CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
M. ATHANASIOS RANTOS
présentées le 28 septembre 2023 ( 1 )
Affaire C‑336/22
f6 Cigarettenfabrik GmbH & Co. KG
contre
Hauptzollamt Bielefeld
[demande de décision préjudicielle formée par le Finanzgericht Düsseldorf (tribunal des finances de Düsseldorf, Allemagne)]
« Renvoi préjudiciel – Fiscalité – Directive 2008/118/CE – Régime général d’accise – Article 1er – Directive 2011/64/UE – Structure et taux des accises applicables aux tabacs manufacturés – Article 14 – Imposition du tabac – Tabac chauffé – Réglementation nationale prévoyant pour le tabac chauffé une structure et un taux d’imposition différents de ceux applicables aux autres tabacs à fumer »
I. Introduction
1. Le présent renvoi préjudiciel invite la Cour à se prononcer sur la compatibilité d’une taxe additionnelle sur de nouveaux produits du tabac avec les dispositions du droit de l’Union relatives aux accises.
2. La demande de décision préjudicielle porte, plus précisément, sur l’interprétation de l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 2008/118/CE ( 2 ), ainsi que de l’article 14, paragraphe 1, premier alinéa, sous b), paragraphe 2, premier alinéa, sous c), et paragraphe 3, de la directive 2011/64/UE ( 3 ).
3. Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant f6 Cigarettenfabrik GmbH & Co. KG (ci-après la « requérante ») au Hauptzollamt Bielefeld (bureau principal des douanes de Bielefeld, Allemagne) (ci-après la « partie défenderesse »), au sujet de la décision de ce dernier de soumettre la requérante, en plus de l’accise sur le tabac à fumer, à une taxe supplémentaire sur des bâtonnets de tabac à chauffer qu’elle produit (ci-après la « taxe litigieuse »).
II. Le cadre juridique
A. Le droit de l’Union
1. La directive 2008/118
4. Selon le considérant 4 de la directive 2008/118, « [l]es produits soumis à accise peuvent faire l’objet d’autres impositions indirectes poursuivant des finalités spécifiques. Dans ce cas, toutefois, et afin de ne pas compromettre l’utilité de la réglementation communautaire relative aux impositions indirectes, il convient que les États membres respectent certains éléments essentiels de cette réglementation ».
5. L’article 1er de cette directive énonce :
« 1. La présente directive établit le régime général des droits d’accise frappant directement ou indirectement la consommation des produits suivants, ci-après dénommés “produits soumis à accise” :
[...]
c) les tabacs manufacturés relevant [de la directive 2011/64].
2. Les États membres peuvent, à des fins spécifiques, prélever des taxes indirectes supplémentaires sur les produits soumis à accise, à condition que ces impositions respectent les règles de taxation communautaires applicables à l’accise ou à la taxe sur la valeur ajoutée [(TVA)] pour la détermination de la base d’imposition, le calcul, l’exigibilité et le contrôle de l’impôt, ces règles n’incluant pas les dispositions relatives aux exonérations.
3. Les États membres peuvent prélever des taxes sur :
a) les produits autres que les produits soumis à accise ;
[...] »
2. La directive 2011/64
6. Les considérants 2, 4, 8 et 9 de la directive 2011/64 énoncent :
« (2) Il convient que la législation fiscale de l’Union applicable aux produits du tabac assure le bon fonctionnement du marché intérieur et, en même temps, un niveau élevé de protection de la santé [...]
[...]
(4) Il convient de définir les différentes sortes de tabacs manufacturés, qui se différencient entre elles par leurs caractéristiques et par les usages auxquels elles sont destinées.
[...]
(8) En vue de garantir une fiscalité uniforme et équitable, une définition des cigarettes, cigares et cigarillos ainsi que des autres tabacs à fumer devrait être prévue de sorte que, aux fins de l’application des accises, les rouleaux de tabac qui, en raison de leur longueur peuvent être considérés comme deux cigarettes ou plus, soient traités comme tels, qu’un type de cigare ressemblant à de nombreux égards à une cigarette soit traité comme une cigarette, que le tabac à fumer ressemblant à de
nombreux égards au tabac fine coupe destiné à rouler les cigarettes soit traité comme du tabac fine coupe et que les déchets de tabac soient clairement définis [...]
(9) En ce qui concerne les accises, l’harmonisation des structures doit, en particulier, avoir pour effet que la concurrence des différentes catégories de tabacs manufacturés appartenant à un même groupe ne soit pas faussée par les effets de l’imposition [...] »
7. L’article 1er de cette directive prévoit :
« La présente directive fixe les principes généraux de l’harmonisation des structures et des taux de l’accise à laquelle les États membres soumettent les tabacs manufacturés. »
8. L’article 2 de ladite directive est ainsi libellé :
« 1. Aux fins de la présente directive, on entend par tabacs manufacturés :
a) les cigarettes ;
b) les cigares et les cigarillos ;
c) le tabac à fumer :
i) le tabac fine coupe destiné à rouler les cigarettes ;
ii) les autres tabacs à fumer.
2. Sont assimilés aux cigarettes et au tabac à fumer, les produits constitués exclusivement ou partiellement de substances autres que le tabac mais répondant aux autres critères de l’article 3 ou de l’article 5, paragraphe 1.
[...] »
9. L’article 3, paragraphe 1, de la même directive dispose :
« Aux fins de la présente directive, on entend par cigarettes :
a) les rouleaux de tabac susceptibles d’être fumés en l’état et qui ne sont pas des cigares ou des cigarillos [...];
b) les rouleaux de tabac qui, par une simple manipulation non industrielle, sont glissés dans des tubes à cigarettes ;
[...] »
10. L’article 5, paragraphe 1, de la directive 2011/64 énonce :
« Aux fins de la présente directive, on entend par tabacs à fumer :
a) le tabac coupé ou fractionné d’une autre façon, filé ou pressé en plaques, qui est susceptible d’être fumé sans transformation industrielle ultérieure ;
b) les déchets de tabac conditionnés pour la vente au détail, qui ne relèvent pas de l’article 3 et de l’article 4, paragraphe 1, et qui sont susceptibles d’être fumés [...] »
11. L’article 13 de cette directive prévoit :
« Les groupes suivants de tabacs manufacturés fabriqués dans l’Union ou importés de pays tiers sont soumis, dans chaque État membre, à une accise minimale fixée à l’article 14 :
a) cigares et cigarillos ;
b) tabacs fine coupe destinés à rouler les cigarettes ;
c) autres tabacs à fumer. »
12. L’article 14 de ladite directive dispose :
« 1. Les États membres appliquent une accise qui peut être :
a) ad valorem, calculée sur les prix maximaux de vente au détail de chaque produit [...] ; ou
b) spécifique, exprimée en montant par kilogramme ou par nombre de pièces pour les cigares et cigarillos ; ou
c) mixte, comprenant un élément ad valorem et un élément spécifique.
