CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
M. ATHANASIOS RANTOS
présentées le 1 février 2024 ( 1 )
Affaire C‑70/23 P
Westfälische Drahtindustrie GmbH,
Westfälische Drahtindustrie Verwaltungsgesellschaft mbH & Co. KG,
Pampus Industriebeteiligungen GmbH & Co. KG
contre
Commission européenne
« Pourvoi – Concurrence – Ententes – Marché de l’acier de précontrainte – Affaire COMP/38.344 – Décision constatant une infraction à l’article 101 TFUE et à l’article 53 de l’accord EEE – Arrêt annulant partiellement la décision et fixant une amende d’un montant identique à celui de l’amende initialement infligée – Décision de la Commission relative au solde restant dû de l’amende – Date d’exigibilité d’une amende dont le montant a été fixé par le juge de l’Union, dans le cadre de l’exercice de sa
compétence de pleine juridiction »
I. Introduction
1. Par leur pourvoi, Westfälische Drahtindustrie GmbH (ci-après « WDI »), Westfälische Drahtindustrie Verwaltungsgesellschaft mbH & Co. KG (ci-après « WDV ») et Pampus Industriebeteiligungen GmbH & Co. KG (ci-après « Pampus ») et, ensemble, les « requérantes » demandent l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 23 novembre 2022, Westfälische Drahtindustrie e.a./Commission (T‑275/20, ci-après l’ arrêt attaqué , EU:T:2022:723), par lequel celui-ci a rejeté leur recours tendant, à
titre principal, premièrement, à l’annulation, sur le fondement de l’article 263 TFUE, de la lettre de la Commission européenne du 2 mars 2020 par laquelle cette dernière les a mises en demeure de lui verser la somme de 12236931,69 euros correspondant, selon elle, au solde restant dû de l’amende qui leur avait été infligée le 30 septembre 2010, deuxièmement, à la constatation de l’acquittement total de l’amende le 17 octobre 2019 par le versement de la somme de 18149636,24 euros et,
troisièmement, à la condamnation de la Commission à verser à WDI la somme de 1633085,17 euros, majorée d’intérêts depuis cette dernière date, en raison d’un enrichissement sans cause, ainsi que, à titre subsidiaire, à la condamnation, sur le fondement de l’article 268 TFUE, de la Commission à leur verser la somme de 12236931,69 euros, réclamée par la Commission à WDI, et une somme équivalant au montant du trop-perçu par cette institution, à concurrence de 1633085,17 euros, majorée d’intérêts
depuis le 17 octobre 2019 jusqu’au remboursement complet de la somme due.
2. Ce litige trouve son origine dans l’arrêt du 15 juillet 2015, Westfälische Drahtindustrie e.a./Commission (T‑393/10, ci-après l’« arrêt du 15 juillet 2015 », EU:T:2015:515), par lequel le Tribunal a, d’une part, annulé partiellement, notamment, une décision de la Commission constatant l’existence d’une infraction à l’article 101 TFUE en ce qu’elle a infligé une amende aux requérantes, au motif que la Commission avait commis des erreurs lorsqu’elle avait apprécié leur capacité contributive, et,
d’autre part, exerçant sa compétence de pleine juridiction, a condamné les requérantes au paiement d’une amende d’un montant identique à celui de l’amende qui leur avait été infligée dans cette décision. À la suite du prononcé de cet arrêt, des divergences d’opinion sont apparues concernant la date à compter de laquelle devaient courir les intérêts dus sur cette amende. En effet, les requérantes considéraient que les intérêts devaient commencer à courir à compter du prononcé de l’arrêt du
15 juillet 2015, par lequel le Tribunal aurait annulé ex tunc l’amende infligée par la Commission et aurait fixé une nouvelle amende distincte, alors que, selon la Commission, ces intérêts étaient dus dès la date énoncée dans ladite décision de la Commission, à savoir, presque 5 ans avant le prononcé de cet arrêt.
3. Conformément à la demande de la Cour, les présentes conclusions se concentreront sur l’analyse du premier moyen du pourvoi, qui porte, en substance, sur la question de savoir si, dans un cas tel que celui de la présente espèce – à savoir, lorsque le Tribunal a, dans un premier temps, annulé une décision de la Commission en ce qu’elle fixait le montant de l’amende infligée et, dans un second temps, dans l’exercice de sa compétence de pleine juridiction, fixé le montant de cette amende au même
niveau – l’exercice, par le Tribunal, de cette compétence donne lieu à une amende qui doit être caractérisée comme étant nouvelle et juridiquement distincte par rapport à l’amende infligée par la Commission, de sorte qu’elle devient exigible à la date du prononcé de l’arrêt du Tribunal fixant le montant de l’amende.
4. La présente affaire offre donc à la Cour l’opportunité, d’une part, de clarifier la nature juridique de l’exercice de la compétence de pleine juridiction du juge de l’Union au titre de l’article 31 du règlement (CE) no 1/2003 ( 2 ) et, d’autre part, de préciser les conséquences juridiques qui découlent de l’annulation ou de la reformation d’une amende imposée par la Commission au titre de l’article 23, paragraphe 2, de ce règlement lorsque le juge de l’Union exerce une telle compétence,
notamment, en ce qui concerne la détermination du point de départ de l’exigibilité de cette amende et, accessoirement, des intérêts de retard dus.
II. Le cadre juridique
5. L’article 23 du règlement no 1/2003, intitulé « Amendes », énonce, à ses paragraphes 2 et 3 :
« 2. La Commission peut, par voie de décision, infliger des amendes aux entreprises et associations d’entreprises lorsque, de propos délibéré ou par négligence :
a) elles commettent une infraction aux dispositions de l’article [101] ou [102 TFUE] [...]
[...]
3. Pour déterminer le montant de l'amende, il y a lieu de prendre en considération, outre la gravité de l'infraction, la durée de celle-ci. »
6. L’article 31 de ce règlement, intitulé « Contrôle de la Cour de justice », prévoit :
« La Cour de justice statue avec compétence de pleine juridiction sur les recours formés contre les décisions par lesquelles la Commission a fixé une amende ou une astreinte. Elle peut supprimer, réduire ou majorer l’amende ou l’astreinte infligée. »
7. Le point 35 des lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement (CE) no 1/2003 ( 3 ), sous l’intitulé « Capacité contributive », dispose :
« Dans des circonstances exceptionnelles, la Commission peut, sur demande, tenir compte de l’absence de capacité contributive d’une entreprise dans un contexte social et économique particulier. Aucune réduction d’amende ne sera accordée à ce titre par la Commission sur la seule constatation d’une situation financière défavorable ou déficitaire. Une réduction ne pourrait être accordée que sur le fondement de preuves objectives que l’imposition d’une amende, dans les conditions fixées par les
présentes Lignes directrices, mettrait irrémédiablement en danger la viabilité économique de l’entreprise concernée et conduirait à priver ses actifs de toute valeur. »
III. Les antécédents du litige
8. Les antécédents du litige ainsi que le contenu de la décision litigieuse sont exposés aux points 2 à 26 de l’arrêt attaqué. Pour les besoins du présent pourvoi, ils peuvent être résumés comme suit.
A. La procédure administrative
9. Par la décision C(2010) 4387 final, du 30 juin 2010, relative à une procédure d’application de l’article 101 TFUE et de l’article 53 de l’accord EEE (affaire COMP/38.344 – Acier de précontrainte) (ci-après la « décision APC »), la Commission a sanctionné plusieurs entreprises, parmi lesquelles les requérantes – des fournisseurs d’acier de précontrainte – pour leur participation à une entente sur le marché de l’acier de précontrainte. La Commission a imposé une amende d’un montant de
56050000 euros à WDI. WDV et Pampus ont été tenues solidairement responsables à hauteur, respectivement, de 45600000 euros et de 15485000 euros. Cette sanction a été imposée à l’article 2, premier alinéa, point 8, de la décision APC.
10. Au cours de la procédure administrative, les requérantes avaient demandé à bénéficier d’une réduction exceptionnelle de l’amende pour absence de capacité contributive, sur le fondement du point 35 des lignes directrices de 2006.
11. Dans la décision APC, la Commission n’a pas fait droit à cette demande.
12. Par requête enregistrée au greffe du Tribunal le 14 septembre 2010, les requérantes ont introduit un recours tendant à l’annulation et à la réformation de la décision APC. L’affaire a été enregistrée sous le numéro T‑393/10.
