ARRÊT DE LA COUR (septième chambre)
4 juillet 2024 ( *1 )
« Renvoi préjudiciel – Accord d’association CEE-Turquie – Décision no 1/80 – Article 13 – Clause de “standstill” – Champ d’application – Notion de “nouvelle restriction” – Réglementation nationale introduisant des conditions plus restrictives pour l’obtention d’un titre de séjour permanent »
Dans l’affaire C‑375/23 [Meislev] ( i ),
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Højesteret (Cour suprême, Danemark), par décision du 6 juin 2023, parvenue à la Cour le 13 juin 2023, dans la procédure
EN
contre
Udlændingenævnet,
LA COUR (septième chambre),
composée de M. F. Biltgen (rapporteur), président de chambre, MM. N. Wahl et J. Passer, juges,
avocat général : M. N. Emiliou,
greffier : M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
considérant les observations présentées :
– pour EN, par Mes C. Friis Bach Ryhl et T. Ryhl, advokater,
– pour le gouvernement danois, par Mmes J. F. Kronborg et C. Maertens, en qualité d’agents, assistées de Me R. Holdgaard, advokat,
– pour la Commission européenne, par Mme O. Glinicka, MM. B.‑R. Killmann et C. Vang, en qualité d’agents,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 13 de la décision no 1/80 du conseil d’association, du 19 septembre 1980, relative au développement de l’association entre la Communauté économique européenne et la Turquie (ci-après la « décision no 1/80 »).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant EN, ressortissant turc, à l’Udlændingenævnet (commission des recours en matière d’immigration, Danemark) au sujet du rejet, par cette dernière, de sa demande tendant à l’obtention d’un titre de séjour permanent au Danemark.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
L’accord d’association
3 Il résulte de l’article 2 de l’accord créant une association entre la Communauté économique européenne et la Turquie, qui a été signé le 12 septembre 1963, à Ankara par la République de Turquie, d’une part, ainsi que par les États membres de la CEE et la Communauté, d’autre part, et qui a été conclu, approuvé et confirmé au nom de cette dernière par la décision 64/732/CEE du Conseil, du 23 décembre 1963 (JO 1964, 217, p. 3685, ci-après l’« accord d’association »), que celui-ci a pour objet de
promouvoir le renforcement continu et équilibré des relations commerciales et économiques entre les parties contractantes, en tenant pleinement compte de la nécessité d’assurer le développement accéléré de l’économie de la Turquie et le relèvement du niveau de l’emploi et des conditions de vie du peuple turc.
4 À cet effet, l’accord d’association comporte une phase préparatoire permettant à la République de Turquie de renforcer son économie avec l’aide de la Communauté (article 3), une phase transitoire, au cours de laquelle les parties contractantes assurent la mise en place progressive d’une union douanière et le rapprochement de leurs politiques économiques (article 4) ainsi qu’une phase définitive qui est fondée sur l’union douanière et implique le renforcement de la coordination des politiques
économiques des parties contractantes (article 5).
