ARRÊT DE LA COUR (septième chambre)
11 avril 2024 ( *1 )
« Renvoi préjudiciel – Sécurité sociale – Travailleurs migrants – Prestations familiales – Règlement (CE) no 883/2004 – Article 3 – Prestations de maladie – Champ d’application – Allocation de congé de proche aidant – Ressortissant d’un État membre résidant et travaillant dans un autre État membre et soignant un membre de sa famille dans le premier État membre – Caractère accessoire à l’allocation de dépendance – Article 4 – Égalité de traitement »
Dans l’affaire C‑116/23,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Bundesverwaltungsgericht (tribunal administratif fédéral, Autriche), par décision du 23 février 2023, parvenue à la Cour le 27 février 2023, dans la procédure
XXXX,
en présence de :
Sozialministeriumservice,
LA COUR (septième chambre),
composée de M. F. Biltgen, président de chambre, M. N. Wahl et Mme M. L. Arastey Sahún (rapporteure), juges,
avocat général : M. J. Richard de la Tour,
greffier : M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
considérant les observations présentées :
– pour XXXX, par MM. K. Mayr et D. Menkovic, en qualité d’agents,
– pour le gouvernement autrichien, par Mmes J. Schmoll et C. Leeb, en qualité d’agents,
– pour le gouvernement tchèque, par MM. M. Smolek et J. Vláčil, en qualité d’agents,
– pour la Commission européenne, par Mme F. Clotuche-Duvieusart et M. B.-R. Killmann, en qualité d’agents,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 18 TFUE, de l’article 7 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »), des articles 3, 4, 7 et 21 du règlement (CE) no 883/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, sur la coordination des systèmes de sécurité sociale (JO 2004, L 166, p. 1, et rectificatif JO 2004, L 200, p. 1), ainsi que du principe d’effectivité.
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant XXXX au Sozialministeriumservice (service ministériel des affaires sociales, Autriche) (ci-après le « service ministériel ») au sujet du refus de ce dernier d’accorder à XXXX une allocation de congé de proche aidant.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
Le règlement no 883/2004
3 Les considérants 8, 9, 12 et 16 du règlement no 883/2004 se lisent comme suit :
« (8) Le principe général de l’égalité de traitement est d’une importance particulière pour les travailleurs qui ne résident pas dans l’État membre où ils travaillent, y compris les travailleurs frontaliers.
(9) À plusieurs occasions, la Cour de justice s’est exprimée sur la possibilité d’assimiler les prestations, les revenus et les faits ; ce principe devrait être adopté expressément et développé, dans le respect du fond et de l’esprit des décisions judiciaires.
[...]
(12) Compte tenu de la proportionnalité, il convient de veiller à ce que le principe d’assimilation des faits ou événements ne donne pas lieu à des résultats objectivement injustifiés ou à un cumul de prestations de même nature pour la même période.
[...]
(16) À l’intérieur de la Communauté, il n’est en principe pas justifié de faire dépendre les droits en matière de sécurité sociale du lieu de résidence de l’intéressé ; toutefois, dans des cas spécifiques, notamment pour des prestations spéciales qui ont un lien avec l’environnement économique et social de l’intéressé, le lieu de résidence pourrait être pris en compte. »
4 L’article 3, paragraphe 1, de ce règlement prévoit :
« Le présent règlement s’applique à toutes les législations relatives aux branches de sécurité sociale qui concernent :
a) les prestations de maladie ;
[...]
h) les prestations de chômage ;
[...] »
5 L’article 4 dudit règlement énonce :
« À moins que le présent règlement n’en dispose autrement, les personnes auxquelles le présent règlement s’applique bénéficient des mêmes prestations et sont soumises aux mêmes obligations, en vertu de la législation de tout État membre, que les ressortissants de celui-ci. »
6 L’article 5 du même règlement dispose :
« À moins que le présent règlement n’en dispose autrement et compte tenu des dispositions particulières de mise en œuvre prévues, les dispositions suivantes s’appliquent :
a) si, en vertu de la législation de l’État membre compétent, le bénéfice de prestations de sécurité sociale ou d’autres revenus produit certains effets juridiques, les dispositions en cause de cette législation sont également applicables en cas de bénéfice de prestations équivalentes acquises en vertu de la législation d’un autre État membre ou de revenus acquis dans un autre État membre ;
b) si, en vertu de la législation de l’État membre compétent, des effets juridiques sont attribués à la survenance de certains faits ou événements, cet État membre tient compte des faits ou événements semblables survenus dans tout autre État membre comme si ceux-ci étaient survenus sur son propre territoire. »
7 Aux termes de l’article 7 du règlement no 883/2004 :
« À moins que le présent règlement n’en dispose autrement, les prestations en espèces dues en vertu de la législation d’un ou de plusieurs États membres ou du présent règlement ne peuvent faire l’objet d’aucune réduction, modification, suspension, suppression ou confiscation du fait que le bénéficiaire ou les membres de sa famille résident dans un État membre autre que celui où se trouve l’institution débitrice. »
8 L’article 11 de ce règlement dispose :
« 1. Les personnes auxquelles le présent règlement est applicable ne sont soumises qu’à la législation d’un seul État membre. Cette législation est déterminée conformément au présent titre.
[...]
3. Sous réserve des articles 12 à 16 :
a) la personne qui exerce une activité salariée ou non salariée dans un État membre est soumise à la législation de cet État membre ;
[...] »
9 L’article 21 dudit règlement prévoit :
« 1. La personne assurée et les membres de sa famille qui résident ou séjournent dans un État membre autre que l’État membre compétent bénéficient de prestations en espèces servies par l’institution compétente en vertu de la législation qu’elle applique. Dans le cadre d’un accord entre l’institution compétente et l’institution du lieu de résidence ou de séjour, ces prestations peuvent toutefois être servies par l’institution du lieu de résidence ou de séjour pour le compte de l’institution
compétente selon la législation de l’État membre compétent.