13. Par la décision C(2010) 6676 final, du 30 septembre 2010 (ci-après la « décision du 30 septembre 2010 »), la Commission a corrigé certaines erreurs dans le calcul des amendes ( 4 ) et a modifié la décision APC, notamment son article 2, premier alinéa, point 8, réduisant ainsi le montant des amendes imposées à certaines entreprises (ci-après, prises ensemble, la « décision litigieuse ») ( 5 ). L’amende infligée à WDI a ainsi été fixée à 46550000 euros. WDV et Pampus ont été tenues solidairement
responsables à hauteur, respectivement, de 38855000 euros et de 15485000 euros.
14. La décision du 30 septembre 2010 a établi que le paiement des amendes visées à l’article 2, premier alinéa, point 8, de la décision litigieuse devait être effectué dans un délai de trois mois à compter de la date de notification de la décision du 30 septembre 2010 et que, à l’expiration de ce délai, des intérêts seraient automatiquement dus selon le taux appliqué par la Banque centrale européenne (BCE) à ses opérations principales de refinancement au premier jour du mois au cours duquel la
décision du 30 septembre 2010 avait été adoptée, majoré de 3,5 points de pourcentage. Il était également prévu que, en cas d’introduction d’un recours par une entreprise sanctionnée, celle-ci pouvait couvrir l’amende à l’échéance ou en fournissant une garantie bancaire, ou encore en procédant au paiement provisoire de l’amende, conformément à l’article 85 bis, paragraphe 1, du règlement (CE, Euratom) no 2342/2002 ( 6 ).
15. Le 3 décembre 2010, les requérantes ont déposé au greffe du Tribunal une demande en référé dans le cadre de l’affaire T‑393/10 visant, en substance, à obtenir le sursis à l’exécution de la décision litigieuse jusqu’au prononcé de l’arrêt statuant sur le recours principal.
16. Par lettre du 14 février 2011, le directeur général de la direction générale (DG) « Concurrence » de la Commission a rejeté une nouvelle demande introduite par les requérantes visant à la réduction de l’amende en raison de leur capacité contributive (ci-après la « lettre du 14 février 2011 »).
17. Par l’ordonnance du 13 avril 2011, Westfälische Drahtindustrie e.a./Commission (T‑393/10 R, ci-après l’ ordonnance de référé , EU:T:2011:178), le président du Tribunal a partiellement fait droit à la demande en référé présentée par les requérantes, en ordonnant le sursis à l’obligation qui leur était faite de constituer une garantie bancaire en faveur de la Commission pour éviter le recouvrement immédiat des amendes, à la condition qu’elles versent à cette institution, à titre provisoire, d’une
part, la somme de 2000000 euros avant le 30 juin 2011 et, d’autre part, des mensualités d’un montant de 300000 euros, le quinzième jour de chaque mois à partir du 15 juillet 2011 et jusqu’à nouvel ordre, mais au plus tard jusqu’au prononcé de l’arrêt dans l’affaire principale.
18. Par l’arrêt du 15 juillet 2015, le Tribunal a jugé que la Commission n’avait pas commis d’erreur lorsqu’elle avait constaté dans la décision litigieuse, à l’égard des requérantes, l’existence d’une infraction à l’article 101 TFUE. Toutefois, le Tribunal a annulé la décision litigieuse en ce qu’elle infligeait une amende aux requérantes ainsi que la lettre du 14 février 2011, au motif que la Commission avait commis des erreurs lorsqu’elle avait apprécié leur capacité contributive. Dans le cadre
de l’exercice de sa compétence de pleine juridiction, le Tribunal a condamné les requérantes au paiement d’une amende d’un montant identique à celui de l’amende qui leur avait été infligée dans la décision litigieuse, ainsi qu’il ressort du dispositif de l’arrêt du 15 juillet 2015 ( 7 ).
19. Se conformant à l’ordonnance de référé, WDI avait payé à titre provisoire à la Commission une somme totale de 16400000 euros au cours de la période comprise entre le 29 juin 2011 et le 16 juin 2015.
20. Après le prononcé de l’arrêt du 15 juillet 2015, les conseils des requérantes ont pris contact avec la DG « Budget » de la Commission afin de convenir à l’amiable d’un échéancier de paiement des amendes fixées aux points 4 à 6 du dispositif de cet arrêt. Des divergences d’opinion sont alors apparues en ce qui concernait la date à compter de laquelle les intérêts dus sur ces amendes devaient courir. En effet, les requérantes considéraient que les intérêts devaient commencer à courir à compter du
prononcé de l’arrêt du 15 juillet 2015, alors que, selon la DG « Budget », les intérêts étaient dus dès la date résultant de l’article 2, deuxième et troisième alinéas, de la décision litigieuse, à savoir, pour ce qui concernait les requérantes, dans un délai de trois mois à compter de la notification de la décision du 30 septembre 2010. Cette prise de position a été reproduite dans un courriel de la DG « Budget » du 12 août 2015, en réponse à un courriel du représentant des requérantes du
5 août 2015, et a été réitérée lors d’une réunion qui a eu lieu le 4 septembre 2015 entre la Commission et WDI.
21. L’arrêt du 15 juillet 2015 a fait l’objet d’un pourvoi formé par les requérantes, qui avaient notamment contesté la prise en compte par le Tribunal, dans l’exercice de sa compétence de pleine juridiction, de leur capacité contributive en 2015, et non en 2010. Ce pourvoi a été rejeté par ordonnance du 7 juillet 2016, Westfälische Drahtindustrie et Pampus Industriebeteiligungen/Commission (C‑523/15 P, ci-après l’ ordonnance de la Cour , EU:C:2016:541).
22. Après le rejet de leur pourvoi, les requérantes ont demandé au Tribunal d’interpréter l’arrêt du 15 juillet 2015 en ce sens que des intérêts appliqués au montant de l’amende imposé dans cet arrêt étaient dus à compter du prononcé de ce dernier. À titre subsidiaire, les requérantes ont demandé au Tribunal de rectifier ou de compléter cet arrêt en précisant à compter de quelle date les intérêts commençaient à courir.
23. Par l’ordonnance du 17 mai 2018, Westfälische Drahtindustrie e.a./Commission (T‑393/10 INTP, EU:T:2018:293), le Tribunal a déclaré ces demandes irrecevables. S’agissant de la demande en interprétation, le Tribunal a rappelé que, pour être recevable, celle-ci devait porter sur un point tranché dans l’arrêt à interpréter. Or, la question du point de départ des intérêts de retard dus en cas de paiement différé du montant des amendes infligées aux requérantes n’avait pas été abordée dans l’arrêt du
15 juillet 2015. Selon le Tribunal, la demande des requérantes visait à obtenir un avis sur les conséquences à tirer de l’arrêt du 15 juillet 2015, ce qui ne relevait pas d’une demande en interprétation introduite sur le fondement de l’article 168, paragraphe 1, de son règlement de procédure. S’agissant des deux autres demandes, le Tribunal les a considérées comme étant tardives.
24. Le 16 octobre 2019, WDI a informé la Commission, d’une part, qu’elle avait déjà payé la somme de 31700000 euros et, d’autre part, qu’elle entendait d’ores et déjà payer le solde de l’amende due, en capital et intérêts, qu’elle évaluait à 18149636,24 euros. Aux fins de ce calcul, WDI a pris en compte les intérêts échus à compter du 15 octobre 2015, soit trois mois après le prononcé de l’arrêt du 15 juillet 2015, et a appliqué un taux d’intérêt de 3,48 %.
25. Le 17 octobre 2019, WDI a versé cette somme de 18149636,24 euros sur le compte bancaire de la Commission, portant ainsi le montant total des paiements effectués depuis le 29 juin 2011, en règlement de l’amende, à 49849636,24 euros.
26. Par lettre du 2 mars 2020 (ci-après l’« acte attaqué »), la Commission a fait part de son désaccord avec la position exprimée par WDI dans sa lettre du 16 octobre 2019. La Commission a indiqué que, conformément aux critères établis dans l’arrêt du 14 juillet 1995, CB/Commission (T‑275/94, ci-après l’ arrêt CB , EU:T:1995:141), les intérêts avaient commencé à courir non pas à compter de l’arrêt du 15 juillet 2015, mais à compter de la date prévue par la décision litigieuse, soit le 4 janvier
2011, et au taux de 4,5 %. En conséquence, la Commission a mis en demeure WDI de lui verser la somme de 12236931,69 euros correspondant au solde restant dû, en prenant en compte la date de valeur du 31 mars 2020.