5 L’article 6 de l’accord d’association prévoit :
« Pour assurer l’application et le développement progressif du régime d’association, les [p]arties contractantes se réunissent au sein d’un [c]onseil d’association qui agit dans les limites des attributions qui lui sont conférées par l’accord [d’association]. »
6 Aux termes de l’article 8 de l’accord d’association, figurant au titre II de celui-ci, intitulé « Mise en œuvre de la phase transitoire » :
« Pour la réalisation des objectifs énoncés à l’article 4, le [c]onseil d’association fixe, avant le début de la phase transitoire, et selon la procédure prévue à l’article premier du protocole provisoire, les conditions, modalités et rythmes de mise en œuvre des dispositions propres aux domaines visés par le traité [CE] qui devront être pris en considération, notamment ceux visés au présent titre, ainsi que toute clause de sauvegarde qui s’avérerait utile. »
7 L’article 9 de l’accord d’association est libellé comme suit :
« Les [p]arties contractantes reconnaissent que dans le domaine d’application de l’accord [d’association], et sans préjudice des dispositions particulières qui pourraient être établies en application de l’article 8, toute discrimination exercée en raison de la nationalité est interdite en conformité du principe énoncé dans l’article 7 du traité [CE]. »
8 L’article 12 de l’accord d’association, qui figure au chapitre 3, intitulé « Autres dispositions de caractère économique », du titre II de celui-ci, énonce :
« Les [p]arties contractantes conviennent de s’inspirer des articles [45], [46] et [47 TFUE] pour réaliser graduellement la libre circulation des travailleurs entre elles. »
Le protocole additionnel
9 Le protocole additionnel, signé le 23 novembre 1970 à Bruxelles et conclu, approuvé et confirmé au nom de la Communauté par le règlement (CEE) no 2760/72 du Conseil, du 19 décembre 1972 (JO 1972, L 293, p. 1, ci-après le « protocole additionnel »), qui, conformément à son article 62, fait partie intégrante de l’accord d’association, arrête, aux termes de son article 1er, « les conditions, modalités et rythmes de réalisation de la phase transitoire visée à l’article 4 [de cet accord] ».
10 Le protocole additionnel comporte un titre II, intitulé « Circulation des personnes et des services », dont le chapitre I vise « [l]es travailleurs » et le chapitre II est intitulé « Droit d’établissement, services et transports ».
11 L’article 41 du protocole additionnel, qui figure à ce chapitre II, est libellé comme suit :
« 1. Les parties contractantes s’abstiennent d’introduire entre elles de nouvelles restrictions à la liberté d’établissement et à la libre prestation des services.
2. Le [c]onseil d’association fixe, conformément aux principes énoncés aux articles 13 et 14 de l’accord d’association, le rythme et les modalités selon lesquels les parties contractantes suppriment entre elles progressivement les restrictions à la liberté d’établissement et à la libre prestation des services.
[...] »
La décision no 1/80
12 Ainsi qu’il ressort du troisième considérant de la décision no 1/80, celle-ci vise à améliorer, dans le domaine social, le régime dont bénéficient les travailleurs turcs et les membres de leur famille par rapport au régime institué par la décision no 2/76 du conseil d’association, du 20 septembre 1976.
13 Le chapitre II de la décision no 1/80, intitulé « Dispositions sociales », contient une section 1, elle-même intitulée « Questions relatives à l’emploi et à la libre circulation des travailleurs », qui comprend les articles 6 à 16 de cette décision.
14 L’article 6 de la décision no 1/80 prévoit :
« 1. Sous réserve des dispositions de l’article 7 relatif au libre accès à l’emploi des membres de sa famille, le travailleur turc, appartenant au marché régulier de l’emploi d’un État membre :
– a droit, dans cet État membre, après un an d’emploi régulier, au renouvellement de son permis de travail auprès du même employeur, s’il dispose d’un emploi ;
– a le droit, dans cet État membre, après trois ans d’emploi régulier et sous réserve de la priorité à accorder aux travailleurs des États membres de la Communauté, de répondre dans la même profession auprès d’un employeur de son choix à une autre offre, faite à des conditions normales, enregistrée auprès des services de l’emploi de cet État membre ;
– bénéficie, dans cet État membre, après quatre ans d’emploi régulier, du libre accès à toute activité salariée de son choix.
[...]
3. Les modalités d’application des paragraphes 1 et 2 sont fixées par les réglementations nationales. »
15 L’article 13 de la décision no 1/80 énonce :
« Les États membres de la Communauté et la Turquie ne peuvent introduire de nouvelles restrictions concernant les conditions d’accès à l’emploi des travailleurs et des membres de leur famille qui se trouvent sur leur territoire respectif en situation régulière en ce qui concerne le séjour et l’emploi. »
16 Conformément à l’article 16 de la décision no 1/80, les dispositions de la section 1 du chapitre II de celle-ci sont applicables à compter du 1er décembre 1980.
