ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)
20 juin 2024 ( *1 )
« Renvoi préjudiciel – Libre prestation des services – Articles 56 et 57 TFUE – Détachement de ressortissants de pays tiers par une entreprise d’un État membre pour effectuer des travaux dans un autre État membre – Durée excédant 90 jours sur une période de 180 jours – Obligation pour les travailleurs détachés ressortissants de pays tiers d’être titulaires d’un permis de séjour dans l’État membre d’accueil en cas de prestation de plus de trois mois – Limitation de la durée de validité des permis de
séjour délivrés – Montant des droits relatifs à la demande de permis de séjour – Restriction à la libre prestation des services – Raisons impérieuses d’intérêt général – Proportionnalité »
Dans l’affaire C‑540/22,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Rechtbank Den Haag, zittingsplaats Middelburg (tribunal de La Haye, siégeant à Middelbourg, Pays-Bas), par décision du 11 août 2022, parvenue à la Cour le 11 août 2022, dans la procédure
SN.e.a,
contre
Staatssecretaris van Justitie en Veiligheid,
LA COUR (cinquième chambre),
composée de M. E. Regan (rapporteur), président de chambre, MM. Z. Csehi, M. Ilešič, I. Jarukaitis et D. Gratsias, juges,
avocat général : M. A. Rantos,
greffier : Mme R. Stefanova-Kamisheva, administratrice,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 21 septembre 2023,
considérant les observations présentées :
– pour SN e.a., par Mes B. J. Maes et D. O. Wernsing, advocaten,
– pour le gouvernement néerlandais, par Mmes M. K. Bulterman, A. Hanje et M. J. M. Hoogveld, en qualité d’agents,
– pour le gouvernement belge, par Mmes M. Jacobs et L. Van den Broeck, en qualité d’agents,
– pour le gouvernement norvégien, par Mme I. Collett, E. Eikeland et M. S. Hammersvik, en qualité d’agents,
– pour la Commission européenne, par Mmes L. Armati, A. Katsimerou, MM. P.-J. Loewenthal et M. Mataija, en qualité d’agents,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 30 novembre 2023,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 56 et 57 TFUE.
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant SN et d’autres travailleurs ressortissants de pays tiers, qui ont été mis à la disposition d’une société néerlandaise par une société slovaque, au Staatssecretaris van Justitie en Veiligheid (secrétaire d’État à la Justice et à la Sécurité, Pays-Bas) (ci-après le « secrétaire d’État ») au sujet de l’obligation, pour ces travailleurs, d’obtenir un permis de séjour néerlandais et des conditions d’octroi d’un tel permis.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
La CAAS
3 La convention d’application de l’accord de Schengen, du 14 juin 1985, entre les gouvernements des États de l’Union économique Benelux, de la République fédérale d’Allemagne et de la République française relatif à la suppression graduelle des contrôles aux frontières communes, signée à Schengen le 19 juin 1990 et entrée en vigueur le 26 mars 1995 (JO 2000, L 239, p. 19), telle que modifiée par le règlement (UE) no 265/2010 du Parlement européen et du Conseil, du 25 mars 2010 (JO 2010, L 85, p. 1),
ainsi que par le règlement (UE) no 610/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013 (JO 2013, L 182, p. 1) (ci-après la « CAAS »), définit, à son article 1er, la notion d’« étranger » comme « toute personne autre que les ressortissants des États membres des Communautés européennes ».
4 L’article 21, paragraphe 1, de cette convention prévoit :
« Les étrangers titulaires d’un titre de séjour délivré par un des États membres peuvent, sous le couvert de ce titre ainsi que d’un document de voyage, ces documents étant en cours de validité, circuler librement pour une durée n’excédant pas 90 jours sur toute période de 180 jours sur le territoire des autres États membres, pour autant qu’ils remplissent les conditions d’entrée visées à l’article 5, paragraphe 1, points a), c) et e), du règlement (CE) no 562/2006 du Parlement européen et du
Conseil, du 15 mars 2006, établissant un code communautaire relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen) [JO 2006, L 105, p. 1] et qu’ils ne figurent pas sur la liste de signalement nationale de l’État membre concerné. »
Le code frontières Schengen
5 L’article 6, paragraphe 1, du règlement (UE) 2016/399 du Parlement européen et du Conseil, du 9 mars 2016, concernant un code de l’Union relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen) (JO 2016, L 77, p. 1, ci-après le « code frontières Schengen »), intitulé « Conditions d’entrée pour les ressortissants de pays tiers », qui a remplacé l’article 5, paragraphe 1, du règlement no 562/2006, dispose :
« Pour un séjour prévu sur le territoire des États membres, d’une durée n’excédant pas 90 jours sur toute période de 180 jours, ce qui implique d’examiner la période de 180 jours précédant chaque jour de séjour, les conditions d’entrée pour les ressortissants de pays tiers sont les suivantes :
a) être en possession d’un document de voyage en cours de validité autorisant son titulaire à franchir la frontière qui remplisse les critères suivants :
i) sa durée de validité est supérieure d’au moins trois mois à la date à laquelle le demandeur a prévu de quitter le territoire des États membres. Toutefois, en cas d’urgence dûment justifiée, il peut être dérogé à cette obligation ;
ii) il a été délivré depuis moins de dix ans ;
[...]
c) justifier l’objet et les conditions du séjour envisagé, et disposer de moyens de subsistance suffisants, tant pour la durée du séjour envisagé que pour le retour dans leur pays d’origine ou le transit vers un pays tiers dans lequel leur admission est garantie, ou être en mesure d’acquérir légalement ces moyens ;
[...]
e) ne pas être considéré comme constituant une menace pour l’ordre public, la sécurité intérieure, la santé publique ou les relations internationales de l’un des États membres et, en particulier, ne pas avoir fait l’objet d’un signalement aux fins de non-admission dans les bases de données nationales des États membres pour ces mêmes motifs. »
La directive 96/71/CE
6 La directive 96/71/CE du Parlement Européen et du Conseil, du 16 décembre 1996, concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services (JO 1997, L 18, p. 1), énonce, à son considérant 20 :
« considérant que la présente directive n’affecte ni les accords conclus par la Communauté avec des pays tiers ni les législations des États membres relatives à l’accès sur leur territoire de prestataires de services de pays tiers ; que la présente directive ne porte pas non plus atteinte aux législations nationales relatives aux conditions d’entrée, de résidence et d’emploi de travailleurs ressortissant de pays tiers ».
7 L’article 1er, paragraphe 1, de cette directive dispose :
« La présente directive s’applique aux entreprises établies dans un État membre qui, dans le cadre d’une prestation de services transnationale, détachent des travailleurs, conformément au paragraphe 3, sur le territoire d’un État membre. »
Le règlement (CE) no 1030/2002
8 L’article 1er du règlement (CE) no 1030/2002 du Conseil, du 13 juin 2002, établissant un modèle uniforme de titre de séjour pour les ressortissants de pays tiers (JO 2002, L 157, p. 1), énonce :
« 1. Les titres de séjour délivrés par les États membres aux ressortissants des pays tiers sont établis selon un modèle uniforme et réservent un espace suffisant pour les informations mentionnées en annexe. [...] Chaque État membre peut ajouter, dans l’espace du modèle uniforme prévu à cet effet, toute information importante concernant la nature du titre et le statut juridique de la personne concernée, notamment pour indiquer si l’intéressé est ou non autorisé à travailler.
2. Aux fins du présent règlement, on entend par :
a) “titre de séjour”, toute autorisation délivrée par les autorités d’un État membre et permettant à un ressortissant d’un pays tiers de séjourner légalement sur son territoire [...] »
9 L’article 2, paragraphe 1, de ce règlement prévoit :
« Des spécifications techniques complémentaires pour le modèle uniforme de titre de séjour sont établies, conformément à la procédure prévue à l'article 7, paragraphe 2 [...] »
Le règlement (CE) no 883/2004
10 Le règlement (CE) no 883/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, sur la coordination des systèmes de sécurité sociale (JO 2004, L 166, p. 1), tel que modifié par le règlement (UE) no 465/2012 (JO 2012, L 149, p. 4), dispose, à son article 12, paragraphe 1 :
« La personne qui exerce une activité salariée dans un État membre pour le compte d’un employeur y exerçant normalement ses activités, et que cet employeur détache pour effectuer un travail pour son compte dans un autre État membre, demeure soumise à la législation du premier État membre, à condition que la durée prévisible de ce travail n’excède pas vingt-quatre mois et que la personne ne soit pas envoyée en remplacement d’une autre personne. »
La directive 2004/38/CE
11 La directive 2004/38/CE du Parlement Européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, modifiant le règlement (CEE) no 1612/68 et abrogeant les directives 64/221/CEE, 68/360/CEE, 72/194/CEE, 73/148/CEE, 75/34/CEE, 75/35/CEE, 90/364/CEE, 90/365/CEE et 93/96/CEE (JO 2004, L 158, p. 77), prévoit, à son article 3, paragraphe 1 :
« La présente directive s’applique à tout citoyen de l’Union qui se rend ou séjourne dans un État membre autre que celui dont il a la nationalité, ainsi qu’aux membres de sa famille, tels que définis à l’article 2, point 2), qui l’accompagnent ou le rejoignent. »
12 L’article 9 de cette directive dispose, à son paragraphe 1 :
« Les États membres délivrent une carte de séjour aux membres de la famille d’un citoyen de l’Union qui n’ont pas la nationalité d’un État membre lorsque la durée du séjour envisagé est supérieure à trois mois. »
La directive 2006/123/CE
13 La directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2006, relative aux services dans le marché intérieur (JO 2006, L 376, p. 36), prévoit, à son article 17, intitulé « Dérogations supplémentaires à la libre prestation des services » :
« L’article 16 [concrétisant le droit des prestataires de fournir des services dans un État membre autre que celui dans lequel ils sont établis] ne s’applique pas :
[...]
9) en ce qui concerne les ressortissants de pays tiers qui se déplacent dans un autre État membre dans le cadre d’une prestation de services, à la faculté des États membres de requérir un visa ou un permis de séjour pour les ressortissants de pays tiers qui ne sont pas couverts par le régime de reconnaissance mutuelle prévu à l’article 21 de la [CAAS], ni à la faculté des États membres d’imposer aux ressortissants de pays tiers de se manifester auprès des autorités compétentes de l’État membre où
le service est fourni au moment de leur entrée sur le territoire ou ultérieurement ;
[...] »
La directive 2009/52/CE
14 Les considérants 1 à 3 de la directive 2009/52/CE du Parlement européen et du Conseil, du 18 juin 2009, prévoyant des normes minimales concernant les sanctions et les mesures à l’encontre des employeurs de ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier (JO 2009, L 168, p. 24), énoncent :
« (1) Lors de sa réunion des 14 et 15 décembre 2006, le Conseil européen est convenu de renforcer la coopération entre États membres en matière de lutte contre l’immigration illégale et a notamment reconnu que les mesures contre l’emploi illégal devaient être intensifiées au niveau des États membres et de l’Union européenne.