B. La procédure devant le Tribunal
27. Par requête déposée au greffe du Tribunal le 11 mai 2020, les requérantes ont demandé au Tribunal, à titre principal, premièrement, l’annulation de l’acte attaqué, deuxièmement, la constatation que la Commission devait imputer les paiements effectués par WDI pendant la période allant du 29 juin 2011 au 16 juin 2015, majorés des intérêts afférents à ce montant pendant cette période, soit un montant total de 17820610 euros, sur l’amende prononcée par le Tribunal dans le cadre de sa compétence de
pleine juridiction dans l’arrêt du 15 juillet 2015, avec effet à cette date, et que cette amende a été, de ce fait, totalement acquittée par le paiement effectué par WDI le 17 octobre 2019 à concurrence d’un montant de 18149636,24 euros et, troisièmement, la condamnation de la Commission à verser à WDI la somme de 1633085,17 euros, majorée d’intérêts à compter du 17 octobre 2019 jusqu’au remboursement complet de la somme due, au titre d’un enrichissement sans cause. À titre subsidiaire, les
requérantes ont demandé la condamnation de l’Union européenne, représentée par la Commission, d’une part, à leur verser une indemnité égale au montant réclamé dans l’acte attaqué, soit 12236931,69 euros, et, d’autre part, à verser à WDI la somme équivalant au montant du trop-perçu par cette institution le 17 octobre 2019, à concurrence de 1633085,17 euros, majorée des intérêts à compter de cette date jusqu’au remboursement complet de la somme due.
28. Dans l’arrêt attaqué, le Tribunal a d’abord examiné le quatrième chef de conclusions, concernant une demande indemnitaire fondée sur l’illégalité du comportement de la Commission, du fait que cette dernière n’aurait pas correctement exécuté l’arrêt du 15 juillet 2015, violant ainsi les obligations qui lui incombaient en vertu de l’article 266, premier alinéa, TFUE ( 8 ). À l’appui de cette demande indemnitaire, les requérantes ont avancé, en substance, quatre moyens. À cet égard, le Tribunal a
considéré que l’ensemble des violations dénoncées partaient de la prémisse selon laquelle l’amende imposée dans la décision litigieuse n’avait pas été « maintenue » ou « confirmée » par l’arrêt du 15 juillet 2015, mais avait été annulée ex tunc et remplacée par une nouvelle amende, que les requérantes dénomment « amende juridictionnelle », exigible uniquement depuis le jour du prononcé de cet arrêt ( 9 ).
29. Après avoir déclaré la demande indemnitaire recevable ( 10 ), le Tribunal a tout d’abord constaté que, la question du point de départ des intérêts de retard dus sur le montant de l’amende n’ayant fait l’objet d’aucun échange entre les parties durant la procédure juridictionnelle et n’ayant pas été explicitement abordée dans l’arrêt du 15 juillet 2015, que ce soit dans les motifs ou dans le dispositif de cet arrêt ( 11 ), il convenait de déterminer s’il pouvait être déduit de cet arrêt que
l’amende fixée par le Tribunal était juridiquement distincte de celle imposée par la Commission dans la décision litigieuse ( 12 ). À cet égard, conformément à la jurisprudence issue de son arrêt CB, le Tribunal a relevé qu’il ressortait du libellé de l’article 31 du règlement no 1/2003 que la compétence de pleine juridiction conférée au juge de l’Union en matière de concurrence se rapporte et se limite à l’amende initialement infligée par la Commission et que, ainsi, l’amende que le juge de
l’Union fixe ne constitue pas une amende nouvelle, juridiquement distincte de celle imposée par la Commission ( 13 ). Partant, selon le Tribunal, lorsque le juge de l’Union substitue sa propre appréciation à celle de la Commission et qu’il réduit le montant de l’amende dans le cadre de l’exercice de sa compétence de pleine juridiction, il remplace, au sein de la décision de la Commission, le montant initialement fixé dans cette décision par celui qui résulte de sa propre appréciation, la
décision de la Commission étant donc censée, en raison de l’effet substitutif de l’arrêt prononcé par le juge de l’Union, avoir toujours été celle qui résulte de l’appréciation de ce dernier ( 14 ).
30. Ensuite, le Tribunal a rappelé, en se référant à l’ordonnance de la Cour, que, en l’occurrence, la Cour a jugé, d’une part, que, si l’exercice par le Tribunal de son contrôle de la légalité de la décision litigieuse avait entraîné l’annulation de cette décision en tant qu’une amende y était infligée aux requérantes par la Commission, cette circonstance n’impliquait nullement que le Tribunal était, pour cette raison, privé du pouvoir d’exercer sa compétence de pleine juridiction et, d’autre part,
que la circonstance selon laquelle le Tribunal avait finalement estimé opportun de retenir en l’espèce un montant d’amende identique à celui fixé dans la décision litigieuse était sans incidence sur la régularité de l’exercice de sa compétence de pleine juridiction ( 15 ). Le Tribunal en a déduit que la Commission était fondée à considérer que, l’amende fixée par le Tribunal n’étant pas une nouvelle amende, celle-ci était exigible depuis la date prévue par la décision litigieuse ( 16 ).
31. Selon le Tribunal, cette appréciation ne saurait être remise en cause par les arguments des requérantes tirés, notamment, du fait que le Tribunal avait annulé l’amende initialement infligée avant de fixer un nouveau montant sur la base d’éléments postérieurs à la décision litigieuse ( 17 ) et que le président du Tribunal avait ordonné, par son ordonnance de référé, la suspension de l’obligation de constituer une garantie bancaire. À ce dernier égard, le Tribunal a fait observer que l’adoption de
l’ordonnance de référé n’a pas impliqué la suspension de l’exigibilité de la créance, qui a continué de produire des intérêts de retard pendant la procédure juridictionnelle ( 18 ).
32. Le Tribunal a souligné, en outre, que, lorsque le juge de l’Union maintient une partie ou l’intégralité du montant de l’amende dans le cadre de l’exercice de sa compétence de pleine juridiction, l’obligation de payer des intérêts de retard ab initio ne constitue pas une sanction s’ajoutant à l’amende initialement infligée par la Commission. En effet, tant l’absence de différence de nature juridique de l’amende révisée par le juge de l’Union que le principe de l’absence d’effet suspensif des
recours s’opposeraient à ce que la Commission libère l’entreprise qui n’a pas payé immédiatement cette amende et dont le recours a été partiellement accueilli de son obligation de payer, à dater de l’exigibilité de l’amende infligée par la Commission, des intérêts sur le montant de l’amende fixé par le juge de l’Union ( 19 ).
33. Eu égard à ces considérations, le Tribunal a conclu à l’absence de violation suffisamment caractérisée des obligations de la Commission au titre de l’article 266, premier alinéa, TFUE et a rejeté la demande indemnitaire des requérantes. Compte tenu du fait que les autres chefs de conclusions formulés par les requérantes étaient, en substance, également fondés sur la prémisse d’une violation de cette disposition par la Commission, le Tribunal a rejeté le recours dans son intégralité ( 20 ).
IV. La procédure devant la Cour et les conclusions des parties
34. Par leur pourvoi, les requérantes demandent à la Cour d’annuler l’arrêt attaqué et réitèrent, en substance, leurs conclusions présentées en première instance ( 21 ). Pour sa part, la Commission demande à la Cour de rejeter le pourvoi et de condamner les requérantes aux dépens.
V. Analyse
35. À l’appui de leur pourvoi, les requérantes soulèvent trois moyens, tirés, pour le premier, d’une erreur de droit pour non-respect de l’arrêt du 15 juillet 2015 ainsi que d’une motivation erronée et contradictoire de l’arrêt attaqué, pour le deuxième, d’une violation de l’article 266 TFUE en raison du non-respect de la règle de droit résultant de la combinaison de l’effet de cassation et de la nature juridique substitutive et, pour le troisième, d’une violation du droit à un procès équitable.
Conformément à la demande de la Cour, les présentes conclusions se concentreront sur l’analyse du premier moyen.
36. Il ressort de la description des antécédents du litige que, à l’instar du recours en première instance devant le Tribunal, le présent pourvoi devant la Cour, et notamment le premier moyen, se concentre, en substance, sur la question de savoir si l’exercice, par le Tribunal, de sa compétence de pleine juridiction, dans le cadre de l’arrêt du 15 juillet 2015, a donné lieu à une amende qu’il convient de caractériser comme étant nouvelle et juridiquement distincte par rapport à l’amende que la
Commission a infligé par la décision litigieuse.
37. Plus précisément, dans le cadre de ce premier moyen, la thèse des requérantes est, pour l’essentiel, que, par l’arrêt du 15 juillet 2015, le Tribunal aurait, d’une part, annulé ex tunc l’amende infligée par la Commission, cette annulation ayant engendré une créance en leur faveur, correspondant à la somme payée par celles-ci, à titre provisoire, en exécution de l’ordonnance de référé, majorée d’intérêts, et d’autre part, fixé une nouvelle amende distincte, avec effet à la date du prononcé de
l’arrêt du 15 juillet 2015, qu’elles désignent comme l’« amende juridictionnelle », par opposition à l’« amende annulée » imposée par la Commission en 2010.
