CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
M. PRIIT PIKAMÄE
présentées le 26 octobre 2023 ( 1 )
Affaires jointes C‑554/21, C‑622/21 et C‑727/21
Financijska agencija
contre
HANN-INVEST d.o.o. (C‑554/21)
et
Financijska agencija
contre
MINERAL-SEKULINE d.o.o. (C‑622/21)
et
UDRUGA KHL MEDVEŠČAK ZAGREB (C‑727/21)
[demande de décision préjudicielle formée par le Visoki trgovački sud Republike Hrvatske (cour d’appel de commerce, Croatie)]
« Renvoi préjudiciel – Article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE – État de droit – Protection juridictionnelle effective dans les domaines couverts par le droit de l’Union – Article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Compétence de la Cour – Recevabilité – Interprétation nécessaire pour que la juridiction de renvoi puisse rendre son jugement – Mécanisme interne visant à assurer la cohérence de la jurisprudence d’une juridiction de deuxième instance – Principe de
sécurité juridique – Principe d’indépendance des juges – Exigences d’un accès à un tribunal établi par la loi et d’un procès équitable »
1. Une fois rappelée l’évidence que la jurisprudence est source du droit, la responsabilité du juge apparaît dans toute son étendue et sa complexité, ce dernier se trouvant au centre d’injonctions contradictoires, sommé d’assurer la sécurité juridique mais aussi d’innover afin d’adapter le droit aux évolutions de la société qu’il prétend régir. La question a d’ailleurs été justement posée en doctrine : « Quelle part d’insécurité un système juridique peut-il supporter ? » ( 2 )
2. Sous réserve d’une réponse positive à la question de la recevabilité des demandes de décision préjudicielle, les présentes affaires donnent l’occasion à la Cour de rechercher le point d’équilibre entre les exigences susvisées à l’occasion de l’appréciation de la compatibilité d’un mécanisme procédural interne visant à assurer la cohérence de la jurisprudence d’une juridiction, appréciation impliquant la prise en compte de l’indispensable indépendance des juges.
I. Le cadre juridique
A. Le droit de l’Union
3. Est pertinent dans le cadre de la présente affaire l’article 19, paragraphe 1, TUE.
B. Le droit croate
4. L’article 37 du Zakon o sudovima (loi relative à l’organisation juridictionnelle) (Narodne novine, br. 28/13, 33/15, 82/15, 82/16, 67/18, 126/19, 130/20) prévoit :
« 1. Les juridictions qui ont plusieurs chambres ou formations, y compris à juge unique, statuant sur des questions relevant d’un ou de plusieurs domaines connexes du droit, établissent des sections regroupant les juges qui statuent sur ces questions.
2. La section est établie par le programme annuel d’affectation des juges, qui porte désignation du président de section, chargé d’en mener les travaux. [...] »
5. L’article 38 de cette loi dispose :
« 1. Les réunions de la section sont consacrées à l’examen des questions présentant un intérêt pour les travaux de la section, à savoir, en particulier, l’organisation de l’activité interne, les questions de droit controversées, l’unification de la jurisprudence et les questions pertinentes pour l’application de la réglementation dans chaque domaine juridique ainsi que le suivi du travail et de la formation des juges, des conseillers judiciaires et des juges stagiaires affectés à la section.
2. Sont également examinées, lors des réunions des sections du Županijski sud [tribunal de comitat], du Visoki trgovački sud Republike Hrvatske [cour d’appel de commerce], du Visoki upravni sud Republike Hrvatske [cour administrative d’appel], du Visoki kazneni sud Republike Hrvatske [cour pénale d’appel] et du Visoki prekršajni sud Republike Hrvatske [cour correctionnelle d’appel], les questions d’un intérêt commun pour les juridictions inférieures dans le ressort de ces juridictions.
3. Les réunions de la section du Vrhovni sud Republike Hrvatske [Cour suprême] sont consacrées à l’examen des questions d’un intérêt commun pour certaines ou toutes les juridictions sur le territoire de la République de Croatie ainsi qu’à l’examen et à la formulation d’un avis sur les projets de réglementation relevant d’un domaine juridique particulier. »
6. Aux termes de l’article 39 de ladite loi :
« 1. Le président de la section, ou le président de la juridiction, convoque une réunion de la section chaque fois que cela est nécessaire et au moins une fois par trimestre ; il en dirige les travaux. Lorsque le président de la juridiction prend part aux travaux de la réunion de la section, il préside la réunion et participe au processus décisionnel.
2. Une réunion de tous les juges de la juridiction doit être convoquée lorsque la section de la juridiction ou un quart de l’ensemble des juges le demandent.
3. Lors des réunions des juges de la juridiction ou de la section, les décisions sont prises à la majorité des voix des juges, ou des juges de la section.
4. Il est établi un procès-verbal des travaux de la réunion.
5. Le président de la juridiction, ou de la section, peut également inviter des scientifiques éminents et des experts dans un domaine juridique particulier à participer à la réunion de tous les juges ou de la section. »
7. L’article 40 de la loi relative à l’organisation juridictionnelle dispose :
« 1. Une réunion d’une section ou de juges est convoquée lorsqu’il est constaté qu’il existe des différences d’interprétation entre des sections, des chambres ou des juges sur des questions relatives à l’application de la loi ou lorsqu’une chambre ou un juge d’une section s’écarte de la position juridique retenue antérieurement.
2. La position juridique retenue lors de la réunion de tous les juges ou d’une section du Vrhovni sud Republike Hrvatske [Cour suprême], du Visoki trgovački sud Republike Hrvatske [cour d’appel de commerce], du Visoki upravni sud Republike Hrvatske [cour administrative d’appel], du Visoki kazneni sud Republike Hrvatske [cour pénale d’appel], du Visoki prekršajni sud Republike Hrvatske [cour correctionnelle d’appel] et de la réunion d’une section d’un Županijski sud [tribunal de comitat]
s’impose à l’ensemble des chambres ou juges de deuxième instance de cette section ou juridiction.
3. Le président d’une section peut, le cas échéant, inviter des professeurs de la faculté de droit, des scientifiques éminents ou des experts dans un domaine déterminé du droit à participer à la réunion de la section. »
8. L’article 41 de cette loi énonce :
« 1. Le président de la juridiction désigne, dans le programme annuel d’affectation des juges, un ou plusieurs juges chargés de suivre et d’étudier la jurisprudence [...] »
9. L’article 177, paragraphe 3, du Sudski poslovnik (règlement de procédure des tribunaux (Narodne novine, br. 37/14, 49/14, 8/15, 35/15,123/15, 45/16, 29/17, 33/17, 34/17, 57/17, 101/18, 119/18, 81/19, 128/19, 39/20 et 47/20) prévoit :
« Devant une juridiction de deuxième instance, une affaire est réputée clôturée à la date de l’expédition de la décision à partir du bureau du juge, après retour de l’affaire du service de suivi et de l’enregistrement de la jurisprudence. À compter de la date de la réception du dossier, le service de suivi et de l’enregistrement de la jurisprudence est tenu de le renvoyer au bureau du juge dans un délai aussi bref que possible. Il est ensuite procédé à l’expédition de la décision dans un nouveau
délai de huit jours. »
II. Les litiges au principal et les questions préjudicielles
10. Le Visoki trgovački sud Republike Hrvatske (cour d’appel de commerce), la juridiction de renvoi dans les affaires au principal, est saisi de trois pourvois. Dans les affaires C‑554/21 et C‑622/21, les pourvois visent des ordonnances portant rejet de la demande de Financijska agencija (Agence financière) tendant au remboursement des frais afférents à son intervention dans le cadre de procédures d’insolvabilité. Dans l’affaire C‑727/21, le pourvoi concerne une ordonnance ayant rejeté la demande
d’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire de la requérante au principal.
11. Dans ces trois affaires, la juridiction de renvoi, siégeant dans des formations de jugement à trois juges, a examiné les pourvois et les a rejetés à l’unanimité de ses membres, confirmant ainsi les décisions de première instance. Ces délibérations ont été signées puis transmises au service du suivi et de l’enregistrement de la jurisprudence, conformément à l’article 177, paragraphe 3, du règlement de procédure des tribunaux.
12. Selon cette disposition et ainsi que l’a exposé la juridiction de renvoi, dans une affaire jugée en deuxième instance, le travail juridictionnel est considéré comme achevé uniquement lorsque l’affaire est enregistrée par ce service puis renvoyée à la formation de jugement aux fins d’expédition de la décision aux parties. C’est seulement à la date d’expédition que l’affaire est réputée clôturée. La décision judiciaire est donc considérée comme finalisée, malgré le fait qu’elle a été adoptée par
une formation de jugement, uniquement lorsqu’elle est confirmée par un juge dudit service (ci-après le « juge de l’enregistrement »), qui est désigné par le président de la juridiction concernée, en sa qualité d’organe de l’administration judiciaire, dans le cadre du programme annuel d’affectation des juges. Une telle procédure n’est pas prévue par une loi en tant que condition d’adoption d’une décision judiciaire, mais correspond à une pratique des juridictions de deuxième instance ayant pour
base le règlement de procédure des tribunaux.
13. La juridiction de renvoi indique que, dans les trois affaires au principal, le juge de l’enregistrement a refusé d’enregistrer les décisions adoptées et les a renvoyées accompagnées d’une lettre justificative. Dans les affaires C‑554/21 et C‑622/21, cette lettre fait état du constat d’une contradiction avec d’autres décisions concernant des litiges similaires alors qu’elle exprime, dans l’affaire C‑727/21, le désaccord de ce juge avec l’interprétation juridique adoptée par la chambre dans la
procédure au principal, sans faire référence à une contrariété jurisprudentielle.
14. À la suite de ces refus d’enregistrement, la juridiction de renvoi a décidé, dans les affaires C‑554/21 et C‑622/21, d’adresser à la Cour des demandes de décision préjudicielle eu égard aux doutes éprouvés quant à la compatibilité de l’article 177, paragraphe 3, du règlement de procédure des tribunaux avec le droit de l’Union. S’agissant de l’affaire C‑727/21, consécutivement au maintien par la juridiction de renvoi de sa décision initiale et à la nouvelle communication de celle-ci au juge de
l’enregistrement, ce dernier l’a transmise à la section du contentieux commercial et autres litiges de la juridiction de renvoi afin que la question juridique litigieuse soit examinée lors d’une réunion de la section. Lors de sa réunion, cette section a adopté une « position juridique », dans laquelle elle a retenu la solution privilégiée par le juge de l’enregistrement. Par la suite, l’affaire a été encore une fois renvoyée devant la chambre pour qu’elle statue, en application de l’article 40,
paragraphe 2, de la loi relative à l’organisation juridictionnelle, conformément à cette position juridique, situation ayant conduit à la décison de renvoi dans l’affaire C‑727/21.
15. Au vu du déroulement des procédures au principal, la juridiction de renvoi considère que le juge de l’enregistrement, qui n’est pas connu des parties, dont le rôle n’est pas prévu par les règles de procédure applicables aux pourvois et qui, sans être une juridiction supérieure, est susceptible d’inciter une chambre compétente à modifier sa décision, peut méconnaître, par son action, l’exigence d’indépendance des juges. La juridiction de renvoi indique que l’existence d’une telle forme
d’enregistrement des décisions judiciaires était justifiée, jusqu’à présent, par la nécessité d’uniformiser la jurisprudence. Toutefois, la manière dont ce service de l’enregistrement procède après qu’une décision judiciaire a été adoptée est contraire, de l’avis de cette juridiction, au droit fondamental constitué par l’indépendance de la justice, en ce que ledit service choisit lui-même les décisions qui seront expédiées aux parties par la juridiction.
