CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
M. ANTHONY M. COLLINS
présentées le 6 juin 2024 ( 1 )
Affaire C‑264/23
Booking.com BV,
Booking.com (Deutschland) GmbH
contre
25hours Hotel Company Berlin GmbH,
Aletto Kudamm GmbH,
Air-Hotel Wartburg Tagungs- & Sporthotel GmbH,
Andel’s Berlin Hotelbetriebs GmbH,
Angleterre Hotel GmbH & Co. KG,
Atrium Hotelgesellschaft mbH,
Azimut Hotelbetrieb Köln GmbH & Co. KG,
Barcelo Cologne GmbH,
Business Hotels GmbH,
Cocoon München GmbH,
DJC Operations GmbH,
Dorint GmbH,
Eleazar Novum GmbH,
Empire Riverside Hotel GmbH & Co. KG,
Explorer Hotel Fischen GmbH & Co. KG,
Explorer Hotel Nesselwang GmbH & Co. KG,
Explorer Hotel Schönau GmbH & Co. KG,
Fleming’s Hotel Management und Servicegesellschaft mbH & Co. KG,
G. Stürzer GmbH Hotelbetriebe,
Hotel Bellevue Dresden Betriebs GmbH,
Hotel Europäischer Hof W.A.L. Berk GmbH & Co KG,
Hotel Hafen Hamburg. Wilhelm Bartels GmbH & Co. KG,
Hotel John F GmbH,
Hotel Obermühle GmbH,
Hotel Onyx GmbH,
Hotel Rubin GmbH,
Hotel Victoria Betriebs- und Verwaltungs GmbH,
Hotel Wallis GmbH,
i31 Hotel GmbH,
IntercityHotel GmbH,
ISA Group GmbH,
Kur-Cafe Hotel Allgäu GmbH,
Lindner Hotels AG,
M Privathotels GmbH & Co. KG,
Maritim Hotelgesellschaft mbH,
MEININGER Shared Services GmbH,
Oranien Hotelbetriebs GmbH,
Platzl Hotel Inselkammer KG,
prize Deutschland GmbH,
Relexa Hotel GmbH,
SANA BERLIN HOTEL GmbH,
SavFra Hotelbesitz GmbH,
Scandic Hotels Deutschland GmbH,
Schlossgarten Hotelgesellschaft mbH,
Seaside Hotels GmbH & Co. KG,
SHK Hotel Betriebsgesellschaft mbH,
Steigenberger Hotels GmbH,
Sunflower Management GmbH & Co. KG,
The Mandala Hotel GmbH,
The Mandala Suites GmbH,
THR Hotel am Alexanderplatz Berlin Betriebs- und Management GmbH,
THR III Berlin Prager-Platz Hotelbetriebs- und Beteiligungsgesellschaft mbH,
THR München Konferenz und Event Hotelbetriebs- und Management GmbH,
THR Rhein/Main Hotelbetriebs- und Beteiligungs-GmbH,
THR XI Berlin Hotelbetriebs- und Beteiligungsgesellschaft mbH,
THR XXX Hotelbetriebs- und Beteiligungs-GmbH,
Upstalsboom Hotel + Freizeit GmbH & Co. KG,
VI VADI HOTEL Betriebsgesellschaft mbH & Co. KG,
Weissbach Hotelbetriebsgesellschaft mbH,
Wickenhäuser & Egger AG,
Wikingerhof GmbH & Co. KG,
Hans-Hermann Geiling (Hotel Präsident),
Karl Herfurtner, Hotel Stadt München e.K.
[demande de décision préjudicielle formée par le rechtbank Amsterdam (tribunal d’Amsterdam, Pays-Bas)]
« Renvoi préjudiciel – Concurrence – Accords entre entreprises – Contrats entre des hôtels et une plateforme de réservation d’hôtel en ligne – Clauses de parité de prix – Article 101 TFUE – Restrictions accessoires – Exemption par catégorie – Accords verticaux – Règlement (UE) no 330/2010 – Définition du marché »
I. Introduction
1. Dans le présent renvoi, la Cour est appelée à répondre à deux questions nouvelles et importantes que suscite l’application du droit de la concurrence aux marché numériques. Les clauses de parité de prix étendue et restreinte sont-elles des restrictions accessoires aux fins de l’article 101, paragraphe 1, TFUE ? Dans le contexte des plateformes numériques bifaces telles que Booking.com, quels sont les principes juridiques applicables à la définition du marché de produits en cause ?
II. Le litige au principal, la demande de décision préjudicielle et la procédure devant la Cour
2. Booking.com BV, une société constituée en 1996 aux Pays-Bas, exploite, sous le même nom, une plateforme de réservation d’hôtel en ligne ( 2 ). Booking.com agit en tant qu’intermédiaire entre les fournisseurs de services hôteliers et les clients finals. Elle ne fixe pas le prix auquel les chambres d’hôtel sont offertes à travers sa plateforme. Les clients finals ne paient pas de redevance pour l’utilisation de Booking.com. Lorsqu’un client final fait une réservation à travers Booking.com, les
hôtels versent une commission à cette plateforme. Les clients finals peuvent réserver des chambres d’hôtel directement auprès des hôtels (par téléphone, par courrier électronique ou sur les sites Internet des hôtels) ou par l’entremise d’une agence de voyages traditionnelle. À travers sa plateforme, Booking.com propose des chambres d’hôtel dans plus de 1,2 million d’établissements dans le monde entier.
3. Lors de l’arrivée de Booking.com sur le marché allemand en 2006, il n’était pas courant de réserver un hôtel en ligne et la plupart des réservations de chambres d’hôtel s’effectuaient directement auprès des établissements. D’autres OTA, dont Hotel Reservation Service Robert Ragge GmbH (ci-après « HRS ») et Expedia Inc., opéraient en Allemagne. Ces OTA inséraient dans leurs contrats avec les hôtels des clauses de parité de prix étendue. Ces clauses empêchaient les hôtels de proposer des chambres à
un prix inférieur sur leurs propres canaux de vente directe et tout autre canal de vente, y compris les OTA concurrents.
4. En 2010, le Bundeskartellamt (Autorité fédérale de la concurrence, Allemagne) a ouvert une enquête sur HRS et les clauses de parité de prix étendue qu’elle appliquait. Le 20 décembre 2013, il a adopté une décision constatant que les clauses de parité de prix étendue figurant dans les contrats conclus entre HRS et les hôtels enfreignaient l’article 101 TFUE et la disposition équivalente du droit allemand (ci‑après la « décision HRS »). En 2013, l’Autorité fédérale de la concurrence a également
ouvert une enquête sur Booking.com et les clauses de parité de prix étendue qu’elle insérait dans ses contrats.
5. Par jugement du 9 janvier 2015, l’Oberlandesgericht Düsseldorf (tribunal régional supérieur de Düsseldorf, Allemagne) a rejeté un recours en annulation formé contre la décision HRS (ci-après le « jugement HRS »). HRS n’a pas fait appel de cette décision qui est devenue définitive.
6. Au mois de juillet 2015, après avoir consulté les autorités françaises, italiennes et suédoises de la concurrence, Booking.com a résilié les clauses de parité de prix étendue qu’elle avait insérées jusque-là dans tous ses contrats. Elle les a remplacées par des clauses de parité de prix restreinte. Ces dernières empêchent les hôtels d’offrir des chambres à un prix inférieur sur leurs canaux de vente directe.
7. Le 22 décembre 2015, l’Autorité fédérale de la concurrence a considéré que les clauses de parité de prix restreinte étaient contraires à l’article 101 TFUE et à la disposition équivalente du droit allemand (ci‑après la « décision Booking.com »). Elle a estimé que ces clauses restreignaient la concurrence sur le marché de la fourniture de services d’hébergement hôtelier et, en pratique, sur le marché de la fourniture, par les plateformes, de services d’intermédiation en ligne aux hôtels ( 3 ). Vu
l’importance de la part de marché de Booking.com, ces clauses n’ont pas bénéficié d’une exemption au titre du règlement (UE) no 330/2010 de la Commission, du 20 avril 2010, concernant l’application de l’article 101, paragraphe 3, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne à des catégories d’accords verticaux et de pratiques concertées ( 4 ) (ci-après l’« ancien règlement d’exemption par catégorie sur les accords verticaux »). Les conditions d’application d’une exemption individuelle au
titre de l’article 101, paragraphe 3, TFUE n’étaient pas non plus réunies.
8. Par arrêt du 4 juin 2019, l’Oberlandesgericht Düsseldorf (tribunal régional supérieur de Düsseldorf) a considéré que les clauses de parité de prix restreinte constituaient une restriction de la concurrence, mais étaient nécessaires pour éviter le parasitisme. Ces clauses empêchaient les hôtels de recourir à Booking.com pour atteindre les clients et les inciter par la suite à réserver directement chez eux. L’Oberlandesgericht Düsseldorf (tribunal régional supérieur de Düsseldorf) a conclu que de
telles clauses constituaient des restrictions accessoires n’enfreignant pas l’article 101, paragraphe 1, TFUE. Il a donc annulé la décision Booking.com.