38. Dans la mesure où les différents griefs invoqués par les requérantes dans le cadre du premier moyen partent tous de la prémisse selon laquelle, en substance, le Tribunal aurait commis une erreur de droit en jugeant que l’amende imposée par le Tribunal dans l’arrêt du 15 juillet 2015 ne constitue pas une amende nouvelle, juridiquement distincte de celle imposée par la Commission avec la décision litigieuse, il me semble utile, en premier lieu, de formuler des observations liminaires sur la nature
de la compétence de pleine juridiction, et notamment, les conséquences de son application (A) puis, en second lieu, d’analyser le raisonnement du Tribunal dans l’arrêt attaqué tout en examinant les différents griefs avancés par les requérantes dans le cadre du premier moyen de leur pourvoi (B).
A. Sur la compétence de pleine juridiction conférée au juge de l’Union en matière d’application des règles de concurrence
39. En premier lieu, il convient de rappeler que le système de contrôle juridictionnel des décisions de la Commission relatives aux procédures d’application des articles 101 et 102 TFUE consiste en un contrôle de la légalité des actes des institutions établi à l’article 263 TFUE, lequel peut être complété, en application de l’article 261 TFUE et de l’article 31 du règlement no 1/2003 ( 22 ), et sur demande de la partie requérante, par l’exercice par le Tribunal d’une compétence de pleine juridiction
en ce qui concerne les sanctions infligées dans ce domaine par la Commission ( 23 ). La compétence de pleine juridiction ne peut donc être exercée qu’à titre complémentaire dans le cadre du contrôle de légalité prévu à l’article 263 TFUE et ne constitue pas un recours autonome au sens des recours visés à l’article 256 TFUE ( 24 ).
40. À cet égard, je relève que la portée de ce contrôle de légalité s’étend à l’ensemble des éléments des décisions de la Commission relatives aux procédures d’application des articles 101 et 102 TFUE dont le Tribunal assure un contrôle approfondi, en droit comme en fait, à la lumière des moyens soulevés par la partie requérante et compte tenu de l’ensemble des éléments soumis par cette dernière. Toutefois, dans le cadre de ce contrôle, les juridictions de l’Union ne peuvent, en toute hypothèse,
substituer leur propre motivation à celle de l’auteur de l’acte en cause ( 25 ).
41. En revanche, dès lors qu’il exerce sa compétence de pleine juridiction, le juge de l’Union est habilité, au-delà du contrôle de la légalité de la sanction, à substituer sa propre appréciation, pour la détermination du montant de cette sanction, à celle de la Commission, auteure de l’acte dans lequel ce montant a été initialement fixé. En conséquence, le juge de l’Union peut réformer l’acte attaqué, même en l’absence d’annulation, afin de supprimer, de réduire ou de majorer l’amende infligée,
cette compétence étant exercée en tenant compte de toutes les circonstances de fait (contrôle de novo) ( 26 ).
42. Il en résulte que si la portée de cette compétence de pleine juridiction est strictement limitée, à la différence du contrôle de légalité, à la détermination du montant de l’amende ( 27 ), le juge de l’Union est habilité à exercer sa compétence de pleine juridiction lorsque la question du montant de l’amende est soumise à son appréciation ( 28 ), l’exercice de cette compétence emportant le transfert définitif à ce dernier du pouvoir d’infliger des sanctions ( 29 ).
43. D’un point méthodologique, ce n’est donc qu’après que le juge de l’Union a achevé de contrôler la légalité de la décision qui lui a été soumise, au vu des moyens qui lui ont été présentés, qu’il lui revient, en l’absence d’annulation totale de cette décision, d’exercer sa compétence de pleine juridiction afin, d’une part, de tirer les conséquences de son jugement relatif à la légalité de ladite décision et, d’autre part, en fonction des éléments qui ont été portés à son examen, de déterminer, en
tenant compte de toutes les circonstances de l’espèce, s’il y a lieu de substituer sa propre appréciation à celle de la Commission, de sorte que le montant de l’amende soit approprié ( 30 ).
44. En deuxième lieu, je rappelle que le juge de l’Union, afin de satisfaire aux exigences du contrôle de pleine juridiction au sens de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne en ce qui concerne l’amende, est tenu, dans l’exercice des compétences prévues aux articles 261 et 263 TFUE, d’examiner et de reformer tout grief, de droit ou de fait, visant à démontrer que le montant de l’amende n’est pas en adéquation avec la gravité et la durée de l’infraction ( 31 ). En
effet, c’est grâce à cette compétence de pleine juridiction que le contrôle juridictionnel prévu par les traités est conforme aux exigences du principe de protection juridictionnelle effective figurant à l’article 47 de la charte des droits fondamentaux ( 32 ). Cet exercice suppose donc, en application de l’article 23, paragraphe 3, du règlement no 1/2003, de prendre en considération, pour chaque entreprise sanctionnée, la gravité de l’infraction en cause ainsi que la durée de celle-ci, dans le
respect des principes, notamment, de motivation, de proportionnalité, d’individualisation des sanctions et d’égalité de traitement, et sans que le juge de l’Union soit lié par les règles indicatives définies par la Commission dans ses lignes directrices, même si ces dernières peuvent guider les juridictions de l’Union lorsqu’elles exercent leur compétence de pleine juridiction ( 33 ).
45. En troisième lieu, il convient de souligner que l’exercice de cette compétence de pleine juridiction n’équivaut pas à un contrôle d’office et que la procédure reste contradictoire. À l’exception des moyens d’ordre public que le juge est tenu de soulever d’office, tels que l’absence de motivation de la décision litigieuse ( 34 ), c’est à la partie requérante qu’il appartient de soulever les moyens à l’encontre de cette dernière et d’apporter des éléments de preuve à l’appui de ces moyens ( 35 ).
Or, la Cour a jugé que l’absence de contrôle d’office de l’ensemble de la décision litigieuse ne viole pas le principe de protection juridictionnelle effective. Il n’est en effet pas indispensable au respect de ce principe que le Tribunal, certes tenu de répondre aux moyens soulevés et d’exercer un contrôle tant de droit que de fait, soit tenu de procéder d’office à une nouvelle instruction complète du dossier ( 36 ). Partant, dans le cadre de l’exercice de sa compétence de pleine juridiction,
le juge de l’Union peut également constater qu’aucun des arguments soulevés par les parties ne justifie qu’il fasse usage de ladite compétence pour réduire le montant des amendes ( 37 ).
46. C’est à l’aune de ces constatations générales qu’il convient d’examiner le premier moyen des requérantes.
B. Sur le premier moyen
47. Par leur premier moyen – qui s’articule en une série de griefs, qui se recoupent en grande partie et qui visent les points 98, 99, 102, 105, 107, 111, 113, 115, 117, 118, 125 et 127 de l’arrêt attaqué – les requérantes reprochent, en substance, au Tribunal d’avoir commis une erreur de droit en ne respectant pas son propre arrêt du 15 juillet 2015 et en formulant une motivation erronée et contradictoire par rapport à celui-ci, qui violerait ainsi l’autorité de la chose jugée.
48. Dans la mesure où l’ensemble de l’argumentation des requérantes part de la prémisse selon laquelle, par l’arrêt du 15 juillet 2015, le Tribunal aurait imposé une nouvelle amende, juridiquement distincte de celle imposée par la Commission dans la décision litigieuse, j’estime que, dans un souci de clarté et de bonne administration de la justice, il convient d’examiner si cette prémisse est correcte. Si tel n’est pas le cas, l’ensemble des griefs avancés par les requérantes dans le cadre du
premier moyen seraient alors dépourvus de fondement et rejetés, en ce qu’il n’existerait aucune contradiction entre l’arrêt du 15 juillet 2015 et l’arrêt attaqué.
1. Sur le caractère fondé de la prémisse du premier moyen
49. D’emblée, j’estime qu’il convient de constater que c’est à juste titre que le Tribunal, aux points 96 et 97 de l’arrêt attaqué, a relevé que la question du point de départ des intérêts de retard dus sur le montant de l’amende n’ayant pas été explicitement abordée dans l’arrêt du 15 juillet 2015, il convenait de déterminer s’il pouvait être déduit des motifs de cet arrêt que l’amende fixée par le Tribunal était juridiquement distincte de celle imposée par la Commission dans la décision
litigieuse ( 38 ).
50. À cet égard, j’observe que le point de départ de l’analyse d’une éventuelle contradiction entre l’arrêt attaqué et l’arrêt du 15 juillet 2015 doit nécessairement être le contenu et, plus concrètement, les motifs et le dispositif de l’arrêt du 15 juillet 2015, lu également à la lumière de l’ordonnance de la Cour. À ce sujet, le résumé du contenu de l’arrêt du 15 juillet 2015 que le Tribunal a exposé aux points 95 et 100 de l’arrêt attaqué et qui sert de base à son analyse, est précis ainsi que
conforme à l’interprétation de la Cour, telle qu’elle ressort de son ordonnance ( 39 ).