16. De plus, dans l’affaire C‑727/21, à propos des réunions d’une section de juridiction, la juridiction de renvoi précise qu’il s’agit d’un organe qui n’est pas prévu par le code de procédure civile et que seuls les juges de l’enregistrement et les présidents de sections décident des points à l’ordre du jour d’une telle réunion. Les parties aux différentes procédures n’ont pas connaissance du rôle de cette réunion et ne peuvent pas participer à celle-ci. Or, la décision rendue par une formation de
jugement ne peut être examinée et modifiée qu’à la suite de recours exercés par les parties devant la juridiction compétente dans le cadre d’une procédure légale dont celles-ci ont connaissance et non du fait de l’avis d’un juge ne faisant pas partie de cette formation ou d’une réunion générale de juges.
17. Dans ces circonstances, le Visoki trgovački sud Republike Hrvatske (cour d’appel de commerce) a décidé, dans chacune des trois affaires jointes, de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :
« Convient-il de considérer que la règle énoncée dans la deuxième partie de la première phrase et dans la deuxième phrase de l’article 177, paragraphe 3, du [règlement de procédure des tribunaux], qui prévoit que “[d]evant une juridiction de deuxième instance, une affaire est réputée clôturée à la date de l’expédition de la décision à partir du bureau du juge, après retour de l’affaire du service de l’enregistrement[ ; qu’à] compter de la date de la réception du dossier, le service de
l’enregistrement est tenu de le renvoyer au bureau du juge dans un délai aussi bref que possible[, et qu’i]l est ensuite procédé à l’expédition de la décision dans un nouveau délai de huit jours”, est conforme à l’article 19, paragraphe 1, TUE et à l’article 47 de la [charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la “Charte”] ? »
18. En outre, dans l’affaire C‑727/21, le Visoki trgovački sud Republike Hrvatske (cour d’appel de commerce) a décidé de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :
« La disposition de l’article 40, paragraphe 2, [de la loi relative à l’organisation juridictionnelle], laquelle prévoit que “[l]a position juridique retenue lors de la réunion de tous les juges ou d’une section du Vrhovni sud Republike Hrvatske [Cour suprême], du Visoki trgovački sud Republike Hrvatske [cour d’appel de commerce], du Visoki upravni sud Republike Hrvatske [cour administrative d’appel], du Visoki kazneni sud Republike Hrvatske [cour pénale d’appel], du Visoki prekršajni sud
Republike Hrvatske [cour correctionnelle d’appel] et de la réunion d’une section d’un Županijski sud [tribunal de comitat] s’impose à l’ensemble des chambres ou juges de deuxième instance de cette section ou juridiction”, est-elle conforme à l’article 19, paragraphe 1, TUE et à l’article 47 de la [Charte] ? »
III. La procédure devant la Cour
19. Par décision du président de la Cour du 14 mars 2022, les affaires C‑554/21, C‑622/21 et C‑727/21 ont été jointes aux fins de la procédure écrite et orale ainsi que de l’arrêt.
20. Le gouvernement croate et la Commission européenne ont présenté des observations écrites dans les affaires C‑554/21, C‑622/21 et C‑727/21. Des observations écrites ont été déposées par la partie requérante au principal dans l’affaire C‑554/21. Lors de l’audience, qui s’est tenue le 5 juin 2023, ont été entendus en leurs observations orales le gouvernement croate et la Commission.
IV. Analyse
21. Ainsi qu’il ressort des demandes de décision préjudicielle, la juridiction de renvoi estime devoir obtenir de la Cour une interprétation de l’article 19, paragraphe 1, TUE et de l’article 47 de la Charte au regard des doutes qu’elle nourrit quant à la conformité à ces dispositions du droit de l’Union de l’article 177, paragraphe 3, du règlement de procédure des tribunaux et de l’article 40, paragraphe 2, de la loi relative à l’organisation juridictionnelle régissant le processus décisionnel au
sein des juridictions croates du second degré.
22. Si aucune des parties n’a formulé d’observations quant à la compétence de la Cour et à la recevabilité de ces demandes, il importe de rappeler que, en vertu d’une jurisprudence constante, il appartient à la Cour elle-même d’examiner les conditions dans lesquelles elle est saisie par le juge national, en vue de vérifier sa propre compétence ou la recevabilité de la demande qui lui est soumise ( 3 ).
A. Sur la compétence de la Cour
23. Il importe de souligner que, dans le cadre d’un renvoi préjudiciel au titre de l’article 267 TFUE, la Cour peut uniquement interpréter le droit de l’Union dans les limites des compétences qui lui sont attribuées ( 4 ).
24. En premier lieu, s’agissant de l’application de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, il convient de rappeler que, en vertu de cette disposition, les États membres établissent les voies de recours nécessaires pour assurer aux justiciables le respect de leur droit à une protection juridictionnelle effective dans les domaines couverts par le droit de l’Union. Ainsi, il appartient aux États membres de prévoir un système de voies de recours et de procédures assurant un contrôle
juridictionnel effectif dans lesdits domaines. Il ressort de la jurisprudence de la Cour que, en ce qui concerne le champ d’application de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, ladite disposition vise les « domaines couverts par le droit de l’Union », indépendamment de la situation dans laquelle les États membres mettent en œuvre ce droit, au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la Charte ( 5 ).
25. L’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE a notamment vocation à s’appliquer à l’égard de toute instance nationale susceptible de statuer, en tant que juridiction, sur des questions portant sur l’application ou l’interprétation du droit de l’Union et relevant ainsi de domaines couverts par ce droit. Or, tel est le cas de la juridiction de renvoi, laquelle peut, en effet, être appelée, en sa qualité de juridiction de droit commun croate, à statuer sur des questions liées à l’application ou à
l’interprétation du droit de l’Union et relève, en tant que « juridiction », au sens défini par ce droit, du système croate de voies de recours dans les « domaines couverts par le droit de l’Union » ( 6 ), au sens de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, de telle sorte que cette juridiction doit satisfaire aux exigences d’une protection juridictionnelle effective. Par ailleurs, il convient de rappeler que, si l’organisation de la justice dans les États membres relève de la compétence
de ces derniers, il n’en demeure pas moins que, dans l’exercice de cette compétence, les États membres sont tenus de respecter les obligations qui découlent, pour eux, du droit de l’Union et, en particulier, de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE ( 7 ).
26. Il découle de ce qui précède que, dans les présentes affaires, la Cour est compétente pour interpréter l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE.
27. En second lieu, le champ d’application de la Charte, pour ce qui est de l’action des États membres, est défini à l’article 51, paragraphe 1, de celle-ci, aux termes duquel les dispositions de la Charte s’adressent aux États membres lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union, cette disposition confirmant la jurisprudence constante de la Cour selon laquelle les droits fondamentaux garantis dans l’ordre juridique de l’Union ont vocation à être appliqués dans toutes les situations régies par le
droit de l’Union, mais pas en dehors de celles-ci. Ainsi qu’il résulte d’une jurisprudence constante de la Cour, lorsqu’une situation juridique ne relève pas du champ d’application du droit de l’Union, la Cour n’est pas compétente pour en connaître et les dispositions éventuellement invoquées de la Charte ne sauraient, à elles seules, fonder cette compétence ( 8 ).
28. En l’occurrence, en ce qui concerne, plus précisément, l’article 47 de la Charte, visé par les présentes demandes de décision préjudicielle, il convient de constater que les litiges dont est saisie la juridiction de renvoi portent, en substance, sur le remboursement des frais exposés par un organisme public à la suite de son intervention dans des procédures d’insolvabilité et sur le bien-fondé d’une décision de première instance ayant rejeté la demande d’une association, établie à Zagreb
(Croatie), tendant à l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire. S’agissant précisément du domaine des procédures d’insolvabilité, il est constant que différents actes ont été adoptés par le législateur de l’Union portant sur celui-ci ( 9 ). Force est, toutefois, de constater que la juridiction de renvoi ne mentionne aucune disposition du droit de l’Union concernant ce domaine qui serait applicable aux litiges en cause et n’avance même aucun élément indiquant que les affaires au
principal, évoquées laconiquement dans les ordonnances de renvoi, relèvent du droit de l’Union. Il importe de souligner que la reconnaissance du droit à un recours effectif consacré à l’article 47 de la Charte, dans un cas d’espèce donné, suppose que la personne qui l’invoque se prévale de droits ou de libertés garantis par le droit de l’Union. Or, il ne ressort pas des décisions de renvoi que les parties requérantes au principal se sont prévalues d’un droit dont elles se trouveraient investies
au titre d’une disposition du droit de l’Union ( 10 ).
29. Il découle de ce qui précède que rien ne permet de considérer que les litiges au principal concernent l’interprétation ou l’application d’une règle du droit de l’Union qui serait mise en œuvre au niveau national. Partant, la Cour n’est pas compétente pour interpréter l’article 47 de la Charte dans les présentes affaires.
B. Sur la recevabilité des demandes de décision préjudicielle
30. Cette question me paraît revêtir une importance singulière eu égard à la portée très large de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, tel qu’interprété par la Cour, et à la compétence corrélative de celle-ci ( 11 ). Depuis l’adoption de l’arrêt Associação Sindical dos Juízes Portugueses ( 12 ), la Cour a été destinataire de nombreux renvois préjudiciels requérant l’interprétation de cette disposition dans des affaires pour le moins variées, certaines révélant des atteintes graves à
l’État de droit et plus particulièrement à l’indépendance des juges, et d’autres concernant la question de la non‑promotion d’un juge, de son classement dans la grille salariale, des règles régissant l’attribution des affaires au sein d’une juridiction, de la qualité d’un signataire d’un mémoire en défense ou du moment du prononcé d’un jugement, sans lien évident avec l’objet du litige au principal ( 13 ). La rigueur dans l’appréciation de la recevabilité apparaît, dans ce contexte, comme la
seule limite possible à l’examen de demandes de décision préjudicielle contraires à l’esprit et à la finalité de cette voie de droit, à savoir la coconstruction, par la Cour et la juridiction nationale dans le respect de leurs compétences respectives, d’une solution au litige soumis à cette dernière.
31. Eu égard à la jurisprudence pertinente de la Cour et, plus particulièrement, à son expression consolidée issue de l’arrêt Miasto Łowicz, il importe de souligner que la procédure instituée à l’article 267 TFUE constitue un instrument de coopération entre la Cour et les juridictions nationales, grâce auquel la première fournit aux secondes les éléments d’interprétation du droit de l’Union qui leur sont nécessaires pour la solution des litiges qu’elles sont appelées à trancher, et que la
justification du renvoi préjudiciel tient non pas dans la formulation d’opinions consultatives sur des questions générales ou hypothétiques, mais dans le besoin inhérent à la solution effective d’un litige. Il ressort des termes mêmes de l’article 267 TFUE que la décision préjudicielle sollicitée doit être « nécessaire » pour permettre à la juridiction de renvoi de « rendre son jugement » dans l’affaire dont elle se trouve saisie. La Cour a ainsi itérativement rappelé qu’il ressort à la fois des
termes et de l’économie de l’article 267 TFUE que la procédure préjudicielle présuppose, notamment, qu’un litige soit effectivement pendant devant les juridictions nationales, dans le cadre duquel elles sont appelées à rendre une décision susceptible de prendre en considération l’arrêt préjudiciel. La mission de la Cour, dans le cadre d’une procédure préjudicielle, est d’assister la juridiction de renvoi dans la solution du litige concret pendant devant elle. Dans le cadre d’une telle procédure,
il doit ainsi exister entre ledit litige et les dispositions du droit de l’Union dont l’interprétation est sollicitée un lien de rattachement tel que cette interprétation réponde à un besoin objectif pour la décision que la juridiction de renvoi doit prendre ( 14 ).