Les États membres peuvent établir un montant minimal d’accise pour les cas où l’accise est ad valorem ou mixte.
2. L’accise globale (spécifique et/ou ad valorem hors TVA), exprimée en pourcentage, en montant par kilogramme ou par nombre de pièces, est au moins égale aux taux ou aux montants minimaux fixés :
a) pour les cigares ou les cigarillos : 5 % du prix de vente au détail, toutes taxes comprises, ou 12 [euros] par 1000 unités ou par kilogramme ;
b) pour le tabac à fumer fine coupe destiné à rouler les cigarettes : 40 % du prix moyen pondéré de vente au détail du tabac fine coupe destiné à rouler les cigarettes mis à la consommation, ou 40 [euros] par kilogramme ;
c) pour les autres tabacs à fumer : 20 % du prix de vente au détail, toutes taxes comprises, ou 22 [euros] par kilogramme.
[...]
3. Les taux ou montants visés aux paragraphes 1 et 2 sont valables pour tous les produits appartenant au groupe de tabacs manufacturés concerné sans distinction au sein de chaque groupe selon la qualité, la présentation, l’origine des produits, les matières employées, les caractéristiques des entreprises impliquées ou tout autre critère.
[...] »
B. Le droit allemand
13. Le Tabaksteuergesetz (loi relative à la taxe sur le tabac), du 15 juillet 2009 (BGBl. 2009 I, p. 1870), tel que modifié par la loi du 10 août 2021 (BGBl. 2021 I, p. 3411) (ci-après le « TabStG »), énonce, à son article 1er :
(1) Les tabacs manufacturés, le tabac à chauffer et le tabac pour pipe à eau sont soumis à la taxe sur le tabac [qui] constitue une accise au sens de l’Abgabenordnung [(code général des impôts)].
(2) Le tabac manufacturé comprend :
1. les cigares ou les cigarillos [...]
2. les cigarettes [...]
3. les tabacs à fumer (tabac fine coupe ou tabac pour pipe) : du tabac coupé ou fractionné d’une autre façon, filé ou pressé en plaques, susceptible d’être fumé sans transformation industrielle ultérieure.
(2a) Le tabac à chauffer est, au sens de la présente loi, un tabac à fumer en portions individuelles, destiné à être consommé par l’inhalation d’un aérosol ou d’une fumée produite par un appareil.
[...] »
14. L’article 1a du TabStG, intitulé « Tabac à chauffer, tabac pour pipe à l’eau », prévoit que, « [s]auf disposition contraire, les dispositions de la présente loi relatives au tabac à fumer, ainsi que les mesures d’exécution s’y rapportant, sont également applicables au tabac à chauffer et au tabac à pipe à eau. »
15. L’article 2 de cette loi dispose :
« (1) Le montant de la taxe s’élève :
1. pour les cigarettes
[...]
b) pour la période allant du 1er janvier 2022 au 31 décembre 2022, à 10,88 centimes d’euro par pièce et à 19,84 % du prix de vente au détail, le montant devant cependant être supérieur ou égal à 22,276 centimes d’euro par pièce, déduction faite de la taxe sur le chiffre d’affaires sur le prix de vente au détail de la cigarette soumise à l’imposition ;
[...]
4. pour le tabac à pipe
[...]
b) pour la période allant du 1er janvier 2022 au 31 décembre 2022, à 15,66 euros par kilogramme et à 13,13 % du prix de vente au détail, le montant devant cependant être supérieur ou égal à 24,00 euros par kilogramme ;
5. pour le tabac à chauffer, au montant de l’impôt prévu au point 4, majoré d’une taxe supplémentaire dont le montant correspond à 80 % du montant de la taxe prévue au point 1, déduction faite du montant de la taxe prévue au point 4. Aux fins du calcul du montant prévu au point 1, une portion individuelle de tabac à fumer équivaut à une cigarette ;
[...] »
III. Le litige au principal, les questions préjudicielles et la procédure devant la Cour
16. La requérante produit des bâtonnets de tabac à chauffer, enveloppés dans un papier colaminé avec une couche d’aluminium, destinés à être insérés dans un appareil de chauffage fonctionnant avec une batterie, dans lequel ils sont chauffés à une température inférieure à celle de leur combustion. Il en résulte un aérosol contenant de la nicotine, que les consommateurs peuvent inhaler par un embout buccal.
17. En vertu de la réglementation nationale en vigueur jusqu’au 31 décembre 2021, le montant de l’impôt dû sur le tabac chauffé était déterminé sur la base du calcul applicable au tabac à pipe. Toutefois, le législateur allemand a prévu que, à partir du 1er janvier 2022, ce montant serait majoré d’une somme qu’il qualifie expressément d’« impôt supplémentaire » (ci-après la « taxe additionnelle »). En effet, selon la réglementation nationale en vigueur à partir de cette dernière date, l’impôt dû sur
le tabac chauffé est composé d’un montant déterminé sur la base du calcul applicable au tabac à pipe et de cet impôt supplémentaire. Celui-ci correspond à 80 % du montant obtenu en appliquant aux bâtonnets de tabac en cause le taux d’imposition prévu pour les cigarettes, déduction faite du montant déterminé sur la base du calcul applicable au tabac à pipe.
18. Dans ce contexte, la requérante a saisi le Finanzgericht Düsseldorf (tribunal des finances de Düsseldorf, Allemagne), la juridiction de renvoi, d’un recours contestant la légalité, au regard de la directive 2008/118, de la taxe additionnelle grevant, à partir du 1er janvier 2022, les bâtonnets de tabac à chauffer.
19. Par son recours dans l’affaire au principal, la requérante soutient que :
– la perception de la taxe additionnelle sur le tabac à chauffer est contraire à l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 2008/118 parce que cette taxe constitue une accise non autorisée ;
– cette taxe additionnelle n’est pas non plus prélevée à des fins spécifiques, car ses recettes ne sont pas utilisées pour couvrir des dépenses liées à la protection de la santé ;
– la perception d’une telle taxe additionnelle est contraire à l’article 14, paragraphe 3, de la directive 2011/64, puisque des tabacs manufacturés ne peuvent pas être traités différemment au sein du groupe des autres tabacs à fumer.