9. Le 18 mai 2021, le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice, Allemagne) a réformé ce jugement et confirmé la décision Booking.com. Il a indiqué que les clauses de parité de prix restreinte ont réduit la concurrence sur le marché de la fourniture de services d’hébergement hôtelier. À ses yeux, ces clauses n’étaient pas exemptées au titre de l’ancien règlement d’exemption par catégorie sur les accords verticaux et ne constituaient pas des restrictions accessoires. La mise en balance des effets
pro- et anticoncurrentiels des clauses de parité de prix restreinte doit être effectuée dans le cadre d’une analyse individuelle au titre de l’article 101, paragraphe 3, TFUE. Le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice) a conclu que de telles clauses n’étaient pas objectivement nécessaires à la réalisation d’une opération principale dès lors qu’il n’était pas établi que, en leur absence, la rentabilité de Booking.com serait compromise.
10. En 2020, Hotelverband Deutschland (IHA) eV, une association représentant plus de 2600 hôtels, a saisi le Landgericht Berlin (tribunal régional de Berlin, Allemagne) d’une action en responsabilité dirigée contre Booking.com.
11. Le 23 octobre 2020, Booking.com a saisi le rechtbank Amsterdam (tribunal d’Amsterdam, Pays-Bas) d’une demande visant à faire constater que ses clauses de parité de prix n’enfreignaient pas l’article 101 TFUE. Dans le cadre de cette action déclaratoire, 62 hôtels allemands ont formé une demande reconventionnelle en dommages et intérêts contre Booking.com pour infraction à l’article 101 TFUE (ci‑après les « hôtels demandeurs sur reconvention »). Deux points principaux sont en litige devant ce
tribunal.
12. Premièrement, les clauses de parité de prix constituent-elles une restriction accessoire aux fins de l’article 101, paragraphe 1, TFUE ? Booking.com soutient que les clauses de parité de prix étendue et restreinte sont des restrictions accessoires en ce qu’elles empêchent les hôtels d’utiliser ses services sans les rémunérer et préviennent ainsi le parasitisme. Les hôtels demandeurs sur reconvention font valoir que l’élimination des clauses en 2016 n’a pas eu d’effets négatifs sensibles sur les
activités de Booking.com, démontrant ainsi le risque limité de parasitisme.
13. Le rechtbank Amsterdam (tribunal d’Amsterdam) relève, en outre, qu’il existe des divergences de vues sur l’attitude à adopter face aux clauses de parité de prix, comme en attestent les positions différentes de l’Autorité fédérale de la concurrence et de l’Oberlandesgericht Düsseldorf (tribunal régional supérieur de Düsseldorf). Il ajoute que la législation nationale en Belgique, en France, en Italie et en Autriche interdit les clauses de parité de prix étendue et restreinte.
14. Deuxièmement, le rechtbank Amsterdam (tribunal d’Amsterdam) relève que, si les clauses de parité de prix ne constituent pas des restrictions accessoires, il y a lieu de définir le marché de produits en cause afin d’examiner si l’ancien règlement d’exemption par catégorie sur les accords verticaux s’appliquait. Il rappelle que, selon l’ancienne communication de la Commission sur la définition du marché en cause aux fins du droit [de l’Union] de la concurrence ( 5 ), il y a lieu, pour définir un
marché de produits en cause, d’examiner le caractère interchangeable du côté de la demande et de l’offre ( 6 ).
15. Booking.com fait valoir que le marché de produits en cause est le marché de la distribution et de la réservation d’hébergement hôtelier, qui est un marché biface. Les différents canaux de distribution, en ligne et hors ligne, sont interchangeables avec les hôtels et les clients finals, et appartiennent donc au même marché de produits en cause. Selon un rapport économique commandé par Booking.com, 62 % des clients finals allemands ont utilisé entre deux et quatre sites Internet pour rechercher un
hébergement hôtelier en 2014. Parmi les clients finals qui recouraient à des OTA pour rechercher un hébergement hôtelier, 46 % utilisaient également des métamoteurs de recherche. En 2015, 60 % des réservations d’hôtel ont été effectuées hors ligne.
16. Les hôtels demandeurs sur reconvention soutiennent, en revanche, que les OTA exercent leur activité sur un marché distinct dès lors qu’ils offrent des services de recherche, de comparaison et de réservation. La distribution hors ligne des services hôteliers et les canaux de vente directe des hôtels ne font donc pas partie du même marché en cause.
17. Le rechtbank Amsterdam (tribunal d’Amsterdam) évoque une contradiction apparente entre l’argument selon lequel les canaux de vente directs des hôtels constituent un marché distinct et l’affirmation selon laquelle les clauses de parité de prix étroite restreignent la concurrence entre les OTA, comme Booking.com, et les canaux de vente directs des hôtels. Il relève que la décision C(2011) 3913 finale de la Commission du 30 mai 2011 (affaire COMP/M.6163 – AXA/PERMIRA/OPODO/GO VOYAGES/EDREAMS)
semble corroborer la position de Booking.com en estimant que la distribution en ligne de billets d’avion par l’intermédiaire des OTA et par les sites propres des compagnies aériennes s’inscrit dans le même marché.
18. D’après le document intitulé « Summary of the stakeholder consultation to the Evaluation of the Market Definition Notice », du 18 décembre 2020 (ci-après la « synthèse de la consultation des milieux intéressés ») ( 7 ), la manière de définir les marchés multilatéraux ne fait pas l’unanimité dans les publications économiques ou dans la jurisprudence des autorités de la concurrence. Il y a une controverse sur la question de savoir s’ils doivent être définis comme une pluralité de marchés en cause
(chaque face de la plateforme correspondant à un marché) ou comme un marché unique (englobant toutes les faces de la plateforme) ( 8 ).
19. C’est dans ce contexte que le rechtbank Amsterdam (tribunal d’Amsterdam) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) Les clauses de parité étendue et restreinte doivent-elles être qualifiées de “restriction accessoire” aux fins de l’article 101, paragraphe 1, TFUE ?
2) Dans le cadre de l’application du règlement [no 330/2010], comment le marché en cause doit-il être défini lorsque les transactions sont conclues par l’intermédiaire d’une plateforme [d’OTA] sur laquelle des établissements d’hébergement peuvent offrir des chambres et entrer en contact avec des voyageurs, qui peuvent réserver une chambre par l’intermédiaire de ladite plateforme ? »
20. Booking.com, les gouvernements allemand, grec, espagnol et autrichien, ainsi que la Commission européenne ont présenté des observations écrites. Lors de l’audience du 29 février 2024, Booking.com, les hôtels demandeurs sur reconvention, les gouvernements allemand et espagnol ainsi que la Commission ont été entendus en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par la Cour.
III. Appréciation
A. Recevabilité
21. Les hôtels demandeurs sur reconvention et le gouvernement allemand contestent la recevabilité du renvoi préjudiciel.
22. Premièrement, ils soutiennent que la demande de décision préjudicielle est irrecevable en ce qu’elle ne remplit pas les conditions requises par l’article 94 du règlement de procédure de la Cour. La décision de renvoi ne contient pas tous les éléments de fait pertinents, et ne signale pas en particulier que, les décisions Booking.com et HRS ont déjà répondu aux deux questions posées par la juridiction de renvoi. Les juridictions allemandes ont confirmé ces décisions qui sont devenues définitives.
Les hôtels demandeurs sur reconvention considèrent que la juridiction de renvoi est liée par les points tranchés dans ces décisions, et le gouvernement allemand, quant à lui, soutient que ces décisions constituent au moins un commencement de preuve de l’existence d’une infraction.
23. Deuxièmement, les hôtels demandeurs sur reconvention prétendent que les questions sont purement hypothétiques dès lors que la juridiction de renvoi est liée par les appréciations des juridictions allemandes. Dans le même ordre d’idées, le gouvernement allemand estime que les questions ne sont pas nécessaires dès lors que la décision Booking.com et la décision HRS, confirmées par les juridictions allemandes, dissipent tout doute quant à l’interprétation du droit de l’Union.
24. Troisièmement, les questions préjudicielles sont irrecevables dans la mesure où elles portent non pas sur l’interprétation du droit de l’Union, mais sur son application. Il est impossible de répondre de manière abstraite à la question de savoir si les clauses de parité de prix étendue et restreinte sont des restrictions accessoires, c’est-à-dire en s’affranchissant des circonstances de fait et de droit et du contexte économique dans lequel elles s’appliquent. La définition d’un marché en cause
n’est pas une notion juridique ; elle requiert plutôt une appréciation de fait.
25. Selon une jurisprudence constante, la procédure instituée à l’article 267 TFUE est un instrument de coopération entre la Cour de justice et les juridictions nationales, grâce auquel la première fournit aux secondes les éléments d’interprétation du droit de l’Union qui leur sont nécessaires pour la solution du litige qu’elles sont appelées à trancher. Dans le cadre de cette coopération, il appartient au seul juge national, qui est saisi du litige et qui doit assumer la responsabilité de la
décision juridictionnelle à rendre, d’apprécier tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour. En conséquence, dès lors que les questions posées portent sur l’interprétation du droit de l’Union, la Cour est, en principe, tenue de statuer ( 9 ).
