soumis à un délai de prescription de trois ans régi par l’article 268, sous c), du code du travail, qui court à compter du moment où le droit d’agir prend naissance et que, parallèlement, l’article 211, sous c), de la loi sur le dialogue social prévoit que les demandes peuvent être introduites par ceux dont les droits ont été violés
dans un délai de trois ans à compter de la date de la survenance du préjudice. Dans ce contexte, cette juridiction s’interroge sur la garantie du droit d’accès à une juridiction si l’exception de prescription du droit d’agir était accueillie.
33 En outre, la juridiction de renvoi souligne que ce n’est que parce que les magistrats en cause sont plus jeunes et ont été nommés dans leurs fonctions postérieurement aux recours introduits par les anciens magistrats au cours des années 2006 à 2009 que les juridictions concernées leur refusent ces droits alors qu’ils ont travaillé dans les mêmes conditions au cours de la période comprise entre l’année 2010 et l’année 2015. Partant, elle se demande si une interprétation du droit de l’Union
selon laquelle les majorations de traitement ne peuvent plus être réclamées en justice parce que le droit d’agir est prescrit ne crée pas une discrimination entre, d’une part, les anciens magistrats, pour lesquels les juridictions concernées leur ont reconnu et payé ces majorations aux mois de décembre 2019 et de janvier 2020, et, d’autre part, les magistrats, tels les magistrats en cause, auxquels ces juridictions n’ont pas reconnu le droit à de telles majorations et qui ont introduit leur recours
contentieux au cours de l’année 2020, alors que les deux catégories de magistrats ont travaillé au cours de la même période, pour le même employeur et ont exercé les mêmes fonctions.
34 C’est dans ces conditions que la Curtea de Apel Oradea (cour d’appel d’Oradea) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) Les dispositions de l’article 9, paragraphe 1, de la directive [2000/78] sur la garantie d’une procédure judiciaire “accessible à toutes les personnes qui s’estiment lésées par le non-respect à leur égard du principe d’égalité de traitement”, ainsi que les dispositions de l’article 47, [premier alinéa], de la [Charte] sur la garantie du droit à “un recours effectif et à accéder à un tribunal impartial”, doivent-elles être interprétées en ce sens qu’elles s’opposent à une règle nationale
telle que l’article 211, sous c), de la [loi sur le dialogue social], qui prévoit que le délai de trois ans pour formuler une demande de réparation court “à compter de la survenance du préjudice”, et ce, que les plaignants aient ou non eu connaissance de la survenance du préjudice (et de son étendue) ?
2) Les dispositions de l’article 2, paragraphes 1 et 2, ainsi que celles de l’article 3, paragraphe 1, sous c), in fine, de la directive [2000/78] doivent-elles être interprétées en ce sens qu’elles s’opposent à une règle nationale telle que l’article 1^er, paragraphe 2, de la [loi-cadre n^o 330/2009], telle qu’interprétée [par l’arrêt de la Haute Cour de cassation et de justice], dans la mesure où les [magistrats en cause] n’ont pas eu la possibilité légale de demander une majoration de
l’indemnité d’encadrement au moment de leur entrée dans la magistrature, intervenue après l’entrée en vigueur de la loi-cadre n^o 330/2009, acte normatif qui prévoit expressément que les droits salariaux sont et restent exclusivement ceux prévus par [cette] loi ; ce qui signifie qu’il y a une discrimination en matière de rémunération par rapport à leurs collègues, y compris fondée sur le critère de l’âge puisque seuls les magistrats les plus âgés, ayant été nommés avant le mois de janvier 2010 (qui
ont obtenu des jugements en leur faveur au cours de la période 2006-2009 dont les dispositifs ont été clarifiés en 2019 sur la base de [l’arrêt de la Haute Cour de cassation et de justice], ont bénéficié du paiement rétroactif de leurs droits (analogues à ceux demandés dans le recours faisant l’objet de la présente affaire), en décembre 2019/janvier 2020, pour la période 2010-2015, même si, au cours de cette période, les [magistrats en cause] ont exercé les fonctions de juge, ont effectué le même
travail, dans les mêmes conditions et dans la même institution ?
