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20/06/2024 | CJUE | N°C-135/23

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, Gesellschaft für musikalische Aufführungs- und mechanische Vervielfältigungsrechte eV (GEMA) contre GL., 20/06/2024, C-135/23


 ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

20 juin 2024 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Propriété intellectuelle – Droit d’auteur et droits voisins – Directive 2001/29/CE – Article 3, paragraphe 1 – Communication au public – Notion – Simple fourniture d’installations – Mise à disposition dans des appartements d’appareils de télévision équipés d’une antenne d’intérieur permettant la captation de signaux et la diffusion d’émissions – Caractère lucratif – Principe de neutralité technologique »

Dans l’affaire

C‑135/23,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par l’Amtsgericht Po...

 ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

20 juin 2024 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Propriété intellectuelle – Droit d’auteur et droits voisins – Directive 2001/29/CE – Article 3, paragraphe 1 – Communication au public – Notion – Simple fourniture d’installations – Mise à disposition dans des appartements d’appareils de télévision équipés d’une antenne d’intérieur permettant la captation de signaux et la diffusion d’émissions – Caractère lucratif – Principe de neutralité technologique »

Dans l’affaire C‑135/23,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par l’Amtsgericht Potsdam (tribunal de district de Potsdam, Allemagne), par décision du 1er février 2023, parvenue à la Cour le 7 mars 2023, dans la procédure

Gesellschaft für musikalische Aufführungs- und mechanische Vervielfältigungsrechte eV (GEMA)

contre

GL,

LA COUR (première chambre),

composée de M. A. Arabadjiev, président de chambre, MM. T. von Danwitz, P. G. Xuereb, A. Kumin et Mme I. Ziemele (rapporteure), juges,

avocat général : M. M. Szpunar,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

– pour Gesellschaft für musikalische Aufführungs- und mechanische Vervielfältigungsrechte eV (GEMA), par M. F. Seifert, Rechtsanwalt,

– pour le gouvernement français, par M. R. Bénard et Mme E. Timmermans, en qualité d’agents,

– pour le gouvernement autrichien, par MM. G. Kunnert, A. Posch et Mme J. Schmoll, en qualité d’agents,

– pour la Commission européenne, par Mme J. Samnadda et M. G. von Rintelen, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 22 février 2024,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2001, sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information (JO 2001, L 167, p. 10).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Gesellschaft für musikalische Aufführungs- und mechanische Vervielfältigungsrechte eV (GEMA), une société de gestion collective des droits d’auteur, à GL, l’exploitant d’un immeuble d’appartements, au sujet de prétendues violations du droit d’auteur par ce dernier, du fait de la mise à disposition, dans des appartements qu’il exploite, d’appareils de télévision équipés d’une antenne d’intérieur permettant la captation de signaux et
la diffusion d’émissions, notamment de musique.

Le cadre juridique

Le droit international

3 L’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) a adopté à Genève, le 20 décembre 1996, le traité de l’OMPI sur le droit d’auteur (ci-après le « TDA »), qui a été approuvé au nom de la Communauté européenne par la décision 2000/278/CE du Conseil, du 16 mars 2000 (JO 2000, L 89, p. 6), et est entré en vigueur, en ce qui concerne l’Union européenne, le 14 mars 2010 (JO 2010, L 32, p. 1).

4 L’article 8 du TDA, intitulé « Droit de communication au public », dispose :

« Sans préjudice des dispositions des articles 11.1)2°), 11bis.1)1°) et 2°), 11ter.1)2°), 14.1)2°) et 14bis.1) de la [convention pour la protection des œuvres littéraires et artistiques, signée à Berne le 9 septembre 1886 (acte de Paris du 24 juillet 1971), dans sa version résultant de la modification du 28 septembre 1979], les auteurs d’œuvres littéraires et artistiques jouissent du droit exclusif d’autoriser toute communication au public de leurs œuvres par fil ou sans fil, y compris la mise à
la disposition du public de leurs œuvres de manière que chacun puisse y avoir accès de l’endroit et au moment qu’il choisit de manière individualisée. »

5 Des déclarations communes concernant le TDA ont été adoptées par la conférence diplomatique de l’OMPI le 20 décembre 1996.