[...] »
Le règlement (UE) no 492/2011
10 L’article 7, paragraphes 1 et 2, du règlement (UE) no 492/2011 du Parlement européen et du Conseil, du 5 avril 2011, relatif à la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de l’Union (JO 2011, L 141, p. 1), dispose :
« 1. Le travailleur ressortissant d’un État membre ne peut, sur le territoire des autres États membres, être, en raison de sa nationalité, traité différemment des travailleurs nationaux, pour toutes conditions d’emploi et de travail, notamment en matière de rémunération, de licenciement et de réintégration professionnelle ou de réemploi s’il est tombé au chômage.
2. Il y bénéficie des mêmes avantages sociaux et fiscaux que les travailleurs nationaux. »
Le droit autrichien
L’AVRAG
11 L’article 14a, paragraphe 1, de l’Arbeitsvertragsrechts-Anpassungsgesetz (loi portant adaptation du droit des contrats de travail, BGBl. 459/1993), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après l’« AVRAG »), prévoit :
« Le salarié peut exiger, par écrit, une réduction de la durée normale du travail, un changement d’horaire de travail ou un congé sans solde en vue d’accompagner un parent proche [...] en fin de vie pour une durée déterminée, n’excédant pas trois mois, en en précisant le début et la durée, et ce même si le salarié et le parent proche ne font pas partie d’un même ménage. [...] »
12 L’article 14c, paragraphe 1, de cette loi se lit comme suit :
« À condition que la relation d’emploi ait atteint une durée de trois mois sans interruption, le salarié et l’employeur peuvent convenir par écrit d’un congé de proche aidant sans solde, d’une durée d’un à trois mois, afin que le salarié puisse soigner ou assister un parent proche, au sens de l’article 14a, qui, à la date de début du congé de proche aidant, reçoit une allocation de dépendance de niveau 3 ou supérieur en application de l’article 5 du Bundespflegegeldgesetz [(loi fédérale sur
l’allocation de dépendance, BGBl. 110/1993), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après le “BPGG”)]. [...] »
Le BPGG
13 L’article 3a du BPGG est libellé comme suit :
« 1. Peuvent prétendre à l’allocation de dépendance en application de la présente loi, sans même bénéficier d’une prestation de base visée à l’article 3, paragraphes 1 et 2, les ressortissants autrichiens dont la résidence habituelle se trouve sur le territoire national, à moins qu’un autre État membre ne soit compétent pour les prestations de soins en application du règlement [no 883/2004] [...]
2. Sont assimilés à des ressortissants autrichiens :
1) les étrangers ne relevant d’aucun des points suivants, pour autant qu’une égalité de traitement résulte des conventions internationales ou du droit de l’Union, ou
[...]
3) les personnes qui jouissent d’un droit de séjour en vertu du droit de l’Union [...]
[...] »
14 Aux termes de l’article 21c du BPGG :
« 1. Les personnes qui sont convenues d’un congé de proche aidant en application de l’article 14c de l’AVRAG [...] bénéficient pendant la durée du congé de proche aidant, mais pour une durée maximale de trois mois, d’une allocation de congé de proche aidant en application des dispositions de la présente section. [...] L’allocation de congé de proche aidant est de droit.
2. Avant de pouvoir prétendre à l’allocation de congé de proche aidant, la personne en congé doit avoir été assurée, au titre de la relation d’emploi désormais suspendue, pendant une durée ininterrompue de trois mois [...] en bénéficiant d’une couverture totale [...] Sauf disposition contraire de la présente loi ou d’un arrêté pris sur le fondement du paragraphe 5, l’allocation de congé de proche aidant est due à hauteur du montant de base des indemnités de chômage [...]
3. Les personnes qui, pour accompagner un parent proche en fin de vie ou un enfant très gravement malade, prennent un congé de solidarité familiale
1) en application de l’article 14a ou de l’article 14b de l’AVRAG [...]
[...]
bénéficient pendant le congé de solidarité familiale d’une allocation de congé de proche aidant en application de la présente section. [...] »
Le litige au principal et les questions préjudicielles
15 Le requérant au principal, un ressortissant italien résidant et travaillant en Autriche depuis l’année 2013, est convenu avec son employeur, conformément à l’article 14c, paragraphe 1, de l’AVRAG, d’un congé de proche aidant pour la période allant du 1er mai 2022 au 13 juin 2022, afin de prendre soin de son père, qui résidait en Italie.
16 Le 10 mai 2022, ce requérant a introduit une demande d’allocation de congé de proche aidant auprès du service ministériel sur le fondement de l’article 21c, paragraphe 1, du BPGG, pour la période allant du 10 mai 2022 au 13 juin 2022, en raison des soins permanents que nécessitait l’état de santé de son père. Celui-ci, qui semblait bénéficier d’une allocation de dépendance au titre de la législation italienne, présentait un état de dépendance qui lui aurait ouvert droit, s’il avait eu sa
résidence habituelle en Autriche, à une allocation de dépendance de niveau 3, sur le fondement de l’article 3a du BPGG.
17 Le père du requérant au principal est décédé le 29 mai 2022.
18 Par décision du 7 juin 2022, le service ministériel a rejeté la demande du requérant au principal, au motif que son père ne recevait pas d’allocation de dépendance en vertu du droit autrichien, alors que le versement d’une telle allocation à la personne soignée serait une condition nécessaire pour que la personne soignante bénéficie de l’allocation de congé de proche aidant en vertu de la législation autrichienne applicable.