51. En effet, pour rappel, à l’appui de leur recours contre la décision litigieuse qui a donné lieu à l’arrêt du 15 juillet 2015, les requérantes avaient soulevé neuf moyens, dont seuls les sixième et neuvième sont pertinents aux fins du présent pourvoi. D’une part, le sixième moyen était tiré, notamment, d’une violation du principe de proportionnalité en ce que la Commission n’avait pas tenu compte de leur absence de capacité contributive dans la décision litigieuse. D’autre part, le neuvième moyen
était tiré de l’appréciation erronée de leur capacité contributive dans la lettre du 14 février 2011, dont les requérantes ont également demandé l’annulation.
52. Par l’arrêt du 15 juillet 2015, le Tribunal, accueillant ces deux moyens, a annulé la décision litigieuse, en ce qu’elle infligeait une amende aux requérantes, ainsi que la lettre du 14 février 2011, au motif que la Commission avait commis des erreurs lorsqu’elle avait apprécié leur capacité contributive, au sens du point 35 des lignes directrices de 2006. Plus précisément, dans le cadre de son contrôle de la légalité de la décision litigieuse, le Tribunal a considéré, aux points 285 à 332 de
l’arrêt du 15 juillet 2015, que la Commission avait commis des erreurs dans l’appréciation de la capacité contributive des requérantes, et que ces erreurs étaient de nature, d’une part, à entraîner l’annulation de la décision litigieuse en tant qu’une amende y était infligée aux requérantes ainsi que de la lettre du 14 février 2011, et, d’autre part, à justifier que le Tribunal exerce sa compétence de pleine juridiction ( 40 ).
53. Dans l’exercice de sa compétence de pleine juridiction, le Tribunal a, cependant, considéré que les requérantes n’étaient pas fondées à prétendre à ce qu’une réduction d’amende leur soit accordée en raison de leur absence de capacité contributive et, partant, il a fixé l’amende à un montant identique à celui qui leur avait été infligé dans la décision litigieuse. Plus précisément, aux points 333 à 358 de l’arrêt du 15 juillet 2015, le Tribunal, faisant lui-même application des lignes directrices
de 2006, a considéré, sur la base des éléments apportés par les requérantes au sujet de leur situation financière, telle qu’elle avait évolué après l’adoption de la décision litigieuse, que ces dernières n’étaient pas fondées à soutenir qu’une réduction d’amende devait leur être accordée en raison de leur absence de capacité contributive, pour des motifs analogues à ceux envisagés au point 35 desdites lignes directrices de 2006, et que, partant, les requérantes devaient être condamnées au
paiement d’une amende d’un montant identique à celui infligé dans la décision litigieuse ( 41 ).
54. À cet égard, il me paraît important de souligner que si le Tribunal s’est limité à faire droit aux moyens d’annulation relatifs à l’appréciation de la capacité contributive des requérantes, en revanche, tous les moyens relatifs à la légalité de l’infraction et au montant de l’amende infligée en conséquence ont été rejetés. En d’autres termes, le Tribunal n’avait décelé aucune raison de considérer comme inapproprié le montant des amendes infligées aux requérantes, tel qu’il résultait de
l’article 2, premier alinéa, point 8, de la décision litigieuse ( 42 ), sur la base des quatre premiers moyens du recours, dont l’examen n’avait révélé aucune erreur de nature à entacher d’illégalité la décision litigieuse. C’est également pour cette raison que le Tribunal a fixé une amende d’un montant identique à celui de l’amende que la Commission avait précédemment infligée aux requérantes dans la décision litigieuse. Par ailleurs, il est rappelé que l’application du point 35 des lignes
directrices de 2006 constitue le dernier élément pris en considération lors de la détermination du montant des amendes infligées pour violation des règles de concurrence ( 43 ).
55. Quant au dispositif de l’arrêt du 15 juillet 2015, il est vrai que, au point 2 de celui-ci, le Tribunal a, d’une part, annulé l’article 2, premier alinéa, point 8, de la décision litigieuse, qui imposait une amende aux requérantes, et a, d’autre part, fixé les montants de l’amende, lesquels correspondaient à ceux de la décision litigieuse, aux points 4 à 6 de ce dispositif. Toutefois, considérer ce choix comme étant révélateur de la volonté du Tribunal d’établir une nouvelle amende juridiquement
distincte de celle fixée par la Commission pêcherait par excès de formalisme et s’opposerait, selon moi, à la règle fondamentale, issue d’une jurisprudence constante, selon laquelle le dispositif d’un arrêt doit être lu à la lumière des motifs qui ont amené à celui-ci et qui en constituent le soutien nécessaire ( 44 ). Par ailleurs, nombreux sont les exemples dans lesquels le Tribunal a annulé le dispositif d’une décision de la Commission relatif à l’amende, tout en fixant ensuite le nouveau
montant dans l’exercice de sa compétence de pleine juridiction ( 45 ). En effet, ainsi que le fait observer la Commission, dans certains cas, comme dans l’arrêt du 15 juillet 2015, le Tribunal annule d’abord l’article de la décision de la Commission qui fixe l’amende, puis détermine à nouveau l’amende dans le dispositif de cet arrêt ( 46 ). Dans d’autres cas, le Tribunal se contente de réformer l’amende sans annuler l’article concerné de la décision de la Commission ( 47 ). Si ce manque de
cohérence dans la pratique du Tribunal est malencontreux et peut constituer, sur le plan purement formel, une source de confusion, en réalité, dès lors que la compétence de pleine juridiction, conformément à la jurisprudence issue de l’arrêt CB, « se rapporte et se limite à l’amende initialement infligée par la Commission » ( 48 ), il n’aurait pas, en principe, d’incidence sur le plan des conséquences juridiques ( 49 ).
56. Eu égard à ce qui précède, j’estime que la prémisse de l’argumentation des requérantes développée dans le cadre du premier moyen, selon laquelle, par l’arrêt du 15 juillet 2015, le Tribunal aurait imposé une nouvelle amende juridiquement distincte de celle imposée par la Commission dans la décision litigieuse, ne ressort pas des motifs de cet arrêt et est fondamentalement erronée.
57. Cette conclusion suffit, à mon sens, pour rejeter l’ensemble de l’argumentation des requérantes comme étant non fondée, sans qu’il soit nécessaire de procéder à un examen plus approfondi des différents griefs du premier moyen.
58. Toutefois, si la Cour estime nécessaire de traiter les différents arguments avancés par les requérantes, à titre subsidiaire, et dans un souci de complétude, je propose de les rejeter sur la base de l’analyse qui suit.
2. Sur les différents griefs du premier moyen
59. En premier lieu, les requérantes font valoir que, au point 98 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a formulé le constat erroné selon lequel « l’amende que le juge de l’Union fixe ne constitue pas une amende nouvelle, juridiquement distincte de celle imposée par la Commission (voir, en ce sens, [arrêt CB], points 58 et 60 ». Ce constat serait erroné, car il n’apporterait pas de réponse à la question de savoir en quoi consiste l’effet réformateur et substitutif de l’arrêt du 15 juillet 2015 à l’égard
de l’amende annulée par la décision litigieuse.
60. Au soutien de leur argument, les requérantes font valoir que c’est à tort que le Tribunal s’est référé aux points 58 et 60 de l’arrêt CB, ce dernier se distinguant de l’arrêt du 15 juillet 2015. En effet, contrairement à l’arrêt CB, dans l’arrêt du 15 juillet 2015 le Tribunal aurait, d’une part, procédé à la condamnation au paiement de l’« amende juridictionnelle » sur la base de « faits nouveaux » et, d’autre part, d’abord supprimé l’amende infligée dans son intégralité, et ce dès le début
(réduction ex tunc), avant d’établir l’« amende juridictionnelle » et n’aurait dès lors pas choisi de confirmer ou seulement de réduire (rétroactivement) l’amende infligée au titre de la décision initiale de la Commission.
61. Ces arguments, à mon sens, ne sauraient prospérer.
62. En effet, premièrement, ainsi qu’il a été constaté aux points 52 à 56 des présentes conclusions, dans l’arrêt du 15 juillet 2015, le juge de l’Union n’a pas infligé d’amende en lieu et place de l’amende imposée par la Commission, ce qu’il n’était d’ailleurs pas en mesure de faire, mais a uniquement « réformé » l’amende initialement fixée dans la décision litigieuse. En d’autres termes, il existe une identité de fait et de droit entre l’amende infligée par la Commission dans la décision
litigieuse et celle fixée dans l’arrêt du 15 juillet 2015 à la suite du contrôle exercé par le Tribunal.