6 La déclaration commune concernant l’article 8 du TDA est libellée comme suit :

« Il est entendu que la simple fourniture d’installations destinées à permettre ou à réaliser une communication ne constitue pas une communication au public au sens du présent traité ou de la [convention pour la protection des œuvres littéraires et artistiques, dans sa version résultant de la modification du 28 septembre 1979]. [...] »

Le droit de l’Union

7 Les considérants 4, 9, 10, 23 et 27 de la directive 2001/29 énoncent :

« (4) Un cadre juridique harmonisé du droit d’auteur et des droits voisins, en améliorant la sécurité juridique et en assurant dans le même temps un niveau élevé de protection de la propriété intellectuelle, encouragera des investissements importants dans des activités créatrices et novatrices [...] et favorisera ainsi la croissance et une compétitivité accrue de l’industrie européenne [...]

[...]

(9) Toute harmonisation du droit d’auteur et des droits voisins doit se fonder sur un niveau de protection élevé, car ces droits sont essentiels à la création intellectuelle. Leur protection contribue au maintien et au développement de la créativité dans l’intérêt des auteurs, des interprètes ou exécutants, des producteurs, des consommateurs, de la culture, des entreprises et du public en général. La propriété intellectuelle a donc été reconnue comme faisant partie intégrante de la propriété.

(10) Les auteurs ou les interprètes ou exécutants, pour pouvoir poursuivre leur travail créatif et artistique, doivent obtenir une rémunération appropriée pour l’utilisation de leurs œuvres, de même que les producteurs pour pouvoir financer ce travail. L’investissement nécessaire pour créer des produits, tels que des phonogrammes, des films ou des produits multimédias, et des services tels que les services à la demande, est considérable. Une protection juridique appropriée des droits de propriété
intellectuelle est nécessaire pour garantir une telle rémunération et permettre un rendement satisfaisant de l’investissement.

[...]

(23) La présente directive doit harmoniser davantage le droit d’auteur de communication au public. Ce droit doit s’entendre au sens large, comme couvrant toute communication au public non présent au lieu d’origine de la communication. Ce droit couvre toute transmission ou retransmission, de cette nature, d’une œuvre au public, par fil ou sans fil, y compris la radiodiffusion. Il ne couvre aucun autre acte.

[...]

(27) La simple fourniture d’installations destinées à permettre ou à réaliser une communication ne constitue pas en soi une communication au sens de la présente directive. »

8 L’article 3, paragraphe 1, de cette directive dispose :

« Les États membres prévoient pour les auteurs le droit exclusif d’autoriser ou d’interdire toute communication au public de leurs œuvres, par fil ou sans fil, y compris la mise à la disposition du public de leurs œuvres de manière que chacun puisse y avoir accès de l’endroit et au moment qu’il choisit individuellement. »

Le droit allemand

9 L’article 15 du Gesetz über Urheberrecht und verwandte Schutzrechte – Urheberrechtsgesetz (loi relative au droit d’auteur et aux droits voisins), du 9 septembre 1965 (BGBl. 1965 I, p. 1273), dans sa version applicable au litige au principal, dispose :

« [...]

(2)   L’auteur a de plus le droit exclusif de communiquer son œuvre au public sous une forme immatérielle (droit de communication au public). Le droit de communication au public comprend en particulier :

1. le droit de présentation, d’exécution et de représentation (article 19) ;

2. le droit de mise à disposition du public (article 19a) ;

3. le droit de radiodiffusion (article 20) ;

4. le droit de communication au moyen de supports visuels ou sonores (article 21) ;

5. le droit de communiquer des émissions radiodiffusées et de les mettre à la disposition du public (article 22).

(3)   La communication est publique lorsqu’elle est destinée à une pluralité de membres du public. Le public comprend toute personne qui n’est pas liée par des relations personnelles à celui qui exploite l’œuvre ou aux autres personnes auxquelles l’œuvre est rendue perceptible ou accessible sous une forme incorporelle. »

Le litige au principal et la question préjudicielle

10 GEMA, un organisme de gestion collective des droits d’auteur dans le domaine de la musique, a introduit devant l’Amtsgericht Potsdam (tribunal de district de Potsdam, Allemagne), qui est la juridiction de renvoi, une demande de dommages-intérêts au titre du droit d’auteur contre GL, exploitant d’un immeuble comportant 18 appartements, au motif que ce dernier met à disposition, dans ces appartements, des appareils de télévision équipés d’une antenne d’intérieur permettant la captation de signaux
et la diffusion dans ces appartements d’émissions, notamment de musique, en méconnaissance de l’article 15 de la loi relative au droit d’auteur et aux droits voisins, dans sa version applicable au litige au principal.