19 Le 7 juillet 2022, le requérant au principal a introduit un recours contre cette décision devant le Bundesverwaltungsgericht (tribunal administratif fédéral, Autriche), qui est la juridiction de renvoi, en soutenant que l’allocation de congé de proche aidant n’a pas un caractère accessoire à l’allocation de dépendance, dans la mesure où cette dernière est accordée et versée à la personne soignée, tandis que l’allocation de congé de proche aidant est accordée et versée à la personne soignante.
Cette dernière allocation constituerait ainsi une aide sociale au bénéfice de la personne soignante, de sorte que son octroi serait déterminé par le lieu de travail de celle-ci. En effet, une telle allocation devrait être considérée comme une « prestation de maladie », au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous a), du règlement no 883/2004. Partant, dès lors qu’il travaille en Autriche, le requérant au principal estime que la législation autrichienne qui prévoit cette allocation lui est en
l’occurrence applicable, conformément à l’article 11, paragraphe 3, sous a), de ce règlement, et qu’il doit bénéficier de ladite allocation, qui a la nature d’une prestation en espèces, même s’il séjourne dans un autre État membre, en application de l’article 21, paragraphe 1, dudit règlement.
20 Par ailleurs, le requérant au principal soutient que l’interprétation contenue dans la décision du 7 juin 2022 du service ministériel exclut, pour l’essentiel, du bénéfice de l’allocation de congé de proche aidant des ressortissants de l’Union européenne n’ayant pas la nationalité autrichienne, puisque seuls ceux-ci sont généralement susceptibles d’avoir des parents résidant en dehors du territoire autrichien. Cette interprétation constituerait ainsi une discrimination indirecte des travailleurs
migrants ou, à tout le moins, une restriction à la libre circulation des travailleurs, contraire à l’article 45 TFUE et à l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 492/2011.
21 La juridiction de renvoi observe, premièrement, que, même si les parties au litige au principal s’accordent pour qualifier l’allocation de congé de proche aidant de « prestation de maladie », au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous a), du règlement no 883/2004, il serait également concevable que cette allocation revête le caractère d’une allocation pour interruption temporaire de travail, justifiant qu’elle soit traitée comme une allocation chômage.
22 Deuxièmement, s’agissant de la qualification de l’allocation de congé de proche aidant de « prestation en espèces », cette juridiction renvoie à la jurisprudence de la Cour selon laquelle les prestations versées à la personne soignante sont considérées comme étant des « prestations de maladie » en vertu du règlement no 883/2004. L’allocation en cause étant octroyée à la personne soignante, mais bénéficiant, en définitive, à la personne soignée, elle devrait, par conséquent, être qualifiée non pas
de « prestation en espèces », mais de « prestation en nature », due uniquement pour prendre soin de personnes résidant en Autriche. Toutefois, il serait également envisageable de considérer que cette allocation relève non pas du règlement no 883/2004, mais du statut de la personne soignante au regard du droit de travail, ce qui aurait pour conséquence qu’elle serait due si la personne soignante satisfaisait aux conditions de l’article 21c, paragraphe 1, du BPGG, indépendamment du lieu de
résidence de la personne soignée.
23 Troisièmement, ladite juridiction s’interroge sur la question de savoir si le fait que le requérant au principal a exercé son droit à la libre circulation il y a dix ans, en s’installant en Autriche, a une incidence sur l’application du règlement no 883/2004 et si, par conséquent, le refus de lui octroyer l’allocation de congé pour proche aidant ne fait pas obstacle à l’exercice de ce droit à la libre circulation.
24 Quatrièmement, s’agissant de l’exigence prévue à l’article 3a du BPGG, selon lequel le bénéfice de l’allocation de dépendance autrichienne est réservé aux personnes soignées qui ont leur résidence habituelle sur le territoire autrichien, la même juridiction observe qu’il est naturellement plus aisé pour les ressortissants autrichiens de satisfaire à ce critère que les ressortissants d’autres États membres tels que, en l’occurrence, le père du requérant au principal, qui résidait en Italie et
semblait percevoir une allocation de dépendance italienne. Ainsi, la juridiction de renvoi s’interroge sur l’existence d’une discrimination indirecte, au sens de l’article 4 du règlement no 883/2004, fondée sur la nationalité mais également sur le lieu de résidence, dès lors que l’obligation, pour prétendre à l’allocation de congé de proche aidant, que la personne soignée reçoive une allocation de dépendance autrichienne de niveau 3 ou supérieur affecterait davantage les travailleurs migrants,
tel le requérant au principal, que les ressortissants autrichiens, dont les parents ont, en règle générale, leur résidence habituelle en Autriche.
25 Cinquièmement, cette juridiction cherche à savoir, au regard de la jurisprudence du Verwaltungsgerichtshof (Cour administrative, Autriche), dont il ressort que tout organisme de sécurité sociale est appelé à procéder à l’appréciation des demandes dans un esprit d’application sociale du droit favorable à l’assuré, dans quelle mesure il convient de tenir compte du fait que le requérant au principal répondait aux conditions de versement d’une autre allocation nationale plus favorable, à savoir
l’allocation de congé de solidarité familiale prévue à l’article 21c, paragraphe 3, du BPGG, laquelle ne dépend pas du versement, à la personne soignée, d’une allocation de dépendance autrichienne. Elle se demande si, en dépit de ce que cette jurisprudence n’est pas applicable au service ministériel, qui n’a pas la nature d’un organisme de sécurité sociale, et de ce que le requérant au principal n’a pas sollicité le bénéfice de cette allocation de congé de solidarité familiale, la situation en
cause ne révèle pas une discrimination indirecte, contraire, notamment, à l’article 4 du règlement no 883/2004 et à l’article 7 de la Charte.
26 Dans ces conditions, le Bundesverwaltungsgericht (tribunal administratif fédéral) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) L’allocation de congé de proche aidant est-elle une prestation de maladie au sens de l’article 3 du règlement no 883/2004 ou éventuellement une autre prestation visée audit article 3 ?