26. Il s’ensuit que les questions relatives à l’interprétation du droit de l’Union posées par un juge national dans le cadre réglementaire et factuel qu’il définit sous sa responsabilité, et dont il n’appartient pas à la Cour de vérifier l’exactitude, bénéficient d’une présomption de pertinence. Le rejet par la Cour d’une demande formée par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée du droit de l’Union n’a aucun rapport avec la
réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées ( 10 ).
27. En ce qui concerne le premier moyen d’irrecevabilité de la demande de décision préjudicielle, la décision de renvoi fournit des informations de fait et de droit, et sur la procédure qui sont suffisantes pour permettre à la Cour de répondre aux questions posées. Elle donne notamment des précisions sur la décision HRS, la décision Booking.com et sur les arrêts que les juridictions allemandes ont rendus sur ces décisions.
28. En ce qui concerne la pertinence de ces décisions et des arrêts ultérieurs des juridictions allemandes pour l’affaire portée devant la juridiction de renvoi, le champ d’application matériel de la directive 2014/104/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 novembre 2014, relative à certaines règles régissant les actions en dommages et intérêts en droit national pour les infractions aux dispositions du droit de la concurrence des États membres et de l’Union européenne ( 11 ), est limité aux
actions en indemnisation pour des dommages causées par des infractions aux règles de concurrence. Elle ne s’applique pas à d’autres types d’actions tirées d’infractions au droit de la concurrence ( 12 ), telles que les actions déclaratoires en constatation de l’absence d’infraction, lorsque de telles actions existent en droit national. Il ressort du dossier que Booking.com demande à la juridiction de renvoi de constater que ses clauses de parité de prix n’enfreignaient pas les règles de
concurrence, tandis que les hôtels ont saisi cette juridiction par voie reconventionnelle d’une action en indemnisation contre Booking.com. Du fait de cette demande reconventionnelle, l’affaire portée devant la juridiction de renvoi relève du champ d’application matériel de la directive 2014/104.
29. Aux termes de l’article 9, paragraphe 1, de la directive 2014/104, une infraction au droit de la concurrence constatée par une décision définitive d’une autorité nationale de la concurrence ou par une instance de recours doit être considérée comme établie de manière irréfragable aux fins d’une action en indemnisation portée devant une juridiction du même État membre ( 13 ). L’article 9, paragraphe 2, de la directive 2014/104 régit la situation qui se présente dans le contexte de la présente
affaire. Lorsqu’une action en indemnisation est portée devant les juridictions d’un État membre pour le dommage causé par une infraction aux règles de la concurrence, ces juridictions sont tenues de prendre en compte des décisions définitives adoptées dans un autre État membre en tant que commencement de preuve de l’existence d’une infraction aux règles de concurrence, sans préjudice de la faculté d’apporter la preuve contraire ( 14 ). La juridiction de renvoi n’est donc pas liée par les points
tranchés dans la décision Booking.com, dans la décision HRS ou dans les arrêts ultérieurs des juridictions allemandes. Le fait que ces décisions puissent constituer un commencement de preuve de l’existence d’une infraction n’affecte pas la recevabilité du renvoi préjudiciel.
30. Le second moyen d’irrecevabilité du renvoi préjudiciel peut être rejeté pour des raisons similaires. Les questions de la juridiction de renvoi ne sont pas hypothétiques dès lors que les décisions précitées ne la lient pas. L’existence de ces décisions n’implique pas non plus qu’il ne soit pas nécessaire que la Cour réponde aux questions qui lui ont été adressées dès lors qu’elle est l’interprète ultime du droit de l’Union ( 15 ).
31. Enfin, dans le cadre de la procédure de l’article 267 TFUE, la Cour n’est pas habilitée à appliquer les règles du droit de l’Union aux faits d’une affaire déterminée, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de faire. La Cour peut toutefois, à partir des éléments du dossier, fournir à la juridiction nationale les éléments d’interprétation du droit de l’Union qui pourraient lui être utiles dans l’appréciation des effets de telle ou telle disposition de celui-ci ( 16 ).
32. En l’occurrence, les questions posées par la juridiction de renvoi portent sur l’interprétation du droit de l’Union, à savoir la notion de « restrictions accessoires » et les principes juridiques encadrant la définition des marchés en cause sur lesquels opèrent les OTA dans le secteur hôtelier.
33. Par ces motifs, j’invite la Cour à rejeter les différents moyens d’irrecevabilité du renvoi préjudiciel.
B. Sur le fond
1. Sur la première question préjudicielle
a) Observations des parties
34. En ce qui concerne les clauses de parité de prix étendue, la Commission considère que la décision HRS et le jugement HRS constituent des indices montrant que de telles clauses sont en principe contraires à l’article 101, paragraphe 1, TFUE en ce qu’elles restreignent la concurrence tant entre les OTA qu’entre les hôtels. Tel est le cas même si Booking.com n’était pas partie à cette procédure en sorte que l’article 9, paragraphe 2, de la directive 2014/104 ne s’applique pas.
35. En ce qui concerne les clauses restrictives de parité de prix, la Commission fait valoir que la décision Booking.com et l’arrêt subséquent du Bundesgerichsthof (Cour fédérale de justice), concluant que de telles clauses restreignent la concurrence entre les hôtels et les OTA, constituent, en vertu de l’article 9, paragraphe 2, de la directive 2014/104, un commencement de preuve qu’il y a eu infraction aux règles de concurrence. Selon la Commission, rien n’indique que les autorités allemandes
aient statué sur les clauses de parité de prix étendue et restreinte au terme d’une analyse juridique erronée ou en ayant dénaturé les éléments de preuve.
36. Selon la Commission, une restriction sera qualifiée d’« accessoire » à deux conditions. Premièrement, la restriction doit être objectivement nécessaire à la réalisation d’une opération principale qui serait impossible en l’absence de la restriction accessoire. Cette opération principale doit avoir des effets positifs ou, à tout le moins, être neutre du point de vue de la concurrence. Deuxièmement, la restriction accessoire doit être proportionnée aux buts poursuivis par l’opération principale.
Dans ses observations, la Commission se concentre sur la première de ces conditions. Elle estime que l’activité principale en l’espèce, à savoir la fourniture de services d’intermédiation en ligne par des OTA aux hôtels, a des effets positifs. Elle accroît la concurrence entre les hôtels et permet aux clients finals de rechercher et de comparer des offres concurrentes de services hôteliers. La Commission ajoute que les autorités allemandes semblent avoir appliqué le juste critère juridique en
cherchant à établir si les clauses de parité de prix sont objectivement nécessaires. Bien qu’il n’appartienne pas à la Commission de substituer sa propre appréciation à celle des autorités de la concurrence et des juridictions nationales dans le cadre de renvois préjudiciels, rien n’indique que l’absence de clauses de parité de prix compromette la survie économique de Booking.com. Même si des clauses de parité de prix restreinte peuvent être utiles pour prévenir le parasitisme, cette analyse
s’inscrit dans le cadre de l’application de l’article 101, paragraphe 3, TFUE à des circonstances individuelles ( 17 ).
37. Selon les hôtels demandeurs sur reconvention, ainsi que les gouvernements allemand, grec et autrichien, les clauses de parité de prix ne pourraient être qualifiées de « restrictions accessoires » que si elles sont indispensables pour assurer la viabilité de Booking.com. Il ne suffit pas de montrer que les activités de Booking.com peuvent être moins rentables. Ils estiment que les clauses de parité de prix ne sont pas des restrictions accessoires parce qu’elles ne sont pas objectivement
nécessaires. Premièrement, Booking.com a inséré des clauses de parité de prix quelques années après son arrivée réussie sur le marché allemand. Deuxièmement, Booking.com n’a cessé de renforcer sa position sur le marché en Allemagne après avoir abandonné de telles clauses ( 18 ). Troisièmement, Booking.com fait valoir qu’elle n’a pas cherché à faire respecter les clauses de parité de prix alors que de nombreux hôtels ne les respectaient pas.
38. Les hôtels demandeurs sur reconvention et le gouvernement grec font encore valoir que les clauses de parité de prix sont disproportionnées en ce que Booking.com pourrait protéger ses intérêts commerciaux légitimes par des moyens différents. Elle pourrait, par exemple, facturer aux hôtels une redevance de référencement (« listing fee ») ou réclamer aux clients finals une rémunération par visite (« pay per click »).
39. Les gouvernements allemand et grec considèrent que les clauses de parité de prix étendue sont des restrictions exclues au titre de l’article 5, paragraphe 1, sous d), du nouveau règlement d’exemption par catégorie sur les accords verticaux. Cette disposition démontre que de telles clauses ne sont pas des restrictions accessoires et que leur compatibilité avec les règles de concurrence requiert une appréciation individuelle au titre de l’article 101, paragraphe 3, TFUE. Des clauses de parité de
prix restreinte peuvent toutefois relever du champ d’application du nouveau règlement d’exemption par catégorie sur les accords verticaux, pour autant que les seuils de part de marché et les autres conditions applicables soient respectés.