(2) L’un des facteurs d’attraction essentiels de l’immigration illégale dans l’Union est la possibilité de trouver du travail dans l’Union sans détenir le statut juridique requis. L’action visant à lutter contre l’immigration illégale et le séjour irrégulier devrait donc prévoir des mesures à l’encontre de ce facteur d’attraction.
(3) De telles mesures devraient être axées autour d’une interdiction générale de l’emploi de ressortissants de pays tiers qui n’ont pas le droit de séjourner dans l’Union, assortie de sanctions à l’encontre des employeurs qui l’enfreignent. »
15 Conformément à l’article 2, sous b), de cette directive, constitue, aux fins spécifiques de celle-ci, un « ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier », « un ressortissant d’un pays tiers présent sur le territoire d’un État membre qui ne remplit pas ou qui ne remplit plus les conditions de séjour ou de résidence dans cet État membre ».
16 L’article 3, paragraphe 1, de la même directive énonce :
« Les États membres interdisent l’emploi de ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier. »
La directive 2011/98/UE
17 La directive 2011/98/UE du Parlement européen et du Conseil, du 13 décembre 2011, établissant une procédure de demande unique en vue de la délivrance d’un permis unique autorisant les ressortissants de pays tiers à résider et à travailler sur le territoire d’un État membre et établissant un socle commun de droits pour les travailleurs issus de pays tiers qui résident légalement dans un État membre (JO 2011, L 343, p. 1), prévoit, à son article 1er, paragraphe 1 :
« La présente directive établit :
a) une procédure de demande unique en vue de la délivrance d’un permis unique autorisant les ressortissants de pays tiers à résider sur le territoire d’un État membre afin d’y travailler, de manière à simplifier les procédures d’admission de ces personnes et à faciliter le contrôle de leur statut [...]
[...] »
18 L’article 3, paragraphe 2, de cette directive énonce :
« La présente directive ne s’applique pas aux ressortissants de pays tiers :
[...]
c) qui sont détachés, pendant la durée de leur détachement ;
[...] »
19 L’article 6 de ladite directive, intitulé « Permis unique », dispose :
« 1. Les États membres délivrent un permis unique en utilisant le modèle uniforme prévu par le règlement [no 1030/2002] et y font figurer les informations concernant l’autorisation de travailler, conformément au point a) 7.5-9) de son annexe.
Les États membres peuvent faire figurer des informations complémentaires relatives à la relation de travail du ressortissant de pays tiers (telles que le nom et l’adresse de l’employeur, le lieu de travail, le type de travail, l’horaire de travail, la rémunération) sur papier ou stocker ces données sous format électronique, comme indiqué dans l’article 4 du règlement [no 1030/2002] et dans le point a) 16 de son annexe.
2. Lorsqu’ils délivrent le permis unique, les États membres ne délivrent pas de permis supplémentaire attestant de l’autorisation d’accès au marché du travail. »
20 L’article 7 de la même directive, intitulé « Titres de séjour délivrés à des fins autres que d’emploi », prévoit :
« 1. Lorsqu’ils délivrent un titre de séjour conformément au règlement [no 1030/2002], les États membres y font figurer des indications concernant l’autorisation de travailler, quelle que soit la catégorie du titre.
Les États membres peuvent faire figurer des informations complémentaires relatives à la relation de travail du ressortissant de pays tiers (telles que le nom et l’adresse de l’employeur, le lieu de travail, le type de travail, l’horaire de travail, la rémunération) sur papier ou stocker ces données sous format électronique, comme indiqué dans l’article 4 du règlement [no 1030/2002] et dans le point a) 16 de son annexe.
2. Lorsqu’ils délivrent un titre de séjour conformément au règlement [no 1030/2002], les États membres ne délivrent pas de permis supplémentaire attestant de l’autorisation d’accès au marché du travail. »
La directive 2003/109/CE
21 L’article 3, paragraphe 2, sous e), de la directive 2003/109/CE du Conseil, du 25 novembre 2003, relative au statut des ressortissants de pays tiers résidents de longue durée (JO 2004, L 16, p. 44), énonce :
« La présente directive ne s’applique pas aux ressortissants de pays tiers qui :
[...]
e) séjournent exclusivement pour des motifs à caractère temporaire, par exemple en tant que personnes au pair ou travailleurs saisonniers, ou en tant que travailleurs salariés détachés par un prestataire de services afin de fournir des services transfrontaliers, ou en tant que prestataires de services transfrontaliers, ou lorsque leur permis de séjour a été formellement limité ».
La directive 2014/67/UE
22 L’article 9, paragraphes 1 à 3, de la directive 2014/67/UE du Parlement européen et du Conseil, du 15 mai 2014, relative à l’exécution de la directive 96/71/CE concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services et modifiant le règlement (UE) no 1024/2012 concernant la coopération administrative par l’intermédiaire du système d’information du marché intérieur (« règlement IMI ») (JO 2014, L 159, p. 11), intitulé « Exigences administratives et mesures de
contrôle », prévoit :
« 1. Les États membres ne peuvent imposer que les exigences administratives et les mesures de contrôle nécessaires aux fins du contrôle effectif du respect des obligations énoncées dans la présente directive et la directive [96/71], pour autant que celles-ci soient justifiées et proportionnées, conformément au droit de l’Union.
À cet effet, les États membres peuvent notamment imposer les mesures suivantes :
a) l’obligation, pour un prestataire de services établi dans un autre État membre, de procéder à une simple déclaration auprès des autorités nationales compétentes, au plus tard au début de la prestation de services, dans la langue officielle ou l’une des langues officielles de l’État membre d’accueil ou dans une autre langue ou d’autres langues acceptées par l’État membre d’accueil, contenant les informations nécessaires pour permettre des contrôles factuels sur le lieu de travail, portant
notamment sur :
i) l’identité du prestataire de services ;
ii) le nombre prévu de travailleurs détachés clairement identifiables ;
iii) les personnes visées aux points e) et f) ;
iv) la durée prévue du détachement ainsi que les dates prévues pour le début et la fin du détachement ;
v) l’adresse ou les adresses des lieux de travail ; et
vi) la nature des services justifiant le détachement ;
b) l’obligation de conserver ou de fournir, sur support papier ou en format électronique, le contrat de travail ou tout document équivalent au sens de la directive 91/533/CEE du Conseil[, du 14 octobre 1991, relative à l’obligation de l’employeur d’informer le travailleur des conditions applicables au contrat ou à la relation de travail (JO 1991, L 288, p. 32),] et/ou d’en conserver des copies, y compris, s’il y a lieu, les informations supplémentaires visées à l’article 4 de ladite directive,
les fiches de paie, les relevés d’heures indiquant le début, la fin et la durée du temps de travail journalier et les preuves du paiement des salaires ou des copies de documents équivalents ; ces documents doivent être conservés pendant la durée du détachement en un lieu accessible et clairement identifié du territoire de l’État membre de détachement, comme le lieu de travail ou le site de construction ou encore, pour les travailleurs mobiles du secteur des transports, la base d’opération ou
le véhicule avec lequel le service est fourni ;
c) l’obligation de fournir les documents visés au point b), après la période de détachement, à la demande des autorités de l’État membre d’accueil, dans un délai raisonnable ;
d) l’obligation de fournir une traduction des documents visés au point b) dans la langue officielle ou l’une des langues officielles de l’État membre d’accueil ou dans une autre langue ou d’autres langues acceptées par l’État membre d’accueil ;
e) l’obligation de désigner une personne chargée d’assurer la liaison avec les autorités compétentes dans l’État membre d’accueil dans lequel les services sont fournis et, si nécessaire, de transmettre et de recevoir des documents et/ou des avis ;
f) l’obligation de désigner, pour la durée de la prestation des services, une personne de contact, si nécessaire, agissant en tant que représentant par l’intermédiaire duquel les partenaires sociaux concernés peuvent s’efforcer de mobiliser le prestataire de services afin qu’il engage des négociations collectives au sein de l’État membre d’accueil, conformément au droit et/ou aux pratiques nationales. Cette personne peut être une autre personne que celle visée au point e) et n’est pas tenue
d’être présente dans l’État membre d’accueil, mais doit être disponible sur demande motivée et raisonnable.
2. Les États membres peuvent imposer d’autres exigences administratives et mesures de contrôle au cas où surviendraient des circonstances ou des éléments nouveaux dont il ressortirait que les exigences administratives et mesures de contrôle qui existent ne sont pas suffisantes ou efficaces pour permettre le contrôle effectif du respect des obligations énoncées dans la directive [96/71] et la présente directive, pour autant qu’elles soient justifiées et proportionnées.
3. Aucune disposition du présent article ne porte atteinte aux autres obligations découlant du droit de l’Union, notamment celles découlant de la directive 89/391/CEE du Conseil[, du 12 juin 1989, concernant la mise en œuvre de mesures visant à promouvoir l’amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail (JO 1989, L 183, p. 1),] et du [règlement no 883/2004], et/ou celles du droit national concernant la protection des travailleurs ou l’emploi de travailleurs, pour autant
que ces dernières soient également applicables aux entreprises établies dans l’État membre concerné et qu’elles soient justifiées et proportionnées. »
Le droit néerlandais
La loi sur le travail des étrangers
23 L’article 2, paragraphe 1, de la Wet arbeid vreemdelingen (loi sur le travail des étrangers), du 21 décembre 1994 (Stb. 1994, no 959), énonce :
« Il est interdit à un employeur de faire accomplir un travail à un ressortissant étranger aux Pays–Bas sans être titulaire d’une autorisation d’emploi ou sans que ce ressortissant étranger soit titulaire d’un permis unique pour travailler pour cet employeur. »
L’arrêté d’exécution de la loi sur le travail des étrangers
24 L’article 1e, paragraphe 1, du Besluit uitvoering Wet arbeid vreemdelingen (arrêté d’exécution de la loi sur le travail des étrangers), dans sa version applicable à la date des faits au principal, prévoit :
« L’interdiction visée à l’article 2, paragraphe 1, de la loi sur le travail des étrangers ne s’applique pas à un ressortissant étranger qui, dans le cadre d’une prestation de services transfrontalière, accomplit temporairement un travail aux Pays–Bas au service d’un employeur établi en dehors des Pays–Bas, dans un autre État membre de l’Union européenne, un autre État partie à l’accord sur l’Espace économique européen ou la Suisse, à condition que :
a. le ressortissant étranger remplisse toutes les conditions de séjour, de permis de travail et de sécurité sociale pour accomplir un travail en qualité de travailleur salarié de l’employeur dans le pays où celui–ci est établi ;
b. le ressortissant étranger accomplisse un travail analogue à celui pour lequel il est habilité dans le pays où l’employeur est établi ;
c. le ressortissant étranger soit seulement le remplaçant d’un autre ressortissant étranger qui a accompli un travail analogue si la durée totale de la prestation de services convenue n’est pas dépassée ; et
d. l’employeur exerce effectivement des activités substantielles [...] »
La loi sur la condition d'emploi des travailleurs détachés dans l'Union européenne
25 Aux termes de l’article 8, paragraphes 1 à 4, de la Wet arbeidsvoorwaarden gedetacheerde werknemers in de Europese Unie (loi sur les conditions d’emploi des travailleurs détachés dans l’Union européenne), du 1er juin 2016 (Stb. 2016, no 219, ci-après la « WagwEU ») :
« 1. Le prestataire de services qui détache un travailleur aux Pays–Bas est tenu de le notifier par écrit ou par voie électronique [au Minister van Sociale Zaken en Werkgelegenheid (ministre des Affaires sociales et de l’Emploi, Pays-Bas)] avant le début de l’activité. La notification du prestataire de services comprend :
a. son identité ;
b. l’identité du destinataire des services et celle du travailleur détaché ;
c. la personne de contact visée à l’article 7 ;
d. l’identité de la personne physique ou morale responsable du paiement des salaires ;
e. la nature et la durée prévue de l’activité ;
f. l’adresse du lieu de travail ; et
g. les contributions aux régimes de sécurité sociale applicables.