2) S’il s’agit d’une prestation de maladie, l’allocation de congé de proche aidant est-elle une prestation en espèces au sens de l’article 21 du règlement no 883/2004 ?
3) L’allocation de congé de proche aidant est-elle une prestation en faveur du soignant ou de la personne bénéficiant des soins ?
4) Partant, lorsqu’une personne de nationalité italienne, qui réside depuis le 28 juin 2013 de façon durable en Autriche (dans le Land de Haute-Autriche) et y travaille depuis le 1er juillet 2013 de façon continue pour le même employeur – rien n’indique donc qu’elle ait la qualité de travailleur frontalier – et convient avec son employeur d’un congé de proche aidant pour la période en cause [allant] du 1er mai 2022 au 13 juin 2022 pour pouvoir prendre soin de son père, de nationalité italienne et
résidant de façon durable en Italie (à Sassuolo), introduit auprès [du service ministériel] une demande d’allocation de congé de proche aidant, cette situation relève-t-elle du champ d’application du règlement no 883/2004 ?
5) L’article 7 du règlement no 883/2004 ou le principe de non‑discrimination dans les diverses expressions qu’il prend en droit européen (par exemple, article 18 TFUE, article 4 du règlement no 883/2004, etc.) font-ils obstacle à une règle de droit national soumettant l’octroi de l’allocation de congé de proche aidant à la condition que la personne bénéficiant des soins reçoive une allocation de dépendance autrichienne de niveau 3 ou supérieur ?
6) Dans une situation telle que celle en cause en l’espèce, le principe d’effectivité du droit de l’Union ou le principe de non‑discrimination dans les diverses expressions qu’il prend en droit de l’Union (par exemple, article 18 TFUE, article 4 du règlement no 883/2004, etc.), font‑ils obstacle à une règle de droit national ou à une jurisprudence nationale établie ne prévoyant aucune marge d’appréciation qui permettrait de requalifier en “demande de congé de solidarité familiale” une “demande
d’allocation de congé de proche aidant”, dès lors que c’est clairement un formulaire de “demande d’allocation de congé de proche aidant” qui a été utilisé et non un formulaire de “demande de congé de solidarité familiale” et que c’est tout aussi clairement de “soins à un parent proche” et non d’“accompagnement en fin de vie” que parle l’accord conclu avec l’employeur – alors que la situation en cause répondrait, [en raison] du fait que le père bénéficiant des soins est entre-temps décédé, aux
conditions d’octroi d’une allocation de congé de proche aidant au titre d’un congé de solidarité familiale, pour peu qu’un autre accord eût été conclu avec l’employeur et une autre demande introduite auprès de l’autorité ?
7) L’article 4 du règlement no 883/2004 ou une autre disposition du droit de l’Union (par exemple, l’article 7 de la [Charte]) font-ils obstacle à une règle de droit national (article 21c, paragraphe 1, du [BPGG]) soumettant l’octroi de l’allocation de congé de proche aidant à la condition que la personne bénéficiant des soins reçoive une allocation de dépendance autrichienne de niveau 3 ou supérieur, alors qu’une autre règle de droit national (article 21c, paragraphe 3, de ladite loi), appliquée
à la même situation, ne subordonne justement pas la prestation à une telle condition préalable ? »
Sur les questions préjudicielles
Sur les première à quatrième questions
27 Par ses première à quatrième questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la notion de « prestations de maladie », au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous a), du règlement no 883/2004, doit être interprétée en ce sens qu’elle couvre une allocation de congé de proche aidant versée à un salarié qui assiste ou soigne un proche titulaire d’une allocation de dépendance dans un autre État membre et qui bénéficie, à ce titre, d’un congé sans solde.
Dans l’affirmative, cette juridiction cherche à savoir si une telle allocation relève de la notion de « prestations en espèces », au sens de ce règlement.
Sur la recevabilité
28 La Commission européenne soutient, sans exciper formellement de l’irrecevabilité de ces questions, qu’elles ne sont pas pertinentes pour la solution du litige au principal au motif que l’article 45 TFUE et l’article 7 du règlement no 492/2011 s’appliquent, indépendamment de la question de savoir si l’allocation de congé de proche aidant en cause au principal entre ou non dans le champ d’application du règlement no 883/2004.
29 À cet égard, il convient de rappeler la jurisprudence bien établie selon laquelle les questions relatives à l’interprétation du droit de l’Union posées par le juge national dans le cadre réglementaire et factuel qu’il définit sous sa propre responsabilité, et dont il n’appartient pas à la Cour de vérifier l’exactitude, bénéficient d’une présomption de pertinence. Le rejet par la Cour d’une demande formée par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît de manière manifeste que
l’interprétation sollicitée du droit de l’Union n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (arrêt du 7 décembre 2023, Obshtina Razgrad, C‑441/22 et C‑443/22, EU:C:2023:970, point 44 ainsi que jurisprudence citée).
30 Or, en l’occurrence, il ressort de la demande de décision préjudicielle que la juridiction de renvoi estime pertinente, pour la solution du litige au principal, la réponse que la Cour apportera auxdites questions, notamment pour qualifier, au regard du droit de l’Union, l’allocation de congé de proche aidant en cause. Il ne saurait, dès lors, être considéré que l’interprétation du droit de l’Union sollicitée par la juridiction de renvoi n’est manifestement pas nécessaire à cette dernière pour
résoudre le litige dont elle est saisie.
31 Par conséquent, les première à quatrième questions sont recevables.
Sur le fond
32 À titre liminaire, il y a lieu de souligner que la distinction entre les prestations relevant du champ d’application du règlement no 883/2004 et celles qui en sont exclues repose essentiellement sur les éléments constitutifs de chaque prestation, notamment les finalités et les conditions d’octroi de celle-ci, et non pas sur le fait qu’une prestation soit ou non qualifiée de prestation de sécurité sociale par la législation nationale (arrêt du 15 juin 2023, Thermalhotel Fontana, C‑411/22,
EU:C:2023:490, point 22 et jurisprudence citée).