11 Cette juridiction éprouve des doutes quant à la question de savoir si une telle mise à disposition constitue une « communication au public », au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29, eu égard, en particulier, à la circonstance que l’immeuble en cause n’est pas équipé d’une « antenne centrale » permettant de distribuer les signaux dans ces appartements.

12 Elle relève, dans ce contexte, que, dans son arrêt du 7 décembre 2006, SGAE (C‑306/05, EU:C:2006:764), la Cour a jugé que, si la simple fourniture d’installations physiques ne constitue pas, en tant que telle, une « communication au public », au sens de l’article 3, paragraphe 1, de cette directive, la distribution d’un signal au moyen d’appareils de télévision par un établissement hôtelier aux clients installés dans les chambres de cet établissement, quelle que soit la technique de transmission
du signal utilisée, constitue une telle communication. Dans son ordonnance du 18 mars 2010, Organismos Sillogikis Diacheirisis Dimiourgon Theatrikon kai Optikoakoustikon Ergon (C‑136/09, EU:C:2010:151), la Cour aurait conclu qu’un établissement hôtelier effectue une « communication au public », au sens de cette disposition, lorsqu’il installe des appareils de télévision dans les chambres de son établissement et les connecte à une « antenne centrale » de cet établissement qui rend ces appareils de
télévision aptes à capter les émissions radiodiffusées. En revanche, il ressortirait de l’arrêt du 2 avril 2020, Stim et SAMI (C‑753/18, EU:C:2020:268), que la fourniture de postes de radio dans des voitures de location ne constitue pas une telle communication au public.

13 La juridiction de renvoi estime que cette jurisprudence ne permet pas de répondre avec certitude à la question de savoir si la mise à disposition, par l’exploitant d’un immeuble d’appartements, d’appareils de télévision équipés d’une antenne d’intérieur permettant la captation de signaux et la diffusion d’émissions dans ces appartements, sans qu’il y ait d’« antenne centrale », constitue une « communication au public », au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29.

14 Dans ces conditions, l’Amtsgericht Potsdam (tribunal de district de Potsdam), a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« Y a-t-il communication au public au sens de l’article 3 de la [directive 2001/29] lorsque l’exploitant d’un immeuble d’appartements met à disposition, dans cet immeuble, des téléviseurs qui captent chacun des émissions par une antenne d’intérieur sans qu’il y ait de réception centrale pour transmettre des signaux ? »

Sur la question préjudicielle

15 Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29 doit être interprété en ce sens que la notion de « communication au public », visée à cette disposition, couvre la mise à disposition, par l’exploitant d’un immeuble d’appartements mis en location, d’appareils de télévision équipés d’une antenne d’intérieur qui, sans autre intervention, captent des signaux et permettent la diffusion d’émissions.

16 Il convient de rappeler que, aux termes de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29, les États membres prévoient pour les auteurs le droit exclusif d’autoriser ou d’interdire toute communication au public de leurs œuvres, par fil ou sans fil, y compris la mise à la disposition du public de leurs œuvres de manière à ce que chacun puisse y avoir accès de l’endroit et au moment qu’il choisit individuellement.

17 Ainsi que la Cour l’a itérativement jugé, en vertu de cette disposition, les auteurs disposent d’un droit de nature préventive leur permettant de s’interposer entre d’éventuels utilisateurs de leur œuvre et la communication au public que ces utilisateurs pourraient envisager d’effectuer, et ce afin d’interdire celle-ci (arrêts du 31 mai 2016, Reha Training, C‑117/15, EU:C:2016:379, point 30, et du 20 avril 2023, Blue Air Aviation, C‑775/21 et C‑826/21, EU:C:2023:307, point 44 ainsi que
jurisprudence citée).

18 L’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29 ne précisant pas la notion de « communication au public », il y a lieu de déterminer le sens et la portée de cette notion, au regard des objectifs poursuivis par cette directive et au regard du contexte dans lequel la disposition interprétée s’insère (arrêt du 20 avril 2023, Blue Air Aviation, C‑775/21 et C‑826/21, EU:C:2023:307, point 45 ainsi que jurisprudence citée).