Le droit danois
17 L’article 11 de l’udlændingeloven (loi sur les étrangers), dans sa version applicable aux faits au principal et résultant de l’arrêté de codification no 412, du 9 mai 2016, et de ses modifications ultérieures (ci-après la « loi sur les étrangers »), était libellé comme suit :
« 1. Le titre de séjour selon les articles 7‑9 f, 9 i‑9 n ou 9 p est accordé avec possibilité de séjour à durée indéterminée ou en vue d’un séjour temporaire au Danemark. Le titre de séjour peut être limité dans le temps.
[...]
3. Sauf s’il y a lieu de retirer le titre de séjour en application de l’article 19, un étranger âgé de 18 ans ou plus peut demander et obtenir un titre de séjour permanent aux conditions suivantes :
1) Sous réserve du paragraphe 7, l’étranger doit séjourner légalement au Danemark depuis au moins six ans, sauf cas prévus aux paragraphes 5 et 6, et doit avoir bénéficié, au cours de toute cette période, d’un titre de séjour délivré en application des articles 7‑9 f, 9 i‑9 n ou 9 p [...]
[...]
8) L’étranger doit avoir occupé un emploi salarié à temps plein ou exercé un travail indépendant (voir paragraphe 8) pendant au moins deux ans et six mois au cours des trois années précédant la délivrance d’un titre de séjour permanent.
[...]
5. Sauf s’il y a lieu de retirer le titre de séjour en application de l’article 19, un titre de séjour permanent peut être délivré sur demande à l’étranger âgé de 18 ans ou plus ayant séjourné légalement au Danemark pendant au moins quatre ans et bénéficié, au cours de toute cette période, d’un titre de séjour en application des articles 7‑9 f, 9 i‑9 n ou 9 p, s’il satisfait aux conditions énoncées au paragraphe 3, points 2 à 9, et au paragraphe 4. [...]
[...]
16. Même s’il n’est pas satisfait aux conditions énoncées au paragraphe 3, points 4 à 9, ou paragraphe 4, points 1 à 4, un titre de séjour permanent peut être délivré à un étranger âgé de plus de 18 ans ou plus s’il ne peut être exigé qu’il soit satisfait à ces conditions suivant les obligations internationales du Danemark, y compris la [convention des Nations unies relatives aux droits des personnes handicapées, approuvée au nom de la Communauté européenne par la décision 2010/48/CE du
Conseil, du 26 novembre 2009 (JO 2010, L 23, p. 35)]. »
Le litige au principal et les questions préjudicielles
18 Le 24 mai 2013, le requérant au principal, ressortissant turc, s’est vu délivrer un titre de séjour temporaire au Danemark sur la base de son mariage avec une ressortissante danoise résidant sur le territoire danois, lequel a, par une décision de l’Udlændingestyrelsen (office des migrations, Danemark) du 15 octobre 2020, été prolongé jusqu’au 15 octobre 2026.
19 Le 27 mars 2017, le requérant au principal, qui bénéficiait du statut de travailleur au Danemark et relevait, à ce titre, des champs d’application de l’accord d’association et de la décision no 1/80, a introduit, auprès de l’office des migrations, une demande de titre de séjour permanent au Danemark.
20 Par une décision du 10 novembre 2017, l’office des migrations a rejeté cette demande au motif que le requérant au principal ne satisfaisait pas à la condition de séjour légal au Danemark pendant une période ininterrompue d’au moins six ans, énoncée à l’article 11, paragraphe 3, point 1, de la loi sur les étrangers, ni aux conditions spécifiques prévues à cet article 11, paragraphe 5, permettant d’obtenir un titre de séjour permanent après quatre années de séjour légal au Danemark.
21 Le 14 novembre 2017, le requérant au principal a introduit un recours contre cette décision devant la commission des recours en matière d’immigration. Par une décision du 18 juillet 2018, celle-ci a confirmé la décision de l’office des migrations au motif que le requérant au principal ne remplissait pas les conditions prévues par la loi sur les étrangers.