2. Si le prestataire de services qui détache un travailleur aux Pays–Bas fournit, avant le début de l’activité, une copie écrite ou électronique de la notification visée au paragraphe 1 au destinataire des services, celle–ci comprend au moins les informations relatives à son identité et à celle du travailleur détaché, à l’adresse du lieu de travail ainsi qu’à la nature et à la durée de l’activité.
3. Le destinataire de la prestation vérifie si la copie de la notification visée au paragraphe 2 comprend les informations mentionnées dans ce paragraphe 2 et notifie toute inexactitude ou le défaut de réception de la copie [au ministre des Affaires sociales et de l’Emploi], par écrit ou par voie électronique, au plus tard cinq jours ouvrables après le début de l’activité.
4. Les données traitées par [le ministre des Affaires sociales et de l’Emploi] en vertu du présent article sont communiquées aux organes administratifs et de contrôle dans la mesure où elles sont nécessaires à l’exercice de leurs fonctions liées à la prestation transnationale de services. »
L’arrêté relatif aux conditions d’emploi des travailleurs détachés dans l’Union européenne
26 L’article 3, paragraphe 2, du Besluit arbeidsvoorwaarden gedetacheerde werknemers in de Europese Unie (arrêté relatif aux conditions d’emploi des travailleurs détachés dans l’Union européenne) est libellé comme suit :
« [Le ministre des Affaires sociales et de l’Emploi] est habilité et tenu, sur demande, de fournir gratuitement à l’Immigratie- en Naturalisatiedienst [(service de l’immigration et de la naturalisation, Pays-Bas) (ci-après l’“IND”)] les données relatives aux prestataires de services, aux destinataires de services, aux personnes de contact, aux personnes responsables du paiement des salaires et aux travailleurs détachés, qui ont été traitées en relation avec l’article 8 de la [WagwEU], y compris
le numéro d’identification national, dans la mesure où ces données sont nécessaires aux fins des tâches liées à l’exécution de la Vreemdelingenwet 2000 [(loi de 2000 sur les étrangers)]. »
27 En vertu de l’article 11, paragraphe 3, de cet arrêté, le prestataire de services fournit, en plus des informations visées à l’article 8, paragraphe 1, de la WagwEU, la date de fin de la période d’emploi régulier.
La loi de 2000 sur les étrangers
28 L’article 14, paragraphe 1, sous a), et paragraphe 3, de la loi de 2000 sur les étrangers énonce :
«1. [Le Minister van Justitie en Veiligheid (ministre de la Justice et de la Sécurité, Pays-Bas)] est habilité :
a. à approuver, à rejeter ou bien à ne pas prendre en considération la demande visant à obtenir un permis de séjour à durée déterminée ;
[...].
3. L’octroi d’un permis de séjour à durée déterminée est assorti de restrictions relatives à l’objectif pour lequel le séjour est autorisé. D’autres conditions relatives au permis peuvent également être prévues. Des règles relatives à l’octroi, à la modification et au renouvellement d’office, aux restrictions et aux conditions peuvent être fixées par un règlement d’administration publique ou en vertu d’un tel règlement. »
L’arrêté de 2000 sur les étrangers
29 L’article 3.31a, paragraphe 1, du Vreemdelingenbesluit 2000 (arrêté de 2000 sur les étrangers), du 23 novembre 2000 (Stb. 2000, no 497), dans sa version applicable au litige au principal, est libellé comme suit :
« Le permis de séjour ordinaire à durée déterminée peut être délivré sous réserve d’une restriction liée à l’activité exercée dans le cadre de la prestation de services transfrontalière visée à l’article 4.6 du Besluit uitvoering Wet arbeid vreemdelingen 2022 [(arrêté d’exécution de la loi sur le travail des étrangers de 2022)], si la notification visée à l’article 8 de la [WagwEU] a été effectuée, en fournissant les informations prescrites dans cet article et à l’article 11, paragraphe 3, de
[l’arrêté relatif aux conditions d’emploi des travailleurs détachés dans l’Union européenne]. »
30 Aux termes de l’article 3.4, paragraphe 1, sous i), de l’arrêté de 2000 sur les étrangers, dans sa version applicable au litige au principal :
« Les restrictions visées à l’article 14, paragraphe 3, de la [loi de 2000 sur les étrangers] sont liées à :
[...]
i. la prestation de services transfrontalière. »
31 En vertu de l’article 3.58, paragraphe 1, sous i), de cet arrêté et de la partie B5/3.1 de la Vreemdelingencirculaire 2000 (circulaire de 2000 sur les étrangers), du 2 mars 2001 (Stcrt. 2001, no 64), dans sa version applicable à la date des faits au principal, l’IND délivre le permis de séjour relatif à une prestation de services transfrontalière pour une durée de validité égale à la durée de l’activité visée à l’article 1e, paragraphe 2, de l’arrêté d’exécution de la loi sur le travail des
étrangers, dans sa version applicable à la date des faits au principal, sans pouvoir dépasser deux ans.
Le règlement de 2000 sur les étrangers
32 L’article 3.34 du Voorschrift Vreemdelingen 2000 (règlement de 2000 sur les étrangers), du 18 décembre 2000 (Stcrt. 2001, no 10), énonce qu’un ressortissant étranger qui n’est pas titulaire d’une autorisation de séjour provisoire valable pour l’objectif visé par la demande de séjour est redevable de droits au titre du traitement d’une demande d’octroi, de modification ou de renouvellement d’un permis de séjour pour la prestation de services transfrontalière.
Le litige au principal et les questions préjudicielles
33 Les requérants au principal, ressortissants ukrainiens, sont titulaires d’un permis de séjour temporaire délivré par les autorités slovaques valable jusqu’au 21 novembre 2020 inclus. Ils travaillent pour ROBI spol s.r.o., société de droit slovaque, qui les a détachés auprès de Ivens NV, société de droit néerlandais, afin d’effectuer une mission dans le port de Rotterdam (Pays-Bas).
34 À cette fin, ROBI a notifié, le 4 décembre 2019, aux autorités néerlandaises compétentes la nature de l’activité pour laquelle ces requérants étaient détachés et la durée de celle-ci, initialement prévue du 6 décembre 2019 au 4 mars 2020. Par notification du 28 février 2020, ROBI a informé ces autorités de la prolongation de cette activité jusqu’au 31 décembre 2021.
35 Dans la mesure où la durée prévisionnelle de ladite activité excédait la durée du droit de circulation de 90 jours au cours d’une période de 180 jours dont jouissent les étrangers titulaires d’un titre de séjour délivré par un État membre en vertu de l’article 21, paragraphe 1, de la CAAS, ROBI a demandé aux autorités néerlandaises, le 6 mars 2020, au nom et pour le compte de chacun des requérants au principal, la délivrance d’un permis de séjour ordinaire à durée déterminée. Le traitement de
chacune de ces demandes a donné lieu au paiement de droits d’un montant qui s’élevait, selon la situation individuelle de ces requérants, à 290 ou à 320 euros.
36 L’IND, agissant au nom du secrétaire d’État, a délivré les permis de séjour demandés. La durée de validité de ces permis de séjour a cependant été limitée à la durée de validité des permis de séjour temporaire slovaques délivrés aux requérants au principal, soit une durée inférieure à celle de l’activité pour laquelle il était prévu de détacher ceux-ci aux Pays-Bas.
37 À une date non précisée par la juridiction de renvoi, les requérants au principal ont introduit des réclamations contre chacune des décisions leur accordant un permis de séjour. Ils ont contesté, à cette occasion, tant l’obligation d’obtenir un permis de séjour pour la prestation de services transfrontalière que la durée de validité des permis de séjour délivrés et les droits dus pour le traitement des demandes de ces permis.
38 Après un examen de ces réclamations, le 16 mars 2021, par le comité d’audition administrative de l’IND, le secrétaire d’État a rejeté, par décisions du 7 avril 2021, lesdites réclamations comme étant non fondées.
39 Le 7 mai 2021, ROBI a introduit, auprès des autorités néerlandaises, de nouvelles demandes de permis de séjour au nom et pour le compte de certain des requérants au principal, au soutien desquelles elle s’est prévalue de ce que de nouveaux permis de séjour, valables jusqu’au 31 mars 2022, avaient été accordés à ceux-ci par les autorités slovaques.
40 L’IND, agissant au nom du secrétaire d’État, a fait droit à ces demandes et a délivré aux requérants concernés des permis de séjour valables jusqu’à la date de fin de l’activité notifiée par ROBI aux autorités néerlandaises, soit le 31 décembre 2021.
41 Par ailleurs, le 20 mai 2022, ROBI a introduit à nouveau des demandes de permis de séjour pour un certain nombre de ces requérants afin de les affecter à une autre activité aux Pays-Bas.
42 Parallèlement, les requérants au principal ont saisi la juridiction de renvoi d’un recours tendant à l’annulation des décisions du 7 avril 2021, au motif pris de la violation des articles 56 et 57 TFUE.