20. La partie défenderesse s’est, quant à elle, opposée au recours en relevant que :
– la taxe additionnelle sur le tabac à chauffer constitue une accise nationale non harmonisée, dont la perception n’est pas contraire à l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 2008/118 ;
– la perception de cette taxe additionnelle poursuit l’objectif spécifique de la réduction de la consommation de nicotine nocive pour la santé, en taxant le tabac à chauffer de manière analogue aux cigarettes. La finalité incitative de cette taxe additionnelle suffit à constituer une fin spécifique au sens de l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 2008/118 ;
– étant donné que la taxe additionnelle en cause au principal n’est pas une taxe harmonisée, elle ne doit pas, conformément à l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 2008/118, satisfaire aux exigences de l’article 14 de la directive 2011/64.
21. C’est dans ces conditions que le Finanzgericht Düsseldorf (tribunal des finances de Düsseldorf) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) Convient-il d’interpréter l’article 1er, paragraphe 2, de la [directive 2008/118] en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale d’un État membre, relative à la perception de la taxe sur le tabac pour le tabac à chauffer, qui prévoit, pour le calcul de la taxe, que, outre le taux de taxation pour le tabac à pipe, est perçue une taxe additionnelle s’élevant à 80 % du montant de la taxe pour les cigarettes moins le montant de la taxe pour le tabac à pipe ?
2) Dans le cas où la taxe additionnelle sur le tabac à chauffer ne serait pas une taxe indirecte supplémentaire prélevée à des fins spécifiques sur des produits soumis à accise, au sens de l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 2008/118 [...], convient-il d’interpréter l’article 14, paragraphe 3, de la [directive 2011/64] en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale [...] relative à la perception de la taxe sur le tabac pour le tabac à chauffer qui, pour le calcul de la taxe,
prévoit que, outre le taux de taxation pour le tabac à pipe, est perçue une taxe additionnelle s’élevant à 80 % du montant de la taxe pour les cigarettes moins le montant de la taxe pour le tabac à pipe ?
3) Dans le cas où la taxe additionnelle sur le tabac à chauffer ne serait pas une taxe indirecte supplémentaire prélevée à des fins spécifiques sur des produits soumis à accise, au sens de l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 2008/118 [...], convient-il d’interpréter l’article 14, paragraphe 1, premier alinéa, sous b), et paragraphe 2, premier alinéa, sous c), de la directive [2011/64], en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale [...] relative à la perception de la taxe sur
le tabac pour le tabac à chauffer qui, pour le calcul de la taxe, prévoit que cette dernière doit être déterminée sur la base d’un taux ad valorem ainsi que d’un taux spécifique qui est fonction du poids et du nombre d’unités des bâtonnets de tabac ? »
22. Des observations écrites ont été déposées par la requérante, le gouvernement allemand ainsi que par la Commission européenne. Ces parties ont également présenté des observations orales lors de l’audience de plaidoiries qui s’est tenue le 15 juin 2023.
IV. Analyse
A. Sur la première question préjudicielle
23. La première question préjudicielle posée par la juridiction de renvoi vise à déterminer si l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 2008/118 permet à un État membre de prélever sur des produits tels que les bâtonnets de tabac à chauffer en cause au principal, outre l’accise sur le tabac à pipe toujours applicable, une taxe additionnelle s’élevant à 80 % du montant de la taxe pour les cigarettes moins le montant de la taxe pour le tabac à pipe.
24. Cette question se subdivise en réalité en deux sous-questions qui doivent être soigneusement distinguées.
25. En effet, il apparaît que, par sa question, la juridiction de renvoi cherche à savoir, en substance, dans un premier temps, si cette taxe additionnelle est à qualifier d’« accise », au sens de l’article 1er, paragraphe 1, de la directive 2008/118, ou alors de « taxe indirecte supplémentaire », au sens du paragraphe 2 de cet article.
26. Dans l’hypothèse où l’impôt en cause serait qualifié de « taxe indirecte supplémentaire », au sens de l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 2008/118, et relèverait donc de cette disposition, la juridiction de renvoi cherche à savoir, dans un second temps, si cette taxe respecte les exigences posées par ladite disposition, de sorte qu’elle soit admissible au regard du droit de l’Union.
27. À titre liminaire, dès lors que l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 2008/118 régit les conditions selon lesquelles les États membres peuvent prélever des taxes indirectes supplémentaires sur les « produits soumis à accise », il convient de s’assurer que le tabac à chauffer relève du champ d’application de cette directive.
1. Sur le champ d’application de la directive 2011/64
28. Il convient de constater, dans un premier temps, que la directive 2011/64 ne vise pas expressément les produits tels que ceux que la requérante produit. Plus précisément, outre le fait que cette directive ne définit pas le terme « tabac à chauffer », ce produit n’appartient à aucune des catégories distinctes de tabacs qui sont expressément identifiées au titre de l’article 2, paragraphe 1, de cette directive. Ainsi qu’il ressort des différents rapports relatifs à la directive 2011/64 émis par la
Commission et le Conseil, un certain nombre de « nouveaux » produits de tabacs, y compris celui en cause dans la présente affaire, n’existaient pas au moment de l’adoption de cette directive et sont apparus sur le marché après son entrée en vigueur ( 4 ). Par ailleurs, contrairement à d’autres domaines du droit de l’Union, tels que la nomenclature combinée qui est déterminante pour le classement tarifaire en droit douanier et qui a été adaptée entre temps pour tenir compte de l’apparition de ces
nouveaux produits ( 5 ), la directive 2011/64 est restée inchangée à cet égard ( 6 ).
29. Nonobstant les constatations qui précèdent, je suis d’avis qu’il y a lieu d’inclure le « tabac à chauffer » dans le champ d’application de cette directive.
30. Il découle, en premier lieu, du texte même de ladite directive que, en prévoyant une catégorie résiduelle d’« autres tabacs à fumer », l’intention du législateur de l’Union n’était pas de restreindre le champ d’application de la directive 2011/64 en ce qui concerne les tabacs manufacturés soumis à accise mais de soumettre également à accise des produits du tabac existants, destinés à être fumés, autres que ceux explicitement désignés ( 7 ).
31. Par ailleurs, l’interprétation large du champ d’application de cette directive, en incluant, en tant qu’« autres tabacs à fumer », tous les produits du tabac comparables qui sont en concurrence avec les produits expressément mentionnés, correspondrait aux objectifs visant à garantir tant le bon fonctionnement du marché intérieur ( 8 ) qu’un niveau élevé de protection de la santé ( 9 ). Or, il convient de noter, à cet égard, que la Cour a jugé que la notion de « tabac à fumer » visée à
l’article 2, paragraphe 1, et à l’article 5 de la directive 2011/64 ne saurait faire l’objet d’une interprétation restrictive, compte tenu précisément des objectifs de cette directive ( 10 ).