40. Le gouvernement espagnol propose une appréciation différente des clauses de parité de prix étendue et restreinte. Étant donné que les clauses de parité de prix étendue ont des effets particulièrement néfastes sur la concurrence, elles constituent des restrictions de concurrence par objet, ce qui devrait conduire à les assimiler à des restrictions caractérisées au sens de l’article 4 du nouveau règlement d’exemption par catégorie sur les accords verticaux. En revanche, le nouveau règlement
d’exemption par catégorie sur les accords verticaux peut exempter les clauses de parité de prix restreinte lorsque les entreprises concernées ne dépassent pas le seuil de 30 % de part de marché. En cas de dépassement de ces seuils de part de marché, il y aura lieu de procéder à un examen individuel de la compatibilité des clauses de parité de prix restreinte. Le gouvernement espagnol n’exclut pas que, dans cette hypothèse, de telles clauses puissent être qualifiées de « restrictions
accessoires » dans la mesure où elles sont nécessaires pour empêcher le parasitisme, pour autant qu’il n’existe pas de moyen de rechange moins restrictif pour atteindre cet objectif.
41. Booking.com donne deux raisons pour lesquelles les clauses de parité de prix étendue et restreinte sont des restrictions accessoires. Premièrement, les clauses de parité de prix étaient directement liées à la mise en œuvre des contrats principaux entre Booking.com et les hôtels, qui ont eu une incidence positive sur la concurrence et ont bénéficié aux hôtels et aux clients finals. Grâce à la plateforme de Booking.com, les hôtels ont acquis une plus grande visibilité et sont parvenus à atteindre
un plus grand nombre de clients finals dans le monde. Les clients finals obtiennent un accès à une plus grande offre d’hôtels et sont en mesure de comparer et de réserver un hébergement de manière simple et efficace. La plateforme de Booking.com a accru la concurrence entre les hôtels, ce qui a conduit à une baisse des prix pour les clients finals.
42. Deuxièmement, compte tenu de l’importance de ses investissements dans la création, le développement et la promotion de sa plateforme, les clauses de parité de prix constituaient une nécessité objective pour protéger le modèle commercial de Booking.com. Les hôtels ne paient pas de redevance pour offrir leurs chambres sur la plateforme de Booking.com. Ils n’en payent qu’à partir du moment où un client réserve une chambre à travers Booking.com et ne l’annule pas. Les clients finals utilisent
gratuitement les services de Booking.com. Les clauses de parité de prix étaient indispensables pour empêcher les hôtels de se livrer à du parasitisme en faisant de la publicité sur la plateforme de Booking.com, tout en tentant d’éluder le paiement de la redevance de réservation en proposant les mêmes chambres à un prix inférieur par d’autres canaux de vente. Booking.com soutient que les clauses de parité de prix, en premier lieu, constituaient une mesure adéquate pour assurer le succès de son
modèle économique, en deuxième lieu, poursuivaient un objectif légitime et, en troisième lieu, constituaient la mesure la moins restrictive pour lutter contre le parasitisme ( 19 ).
b) Analyse
43. Par la première question, la juridiction de renvoi demande si les clauses de parité de prix étendue et restreinte qu’un OTA cherche à imposer aux hôtels en les intégrant dans les conditions auxquelles elle soumet son activité doivent être regardées comme des restrictions accessoires aux fins de l’article 101, paragraphe 1, TFUE.
44. Il découle de l’article 9, paragraphe 2, de la directive 2014/104, que la juridiction de renvoi est tenue de traiter la décision Booking.com et les décisions ultérieures des juridictions allemandes à tout le moins comme un début de preuve de ce que les clauses de parité de prix restreinte de Booking.com enfreignaient les règles de concurrence. La juridiction de renvoi peut également considérer la décision HRS, qui n’a pas été adressée à Booking.com, et la décision ultérieure des juridictions
allemandes statuant sur celle-ci comme « tout autre élément de preuve », si les parties les ont produites, pour établir si les clauses de parité de prix étendue de Booking.com enfreignaient les règles de concurrence. La juridiction de renvoi n’est pas liée par des décisions définitives adoptées dans un autre État membre lorsqu’il apparaît que ces décisions sont entachées d’une erreur de droit ou d’une erreur manifeste d’appréciation, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de déterminer.
45. Selon la jurisprudence de la Cour, si une opération ou une activité déterminée ne relève pas du principe d’interdiction prévu à l’article 101, paragraphe 1, TFUE en raison de sa neutralité ou de son effet positif sur le plan de la concurrence, une restriction de l’autonomie commerciale d’un ou de plusieurs des participants à cette opération ou à cette activité ne relève pas non plus dudit principe d’interdiction si cette restriction est objectivement nécessaire à la mise en œuvre de ladite
opération ou de ladite activité et proportionnée aux objectifs de l’une ou de l’autre ( 20 ).
46. Lorsqu’il s’agit de déterminer si une restriction contraire aux règles de concurrence peut échapper à l’interdiction inscrite à l’article 101, paragraphe 1, TFUE au motif qu’elle est accessoire par rapport à une opération principale qui n’est pas en soi contraire aux règles de concurrence, il convient de rechercher s’il serait impossible de réaliser cette opération en l’absence de cette restriction. Le fait qu’une opération soit plus difficilement réalisable, voire moins rentable, sans recourir
à une restriction, ne saurait suffire à conférer à cette restriction le caractère « objectivement nécessaire » requis pour qu’elle puisse être qualifiée d’« accessoire ». S’il en allait autrement, la notion de « restrictions accessoires » inclurait des restrictions qui ne sont pas strictement indispensables à la réalisation de l’opération principale. Un tel résultat porterait atteinte à l’effet utile de l’interdiction inscrite à l’article 101, paragraphe 1, TFUE ( 21 ). En revanche, le critère
de la nécessité objective porte sur la question de savoir si, à défaut d’une restriction déterminée de l’autonomie commerciale, une opération ou une activité principale qui ne relève pas de l’interdiction inscrite à l’article 101, paragraphe 1, TFUE et par rapport à laquelle cette restriction est secondaire risque de ne pas être réalisée ou de ne pas être poursuivie ( 22 ).
47. Afin d’éviter un amalgame entre les conditions posées par la jurisprudence pour qualifier une restriction d’« accessoire » au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE et le critère du caractère indispensable, la nécessité objective d’une restriction doit être examinée à un niveau relativement abstrait. La mise en balance des effets pro- et anticoncurrentiels d’un accord se faisant dans le cadre de l’article 101, paragraphe 3, TFUE, seules les restrictions nécessaires à la réalisation de
l’opération principale en toutes circonstances ( 23 ) peuvent être réputées relever de la notion de « restrictions accessoires » ( 24 ).
48. En l’occurrence, force est de constater que la fourniture de services de réservation d’hébergement en ligne par une OTA comme Booking.com a eu des effets positifs sur la concurrence dans la mesure où cette activité accroît la concurrence entre les hôtels et permet aux clients finals de rechercher et de comparer des offres concurrentes de services d’hébergement. La véritable question est de savoir si des clauses de parité de prix étendue et/ou restreinte sont objectivement nécessaires et
proportionnées pour exercer l’activité principale en cause devant la juridiction de renvoi. Comme le soutiennent la plupart des parties à la présente procédure, les clauses de parité de prix étendue et restreinte ne semblent pas être indispensables. Il ne semble pas y avoir de lien intrinsèque entre l’activité principale des OTA et l’imposition de clauses de parité de prix. Elles n’apparaissent pas non plus être objectivement nécessaires pour assurer la viabilité économique des OTA. Les pièces
produites devant la Cour suggèrent que les OTA continuent à fournir leurs services et sont même florissantes dans plusieurs États membres après s’être vu interdire de recourir à des clauses de parité de prix. Comme l’ont fait valoir plusieurs parties à la procédure devant la Cour, des moyens alternatifs et moins restrictifs peuvent être envisagés pour atteindre l’objectif légitime d’empêcher le parasitisme, par exemple en facturant aux hôtels une redevance de référencement. Il est donc douteux
que les clauses de parité de prix étendue et restreinte remplissent le critère de proportionnalité auquel doivent répondre les restrictions accessoires.
49. Les considérations qui précèdent sont sans préjudice de la mise en balance des effets pro- et anticoncurrentiels de telles restrictions dans le cadre d’un examen individuel au titre de l’article 101, paragraphe 3, TFUE. Éviter le parasitisme est un objectif légitime susceptible de justifier des restrictions de concurrence lorsque les conditions d’application de l’article 101, paragraphe 3, TFUE sont remplies ( 25 ). Il s’ensuit que les OTA peuvent faire valoir de tels arguments dans le cadre
prévu à l’article 101, paragraphe 3, TFUE plutôt que dans la vérification de l’existence de restrictions accessoires ( 26 ).