3) Les dispositions de la directive [2000/78] doivent-elles être interprétées en ce sens qu’elles ne s’opposent à une discrimination que lorsqu’elle est fondée sur l’un des critères visés à l’article 1^er de cette directive ou, au contraire, ces dispositions, éventuellement complétées par d’autres dispositions du droit de l’Union, s’opposent-elles de manière générale à ce qu’un travailleur soit traité différemment d’un autre, en matière de rémunération, lorsqu’il effectue le même travail pour
le même employeur [au cours de] la même période et dans les mêmes conditions ? »
Sur la demande de procédure accélérée
35 La juridiction de renvoi a demandé que le présent renvoi préjudiciel soit soumis à une procédure accélérée en vertu de l’article 105 du règlement de procédure de la Cour. À l’appui de sa demande, cette juridiction a fait valoir qu’une telle procédure se justifie en raison de l’existence d’une situation de tension au niveau des juridictions roumaines résultant de la très grande différence de rémunération entre les magistrats.
36 L’article 105, paragraphe 1, du règlement de procédure prévoit que, à la demande de la juridiction de renvoi ou, à titre exceptionnel, d’office, le président de la Cour peut décider, le juge rapporteur et l’avocat général entendus, de soumettre un renvoi préjudiciel à une procédure accélérée lorsque la nature de l’affaire exige son traitement dans de brefs délais.
37 Il importe de rappeler, à cet égard, qu’une telle procédure accélérée constitue un instrument procédural destiné à répondre à une situation d’urgence extraordinaire. Par ailleurs, il ressort également de la jurisprudence de la Cour que la procédure accélérée peut ne pas être appliquée lorsque le caractère sensible et complexe des problèmes juridiques posés par une affaire se prête difficilement à l’application d’une telle procédure, notamment lorsqu’il n’apparaît pas approprié d’écourter la
phase écrite de la procédure devant la Cour [arrêt du 23 novembre 2021, IS (Illégalité de l’ordonnance de renvoi), C‑564/19, EU:C:2021:949, point 54 ainsi que jurisprudence citée].
38 En l’occurrence, par décision du 28 juin 2021, le président de la Cour, le juge rapporteur et l’avocat général entendus, a rejeté la demande tendant à ce que la présente affaire soit soumise à une procédure accélérée.
39 En effet, ni l’intérêt des justiciables, tout aussi important et légitime qu’il soit, à ce que soit déterminée le plus rapidement possible la portée des droits qu’ils tirent du droit de l’Union ni le caractère économiquement ou socialement sensible de l’affaire au principal n’impliquent pour autant la nécessité de son traitement dans de brefs délais, au sens de l’article 105, paragraphe 1, du règlement de procédure.
Sur la recevabilité de la demande de décision préjudicielle
40 Dans ses observations écrites, le gouvernement roumain conteste la recevabilité de la demande de décision préjudicielle. Il considère, d’une part, que la juridiction de renvoi n’a pas fourni les éléments de fait et de droit nécessaires afin que la Cour puisse apporter une réponse utile à la résolution du litige au principal et, d’autre part, que ladite juridiction n’a pas suffisamment expliqué le choix des dispositions du droit de l’Union dont elle demande l’interprétation ni le lien qu’elle
établit entre ces dernières et la législation nationale applicable à ce litige.
41 À cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, dans le cadre de la coopération entre la Cour et les juridictions nationales instituée à l’article 267 TFUE, il appartient au seul juge national qui est saisi du litige et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des
questions qu’il pose à la Cour. En conséquence, dès lors que les questions posées portent sur l’interprétation du droit de l’Union, la Cour est, en principe, tenue de statuer (arrêt du 8 octobre 2020, Universitatea « Lucian Blaga » Sibiu e.a., C‑644/19, EU:C:2020:810, point 21 ainsi que jurisprudence citée).