32. Il résulte de l’arrêt Miasto Łowicz que ce lien de rattachement peut être direct ou indirect, selon les trois hypothèses de recevabilité y énoncées. Il est direct lorsque la juridiction nationale est amenée à appliquer le droit de l’Union dont l’interprétation est sollicitée aux fins de dégager la solution de fond à réserver au litige principal (première hypothèse). Il est indirect quand la décision préjudicielle est de nature à fournir à la juridiction de renvoi une interprétation de
dispositions procédurales du droit de l’Union que celle-ci est tenue d’appliquer pour rendre son jugement (deuxième hypothèse) ou une interprétation du droit de l’Union lui permettant de trancher des questions procédurales de droit national, avant de pouvoir statuer sur le fond du litige dont elle est saisie (ci-après la « troisième hypothèse ») ( 15 ).
33. Comme cela a déjà été relevé ci-dessus, les litiges au principal présentent un certain lien matériel avec le droit de l’Union afférent aux procédures d’insolvabilité dont la juridiction de renvoi ne sollicite pas l’interprétation par la Cour d’une disposition quelconque, lien manifestement insuffisant pour satisfaire au critère de nécessité. Les demandes de décision préjudicielle ne font pas davantage apparaître que la juridiction de renvoi serait appelée à appliquer l’article 19, paragraphe 1,
second alinéa, TUE, sur lequel portent les questions préjudicielles, aux fins de dégager la solution de fond à réserver à ces litiges concernant la charge des frais ou les conditions d’ouverture d’une procédure d’insolvabilité.
34. Il apparaît, en réalité, que, par les questions préjudicielles qu’elle a adressées à la Cour et par l’interprétation du droit de l’Union qu’elle sollicite, la juridiction de renvoi vise à être éclairée, non pas sur le fond des litiges dont elle est saisie, mais bien sur une question de nature procédurale, entendue au sens large ( 16 ), de droit national devant être tranchée par elle in limine litis, dès lors qu’elle porte sur la faculté de cette juridiction de statuer sur lesdits litiges en
toute indépendance dans le cadre d’un mécanisme interne visant à assurer la cohérence de la jurisprudence de la juridiction et faisant intervenir d’autres instances juridictionnelles. La juridiction de renvoi a exposé, à suffisance, les raisons l’ayant en l’occurrence conduite à s’interroger sur l’interprétation de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE et, en particulier, le lien qu’elle établit entre ladite disposition du traité et les dispositions nationales qui, selon elle, sont de
nature à exercer une influence sur le processus juridictionnel au terme duquel elle rendra ses jugements. Selon cette juridiction, en considération de la réponse de la Cour sur la conformité du mécanisme susmentionné, elle pourra, ou non, s’écarter des positions juridiques adoptées par la section des juges en cause en lien avec les litiges au principal.
35. Reste que ces considérations ne modifient en rien l’objet de ces litiges et la constatation précédemment opérée selon laquelle il ne ressort pas des demandes de décision préjudicielle que ceux-ci ont trait à des questions relevant du droit de l’Union. Le fait que l’interprétation de la Cour de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE puisse avoir, compte tenu de la nature de la problématique procédurale soulevée dans les demandes de décision préjudicielle, une influence quant à la manière
avec laquelle la juridiction de renvoi va trancher les litiges au principal ne signifie pas qu’elle répond à un besoin inhérent à la solution au fond de litiges ayant trait au droit de l’Union.
36. La Cour doit-elle, dès lors, répondre aux questions de la juridiction de renvoi effectivement nécessaires pour lui permettre de résoudre, in limine litis, une problématique procédurale nationale susceptible d’avoir une incidence négative sur l’obligation des États membres prévue à l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, avant de résoudre au fond des litiges sans lien de rattachement avec le droit de l’Union ? Cette interrogation s’avère, à mon sens, délicate.
37. Rappelons, en premier lieu, que, dans l’arrêt Miasto Łowicz, la Cour a successivement examiné la recevabilité des questions préjudicielles posées au regard de trois situations distinctes et autonomes satisfaisant au critère de nécessité pour conclure à leur irrecevabilité en soulignant, pour la troisième hypothèse, la différence avec les affaires ayant donné lieu à l’arrêt A. K. e.a. (Indépendance de la chambre disciplinaire de la Cour suprême) ( 17 ), dans lesquelles l’interprétation
préjudicielle sollicitée de la Cour était de nature à influer sur la question de la détermination de la juridiction compétente aux fins de trancher sur le fond des litiges « ayant trait au droit de l’Union » ( 18 ).
38. En deuxième lieu, l’énoncé dans l’arrêt Miasto Łowicz de la troisième hypothèse de recevabilité, outre celle plus habituelle d’un lien direct de rattachement du litige au principal, quant au fond, avec le droit de l’Union, ne signifie pas que cette hypothèse doit nécessairement s’entendre, pour lui donner sens, comme devant s’appliquer à une affaire dans laquelle ce lien n’existe pas. Il convient, en réalité, de prendre en compte la diversité des renvois préjudiciels et de raisonner au regard de
chaque question préjudicielle posée. Les décisions de renvoi peuvent comporter, comme en l’espèce, des questions préjudicielles concernant uniquement un problème de procédure nationale ou mêler des questions préjudicielles de natures différentes, certaines en lien direct avec le litige au principal quant au fond et d’autres afférentes à une problématique procédurale nationale, les premières pouvant être déclarées recevables à la différence des secondes ( 19 ).
39. En troisième lieu, la justification de la compétence de la Cour, au regard de la formulation de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE qui vise, de manière générale, « les domaines couverts par le droit de l’Union », indépendamment de la situation dans laquelle les États membres mettent en œuvre ce droit, ne peut être celle de la recevabilité des demandes de décision préjudicielle, sous peine de confondre deux notions juridiques distinctes et de faire perdre toute utilité à cette
dernière exigence.
40. Il est vrai que l’indépendance des juges est juridiquement indivisible et, ainsi que le soulignait l’avocat général Bobek ( 20 ), il n’existe pas, substantiellement, « d’“indépendance des juges dans le champ d’application du droit de l’Union”, par opposition à l’“indépendance des juges dans les affaires purement nationales” ». Aussi pertinente que puisse être cette observation, elle ne permet pas d’enjamber l’étape de la recevabilité des questions préjudicielles posées et donc de dispenser la
Cour de se demander si le droit de l’Union trouve effectivement à s’appliquer dans le litige au principal que la juridiction de renvoi doit trancher ( 21 ).
41. Le fait que le problème soulevé par la juridiction de renvoi paraît revêtir une certaine gravité, du fait du caractère systémique des règles en cause pour le système judiciaire national, ne relève pas de l’examen de la recevabilité mais du fond, à savoir de la conformité de ces règles avec les exigences de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE. Une certaine réticence à laisser sans réponse la juridiction de renvoi et donc à ne pas examiner une réglementation et une pratique
potentiellement porteuses d’une atteinte à l’indépendance des juges croates et susceptibles d’intéresser, par l’établissement de ce mécanisme d’unification de la jurisprudence, bien d’autres systèmes juridiques nationaux, ne saurait constituer la motivation, en l’occurrence sous-jacente, d’une décision de recevabilité ( 22 ).
42. Il y aurait donc lieu de considérer que, si la Cour admet d’être interrogée sur une disposition du droit de l’Union afin de résoudre une question d’ordre procédural national de sorte que les procédures au principal puissent être conduites dans le respect du droit de l’Union, c’est uniquement dans l’optique d’une décision de la juridiction de renvoi statuant sur le fond du litige au principal ayant trait au droit de l’Union. Il me faut cependant reconnaître que, sur ce dernier point, la
jurisprudence de la Cour postérieure à l’arrêt Miasto Łowicz ne se caractérise pas par son homogénéité, tant il est vrai que certaines décisions d’irrecevabilité ou de recevabilité des questions préjudicielles soumises s’inscrivent dans sa ligne ( 23 ) alors que d’autres semblent s’en éloigner, en adoptant, qui plus est, des solutions en apparence contradictoires ( 24 ).
43. Dans un arrêt récent, la Cour a indiqué, de manière générale, que les questions préjudicielles visant à permettre à une juridiction de renvoi de trancher, in limine litis, des difficultés d’ordre procédural telles que celles afférentes à sa propre compétence pour connaître d’une affaire pendante devant elle ou encore aux effets juridiques qu’il convient ou non de reconnaître à une décision juridictionnelle faisant potentiellement obstacle à la poursuite de l’examen d’une telle affaire par ladite
juridiction sont recevables en vertu de l’article 267 TFUE ( 25 ). Cette approche semble autonomiser la problématique procédurale, en tant que telle, en ce sens qu’elle serait de nature à satisfaire, à elle seule, le critère de nécessité au titre de l’article 267 TFUE. Reste que la Cour n’a clairement et uniquement visé que deux cas de figure particuliers, distincts de la situation rencontrée par la juridiction de renvoi dont les demandes de décision préjudicielle ne comportent aucune
interrogation quant à sa compétence matérielle pour trancher les litiges au principal ni ne font état de décisions juridictionnelles faisant obstacle à la poursuite de l’examen de ces litiges.
44. Je crois, enfin, nécessaire d’évoquer la deuxième hypothèse visée dans l’arrêt Miasto Łowicz. À cet égard, si la Cour a déjà jugé recevables des questions préjudicielles portant sur l’interprétation de dispositions procédurales du droit de l’Union que la juridiction de renvoi concernée serait tenue d’appliquer pour rendre son jugement, telle n’est pas la portée, selon moi, des questions posées dans le cadre des présentes affaires jointes, sauf à devoir classer l’article 19, paragraphe 1, second
alinéa, TUE dans la catégorie de normes susvisée. L’examen de la jurisprudence pertinente de la Cour montre qu’elle concerne des actes de droit dérivé établissant des règles spécifiques de nature procédurale, situations particulières dictant la solution retenue par la Cour quant à la recevabilité ( 26 ).
45. Il importe de souligner, à cet égard, que la Cour a déclaré recevable une question préjudicielle portant sur l’interprétation du règlement (CE) no 1206/2001 ( 27 ), question dont a été préalablement constatée l’absence d’incidence directe sur l’issue du litige au principal relatif à l’octroi d’indemnités au titre d’une clause de non‑concurrence ( 28 ). La transposition d’une telle décision dans les présentes affaires, combinée à l’interprétation de la Cour de l’article 19, paragraphe 1, second
alinéa, TUE pour retenir sa compétence, conduirait à une application extensive pour ne pas dire sans limites de cette disposition dans un domaine, l’organisation de la justice dans les États membres, censé relever de la compétence de ces derniers.
46. Eu égard aux observations qui précèdent, il convient de considérer que les questions préjudicielles soumises à la Cour ne portent pas sur une interprétation du droit de l’Union qui réponde à un besoin objectif pour la solution des litiges au principal, mais revêtent un caractère général, ce qui justifie une conclusion d’irrecevabilité de celles-ci.
47. Dans un souci de complétude dans l’exercice de la mission d’assistance de la Cour impartie à l’avocat général, j’exposerai, néanmoins, mon analyse desdites questions quant au fond.