50. Étant donné que la question a été évoquée lors de l’audience, j’ajoute que les clauses de parité de prix étendue et restreinte ne constituent pas des restrictions caractérisées au sens de l’article 4 de l’ancien règlement d’exemption par catégorie sur les accords verticaux. L’ancien règlement d’exemption par catégorie sur les accords verticaux ne mentionne pas les clauses de parité de prix étendue ou restreinte. La restriction caractérisée visée à l’article 4, sous a), de l’ancien règlement
d’exemption par catégorie sur les accords verticaux ( 27 ) concerne les « prix de vente imposés » (« resale price maintenance »), à savoir des accords ou des pratiques concertées ayant pour objet direct ou indirect l’établissement d’un prix de revente fixe ou minimal. La notion de « prix de vente imposé » vise une restriction de la capacité de l’acheteur à déterminer son prix de revente ( 28 ). Les clauses de parité de prix étendue et restreinte fonctionnent d’une manière assez différente.
Premièrement, les OTA fournissent des services d’intermédiation aux hôtels. Ils ne fournissent pas de services d’hébergement que les hôtels revendraient aux clients finals. La notion de « prix de vente imposé » ne colle pas vraiment à ce contexte contractuel. Deuxièmement, même si l’on devait établir une analogie entre les prix de vente imposés (« resale price maintenance ») et l’imposition par les OTA d’un prix de vente fixe ou minimal pour les transactions faites à leur intervention ( 29 ),
des clauses de parité de prix étendue et restreinte n’empêchent pas les hôtels d’abaisser le prix de vente des transactions réalisées par l’entremise de ces OTA ( 30 ).
51. La thèse selon laquelle les clauses de parité de prix ne constituent pas des restrictions caractérisées aux fins de l’ancien règlement d’exemption par catégorie sur les accords verticaux est étayée par deux considérations supplémentaires tirées du nouveau règlement d’exemption par catégorie sur les accords verticaux et des lignes directrices sur les restrictions verticales de 2022 (ci-après les « nouvelles lignes directrices sur les restrictions verticales ») ( 31 ). Premièrement, l’article 5,
paragraphe 1, sous d), du nouveau règlement d’exemption par catégorie sur les accords verticaux prévoit expressément que les clauses de parité de prix étendue sont des « restrictions exclues » ( 32 ), plutôt que des restrictions caractérisées au titre de l’article 4 du nouveau règlement d’exemption par catégorie sur les accords verticaux ( 33 ). Cela semble impliquer que le nouveau règlement d’exemption par catégorie sur les accords verticaux exonère les clauses de parité de prix restreinte, qui
réduisent moins la concurrence ( 34 ). Deuxièmement, les nouvelles lignes directrices sur les restrictions verticales confirment expressément que les clauses de parité de prix restreinte peuvent bénéficier de l’exemption prévue par le nouveau règlement d’exemption par catégorie sur les accords verticaux ( 35 ).
52. Étant donné que l’ancien règlement d’exemption par catégorie sur les accords verticaux ne contient pas de disposition analogue à l’article 5, paragraphe 1, sous d), du nouveau règlement d’exemption par catégorie sur les accords verticaux, et que les clauses de parité de prix ne sont pas des restrictions caractérisées, rien ne semble en principe empêcher que l’ancien règlement d’exemption par catégorie sur les accords verticaux s’applique à la fois aux clauses de parité de prix étendue et
restreinte, pour autant que les autres conditions établies par ce règlement soient remplies.
53. J’invite donc la Cour à répondre à la première question préjudicielle en ce sens que les clauses de parité de prix étendue et restreinte qu’une OTA cherche à imposer aux hôtels dans le cadre de ses conditions commerciales ne sont pas des restrictions accessoires aux fins de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, à moins qu’elles ne soient indispensables et proportionnées pour garantir la viabilité économique de l’OTA, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de déterminer sans préjudice de son
analyse au titre de l’article 101, paragraphe 3, TFUE.
2. Sur la seconde question préjudicielle
a) Observations des parties
54. La Commission relève que, selon la décision Booking.com, devenue définitive, le marché de produits en cause était celui de la fourniture par les plateformes de services d’intermédiation en ligne aux hôtels. Les canaux de vente directs et les métamoteurs de recherche des hôtels ne faisaient pas partie de ce marché de produits en cause. La Commission, soutenue par le gouvernement allemand, fait valoir que rien n’indique que ces constatations soient entachées d’une erreur manifeste d’appréciation (
36 ). Cette décision devrait, dès lors, constituer au moins un commencement de preuve de la définition du marché en cause retenue par la juridiction de renvoi.
55. La Commission relève que le seuil de part de marché fixé à l’article 3, paragraphe 1, de l’ancien règlement d’exemption par catégorie sur les accords verticaux vise le marché en cause sur lequel le fournisseur vend les biens ou services contractuels. La Commission et le gouvernement allemand renvoient par analogie au point 67 des nouvelles lignes directrices sur les restrictions verticales.
56. Les hôtels demandeurs sur reconvention semblent remettre en cause le caractère vertical de la relation entre Booking.com et les hôtels en se référant à l’argument de cette dernière selon lequel les canaux de vente directs des hôtels sont en concurrence avec sa plateforme. Sur la base de cet argument, l’ancien règlement d’exemption par catégorie sur les accords verticaux ne s’appliquerait pas. En tout état de cause, les hôtels, soutenus par les gouvernements grec, espagnol et autrichien, font
valoir par voie reconventionnelle que les métamoteurs de recherche ne font pas partie du marché de produits en cause parce que les utilisateurs ne peuvent pas faire de réservation à travers eux. Les canaux de vente directs des hôtels ne font pas partie du marché de produits en cause, car ils ne fournissent pas de fonctionnalités de recherche et de comparaison.
57. Booking.com fait valoir que le marché de produits en cause doit inclure la pression de la concurrence exercée directement et indirectement par les chaînes de vente en ligne et hors ligne, y compris les sites des hôtels. Le fait que les clients se livrent à du multi‑hébergement, en réservant un hébergement hôtelier par l’intermédiaire de canaux de vente hors ligne et en ligne, y compris des OTA, des métamoteurs de recherche et des canaux de vente directs des hôtels, abonde en ce sens.
Indépendamment du canal de vente, le service proposé aux clients finals est le même, à savoir une chambre d’hôtel. Si les clients ne risquaient pas de réserver des chambres d’hôtel par d’autres canaux de vente, les clauses de parité de prix ne seraient pas nécessaires d’un point de vue commercial.
b) Analyse
58. Par sa seconde question, la juridiction de renvoi demande comment le marché de produits en cause devrait être défini par rapport aux activités d’un OTA qui agit comme intermédiaire entre des hôtels et des clients finals aux fins de l’application de l’article 3, paragraphe 1, du règlement d’exemption par catégorie sur les accords verticaux.
59. À titre d’observation liminaire, je relève que l’argument avancé par les hôtels demandeurs sur reconvention selon lequel la relation entre les hôtels et Booking.com n’est pas verticale et selon lequel l’ancien règlement d’exemption par catégorie sur les accords verticaux ne s’applique pas à ce type de situation semble procéder d’une conception erronée.
60. L’article 1er, paragraphe 1, sous a), de l’ancien règlement d’exemption par catégorie sur les accords verticaux définit un « accord vertical » comme un accord ou une pratique concertée entre deux ou plusieurs entreprises opérant chacune, aux fins de l’accord ou de la pratique concertée, à un niveau différent de la chaîne de production ou de distribution, et relatif aux conditions auxquelles les parties peuvent acheter, vendre ou revendre certains biens ou services ( 37 ). Une entreprise, telle
que Booking.com, qui fournit des services d’intermédiation à des hôtels afin d’atteindre des clients finals qui recherchent des services d’hébergement hôtelier, relève parfaitement de cette définition dès lors que, aux fins de cet accord, Booking.com et les hôtels opèrent à des niveaux différents des chaînes de production et de distribution.
61. Une autre question juridique est de savoir si l’ancien règlement d’exemption par catégorie sur les accords verticaux est ou non applicable parce que la plateforme de Booking.com est en concurrence avec les canaux de vente directs des hôtels. Aux termes de l’article 2, paragraphe 4, de l’ancien règlement d’exemption par catégorie sur les accords verticaux, l’exemption prévue à l’article 2, paragraphe 1, ne s’applique pas aux accords verticaux conclus entre entreprises concurrentes. Cette
disposition connaît une exception : l’exemption par catégorie s’applique lorsque des entreprises concurrentes concluent un accord vertical non réciproque et que le fournisseur est un prestataire de services à plusieurs niveaux d’activité commerciale, tandis que l’acheteur fournit ses biens ou services au stade de la vente au détail et n’est pas une entreprise concurrente au niveau de l’activité commerciale où il achète les services contractuels ( 38 ). Cette exception couvre les situations de
« double distribution », c’est-à-dire celles dans lesquelles un fournisseur vend non seulement ses services par l’intermédiaire de distributeurs indépendants, mais les revend aussi directement à des clients finals en concurrence avec ses distributeurs indépendants ( 39 ). Il s’ensuit que, à supposer même que la plateforme de Booking.com et les canaux de vente directs des hôtels soient considérés comme des concurrents réels ou potentiels sur le même marché de produits en cause ( 40 ), la
situation dans laquelle les hôtels vendent leurs chambres par l’entremise d’OTA et également à travers leurs propres sites Internet relève de l’article 2, paragraphe 4, de l’ancien règlement d’exemption par catégorie sur les accords verticaux. Contrairement à l’argument avancé par les hôtels demandeurs sur reconvention, l’ancien règlement d’exemption par catégorie sur les accords verticaux s’applique donc.