42 Il s’ensuit que les questions portant sur le droit de l’Union bénéficient d’une présomption de pertinence. Le refus de la Cour de statuer sur une question préjudicielle posée par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée du droit de l’Union n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de
droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (arrêt du 8 octobre 2020, Universitatea « Lucian Blaga » Sibiu e.a., C‑644/19, EU:C:2020:810, point 22 et jurisprudence citée).
43 En l’occurrence, s’agissant de la description du cadre factuel, si les informations fournies par la juridiction de renvoi revêtent à certains égards un caractère lacunaire, il n’en demeure pas moins que la demande de décision préjudicielle contient les données suffisantes à la compréhension tant des questions préjudicielles que de leur portée.
44 En outre, il n’apparaît pas de manière manifeste que les dispositions du droit de l’Union mentionnées dans les questions posées par la juridiction de renvoi, qui portent sur une prétendue discrimination fondée sur l’âge interdite dans le cadre des relations d’emploi et de travail, n’aient aucun rapport avec le litige au principal.
45 Il résulte de ce qui précède que la demande de décision préjudicielle est recevable.
Sur les questions préjudicielles
Sur la deuxième question
46 Par sa deuxième question, qu’il convient d’examiner en premier lieu, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 2, paragraphes 1 et 2, de la directive 2000/78 s’oppose à une réglementation nationale qui, telle qu’interprétée par une jurisprudence nationale contraignante, aboutit à ce que le traitement perçu par certains magistrats recrutés après l’entrée en vigueur de cette réglementation soit inférieur à celui de magistrats recrutés avant l’entrée en vigueur de celle-ci.
47 La juridiction de renvoi cherche, en particulier, à savoir si le fait que les magistrats en cause, recrutés après le 1^er janvier 2010, n’ont pas eu la possibilité de demander une majoration de leur traitement, pour la période comprise entre l’année 2010 et l’année 2015, au titre des décisions rendues en faveur des anciens magistrats au cours des années 2006 et 2009, et ce au motif qu’ils n’étaient pas en fonction à cette époque, les place dans une situation moins favorable en raison de leur
âge, au sens de l’article 2, paragraphes 1 et 2, de la directive 2000/78, que les anciens magistrats, qui ont obtenu par voie de justice le paiement rétroactif de leur traitement majoré pour ladite période.
48 À cet égard, il convient de rappeler, en premier lieu, qu’il résulte de l’article 3, paragraphe 1, sous c), de la directive 2000/78 que celle-ci s’applique, dans les limites des compétences conférées à l’Union européenne, à toutes les personnes, tant pour le secteur public que pour le secteur privé, y compris les organismes publics, en ce qui concerne, notamment, les conditions d’emploi et de travail, y compris les conditions de licenciement et de rémunération. Ainsi, les conditions de
rémunération des fonctionnaires, y compris des magistrats, relèvent du champ d’application de la directive 2000/78 (voir, en ce sens, arrêt du 7 février 2019, Escribano Vindel, C‑49/18, EU:C:2019:106, point 40 et jurisprudence citée).
49 En second lieu, il importe également de rappeler qu’il ressort de l’article 2, paragraphe 1, de la directive 2000/78, lu en combinaison avec l’article 1^er de celle-ci, que, aux fins de cette directive, le principe de l’égalité de traitement impose l’absence de toute discrimination directe ou indirecte fondée, notamment, sur l’âge. Il ressort, en outre, de l’article 2, paragraphe 2, sous b), de ladite directive que, aux fins de celle-ci, une discrimination indirecte fondée sur l’âge se
produit lorsqu’une disposition, un critère ou une pratique apparemment neutre est susceptible d’entraîner un désavantage particulier pour des personnes d’un âge donné, par rapport à d’autres personnes, à moins que cette disposition, ce critère ou cette pratique ne soit objectivement justifié par un objectif légitime et que les moyens de réaliser cet objectif ne soient appropriés et nécessaires.