C. Sur le fond
48. Il ressort des demandes de décision préjudicielle que la juridiction de renvoi éprouve des doutes quant à la conformité de la réglementation et de la pratique nationales prévoyant l’intervention, dans le processus décisionnel judiciaire du second degré, du juge de l’enregistrement et de la section des juges, au sujet desquels cette juridiction interroge distinctement et spécifiquement la Cour. Ces interventions relevant d’un même mécanisme visant à assurer la cohérence de la jurisprudence d’une
juridiction, il convient d’apprécier la compatibilité de ce dernier au regard de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE en examinant conjointement les questions préjudicielles posées ( 29 ).
49. L’appréciation de la conformité de ce mécanisme implique, à titre liminaire, de souligner, dans le contexte d’une prévention des divergences jurisprudentielles, l’importance du principe de sécurité juridique.
1. Sur l’exigence de sécurité juridique
50. Le principe de sécurité juridique, qui constitue un principe général du droit de l’Union, vise à garantir la prévisibilité des situations et des relations juridiques résultant du droit de l’Union ( 30 ). Il exige notamment que les règles de droit soient claires et précises et que leur application soit prévisible pour les justiciables, afin de permettre aux intéressés de connaître avec exactitude l’étendue des obligations que la réglementation en cause leur impose, et que ces derniers puissent
connaître sans ambiguïté leurs droits et leurs obligations et prendre leurs dispositions en conséquence ( 31 ).
51. La cohérence de la jurisprudence interprétant le droit de l’Union, source de prévisibilité et donc de sécurité juridique, est bien évidemment une préoccupation majeure de la Cour, y compris dans son mode de fonctionnement interne, puisqu’elle correspond à sa mission originelle. Selon une jurisprudence constante, le mécanisme de renvoi préjudiciel établi par l’article 267 TFUE vise à assurer en toutes circonstances au droit de l’Union le même effet dans tous les États membres et ainsi à prévenir
des divergences dans l’interprétation de celui-ci que les juridictions nationales ont à appliquer, et tend à assurer cette application. À cette fin, ledit article offre au juge national un moyen d’éliminer les difficultés que pourrait soulever l’exigence de donner au droit de l’Union son plein effet dans le cadre des systèmes juridictionnels des États membres ( 32 ).
52. Par ailleurs, la Cour considère qu’un mécanisme vertical d’uniformisation de la jurisprudence, au travers de l’intervention des juridictions suprêmes des États membres, n’est pas contraire, en lui-même, au droit de l’Union, même si les décisions de ces dernières ont force obligatoire pour les juridictions inférieures. Une conclusion d’incompatibilité s’imposerait uniquement si le droit national ne garantissait pas l’indépendance des juridictions suprêmes ou si ce mécanisme était de nature à
empêcher une juridiction nationale de s’adresser à la Cour à titre préjudiciel ( 33 ).
53. Il n’en demeure pas moins que, ainsi que l’observe à juste titre la Cour EDH) dans le cadre de son contrôle du respect de l’article 6, paragraphe 1, de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la « CEDH »), l’éventualité de divergences de jurisprudence entre des juridictions nationales ou au sein d’une même juridiction est inhérente à tout système judiciaire. Si une telle situation n’est pas, en soi, contraire à
la CEDH, la Cour EDH précise que le principe de la sécurité juridique, qui est implicite dans l’ensemble des articles de celle-ci, tend notamment à garantir une certaine stabilité des situations juridiques et à favoriser la confiance du public dans la justice. Toute persistance de divergences de jurisprudence risque d’engendrer un état d’incertitude juridique de nature à réduire la confiance du public dans le système judiciaire, alors même que cette confiance est l’une des composantes
fondamentales de l’état de droit. Dans ces circonstances, la Cour EDH a jugé que les États contractants ont l’obligation d’organiser leur système judiciaire de façon à éviter l’adoption de jugements divergents et vérifie la mise en place de mécanismes qui soient à même d’assurer la cohérence de la pratique au sein des tribunaux et l’uniformisation de la jurisprudence ( 34 ).
54. Il est intéressant d’observer, d’une part, que le mécanisme visant à assurer la cohérence de la jurisprudence visé dans les présentes affaires concerne les juridictions croates du deuxième degré, alors que le règlement des éventuelles contradictions ou incertitudes résultant d’arrêts contenant des interprétations divergentes relève en principe du rôle d’une juridiction suprême ( 35 ). Ce dernier n’exclut cependant en rien, selon moi, la nécessaire prise en compte d’une jurisprudence harmonisée
en ce qui concerne le deuxième degré de juridiction, et ce d’autant plus au regard du caractère extraordinaire des voies de recours possibles contre les décisions de ces juridictions ( 36 ). La prévisibilité du droit et la sécurité juridique qui en découle doivent être les préoccupations de toutes les instances juridictionnelles, quel que soit leur rang dans le système judiciaire, afin que soit assurée l’égalité de tous les justiciables devant la loi, sur l’ensemble d’un territoire donné.
D’autre part, le mécanisme en cause vise à assurer une cohérence horizontale, chaque juridiction du deuxième degré devant veiller par ce biais à l’unité de sa propre jurisprudence, situation à laquelle la Cour EDH attache une importance particulière ( 37 ).
55. L’instauration nécessaire de mécanismes destinés à assurer la cohérence de la jurisprudence ne peut, toutefois, se faire en méconnaissance de l’accès à un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi.
2. Sur le respect du droit à une protection juridictionnelle effective
56. Il y a lieu de rappeler que l’Union regroupe des États qui ont librement et volontairement adhéré aux valeurs communes visées à l’article 2 TUE, respectent ces valeurs et s’engagent à les promouvoir. En particulier, il découle de l’article 2 TUE que l’Union est fondée sur des valeurs, telles que l’État de droit, qui sont communes aux États membres dans une société caractérisée, notamment, par la justice. À cet égard, il convient de relever que la confiance mutuelle entre les États membres et,
notamment, leurs juridictions est fondée sur la prémisse fondamentale selon laquelle les États membres partagent une série de valeurs communes sur lesquelles l’Union est fondée, comme il est précisé à cet article. Par ailleurs, le respect par un État membre des valeurs consacrées à l’article 2 TUE constitue une condition pour la jouissance de tous les droits découlant de l’application des traités à cet État membre. Un État membre ne saurait donc modifier sa législation de manière à entraîner une
régression de la protection de la valeur de l’État de droit, valeur qui est concrétisée, notamment, par l’article 19 TUE. Les États membres sont ainsi tenus de veiller à éviter toute régression, au regard de cette valeur, de leur législation en matière d’organisation de la justice, en s’abstenant d’adopter des règles qui viendraient porter atteinte à l’indépendance des juges ( 38 ).
57. Comme le prévoit l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, il appartient aux États membres de prévoir un système de voies de recours et de procédures assurant aux justiciables le respect de leur droit à une protection juridictionnelle effective dans les domaines couverts par le droit de l’Union. Le principe de protection juridictionnelle effective des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union, auquel se réfère ainsi l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, constitue un
principe général du droit de l’Union qui découle des traditions constitutionnelles communes aux États membres, qui a été consacré par les articles 6 et 13 de la CEDH et qui est à présent affirmé à l’article 47 de la Charte ( 39 ).
58. Dès lors que l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE impose à tous les États membres d’établir les voies de recours nécessaires pour assurer, dans les domaines couverts par le droit de l’Union, une protection juridictionnelle effective, au sens notamment de l’article 47 de la Charte, cette dernière disposition doit être dûment prise en considération aux fins de l’interprétation de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE de même que la jurisprudence de la Cour EDH relative à
l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH ( 40 ). Or, pour garantir que des instances qui peuvent être appelées à statuer sur des questions liées à l’application et à l’interprétation du droit de l’Union soient à même d’assurer une telle protection juridictionnelle effective, la préservation de l’indépendance de celles-ci est primordiale, comme le confirme l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte, qui mentionne l’accès à un tribunal « indépendant » parmi les exigences liées au droit fondamental à
un recours effectif ( 41 ).
59. Si la question de l’indépendance de la formation saisie revêt dans les présentes affaires un caractère essentiel, celle liée au respect des droits de la défense et à la garantie de l’accès à un tribunal préalablement établi par la loi doit aussi être prise en compte.
a) Sur l’exigence d’indépendance des juridictions
60. L’exigence d’indépendance des juridictions, qui est inhérente à la mission de juger, relève du contenu essentiel du droit à une protection juridictionnelle effective et du droit fondamental à un procès équitable, lequel revêt une importance cardinale en tant que garant de la protection de l’ensemble des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union et de la préservation des valeurs communes aux États membres énoncées à l’article 2 TUE, notamment la valeur de l’État de droit ( 42 ).
61. Aux termes d’une jurisprudence constante, ladite exigence d’indépendance comporte deux aspects. Le premier aspect, d’ordre externe, requiert que l’instance concernée exerce ses fonctions en toute autonomie, sans être soumise à aucun lien hiérarchique ou de subordination à l’égard de quiconque et sans recevoir d’ordres ou d’instructions de quelque origine que ce soit, étant ainsi protégée contre les interventions ou les pressions extérieures susceptibles de porter atteinte à l’indépendance de
jugement de ses membres et d’influencer leurs décisions. Le second aspect, d’ordre interne, rejoint la notion d’impartialité et vise l’égale distance par rapport aux parties au litige et à leurs intérêts respectifs au regard de l’objet de celui-ci. Cet aspect exige le respect de l’objectivité et l’absence de tout intérêt dans la solution du litige en dehors de la stricte application de la règle de droit. Ces garanties d’indépendance et d’impartialité postulent l’existence de règles, notamment en
ce qui concerne la composition de l’instance, la nomination, la durée des fonctions ainsi que les causes d’abstention, de récusation et de révocation de ses membres, qui permettent d’écarter tout doute légitime, dans l’esprit des justiciables, quant à l’imperméabilité de ladite instance à l’égard d’éléments extérieurs et à sa neutralité par rapport aux intérêts qui s’affrontent ( 43 ).
62. À cet égard, il importe que les juges se trouvent à l’abri d’interventions ou de pressions extérieures susceptibles de mettre en péril leur indépendance. Les règles applicables au statut des juges et à l’exercice de leur fonction doivent, en particulier, permettre d’exclure non seulement toute influence directe, sous forme d’instructions, mais également les formes d’influence plus indirecte susceptibles d’orienter les décisions des juges concernés, et d’écarter ainsi une absence d’apparence
d’indépendance ou d’impartialité de ceux-ci qui serait de nature à porter atteinte à la confiance que la justice doit inspirer aux justiciables dans une société démocratique et un État de droit ( 44 ).
63. Si la jurisprudence de la Cour rappelée ci-dessus vise surtout à préserver l’indépendance des juridictions à l’égard des pouvoirs législatif et exécutif conformément au principe de séparation des pouvoirs qui caractérise le fonctionnement d’un État de droit, elle est pleinement applicable, compte tenu notamment de la généralité des formulations employées, dans un autre contexte pouvant être qualifié de purement interne. En l’occurrence, les doutes exprimés dans les décisions de renvoi au regard
de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE portent, en substance, sur des dispositions et une pratique nationales relatives à un mécanisme visant à assurer la cohérence de la jurisprudence et prévoyant l’intervention, à ce titre, de deux organes relevant de la même juridiction que les juges auteurs de ces décisions. Je relève, à cet égard, que, dans le cadre d’un contentieux ayant pour origine la décision du président d’un tribunal de muter un juge, sans le consentement de celui-ci, de la
section de ladite juridiction dans laquelle il siégeait jusqu’alors vers une autre section de cette même juridiction, la Cour a considéré que l’exigence d’indépendance des juges découlant de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, lu à la lumière de l’article 47 de la Charte, impose que le régime applicable aux mutations non consenties de ceux-ci présente, à l’instar des règles en matière disciplinaire, notamment les garanties nécessaires afin d’éviter tout risque que cette indépendance
soit mise en péril par des interventions externes directes ou indirectes ( 45 ).