19 S’agissant de ces objectifs, la Cour a rappelé, de manière constante, que la notion de « communication au public », au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29, doit, comme le souligne le considérant 23 de cette directive, s’entendre au sens large, comme couvrant toute communication au public non présent au lieu d’origine de la communication et, ainsi, toute transmission ou retransmission, de cette nature, d’une œuvre au public, par fil ou sans fil, y compris la radiodiffusion.
En effet, il résulte des considérants 4, 9 et 10 de ladite directive que celle-ci a pour objectif principal d’instaurer un niveau élevé de protection en faveur des auteurs, permettant à ceux-ci d’obtenir une rémunération appropriée pour l’utilisation de leurs œuvres, notamment à l’occasion d’une communication au public (arrêt du 20 avril 2023, Blue Air Aviation, C‑775/21 et C‑826/21, EU:C:2023:307, point 46 ainsi que jurisprudence citée).

20 Quant au contexte dans lequel s’inscrit la disposition en cause, il ressort du considérant 27 de la directive 2001/29, qui reprend, en substance, la déclaration commune concernant l’article 8 du TDA, que « la simple fourniture d’installations destinées à permettre ou à réaliser une communication ne constitue pas en soi une communication au sens de cette directive » (voir, en ce sens, arrêt du 2 avril 2020, Stim et SAMI, C‑753/18, EU:C:2020:268, point 33).

21 Conformément à une jurisprudence constante, la notion de « communication au public », au sens de cet article 3, paragraphe 1, associe deux éléments cumulatifs, à savoir un acte de communication d’une œuvre et la communication de cette dernière à un public, et implique une appréciation individualisée (arrêts du 31 mai 2016, Reha Training, C‑117/15, EU:C:2016:379, point 37, et du 20 avril 2023, Blue Air Aviation, C‑775/21 et C‑826/21, EU:C:2023:307, point 47 ainsi que jurisprudence citée).

22 Aux fins d’une telle appréciation, il importe de tenir compte de plusieurs critères complémentaires, de nature non autonome et interdépendants les uns par rapport aux autres. Ces critères pouvant, dans différentes situations concrètes, être présents avec une intensité très variable, il y a lieu de les appliquer tant individuellement que dans leur interaction les uns avec les autres (arrêts du 31 mai 2016, Reha Training, C‑117/15, EU:C:2016:379, point 35, et du 20 avril 2023, Blue Air Aviation,
C‑775/21 et C‑826/21, EU:C:2023:307, point 48 ainsi que jurisprudence citée).

23 Parmi ces critères, la Cour a souligné le rôle incontournable joué par l’utilisateur et le caractère délibéré de son intervention. En effet, celui-ci réalise un « acte de communication » lorsqu’il intervient, en pleine connaissance des conséquences de son comportement, pour donner à ses clients accès à une œuvre protégée, et ce notamment lorsque, en l’absence de cette intervention, ces clients ne pourraient, en principe, jouir de l’œuvre diffusée (arrêts du 31 mai 2016, Reha Training, C‑117/15,
EU:C:2016:379, point 46, et du 20 avril 2023, Blue Air Aviation, C‑775/21 et C‑826/21, EU:C:2023:307, point 49 ainsi que jurisprudence citée).

24 Par ailleurs, la Cour a jugé que le caractère lucratif d’une communication au public, au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29, n’est pas dénué de pertinence, même si ce caractère n’est pas nécessairement une condition indispensable qui détermine l’existence même d’une telle communication (voir, en ce sens, arrêt du 20 avril 2023, Blue Air Aviation, C‑775/21 et C‑826/21, EU:C:2023:307, point 50 ainsi que jurisprudence citée).

25 Dans ce contexte, la Cour a jugé que la « réceptivité » du public peut être pertinente, en ce sens que la diffusion d’œuvres protégées revêt un caractère lucratif lorsque l’utilisateur est susceptible de retirer de celle‑ci un bénéfice économique lié à l’attractivité et, partant, à la fréquentation accrue de l’établissement dans lequel il procède à cette diffusion, alors qu’un tel caractère lucratif fait défaut lorsque le public visé n’accorde aucune importance à une telle diffusion (voir, en ce
sens, arrêt du 31 mai 2016, Reha Training, C‑117/15, EU:C:2016:379, points 50 à 52).