22 Le 15 octobre 2018, le requérant au principal a saisi le Københavns byret (tribunal municipal de Copenhague, Danemark) d’un recours tendant à l’annulation de cette dernière décision.
23 Par une ordonnance du 31 mars 2020, cette juridiction a renvoyé l’affaire devant l’Østre Landsret (cour d’appel de la région Est, Danemark), qui, par une décision du 2 février 2022, a fait droit aux conclusions de la commission des recours en matière d’immigration tendant au rejet de ce recours.
24 Le 1er mars 2022, le requérant au principal a saisi le Højesteret (Cour suprême, Danemark), qui est la juridiction de renvoi, d’un pourvoi dirigé contre cette décision.
25 Cette juridiction relève que, pour qu’une mesure soit qualifiée de « nouvelle restriction », au sens de l’article 13 de la décision no 1/80, elle doit avoir pour objet ou pour effet de soumettre l’exercice, par un ressortissant turc, de la libre circulation des travailleurs sur le territoire de l’État membre concerné à des conditions plus restrictives que celles qui lui étaient applicables à la date de l’entrée en vigueur de cette décision sur le territoire de cet État membre [arrêt du
22 décembre 2022, Udlændingenævnet (Examen linguistique imposé aux étrangers), C‑279/21, EU:C:2022:1019, point 30].
26 Ladite juridiction rappelle que, certes, la Cour a jugé que les principes admis dans le cadre des articles 45 à 47 TFUE doivent, dans la mesure du possible, être transposés aux ressortissants turcs bénéficiant de droits reconnus par l’association CEE-Turquie (arrêts du 6 juin 1995, Bozkurt, C‑434/93, EU:C:1995:168, points 19 et 20, ainsi que du 8 décembre 2011, Ziebell, C‑371/08, EU:C:2011:809, point 66). Toutefois, l’objectif plus large de faciliter l’exercice du droit fondamental et individuel
de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres qui est conféré directement aux citoyens de l’Union, sur lequel se fonde la directive 2004/38 du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, modifiant le règlement (CEE) no 1612/68 et abrogeant les directives 64/221/CEE, 68/360/CEE, 72/194/CEE, 73/148/CEE, 75/34/CEE,
75/35/CEE, 90/364/CEE, 90/365/CEE et 93/96/CEE (JO 2004, L 158, p. 77), ferait défaut en ce qui concerne la décision no 1/80 (arrêt du 8 décembre 2011, Ziebell, C‑371/08, EU:C:2011:809, point 68).
27 En outre, même si la Cour a déjà reconnu que des changements dans les conditions d’octroi de titres de séjour entrent dans le champ d’application de l’article 13 de la décision no 1/80 dans la mesure où ils affectent la situation de travailleurs turcs (arrêt du 9 décembre 2010, Toprak et Oguz, C‑300/09 et C‑301/09, EU:C:2010:756, point 44), elle ne s’est pas encore prononcée sur le point de savoir si une réglementation nationale prévoyant des conditions plus strictes pour l’obtention d’un titre
de séjour permanent dans un État membre par rapport à celles qui étaient applicables à la date de l’entrée en vigueur de cette décision dans cet État membre constitue une « nouvelle restriction », au sens de cet article.
28 Si tel devait être le cas, la juridiction de renvoi se demande si une telle restriction peut être justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général. La Cour aurait reconnu que l’objectif consistant à garantir une intégration réussie des ressortissants de pays tiers dans l’État membre concerné, invoqué par les autorités danoises, peut constituer une raison impérieuse d’intérêt général au regard de la décision no 1/80 (arrêt du 12 avril 2016, Genc, C‑561/14, EU:C:2016:247, point 56). Toutefois,
la Cour n’aurait pas encore eu à se prononcer sur la question de savoir si des conditions relatives à la durée préalable du séjour et à l’exercice d’un emploi par un travailleur turc dans l’État membre concerné, auxquelles la délivrance d’un titre de séjour permanent est subordonnée, peuvent être considérées comme étant appropriées pour garantir la réalisation de cet objectif.