43 Devant cette juridiction, les requérants au principal contestent l’obligation, dans le cadre d’une prestation de services transfrontalière, pour les travailleurs ressortissants de pays tiers employés par un prestataire de services établi dans un État membre de détenir, outre un permis de séjour dans cet État membre, un permis de séjour dans l’État membre de réalisation de la prestation après l’expiration de la période de 90 jours visée à l’article 21, paragraphe 1, de la CAAS. Ils soutiennent
qu’une telle obligation fait double emploi avec la procédure de notification préalable à la prestation de services transfrontalière. Ils estiment que la circonstance que la durée des permis de séjour qui leur ont été délivrés par les autorités néerlandaises soit limitée à la durée de validité de leurs permis de séjour slovaques et au maximum à deux ans constituait une restriction injustifiée à la libre prestation des services garantie par les articles 56 et 57 TFUE. Enfin, ils font valoir que le
montant des droits auxquels les demandes d’octroi de permis de séjour aux Pays-Bas sont soumises n’est pas conforme au droit de l’Union, dans la mesure où ce montant est plus élevé que celui réclamé pour les certificats de séjour régulier délivrés aux citoyens de l’Union. Le secrétaire d’État conteste l’ensemble des arguments invoqués par les requérants au principal.
44 Dans ce contexte, la juridiction de renvoi souligne que, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 21 septembre 2006, Commission/Autriche (C‑168/04, EU:C:2006:595, points 31 et 32), la Commission européenne avait fait valoir que, dans le cadre de la libre prestation des services, tout prestataire de services transmet à ses employés le « droit dérivé » de recevoir un permis de séjour pour la durée nécessaire à la prestation, que la décision relative au droit de séjour avait un caractère
purement formel et que ce droit devait être reconnu de manière automatique. Or, la Cour a jugé, dans cette affaire, que la République d’Autriche avait manqué aux obligations qui lui incombaient en vertu de l’article 49 CE, devenu l’article 56 TFUE. Dès lors, cette juridiction se demande si le droit à la libre prestation des services, tel que prévu aux articles 56 et 57 TFUE, ne confère pas un « droit de séjour dérivé » aux travailleurs détachés dans le cadre d’une prestation de services
transfrontalière.
45 En tout état de cause, la juridiction de renvoi s’interroge sur la question de savoir si l’obligation découlant de l’article 56 TFUE d’éliminer toute restriction à la libre prestation des services s’oppose à ce que puisse être exigée la possession d’un permis de séjour individuel pour le détachement, dans un État membre, de travailleurs d’un pays tiers, salariés d’un prestataire de services établi dans un autre État membre lorsque, comme en l’occurrence, la réglementation nationale exige déjà que
le détachement de travailleurs ressortissants de pays tiers par un employeur établi dans un autre État membre fasse l’objet d’une notification contenant les mêmes informations que celles nécessaires à l’octroi d’un permis de séjour dans l’État membre d’accueil. En effet, quand bien même l’exigence d’un permis de séjour ne s’applique qu’à l’expiration d’une période de 90 jours, il n’en demeurerait pas moins qu’une telle exigence pourrait être assimilée à une autorisation préalable, procédure
susceptible de constituer une restriction à la libre prestation des services.
46 Enfin, à considérer qu’un tel permis de séjour puisse être exigé, la juridiction de renvoi s’interroge sur la question de savoir, d’une part, si la durée de validité de ce permis peut être limitée par la législation néerlandaise à la durée de validité du permis de travail et de séjour dans l’État membre dans lequel le prestataire de services est établi, tout en ne pouvant excéder une durée maximale de deux années, et, d’autre part, si le demandeur dudit permis de séjour peut être tenu de payer
des droits dont le montant est cinq fois plus élevé que le montant des droits dus pour la délivrance à un citoyen de l’Union d’un certificat de séjour régulier.
47 Dans ces conditions, le rechtbank Den Haag, zittingsplaats Middelburg (tribunal de La Haye, siégeant à Middelbourg, Pays-Bas), a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) La libre prestation des services garantie par les articles 56 et 57 TFUE comprend-elle un droit de séjour dans un État membre dérivé de ce droit pour les travailleurs ressortissants de pays tiers qui peuvent être employés dans cet État membre par un prestataire de services établi dans un autre État membre ?
2) Si cette question appelle une réponse négative, l’article 56 TFUE s’oppose-t-il, dans l’hypothèse où la durée de la prestation de services dépasse trois mois, à l’obligation de demander un permis de séjour pour chaque travailleur individuel en sus de la simple obligation de notification incombant au prestataire de services ?
3) Si cette question appelle une réponse négative, l’article 56 TFUE s’oppose-t-il :
a) à une disposition de droit national selon laquelle la durée de validité d’un tel permis de séjour ne peut dépasser deux ans, quelle que soit la durée de la prestation de services ?
b) à ce que la durée de validité d’un tel permis de séjour soit limitée à la durée de validité du permis de travail et de séjour dans l’État membre dans lequel le prestataire de services est établi ?
c) au prélèvement de droits à chaque demande (ou chaque demande de renouvellement) dont le montant est égal à celui des droits dus au titre d’un permis ordinaire aux fins de l’exercice d’un emploi par un ressortissant de pays tiers, mais est cinq fois plus élevé que le montant des droits dus au titre d’un certificat de séjour régulier pour un citoyen de l’Union ? »
Sur la première question
48 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la libre prestation des services, garantie par les articles 56 et 57 TFUE, doit être interprétée en ce sens que les travailleurs ressortissants de pays tiers qui sont détachés dans un État membre par un prestataire de services établi dans un autre État membre doivent se voir automatiquement reconnaître un « droit de séjour dérivé ».
49 À cet égard, il ressort de la demande de décision préjudicielle que la juridiction de renvoi emploie la notion de « droit de séjour dérivé » par référence à un droit de séjour des travailleurs détachés ressortissants de pays tiers que ferait naître l’exercice par leur employeur de son droit à la libre prestation des services et dont l’existence avait été invoquée par la Commission dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 21 septembre 2006, Commission/Autriche (C‑168/04, EU:C:2006:595).
50 Or, si, dans cet arrêt, la Cour a accueilli le recours en manquement introduit par la Commission, elle n’a pas pour autant consacré l’existence d’un tel droit de séjour. En effet, pour juger que l’État membre concerné avait manqué aux obligations qui lui incombaient en vertu du droit à la libre prestation des services, la Cour a relevé, selon son approche habituelle, d’une part, que certains aspects de la réglementation en cause généraient des restrictions à la libre prestation des services et,
d’autre part, que ces restrictions excédaient ce qui était nécessaire à la réalisation des objectifs d’intérêt général invoqués par cet État membre.
51 Certes, comme souligné par M. l’avocat général au point 35 de ses conclusions, la notion de « droit de séjour dérivé » renvoie, plus généralement, à la jurisprudence de la Cour selon laquelle, en matière de citoyenneté, les ressortissants de pays tiers, membres de la famille d’un citoyen de l’Union, qui ne peuvent pas bénéficier, sur le fondement des dispositions de la directive 2004/38, d’un droit de séjour dans l’État membre dont ce citoyen possède la nationalité peuvent se voir reconnaître,
dans certains cas, un « droit dérivé » sur le fondement de l’article 21, paragraphe 1, TFUE (voir, en ce sens, arrêts du 5 juin 2018, Coman e.a., C‑673/16, EU:C:2018:385, point 23, ainsi que du 12 juillet 2018, Banger, C‑89/17, EU:C:2018:570, point 27 et jurisprudence citée).
52 Toutefois, il convient de rappeler qu’une telle solution est fondée sur la considération selon laquelle, en l’absence d’un droit de séjour dérivé au profit de ce ressortissant d’un pays tiers, le citoyen de l’Union serait dissuadé de quitter l’État membre dont il a la nationalité afin d’exercer son droit de séjour, en vertu de l’article 21, paragraphe 1, TFUE, dans un autre État membre en raison du fait qu’il n’a pas la certitude de pouvoir poursuivre dans l’État membre dont il est originaire la
vie de famille qu’il a développée ou consolidée, avec ledit ressortissant d’un pays tiers, dans l’État membre d’accueil à l’occasion d’un séjour effectif (voir, en ce sens, arrêt du 12 juillet 2018, Banger, C‑89/17, EU:C:2018:570, point 28 et jurisprudence citée).
53 Il s’ensuit que le droit de séjour dérivé, au sens de cette jurisprudence, a pour fondement le droit, consacré à l’article 21, paragraphe 1, TFUE, d’une personne physique, citoyen de l’Union, de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres. Or, comme relevé par M. l’avocat général au point 36 de ses conclusions, ce droit ne concerne pas les entreprises, qui peuvent se prévaloir de la liberté d’établissement ou de la libre prestation des services, consacrées,
respectivement, aux articles 49 et 56 TFUE.
54 En outre, comme souligné en substance par M. l’avocat général au point 37 de ses conclusions, les relations entre les membres au premier degré d’une même famille ou entre les personnes ayant développé ou consolidé des relations analogues, qui bénéficient tous et toutes du droit fondamental au respect de la vie privée et familiale, garanti par l’article 7 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ne sont pas comparables aux relations entre une entreprise et ses salariés. Dès
lors, il ne saurait être déduit, même par analogie, de la jurisprudence visée au point 51 du présent arrêt que, dans une situation telle que celle en cause au principal, tout travailleur ressortissant d’un pays tiers envoyé par une entreprise dans un autre État membre afin d’y effectuer en son nom une prestation de services doit se voir automatiquement reconnaître un droit de séjour dans cet État membre pour la durée de cette prestation.
55 Compte tenu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la première question que les articles 56 et 57 TFUE doivent être interprétés en ce sens que les travailleurs ressortissants de pays tiers qui sont détachés dans un État membre par un prestataire de services établi dans un autre État membre ne doivent pas se voir automatiquement reconnaître un « droit de séjour dérivé » que ce soit dans l’État membre où ils sont employés ou dans celui où ils sont détachés.
Sur la deuxième question
56 Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 56 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation d’un État membre prévoyant que, dans l’hypothèse où une entreprise établie dans un autre État membre réalise dans le premier État membre une prestation de services dont la durée dépasse trois mois, cette entreprise a l’obligation non seulement de notifier la prestation de services aux autorités du premier État membre, mais également
d’obtenir un permis de séjour pour chaque travailleur ressortissant de pays tiers qu’elle entend détacher dans cet État membre.
57 D’emblée, il convient de rappeler que, d’une part, ainsi qu’il ressort de la réponse à la première question, l’exercice par un employeur établi dans un État membre de son droit à la libre prestation des services ne fait pas naître, au bénéfice des travailleurs ressortissants de pays tiers qu’il détache à cette fin dans un autre État membre, un droit de séjourner sur le territoire de cet État membre qui leur serait propre. Par conséquent, cette deuxième question doit être examinée en tenant compte
uniquement des effets qu’est susceptible de produire une réglementation, telle que celle en cause au principal, sur le droit à la libre prestation des services dont jouit cet employeur.
58 D’autre part, si, dans sa question, la juridiction de renvoi s’est référée non seulement à l’obligation, pour le prestataire de services de demander, pour chaque travailleur qu’il entend détacher, un permis de séjour, mais également à une obligation, pour l’entreprise concernée, de notifier la prestation de services, il ressort de la demande de décision préjudicielle que les doutes de la juridiction de renvoi concernent la compatibilité avec l’article 56 TFUE non pas de cette seconde obligation,
considérée isolément, mais de l’obligation d’obtenir un permis de séjour dans la mesure où celle-ci s’ajoute à celle de notifier la prestation de services.