32. S’agissant, en deuxième lieu, et plus précisément, de la définition du terme « tabacs à fumer », ainsi que la Cour l’a jugé, il ressort du libellé de l’article 5, paragraphe 1, sous a), de la directive 2011/64 que celui-ci exige le respect de deux conditions cumulatives, à savoir, d’une part, que le tabac soit coupé ou fractionné d’une autre façon, filé ou pressé en plaques et, d’autre part, qu’il soit susceptible d’être fumé sans transformation industrielle ultérieure ( 11 ).
33. Or, il semble ressortir tant de la description contenue dans la décision de renvoi que des réponses des parties lors de l’audience que les produits du tabac en cause au principal sont de nature à satisfaire à ces deux conditions.
34. S’agissant de la première condition, il ressort clairement de la décision de renvoi que les rouleaux de tabac en cause au principal sont constitués de tabac comprimé, fabriqué à partir de poussière de tabac. S’agissant de la seconde condition, il ressort de cette décision que, quand bien même le tabac n’est pas brûlé mais uniquement chauffé, ce procédé est comparable à l’action de fumer des cigarettes ou d’autres produits du tabac, ce qui serait de nature à rendre ce produit susceptible d’être
fumé ( 12 ). Or, la Cour a déjà reconnu à cet égard, que même en l’absence de combustion, un produit qui est simplement chauffé peut être considéré comme du tabac à fumer ( 13 ).
35. Force est de constater, en troisième lieu que, eu égard aux objectifs poursuivis par la directive 2011/64, rappelés au point 31 des présentes conclusions, il y a lieu d’inclure dans la notion de « tabacs à fumer », et, partant, dans le champ d’application de cette directive, tous les produits du tabac comparables, compte tenu de leurs caractéristiques, de leurs effets nocifs pour la santé et du rapport de concurrence existant avec d’autres produits explicitement visés par ladite directive. Or,
sur la base des constatations effectuées par la juridiction de renvoi quant à son mode de consommation en tant que substitut des produits du tabac « conventionnels », le tabac à chauffer apparaît être suffisamment comparable avec les autres produits du tabac visés par de la directive 2011/64 afin qu’il puisse, par conséquent, être considéré comme « autre tabac à fumer » au sens de cette directive.
36. Il ressort des éléments qui précèdent que le tabac à chauffer est un tabac manufacturé au sens de l’article 1er, paragraphe 1, sous c), de la directive 2008/118 et relève donc du champ d’application de la directive 2011/64 en tant qu’« autre tabac à fumer » [au sens de l’article 2, paragraphe 1, sous c), ii) de la directive 2011/64].
2. Sur la qualification de la taxe litigieuse en tant que taxe « indirecte supplémentaire »
37. Après avoir établi que le produit en cause entre dans le champ d’application de la directive 2008/118, il convient, dans un second temps, d’examiner si la taxe litigieuse peut être considérée comme une « taxe indirecte supplémentaire » au sens de l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 2008/118, ainsi que le soutiennent le gouvernement allemand et la Commission, ou s’il s’agit plutôt d’une accise comme le suggère la requérante.
38. Il convient de constater, à titre liminaire, que la directive 2011/64 ne régit pas de manière harmonisée et exhaustive l’imposition des produits du tabac et prévoit expressément la possibilité pour les États membres de prélever des taxes indirectes supplémentaires sur les produits soumis à accise ( 14 ).
39. Toutefois, conformément à l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 2008/118, ces taxes indirectes, distinctes des accises, ne peuvent être prélevées sur les produits soumis à accise qu’à deux conditions. D’une part, de telles taxes doivent être prélevées à des fins spécifiques et, d’autre part, ces impositions doivent respecter les règles de taxation de l’Union applicables à l’accise ou à la TVA pour la détermination de la base d’imposition, ainsi que pour le calcul, l’exigibilité et le
contrôle de l’impôt. Ces deux conditions, qui visent à éviter que les impositions indirectes supplémentaires entravent indûment les échanges, revêtent, ainsi qu’il ressort du libellé même de l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 2008/118, un caractère cumulatif ( 15 ).
a) Sur l’existence d’une « finalité spécifique » non budgétaire
40. Il ressort de la jurisprudence constante de la Cour qu’une fin spécifique au sens de l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 2008/118 est une finalité autre que purement budgétaire ( 16 ). Cependant, dès lors que toute taxe poursuit nécessairement une finalité budgétaire, la seule circonstance qu’une taxe vise un objectif budgétaire ne saurait, en tant que telle, sauf à vider l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 2008/118 de tout effet utile, suffire à exclure que cette taxe puisse
être considérée comme ayant également une finalité spécifique au sens de cette disposition ( 17 ).
41. Par ailleurs, si l’affectation prédéterminée du produit d’une taxe au financement de l’exercice, par les autorités d’un État membre, de compétences qui leur sont dévolues peut constituer un élément à prendre en compte afin d’identifier l’existence d’une fin spécifique, une telle affectation, qui relève d’une simple modalité d’organisation interne du budget d’un État membre, ne saurait, en tant que telle, constituer une condition suffisante, tout État membre pouvant décider d’imposer, quelle que
soit la finalité poursuivie, l’affectation du produit d’une taxe au financement de dépenses déterminées. Dans le cas contraire, toute finalité pourrait être considérée comme spécifique au sens de l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 2008/118, ce qui priverait l’accise harmonisée instituée par cette directive de tout effet utile et serait contraire au principe selon lequel une disposition dérogatoire, telle que cet article 1er, paragraphe 2, doit faire l’objet d’une interprétation
stricte ( 18 ).
42. Or, en l’absence d’un tel mécanisme d’affectation prédéterminée des recettes, une redevance frappant des produits soumis à accise ne saurait être considérée comme poursuivant une fin spécifique, au sens de l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 2008/118, que si cette redevance est conçue, en ce qui concerne sa structure, notamment la matière imposable ou le taux d’imposition, d’une manière telle qu’elle influence le comportement des contribuables dans un sens permettant la réalisation de
la fin spécifique invoquée, par exemple en taxant fortement les produits considérés afin de décourager leur consommation ( 19 ) ou en encourageant l’utilisation d’autres produits dont les effets sont moins nocifs par rapport à l’objectif poursuivi ( 20 ).
43. Ces clarifications sur la jurisprudence de la Cour ayant été apportées, il convient à présent d’analyser la mesure fiscale en cause afin d’établir si celle-ci poursuit une « finalité spécifique » ( 21 ).