50 En l’occurrence, il convient de déterminer s’il résulte de la législation nationale en cause au principal une différence de traitement entre les magistrats en cause et les anciens magistrats en raison de leur âge.
51 À cet égard, il y a lieu de relever, premièrement, à l’instar de l’Irlande dans ses observations écrites, que la juridiction de renvoi n’a pas précisé l’âge des magistrats en cause, pas plus que la moyenne d’âge ou la structure d’âge du personnel de l’ordre judiciaire roumain.
52 En outre, comme l’a indiqué le gouvernement roumain dans ses observations écrites, il ne ressort aucunement de la réglementation nationale pertinente que l’âge constitue un critère d’accès à la magistrature ou un critère de rémunération des magistrats.
53 Il s’ensuit qu’il y a lieu d’exclure l’existence d’une discrimination directe fondée sur l’âge.
54 Deuxièmement, force est de constater que la juridiction de renvoi n’a identifié aucune catégorie spécifique de magistrats qui subirait un désavantage particulier lié à l’âge, mais s’est bornée à relever que le refus d’accorder aux magistrats en cause une majoration de leur traitement au titre de la période comprise entre l’année 2010 et l’année 2015 découle, d’une part, de leur entrée en fonctions postérieurement à l’entrée en vigueur de la loi-cadre n° 330/2009 et, d’autre part, de
l’absence, en leur faveur, de décisions judiciaires, obtenues avant cette entrée en vigueur, leur reconnaissant le droit à des majorations de traitement.
55 Or, premièrement, l’article 2, paragraphe 2, de la directive 2000/78 ne saurait être interprété en ce sens qu’il s’opposerait à ce qu’une réglementation nationale nouvelle s’applique uniquement à des situations nées postérieurement à son entrée en vigueur, une telle circonstance résultant du seul effet temporel de l’applicabilité d’une loi nouvelle et ne constituant pas, en tant que telle, une discrimination indirecte fondée sur l’âge.
56 En outre, il convient de rappeler que le critère qui fait dépendre l’application de règles nouvelles exclusivement de la date de recrutement en tant qu’élément objectif et neutre est manifestement étranger à toute prise en considération de l’âge des personnes recrutées (arrêt du 14 février 2019, Horgan et Keegan, C‑154/18, EU:C:2019:113, point 25 et jurisprudence citée).
57 Deuxièmement, s’agissant de l’absence, en faveur des magistrats en cause, de décisions judiciaires, obtenues avant l’entrée en vigueur d’une réglementation nationale nouvelle, leur reconnaissant le droit à des majorations de traitement, force est de constater qu’une telle différence de traitement résulte non pas de l’âge des magistrats en cause, mais de l’absence de décisions judiciaires prononcées en leur faveur.
58 Un tel critère n’apparaît ainsi aucunement lié à l’âge de ces magistrats ou à tout autre motif de discrimination interdit par la directive 2000/78.
59 Dans ces conditions, il convient de considérer que les indications figurant dans la demande de décision préjudicielle ne font pas davantage apparaître que la réglementation nationale en cause au principal renferme une quelconque discrimination indirecte fondée sur l’âge.
60 Il s’ensuit qu’une situation telle que celle en cause au principal ne relève pas du cadre général établi à l’article 2, paragraphe 2, de la directive 2000/78 afin de lutter contre certaines formes de discrimination sur le lieu de travail.
61 Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la deuxième question que l’article 2, paragraphes 1 et 2, de la directive 2000/78 doit être interprété en ce sens qu’il ne trouve pas à s’appliquer à une réglementation nationale qui, telle qu’interprétée par une jurisprudence nationale contraignante, aboutit à ce que le traitement perçu par certains magistrats recrutés après l’entrée en vigueur de cette réglementation soit inférieur à celui de magistrats recrutés avant
l’entrée en vigueur de celle-ci, dès lors qu’il n’en résulte aucune discrimination directe ou indirecte fondée sur l’âge.