64. Cette approche est confortée par la jurisprudence explicite de la Cour EDH relative à l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH selon laquelle l’indépendance de la justice exige que les juges ne soient pas soumis à des influences indues provenant non seulement de l’extérieur du système judiciaire, mais également de l’intérieur de ce dernier. Cette indépendance interne des juges exige qu’ils ne puissent pas faire l’objet de directives ou de pressions de la part des autres juges ou de ceux qui
exercent des responsabilités administratives au sein du tribunal, tels que le président du tribunal ou le président d’une division au sein du tribunal. En l’absence de garanties suffisantes protégeant l’indépendance des juges au sein du système judiciaire et, en particulier, à l’égard de leurs supérieurs hiérarchiques au sein de leur juridiction, il est permis de douter de l’indépendance et de l’impartialité de la juridiction ( 46 ).
65. En l’occurrence, peut-on considérer que l’intervention du juge de l’enregistrement et de la section des juges, deux organes juridictionnels de même niveau que la formation de jugement initialement saisie, est de nature à porter atteinte à l’exigence d’indépendance des membres de cette dernière ? La réponse à cette interrogation me semble devoir être négative ( 47 ).
66. En premier lieu, il importe de s’attacher à l’interprétation littérale des dispositions pertinentes de la réglementation nationale concernant le fonctionnement de la « section », laquelle regroupe, conformément à l’article 37 de la loi relative à l’organisation juridictionnelle, les juges composant les différentes chambres ou formations de la juridiction concernée, y compris à juge unique, statuant sur des questions relevant d’un ou de plusieurs domaines connexes du droit. En vertu de
l’article 38 de cette loi, les débats d’une réunion de section portent sur « les questions » présentant un intérêt pour la section, notamment les « points de droit litigieux » et « l’uniformisation de la jurisprudence ». Ces débats débouchent sur l’adoption d’une « position juridique », aux termes de l’article 40, paragraphe 2, de ladite loi, expression significative, dans la mesure où elle s’oppose à celle de solution ou de décision dans une affaire donnée.
67. En deuxième lieu, les explications fournies par le gouvernement croate et l’examen du dossier soumis à la Cour confirment cette analyse exégétique quant au fonctionnement d’une instance juridictionnelle collégiale, incluant les juges de la formation saisie, débattant, de manière générale, de l’interprétation des normes en cause et de la jurisprudence y afférente, avec l’adoption in fine, par le biais d’un vote à la majorité, d’une position commune des juges quant à l’interprétation devant être
retenue. Il est ainsi constant que, à l’initiative de sa présidente, une réunion, en visioconférence, de la section des litiges commerciaux s’est tenue, le 26 octobre 2021, en présence de 28 juges dont les trois composant la formation saisie et le juge de l’enregistrement. Cette réunion portait, notamment, sur les deux questions juridiques, énoncées de manière abstraite dans l’ordre du jour, ayant donné lieu à des échanges entre ce juge et cette formation. Le procès-verbal de ladite réunion
comporte la mention initiale selon laquelle la présence de 28 juges sur les 31 composant l’effectif de la cour d’appel de commerce suffit pour prendre des décisions valides, « c’est-à-dire des positions juridiques », et relate les différentes interventions des juges, dont l’un appartenant à la formation saisie, et la teneur de la position juridique relative à chacune des questions abordées. Cette dernière se caractérise par son abstraction et l’absence de toute référence aux affaires au
principal soumises à la formation initiale. Il résulte, en outre, des observations du gouvernement croate que la section des juges ne dispose pas des dossiers afférents à ces affaires et comportant les écritures des parties, seule la première délibération de la formation saisie est communiquée aux participants avec des éléments de jurisprudence.
68. En troisième lieu, il appartient à la chambre saisie de prendre en compte l’interprétation à caractère général des normes juridiques applicables pour adopter, en considération des faits de l’espèce et des éléments de preuve contenus dans le dossier, la solution juridique appropriée dans les affaires soumises ( 48 ). Cette distinction entre interprétation et application de la norme de droit est connue d’autres systèmes juridiques nationaux et correspond à l’essence même du mécanisme de tout
renvoi préjudiciel et bien évidemment à celui visé à l’article 267 TFUE. Il convient, à cet égard, de rappeler que ce dernier mécanisme a pour but, à travers l’instauration d’un dialogue de juge à juge entre la Cour et les juridictions nationales, d’assurer la cohérence et l’unité d’interprétation du droit de l’Union ( 49 ). La fonction confiée à la Cour par l’article 267 TFUE consiste à fournir à toute juridiction de l’Union les éléments d’interprétation du droit de l’Union qui lui sont
nécessaires pour la solution de litiges réels qui lui sont soumis ( 50 ). Cette disposition habilite la Cour, non pas à appliquer les règles du droit de l’Union à une espèce déterminée, mais seulement à se prononcer sur l’interprétation des traités et des actes pris par les institutions de l’Union. Partant, c’est non pas à la Cour, mais aux juridictions nationales qu’il revient d’appliquer le droit de l’Union à la lumière des éléments d’interprétation fournis par la Cour ( 51 ).
69. L’analyse développée ci-dessus est fondamentale pour l’appréciation de l’article 40, paragraphe 2, de la loi relative à l’organisation juridictionnelle selon lequel la position juridique retenue lors de la réunion d’une section s’impose à l’ensemble des chambres ou juges de deuxième instance de cette section. Si l’on admet la distinction entre interprétation et application de la norme juridique, le fait que la formation saisie, partie intégrante d’une collégialité ayant débattu et voté à la
majorité l’adoption de la position juridique, soit tenue de mettre en œuvre cette dernière, à l’instar d’un arrêt d’une juridiction suprême statuant uniquement en droit, satisfait à l’objectif de sécurité juridique, sans heurter l’exigence d’indépendance de la juridiction ( 52 ). Admettre un mécanisme visant à assurer la cohérence de la jurisprudence sous réserve du caractère non contraignant de la position juridique, comme le suggère la Commission, reviendrait à conférer à celui-ci un simple
caractère incitatif et donc une utilité totalement aléatoire.
70. En quatrième lieu, il y a lieu de circonscrire le rôle joué par le juge de l’enregistrement dans le mécanisme incriminé. Si ce juge a, selon les indications de la juridiction de renvoi, le pouvoir de bloquer le processus décisionnel et d’empêcher que la délibération de la formation saisie ne devienne formellement un acte juridictionnel notifié aux parties, il ne peut en aucun cas substituer son appréciation à celle de cette formation. Il peut uniquement renvoyer à ladite formation le dossier aux
fins de réexamen accompagné d’observations sur la problématique juridique soulevée et, en cas de persistance d’un désaccord avec la chambre saisie, il ne peut qu’alerter le président de la juridiction ou celui de la section, chargé d’en diriger les travaux, qui ont seuls compétence pour saisir cette formation élargie, « lorsqu’il est constaté qu’il existe des différences d’interprétation entre des sections, des chambres ou des juges sur des questions relatives à l’application de la loi ou
lorsqu’une chambre ou un juge d’une section s’écarte de la position juridique retenue antérieurement » ( 53 ). L’appréciation de ces motifs relève donc de ces deux seuls organes compétents pour la saisine de la section ( 54 ), laquelle adoptera une position juridique, le cas échéant, contraire à l’approche du juge de l’enregistrement et qui s’imposera à celui-ci en tant que juge de la section concernée ( 55 ). Celui-ci ne saurait donc être considéré comme ayant le « dernier mot » dans le
processus du délibéré s’achevant par l’adoption d’une position juridique, pourvue d’une force contraignante quant à l’interprétation de la règle de droit, et la décision de la formation saisie faisant suite.
71. Se dessine ainsi un mécanisme procédural interne, connu de différents ordres juridiques nationaux, prévoyant l’implication d’une formation élargie sans transfert de l’affaire concernée, cette formation ne rendant pas de décision tranchant le litige à la place de la chambre initialement saisie mais se bornant à statuer sur une question de droit et à renvoyer l’affaire devant la formation de jugement initiale afin qu’elle se prononce sur le litige en tenant compte de la réponse apportée par la
formation élargie. Suivant les systèmes juridiques, la position de cette dernière sera de nature consultative ou, comme en l’espèce, pourvue d’une force contraignante ( 56 ), limitée à la formation initiale ou s’étendant à d’autres formations.
72. Si dans différents ordres juridiques nationaux, la saisine de la formation élargie est réservée à la chambre initialement saisie, dans le cadre d’une faculté ou d’une obligation, dans l’hypothèse où elle envisage de s’écarter de la jurisprudence antérieure ou pour les cas où une divergence dans la jurisprudence est constatée ou lorsqu’il existe un risque d’une telle divergence, cette saisine peut être attribuée à un organe juridictionnel tiers, tel que le président de la juridiction ou de la
section concernée, lequel est simplement alerté, en l’occurrence, par le juge de l’enregistrement.
b) Sur l’exigence du respect des droits de la défense
73. Dans ses observations, la Commission a souligné que les réunions de section ne sont pas accessibles au public et que les parties ne sont pas en mesure d’y présenter leurs arguments. Il a été observé à l’audience que les procès-verbaux de ces réunions ne sont pas diffusés et que participent à ces dernières des juges qui n’ont pas lu les écritures des parties ni entendu celles-ci, autant d’éléments qui posent la question de l’équité du procès. Il en va de même de l’intervention du juge de
l’enregistrement.
74. Il y a lieu de rappeler que le principe fondamental de protection juridictionnelle effective des droits, réaffirmé à l’article 47 de la Charte, et la notion de « procès équitable », visée à l’article 6 de la CEDH, sont constitués de divers éléments, lesquels comprennent, notamment, le respect des droits de la défense et le droit de se faire conseiller, défendre et représenter. Il ressort également de la jurisprudence de la Cour que le droit d’être entendu dans toute procédure fait partie
intégrante du respect des droits de la défense ainsi consacrés aux articles 47 et 48 de la Charte et qu’un tel droit garantit à toute personne la possibilité de faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue au cours de ladite procédure ( 57 ).
75. En l’espèce, il importe de souligner que, aux termes de l’article 334 du code de procédure civile croate, « une juridiction est liée par son jugement dès qu’il a été publié et, si le jugement n’a pas été publié, dès qu’il a été expédié. Le jugement ne produit d’effet à l’égard des parties qu’à compter du jour où il leur est signifié ». Selon l’article 177, paragraphe 3, du règlement de procédure des tribunaux, « devant une juridiction de deuxième instance, une affaire est dite réglée à la date
d’expédition de la décision du bureau du juge, après retour de l’affaire du service de suivi et d’enregistrement de la jurisprudence ».
76. Il résulte des dispositions susmentionnées que le mécanisme procédural en cause relève de la phase du délibéré du procès devant la formation saisie, aucune décision de justice n’étant formellement rendue après les débats au sein de cette formation, et ce indépendamment de l’accord majoritaire ou unanime des juges la composant sur une première délibération. Cette phase du délibéré fait suite à une procédure au cours de laquelle les parties ont pu exposer leurs prétentions et argumentations de
manière contradictoire et a pour unique objet de permettre aux magistrats de mener un travail de réflexion et d’analyse quant au litige soumis et à la résolution de celui-ci conformément aux règles de droit applicables.