63. Deuxièmement, je rappelle que, aux points 58 à 60 de l’arrêt CB, le Tribunal a jugé que la compétence de pleine juridiction conférée au juge de l’Union en matière d’application des règles de concurrence « se rapporte et se limite à l’amende initialement infligée par la Commission » (point 58), que ce juge « n’a pas le pouvoir d’infliger une amende », mais peut « uniquement se prononcer sur les amendes fixées par une décision de la Commission » (point 59) et que, dès lors, il n’est pas compétent
pour « substituer à l’amende infligée par la Commission une amende nouvelle, juridiquement distincte de celle-ci » (point 60). Or, ces affirmations d’ordre général, qui ont été formulées en 1995 par le Tribunal, bien que jamais expressément entérinées par la Cour, me paraissent toujours valables aujourd’hui ( 50 ).
64. Troisièmement, quant à l’argument selon lequel, dans l’arrêt CB, le Tribunal aurait confirmé la partie de l’amende en cause après avoir réévalué les mêmes faits que ceux à l’origine de la décision litigieuse, tandis que, dans l’arrêt du 15 juillet 2015, le Tribunal aurait décidé de confirmer la même amende en se fondant également sur un examen de faits nouveaux, la différenciation opérée par les requérantes est dénuée de pertinence sur le plan juridique. En effet, ainsi qu’il ressort d’une
jurisprudence constante, le juge de pleine juridiction doit, en principe et sous réserve de l’examen des éléments qui lui sont soumis par les parties, tenir compte de la situation de droit et de fait qui prévaut à la date à laquelle il statue lorsqu’il estime qu’il est justifié d’exercer son pouvoir de réformation ( 51 ). A fortiori, cela signifie que le juge de pleine juridiction peut prendre en compte non seulement des éléments antérieurs qui ne figurent pas dans l’acte attaqué ( 52 ), mais,
le cas échéant et à titre exceptionnel, également des éléments postérieurs à l’adoption de la décision. Ainsi que la Cour l’a jugé au point 43 de l’ordonnance de la Cour, afin de compléter l’exercice de son contrôle de légalité, le juge de l’Union est habilité à tenir compte de toutes les circonstances de fait qu’il estime pertinentes, que celles-ci soient antérieures ou postérieures à la décision entreprise ( 53 ). Il en va ainsi, et à plus forte raison, lorsque, comme dans la présente affaire,
l’exercice de la compétence de pleine juridiction porte sur l’examen de la capacité contributive de l’entreprise concernée. En effet, ainsi que la Cour l’a relevé, si le juge de l’Union ne pouvait apprécier cette capacité en tenant compte de la situation factuelle prévalant au moment où il statue, il pourrait être tenu de refuser ou d’accorder une réduction ou une suppression d’amende due ou indue, de nature à causer ou à procurer à cette entreprise un désavantage ou un avantage concurrentiel
injustifié ( 54 ). Par ailleurs, je rappelle que le contrôle de l’absence de capacité contributive, au sens du point 35 des lignes directrices de 2006, implique l’analyse du « contexte social et économique particulier » au moment de l’imposition d’une amende afin d’apprécier si celle-ci « mettrait irrémédiablement en danger la viabilité économique » de l’entreprise en cause. Un tel contrôle est donc, par sa nature et par son objet, prospectif et peut nécessiter, exceptionnellement, la prise en
compte d’éléments postérieurs à la décision infligeant l’amende.
65. En deuxième lieu, les requérantes soutiennent que la motivation de l’arrêt attaqué serait contradictoire en ce qui concerne l’effet substitutif de l’arrêt du 15 juillet 2015. Plus précisément, au point 99 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a jugé que « [l]orsque le juge de l’Union substitue sa propre appréciation à celle de la Commission et qu’il réduit le montant de l’amende dans le cadre de l’exercice de sa compétence de pleine juridiction, il remplace, au sein de la décision de la Commission, le
montant initialement fixé dans cette décision par celui qui résulte de sa propre appréciation ». Selon les requérantes, si cette considération pouvait paraître être un point de départ correct, le Tribunal aurait cependant dû en tirer les conclusions suivantes : i) dans l’arrêt du 15 juillet 2015, le Tribunal a entièrement substitué sa propre appréciation à celle de la Commission ; ii) sur la base de cette appréciation, il a réduit le montant de l’amende annulée dans le cadre de sa compétence de
pleine juridiction par voie d’annulation et de compensation explicite des paiements déjà effectués, et iii) le Tribunal a remplacé l’amende annulée par l’amende juridictionnelle ainsi modifiée. Or, au lieu de tirer ces conclusions, le Tribunal a considéré, audit point 99 de l’arrêt attaqué, que « [l]a décision de la Commission est donc censée, en raison de l’effet substitutif de l’arrêt prononcé par le juge de l’Union, avoir toujours été celle qui résulte de l’appréciation de ce dernier (voir,
en ce sens, arrêt [CB], points 60 à 65 et 85 à 87 ».
66. À cet égard, force est de constater que si le Tribunal, par l’arrêt du 15 juillet 2015, a annulé, dans un premier temps, la décision litigieuse sur l’entente en ce que celle‑ci fixait le montant de l’amende infligée aux requérantes et, fixé, dans un second temps, le montant de l’amende au même niveau, dans l’exercice de sa compétence de pleine juridiction, pour les raisons indiquées aux points 53 et 54 des présentes conclusions, et ainsi que l’a jugé la Cour aux points 38 et 40 de son
ordonnance, auxquels renvoie le point 101 de l’arrêt attaqué, il n’y a pas eu de réformation radicale ni de « novation » de l’amende à cette occasion.
67. En troisième lieu, les requérantes soutiennent que la modification de l’amende empêche l’exigibilité rétroactive de celle-ci depuis le 4 janvier 2011. Elles contestent donc l’affirmation du Tribunal, figurant au point 102 de l’arrêt attaqué, selon laquelle « [e]n l’espèce, la Commission était fondée à considérer que, l’amende fixée par le Tribunal n’étant pas une nouvelle amende, celle-ci était exigible depuis le 4 janvier 2011 ». Selon elles, la suppression complète et la disparition de
l’amende auraient empêché l’exigibilité rétroactive de celle-ci, le report de l’exigibilité de l’amende juridictionnelle ressortant, sans équivoque, des points 302 et 356 de l’arrêt du 15 juillet 2015. En effet, au cours de la période comprise entre la décision de la Commission et le prononcé de l’arrêt du 15 juillet 2015, la Commission n’aurait pas eu de droit de créance correspondant.
68. Par cet argument, les requérantes se contentent d’échafauder une argumentation, qui se révèle toutefois également inopérante, car elle est fondée sur une interprétation erronée de l’arrêt du 15 juillet 2015. Ainsi, les requérantes font valoir, à tort, que, en l’espèce, l’effet substitutif de l’amende fixée par le Tribunal par l’arrêt attaqué aurait un effet ex nunc et que le Tribunal aurait ainsi outrepassé sa compétence de pleine juridiction en matière de sanctions. À cet égard, il suffit de
rappeler que, dans son ordonnance, la Cour a constaté que l’amende infligée par le Tribunal n’était pas une amende nouvelle ( 55 ). Par ailleurs, ainsi qu’il a été souligné aux points 53 et 54 des présentes conclusions, le Tribunal n’a pas considéré comme inapproprié le montant de l’amende infligée aux requérantes tel qu’il résultait de l’article 2, premier alinéa, point 8, de la décision litigieuse sur la base des quatre premiers moyens du recours, dont l’examen n’avait révélé aucune erreur de
nature à entacher d’illégalité la décision litigieuse, ce qui a justifié l’imposition d’une amende d’un montant identique à celui de l’amende que la Commission avait précédemment infligée aux requérantes dans la décision litigieuse.
69. En quatrième lieu, les requérantes font valoir que le Tribunal a commis une erreur d’interprétation de l’arrêt Trioplast (points 15 et 56 à 62) lorsqu’il se réfère à ce dernier, au point 105 de l’arrêt attaqué, au soutien de la conclusion selon laquelle « [u]n effet substitutif analogue à celui visé au point 99 ci-dessus a déjà été reconnu en présence d’un dispositif dans lequel le Tribunal avait d’abord annulé le montant à hauteur duquel une société mère était tenue solidairement responsable du
paiement d’une amende infligée par la Commission pour ensuite fixer de nouveau ce montant dans l’exercice de sa compétence de pleine juridiction ». Selon elles, cette jurisprudence ne serait pas pertinente et montrerait qu’il n’y a pas eu d’arrêt ayant valeur de précédent reconnu par les juridictions de l’Union par lequel le point de départ rétroactif du cours des intérêts aurait déjà été définitivement précisé en cas de combinaison d’une annulation et d’un dispositif de condamnation.