62. Cette conclusion apparaît encore plus nettement lorsqu’elle est examinée dans le cadre du nouveau règlement d’exemption par catégorie sur les accords verticaux et des nouvelles lignes directrices sur les restrictions verticales. L’article 1er, paragraphe 1, sous e), ii), du nouveau règlement d’exemption par catégorie sur les accords verticaux définit les « services d’intermédiation en ligne » comme les services de la société de l’information qui permettent aux entreprises d’offrir des biens ou
des services aux consommateurs finals, en vue de faciliter l’engagement de transactions directes entre ces entreprises et les consommateurs finals. L’article 2, paragraphe 4, sous b), du nouveau règlement d’exemption par catégorie sur les accords verticaux, qui concerne la double distribution, est rédigé en des termes identiques à ceux de l’article 2, paragraphe 4, sous b), de l’ancien règlement d’exemption par catégorie sur les accords verticaux. Le nouveau règlement d’exemption par catégorie
sur les accords verticaux comporte cependant un nouvel article 2, paragraphe 6, qui établit que les exceptions prévues au paragraphe 4, points a) et b), de ce règlement ne s’appliquent pas aux accords verticaux relatifs à la prestation de services d’intermédiation en ligne lorsque le prestataire des services d’intermédiation en ligne est une entreprise concurrente sur le marché en cause pour la vente des biens ou services objet de l’intermédiation ( 41 ).
63. Les points 104 à 106 des nouvelles lignes directrices sur les restrictions verticales précisent que l’objectif de l’article 2, paragraphe 6, du nouveau règlement d’exemption par catégorie sur les accords verticaux est de réduire le champ d’application de la zone de sécurité en ce qui concerne les plateformes ayant une fonction « hybride » ( 42 ). Tel peut être le cas lorsque des vendeurs de denrées alimentaires proposent leurs produits à la vente sur une place de marché en ligne, tandis que
l’exploitant de la place de marché en ligne propose simultanément ses propres produits en concurrence avec ces vendeurs. L’idée de cette exclusion est que, dans de telles circonstances, les prestataires de services d’intermédiation en ligne peuvent être incités à favoriser leurs propres ventes et la capacité d’influencer le résultat de la concurrence. Il s’ensuit que le nouveau règlement d’exemption par catégorie sur les accords verticaux continue d’exempter les prestataires de services
d’intermédiation en ligne qui n’ont pas de fonction hybride, tels qu’un OTA qui n’offre pas ses propres chambres d’hôtel sur sa plateforme.
64. En ce qui concerne la seconde question préjudicielle, j’observe que la définition du marché est un outil permettant d’identifier et de définir les limites de la concurrence entre entreprises. Son objectif principal est d’identifier de manière systématique les contraintes que la concurrence fait effectivement et immédiatement peser sur les entreprises lorsqu’elles vendent des produits spécifiques ( 43 ).
65. Selon la jurisprudence, le marché de produits en cause comprend tous les produits et/ou services que le consommateur considère comme interchangeables ou substituables en raison de leurs caractéristiques, de leur prix et de l’usage auquel ils sont destinés. La notion de « marché en cause » implique qu’une concurrence effective puisse exister entre les produits ou les services qui en font partie, ce qui suppose un degré suffisant d’interchangeabilité en vue du même usage entre tous les produits ou
les services faisant partie d’un même marché. L’interchangeabilité ou la substituabilité ne s’apprécie pas au seul regard des caractéristiques objectives des produits et des services en cause. Il faut également prendre en considération les conditions de la concurrence et de la structure de l’offre et de la demande sur le marché ( 44 ). L’interchangeabilité ou la substituabilité des produits présente un caractère dynamique et la définition du marché en cause peut évoluer au fil du temps ( 45 ).
66. Les marchés bifaces sont ceux où un opérateur économique, souvent une plateforme en ligne, relie deux groupes d’utilisateurs différents. Dans de telles circonstances, la demande d’un groupe d’utilisateurs a une influence sur la demande de l’autre groupe, ce qui donne lieu à des effets de réseau indirects ( 46 ). Parmi les exemples de ces marchés bifaces figurent une place de marché en ligne dans laquelle une plateforme regroupe des vendeurs de produits et des acheteurs d’un produit et un réseau
social professionnel qui relie les utilisateurs finals et les employeurs potentiels ( 47 ).
67. Selon la nouvelle communication sur la définition du marché en cause, en présence de plateformes multifaces, il peut être approprié de définir un marché en cause pour les produits offerts par la plateforme dans son ensemble, de manière à ce qu’il englobe l’ensemble des groupes d’utilisateurs. Il peut être approprié de définir des marchés de produits en cause distincts, quoique liés entre eux, pour les produits proposés de chaque côté de la plateforme ( 48 ). Un certain nombre de facteurs ont une
incidence sur cette détermination, notamment le fait qu’il s’agisse d’une plateforme de transaction ou d’une plateforme non transactionnelle ( 49 ).
68. Dans ce contexte, comme le font valoir à juste titre la Commission et le gouvernement allemand, la décision Booking.com et les décisions ultérieures des tribunaux allemands constituent à tout le moins un commencement de preuve permettant à la juridiction de renvoi de définir le marché en cause en vertu de l’article 9, paragraphe 2, de la directive 2014/104, conformément aux considérations émises au point 29 des présentes conclusions. Les juridictions nationales ne sont toutefois pas liées par
des décisions adoptées dans un autre État membre, notamment lorsqu’il apparaît qu’elles sont entachées d’une erreur de droit ou d’une erreur manifeste d’appréciation, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de décider.
69. Il est constant que, en l’espèce, Booking.com opère sur un marché biface en tant que fournisseur de services d’intermédiation en ligne tant aux hôtels qu’aux clients finals ( 50 ). S’il appartient à la juridiction de renvoi de déterminer s’il convient de définir un seul marché de produits en cause englobant les utilisateurs des deux côtés de la plateforme ou deux marchés de produits en cause distincts, un dans chacune des faces de la plateforme, les nouvelles lignes directrices sur les
restrictions verticales précisent que, aux fins des seuils de part de marché prévus à l’article 3, paragraphe 1, du nouveau règlement d’exemption par catégorie sur les accords verticaux ( 51 ), un fournisseur de services d’intermédiation en ligne tel que Booking.com est qualifié de « fournisseur » de ces services et une entreprise qui offre ou vend des biens ou des services par l’intermédiaire d’un prestataire de services d’intermédiation en ligne, tel qu’un hôtel, est qualifiée d’« acheteur »
pour des services d’intermédiation en ligne ( 52 ). Par conséquent, la part de marché de l’entreprise qui fournit les services d’intermédiation en ligne est calculée par référence au marché pertinent de la fourniture de ces services aux entreprises qualifiées d’« acheteuses » ( 53 ). Les nouvelles lignes directrices sur les restrictions verticales indiquent en outre que l’étendue du marché de produits en cause dépendra du degré de substituabilité entre les services d’intermédiation en ligne et
hors ligne, entre les services d’intermédiation utilisés pour différentes catégories de produits et services, et entre les services d’intermédiation et les canaux de vente directe ( 54 ).
70. Aux fins de l’application de l’article 3, paragraphe 1, de l’ancien règlement d’exemption par catégorie sur les accords verticaux à la présente affaire, il conviendra de calculer la part de marché de Booking.com en tant que fournisseur de services d’intermédiation en ligne aux hôtels. Dans ce contexte, il peut être opportun d’examiner si d’autres types de services d’intermédiation et d’autres canaux de vente sont substituables aux services d’intermédiation du point de vue des hôtels (du côté de
la demande de ces services d’intermédiation) et aux clients finals (présents de l’autre côté de cette plateforme biface) ( 55 ). Il peut donc être opportun de considérer la substituabilité des services d’agences de voyages hors ligne, des canaux de vente directs des hôtels et même d’autres services en ligne tels que ceux fournis par les métamoteurs de recherche. À cet égard, j’observe que toutes les parties à la procédure devant la juridiction de renvoi, à l’exception de Booking.com, considèrent
qu’il n’y a pas de substituabilité entre les services d’intermédiation en ligne et les canaux de vente susmentionnés, essentiellement parce qu’ils ne fournissent pas les mêmes fonctionnalités de recherche et de comparaison ainsi que la possibilité de faire une réservation ( 56 ).