26 Il ressort ainsi de la jurisprudence de la Cour que c’est, en particulier, le rôle incontournable de l’utilisateur afin de donner à ses clients l’accès à des œuvres protégées et le caractère délibéré de son intervention, notamment si celle-ci revêt un caractère lucratif, qui permettent de distinguer, aux fins de l’application de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29, d’une part, la « communication au public », au sens de cette disposition, et, d’autre part, la « simple fourniture
d’installations », au sens du considérant 27 de cette directive.

27 Au regard de ces principes, qui résultent d’une jurisprudence constante, la Cour a jugé que ni la fourniture d’un poste de radio intégré à un véhicule automobile de location, qui permet de capter, sans aucune intervention additionnelle de la part de la société de location, la radiodiffusion terrestre accessible dans la zone où le véhicule se trouve, ni la fourniture d’un équipement de sonorisation, et, le cas échéant, d’un logiciel permettant la diffusion de musique d’ambiance, ne constituent des
« actes de communication ». De tels actes constituent en effet, selon la jurisprudence de la Cour, des « fournitures d’installations », au sens du considérant 27 de la directive 2001/29 (voir, en ce sens, arrêts du 2 avril 2020, Stim et SAMI, C‑753/18, EU:C:2020:268, point 34, ainsi que du 20 avril 2023, Blue Air Aviation, C‑775/21 et C‑826/21, EU:C:2023:307, point 69).

28 À cet effet, la Cour a notamment relevé que si la seule circonstance que l’utilisation d’un équipement est nécessaire pour que le public puisse effectivement jouir de l’œuvre conduisait de manière automatique à qualifier l’intervention de l’auteur de cette mise à disposition d’acte de « communication au public », toute « fourniture d’installations destinées à permettre ou à réaliser une communication » constituerait un tel acte, ce que le considérant 27 de la directive 2001/29, qui reprend, en
substance, la déclaration commune concernant l’article 8 du TDA, exclut pourtant expressément (voir, en ce sens, arrêt du 20 avril 2023, Blue Air Aviation, C‑775/21 et C‑826/21, EU:C:2023:307, point 68 ainsi que jurisprudence citée).

29 La Cour a, en revanche, jugé, s’agissant des exploitants d’un café‑restaurant, d’un hôtel, d’un établissement thermal et d’un centre de rééducation, que ces derniers réalisent un acte de communication lorsqu’ils transmettent délibérément à leur clientèle des œuvres protégées, en distribuant volontairement un signal au moyen de récepteurs de télévision ou de radio qu’ils ont installés dans leur établissement (voir, notamment, arrêts du 7 décembre 2006, SGAE, C‑306/05,EU:C:2006:764, point 46 ; du
4 octobre 2011, Football Association Premier League e.a., C‑403/08 et C‑429/08, EU:C:2011:631, point 196 ; du 27 février 2014, OSA, C‑351/12, EU:C:2014:110, point 26, ainsi que du 31 mai 2016, Reha Training, C‑117/15, EU:C:2016:379, points 55 et 56).

30 Dans cette jurisprudence, la Cour a, en effet, considéré, en substance, que si l’exploitant d’un établissement fournit volontairement à ses clients des signaux et des appareils de télévision ou de radio qui permettent la diffusion d’émissions encodées dans ces signaux et qui sont installés dans plusieurs endroits de cet établissement, il s’agit d’actes de « communication au public », au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29, sans qu’il importe de savoir quelle est la
technique de transmission du signal utilisée.

31 En l’occurrence, il ressort de la demande de décision préjudicielle que l’exploitant de l’immeuble d’appartements en cause au principal met à la disposition des locataires de ces appartements des appareils de télévision équipés d’une antenne d’intérieur, dont il est établi qu’ils captent des signaux et permettent la diffusion d’émissions, notamment de musique, dans ces appartements.

32 S’il incombe au juge national de déterminer, au regard des considérations rappelées aux points 19 à 30 du présent arrêt, si un exploitant d’immeuble tel que celui en cause au principal effectue un acte de « communication au public », au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29 [voir, en ce sens, arrêt du 15 mars 2012, Phonographic Performance (Ireland), C‑162/10, EU:C:2012:141, point 39], il appartient à la Cour de lui fournir des indications utiles à cet effet pour permettre à
celui-ci de trancher le litige dont il est saisi (voir, en ce sens, arrêt du 5 mai 2022, BV, C‑570/20, EU:C:2022:348, point 44).