70. Toutefois, à l’instar de la Commission, et à la lumière de la jurisprudence citée au point 55 des présentes conclusions, j’estime que l’arrêt Trioplast est pertinent en ce qui concerne le début du cours des intérêts. En effet, dans cet arrêt, le Tribunal a d’abord, de façon analogue à la manière dont il a procédé en l’espèce, annulé dans le dispositif de l’arrêt le montant de l’amende pour lequel une société mère était tenue solidairement responsable, avant de le fixer à nouveau dans l’exercice
de sa compétence de pleine juridiction. L’amende initialement infligée par la Commission était ainsi clairement remplacée ex tunc. Les circonstances de l’affaire Trioplast étant donc tout à fait comparables à celles de la présente affaire, ce quatrième grief peut également être rejeté.
71. En cinquième lieu, les requérantes font valoir que le Tribunal a fait une appréciation erronée de la nouvelle capacité contributive des requérantes établie en 2015 et des conséquences de celle-ci sur le montant de l’« amende juridictionnelle ». Plus précisément, au point 107 de l’arrêt attaqué, le Tribunal affirme que « [d]ans le cadre de son contrôle de légalité, le Tribunal s’est limité à constater que la Commission avait commis des erreurs lorsqu’elle avait apprécié la capacité contributive
des requérantes, mais sans indiquer qu’aucune amende ne pouvait leur être imposée en 2010 et en 2011 », tout en ajoutant, au point 109 de l’arrêt attaqué, que « [l]’existence d’une certaine capacité contributive des requérantes en 2010 et en 2011 a été constatée par le Tribunal dans l’arrêt du 15 juillet 2015, contrairement à ce qu’elles prétendent ». Selon les requérantes, rien n’indique que, dans l’arrêt du 15 juillet 2015, le Tribunal aurait décidé, en raison d’une certaine capacité
contributive, de maintenir sa décision initiale d’amende et de confirmer ainsi le montant inapproprié de l’amende annulée.
72. Cependant, contrairement à ce que prétendent les requérantes, je relève que, aux points 108 et 109 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a expliqué simplement, en réponse à l’un des arguments avancés par les requérantes et en renvoyant au point 346 de l’arrêt du 15 juillet 2015, que, dans cet arrêt, il avait constaté que, sur la base du plan de paiement provisoire fixé dans l’ordonnance de référé, les requérantes avaient déjà été en mesure de payer une somme de plus de 15000000 euros depuis l’année
2011, ce qui a permis de constater l’existence d’une « certaine capacité contributive » des requérantes au cours des années 2010 et 2011.
73. En sixième lieu, les requérantes critiquent l’explication fournie par le Tribunal au point 125 de l’arrêt attaqué, selon laquelle « la condamnation de la Commission au paiement de la moitié des dépens encourus par les requérantes [...] s’explique par l’annulation de l’article 2, premier alinéa, point 8, de la décision litigieuse ». Selon les requérantes, le dispositif des dépens adopté « souligne la décision matériellement favorable du Tribunal en ce qui concerne l’amende substantiellement
modifiée en [leur faveur] par l’arrêt du 15 juillet 2015 ».
74. Or, force est de constater que cet argument repose sur la prémisse erronée d’un lien entre une prétendue réformation réussie de l’amende annulée initialement infligée et la taxation des dépens et, doit, de ce fait, être rejeté comme étant inopérant.
75. En septième et dernier lieu, les requérantes contestent la conclusion figurant au point 127 de l’arrêt attaqué, selon laquelle « l’obligation de payer des intérêts de retard ab initio ne constitue pas une sanction, s’ajoutant à l’amende initialement infligée par la Commission, qui constituerait une entrave au droit de recours ».
76. À cet égard, il convient de rappeler, d’une part, que l’obligation de payer des intérêts de retard en cas de non‑paiement d’une amende dans les délais est une conséquence directe de la force exécutoire des actes de la Commission comportant une obligation pécuniaire, telle que définie à l’article 299 TFUE. L’exécution forcée de ces actes ne peut être suspendue qu’en vertu d’une décision de la Cour. L’obligation de payer des intérêts de retard vise ainsi à garantir l’efficacité des amendes
infligées par la Commission dans le domaine du droit de la concurrence et à inciter leurs destinataires à les payer dans les délais impartis. L’obligation de payer des intérêts de retard ab initio ne constitue donc pas une sanction s’ajoutant à l’amende initialement infligée par la Commission.
77. D’autre part, par son arrêt du 15 juillet 2015, le Tribunal n’a ni annulé les dispositions relatives aux intérêts de retard contenues dans la décision sur l’entente, ni fixé un nouveau délai de paiement ou un nouveau taux d’intérêt de retard. Dans l’ordonnance du 17 mai 2018, Westfälische Drahtindustrie e.a./Commission ( 56 ), le Tribunal a, au contraire, expressément confirmé que l’arrêt du 15 juillet 2015 n’avait aucune incidence sur la question des intérêts de retard. Les requérantes au
pourvoi ne peuvent donc pas valablement faire valoir qu’aucun intérêt de retard n’était dû à compter de l’adoption de la décision de la Commission.
VI. Conclusion
78. Eu égard aux considérations qui précèdent, et dans la mesure où les présentes conclusions visent uniquement le premier moyen, je propose à la Cour de rejeter ce moyen comme étant non fondé.
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( 1 ) Langue originale : le français.
( 2 ) Règlement du Conseil du 16 décembre 2002 relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles [101] et [102 TFUE] (JO 2003, L 1, p. 1).
( 3 ) JO 2006, C 210, p. 2, ci-après les « lignes directrices de 2006 ».
( 4 ) Voir point 7 du résumé de la décision APC, consultable à l’adresse suivante : https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=CELEX:52011XC1119(01)
( 5 ) La version consolidée de la décision de la Commission [C(2010) 4387 final] (disponible uniquement en langue anglaise) est consultable à l’adresse suivante : https://ec.europa.eu/competition/antitrust/cases/dec_docs/38344/38344_5856_3.pdf
( 6 ) Règlement de la Commission du 23 décembre 2002 établissant les modalités d’exécution du règlement (CE, Euratom) no 1605/2002 du Conseil portant règlement financier applicable au budget général des Communautés européennes (JO 2002, L 357, p. 1).
( 7 ) Le dispositif de l’arrêt du 15 juillet 2015 est libellé comme suit :
« 1) Il n’y a plus lieu de statuer sur le présent recours à concurrence de la réduction de l’amende accordée à [WDI] et à [WDV] dans la décision [...] du 30 septembre 2010.
2) L’article 2, [premier alinéa], point 8, de la décision [litigieuse] est annulé.
3) La lettre [...] du 14 février 2011 est annulée.
4) [ WDI], [WDV] et Pampus [...] sont solidairement condamnées au paiement d’une amende de 15485000 euros.
5) [WDI] et [WDV] sont solidairement condamnées au paiement d’une amende de 23370000 euros.
6) [WDI] est condamnée au paiement d’une amende de 7695000 euros.
7) Le recours est rejeté pour le surplus.
8) [WDI], [WDV] et Pampus [...] supporteront la moitié de leurs propres dépens, y compris ceux afférents à la procédure de référé. La Commission supportera ses propres dépens et la moitié des dépens de [WDI], de [WDV] et de Pampus [...], y compris ceux afférents à la procédure de référé. »
( 8 ) Arrêt attaqué, points 67 à 131.
( 9 ) Arrêt attaqué, point 75.
( 10 ) Arrêt attaqué, point 64.
( 11 ) Arrêt attaqué, point 96.
( 12 ) Arrêt attaqué, points 96 et 97.
( 13 ) Arrêt attaqué, point 98, qui se réfère, « en ce sens », à l’arrêt CB, points 58 et 60.
( 14 ) Arrêt attaqué, point 99, qui se réfère, « en ce sens », à l’arrêt CB, points 60 à 65 et 85 à 87.
( 15 ) Arrêt attaqué, point 101, qui se réfère à l’ordonnance de la Cour, points 38 et 40.
( 16 ) Arrêt attaqué, point 102.
( 17 ) Arrêt attaqué, point 116.
( 18 ) Arrêt attaqué, point 124.
( 19 ) Arrêt attaqué, point 127, qui se réfère, « en ce sens », à l’arrêt CB, points 86 et 87.
( 20 ) Arrêt attaqué, points 135 et 141.