71. Il appartient à la juridiction de renvoi de définir le marché de produits en cause à la lumière des considérations qui précèdent, en retenant la décision Booking.com et les décisions ultérieures des juridictions allemandes comme commencement de preuve, ainsi que tout autre élément pertinent. J’ajouterais que, selon l’arrêt du Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice) relatif à la décision Booking.com, cette dernière n’a pas critiqué, dans le cadre de ce litige, la définition du marché en
cause.
72. La juridiction de renvoi peut également s’inspirer de décisions antérieures d’autres autorités de la concurrence, telles que la décision C(2023) 6376 final de la Commission, du 25 septembre 2023, déclarant une concentration incompatible avec le marché intérieur et avec le fonctionnement de l’accord sur l’Espace économique européen (EEE) (affaire M.10615 – Booking Holdings/Traveli Group), évoquée lors de l’audience. Bien que Booking.com ait introduit un recours en annulation contre cette décision
devant le Tribunal de l’Union européenne ( 57 ), ses représentants ont indiqué en réponse à une question de la Cour à ce sujet que, nonobstant certaines réserves, elle n’avait pas spécifiquement contesté la définition du marché retenue dans cette décision.
73. Enfin, comme le fait valoir à juste titre la Commission, il n’y a pas de contradiction entre l’argument selon lequel les canaux de vente directs des hôtels constituent un marché de produits distinct et l’affirmation selon laquelle des clauses de parité de prix restreinte restreignent la concurrence entre les OTA tels que Booking.com et les canaux de vente directs des hôtels. Si la définition du marché de produits en cause vise à identifier la pression de la concurrence la plus directe ressentie
par les entreprises concernées, l’évaluation de la concurrence peut également tenir compte de formes de pression de la concurrence moins directe, telles que les contraintes de la concurrence hors marché.
74. J’invite donc la Cour à répondre à la seconde question préjudicielle en ce sens que, aux fins de l’application de l’article 3, paragraphe 1, de l’ancien règlement d’exemption par catégorie sur les accords verticaux, il est nécessaire de définir le marché de produits en cause en rapport avec les activités d’un OTA qui agit comme intermédiaire entre les hôtels et les consommateurs finals en évaluant si d’autres canaux de vente sont substituables du point de vue des hôtels et des consommateurs
finals afin de calculer la part de marché de l’OTA en tant que fournisseur de services d’intermédiation en ligne à des hôtels.
IV. Conclusion
75. Je propose à la Cour de répondre aux questions préjudicielles du rechtbank Amsterdam (tribunal d’Amsterdam, Pays-Bas) de la manière suivante :
1) L’article 101, paragraphe 1, TFUE doit être interprété en ce sens que les clauses de parité de prix étendue et restreinte qu’un agent de voyage en ligne (online travel agent ; « OTA ») cherche à imposer aux hôtels dans le cadre de ses conditions d’activité ne constituent pas des restrictions accessoires, à moins qu’elles ne soient indispensables et proportionnées pour garantir la viabilité économique de l’OTA, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de déterminer sans préjudice de son
analyse au titre de l’article 101, paragraphe 3, TFUE.
2) L’article 3, paragraphe 1, du règlement (UE) no 330/2010 de la Commission, du 20 avril 2010, concernant l’application de l’article 101, paragraphe 3, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne à des catégories d’accords verticaux et de pratiques concertées doit être interprété en ce sens qu’il est nécessaire de définir le marché de produits en cause par rapport aux activités d’un OTA qui agit comme intermédiaire entre les hôtels et les clients finals en évaluant si d’autres canaux
de vente sont substituables du point de vue des hôtels et des clients finals, afin de calculer la part de marché de l’OTA en tant que fournisseur de services d’intermédiation en ligne aux hôtels.
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( 1 ) Langue originale : l’anglais.
( 2 ) Les plateformes de réservation d’hôtel en ligne sont souvent appelées « agents de voyages en ligne » (online travel agents, ci-après les « OTA »).
( 3 ) Selon l’Autorité fédérale de la concurrence, les hôtels étaient peu incités à offrir des chambres à des prix inférieurs en recourant à d’autres OTA. Les clauses de parité de prix restreinte imposées par Booking.com aboutissaient à devoir proposer ces chambres à un prix plus élevé sur les canaux de vente directe des hôtels pour correspondre au prix proposé sur Booking.com.
( 4 ) JO 2010, L 102, p. 1. L’article 2, paragraphe 1, de l’ancien règlement d’exemption par catégorie sur les accords verticaux déclarait que, conformément à l’article 101, paragraphe 3, TFUE, et sous réserve des dispositions de ce règlement, l’article 101, paragraphe 1, TFUE ne s’appliquait pas aux accords verticaux, dans la mesure où ces accords contiennent des restrictions verticales. Cette exemption s’appliquait à la condition selon laquelle la part de marché détenue par le fournisseur ne
dépasse pas 30 % du marché en cause sur lequel il vendait les biens ou services contractuels et la part de marché détenue par l’acheteur ne dépassait pas 30 % du marché en cause sur lequel il achetait les biens ou services contractuels (article 3, paragraphe 1, de l’ancien règlement d’exemption par catégorie sur les accords verticaux). Le règlement (UE) 2022/720 de la Commission, du 10 mai 2022, concernant l’application de l’article 101, paragraphe 3, du traité sur le fonctionnement de l’Union
européenne à des catégories d’accords verticaux et de pratiques concertées (JO 2022, L 134, p. 4 ; ci-après le « nouveau règlement d’exemption par catégorie sur les accords verticaux ») a remplacé l’ancien règlement d’exemption par catégorie sur les accords verticaux.
( 5 ) JO 1997, C 372, p. 5.
( 6 ) Remplacée par la nouvelle communication de la Commission sur la définition du marché en cause aux fins du droit de la concurrence de l’Union (JO C C/2024/1645 ; ci-après la « nouvelle communication sur la définition du marché en cause »).
( 7 ) Ares (2020)7730543.
( 8 ) Synthèse de la consultation des milieux intéressés, p. 8. Bien que le rechtbank Amsterdam (tribunal d’Amsterdam) se réfère au document de travail des services de la Commission intitulé « Evaluation of the Commission Notice on the definition of relevant market for the purposes of Community competition law of 9 December 1997 [SWD (2021) 199 final] », du 12 juillet 2021 ; ci‑après le « document de travail des services de la Commission »), qui fait un constat similaire (voir p. 54), la citation
exacte figure dans la synthèse de la consultation des milieux intéressés.
( 9 ) Arrêt du 8 décembre 2016, Eurosaneamientos e.a. (C‑532/15 et C‑538/15, EU:C:2016:932, points 26 et 27 ainsi que jurisprudence citée).
( 10 ) Arrêt du 8 décembre 2016, Eurosaneamientos e.a. (C‑532/15 et C‑538/15, EU:C:2016:932, point 28).
( 11 ) JO 2014, L 349, p. 1.
( 12 ) Arrêt du 20 avril 2023, Repsol Comercial de Productos Petrolíferos (C‑25/21, EU:C:2023:298, point 31).
( 13 ) Arrêt du 20 avril 2023, Repsol Comercial de Productos Petrolíferos (C‑25/21, EU:C:2023:298, points 38 et 43).
( 14 ) Conclusions de l’avocat général Pitruzzella dans l’affaire Repsol Comercial de Productos Petrolíferos (C‑25/21, EU:C:2022:659, point 107).
( 15 ) Conclusions de l’avocat général Bot dans l’avis 1/17 (Accord ECG UE-Canada, EU:C:2019:72, point 116).
( 16 ) Arrêt du 19 novembre 2019, A. K. e.a. (Indépendance de la chambre disciplinaire de la Cour suprême) (C‑585/18, C‑624/18 et C‑625/18, EU:C:2019:982, point 132).
( 17 ) Le gouvernement grec soutient également que la notion de « restrictions accessoires », qui se rapporte à l’application de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, ne doit pas être confondue avec le bénéfice d’une exemption fondée sur l’article 101, paragraphe 3, TFUE.
( 18 ) Le gouvernement autrichien ajoute que, en dépit de l’interdiction des clauses de parité de prix sur son territoire en tant que pratique déloyale depuis 2017, les OTA ont continué à augmenter leurs parts de marché en Autriche.
( 19 ) Booking.com s’est abstenue d’imposer des obligations d’exclusivité aux hôtels à cette fin, ce qui aurait été une mesure plus restrictive.
( 20 ) Arrêts du 11 septembre 2014, MasterCard e.a./Commission (C‑382/12 P, EU:C:2014:2201, point 89) ; du 23 janvier 2018, F. Hoffmann-La Roche e.a. (C‑179/16, EU:C:2018:25, point 69), et du 26 octobre 2023, EDP – Energias de Portugal e.a. (C‑331/21, EU:C:2023:812, point 88).
( 21 ) Arrêts du 11 septembre 2014, MasterCard e.a./Commission (C‑382/12 P, EU:C:2014:2201, point 91) ; du 23 janvier 2018, F. Hoffmann-La Roche e.a. (C‑179/16, EU:C:2018:25, point 71), et du 26 octobre 2023, EDP – Energias de Portugal e.a. (C‑331/21, EU:C:2023:812, point 90).