77. En l’occurrence, ce délibéré inclut une réflexion menée collégialement par les juges membres de la section concernée, ne disposant pas du dossier de l’affaire examinée par la chambre saisie et portant uniquement sur l’interprétation abstraite de la ou des règles de droit en cause discutées au cours de la procédure contradictoire préalable. Dans ce cadre, il ne peut y avoir, en principe, de positions juridiques adoptées sur le fondement d’éléments sur lesquels les parties n’ont pas eu la
possibilité de faire valoir leurs observations. Si les débats au sein de la section aboutissent finalement à la conclusion selon laquelle le litige doit être résolu conformément à une règle de droit non visée et débattue par les parties pendant la procédure contradictoire, la mise en œuvre d’une telle position juridique impliquerait une réouverture des débats aux fins de respect du principe du contradictoire qui relève des droits de la défense. Cela ne signifie pas que la discussion entre juges
au sein de la section ne peut pas porter sur une jurisprudence non citée par les parties ou prendre la forme d’un raisonnement par analogie avec une disposition autre que celle en cause dans l’affaire traitée par la chambre saisie. Mais ce débat sur la question de droit pure constitue par essence le travail du juge.
78. Si l’on admet la distinction entre interprétation et application de la règle de droit, il ne saurait être retenu, dans les circonstances décrites ci-dessus, une méconnaissance de l’exigence d’un procès équitable.
c) Sur l’accès à un tribunal établi par la loi
79. S’appuyant sur une jurisprudence constante de la Cour EDH, la Cour a souligné que l’introduction de l’expression « établi par la loi » dans l’article 6, paragraphe 1, première phrase, de la CEDH a pour objet d’éviter que l’organisation du système judiciaire ne soit laissée à la discrétion de l’exécutif et de faire en sorte que cette matière soit régie par une loi adoptée par le pouvoir législatif d’une manière conforme aux règles encadrant l’exercice de sa compétence. Cette expression reflète
notamment le principe de l’État de droit et concerne non seulement la base légale de l’existence même du tribunal, mais encore la composition du siège dans chaque affaire ainsi que toute autre disposition du droit interne dont le non‑respect rend irrégulière la participation d’un ou de plusieurs juges à l’examen de l’affaire, ce qui inclut, en particulier, des dispositions concernant l’indépendance et l’impartialité des membres de la juridiction visée ( 58 ).
80. À cet égard, selon la Cour EDH, si le droit à un « tribunal établi par la loi » garanti à l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH constitue un droit autonome, ce dernier n’en a pas moins des liens très étroits avec les garanties d’« indépendance » et d’« impartialité », au sens de cette disposition. Ainsi ladite juridiction a-t-elle notamment jugé que, bien que les exigences institutionnelles de l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH poursuivent chacune un but précis qui font d’elles des garanties
spécifiques d’un procès équitable, elles ont ceci en commun qu’elles tendent au respect des principes fondamentaux que sont la prééminence du droit et la séparation des pouvoirs, en précisant, à cet égard, qu’à la base de chacune de ces exigences se trouve l’impératif de préserver la confiance que le pouvoir judiciaire se doit d’inspirer au justiciable et l’indépendance de ce pouvoir à l’égard des autres pouvoirs ( 59 ).
81. Dans la présente affaire, les dispositions de la réglementation nationale visées dans les décisions de renvoi n’ont pas trait à l’existence même et aux compétences du Visoki trgovački sud Republike Hrvatske (cour d’appel de commerce), lesquelles reposent sur un fondement légal avéré, mais à son processus décisionnel, après clôture de la procédure contradictoire écrite et, le cas échéant, orale, conduisant à l’adoption de l’acte juridictionnel final tranchant le litige soumis par les parties et,
plus particulièrement, aux conditions dans lesquelles interviennent dans ce processus la section des juges et le juge de l’enregistrement. Eu égard aux conséquences fondamentales que ledit processus emporte pour le bon fonctionnement et la légitimité du pouvoir judiciaire dans un État démocratique régi par la prééminence du droit, un tel processus constitue nécessairement un élément inhérent à la notion de « tribunal établi par la loi », au sens de l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH ( 60 ).
82. Il convient d’observer également que la problématique soulevée par les demandes de décision préjudicielle n’est pas celle d’un défaut de respect de règles internes permettant d’écarter tout doute légitime, dans l’esprit des justiciables, quant à l’imperméabilité de la formation de jugement saisie à l’égard d’éléments extérieurs ( 61 ) mais bien de l’existence de dispositions régissant la phase du délibéré du procès de nature à susciter un tel doute.
83. À cet égard, je relève que l’ensemble des règles afférentes au fonctionnement de la section des juges trouvent leur origine dans la loi relative à l’organisation juridictionnelle. La participation de cette section à la phase du délibéré de la formation saisie repose donc sur une base légale incontestable offrant le degré de prévisibilité et de certitude requis pour satisfaire à l’exigence concernée ( 62 ). En outre, ainsi qu’il a été précédemment constaté, les modalités de celle-ci ne sont pas
telles qu’elles puissent faire naître, dans l’esprit des justiciables, des doutes légitimes en ce qui concerne l’indépendance des membres de la formation saisie.
84. L’existence même du juge de l’enregistrement est également prévue par la loi relative à l’organisation juridictionnelle, l’intitulé de la fonction contenant la définition de son objet, à savoir le suivi et l’étude de la jurisprudence. La transmission des affaires à ce dernier service, avant l’expédition des décisions à partir du bureau du juge, résulte clairement de l’article 177, paragraphe 3, du règlement de procédure des tribunaux, règlement d’application de cette loi adopté par le ministre
chargé des affaires judiciaires en vertu du pouvoir qui lui est conféré par l’article 76 de ladite loi ( 63 ). Reste que la déclinaison précise du contenu de cette fonction ne figure pas plus dans cette dernière que dans ce règlement, s’agissant particulièrement du pouvoir de suspendre l’enregistrement d’une délibération d’une formation de jugement. Cette compétence correspondrait à une pratique judiciaire ou trouverait, selon le gouvernement croate, une assise textuelle dans un acte judiciaire
interne à la juridiction.
85. Il convient cependant de rappeler que le rôle du juge de l’enregistrement est d’assurer une veille jurisprudentielle, de détecter les affaires similaires aux fins de veiller à un traitement uniforme de celles-ci et, dans la négative, son action ultime est d’informer, simple acte d’administration judiciaire, le président de la section des juges aux fins de convocation d’une réunion et adoption, après discussion et vote à la majorité, d’une position juridique contraignante. Durant le temps requis
par cette adoption, le processus décisionnel est logiquement suspendu.
86. En outre, la fonction du juge de l’enregistrement doit être rapprochée des motifs de convocation de la réunion de section tenant, selon l’article 40, paragraphe 1, de la loi relative à l’organisation juridictionnelle, à l’existence de différences d’interprétation entre des sections, des chambres ou des juges sur des questions relatives à l’application de la loi ou lorsqu’une chambre ou un juge d’une section s’écarte de la position juridique retenue antérieurement. L’intervention du juge de
l’enregistrement contribue à la cohérence et à l’efficacité d’un mécanisme apte à assurer l’unité de la jurisprudence de la juridiction concernée.
87. Dans ces circonstances, l’intervention spécifique du juge de l’enregistrement dans le processus décisionnel n’est en rien comparable dans sa portée à celle de la section en ce qui concerne le contenu de l’acte juridictionnel mettant fin au litige et me paraît devoir échapper, à la différence de la seconde, à l’exigence contenue dans l’expression « établi par la loi » ( 64 ).
3. Conclusion intermédiaire
88. Pour les raisons qui précèdent, je considère que l’article 19, paragraphe 1, TUE doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à un mécanisme visant à assurer la cohérence de la jurisprudence d’une juridiction, tel que celui en cause dans les affaires au principal. Cette conclusion me paraît également fondée au regard de deux observations.
89. Premièrement, il importe de souligner que ni l’article 2, ni l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, ni aucune autre disposition du droit de l’Union n’impose aux États membres un modèle constitutionnel précis régissant les rapports et l’interaction entre les différents pouvoirs étatiques, notamment en ce qui concerne la définition et la délimitation des compétences de ceux-ci, pas plus qu’un modèle institutionnel portant organisation de la justice ( 65 ). La détermination de ce dernier,
y compris le déroulement de la phase du délibéré d’un procès, relève de la compétence des États membres qui disposent d’une certaine marge d’appréciation pour assurer la mise en œuvre des principes de l’État de droit ( 66 ), s’agissant notamment de la conciliation des exigences de la sécurité juridique, appliquées aux juridictions de deuxième instance, et de l’indépendance de ces juridictions. Ainsi que le soulignait l’avocat général Bobek, la jurisprudence de la Cour vise à identifier des
exigences minimales auxquelles les systèmes nationaux doivent se conformer ( 67 ).
90. La Cour EDH a précisé pour sa part que, dans des pays de droit codifié, l’organisation du système judiciaire ne saurait être laissée à la discrétion des autorités judiciaires, ce qui n’exclut cependant pas de leur reconnaître un certain pouvoir d’interprétation de la législation nationale en la matière. D’ailleurs, la délégation de pouvoirs dans des questions touchant à l’organisation judiciaire est acceptable dans la mesure où cette possibilité s’inscrit dans le cadre du droit interne de l’État
en question, y compris les dispositions pertinentes de sa Constitution ( 68 ).
91. Deuxièmement, il ressort certes de la jurisprudence de la Cour EDH que les exigences de la sécurité juridique et de la protection de la confiance légitime des justiciables ne consacrent pas un droit acquis à une jurisprudence constante. Une évolution de la jurisprudence n’est pas en soi contraire à une bonne administration de la justice, car l’abandon d’une approche dynamique et évolutive risquerait d’entraver toute réforme ou amélioration ( 69 ). Or, dans le cas présent, le mécanisme en cause
me paraît établir une conciliation relativement adéquate entre ces exigences et la nécessaire adaptabilité du droit aux évolutions sociétales par le biais d’avancées prétoriennes. Rappelons que les positions juridiques retenues lors de la réunion des juges des juridictions de deuxième instance ne s’imposent pas aux juridictions de première instance, peuvent contredire l’approche retenue par le juge de l’enregistrement et n’empêchent en aucun cas la juridiction suprême de jouer son rôle de
régulation dans l’application du droit national, le cas échéant, en annulant la décision de la juridiction de second degré déférée tout en opérant un revirement de jurisprudence.
V. Conclusion
92. Dans l’hypothèse où la Cour considérerait recevables les demandes de décision préjudicielle adressées par le Visoki trgovački sud Republike Hrvatske (cour d’appel de commerce, Croatie), je propose à la Cour de répondre comme suit à cette juridiction :
L’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une réglementation et une pratique nationales prévoyant, au cours de la phase de délibéré d’une procédure juridictionnelle, en deuxième instance, relative à un litige ayant fait l’objet d’une délibération de la formation de jugement saisie :
– la saisine par le président de la juridiction ou le président d’une section spécialisée, au vu de cette délibération et dans une situation de risque ou d’atteinte à la cohérence de la jurisprudence de la juridiction, d’une formation élargie aux fins d’adoption, à la majorité des voix, d’une position commune quant à l’interprétation à caractère général et abstrait de la règle de droit applicable, préalablement débattue par les parties, qu’il appartient à la formation initialement saisie de
prendre en compte aux fins de la résolution du litige quant au fond ;
– le signalement au président de la juridiction ou au président d’une section spécialisée, par un juge chargé du suivi de la jurisprudence de la juridiction, d’une situation de risque ou d’atteinte à la cohérence de celle-ci, en raison du maintien par la formation saisie de sa délibération initiale et, dans l’attente de l’adoption de la position juridique susmentionnée, la suspension du prononcé de la décision statuant sur le litige par cette formation et de sa signification aux parties.