59 À cet égard, il convient de rappeler que la libre prestation des services, garantie par les articles 56 et 57 TFUE, tout comme les autres libertés de circulation, ne trouve à s’appliquer qu’aux domaines n’ayant pas fait l’objet d’une harmonisation exhaustive (voir, en ce sens, arrêt du 1er juillet 2014,Ålands Vindkraft, C‑573/12, EU:C:2014:2037, point 57 et jurisprudence citée). Dès lors, afin de répondre à la question posée par la juridiction de renvoi, il convient de commencer par examiner si
une réglementation telle que celle visée par la juridiction de renvoi dans sa question relève d’un domaine ayant fait l’objet d’une harmonisation exhaustive ou, à tout le moins, d’un aspect d’un domaine ayant fait l’objet d’une telle harmonisation.
60 En l’occurrence, la réglementation nationale en cause au principal porte sur le droit de séjour des travailleurs salariés ressortissants d’un pays tiers, légalement employés dans un État membre, mais détachés dans un autre État membre afin de réaliser une prestation de services. Dès lors, en tant qu’elle s’adresse aux travailleurs salariés détachés sur le territoire d’un autre État membre, cette réglementation est susceptible de relever des champs d’application de la directive 96/71 et de la
directive 2006/123, ainsi que, en tant qu’elle concerne le droit de séjour de ressortissants d’un pays tiers, des champs d’application du règlement no 1030/2002, de la directive 2003/109 et de la CAAS.
61 Cependant, s’agissant, tout d’abord, de la directive 96/71, si celle-ci est susceptible de s’appliquer aux travailleurs détachés ressortissants de pays tiers pour les droits qu’elle prévoit, il n’en demeure pas moins que, conformément à son considérant 20, cette directive ne porte pas atteinte aux législations nationales relatives aux conditions d’entrée, de résidence et d’emploi de travailleurs ressortissants de pays tiers.
62 Ensuite, pour ce qui est de la directive 2006/123, il est certes constant que, lorsqu’une prestation de services relève du champ d’application de cette directive, il n’y a pas lieu d’examiner la mesure nationale en cause au regard de l’article 56 TFUE (voir, en ce sens, arrêt du 21 décembre 2023, AUTOTECHNICA FLEET SERVICES, C‑278/22, EU:C:2023:1026, point 55). Toutefois, il découle de l’article 17, point 9, de ladite directive que celle-ci ne s’applique pas aux ressortissants de pays tiers qui
se déplacent dans un autre État membre dans le cadre d’une prestation de services.
63 Par ailleurs, si le règlement no 1030/2002 a mis en place un modèle uniforme de titre de séjour pour les ressortissants de pays tiers, il ressort du libellé de l’article 1er, paragraphe 2, sous a), de ce règlement que les titres ainsi délivrés par un État membre ne valent que sur le territoire de celui-ci.
64 De même, l’article 3, paragraphe 2, sous e), de la directive 2003/109 mentionne expressément que celle-ci ne s’adresse pas aux ressortissants de pays tiers qui séjournent exclusivement pour des motifs à caractère temporaire, par exemple en tant que travailleurs salariés détachés par un prestataire de services afin de fournir des services transfrontaliers.
65 Quant à l’article 21, paragraphe 1, de la CAAS, enfin, il prévoit que les étrangers titulaires d’un titre de séjour délivré par l’un des États membres peuvent, pour autant que ce titre soit en cours de validité et qu’ils disposent d’un document de voyage en cours de validité, circuler librement, pour une durée n’excédant pas 90 jours sur toute période de 180 jours, sur le territoire des autres États membres, pour autant qu’ils remplissent les conditions d’entrée visées à l’article 6,
paragraphe 1, sous a), c) et e), du code frontières Schengen et qu’ils ne figurent pas sur la liste de signalement national de l’État membre concerné. En revanche, les séjours de plus de 90 jours sur une période de 180 jours continuent de relever de la seule compétence des États membres (voir, en ce sens, arrêt du 7 mars 2017, X et X, C‑638/16 PPU, EU:C:2017:173, points 44 et 51).
66 Il s’ensuit que la matière relative à l’entrée et au séjour des ressortissants de pays tiers sur le territoire d’un État membre, dans le cadre d’un détachement opéré par une entreprise prestataire de services établie dans un autre État membre, relève d’un domaine n’ayant pas fait l’objet d’une harmonisation au niveau du droit de l’Union et que, par suite, une réglementation telle que celle en cause au principal est susceptible d’être appréciée au regard des dispositions de l’article 56 TFUE
(voir, par analogie, arrêt du 21 septembre 2006, Commission/Autriche, C‑168/04, EU:C:2006:595, points 59 et 60).
67 En vertu de cet article 56 TFUE, les restrictions à la libre prestation des services à l’intérieur de l’Union sont interdites à l’égard des ressortissants des États membres établis dans un État membre autre que celui du destinataire de la prestation. Constituent notamment de telles restrictions les réglementations nationales entraînant des charges administratives ou économiques supplémentaires ou ayant pour effet de rendre la prestation de services entre États membres plus difficile que celle
purement interne à un État membre (voir, en ce sens, arrêt du 18 juin 2019, Autriche/Allemagne, C‑591/17, EU:C:2019:504, points 135 et 136 ainsi que jurisprudence citée) et qui, à ce titre, sont susceptible de rendre les activités des prestataires de services établis dans d’autres États membres où il fournissent légalement leur services moins attrayantes.
68 En revanche, conformément à l’article 57 TFUE, le droit à la libre prestation des services emporte le droit, pour le prestataire, aux fins de l’exécution de sa prestation, d’exercer, à titre temporaire, son activité dans l’État membre où la prestation est fournie dans les mêmes conditions que celles que cet État impose à ses propres ressortissants. En conséquence, ne relèvent pas, en principe, de la notion de restriction les mesures qui affectent de la même manière l’exécution de la prestation de
services entre États membres et celle interne à un État membre et dont le seul effet est de renchérir le coût de la prestation en cause indépendamment du prestataire qui la réalise (voir, en ce sens, arrêt du 18 juin 2019, Autriche/Allemagne, C‑591/17, EU:C:2019:504, point 137 ainsi que jurisprudence citée).
69 Cela étant, afin de ne pas priver l’article 56 TFUE d’effet utile, la législation d’un État membre applicable aux prestataires de services établis dans cet État membre ne saurait être appliquée intégralement de la même manière aux activités transfrontalières (voir, en ce sens, arrêts du 17 décembre 1981, Webb, 279/80, EU:C:1981:314, point 16 ; du 25 juillet 1991, Säger, C‑76/90, EU:C:1991:331, point 13, et du 24 janvier 2002, Portugaia Construções, C‑164/99, EU:C:2002:40, point 17).
70 Par conséquent, doivent être considérées comme constituant des restrictions à la libre prestation des services à l’intérieur de l’Union les mesures affectant l’exécution des prestations de services sur le territoire d’un État membre qui, bien qu’étant indistinctement applicables, ne tiennent pas compte des exigences auxquelles les activités des prestataires de services établis dans un autre État membre, où ils fournissent légalement des services analogues, sont déjà soumises dans cet État et qui,
à ce titre, sont de nature à prohiber, à gêner ou à rendre moins attrayantes les activités de ces prestataires sur ce territoire.
71 En l’occurrence, certes, la réglementation en cause, qui affecte l’exécution des prestations de services sur le territoire national, doit être considérée comme étant indistinctement applicable dès lors qu’elle soumet non seulement les prestataires de services établis dans un autre État membre, mais également ceux établis sur le territoire national à l’obligation de s’assurer que les travailleurs ressortissants de pays tiers qu’ils emploient détiennent un permis de séjour.
72 Il n’en demeure pas moins que, dans l’hypothèse où la durée des prestations de services réalisées par les entreprises établies dans un autre État membre dépasse trois mois, cette réglementation impose à ces entreprises l’accomplissement de formalités supplémentaires par rapport à celles auxquelles, conformément à la directive 2009/52, elles sont déjà soumises par l’État membre où elles sont établies aux fins d’employer, pour les besoins de leur activité, des ressortissants de pays tiers.
73 Ayant ainsi pour effet de rendre la prestation de services entre États membres plus difficile que celle purement interne à un État membre, une telle réglementation doit être regardée comme instaurant une restriction à la libre prestation des services, au sens des articles 56 et 57 TFUE, quand bien même les prestataires de services établis sur le territoire national auraient également l’obligation de demander un permis de séjour pour employer des travailleurs ressortissants de pays tiers aux fins
de réaliser une prestation de services analogue sur ce territoire.
74 Selon une jurisprudence constante, une réglementation nationale indistinctement applicable peut, en dépit de l’effet restrictif pour la libre prestation des services qu’elle produit, être justifiée si elle poursuit une raison impérieuse d’intérêt général (voir, en ce sens, arrêt du 24 janvier 2002, Portugaia Construções, C‑164/99, EU:C:2002:40, point 19).
75 Une telle justification ne saurait, cependant, être admise que si, d’une part, l’intérêt que la réglementation en cause vise à protéger n’est pas déjà sauvegardé par des règles auxquelles le prestataire est soumis dans l’État membre où il est établi (arrêts du 11 septembre 2014, Essent Energie Productie, C‑91/13, EU:C:2014:2206, point 48 ; du 10 mars 2016, Safe Interenvíos, C‑235/14, EU:C:2016:154, point 100, ainsi que du 14 novembre 2018, Danieli & C. Officine Meccaniche e.a., C‑18/17,
EU:C:2018:904, point 46).
76 D’autre part, conformément au principe de proportionnalité, cette réglementation doit être apte à réaliser l’objectif qu’elle poursuit, ce qui implique qu’elle réponde véritablement au souci d’atteindre celui-ci d’une manière cohérente et systématique (arrêt du 14 novembre 2018, Memoria et Dall’Antonia, C‑342/17, EU:C:2018:906, point 52), et ne doit pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif (arrêt du 21 septembre 2006, Commission/Autriche, C‑168/04, EU:C:2006:595,
point 37).
77 En l’occurrence, il ressort du dossier dont dispose la Cour que quatre justifications ont été mises en avant par le gouvernement néerlandais, lesquelles tiennent, premièrement, à la nécessité de protéger l’accès au marché national du travail, deuxièmement, à la nécessité de vérifier si un prestataire de services établi dans un autre État membre que celui dans lequel la prestation est réalisée n’utilise pas la libre prestation des services pour un but autre que l’accomplissement de cette
prestation, troisièmement, au respect du droit à la sécurité juridique des travailleurs détachés, en ce que l’octroi à ces derniers d’un document de séjour leur permettrait de prouver qu’ils ne séjournent pas de manière illégale sur le territoire de l’État membre dans lequel ils sont détachés et, quatrièmement, à la nécessité de contrôler que le travailleur détaché ne représente pas une menace pour l’ordre public.