44. Il convient de relever, d’abord, qu’il ressort de la décision de renvoi que la législation nationale en cause ne prévoit aucun mécanisme d’affectation prédéterminée des recettes de cette taxe additionnelle à des fins liées à la protection de la santé ( 22 ).
45. En l’absence d’une telle affectation prédéterminée, il convient donc d’examiner, ensuite, si cette taxe est aménagée de manière à influencer le comportement des contribuables dans un sens permettant la réalisation de la finalité spécifique invoquée, au sens de la jurisprudence citée au point 42 des présentes conclusions.
46. Il convient de rappeler, à cet égard, que l’objectif poursuivi par le législateur allemand est celui de la protection de la santé et, plus précisément, celui de la réduction de la consommation de nicotine, en taxant le tabac à chauffer de manière analogue aux cigarettes.
47. La juridiction de renvoi émet des doutes sur les « finalités spécifiques » poursuivies par la loi allemande du fait que l’objectif lié à la protection de la santé visée par cette loi est également poursuivi par les dispositions de la directive 2011/64 ( 23 ). La requérante, de son côté, soutient également que la circonstance que les objectifs poursuivis par la législation en cause au principal correspondent avec ceux de l’accise exclut ainsi la possibilité que ladite loi puisse être interprétée
comme poursuivant une « finalité spécifique ».
48. La problématique soulevée par la juridiction de renvoi mérite, à mon sens, les observations suivantes.
49. Il convient de noter, en premier lieu, que si l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 2008/118 autorise les États membres à recourir à une imposition indirecte supplémentaire concernant les produits soumis à accise, il n’en reste pas moins que cette disposition revêt un caractère dérogatoire et doit dès lors faire l’objet d’une interprétation restrictive. En effet, la notion de « taxes indirectes supplémentaires », au sens de cette disposition, désigne ainsi les taxes indirectes qui
frappent la consommation des produits énumérés à l’article 1er, paragraphe 1, de cette directive, autres que les « droits d’accise », au sens de cette disposition, et qui sont prélevés à des fins spécifiques ( 24 ). Or, si un État membre pouvait également invoquer les fins déjà poursuivies par la taxe harmonisée sur le tabac comme des « fins spécifiques » au sens de l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 2008/118, les dispositions harmonisées de cette directive seraient vidées de leur
sens. Une telle interprétation compromettrait, par ailleurs, les efforts d’harmonisation du régime des accises et donnerait lieu à un droit d’accise supplémentaire, contrairement à la finalité même de ladite directive qui est d’abolir les entraves au marché intérieur qui subsistent ( 25 ).
50. Toutefois, nonobstant la marge de manœuvre limitée dont disposent les État membres pour poursuivre des finalités spécifiques, reconnaître à cette disposition dérogatoire la portée que suggère la requérante reviendrait, en substance, à priver les États membres de tout pouvoir d’initiative et viderait, par conséquent, ladite disposition de toute raison d’être. Or, l’existence même de cette dérogation découle de l’intention du législateur de l’Union de ne pas procéder à une harmonisation complète
du régime d’imposition des produits en cause soumis à accise afin de tenir compte des différentes législations nationales au sein de l’Union ( 26 ). Ainsi que la Cour l’a d’ailleurs jugé, l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 2008/118 vise à tenir compte de la diversité des traditions fiscales des États membres en la matière et du recours fréquent aux impositions indirectes pour la mise en œuvre de politiques non budgétaires, permettant aux États membres d’établir, en sus de l’accise
minimale, d’autres impositions indirectes poursuivant une finalité spécifique ( 27 ).
51. Dans ce contexte, le critère de la « finalité spécifique » contribue, selon moi, à encadrer la possibilité dont disposent les États membres d’introduire une imposition supplémentaire en limitant ses effets à ce qui est nécessaire pour ne pas entièrement remettre en cause le régime des accises mis en place par les directives 2008/118 et 2011/64.
52. S’agissant, en deuxième lieu, de l’objectif de protection de la santé, il convient de noter que si, en effet, celui-ci figure parmi les objectifs mentionnés au considérant 2 de la directive 2011/64, cette dernière a été adoptée sur la base de l’article 113 TFUE et vise principalement à harmoniser les droits d’accises (et les autres impôts indirectes) afin d’assurer l’établissement et le bon fonctionnement du marché intérieur et d’éviter les distorsions de concurrence. Il ressort, par ailleurs,
de la jurisprudence de la Cour, que la circonstance que la protection de la santé constitue un objectif général de la directive 2011/64 ne saurait exclure d’office qu’une taxe additionnelle qui est également destinée à protéger la santé puisse poursuivre une « finalité spécifique » au sens de l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 2008/118 ( 28 ).
53. Il ressort, en troisième lieu, de la jurisprudence de la Cour citée au point 42 des présentes conclusions, qu’une mesure fiscale est de nature à garantir la réalisation d’une « finalité spécifique » lorsqu’elle est susceptible de décourager la consommation de certains produits en raison d’une taxation plus élevée.
54. Il convient de rappeler, à cet égard, que lorsque la Cour est saisie d’un renvoi préjudiciel visant à déterminer si une imposition instaurée par un État membre poursuit une fin spécifique, au sens de l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 2008/118, sa fonction consiste davantage à éclairer la juridiction nationale sur les critères dont la mise en œuvre permettra à cette dernière de déterminer si cette imposition poursuit effectivement une telle finalité qu’à procéder elle-même à cette
évaluation, et ce d’autant plus qu’elle ne dispose pas nécessairement de tous les éléments indispensables à cet égard ( 29 ). Il appartient, en définitive, à la juridiction de renvoi, à laquelle il incombe d’établir tous les faits pertinents, de déterminer si la taxe additionnelle en cause au principal peut effectivement être comprise comme poursuivant une « fin spécifique » au sens décrit ci-dessus ( 30 ).
55. Cela étant précisé, à l’instar du gouvernement allemand et de la Commission, je suis d’avis que la taxe litigieuse poursuit une « finalité spécifique ».
56. Il ressort, en effet, des constations effectuées par la juridiction de renvoi que la taxe additionnelle en cause au principal ne vise pas simplement de manière générale l’objectif d’une protection élevée de la santé mais a surtout pour objectif spécifique de dissuader les consommateurs ayant une dépendance à la nicotine de délaisser les cigarettes au profit des rouleaux de tabac à chauffer. En effet, en adaptant le régime fiscal applicable au tabac à chauffer et en le « rapprochant » de celui
des cigarettes, la législation allemande en cause poursuit une finalité incitative (ou dissuasive) spécifique visant à empêcher le passage d’une catégorie de tabacs vers une autre moins taxée.