33 À cet égard, en premier lieu, il convient de considérer, à l’instar de M. l’avocat général aux points 40 et 50 de ses conclusions, et sous réserve de vérification par la juridiction de renvoi, que l’exploitant d’un immeuble d’appartements, en équipant ces appartements d’appareils de télévision et d’antennes d’intérieur qui, sans autre intervention, captent des signaux et permettent la diffusion d’émissions, notamment de musique, dans lesdits appartements, réalise délibérément une intervention
afin de donner à ses clients l’accès à de telles émissions, à l’intérieur des appartements loués et pendant la période de location, sans qu’il soit déterminant que ceux-ci utilisent ou non cette possibilité (voir, en ce sens, arrêt du 14 juin 2017, Stichting Brein, C‑610/15, EU:C:2017:456, point 31 et jurisprudence citée).

34 En outre, l’intervention de cet exploitant donnant accès à des œuvres radiodiffusées à ses clients doit être considérée comme une prestation de service supplémentaire accomplie dans le but d’en retirer un certain bénéfice.

35 En effet, l’offre de ce service a une influence sur le standing des appartements en cause au principal et, partant, sur le prix du loyer de ces appartements (voir, en ce sens, arrêt du 15 mars 2012, SCF, C‑135/10, EU:C:2012:140, point 90 et jurisprudence citée) ou, ainsi qu’il a été relevé au point 25 du présent arrêt, sur leur attractivité et, partant, sur leur fréquentation. Il y a ainsi lieu de considérer que l’offre d’un tel service permet d’établir le caractère lucratif de la communication,
au sens de la jurisprudence citée aux points 24 et 25 du présent arrêt.

36 Aux fins de l’examen devant être effectué par la juridiction de renvoi, est dépourvue de pertinence la circonstance, soulignée par cette juridiction, que les appareils de télévision en cause au principal seraient reliés à une antenne « intérieure » plutôt qu’à une antenne « centrale », telle que celle qui était en cause dans l’affaire ayant donné lieu à l’ordonnance du 18 mars 2010, Organismos Sillogikis Diacheirisis Dimiourgon Theatrikon kai Optikoakoustikon Ergon (C‑136/09, EU:C:2010:151).

37 En effet, une telle distinction entre antennes centrales et intérieures ne serait pas conforme au principe de neutralité technologique, en vertu duquel la loi doit énoncer les droits et les obligations des personnes de manière générique, afin de ne pas privilégier le recours à une technologie au détriment d’une autre (voir, en ce sens, arrêt du 24 mars 2022, Austro-Mechana, C‑433/20, EU:C:2022:217, point 27 et jurisprudence citée).

38 En deuxième lieu, pour relever de la notion de « communication au public », au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29, il faut que les œuvres protégées soient effectivement communiquées à un public. À cet égard, la Cour a précisé que la notion de « public » vise un nombre indéterminé de destinataires potentiels et implique, par ailleurs, un nombre de personnes assez important (arrêt du 20 avril 2023, Blue Air Aviation, C‑775/21 et C‑826/21, EU:C:2023:307, points 51 et 52 ainsi
que jurisprudence citée).

39 Ainsi, la notion de « public » comporte un certain seuil de minimis, ce qui exclut de cette notion un trop faible nombre de personnes concernées, voire un nombre insignifiant. Afin de déterminer ce nombre, il convient de tenir compte, notamment, du nombre de personnes pouvant avoir accès à la même œuvre parallèlement, mais également du nombre d’entre elles qui peuvent avoir successivement accès à celle-ci (voir, en ce sens, arrêts du 31 mai 2016, Reha Training, C‑117/15, EU:C:2016:379, points 43
et 44, ainsi que du 19 décembre 2019, Nederlands Uitgeversverbond et Groep Algemene Uitgevers, C‑263/18, EU:C:2019:1111, point 68 ainsi que jurisprudence citée).

40 En l’occurrence, la juridiction de renvoi ne fournit pas d’indication quant au nombre de personnes qui sont susceptibles d’avoir accès aux œuvres, parallèlement ou successivement, si ce n’est que l’immeuble en cause au principal comporte 18 appartements. Cette juridiction n’indique, en particulier, pas si ces appartements font l’objet de locations de courte durée, notamment au titre d’hébergement touristique, ce qui est susceptible d’avoir une incidence sur le nombre de personnes qui peuvent
avoir successivement accès aux œuvres en cause.