78 S’agissant, en premier lieu, de la protection de l’accès au marché national du travail, certes le souci d’éviter des perturbations sur le marché de l’emploi constitue une raison impérieuse d’intérêt général (voir, en ce sens, arrêt du 14 novembre 2018, Danieli & C. Officine Meccaniche e.a., C‑18/17, EU:C:2018:904, point 48 ainsi que jurisprudence citée), pour autant que ce souci s’exprime à l’égard non pas des travailleurs des États membres, lesquels jouissent, conformément à l’article 45,
paragraphe 3, sous c), TFUE, du droit, sous réserve des limitations justifiées par des raisons d’ordre public, de sécurité publique et de santé publique, de séjourner dans un autre État membre afin d’y exercer un emploi, mais des ressortissants de pays tiers.
79 Toutefois, il convient de relever qu’une législation nationale qui s’applique à l’égard non pas des seuls ressortissants de pays tiers qui sont détachés, de manière temporaire, en vue d’exercer, dans le cadre d’une opération de placement ou de mise à disposition de travailleurs, les tâches qui leur sont confiées sous le contrôle et l’autorité d’une entreprise installée dans l’État membre d’accueil, mais également, comme dans l’affaire au principal, à l’égard des ressortissants de pays tiers qui
sont détachés par l’entreprise prestataire de services établie dans un autre État membre en vue d’effectuer, sous son contrôle et son autorité, une prestation de services autre que du prêt de main d’œuvre, ne saurait, en tout état de cause, être regardée comme poursuivant un tel objectif de manière cohérente.
80 En effet, alors que les travailleurs concernés par une opération de placement ou de mise à disposition de main d’œuvre sont actifs sur le marché de l’emploi de l’État membre dans lequel ils sont détachés à cette fin, ceux qui sont détachés afin d’exécuter, sous le contrôle et l’autorité de leur employeur, une prestation autre que du prêt de main d’œuvre ne prétendent pas accéder à ce marché puisque les tâches qu’ils exécutent le sont sous le contrôle et l’autorité de leur employeur et qu’ils
retournent dans leur pays d’origine ou de résidence après l’accomplissement de leur mission (voir, en ce sens, arrêt du 14 novembre 2018, Danieli & C. Officine Meccaniche e.a., C‑18/17, EU:C:2018:904, point 48 ainsi que jurisprudence citée).
81 Dans ces conditions, la restriction à la liberté de prestation de services constatée au point 73 du présent arrêt ne saurait être justifiée par la raison impérieuse d’intérêt général d’éviter des perturbations sur le marché de l’emploi.
82 En ce qui concerne, en deuxième lieu, la nécessité de vérifier si les entreprises établies dans un autre État membre que celui dans lequel elles réalisent leur prestation n’utilisent pas la libre prestation des services à une fin autre que l’accomplissement de cette prestation, la Cour a déjà admis qu’un État membre puisse contrôler que de telles entreprises ne se servent pas de la liberté de prestation des services dans un but autre que l’accomplissement de la prestation concernée, par exemple
celui de faire venir leur personnel aux fins de placement ou de mise à disposition de travailleurs (arrêt du 21 septembre 2006, Commission/Autriche, C‑168/04, EU:C:2006:595, point 56), et ce alors même que la libre circulation des travailleurs, telle que garantie à l’article 45 TFUE, s’applique uniquement à l’égard des travailleurs des États membres.
83 Toutefois, la réglementation nationale en cause au principal requiert déjà des prestataires de services établis dans un autre État membre qu’ils notifient aux autorités nationales la prestation de services et, à cette occasion, ainsi qu’il ressort du dossier dont dispose la Cour, l’identité des travailleurs qu’ils entendent détacher, ainsi que la nature et la durée de l’activité. Or, une telle exigence, qui, au besoin, pourrait être renforcée par l’obligation de fournir d’autres informations pour
autant que, conformément à l’article 9, paragraphe 1, de la directive 2014/67, celles-ci soient justifiées et proportionnées, offre déjà auxdites autorités des garanties quant à la régularité de la présence sur leur territoire des travailleurs qui y sont détachés et, partant, de l’exercice par les entreprises concernées de leur droit à la libre prestation des services, et ce de manière moins restrictive et aussi efficace qu’une exigence de permis de séjour (voir, par analogie, arrêts du
21 septembre 2006, Commission/Autriche, C‑168/04, EU:C:2006:595, point 52, et du 14 novembre 2018, Danieli & C. Officine Meccaniche e.a., C‑18/17, EU:C:2018:904, point 50).
84 Par conséquent, la restriction à la liberté de prestation de services, constatée au point 73 du présent arrêt, ne saurait pas non plus être justifiée par la raison impérieuse d’intérêt général consistant à vérifier si les entreprises établies dans un autre État membre que celui dans lequel elles réalisent leur prestation n’utilisent pas la libre prestation des services à un but autre que l’accomplissement de cette prestation.
85 Pour ce qui est, en troisième lieu, d’assurer la sécurité juridique des travailleurs détachés en leur permettant d’établir plus facilement qu’ils sont détachés sur le territoire de l’État membre de la réalisation de la prestation de service dans des conditions légales et, partant, qu’ils y séjournent régulièrement, il y a lieu d’admettre qu’un tel objectif constitue une raison impérieuse d’intérêt général (voir, en ce sens, arrêt du 19 janvier 2006, Commission/Allemagne, C‑244/04, EU:C:2006:49,
points 47 à 49).
86 Or, il convient également de relever, s’agissant de la proportionnalité d’une telle mesure, que, d’une part, obliger les prestataires de services établis dans un autre État membre que celui dans lequel ils réalisent leur prestation à demander un permis de séjour pour chaque travailleur ressortissant de pays tiers que ces prestataires entendent détacher, afin que ceux-ci disposent matériellement d’un document sécurisé, constitue une mesure apte à réaliser les objectifs d’amélioration de la
sécurité juridique des travailleurs détachés. En effet, ce permis, qui doit être établi, conformément à l’article 1er, paragraphe 1, et de l’article 2, paragraphe 1, du règlement no 1030/2002, sur la base du modèle uniforme prévu par celui-ci et des spécifications techniques complémentaires arrêtées conformément à la procédure prévue par ce règlement, assure la reconnaissance par l’autorité publique du droit à séjourner sur le territoire national pour un ressortissant étranger majeur et prouve
que les travailleurs détachés disposent d’un droit de séjour dans l’État membre d’accueil.
87 Certes, ces travailleurs disposent déjà, en principe, d’un permis unique, au sens de la directive 2011/98, émis sur la base du modèle uniforme prévu par le règlement no 1030/2002, sur lequel figurent, conformément à l’article 6, paragraphe 1, de cette directive, les informations concernant l’autorisation de travail dont ils jouissent dans l’État membre où leur employeur est établi. Ils disposent, à défaut, d’un titre de séjour délivré à des fins autres que d’emploi, prévu à l’article 7,
paragraphe 1, de ladite directive, délivré conformément au règlement no 1030/2002 et sur lequel il est fait mention de ce qu’ils sont autorisés à travailler dans l’État membre où est établi leur employeur. Or, il découle de l’article 2 de ce règlement que les documents émis sur la base du modèle uniforme prévu par ledit règlement respectent des normes de prévention renforcées contre le risque de contrefaçon et de falsification.
88 Toutefois, étant donné que le législateur de l’Union a expressément prévu, à l’article 3, paragraphe 2, sous c), de la directive 2011/98, que cette dernière ne s’applique pas aux ressortissants de pays tiers détachés pendant la durée de leur détachement et, à l’article 1er, paragraphe 2, du règlement no 1030/2002, que les permis de séjour délivrés conformément à ce dernier ne valent que pour le territoire de l’État membre l’ayant émis, il ne saurait être fait grief aux autres États membres
d’exiger des travailleurs détachés, ressortissants de pays tiers, qu’ils obtiennent un document sécurisé délivré par leurs propres services. Au demeurant, la circonstance qu’un travailleur, ressortissant de pays tiers, dispose dans un État membre d’un permis de séjour et d’une autorisation de travail n’implique pas nécessairement que ce travailleur puisse séjourner dans un autre État membre, quand bien même il y serait détaché aux fins d’une prestation de services, cet autre État membre pouvant
soumettre ce détachement au respect de certaines exigences, pour autant que les conditions rappelées aux points 74 à 76 du présent arrêt soient respectées.
89 D’autre part, la réglementation en cause au principal n’apparaît pas comme allant au-delà de ce qui est nécessaire aux fins de la réalisation de l’objectif identifié au point 85 du présent arrêt. En effet, selon les indications de la juridiction de renvoi, cette réglementation se limite à exiger des prestataires de services, aux fins d’obtenir un permis de séjour pour les travailleurs ressortissants de pays tiers qu’ils entendent détacher au-delà de trois mois, qu’ils aient préalablement notifié
la prestation de services en cause aux autorités compétentes et qu’ils leur aient communiqué les permis de séjour dont disposent ces travailleurs dans l’État membre où ils sont établis, ainsi que leur contrat de travail.
90 Or, l’obligation de notifier préalablement la prestation de services fait partie de celles dont le respect peut être exigé par un État membre lorsqu’un prestataire de services entend exercer son droit à la libre prestation des services, tandis que l’obligation de communiquer les permis de séjour et les contrats de travail des travailleurs détachés est nécessaire aux fins de vérifier que les travailleurs concernés peuvent être considérés comme étant détachés dans des conditions légales et, à ce
titre, comme participant à la prestation de services en cause.
91 En particulier, la Cour a déjà eu l’occasion de juger qu’un État membre peut exiger des prestataires de services installés dans un autre État membre qu’ils lui notifient les prestations de services qu’ils entendent réaliser sur son territoire et qu’ils lui fournissent, à cette occasion, les documents nécessaires à la vérification de ce que les travailleurs qu’ils entendent détacher à cette occasion sont en situation régulière, notamment au regard des conditions de résidence, d’autorisation de
travail et de couverture sociale, dans l’État membre où cette entreprise les emploie (voir, en ce sens, arrêt du 19 janvier 2006, Commission/Allemagne, C‑244/04, EU:C:2006:49, points 40 et 41 ainsi que jurisprudence citée).
92 Dès lors, une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, est susceptible d’être justifiée par l’objectif d’amélioration de la sécurité juridique des travailleurs détachés et de facilitation des contrôles de l’administration et doit être considérée, eu égard aux conditions d’octroi des permis de séjour décrites par la juridiction de renvoi, comme étant proportionnée.
93 S’agissant, en quatrième lieu, de la justification tirée de la nécessité de contrôler que le travailleur concerné ne représente pas une menace pour l’ordre public, d’emblée, il peut être relevé que l’article 52, paragraphe 1, TFUE, auquel renvoie l’article 62 TFUE, se réfère expressément à la protection de l’ordre public comme motif susceptible de justifier une restriction à la libre prestation des services.