57. Il convient de noter, en quatrième et dernier lieu, que si, en principe, ainsi qu’il a été établi au point 49 des présentes conclusions, une taxe indirecte ne devrait pas poursuivre les objectifs similaires à ceux de l’accise, sauf à vider les dispositions harmonisées de la directive 2008/118 de leur sens, cela ne pourrait pas se traduire par une interdiction pour les États membres d’adapter leurs législations fiscales afin de prendre en considération les particularités de nouveaux produits de
tabacs mis sur le marché afin d’assurer le bon fonctionnement du marché intérieur et d’éviter les distorsions de concurrence qui constituent tous deux des objectifs poursuivis par cette directive ( 31 ). Or, en « rapprochant » le régime fiscal du tabac à chauffer de celui des cigarettes, la législation allemande vise, en l’espèce, outre la protection de la santé, à assurer également un traitement fiscal analogue pour des produits qui sembleraient interchangeables aux yeux des consommateurs.
b) Sur la conformité de la modalité du calcul de l’impôt supplémentaire avec l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 2008/118 et l’article 14 de la directive 2011/64
58. Après avoir établi que la première condition tenant à la spécificité de l’impôt est remplie, il convient à présent d’examiner si la mesure en cause respecte également la deuxième condition énumérée au titre de l’article 1er, paragraphe 2 de la directive 2008/118. En effet, pour qu’une telle taxe supplémentaire soit jugée conforme au droit de l’Union, il est nécessaire que celle-ci respecte les règles de taxation communautaires applicables à l’accise ou à la TVA, en ce qui concerne notamment la
détermination de la base d’imposition et le calcul de cet impôt. Cette disposition opère ainsi un renvoi à la directive 2011/64 et notamment à l’article 14 de celle-ci qui établit les modalités de calcul des taxes supplémentaires pour les produits de tabacs soumis à l’accise.
59. La juridiction de renvoi s’interroge, en substance, sur la conformité, avec l’article 14, paragraphe 3, de la directive 2011/64, de la réglementation nationale en cause au principal qui prévoit que le montant de l’accise dû sur le tabac à chauffer est déterminé sur la base de l’accise grevant le tabac à pipe et d’une taxe supplémentaire dont le montant est égal à 80 % de l’accise grevant les cigarettes, déduction faite du montant de l’accise sur le tabac à pipe. Selon cette juridiction, il
s’agit de savoir si cette réglementation nationale institue une distinction au sein des produits appartenant au même groupe de tabacs manufacturés, laquelle est interdite par cet article 14, paragraphe 3.
60. La juridiction de renvoi nourrit également des doutes sur la compatibilité, avec l’article 14, paragraphe 1, premier alinéa, sous b), et paragraphe 2, premier alinéa, sous c), de la directive 2011/64, d’une réglementation nationale qui prévoit que la taxe sur le tabac à chauffer est composée de deux montants dont l’un est déterminé sur la base d’un taux ad valorem et l’autre sur la base d’un taux spécifique, calculé à partir du poids et du nombre de bâtonnets de tabac à chauffer. Elle relève que
ces dispositions ne prévoient pas une telle formule de taxation.
61. D’emblée, force est de constater que les modalités de calcul de cette taxe, exprimée en pourcentage du montant de l’accise grevant les cigarettes, déduction faite du montant de l’accise grevant les autres tabacs à fumer, figurent parmi celles qui sont prévues à l’article 14, paragraphe 1, de la directive 2011/64.
62. Il semblerait, toutefois, que ladite taxe aille à l’encontre des principes énoncés à l’article 14, paragraphes 2 et 3, de la directive 2011/64, dans la mesure où la base d’imposition de la taxe additionnelle est, à l’instar des cigarettes, le nombre d’unités et non le poids, comme c’est le cas pour les « autres tabacs à fumer » ( 32 ). En outre, les modalités de calcul de l’impôt supplémentaire se distinguent de celles de l’accise applicables aux autres produits au sein du groupe « autres tabacs
à fumer », et, plus particulièrement, pour le tabac à pipe. Partant, elles ne respectent pas l’article 14, paragraphe 3, de cette directive qui prévoit que les taux ou montants visés aux paragraphes 1 et 2 de cet article sont valables pour tous les produits appartenant au groupe de tabacs concerné, sans opérer de distinction au sein de chaque groupe de tabacs manufacturés.
63. Je suis, néanmoins, d’avis que l’écart constaté entre, d’une part, le mode de calcul prévu par la directive 2011/64 et, d’autre part, la législation en cause au principal ne serait pas de nature à entraîner automatiquement l’incompatibilité de la taxe litigieuse avec cette directive.
64. Il ressort, en premier lieu, de la jurisprudence de la Cour que l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 2008/118 ne requiert pas des États membres le respect de toutes les règles relatives aux accises ou à la TVA en matière de détermination de la base imposable, de calcul, d’exigibilité et de contrôle de l’impôt. Il suffit que les taxes indirectes poursuivant des finalités spécifiques soient conformes, sur ces points, à l’économie générale de l’une ou de l’autre de ces techniques
d’imposition ( 33 ).
65. Il convient de noter, en deuxième lieu, que, en prévoyant à l’article 14, paragraphe 3, de la directive 2011/64 que les tabacs manufacturés ne peuvent pas être traités différemment au sein du même groupe, le législateur de l’Union vise, principalement, à assurer l’absence de traitement fiscal discriminatoire entre des produits dont les caractéristiques essentielles et le mode de consommation sont, sinon pas identiques, du moins comparables.
66. Or, ainsi qu’il a été établi aux points 30 et 31 des présentes conclusions, la troisième catégorie de tabacs identifiée par cette directive qui est celle des « autres tabacs à fumer » doit être interprétée largement en tant que catégorie résiduelle visant à englober différents types de tabacs qui ne relèvent pas des catégories spécifiques identifiées par ladite directive. Il s’ensuit que cette catégorie comprend, par définition, des produits de tabacs hétérogènes dont les caractéristiques de
fabrication et le mode de consommation varient et sont plus diversifiés que ceux qui sont compris dans les deux autres catégories dans lesquelles les produits sont expressément identifiés, à savoir les « cigarettes » et les « cigares et cigarillos » ( 34 ). Exiger par avance un traitement fiscal identique pour tous les produits appartenant à cette dernière catégorie, peu importe leurs caractéristiques et nonobstant les différences éventuelles qui peuvent exister quant à leur mode de
consommation, risquerait de créer une discrimination entre ces produits et de fausser la concurrence entre des produits de tabacs appartenant au même groupe, ce qui irait à l’encontre des objectifs de la directive 2011/64 ( 35 ).