( 22 ) Arrêt du 11 septembre 2014, MasterCard e.a./Commission (C‑382/12 P, EU:C:2014:2201, point 93).
( 23 ) Les considérations relatives à la situation de concurrence sur le marché en cause ne font dès lors pas partie de l’analyse de la nature accessoire de la restriction et doivent plutôt être prises en compte dans l’application de l’article 101, paragraphe 3, TFUE.
( 24 ) Arrêts du 18 septembre 2001, M6 e.a./Commission (T‑112/99, EU:T:2001:215, points 107 et 109), ainsi que du 24 mai 2012, MasterCard e.a./Commission (T‑111/08, EU:T:2012:260, point 89).
( 25 ) Voir, en ce sens, conclusions de l’avocat général Mazák dans l’affaire Pierre Fabre Dermo-Cosmétique (C‑439/09, EU:C:2011:113, points 39 et 40) ainsi que conclusions de l’avocat général Wahl dans l’affaire CB/Commission (C‑67/13 P, EU:C:2014:1958, point 123).
( 26 ) Les points 372 à 375 des nouvelles lignes directrices de la Commission sur les restrictions verticales (JO 2022, C 248, p. 1 ; ci-après les « nouvelles lignes directrices sur les restrictions verticales ») fournissent des indications quant à l’évaluation des obligations de parité de prix au titre de l’article 101, paragraphe 3, TFUE pour faire face au problème de parasitisme.
( 27 ) L’article 4, sous a), du nouveau règlement d’exemption par catégorie sur les accords verticaux est rédigé en des termes identiques.
( 28 ) Voir point 48 des anciennes lignes directrices de la Commission sur les restrictions verticales (JO 2010, C 130, p. 1) et point 185 des nouvelles lignes directrices sur les restrictions verticales. Un exemple de prix de vente imposé est celui où un fournisseur détermine le prix auquel un distributeur doit revendre les produits qu’il fournit.
( 29 ) Voir, en ce sens, point 67, sous c), et point 194 des nouvelles lignes directrices sur les restrictions verticales.
( 30 ) Une clause de parité de prix restreinte n’empêche pas l’hôtel X d’abaisser le prix de la chambre Y proposée à travers Booking.com. Elle exige simplement que, si l’hôtel X abaisse le prix de la chambre Y à travers son canal de vente directe (par exemple, sur son site Internet), il est aussi tenu de baisser le prix de cette chambre sur Booking.com. De même, une clause de parité de prix étendue n’empêche pas non plus l’hôtel X d’abaisser le prix de la chambre Y proposée à travers Booking.com.
Cela signifie que, si l’hôtel X abaisse le prix de la chambre Y sur une autre plateforme d’OTA, il est tenu de baisser le prix de cette chambre également sur Booking.com.
( 31 ) Pour éviter toute ambiguïté, la définition de la restriction caractérisée figurant à l’article 4, sous a), de l’ancien règlement d’exemption par catégorie sur les accords verticaux est identique à celle figurant dans l’article 4, sous a), du nouveau règlement d’exemption par catégorie sur les accords verticaux.
( 32 ) L’article 5, paragraphe 1, du nouveau règlement d’exemption par catégorie sur les accords verticaux exclut l’application du règlement à toute obligation directe ou indirecte qui amène un acheteur de services d’intermédiation en ligne à ne pas offrir, vendre ou revendre des biens ou services aux utilisateurs finals dans des conditions plus favorables par l’intermédiaire de services d’intermédiation en ligne concurrents.
( 33 ) Le point 67, sous d), et le point 253 des nouvelles lignes directrices sur les restrictions verticales confirment expressément cette proposition.
( 34 ) Voir, en ce sens, points 360 et 374 des nouvelles lignes directrices sur les restrictions verticales.
( 35 ) Voir points 254, sous a), et point 359 des nouvelles lignes directrices sur les restrictions verticales.
( 36 ) La Commission observe en outre que les autorités françaises, italiennes et suédoises de la concurrence ont défini le marché de produits en cause de manière analogue.
( 37 ) L’article 1er, paragraphe 1, sous a), du nouveau règlement d’exemption par catégorie sur les accords verticaux est rédigé en des termes identiques.
( 38 ) Article 2, paragraphe 4, sous b), de l’ancien règlement d’exemption par catégorie sur les accords verticaux.
( 39 ) Voir, à cet égard, le point 28 des anciennes lignes directrices sur les restrictions verticales.
( 40 ) Il appartient à la juridiction de renvoi de se livrer à cette appréciation au regard des considérations émises aux points 64 à 74 des présentes conclusions.
( 41 ) L’exception à l’exception signifie que, dans ces situations, le nouveau règlement d’exemption par catégorie sur les accords verticaux ne s’applique pas.
( 42 ) À cet effet, voir note explicative de la Commission sur le nouveau règlement d’exemption par catégorie sur les accords verticaux et les nouvelles lignes directrices sur les restrictions, disponibles sur son site internet : https://competition-policy.ec.europa.eu/system/files/2022‑05/explanatory_note_VBER_and_Guidelines_2022.pdf. Voir, également point 67, sous e), des nouvelles lignes directrices sur les restrictions verticales.
( 43 ) Voir point 6 de la nouvelle communication sur la définition du marché en cause.
( 44 ) Arrêts du 23 janvier 2018, F. Hoffmann-La Roche e.a. (C‑179/16, EU:C:2018:25, point 51), et du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a. (C‑307/18, EU:C:2020:52, point 129).
( 45 ) Arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a. (C‑307/18, EU:C:2020:52, point 130).
( 46 ) Voir, en ce sens, point 94 de la nouvelle communication sur la définition du marché en cause.
( 47 ) Le phénomène des effets de réseau indirects résulte du fait que plus les vendeurs proposent leurs produits à travers la place de marché en ligne, plus les acheteurs seront intéressés par cette place de marché en ligne, et inversement.
( 48 ) Voir point 95 de la nouvelle communication sur la définition du marché en cause.
( 49 ) Voir point 95 de la nouvelle communication sur la définition du marché en cause. J’observe que la nouvelle communication sur la définition du marché en cause n’a pas consacré la théorie défendue par certains spécialistes selon laquelle, en principe, un marché unique englobant tous les groupes d’utilisateurs devrait être défini lorsqu’il s’agit de plateformes de transaction (par exemple, une place de marché en ligne) et des marchés en cause distincts devraient être définis de chaque côté de la
plateforme lorsqu’il s’agit de plateformes non transactionnelles (telles qu’un réseau social). Selon la nouvelle communication sur la définition du marché en cause, il ne s’agit que d’un élément parmi d’autres à prendre en considération. La raison de cette approche semble être l’absence de consensus dans doctrine et dans la pratique des autorités de concurrence. Voir, à cet égard, le document de travail des services de la Commission intitulé, p. 54. Pour aller plus loin dans l’étude de la théorie,
voir Filistrucchi, L., Geradin, D., van Damme, E., et Affeld, P., « Market Definition in Two-sided Markets : Theory and Practice », Journal of Competition Law & Economics, 2014, vol. 10(2), p. 293‑339.
( 50 ) Du point de vue des clients finals, ces services d’intermédiation consistent en la possibilité de rechercher et de comparer les offres d’hôtel, et, en fin de compte, de faire une réservation.
( 51 ) L’article 3, paragraphe 1, du nouveau règlement d’exemption par catégorie sur les accords verticaux est rédigé en des termes identiques à ceux de l’article 3, paragraphe 1, de l’ancien règlement d’exemption par catégorie sur les accords verticaux.
( 52 ) Point 67 des nouvelles lignes directrices sur les restrictions verticales.
( 53 ) Point 67, sous b), des nouvelles lignes directrices sur les restrictions verticales.
( 54 ) Point 67, sous b), des nouvelles lignes directrices sur les restrictions verticales.
( 55 ) Comme je l’ai indiqué ci-dessus, même lorsque des marchés de produits en cause distincts sont définis sur chaque face du marché, les deux côtés sont néanmoins liés entre eux et leurs caractéristiques doivent être prises en compte réciproquement pour définir le marché en cause. Voir Filistrucchi, L., Geradin, D., van Damme, E., et Affeld, P., « Market Definition in Two‑sided Markets : Theory and Practice », Journal of Competition Law & Economics, 2014, vol. 10(2), p. 293‑339.
( 56 ) Il semble évident que les services d’agences de voyages hors ligne fournis par des opérateurs traditionnels présentent des caractéristiques et des fonctionnalités très différentes. Pour leur part, les canaux de vente directs des hôtels ne permettent pas aux clients de rechercher et de comparer les offres de différents fournisseurs. Les métamoteurs de recherche semblent également présenter des caractéristiques et des fonctionnalités différentes en ce qu’ils trouvent des offres émanant d’OTA et
de prestataires de services hôteliers, et, lorsque le client clique sur les résultats, il est redirigé vers le site web de l’OTA ou de l’hôtel en question pour faire une réservation.
( 57 ) Affaire T‑1139/23, Booking Holdings/Commission (pendante).