94 Certes, conformément à une jurisprudence constante, des motifs liés à l’ordre public ne peuvent être invoqués à l’égard d’une personne qu’en cas de menace réelle et suffisamment grave affectant un intérêt fondamental de la société et ne sauraient, en outre, servir à des fins purement économiques (voir, par analogie, arrêt du 2 mars 2023, PrivatBank e.a., C‑78/21, EU:C:2023:137, point 62).
95 Toutefois, il n’en demeure pas moins qu’il doit être possible, pour les États membres, de procéder à un tel contrôle. Dès lors, l’objectif tiré de la nécessité de contrôler que le travailleur concerné ne représente pas une menace pour l’ordre public doit être regardé comme étant susceptible de justifier une restriction à la libre prestation des services.
96 Or, s’agissant de la conformité, au regard du principe de proportionnalité, d’une mesure consistant à faire obligation aux entreprises établies dans un autre État membre de demander et d’obtenir un permis de séjour pour chaque travailleur ressortissant de pays tiers qu’elles entendent détacher dans l’État membre d’accueil aux fins de réaliser une prestation de services d’une durée supérieure à trois mois, outre qu’une telle obligation apparaît apte à réaliser cet objectif, celle-ci ne saurait
être considérée comme allant au-delà de ce qui est nécessaire à cette fin pour autant qu’elle conduise à ne refuser le séjour qu’à des personnes représentant une menace réelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société (voir, en ce sens, arrêts du 21 janvier 2010, Commission/Allemagne, C‑546/07, EU:C:2010:25, point 49, et du 14 février 2019, Milivojević, C‑630/17, EU:C:2019:123, point 67).
97 Cette interprétation n’est remise en cause ni par l’existence éventuelle d’exigences analogues dans l’État membre où le prestataire de services est établi ni par la possibilité, mise en exergue dans l’arrêt du 21 septembre 2006, Commission/Autriche (C‑168/04, EU:C:2006:595, point 66), de procéder à un contrôle de l’absence de menace pour l’ordre public sur la base des informations obtenues à l’occasion de la procédure de notification.
98 Il est vrai que l’octroi d’un permis de séjour à des travailleurs ressortissants de pays tiers a pu être déjà soumis, dans l’État membre dans lequel est établie l’entreprise qui entend procéder à leur détachement, à un contrôle de l’absence de risque d’atteinte à l’ordre public. Toutefois, l’évaluation de la menace qu’est susceptible de représenter une personne pour l’ordre public étant susceptible de varier d’un pays à l’autre et d’un moment à l’autre (voir, en ce sens, arrêt du 27 octobre 1977,
Bouchereau, 30/77, EU:C:1977:172, point 34), l’existence d’un tel contrôle ne saurait priver de pertinence la réalisation, par l’État membre dans lequel doit être réalisée la prestation de services, d’un contrôle de ce que le séjour de l’intéressé sur son territoire ne génère pas un risque d’atteinte à son propre ordre public, et ce quand bien même, conformément à l’article 21, paragraphe 1, de la CAAS, un tel contrôle n’intervient qu’après un délai de trois mois.
99 Quant à l’arrêt du 21 septembre 2006, Commission/Autriche (C‑168/04, EU:C:2006:595, point 66), certes, à l’occasion de celui-ci, la Cour a estimé que la protection de l’ordre public ne saurait justifier une règle excluant toute possibilité de régularisation de travailleurs détachés ressortissants de pays tiers en cas d’entrée illégale sur le territoire de l’État membre d’accueil, car, au travers des informations fournies dans le cadre de la déclaration préalable au détachement, il était déjà
possible pour les autorités nationales compétentes de prendre, au cas par cas, les mesures qui s’imposent s’il s’avérait qu’un travailleur ressortissant de pays tiers dont le détachement est envisagé représentait une menace pour l’ordre public et la sécurité publique, avant que ce dernier ne pénètre sur le territoire national.
100 Pour autant, dans cet arrêt, la Cour n’a pas jugé que l’exigence pour le travailleur détaché de disposer d’un permis de séjour délivré par l’État membre d’accueil était, en elle-même, contraire au droit de l’Union. En effet, une telle exigence, en ce qu’elle est susceptible de permettre à un État membre de collecter ou de vérifier des informations qui, dans le cadre de la procédure de notification, ne pourraient pas l’être, conserve un intérêt spécifique au regard de l’objectif de prévention des
menaces d’atteinte à l’ordre public, lequel vise notamment à réaliser différentes obligations positives à la charge des pouvoirs publics susceptibles de résulter des droits garantis par la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.
101 En particulier, à la différence de la procédure de notification qui repose sur un contrôle sur la base des informations reçues ou déjà détenues, la procédure de permis de séjour, pour autant qu’elle requiert que l’intéressé se présente physiquement dans les locaux d’une autorité compétente, est susceptible de permettre une vérification approfondie de l’identité de celui-ci, laquelle revêt, en matière de lutte contre les menaces d’atteinte à l’ordre public, une importance toute particulière.
102 Par conséquent, il y a lieu de considérer que l’objectif de protection de l’ordre public est susceptible de justifier qu’un État membre exige des prestataires de services établis dans un autre État membre souhaitant détacher des travailleurs ressortissants de pays tiers qu’ils obtiennent, passé un délai de séjour de trois mois dans le premier État membre, un permis de séjour pour chacun de ces travailleurs et que, à cette occasion, cet État membre soumette la délivrance d’un tel permis à la
vérification de ce que l’intéressé ne représente pas une menace pour l’ordre public et la sécurité publique, pour autant que les contrôles opérés à cette fin ne pouvaient pas l’être, de manière fiable, sur la base des informations dont ledit État membre exige ou aurait pu raisonnablement exiger la communication lors de la procédure de notification, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier.
103 Eu égard à l’ensemble de ce qui précède, il y a lieu de répondre à la deuxième question que l’article 56 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une réglementation d’un État membre prévoyant que, dans l’hypothèse où une entreprise établie dans un autre État membre réalise dans le premier État membre une prestation de services dont la durée dépasse trois mois, cette entreprise a l’obligation d’obtenir dans l’État membre d’accueil un permis de séjour pour chaque travailleur
ressortissant de pays tiers qu’elle entend y détacher, et que, afin d’obtenir ce permis, elle notifie préalablement la prestation de services pour la réalisation de laquelle ces travailleurs doivent être détachés et qu’elle communique aux autorités de l’État membre d’accueil les permis de séjour dont disposent ceux-ci dans l’État membre où elle est établie ainsi que leur contrat de travail.
Sur la troisième question
Sur la recevabilité
104 Le gouvernement néerlandais relève que, dans l’affaire en cause au principal, le prestataire de services a obtenu des permis de séjour valables jusqu’à la date de fin de la prestation de services litigieuse, soit le 31 décembre 2021. Dès lors, ce gouvernement se demande dans quelle mesure la juridiction de renvoi a réellement besoin, pour trancher le litige en cause au principal, d’une réponse à la troisième question.
105 À cet égard, il convient de rappeler que, en vertu d’une jurisprudence constante, dans le cadre de la procédure visée à l’article 267 TFUE, fondée sur une nette séparation des fonctions entre les juridictions nationales et la Cour, le juge national est seul compétent pour constater et apprécier les faits du litige au principal, ainsi que pour interpréter et appliquer le droit national. Il appartient de même au seul juge national, qui est saisi de ce litige et doit assumer la responsabilité de la
décision juridictionnelle à intervenir, d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour. En conséquence, dès lors que les questions posées portent sur l’interprétation du droit de l’Union, la Cour est, en principe, tenue de statuer [arrêts du 7 août 2018, Banco Santander et Escobedo Cortés, C‑96/16 et C‑94/17, EU:C:2018:643, point 50, et du 24 novembre 2022, Varhoven administrativen sad (Abrogation de la disposition
contestée), C‑289/21, EU:C:2022:920, point 24].
106 Il s’ensuit que la présomption de pertinence qui s’attache aux questions posées à titre préjudiciel par les juridictions nationales ne peut être écartée que dans des cas exceptionnels (voir, en ce sens, arrêt du 16 juin 2005, Pupino, C‑105/03, EU:C:2005:386, point 30). Ainsi, le refus de la Cour de statuer sur une question préjudicielle posée par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée du droit de l’Union n’a aucun rapport
avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (arrêt du 24 juillet 2023, Lin, C‑107/23 PPU, EU:C:2023:606, point 62).
107 En l’occurrence, il doit d’emblée être relevé que les doutes exprimés par le gouvernement néerlandais ne portent que sur la pertinence, aux fins de trancher le litige au principal, de l’une des caractéristiques de la réglementation envisagée par la juridiction de renvoi dans sa question, laquelle tient à ce que la durée de validité des permis de séjour ne peut pas excéder deux ans.
108 Or, à cet égard, il est vrai que l’IND, agissant au nom du secrétaire d’État, a délivré aux requérants au principal concernés des permis de séjour valables jusqu’à la date de fin de l’activité en cause, telle qu’elle avait été notifiée aux autorités compétentes, soit le 31 décembre 2021. Cela étant, il est constant que les requérants au principal contestent la durée de leur permis de séjour. Or, outre qu’il n’appartient pas à la Cour de se prononcer sur les conditions de recevabilité de tels
recours en droit néerlandais, il ressort du dossier que leur employeur devait ensuite réaliser une autre prestation de services aux Pays-Bas et que, ce faisant, des nouvelles demandes de permis ont dû être introduites, pour lesquelles des frais administratifs ont de nouveau été demandés.
109 Étant donné que, si les requérants au principal avaient obtenu des permis de séjour d’une durée plus longue, il ne saurait être exclu que le versement de tels frais aurait pu être évité, il n’apparaît pas de manière manifeste que l’interprétation sollicitée du droit de l’Union n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal ou que le problème est de nature hypothétique.
110 La Cour disposant, en outre, de l’ensemble des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile à la question qui lui est posée, il y a lieu de déclarer la troisième question comme étant recevable dans son entièreté.
Sur le fond
111 Par sa troisième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 56 TFUE s’oppose à une réglementation nationale d’un État membre en vertu de laquelle, premièrement, la validité du permis de séjour susceptible d’être octroyé à un travailleur ressortissant de pays tiers détaché dans cet État membre ne peut, en tout état de cause, excéder une durée déterminée par la réglementation nationale en cause, laquelle peut ainsi être inférieure à celle nécessaire aux fins de la
réalisation de la prestation pour laquelle ce travailleur est détaché, deuxièmement, la durée de validité de ce permis de séjour est limitée à celle du permis de travail et de séjour dont dispose l’intéressé dans l’État membre dans lequel le prestataire de services est établi, troisièmement, la délivrance dudit permis de séjour requiert le versement de droits d’un montant supérieur à celui des droits dus pour la délivrance d’un certificat de séjour régulier à un citoyen de l’Union.