Sur la troisième question
62 Par sa troisième question, qu’il convient d’examiner en deuxième lieu, la juridiction de renvoi cherche, en substance, à savoir si la directive 2000/78, éventuellement complétée par d’autres dispositions du droit de l’Union, s’oppose à toute discrimination fondée sur des motifs autres que ceux expressément prévus à l’article 1^er de cette directive.
63 D’emblée, il convient de rappeler que, en vertu de cette disposition et de l’article 2, paragraphe 1, et paragraphe 2, sous b), de la directive 2000/78, sont interdites les discriminations indirectes fondées sur « la religion ou les convictions, [le] handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle, en ce qui concerne l’emploi et le travail ».
64 À cet égard, il ressort d’une jurisprudence constante que, conformément à l’article 2, paragraphe 1, de ladite directive, les motifs visés à l’article 1^er de celle-ci sont énumérés de manière exhaustive (arrêt du 8 octobre 2020, Universitatea « Lucian Blaga » Sibiu e.a., C‑644/19, EU:C:2020:810, point 31 ainsi que jurisprudence citée).
65 En outre, il y a lieu de relever que la directive 2000/78 a été adoptée sur le fondement de l’article 13 CE, devenu l’article 19 TFUE, qui prévoit, en substance, que le Conseil de l’Union européenne peut prendre les mesures nécessaires en vue de combattre toute discrimination fondée sur le sexe, la race ou l’origine ethnique, la religion ou les convictions, un handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle.
66 Or, la Cour a jugé que cette disposition ne vise pas les discriminations fondées sur d’autres motifs que ceux qu’elle énumère expressément, si bien qu’elle ne saurait constituer le fondement juridique de mesures de l’Union visant à combattre de telles discriminations (voir, en ce sens, arrêt du 7 juillet 2011, Agafiţei e.a., C‑310/10, EU:C:2011:467, point 35 ainsi que jurisprudence citée).
67 Partant, il convient de considérer qu’une discrimination fondée sur d’autres motifs que ceux expressément visés à l’article 1^er de la directive 2000/78 ne relève pas du champ d’application de ladite directive.
68 Ce constat ne saurait être remis en cause par la circonstance avancée par la juridiction de renvoi, selon laquelle la directive 2000/78 pourrait être « complétée » à cet égard par d’autres dispositions de l’Union, lesquelles ne sont d’ailleurs pas précisées par cette juridiction. En effet, force est de constater qu’il ne ressort d’aucun élément du dossier dont dispose la Cour que la différence de traitement alléguée par les magistrats en cause relèverait d’une autre disposition spécifique du
droit de l’Union.
69 Eu égard à ce qui précède, il convient de répondre à la troisième question que la directive 2000/78 doit être interprétée en ce sens qu’elle ne s’oppose à une discrimination que lorsque celle-ci est fondée sur l’un des motifs expressément énumérés à son article 1^er.
Sur la première question
70 Par sa première question, qu’il convient d’examiner en dernier lieu, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 9, paragraphe 1, de la directive 2000/78 ainsi que l’article 47, premier alinéa, de la Charte s’opposent à une réglementation nationale qui prévoit que le délai pour introduire un recours en indemnisation au titre d’une prétendue discrimination est de trois ans à compter de la survenance du préjudice, que le requérant ait eu ou non connaissance de la survenance du
préjudice et de son étendue.
71 D’emblée, il importe de relever que, compte tenu de la réponse apportée à la deuxième question, dont il ressort que la différence de traitement alléguée par les magistrats en cause ne relève pas du champ d’application de la directive 2000/78, il n’y a pas lieu de répondre à la première question à l’aune des dispositions de cette directive.