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( 1 ) Langue originale : le français.
( 2 ) Huglo, J.-G., « Le principe de sécurité juridique », Cahier du Conseil constitutionnel, no 11, décembre 2001.
( 3 ) Arrêt du 22 mars 2022, Prokurator Generalny e.a. (Chambre disciplinaire de la Cour suprême – Nomination) (C‑508/19, EU:C:2022:201, point 59).
( 4 ) Voir, en ce sens, arrêt du 19 novembre 2019, A. K. e.a. (Indépendance de la chambre disciplinaire de la Cour suprême) (C‑585/18, C‑624/18 et C‑625/18, EU:C:2019:982, point 77).
( 5 ) Arrêt du 26 mars 2020, Miasto Łowicz et Prokurator Generalny (C‑558/18 et C‑563/18, ci-après l’ arrêt Miasto Łowicz , EU:C:2020:234, points 32 et 33).
( 6 ) Selon les indications de la Commission, le Visoki trgovački sud Republike Hrvatske (cour d’appel de commerce) connaît entre autres, en sa qualité de juridiction de deuxième instance, des contentieux commerciaux ainsi que des litiges concernant le droit des sociétés, le droit de la propriété intellectuelle, ou encore les avions et navires. Conformément aux articles 21 et 24 de la loi relative à l’organisation juridictionnelle, la juridiction de renvoi statue sur les appels interjetés contre les
décisions des tribunaux de commerce, lesquels statuent sur les demandes d’ouverture de la procédure d’insolvabilité et conduisent les procédures de redressement judiciaire.
( 7 ) Voir, en ce sens, arrêt Miasto Łowicz (points 34 à 36).
( 8 ) Arrêts du 19 novembre 2019, A. K. e.a. (Indépendance de la chambre disciplinaire de la Cour suprême) (C‑585/18, C‑624/18 et C‑625/18, EU:C:2019:982, point 78), et du 26 février 2013, Åkerberg Fransson (C‑617/10, EU:C:2013:105, point 22).
( 9 ) Règlement (UE) 2015/848 du Parlement européen et du Conseil, du 20 mai 2015, relatif aux procédures d’insolvabilité (JO 2015, L 141, p. 19) et directive (UE) 2019/1023 du Parlement européen et du Conseil, du 20 juin 2019, relative aux cadres de restructuration préventive, à la remise de dettes et aux déchéances, et aux mesures à prendre pour augmenter l’efficacité des procédures en matière de restructuration, d’insolvabilité et de remise de dettes, et modifiant la directive (UE) 2017/1132
(directive sur la restructuration et l’insolvabilité) (JO 2019, L 172, p. 18). Il est à noter que ce règlement concerne les procédures d’insolvabilité transfrontalière et qu’il met l’accent sur la résolution de conflits de juridictions et de lois dans les procédures d’insolvabilité transfrontières et garantit la reconnaissance des décisions judiciaires d’insolvabilité dans toute l’Union. Il n’harmonise pas le droit matériel de l’insolvabilité des États membres. La directive 2019/1023 ne porte pas
atteinte au champ d’application du règlement no 2015/848 mais vise à le compléter en établissant des normes matérielles minimales pour les procédures de restructuration préventive ainsi que pour les procédures ouvrant la voie à une remise de dettes pour les entrepreneurs (considérants 12 et 13).
( 10 ) Voir, en ce sens, arrêt du 22 février 2022, RS (Effet des arrêts d’une cour constitutionnelle) (C‑430/21, EU:C:2022:99, points 34 et 35).
( 11 ) Compte tenu de l’intégration dans l’ordre juridique des États membres d’un droit de l’Union toujours plus fécond et de la mission du juge national, juge de l’Union de droit commun, d’assurer l’application effective des normes du droit de l’Union, le critère d’application de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE tenant à la seule vocation pour une juridiction nationale de statuer sur des questions portant sur l’application ou l’interprétation du droit de l’Union me paraît devoir être
quasi systématiquement rempli.
( 12 ) Arrêt du 27 février 2018 (C‑64/16, EU:C:2018:117).
( 13 ) Dans certaines affaires, le renvoi préjudiciel n’apparaît plus, selon moi, que comme un prétexte procédural pour soumettre à la Cour, par la seule invocation de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, les insatisfactions/récriminations de son auteur quant au fonctionnement du système judiciaire national.
( 14 ) Arrêt Miasto Łowicz (points 44 à 46 et 48).
( 15 ) Voir arrêt Miasto Łowicz (points 49 à 51).
( 16 ) Il suffit, à mon sens, de constater que le mécanisme d’unification de la jurisprudence en cause détermine le processus décisionnel pendant la phase du délibéré au sein de la juridiction de renvoi, le fait que les dispositions incriminées ne fassent pas partie du code de procédure civile croate étant indifférent.
( 17 ) Arrêt du 19 novembre 2019 (C‑585/18, C‑624/18 et C‑625/18, EU:C:2019:982).
( 18 ) Arrêt Miasto Łowicz (point 51).
( 19 ) Voir arrêt du 23 novembre 2021, IS (Illégalité de l’ordonnance de renvoi) (C‑564/19, EU:C:2021:949) en ce qui concerne la première et la deuxième questions préjudicielles.
( 20 ) Conclusions de l’avocat général Bobek dans les affaires jointes Prokuratura Rejonowa w Mińsku Mazowieckim e.a. (C‑748/19 à C‑754/19, EU:C:2021:403, point 136).
( 21 ) C’est pourtant ce que considère, en substance, la juridiction de renvoi selon laquelle le mécanisme d’unification de la jurisprudence est de nature à avoir une incidence sensible sur le respect de l’État de droit et de l’indépendance des juges, notamment, parce qu’il s’applique dans toutes les affaires devant toutes les juridictions de deuxième instance en Croatie « indépendamment du point de savoir si le droit de l’Union est appliqué ou non au cas d’espèce » (page 4 de la décision de renvoi
dans l’affaire C‑554/21).
( 22 ) Peut-on, d’ailleurs, raisonnablement considérer que ce mécanisme ne trouvera jamais à être interrogé à l’avenir par une juridiction croate du second degré à l’occasion d’un litige ayant trait au droit de l’Union ? Outre ce cas de figure, il peut être envisagé la possibilité d’une procédure en manquement introduite par la Commission ou d’un contrôle conventionnel par la Cour européenne des droits de l’homme (ci-après la « Cour EDH ».
( 23 ) Ordonnance du 6 octobre 2020, Prokuratura Rejonowa w Słubicach (C‑623/18, EU:C:2020:800) ; arrêts du 6 octobre 2021, W.Ż. (Chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques de la Cour suprême – Nomination) (C‑487/19, EU:C:2021:798, point 94) ; du 23 novembre 2021, IS (Illégalité de l’ordonnance de renvoi) (C‑564/19, EU:C:2021:949, points 58 à 66 et 87), et du 29 mars 2022, Getin Noble Bank (C‑132/20, EU:C:2022:235, points 67, 92 et 99).
( 24 ) Ordonnance du 2 juillet 2020, S.A.D. Maler und Anstreicher (C‑256/19, EU:C:2020:523), dans laquelle tout en reprenant le raisonnement de l’arrêt Miasto Łowicz, la Cour a spécifiquement motivé la non‑application de la troisième hypothèse de recevabilité nonobstant le constat préalable de l’absence de lien de rattachement du litige au principal avec le droit de l’Union. Dans cette affaire portant sur la répartition des dossiers au sein de la juridiction, elle a ainsi fait état de l’épuisement
par le juge de renvoi des voies de recours à sa disposition et à l’impossibilité pour ce dernier de statuer, dans le cadre du litige au principal, sur le point de savoir si le dossier lui a été légalement attribué. Voir également arrêt du 16 novembre 2021, Prokuratura Rejonowa w Mińsku Mazowieckim e.a. (C‑748/19 à C‑754/19, EU:C:2021:931, points 48 et 49), dans lequel le lien de rattachement des litiges au principal (procédures pénales en phase de jugement), quant au fond, avec le droit de l’Union,
n’est pas explicité, et arrêt du 18 mai 2021, Asociația Forumul Judecătorilor din România e.a. (C‑83/19, C‑127/19, C‑195/19, C‑291/19, C‑355/19 et C‑397/19, EU:C:2021:393, points 113 à 121), déclarant recevable une question portant sur une exception de procédure tenant à la qualité de l’auteur d’un mémoire en défense dans le cadre d’un litige au principal ayant pour objet l’obtention par une association de juges de données statistiques détenues par l’inspection judiciaire.
( 25 ) Arrêt du 13 juillet 2023, YP e.a. (Levée d’immunité et suspension d’un juge) (C‑615/20 et C‑671/20, EU:C:2023:562, points 46 et 47), étant observé qu’aucun élément ne permet de considérer que les litiges au principal devant être tranchés au fond par la juridiction de renvoi avaient trait au droit de l’Union.
( 26 ) Arrêts du 17 février 2011, Weryński (C‑283/09, EU:C:2011:85) ; du 13 juin 2013, Versalis/Commission (C‑511/11 P, EU:C:2013:386), et du 11 juin 2015, Fahnenbrock e.a. (C‑226/13, C‑245/13 et C‑247/13, EU:C:2015:383).
( 27 ) Règlement du Conseil du 28 mai 2001 relatif à la coopération entre les juridictions des États membres dans le domaine de l’obtention des preuves en matière civile ou commerciale (JO 2001, L 174, p. 1).
( 28 ) Arrêt du 17 février 2011, Weryński (C‑283/09, EU:C:2011:85, point 38). À cette fin, il a été jugé que la notion de « rendre son jugement » au sens de l’article 267, paragraphe 2, TFUE doit être comprise en ce sens qu’elle englobe l’ensemble de la procédure menant au jugement de la juridiction de renvoi, afin que la Cour soit en mesure de connaître de l’interprétation de toutes dispositions procédurales du droit de l’Union que la juridiction de renvoi est tenue d’appliquer pour rendre son
jugement, peu importe que l’interprétation du règlement no 1206/2001 n’apparaisse pas nécessaire à la solution du litige au principal (point 42 de l’arrêt).
( 29 ) Les doutes éprouvés par la juridiction de renvoi concernent le mécanisme en lui-même, lequel s’applique « indépendamment du point de savoir si le droit de l’Union est ou non appliqué dans le cas d’espèce » selon les indications de cette juridiction. La présente procédure atteste, au demeurant, que rien ne semble empêcher les juridictions croates du second degré de saisir la Cour d’une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE afin de solliciter l’interprétation des
dispositions applicables du droit de l’Union.
( 30 ) Arrêt du 2 février 2023, Espagne e.a./Commission (C‑649/20 P, C‑658/20 P et C‑662/20 P, EU:C:2023:60, point 81).
( 31 ) Arrêt du 17 novembre 2022, Avicarvil Farms (C‑443/21, EU:C:2022:899, point 46).