33 Il ressort ainsi d’une jurisprudence constante qu’une prestation peut être considérée comme étant une prestation de sécurité sociale dans la mesure où, d’une part, elle est octroyée, en dehors de toute appréciation individuelle et discrétionnaire des besoins personnels, aux bénéficiaires sur la base d’une situation légalement définie et, d’autre part, elle se rapporte à l’un des risques énumérés expressément à l’article 3, paragraphe 1, du règlement no 883/2004. Ces deux conditions sont
cumulatives (arrêt du 15 juin 2023, Thermalhotel Fontana, C‑411/22, EU:C:2023:490, point 23 et jurisprudence citée).
34 S’agissant de la première condition énoncée au point précédent du présent arrêt, il y a lieu de rappeler que celle-ci est satisfaite lorsque l’octroi d’une prestation s’effectue au regard de critères objectifs qui, dès lors qu’ils sont remplis, ouvrent le droit à la prestation sans que l’autorité compétente puisse tenir compte d’autres circonstances personnelles (arrêt du 15 juin 2023, Thermalhotel Fontana, C‑411/22, EU:C:2023:490, point 24 et jurisprudence citée).
35 En l’occurrence, il apparaît que cette première condition est satisfaite, étant donné que l’allocation en cause au principal est accordée de plein droit, conformément à l’article 21c, paragraphe 1, dernière phrase, du BPGG, lorsque le demandeur bénéficie d’un congé de proche aidant, sans que le service ministériel tienne compte d’autres circonstances personnelles à celui-ci.
36 S’agissant de la seconde condition énoncée au point 33 du présent arrêt, l’article 3, paragraphe 1, sous a), du règlement no 883/2004 mentionne explicitement les « prestations de maladie », lesquelles sont les prestations qui ont pour but essentiel la guérison du malade, en procurant les soins que nécessite son état, et couvrent, ainsi, le risque lié à un état morbide (voir, en ce sens, arrêt du 15 juin 2023, Thermalhotel Fontana, C‑411/22, EU:C:2023:490, point 27 et jurisprudence citée).
37 À cet égard, la Cour a jugé que sont assimilées à des « prestations de maladie », au sens de cette disposition, des dépenses entraînées par l’état de dépendance de la personne soignée qui concernent, de manière concomitante ou non, les soins prodigués à cette personne et l’amélioration de sa vie quotidienne, telles, notamment, des dépenses lui assurant l’assistance de tiers, dès lors que de telles dépenses visent à améliorer l’état de santé et la vie des personnes dépendantes [voir, en ce sens,
arrêts du 5 mars 1998, Molenaar, C‑160/96, EU:C:1998:84, points 23 et 24, et du 25 juillet 2018, A (Aide pour une personne handicapée), C‑679/16, EU:C:2018:601, points 43 et 44 ainsi que jurisprudence citée].
38 En l’occurrence, l’octroi de l’allocation de congé de proche aidant en cause au principal découle certes du statut de salarié de la personne soignante. Toutefois, d’une part, cet octroi est subordonné à la condition que la personne soignée bénéfice d’une allocation de dépendance d’un certain niveau en vertu du droit autrichien.
39 D’autre part, il apparaît que l’allocation de congé de proche aidant en cause au principal, même si elle est accordée et versée à la personne soignante afin de compenser la perte de salaires qu’elle subit pendant la durée de son congé sans solde, a également et principalement pour but, en définitive, de permettre à la personne soignante de procurer les soins que nécessite l’état de santé de la personne soignée, si bien qu’elle bénéficie, avant tout, à cette dernière.
40 Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que l’allocation de congé de proche aidant en cause au principal relève de la notion de « prestations de maladie », au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous a), du règlement no 883/2004.
41 S’agissant ensuite de la question de savoir si cette allocation doit être qualifiée de « prestation en espèces », au sens de ce règlement, il importe de préciser que ladite allocation consiste en une somme d’argent fixe versée périodiquement au soignant, sans tenir compte de la charge réelle des soins, visant à compenser la perte de salaire liée au congé de proche aidant ainsi qu’à alléger les charges découlant de ce congé.
42 À cet égard, il découle de la jurisprudence de la Cour que la prise en charge des cotisations d’une tierce personne à laquelle une personne dépendante recourt pour l’assister à domicile doit elle-même être qualifiée de prestation en espèces, dans la mesure où elle est accessoire à la prestation de soins proprement dite, en ce sens qu’elle vise à faciliter le recours aux soins (voir, en ce sens, arrêt du 8 juillet 2004, Gaumain-Cerri et Barth, C‑502/01 et C‑31/02, EU:C:2004:413, point 27).
43 Par conséquent, l’allocation de congé de proche aidant en cause au principal, revêtant notamment un caractère accessoire à la prestation de soins proprement dite, doit également être qualifiée de « prestation en espèces », au sens du règlement no 883/2004.
44 Au vu de ce qui précède, il y a lieu de répondre aux première à quatrième questions que l’article 3, paragraphe 1, sous a), du règlement no 883/2004 doit être interprété en ce sens que la notion de « prestations de maladie », au sens de cette disposition, couvre une allocation de congé de proche aidant versée à un salarié qui assiste ou soigne un proche titulaire d’une allocation de dépendance dans un autre État membre et qui bénéficie, à ce titre, d’un congé sans solde. Par conséquent, une telle
allocation relève également de la notion de « prestations en espèces », au sens de ce règlement.
Sur la cinquième question
45 D’emblée, il y a lieu de relever que la juridiction de renvoi se réfère dans sa cinquième question à l’article 18 TFUE.