67. Il convient de rappeler, en troisième lieu, que l’introduction de la taxe litigieuse par le législateur allemand avait pour objectif de dissuader les consommateurs de passer d’une catégorie de tabacs, à savoir les cigarettes, à une autre, les produits en cause dans l’affaire au principal, qui étaient à l’origine moins taxés. Or, sous réserve de vérification par la juridiction de renvoi, il semblerait que la seule méthode possible afin d’obtenir un rapprochement du montant global de taxe frappant
le tabac à chauffer au montant de l’accise globale sur les cigarettes est celle pour laquelle le gouvernement allemand a opté. En effet, eu égard à leurs caractéristiques et à leur mode de consommation, ces produits semblent constituer des substituts de cigarettes et, partant, ressemblent davantage à ces derniers qu’aux autres produits du tabac soumis à accise en tant qu’« autres tabacs à fumer », ce qui justifierait de retenir comme critère d’imposition le nombre de pièces et non le poids ( 36
).
68. Par conséquent, je suis d’avis qu’exiger une concordance totale entre les réglementations nationales et les dispositions des directives concernant la structure et les taux des accises applicables aux différentes sous-catégories de produits soumis à l’accise pourrait priver d’effet utile l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 2008/118 ( 37 ).
69. Au vu de ce qui précède, je propose de répondre à la première question préjudicielle que les dispositions combinées de l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 2008/118 et de l’article 2, paragraphe 1, premier alinéa, sous c), ii), de la directive 2011/64 doivent être interprétées en ce sens qu’elles ne s’opposent pas à une réglementation nationale qui prévoit une taxe additionnelle, prélevée sur le tabac à chauffer, qui, pour le calcul de la taxe, prévoit que, outre le taux de taxation pour
le tabac à pipe, est perçue une taxe additionnelle s’élevant à 80 % du montant de la taxe pour les cigarettes, moins le montant de la taxe pour le tabac à pipe.
B. Sur les deuxième et troisième questions préjudicielles
70. Les deuxième et troisième questions préjudicielles de la juridiction de renvoi sont posées dans l’hypothèse où la taxe additionnelle en cause au principal ne serait pas une taxe indirecte supplémentaire prélevée à des fins spécifiques sur des produits soumis à accise au sens de l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 2008/118. Ces questions ne sont donc pertinentes que dans la mesure où la taxe additionnelle litigieuse constituerait une accise.
71. Eu égard à l’analyse qui précède ainsi qu’à la réponse proposée à la première question préjudicielle, il n’est pas nécessaire de répondre aux deuxième et troisième questions préjudicielles.
V. Conclusion
72. Au vu des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre à la question préjudicielle posée par le Finanzgericht Düsseldorf (tribunal des finances de Düsseldorf, Allemagne) de la manière suivante :
Les dispositions combinées de l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 2008/118/CE du Conseil, du 16 décembre 2008, relative au régime général d’accise et abrogeant la directive 92/12/CEE, et de l’article 2, paragraphe 1, premier alinéa, sous c), ii), de la directive 2011/64/UE du Conseil, du 21 juin 2011, concernant la structure et les taux des accises applicables aux tabacs manufacturés
doivent être interprétées en ce sens que :
elles ne s’opposent pas à une réglementation nationale qui prévoit une taxe additionnelle, prélevée sur le tabac à chauffer, qui, pour le calcul de la taxe, prévoit que, outre le taux de taxation pour le tabac à pipe, est perçue une taxe additionnelle s’élevant à 80 % du montant de la taxe pour les cigarettes, moins le montant de la taxe pour le tabac à pipe.
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( 1 ) Langue originale : le français.
( 2 ) Directive du Conseil du 16 décembre 2008 relative au régime général d’accise et abrogeant la directive 92/12/CEE (JO 2009, L 9, p. 12).
( 3 ) Directive du Conseil du 21 juin 2011 concernant la structure et les taux des accises applicables aux tabacs manufacturés (JO 2011, L 176, p. 24).
( 4 ) Voir, à cet égard, rapport d’évaluation du 10 février 2020 de la directive 2011/64/UE du Conseil du 21 juin 2011 concernant la structure et les taux des accises applicables aux tabacs manufacturés, SWD (2020) 33 final, p. 15, ainsi que conclusions du Conseil concernant la structure et les taux des accises applicables aux tabacs manufacturés, document no 8483/20 du 2 juin 2020.
( 5 ) Ainsi, dans sa version résultant du règlement d’exécution (UE) 2021/1832 de la Commission, du 12 octobre 2021, modifiant l’annexe I du règlement (CEE) no 2658/87 du Conseil relatif à la nomenclature tarifaire et statistique et au tarif douanier commun (JO 2021, L 385, p. 1), la nomenclature combinée opère, depuis le 1er janvier 2022, une distinction entre « tabac à fumer » et « produits destinés à une inhalation sans combustion ». Le tabac à chauffer, en tant que produit contenant du tabac
destiné à une inhalation sans combustion classique, relève désormais de la sous-position 2404.
( 6 ) Voir également directive 2014/40/UE du Parlement européen et du Conseil, du 3 avril 2014, relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de fabrication, de présentation et de vente des produits du tabac et des produits connexes, et abrogeant la directive 2001/37/CE (JO 2014, L 127, p. 1) qui établit, elle aussi, une distinction entre « produits du tabac à fumer » et « produits du tabac sans combustion ».
( 7 ) Cela ressort également de l’article 2, paragraphe 2, de la directive 2011/64 qui prévoit que d’autres produits constitués exclusivement ou partiellement de substances autres que le tabac sont assimilés aux cigarettes et au tabac à fumer.
( 8 ) Ainsi, le considérant 9 de la directive 2011/64 énonce que l’harmonisation des structures des accises doit avoir pour effet que la concurrence des différentes catégories de tabacs manufacturés appartenant à un même groupe ne soit pas faussée par les effets de l’imposition et que, par là même, l’ouverture des marchés nationaux des États membres soit réalisée. L’objectif d’assurer une concurrence non faussée est également mis en évidence au considérant 8 de la directive 2011/64 qui énonce, en
substance, que des produits similaires à ceux relevant d’une catégorie devraient être traités, aux fins des droits d’accise, comme relevant de cette catégorie.
( 9 ) Voir considérant 2 de la directive 2011/64 et arrêt du 16 septembre 2020, Skonis ir kvapas (C‑674/19, EU:C:2020:710, points 31 et 32).
( 10 ) Arrêt du 6 avril 2017, Eko-Tabak (C‑638/15, EU:C:2017:277, point 24).