( 32 ) Arrêt du 22 février 2022, RS (Effet des arrêts d’une cour constitutionnelle) (C‑430/21, EU:C:2022:99, point 64).
( 33 ) Arrêts du 7 août 2018, Banco Santander et Escobedo Cortés (C‑96/16 et C‑94/17, EU:C:2018:643) ; du 22 février 2022, RS (Effet des arrêts d’une cour constitutionnelle) (C‑430/21, EU:C:2022:99, point 44) et ordonnance du 17 juillet 2023, Jurtukała (C‑55/23, EU:C:2023:599, point 38 et jurisprudence citée).
( 34 ) Cour EDH, 29 novembre 2016, Paroisse gréco-catholique Lupeni et autres c. Roumanie, (CE:ECHR:2016:1129JUD007694311, § 116 et 129). Un examen des différents systèmes juridiques nationaux au sein de l’Union montre que, en l’absence d’un mécanisme du précédent au sens du droit de common law, de nombreux ordres juridiques de l’Europe continentale ont bien recours à des mécanismes internes visant à assurer la cohérence de la jurisprudence au sein de leurs juridictions.
( 35 ) Cour EDH, 29 novembre 2016, Paroisse gréco-catholique Lupeni et autres c. Roumanie, (CE:ECHR:2016:1129JUD007694311, § 123). Dans le cadre des systèmes prévoyant des mécanismes visant à assurer la cohérence de la jurisprudence à l’occasion du traitement d’une affaire donnée, les ordres juridiques de l’Union en dotent plutôt les juridictions suprêmes mais il existe un mécanisme de renvoi à une formation élargie au sein de juridictions de deuxième degré, par exemple en Allemagne, au profit des
juridictions administratives d’appel lorsqu’elles statuent en dernier ressort sur une question particulière, et en Finlande.
( 36 ) Cette même qualification s’impose pour la procédure de révision susceptible d’être engagée devant le Vrhovni sud Republike Hrvatske (Cour suprême) selon les indications fournies par le gouvernement croate à l’audience. Ce dernier a également précisé que les positions juridiques adoptées par les juridictions supérieures ne sont pas contraignantes à l’égard des juridictions de première instance.
( 37 ) Cour EDH, 1er juillet 2010, Vusić c. Croatie, (CE:ECHR:2010:0701JUD004810107) ; Cour EDH, 29 novembre 2016, Paroisse gréco-catholique Lupeni et autres c. Roumanie, (CE:ECHR:2016:1129JUD007694311), et Cour EDH, 23 mai 2019, Sine Tsaggarakis A.E.E. c. Grèce, (CE:ECHR:2019:0523JUD001725713).
( 38 ) Arrêt du 15 juillet 2021, Commission/Pologne (Régime disciplinaire des juges) (C‑791/19, ci-après l’ arrêt Commission/Pologne , EU:C:2021:596, points 50 et 51).
( 39 ) Arrêt Commission/Pologne, point 52.
( 40 ) Voir, en ce sens, arrêt du 22 février 2022, RS (Effet des arrêts d’une cour constitutionnelle) (C‑430/21, EU:C:2022:99, point 37).
( 41 ) Arrêt Commission/Pologne, point 57 et jurisprudence citée.
( 42 ) Arrêt Commission/Pologne, point 58.
( 43 ) Voir, en ce sens, arrêt du 19 novembre 2019, A. K. e.a. (Indépendance de la chambre disciplinaire de la Cour suprême) (C‑585/18, C‑624/18 et C‑625/18, EU:C:2019:982, points 121 à 123).
( 44 ) Arrêt Commission/Pologne, point 60.
( 45 ) Arrêt du 6 octobre 2021, W.Ż. (Chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques de la Cour suprême – Nomination) (C‑487/19, EU:C:2021:798, point 117).
( 46 ) Cour EDH, 22 décembre 2009, Parlov-Tkalčić c. Croatie, (CE:ECHR:2009:1222JUD002481006, § 86 à 88).
( 47 ) C’est à la juridiction de renvoi qu’il appartiendra, en dernière analyse, de se prononcer à ce sujet après avoir procédé aux appréciations requises à cette fin. Il importe, en effet, de rappeler que l’article 267 TFUE habilite la Cour, non pas à appliquer les règles du droit de l’Union à une espèce déterminée, mais seulement à se prononcer sur l’interprétation des traités et des actes pris par les institutions de l’Union. Conformément à une jurisprudence constante, la Cour peut cependant,
dans le cadre de la coopération judiciaire instaurée à cet article, à partir des éléments du dossier, fournir à la juridiction nationale les éléments d’interprétation du droit de l’Union qui pourraient lui être utiles dans l’appréciation des effets de telle ou telle disposition de celui-ci [arrêt du 19 novembre 2019, A. K. e.a. (Indépendance de la chambre disciplinaire de la Cour suprême) (C‑585/18, C‑624/18 et C‑625/18, EU:C:2019:982, point 132)].
( 48 ) Aux points 42 et 43 de ses observations, le gouvernement croate fait état d’ordonnances de l’Ustavni sud (Cour constitutionnelle) dans lesquelles il est précisé que le point de savoir si les conditions d’application des positions juridiques sont remplies est tranché par les juges eux-mêmes, qui statuent de façon autonome et indépendante dans l’affaire en cause et ont le droit et l’obligation de motiver tous les aspects de l’affaire sur laquelle ils statuent, y compris la question de
l’applicabilité ou de l’inapplicabilité d’une position juridique contraignante au fondement juridique de l’action qui a été constatée.
( 49 ) Arrêt du 6 mars 2018, Achmea (C‑284/16, EU:C:2018:158, points 35 et 37).
( 50 ) Voir, en ce sens, arrêt du 9 septembre 2015, Ferreira da Silva e Brito e.a. (C‑160/14, EU:C:2015:565, point 37).
( 51 ) Voir, en ce sens, arrêts du 16 juillet 2015, CHEZ Razpredelenie Bulgaria (C‑83/14, EU:C:2015:480, point 71), et du 5 avril 2016, PFE (C‑689/13, EU:C:2016:199, point 33). Il est vrai que, dans certaines affaires dans lesquelles le degré de précision/de technicité de la réglementation en cause est élevé, la frontière entre les notions d’interprétation et d’application de la règle de droit peut s’avérer ténue. Toutefois, il ne me paraît pas possible d’apprécier, de jure, la conformité du
mécanisme croate au regard de la seule particularité, de facto, de quelques affaires, laquelle ne peut réduire à néant la pertinence de la distinction conceptuelle en cause.
( 52 ) Le fait que les membres de la formation de jugement n’aient pas la faculté de faire inscrire un point à l’ordre du jour de la réunion de section n’est pas de nature à réduire à néant, comme l’indique la juridiction de renvoi, l’indépendance de ces juges.
( 53 ) La formulation est, là encore, particulièrement symptomatique.
( 54 ) Cette constatation me paraît répondre au fait que la juridiction de renvoi met en cause le choix des affaires par le juge de l’enregistrement lors de la mise en œuvre de ses attributions, en indiquant plus particulièrement que l’intéressé n’avait pas véritablement constaté de contrariété jurisprudentielle dans le dossier correspondant à l’affaire C‑727/21.
( 55 ) Je rappelle qu’il résulte du dossier soumis à la Cour dans l’affaire C‑727/21 que le juge de l’enregistrement, auteur de la lettre du 23 juin 2021 invitant la chambre saisie à un réexamen de sa position, faisait partie des 28 juges présents sur les 31 composant la section concernée, comme le révèle le procès-verbal afférent à cette réunion.
( 56 ) Il convient de rappeler que le juge national, ayant exercé la faculté que lui confère l’article 267, deuxième alinéa, TFUE, est lié, pour la solution du litige au principal, par l’interprétation des dispositions en cause donnée par la Cour et doit, le cas échéant, écarter les appréciations d’une juridiction supérieure s’il estime, eu égard à cette interprétation, que celles-ci ne sont pas conformes au droit de l’Union [ordonnance du 17 juillet 2023, Jurtukała (C‑55/23, EU:C:2023:599, point 36
et jurisprudence citée)].
( 57 ) Arrêt Commission/Pologne, points 203 et 205.
( 58 ) Arrêt du 26 mars 2020, Réexamen Simpson/Conseil et HG/Commission (C‑542/18 RX‑II et C‑543/18 RX‑II, EU:C:2020:232, point 73 et jurisprudence citée).
( 59 ) Arrêt du 6 octobre 2021, W.Ż. (Chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques de la Cour suprême – Nomination) (C‑487/19, EU:C:2021:798, point 124 citant l’arrêt de la Cour EDH du 1er décembre 2020, Ástráðsson c. Islande, CE:ECHR:2020:1201JUD002637418, § 231 et 233).
( 60 ) Voir, par analogie, arrêt du 6 octobre 2021, W.Ż. (Chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques de la Cour suprême – Nomination) (C‑487/19, EU:C:2021:798, point 125 citant l’arrêt de la Cour EDH du 1er décembre 2020, Ástráðsson c. Islande, CE:ECHR:2020:1201JUD002637418, § 227 et 232).
( 61 ) Arrêt du 26 mars 2020, Réexamen Simpson/Conseil et HG/Commission (C‑542/18 RX‑II et C‑543/18 RX‑II, EU:C:2020:232, point 71).
( 62 ) Voir, par analogie, arrêt Commission/Pologne, point 171.
( 63 ) Point 11 des observations du gouvernement croate.
( 64 ) Il est intéressant d’observer que, dans l’arrêt du 26 mars 2020, Réexamen Simpson/Conseil et HG/Commission (C‑542/18 RX‑II et C‑543/18 RX‑II, EU:C:2020:232), la Cour a considéré que les illégalités affectant la procédure de nomination d’un juge ne sont pas constitutives d’une violation du principe du juge légal, lequel correspond à l’exigence d’un tribunal établi par la loi, dans la mesure où elles ne s’analysent pas comme une violation des règles fondamentales relatives à cette procédure.
Ainsi que le souligne une auteure, la Cour a, ce faisant, limité la portée de l’exigence susmentionnée (voir Dero-Bugny, D., « Le principe du juge légal en droit de l’Union européenne », Journal du droit européen, p. 154, 2022).
( 65 ) Voir, en ce sens, arrêt du 22 février 2022, RS (Effet des arrêts d’une cour constitutionnelle) (C‑430/21, EU:C:2022:99, points 38 et 43).
( 66 ) Arrêt du 5 juin 2023, Commission/Pologne (Indépendance et vie privée des juges) (C‑204/21, EU:C:2023:442).
( 67 ) Conclusions de l’avocat général Bobek dans les affaires Asociația « Forumul Judecătorilor din România » e.a. (C‑83/19, C‑127/19, C‑195/19, C‑291/19 et C‑355/19, EU:C:2020:746, point 230).
( 68 ) Cour EDH, 28 avril 2009, Savino e.a. c. Italie, (CE:ECHR:2009:0428JUD001721405, § 94) cité dans l’arrêt Commission/Pologne, point 168.
( 69 ) Cour EDH, 18 décembre 2008, Unédic c. France, (CE:ECHR:2008:1218JUD002015304, § 74) ; Cour EDH, 29 novembre 2016, Paroisse gréco-catholique Lupeni et autres c. Roumanie, (CE:ECHR:2016:1129JUD007694311, § 116), et Cour EDH, 20 octobre 2011, Nejdet Sahin et Perihan Sahin, (CE:ECHR:2011:1020JUD001327905, § 58).