46 À cet égard, il convient de rappeler qu’il appartient à la Cour, dans le cadre de la procédure de coopération entre les juridictions nationales et celle-ci instituée à l’article 267 TFUE, de donner au juge national une réponse utile qui lui permette de trancher le litige dont il est saisi. Dans cette optique, il incombe, le cas échéant, à la Cour de reformuler les questions qui lui sont soumises. En outre, la Cour peut être amenée à prendre en considération des normes du droit de l’Union
auxquelles le juge national n’a pas fait référence dans l’énoncé de sa question (arrêt du 7 septembre 2023, Groenland Poultry, C‑169/22, EU:C:2023:638, point 47 et jurisprudence citée).
47 S’agissant de l’article 18 TFUE, la Cour a relevé à maintes reprises que cette disposition n’a vocation à s’appliquer de manière autonome que dans des situations régies par le droit de l’Union pour lesquelles le traité FUE ne prévoit pas de règles spécifiques de non‑discrimination (voir, en ce sens, arrêt du 8 décembre 2022, Caisse nationale d’assurance pension, C‑731/21, EU:C:2022:969, point 28 et jurisprudence citée).
48 Le principe de non-discrimination a cependant été mis en œuvre, dans le domaine de la sécurité sociale, par l’article 45 TFUE et par l’article 4 du règlement no 883/2004 ainsi que par l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 492/2011 [voir, en ce sens, arrêt du 16 juin 2022, Commission/Autriche (Indexation des prestations familiales), C‑328/20, EU:C:2022:468, point 98].
49 Dès lors, compte tenu de tous les éléments relevés par la juridiction de renvoi, il y a lieu de considérer que, par sa cinquième question, cette juridiction demande, en substance, si l’article 45, paragraphe 2, TFUE, l’article 4 du règlement no 883/2004 ainsi que l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 492/2011 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation d’un État membre en vertu de laquelle l’octroi d’une allocation de congé de proche aidant est soumis à la
condition que la personne soignée reçoive une allocation de dépendance d’un certain niveau en vertu de la législation de cet État membre.
50 À cet égard, il convient de rappeler, d’une part, que l’article 4 du règlement no 883/2004 a pour objet d’assurer, conformément à l’article 45 TFUE, l’égalité en matière de sécurité sociale sans distinction de nationalité, en supprimant toute discrimination à cet égard résultant des législations nationales des États membres. D’autre part, l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 492/2011 précise que le travailleur ressortissant d’un État membre bénéficie, sur le territoire des autres États
membres, des mêmes avantages sociaux et fiscaux que les travailleurs nationaux [voir, en ce sens, arrêt du 16 juin 2022, Commission/Autriche (Indexation des prestations familiales), C‑328/20, EU:C:2022:468, points 93 et 94 ainsi que jurisprudence citée].
51 La notion d’« avantage social », étendue par l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 492/2011 aux travailleurs ressortissants d’autres États membres, comprend tous les avantages, liés ou non à un contrat d’emploi, qui sont généralement reconnus aux travailleurs nationaux, en raison principalement de leur qualité objective de travailleurs ou du simple fait de leur résidence sur le territoire national, et dont l’extension aux travailleurs ressortissants d’autres États membres apparaît dès lors
comme apte à faciliter leur mobilité à l’intérieur de l’Union et, partant, leur intégration dans l’État membre d’accueil. La référence faite par cette disposition aux avantages sociaux ne saurait être interprétée limitativement [arrêt du 16 juin 2022, Commission/Autriche (Indexation des prestations familiales), C‑328/20, EU:C:2022:468, point 95 et jurisprudence citée].
52 Il ressort par ailleurs de la jurisprudence de la Cour que certaines prestations sont susceptibles de constituer tant des prestations de maladie, au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous a), du règlement no 883/2004, qu’un avantage social, au sens de l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 492/2011 [voir, en ce sens, arrêt du 16 juin 2022, Commission/Autriche (Indexation des prestations familiales), C‑328/20, EU:C:2022:468, point 96 et jurisprudence citée].
53 Partant, le fait que l’allocation de congé de proche aidant en cause au principal, ainsi que cela a été relevé au point 39 du présent arrêt, vise à bénéficier avant tout à la personne soignée est sans incidence sur sa qualification également d’« avantage social » au sens de l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 492/2011, dans la mesure où cette allocation est destinée à assurer la subsistance d’un travailleur qui n’exerce aucune activité professionnelle pendant la durée de son congé et ne
perçoit donc aucune rémunération.
54 Il en est d’autant plus ainsi que, comme il a été dit au point 48 du présent arrêt, l’article 4 du règlement no 883/2004 et l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 492/2011 concrétisent tous deux la règle de l’égalité de traitement en matière de sécurité sociale inscrite à l’article 45 TFUE. Dès lors, ces deux dispositions doivent, en principe, être interprétées de la même façon et en conformité avec l’article 45 TFUE [arrêt du 16 juin 2022, Commission/Autriche (Indexation des prestations
familiales), C‑328/20, EU:C:2022:468, point 98].
55 Dans ces conditions, en vertu de la jurisprudence de la Cour, une distinction fondée sur la résidence, qui est susceptible de jouer davantage au détriment des ressortissants d’autres États membres dans la mesure où les non‑résidents sont le plus souvent des non-nationaux, constitue une discrimination indirecte fondée sur la nationalité qui ne pourrait être admise qu’à la condition d’être objectivement justifiée [arrêt du 16 juin 2022, Commission/Autriche (Indexation des prestations familiales),
C‑328/20, EU:C:2022:468, point 99 et jurisprudence citée].