72 Cela étant, dans la mesure où cette question vise également expressément une disposition de la Charte, il convient de rappeler que le champ d’application de cette dernière est défini à son article 51, paragraphe 1, aux termes duquel ses dispositions s’adressent aux États membres uniquement lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union (arrêt du 26 février 2013, Åkerberg Fransson, C‑617/10, EU:C:2013:105, point 17).
73 À cet égard, la Cour a précisé que la notion de « mise en œuvre du droit de l’Union », au sens de l’article 51 de la Charte, impose l’existence d’un lien de rattachement d’un certain degré, dépassant le voisinage des matières visées ou les incidences indirectes de l’une des matières sur l’autre (arrêt du 6 mars 2014, Siragusa, C‑206/13, EU:C:2014:126, point 24 et jurisprudence citée).
74 Il s’ensuit que les droits fondamentaux garantis dans l’ordre juridique de l’Union ont vocation à être appliqués dans toutes les situations régies par le droit de l’Union, mais pas en dehors de telles situations (arrêt du 26 février 2013, Åkerberg Fransson, C‑617/10, EU:C:2013:105, point 19).
75 Ainsi, lorsque les dispositions du droit de l’Union dans le domaine concerné ne réglementent pas un aspect et n’imposent aucune obligation spécifique aux États membres à l’égard d’une situation donnée, la réglementation nationale qu’édicte un État membre quant à cet aspect se situe en dehors du champ d’application de la Charte et la situation concernée ne saurait être appréciée au regard des dispositions de cette dernière (arrêt du 19 novembre 2019, TSN et AKT, C‑609/17 et C‑610/17,
EU:C:2019:981, point 53 ainsi que jurisprudence citée). Dans ce cas, la Cour n’est donc pas compétente et les dispositions éventuellement invoquées de la Charte ne sauraient, à elles seules, fonder cette compétence [voir, en ce sens, arrêt du 16 décembre 2021, AB e.a. (Révocation d’une amnistie), C‑203/20, EU:C:2021:1016, point 39].
76 En l’occurrence, ainsi que l’ont souligné le gouvernement roumain et la Commission dans leurs observations écrites, le constat de l’absence d’applicabilité de la directive 2000/78 au litige au principal, tel qu’effectué aux points 51 à 60 du présent arrêt, tend à démontrer que la réglementation nationale en cause au principal ne saurait être considérée comme visant à mettre en œuvre le droit de l’Union, au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la Charte, ce qu’il appartient à la juridiction
de renvoi de vérifier.
77 De surcroît, il convient de relever que la demande de décision préjudicielle ne comporte aucun autre élément qui laisserait supposer l’existence d’un lien de rattachement d’un certain degré, au sens de la jurisprudence visée au point 73 du présent arrêt, entre la réglementation nationale en cause au principal et tout autre acte du droit de l’Union.
78 Il s’ensuit qu’une différence de traitement telle que celle alléguée par les magistrats en cause découle, s’il échet, uniquement du droit national dont l’interprétation relève de la seule compétence de la juridiction de renvoi.
79 Partant, la Cour n’est pas compétente pour répondre à la première question préjudicielle.
Sur les dépens
80 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (sixième chambre) dit pour droit :
1) L’article 2, paragraphes 1 et 2, de la directive 2000/78/CE du Conseil, du 27 novembre 2000, portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail, doit être interprété en ce sens qu’il ne trouve pas à s’appliquer à une réglementation nationale qui, telle qu’interprétée par une jurisprudence nationale contraignante, aboutit à ce que le traitement perçu par certains magistrats recrutés après l’entrée en vigueur de cette réglementation soit
inférieur à celui de magistrats recrutés avant l’entrée en vigueur de celle-ci, dès lors qu’il n’en résulte aucune discrimination directe ou indirecte fondée sur l’âge.
2) La directive 2000/78 doit être interprétée en ce sens qu’elle ne s’oppose à une discrimination que lorsque celle-ci est fondée sur l’un des motifs expressément énumérés à son article 1^er.
Signatures
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* Langue de procédure : le roumain.