( 21 ) Voir point 27 des présentes conclusions. Plus précisément, les requérantes demandent à la Cour : – d’annuler l’acte attaqué ; – par conséquent, de déclarer que la Commission doit imputer les paiements effectués par WDI à la Commission au cours de la période allant du 29 juin 2011 au 16 juin 2015 pour un montant de 16400000 euros majorés des intérêts compensatoires d’un montant total de 1420610 euros, soit un total de 17820610 euros, sur l’amende infligée de manière indépendante par le
Tribunal dans l’arrêt du 15 juillet 2015, avec effet au 15 juillet 2015, et que cette amende a été éteinte en totalité par le paiement du 17 octobre 2019 d’un montant de 18149636,24 euros ; – de condamner la Commission à payer à WDI un montant de 1633085,17 euros majoré des intérêts compensatoires à compter du 17 octobre 2019 jusqu’au remboursement intégral du montant correspondant dû ; – à titre subsidiaire, d’annuler l’arrêt attaqué et condamner la Commission à verser aux (trois) requérantes des
dommages-intérêts d’un montant de 12236931,69 euros à titre de compensation avec la créance invoquée par la Commission à l’encontre de WDI, par lettre du 2 mars 2020, d’un montant de 12236931,36 euros, et de payer le montant du trop-perçu de 1633085,17 euros majoré des intérêts compensatoires à WDI à partir du 17 octobre 2019 jusqu’au remboursement intégral du montant dû ; – à titre subsidiaire aux demandes sous les tirets 1 à 5, de renvoyer l’affaire devant le Tribunal afin qu’il statue, et, en
tout état de cause, – de condamner la Commission aux dépens exposés en première instance et dans la procédure de pourvoi.
( 22 ) La compétence de pleine juridiction en matière de droit de la concurrence était initialement reconnue au juge de l’Union par l’article 17 du règlement no 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d’application des articles 85 et 86 du traité (JO 1962, 13, p. 204). Pour une liste complète des règlements accordant des pouvoirs de pleine juridiction à la Cour, voir Lenaerts, K., Gutman, K., Nowak, J.T., EU Procedural Law, 2e édition, Oxford, 2023, p. 633, plus précisément, note en bas
de page 2.
( 23 ) Voir arrêt du 25 juillet 2018, Orange Polska/Commission (C‑123/16 P, ci-après l’« arrêt Orange Polska », EU:C:2018:590, point 104 et jurisprudence citée), ainsi que mes conclusions dans l’affaire Lietuvos geležinkeliai/Commission (C‑42/21 P, EU:C:2022:537, points 148 à 162).
( 24 ) Voir, toutefois, article 36 du traité CECA. Pour un aperçu historique de l’article 31 du règlement no 1/2003, voir Muguet-Poullennec, G., Berghe, P., Article 31 – Review by the Court of Justice – Commentary, dans Regulation 1/2003 and EU Antitrust Enforcement – A Systematic Guide, Wolters Kluwer, 2023, p. 679.
( 25 ) Voir arrêt Orange Polska (point 105 et jurisprudence citée).
( 26 ) Voir arrêt Orange Polska (point 106 et jurisprudence citée).
( 27 ) Voir arrêt du 21 janvier 2016, Galp Energía España e.a./Commission (C‑603/13 P, EU:C:2016:38, points 75 à 77 ainsi que jurisprudence citée).
( 28 ) Voir ordonnance de la Cour, point 34.
( 29 ) Voir ordonnance de la Cour, point 34.
( 30 ) Voir, en ce sens, arrêts du 17 décembre 2015, Orange Polska/Commission (T‑486/11, EU:T:2015:1002, points 65 et 67, ainsi que jurisprudence citée), et du 25 janvier 2023, GEA Group/Commission (T‑640/16 RENV, EU:T:2023:18, point 263).
( 31 ) Voir arrêts du 26 septembre 2018, Infineon Technologies/Commission (C‑99/17 P, EU:C:2018:773, point 195 et jurisprudence citée), ainsi que du 16 juillet 2020, Nexans France et Nexans/Commission (C‑606/18 P, EU:C:2020:571, points 96 et 97, ainsi que jurisprudence citée).
( 32 ) Voir, en ce sens, arrêts du 8 décembre 2011, Chalkor/Commission (C‑386/10 P, EU:C:2011:815, points 66 et 67), et du 6 novembre 2012, Otis e.a. (C‑199/11, EU:C:2012:684, point 63).
( 33 ) Voir, en ce sens, arrêt du 21 janvier 2016, Galp Energía España e.a./Commission (C‑603/13 P, EU:C:2016:38, point 90).
( 34 ) Arrêt du 18 mars 2021, Pometon/Commission (C‑440/19 P, EU:C:2021:214, point 138).
( 35 ) Arrêt du 26 janvier 2017, Duravit e.a./Commission (C‑609/13 P, EU:C:2017:46, point 32 et jurisprudence citée).
( 36 ) Arrêt du 26 janvier 2017, Duravit e.a./Commission (C‑609/13 P, EU:C:2017:46, points 33 et 36 et jurisprudence citée).
( 37 ) Voir, par exemple, arrêt du 29 septembre 2021, Tokin/Commission (T‑343/18, EU:T:2021:636, point 181).
( 38 ) Arrêt attaqué, points 96 et 97.
( 39 ) Ordonnance de la Cour, points 17, 35 et 36.
( 40 ) Arrêt du 15 juillet 2015, point 332.
( 41 ) Arrêt du 15 juillet 2015, points 357 et 358.
( 42 ) Arrêt du 15 juillet 2015, point 334.
( 43 ) Arrêt du 15 juillet 2015, point 297.
( 44 ) Voir l’arrêt CB (point 62 et jurisprudence citée).
( 45 ) Voir, notamment, arrêt du 12 mai 2016, Trioplast Industrier/Commission (T‑669/14, ci-après l’ arrêt Trioplast , EU:T:2016:285, points 15 et 56 à 62).
( 46 ) Voir, à titre d’exemple, arrêts du 15 septembre 2005, DaimlerChrysler/Commission (T‑325/01, EU:T:2005:322), et du 13 décembre 2018, Slovak Telekom/Commission (T‑851/14, EU:T:2018:929).
( 47 ) Voir, à titre d’exemple, arrêts du 10 mars 1992, ICI/Commission (T‑13/89, EU:T:1992:35), du 15 juillet 2015, Akzo Nobel e.a./Commission (T‑47/10, EU:T:2015:506), du 9 septembre 2015, Panasonic et MT Picture Display/Commission (T‑82/13, EU:T:2015:612), ainsi que du 18 novembre 2020, Lietuvos geležinkeliai/Commission (T‑814/17, EU:T:2020:545).
( 48 ) Voir arrêt CB, point 58.
( 49 ) Voir, par exemple, dispositif de l’arrêt du 14 mars 2013, Fresh Del Monte Produce/Commission (T‑587/08, EU:T:2013:129).
( 50 ) Voir points 40 et 41 des présentes conclusions.
( 51 ) Arrêt du 15 juillet 2015 (point 302 et jurisprudence de la Cour citée).
( 52 ) Arrêts du 29 avril 2004, Tokai Carbon e.a./Commission (T‑236/01, T‑244/01 à T‑246/01, T‑251/01 et T‑252/01, EU:T:2004:118, point 165) et du 5 octobre 2011, Romana Tabacchi/Commission (T‑11/06, EU:T:2011:560, points 280 à 284).
( 53 ) Voir, en ce sens, arrêts du 6 mars 1974, Istituto Chemioterapico Italiano et Commercial Solvents/Commission (6/73 et 7/73, EU:C:1974:18, points 51 et 52), du 22 janvier 2013, Commission/Tomkins (C‑286/11 P, EU:C:2013:29, point 49), du 26 septembre 2013, Alliance One International/Commission (C‑679/11 P, EU:C:2013:606, point 107), ainsi que du 17 septembre 2015, Total/Commission (C‑597/13 P, EU:C:2015:613, point 41).
( 54 ) Ordonnance de la Cour, points 44 et 45. D’ailleurs, ainsi que l’a rappelé le Tribunal dans son arrêt du 15 juillet 2015, pour assurer l’effet utile de l’appréciation de la capacité contributive d’une entreprise au regard du montant de l’amende qui doit être mise à sa charge, il convient que le Tribunal, lorsqu’il entend exercer sa compétence de pleine juridiction, apprécie la situation qui prévaut à la date à laquelle il adopte sa décision, au regard des documents que les parties peuvent lui
présenter, sous réserve des conditions de recevabilité prévues à l’article 84 du règlement de procédure du 4 mars 2015 (JO 2015, L 105, p.1).
( 55 ) Ordonnance de la Cour, points 39 et 40.
( 56 ) T‑393/10 INTP, EU:T:2018:293.