56 En l’occurrence, l’octroi de l’allocation de congé de proche aidant en cause au principal est subordonné, conformément à l’article 21c, paragraphe 1, du BPGG, lu en combinaison avec l’article 14c, paragraphe 1, de l’AVRAG et l’article 3a du BPGG, à la condition que la personne soignée reçoive une allocation de dépendance de niveau 3 ou supérieur en vertu du droit autrichien. Cette allocation de congé de proche aidant n’est donc accordée que dans l’hypothèse où les autorités autrichiennes sont
compétentes pour servir une allocation de dépendance à la personne soignée. Par conséquent, le lien direct avec l’État membre de la résidence habituelle des personnes soignées doit être considéré comme étant établi.
57 Il s’ensuit que le fait que l’allocation de congé de proche aidant ait un caractère accessoire à l’allocation de dépendance, accordée en vertu de la législation autrichienne applicable, est susceptible d’affecter davantage les travailleurs migrants, tel le requérant au principal dont le père résidait dans un autre État membre, que des ressortissants autrichiens, dont la famille, et notamment les parents, ont, en règle générale, leur résidence habituelle en Autriche.
58 Il apparaît ainsi que ce caractère accessoire de l’allocation de congé de proche aidant entraîne une discrimination indirecte fondée sur la nationalité qui ne peut être admise que si elle est objectivement justifiée.
59 À cet égard, la Cour a itérativement jugé que, pour être justifiée, une telle discrimination indirecte doit être propre à garantir la réalisation d’un objectif légitime et ne pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif [arrêt du 16 juin 2022, Commission/Autriche (Indexation des prestations familiales), C‑328/20, EU:C:2022:468, point 104 et jurisprudence citée].
60 Si la décision de renvoi ne contient aucun élément relatif à l’éventuelle justification du caractère accessoire de l’allocation de congé de proche aidant par rapport à l’allocation de dépendance de niveau 3 ou supérieur, accordée en vertu de la législation autrichienne applicable, la Commission évoque toutefois, dans ses observations écrites, l’objectif du maintien de l’équilibre financier du régime de sécurité sociale national.
61 À cet égard, il importe de souligner que la Cour a déjà dit pour droit que le règlement no 883/2004 n’instaure pas un régime commun de sécurité sociale, mais laisse subsister des régimes nationaux distincts. Les États membres conservent leur compétence pour aménager leurs systèmes de sécurité sociale et, en l’absence d’une harmonisation au niveau de l’Union, il appartient à chaque État membre de déterminer dans sa législation, notamment, les conditions qui donnent droit à des prestations sociales
(arrêt du 15 septembre 2022, Rechtsanwaltskammer Wien, C‑58/21, EU:C:2022:691, point 61 et jurisprudence citée).
62 Dans la mesure où, ainsi que le relève la Commission dans ses observations écrites, le niveau de dépendance est susceptible d’indiquer le degré de soins dont a besoin la personne concernée, impliquant, le cas échéant, que la personne soignante se trouve dans l’impossibilité de poursuivre son activité professionnelle, l’objectif de limiter le bénéfice de prestations financées par des fonds publics aux cas de dépendance de niveau 3 ou supérieur paraît légitime.
63 Il convient cependant de souligner qu’une telle condition relative au degré de niveau 3 ou supérieur de dépendance peut également être remplie lorsque l’allocation de dépendance est accordée conformément à la législation d’un autre État membre. Il importe de rappeler, à cet égard, que l’article 5 du règlement no 883/2004, lu à la lumière du considérant 9 de ce dernier, consacre le principe jurisprudentiel d’assimilation des prestations, des revenus et des faits, que le législateur de l’Union a
voulu introduire dans le texte dudit règlement afin que ce principe soit développé dans le respect du fond et de l’esprit des décisions judiciaires de la Cour (arrêt du 12 mars 2020, Caisse d’assurance retraite et de la santé au travail d’Alsace-Moselle, C‑769/18, EU:C:2020:203, point 42 ainsi que jurisprudence citée).
64 Cela étant, c’est à la juridiction de renvoi qu’il appartiendra, en définitive, d’apprécier, à la lumière notamment des considérations figurant aux points 61 à 63 du présent arrêt et sur la base de tous les éléments pertinents disponibles, si, au regard des justifications admises en droit de l’Union telles que rappelées au point 59 du présent arrêt, notamment en ce qui concerne l’existence d’un risque éventuel d’atteinte grave à l’équilibre financier du régime de sécurité sociale national (voir,
en ce sens, arrêts du 28 avril 1998, Kohll, C‑158/96, EU:C:1998:171, point 41, et du 15 septembre 2022, Rechtsanwaltskammer Wien, C‑58/21, EU:C:2022:691, point 74 ainsi que jurisprudence citée), le caractère accessoire de l’allocation de congé de proche aidant en cause par rapport à l’allocation de dépendance de niveau 3 ou supérieur, accordée en vertu de la législation autrichienne, pourrait être justifié. Or, la discrimination indirecte en cause au principal, fondée sur la nationalité, telle
que relevée au point 58 du présent arrêt, ne saurait être justifiée que si elle vise à atteindre l’objectif recherché d’une manière cohérente et systématique (voir, en ce sens, arrêt du 8 décembre 2022, Caisse nationale d’assurance pension, C‑731/21, EU:C:2022:969, point 37 et jurisprudence citée), ce qu’il appartient également à la juridiction de renvoi de vérifier.
65 Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre à la cinquième question que l’article 45, paragraphe 2, TFUE, l’article 4 du règlement no 883/2004 ainsi que l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 492/2011 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation d’un État membre en vertu de laquelle l’octroi d’une allocation de congé de proche aidant est soumis à la condition que la personne bénéficiant des soins reçoive une allocation de dépendance d’un
certain niveau en vertu de la législation de cet État membre, à moins que cette condition ne soit objectivement justifiée par un but légitime tenant, notamment, au maintien de l’équilibre financier du régime de sécurité sociale national, et ne constitue un moyen proportionné permettant d’atteindre ce but.