41 Conformément à la jurisprudence citée au point 31 du présent arrêt, il incombe, respectivement, au juge national de déterminer si des œuvres protégées sont effectivement communiquées à un « public », au sens de la jurisprudence citée aux points 38 et 39 de cet arrêt, et à la Cour de lui fournir des indications utiles à cet égard.

42 Ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 36 de ses conclusions, si la juridiction de renvoi devait constater que les appartements de l’immeuble en cause au principal font l’objet de locations de courte durée, notamment au titre d’hébergement touristique, leurs locataires devraient être qualifiés de « public », étant donné qu’ils constituent ensemble, à l’instar des clients d’un établissement hôtelier, un nombre indéterminé de destinataires potentiels [voir, en ce sens, arrêt du 15 mars
2012, Phonographic Performance (Ireland), C‑162/10, EU:C:2012:141, points 41 et 42].

43 En troisième lieu, il résulte d’une jurisprudence constante que pour être qualifiée de « communication au public », au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29, une œuvre protégée doit être communiquée selon un mode technique spécifique, différent de ceux jusqu’alors utilisés ou, à défaut, auprès d’un « public nouveau », c’est‑à-dire un public n’ayant pas été déjà pris en compte par le titulaire du droit lorsqu’il a autorisé la communication initiale de son œuvre au public
(arrêt du 22 juin 2021, YouTube et Cyando, C‑682/18 et C‑683/18, EU:C:2021:503, point 70 et jurisprudence citée).

44 Ainsi que M. l’avocat général l’a souligné au point 59 de ses conclusions, les locataires d’appartements d’un immeuble faisant l’objet de locations de courte durée, notamment au titre d’hébergement touristique, sont susceptibles de constituer un tel public « nouveau », dès lors que ces personnes, tout en se trouvant à l’intérieur de la zone de couverture de ladite émission, ne pourraient, sans l’intervention de l’exploitant de cet immeuble, par laquelle celui-ci installe, dans ces appartements,
des appareils de télévision équipés d’une antenne d’intérieur, jouir de l’œuvre diffusée (voir, en ce sens, arrêt du 31 mai 2016, Reha Training, C‑117/15, EU:C:2016:379, points 46 et 47).

45 En revanche, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 60 de ses conclusions, si la juridiction de renvoi devait constater que les appartements en cause au principal sont loués à des locataires résidentiels, ces derniers ne sauraient être considérés comme un « public nouveau », au sens de la jurisprudence citée au point 43 du présent arrêt.

46 Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la question posée que l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29 doit être interprété en ce sens que la notion de « communication au public », visée à cette disposition, couvre la mise à disposition délibérée, par l’exploitant d’un immeuble d’appartements mis en location, d’appareils de télévision équipés d’une antenne d’intérieur qui, sans autre intervention, captent des signaux et permettent la diffusion d’émissions,
pour autant que les locataires de ces appartements puissent être considérés comme un « public nouveau ».

Sur les dépens

47 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

  Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit :

  L’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2001, sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information,

  doit être interprété en ce sens que

  la notion de « communication au public », visée à cette disposition, couvre la mise à disposition délibérée, par l’exploitant d’un immeuble d’appartements mis en location, d’appareils de télévision équipés d’une antenne d’intérieur qui, sans autre intervention, captent des signaux et permettent la diffusion d’émissions, pour autant que les locataires de ces appartements puissent être considérés comme un « public nouveau ».

  Signatures

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( *1 ) Langue de procédure : l’allemand.


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : C-135/23
Date de la décision : 20/06/2024
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle, introduite par l'Amtsgericht Potsdam.

Renvoi préjudiciel – Propriété intellectuelle – Droit d’auteur et droits voisins – Directive 2001/29/CE – Article 3, paragraphe 1 – Communication au public – Notion – Simple fourniture d’installations – Mise à disposition dans des appartements d’appareils de télévision équipés d’une antenne d’intérieur permettant la captation de signaux et la diffusion d’émissions – Caractère lucratif – Principe de neutralité technologique.

Rapprochement des législations

Propriété intellectuelle, industrielle et commerciale

Libre prestation des services

Droit d'établissement


Parties
Demandeurs : Gesellschaft für musikalische Aufführungs- und mechanische Vervielfältigungsrechte eV (GEMA)
Défendeurs : GL.

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Ziemele

Origine de la décision
Date de l'import : 22/06/2024
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2024:526

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