112 À cet égard, s’agissant, tout d’abord, de la circonstance que la durée de validité des permis de séjour susceptibles d’être octroyés ne peut excéder une même durée fixée par la réglementation nationale en cause, il ressort de la jurisprudence de la Cour que la notion de « service », au sens du traité FUE, peut couvrir des services de nature très différente, y compris des services qu’un opérateur économique établi dans un État membre fournit de manière plus ou moins fréquente ou régulière, même
sur une période prolongée, à des personnes établies dans un ou plusieurs autres États membres (arrêt du 2 septembre 2021, Institut des Experts en Automobiles, C‑502/20, EU:C:2021:678, point 35 et jurisprudence citée). Partant, il ne saurait être exclu que la prestation de services dans un État membre, effectuée par un prestataire établi dans un autre État membre avec du personnel détaché de cet autre État membre, dure au–delà de la durée maximale de validité pouvant être octroyée à un permis de
séjour prévue par la réglementation nationale.
113 Cela étant, il n’en demeure pas moins que, pour être couvert par la libre prestation des services garantie à l’article 56 TFUE, le prestataire qui déplace du personnel au titre de la libre prestation des services ne peut le faire qu’à titre temporaire (arrêt du 22 novembre 2018, Vorarlberger Landes- und Hypothekenbank, C‑625/17, EU:C:2018:939, point 36 et jurisprudence citée) et que, par conséquent, les États membres doivent pouvoir assortir les permis de séjour qu’ils octroient aux travailleurs
ressortissants de pays tiers détachés sur leur territoire d’une durée de validité.
114 Certes, l’article 9, paragraphe 1, de la directive 2014/67 prévoit que les États membres peuvent exiger des prestataires de services établis dans un autre État membre qu’ils notifient aux autorités nationales la prestation de services et, à cette occasion, l’identité des travailleurs qu’ils entendent détacher, ainsi que la nature et la durée de l’activité. Partant, cette disposition offre à ces autorités, au moment de cette notification, la possibilité d’apprécier les tâches devant être
effectuées lors de ce détachement et le temps nécessaire à leur réalisation.
115 Pour autant, même lorsqu’un État membre a fait usage de cette faculté, le fait de prévoir que la validité des permis de séjour accordés ne peut, en tout état de cause, excéder une certaine durée, laquelle est déterminée par la réglementation nationale en cause, n’apparaît pas comme étant, en soi, contraire au droit de l’Union, quand bien même cette durée peut ainsi être inférieure à celle nécessaire aux fins de la réalisation de la prestation pour laquelle ces travailleurs sont détachés. En
effet, il est de jurisprudence constante qu’une mesure nationale n’ayant pas pour objet de régler les conditions concernant l’exercice de la prestation des services des entreprises concernées et dont les effets restrictifs qu’elle pourrait produire sur la libre prestation des services sont trop aléatoires et trop indirects pour qu’elle puisse être regardée comme étant de nature à entraver cette liberté ne se heurte pas à l’interdiction posée à l’article 56 TFUE (arrêt du 27 octobre 2022,
Instituto do Cinema e do Audiovisual, C‑411/21, EU:C:2022:836, point 29).
116 Or, le fait de prévoir que la validité des permis octroyés par l’État membre d’accueil ne peut, en tout état de cause, excéder une certaine durée, n’a pas pour objet de régler les conditions d’exercice du droit à la libre prestation des services des entreprises établies dans un autre État membre, puisqu’une telle limite est également applicable aux entreprises de cet État membre employant des ressortissants de pays tiers, et n’est de nature à prohiber, à gêner ou à rendre moins attrayant
l’exercice, par l’employeur, de son droit à la libre prestation des services de manière suffisamment certaine et directe que si cette durée initiale de validité est manifestement trop courte pour répondre aux besoins de la majorité des prestataires de services ou si, en tout état de cause, il n’est possible d’en obtenir le renouvellement qu’en accomplissant des formalités excessives.
117 En ce qui concerne, ensuite, le fait que les permis de séjour susceptibles d’être octroyés, par un État membre, aux travailleurs ressortissants de pays tiers détachés dans cet État membre par un prestataire de services établi dans un autre État membre ne peuvent avoir une durée de validité supérieure à celle des permis de travail détenus par les intéressés dans cet autre État membre, il convient de rappeler que la liberté de prestation de services, garantie à l’article 56 TFUE, ne peut être
invoquée que par des prestataires établis dans un État membre autre que celui où la prestation doit être exécutée, où ils fournissent légalement des services analogues (voir, en ce sens, arrêt du 10 mars 2016, Safe Interenvíos, C‑235/14, EU:C:2016:154, point 98).
118 Puisqu’un prestataire de services ne saurait fournir légalement ses services dans l’État membre dans lequel il est établi et, par suite, bénéficier de la libre prestation des services, que pour autant que les travailleurs qu’il emploie le sont conformément au droit de cet État membre, le fait, pour un État membre, de limiter la durée de validité des permis de séjour qu’il délivre aux ressortissants de pays tiers détachés sur son territoire à la durée des permis de travail que ceux-ci détiennent
dans l’État membre où est établi ce prestataire, ne saurait être considéré comme une violation du droit à la libre prestation des services de celui-ci.
119 Pour ce qui est, enfin, du fait que les droits dus pour l’octroi d’un permis de séjour à un travailleur ressortissant de pays tiers détaché dans un État membre par une entreprise établie dans un autre État membre, tout en étant d’un montant égal à celui des droits dus au titre d’un permis de séjour ordinaire aux fins de l’exercice d’un emploi par un ressortissant d’un pays tiers, sont supérieurs au montant des droits dus pour l’octroi d’un certificat de séjour à un citoyen de l’Union, il est de
jurisprudence constante que, conformément au principe de proportionnalité, pour qu’une mesure exigeant le paiement de droits en contrepartie de la délivrance, par un État membre, d’un permis de séjour puisse être considérée comme compatible avec l’article 56 TFUE, le montant de ces droits ne saurait être excessif ou déraisonnable (voir, par analogie, arrêt du 22 janvier 2002, Canal Satélite Digital, C‑390/99, EU:C:2002:34, point 42).
120 Cela étant, il n’en demeure pas moins que le caractère excessif ou déraisonnable et, par suite, disproportionné du montant des droits dus doit être apprécié au regard du coût généré par le traitement de cette demande et que l’État membre concerné doit ainsi supporter.
121 Par conséquent, la circonstance que les droits demandés pour l’émission d’un permis de séjour au bénéfice d’un travailleur détaché ressortissant de pays tiers soient supérieurs à ceux demandés pour un certificat de séjour pour un citoyen de l’Union ne saurait, en principe, suffire à établir à elle seule que le montant de ces droits serait excessif ou déraisonnable et, par suite, méconnaîtrait l’article 56 TFUE, mais peut constituer un indice sérieux du caractère disproportionné de ce montant, si
les tâches que l’administration doit accomplir pour octroyer un tel permis de séjour, eu égard notamment aux conditions posées par la réglementation nationale en cause à cet effet, ainsi que les coûts de fabrication du document sécurisé correspondant, sont équivalentes à celles nécessaires pour l’octroi d’un certificat de séjour pour un citoyen de l’Union, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de déterminer.
122 Eu égard à l’ensemble de ce qui précède, il convient de répondre à la troisième question que l’article 56 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une réglementation d’un État membre en vertu de laquelle, premièrement, la validité du permis de séjour susceptible d’être octroyé à un travailleur ressortissant de pays tiers détaché dans cet État membre ne peut, en tout état de cause, excéder une durée déterminée par la réglementation nationale en cause, laquelle peut ainsi être
inférieure à celle nécessaire aux fins de la réalisation de la prestation pour laquelle ce travailleur est détaché, deuxièmement, la durée de validité de ce permis de séjour est limitée à celle du permis de travail et de séjour dont dispose l’intéressé dans l’État membre dans lequel le prestataire de services est établi et, troisièmement, la délivrance dudit permis de séjour requiert le versement de droits d’un montant supérieur à celui des droits dus pour la délivrance d’un certificat de séjour
régulier à un citoyen de l’Union, pour autant que, tout d’abord, la durée initiale de validité du même permis n’est pas manifestement trop courte pour répondre aux besoins de la majorité des prestataires de services, ensuite, il soit possible d’obtenir le renouvellement du permis de séjour sans devoir accomplir des formalités excessives et, enfin, ce montant corresponde approximativement au coût administratif engendré par le traitement d’une demande d’obtention d’un tel permis.
Sur les dépens
123 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (cinquième chambre) dit pour droit :
1) Les articles 56 et 57 TFUE doivent être interprétés en ce sens que les travailleurs ressortissants de pays tiers qui sont détachés dans un État membre par un prestataire de services établi dans un autre État membre ne doivent pas se voir automatiquement reconnaître un « droit de séjour dérivé » que ce soit dans l’État membre où ils sont employés ou dans celui où ils sont détachés.
2) L’article 56 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une réglementation d’un État membre prévoyant que, dans l’hypothèse où une entreprise établie dans un autre État membre réalise dans le premier État membre une prestation de services dont la durée dépasse trois mois, cette entreprise a l’obligation d’obtenir dans l’État membre d’accueil un permis de séjour pour chaque travailleur ressortissant de pays tiers qu’elle entend y détacher, et que, afin d’obtenir ce permis, elle
notifie préalablement la prestation de services pour la réalisation de laquelle ces travailleurs doivent être détachés et qu’elle communique aux autorités de l’État membre d’accueil les permis de séjour dont disposent ceux-ci dans l’État membre où elle est établie ainsi que leur contrat de travail.
3) L’article 56 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une réglementation d’un État membre en vertu de laquelle, premièrement, la validité du permis de séjour susceptible d’être octroyé à un travailleur ressortissant de pays tiers détaché dans cet État membre ne peut, en tout état de cause, excéder une durée déterminée par la réglementation nationale en cause, laquelle peut ainsi être inférieure à celle nécessaire aux fins de la réalisation de la prestation pour laquelle ce
travailleur est détaché, deuxièmement, la durée de validité de ce permis de séjour est limitée à celle du permis de travail et de séjour dont dispose l’intéressé dans l’État membre dans lequel le prestataire de services est établi et, troisièmement, la délivrance dudit permis de séjour requiert le versement de droits d’un montant supérieur à celui des droits dus pour la délivrance d’un certificat de séjour régulier à un citoyen de l’Union, pour autant que, tout d’abord, la durée initiale de
validité du même permis n’est pas manifestement trop courte pour répondre aux besoins de la majorité des prestataires de services, ensuite, il soit possible d’obtenir le renouvellement du permis de séjour sans devoir accomplir des formalités excessives et, enfin, ce montant corresponde approximativement au coût administratif engendré par le traitement d’une demande d’obtention d’un tel permis.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : le néerlandais.