Sur les sixième et septième questions
66 Par ses sixième et septième questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi interroge la Cour, en substance, sur le point de savoir si l’article 4 du règlement no 883/2004 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation ou à une jurisprudence nationale qui, d’une part, soumet l’octroi d’une allocation de congé de proche aidant et celui d’une allocation de congé de solidarité familiale à des conditions différentes et, d’autre part, ne permet pas de
requalifier une demande de congé de proche aidant en une demande de congé de solidarité familiale.
67 À cet égard, il ressort de l’article 48 TFUE, qui prévoit un système de coordination des législations des États membres, et non leur harmonisation, et sur le fondement duquel le règlement no 883/2004 a été adopté, que les différences de fond et de procédure entre les régimes de sécurité sociale de chaque État membre et, partant, dans les droits des personnes qui y sont affiliées ne sont pas touchées par cette disposition, chaque État membre restant compétent pour déterminer dans sa législation,
dans le respect du droit de l’Union, les conditions d’octroi des prestations d’un régime de sécurité sociale [arrêt du 25 novembre 2021, Finanzamt Österreich (Allocations familiales pour coopérant), C‑372/20, EU:C:2021:962, point 70 et jurisprudence citée].
68 Le règlement no 883/2004 n’organise donc pas un régime commun de sécurité sociale, mais laisse subsister des régimes nationaux distincts et a pour unique objet d’assurer une coordination entre ces derniers afin de garantir l’exercice effectif de la libre circulation des personnes. Les États membres conservent ainsi leur compétence pour aménager les systèmes respectifs de sécurité sociale [arrêt du 25 novembre 2021, Finanzamt Österreich (Allocations familiales pour coopérant), C‑372/20,
EU:C:2021:962, point 71 et jurisprudence citée].
69 En l’occurrence, il ressort de la décision de renvoi que, d’une part, les conditions d’octroi d’une allocation de congé de solidarité familiale, au titre de l’article 21c, paragraphe 3, du BPGG, diffèrent de celles prévues au paragraphe 1 de cet article pour ce qui est de l’octroi de l’allocation de congé de proche aidant en cause au principal, dès lors que l’article 21c, paragraphe 3, du BPGG n’exige pas que la personne soignée reçoive une allocation de dépendance autrichienne de niveau 3 ou
supérieur, ainsi que le prévoit l’article 21c, paragraphe 1, du BPGG.
70 D’autre part, dans une situation telle que celle en cause au principal, le service ministériel ne semble pas être appelé à procéder, conformément à la jurisprudence constante du Verwaltungsgerichtshof (Cour administrative), à l’appréciation de la demande d’allocation de congé de proche aidant dans un esprit d’application sociale du droit favorable, même si le demandeur répond aux conditions pour bénéficier d’une allocation nationale plus favorable, à savoir l’allocation de congé de solidarité
familiale au titre de l’article 21c, paragraphe 3, du BPGG.
71 Toutefois, ainsi que le soutient le gouvernement autrichien dans ses observations écrites, la conception différente de deux droits relatifs à des prestations en matière de sécurité sociale, poursuivant chacun des objectifs différents, ainsi que la manière d’invoquer ces droits devant les autorités nationales compétentes relèvent du seul ressort du droit national.
72 Il apparaît ainsi que la conception différente des conditions d’octroi d’une allocation de congé de proche aidant et d’une allocation de congé de solidarité familiale ne produit pas des effets discriminatoires au détriment des personnes qui ont fait usage de leur droit à la libre circulation.
73 Il découle de ce qui précède qu’il convient de répondre aux sixième et septième questions que l’article 4 du règlement no 883/2004 doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une réglementation ou à une jurisprudence nationale qui, d’une part, soumet l’octroi d’une allocation de congé de proche aidant et celui d’une allocation de congé de solidarité familiale à des conditions différentes et, d’autre part, ne permet pas de requalifier une demande de congé de proche aidant en une
demande de congé de solidarité familiale.
Sur les dépens
74 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (septième chambre) dit pour droit :
1) L’article 3, paragraphe 1, sous a), du règlement (CE) no 883/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, sur la coordination des systèmes de sécurité sociale,
doit être interprété en ce sens que :
la notion de « prestations de maladie », au sens de cette disposition, couvre une allocation de congé de proche aidant versée à un salarié qui assiste ou soigne un proche titulaire d’une allocation de dépendance dans un autre État membre et qui bénéficie, à ce titre, d’un congé sans solde. Par conséquent, une telle allocation relève également de la notion de « prestations en espèces », au sens de ce règlement.
2) L’article 45, paragraphe 2, TFUE, l’article 4 du règlement no 883/2004 ainsi que l’article 7, paragraphe 2, du règlement (UE) no 492/2011 du Parlement européen et du Conseil, du 5 avril 2011, relatif à la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de l’Union,
doivent être interprétés en ce sens que :
ils s’opposent à une réglementation d’un État membre en vertu de laquelle l’octroi d’une allocation de congé de proche aidant est soumis à la condition que la personne bénéficiant des soins reçoive une allocation de dépendance d’un certain niveau en vertu de la législation de cet État membre, à moins que cette condition ne soit objectivement justifiée par un but légitime tenant, notamment, au maintien de l’équilibre financier du régime de sécurité sociale national, et ne constitue un moyen
proportionné permettant d’atteindre ce but.
3) L’article 4 du règlement no 883/2004
doit être interprété en ce sens que :
il ne s’oppose pas à une réglementation ou à une jurisprudence nationale qui, d’une part, soumet l’octroi d’une allocation de congé de proche aidant et une allocation de congé de solidarité familiale à des conditions différentes et, d’autre part, ne permet pas de requalifier une demande de congé de proche aidant en une demande de congé de solidarité familiale.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : l’allemand.