( 11 ) Arrêts du 6 avril 2017, Eko-Tabak (C‑638/15, EU:C:2017:277, point 25) et du 16 septembre 2020, Skonis ir kvapas (C‑674/19, EU:C:2020:710, point 36).
( 12 ) La juridiction de renvoi constate à cet égard, que lorsqu’ils sont chauffés, les produits fabriqués par la requérante dégagent un aérosol contenant de la nicotine qui, comme la fumée du tabac traditionnelle, est inhalé par le consommateur par un embout buccal.
( 13 ) Arrêt du 16 septembre 2020, Skonis ir kvapas (C‑674/19, EU:C:2020:710, point 45).
( 14 ) Voir article 1er, paragraphe 2, de la directive 2008/118.
( 15 ) Ordonnance du 7 février 2022, Vapo Atlantic (C‑460/21, EU:C:2022:83, points 21 et 22).
( 16 ) Ordonnance du 7 février 2022, Vapo Atlantic (C‑460/21, EU:C:2022:83, point 23 et jurisprudence citée).
( 17 ) Arrêt du 22 juin 2023, Endesa Generación (C‑833/21, EU:C:2023:516 ; point 39 et jurisprudence citée).
( 18 ) Arrêt du 22 juin 2023, Endesa Generación (C‑833/21, EU:C:2023:516 ; point 40 et jurisprudence citée).
( 19 ) Arrêt du 22 juin 2023, Endesa Generación (C‑833/21, EU:C:2023:516 ; point 42 et jurisprudence citée).
( 20 ) Arrêt du 27 février 2014, Transportes Jordi Besora (C‑82/12, EU:C:2014:108) et conclusions de l’avocat général Wahl dans l’affaire Transportes Jordi Besora (C‑82/12, EU:C:2013:694, points 17 à 32).
( 21 ) Voir également point 54 des présentes conclusions.
( 22 ) Par ailleurs, je relève que cette constatation n’est pas contestée par le gouvernement allemand.
( 23 ) Voir considérant 2 de la directive 2011/64.
( 24 ) Arrêt du 3 mars 2021, Promociones Oliva Park (C‑220/19, EU:C:2021:163, point 48 et jurisprudence citée).
( 25 ) Voir conclusions de l’avocat général Wahl dans l’affaire Transportes Jordi Besora (C‑82/12, EU:C:2013:694, point 22).
( 26 ) Il convient de rappeler, à cet égard, qu’il ressort des travaux préparatoires à l’adoption de la directive 92/80/CEE du Conseil, du 19 octobre 1992, concernant le rapprochement des taxes frappant les tabacs manufacturés autres que les cigarettes (JO 1992, L 316, p. 10) que la Commission souhaitait initialement que les produits visés par cette directive ne soient soumis à aucune imposition autre que l’accise et la TVA, une approche qui a été rejetée par le Conseil, qui a souhaité préserver la
possibilité pour les États membres d’avoir recours à l’outil de l’imposition indirecte. Voir, en ce sens, proposition de directive du Conseil relative au régime général, à la détention et à la circulation des produits soumis à accise [COM(90) 431 final, p.3].
( 27 ) Ordonnance du 7 février 2022, Vapo Atlantic (C‑460/21, EU:C:2022:83, point 20).
( 28 ) Arrêt du 24 février 2000, Commission/France (C‑434/97, EU:C:2000:98) et conclusions de l’avocat général Saggio dans l’affaire Commission/France (C‑434/97, EU:C:1999:341, point 13). Voir également, par analogie dans le domaine de l’environnement, arrêts du 22 juin 2023, Endesa Generación (C‑833/21, EU:C:2023:516 ; point 45), et du 27 février 2014, Transportes Jordi Besora (C‑82/12, EU:C:2014:108, point 32), ainsi que conclusions de l’avocat général Wahl dans l’affaire Transportes Jordi Besora
(C‑82/12, EU:C:2013:694, point 22).
( 29 ) Ordonnance du 7 février 2022, Vapo Atlantic (C‑460/21, EU:C:2022:83, point 28 et jurisprudence citée).
( 30 ) Il convient de préciser, à cet égard, que la Cour n’est pas compétente ni pour examiner le caractère plus ou moins nocif des bâtonnets de tabac à chauffer par rapport aux cigarettes (conventionnelles), ni pour se prononcer sur les recommandations émises par l’Organisation mondiale de la santé quant à la nocivité du tabac à chauffer.
( 31 ) Voir point 31 des présentes conclusions.
( 32 ) En effet, la taxe en cause au principal aboutirait à l’application de méthodes différentes de détermination, notamment, de la base d’imposition et du calcul, pour la charge fiscale globale sur le même produit, constituée d’une combinaison de l’accise et de la taxe supplémentaire sur les mêmes produits. Plus précisément, les modalités de calcul de l’impôt supplémentaire s’écartent de celles relatives au groupe « autres tabacs à fumer », dans la mesure où le montant global de la taxe
supplémentaire est fixé en pourcentage du prix de vente au détail et par nombre de pièces, et non en pourcentage du prix de vente au détail et/ou par kilogramme, tel que défini à l’article 14, paragraphe 2, sous c), de la directive 2011/64 pour les « autres tabacs à fumer ».
( 33 ) Arrêt du 9 mars 2000, EKW et Wein & Co (C‑437/97, EU:C:2000:110, point 47).
( 34 ) Voir article 2, paragraphe 1, de la directive 2011/64.
( 35 ) Voir considérants 8 et 9 de cette directive.
( 36 ) Il ressort de la décision de renvoi que le produit fabriqué par la requérante est en réalité du tabac en pièces individuelles dont le mode de consommation est similaire à celui des cigarettes. Cette constatation est également corroborée par le libellé même de la législation allemande ayant introduit la taxe litigieuse, qui décrit, à l’article 1, paragraphe 2a, du TabStG, le tabac à chauffer comme « un tabac à fumer en portions individuelles », précisant par ailleurs, à l’article 2,
paragraphe 1, point 5, du TabStG, qu’« une portion individuelle de tabac à fumer équivaut à une cigarette ». De plus, d’après les observations écrites du gouvernement allemand, l’objectif et la durée de la consommation du tabac à chauffer correspondraient à ceux de la consommation de cigarettes, plutôt qu’à ceux de produits relevant d’autres catégories de tabacs manufacturés, une constatation qui n’a d’ailleurs pas été contestée par la requérante.
( 37 ) Voir également conclusions de l’avocat général Saggio dans l’affaire Commission/France (C‑434/97, EU:C:1999:341, point 14).