29 Dans ces conditions, le Højesteret (Cour suprême) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) Une réglementation nationale déterminant des conditions d’obtention d’un titre de séjour permanent dans un État membre relève-t-elle du champ d’application de la clause de standstill de l’article 13 de la [décision no 1/80] ?
2) Dans l’affirmative, le renforcement des conditions de durée requises pour l’obtention d’un titre de séjour permanent dans un État membre (c’est-à-dire un durcissement des conditions minimales tenant à la durée du séjour et de l’emploi d’un étranger dans un État membre) peut-il être considéré comme une mesure appropriée pour assurer une intégration réussie de ressortissants de pays tiers ? »
Sur les questions préjudicielles
Sur la première question
30 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 13 de la décision no 1/80 doit être interprété en ce sens qu’une réglementation d’un État membre qui subordonne l’obtention d’un titre de séjour permanent, par un travailleur turc résidant légalement dans cet État membre et relevant du champ d’application de l’article 6, paragraphe 1, de cette décision, à des conditions plus strictes que celles qui étaient applicables à la date de l’entrée en vigueur de ladite
décision dans ledit État membre constitue une « nouvelle restriction », au sens de l’article 13 de la même décision.
31 Il découle du libellé de cet article 13 que celui-ci énonce une clause de standstill interdisant aux États membres d’introduire de nouvelles restrictions concernant l’accès à l’emploi des travailleurs turcs et des membres de leur famille qui se trouvent sur leur territoire en situation régulière en ce qui concerne le séjour et l’emploi.
32 Il ressort d’une jurisprudence constante que cette clause de standstill prohibe de manière générale l’introduction de toute nouvelle mesure interne qui aurait pour objet ou pour effet de soumettre l’exercice, par un ressortissant turc, de la libre circulation des travailleurs sur le territoire national à des conditions plus restrictives que celles qui lui étaient applicables à la date de l’entrée en vigueur de la décision no 1/80 dans l’État membre concerné [arrêt du 9 février 2023,
Staatssecretaris van Justitie en Veiligheid e.a. (Retrait du droit de séjour d’un travailleur turc), C‑402/21, EU:C:2023:77, point 52 ainsi que jurisprudence citée].
33 Une telle interprétation large de la portée de la clause de standstill concernée se justifie au regard de l’objectif de la décision no 1/80 consistant à établir la libre circulation des travailleurs. En effet, tant une nouvelle restriction qui durcit les conditions d’accès à la première activité professionnelle d’un travailleur turc ou des membres de sa famille que celle qui, une fois que ce travailleur ou les membres de sa famille bénéficient de droits en matière d’emploi en vertu de l’article 6
ou de l’article 7 de cette décision, restreint son accès à une activité salariée garantie par ces droits contreviennent à l’objectif de ladite décision de réaliser la libre circulation de ces travailleurs [arrêt du 9 février 2023, Staatssecretaris van Justitie en Veiligheid e.a. (Retrait du droit de séjour d’un travailleur turc), C‑402/21, EU:C:2023:77, point 53].
34 Ainsi, la Cour a jugé que des mesures d’un État membre qui visent à définir les critères de régularité de la situation des ressortissants turcs, en adoptant ou en modifiant, notamment, les conditions de séjour de ces ressortissants sur son territoire, sont susceptibles de constituer de nouvelles restrictions, au sens de l’article 13 de la décision no 1/80. La Cour a également jugé qu’une législation nationale permettant le retrait des droits de séjour que les intéressés détiennent en vertu de
l’article 6, paragraphe 1, troisième tiret, et de l’article 7, second alinéa, de cette décision, limite leur droit à la libre circulation par rapport au droit à la libre circulation dont ils jouissaient à la date de l’entrée en vigueur de ladite décision et constitue, dès lors, une nouvelle restriction, au sens dudit article 13 [arrêt du 9 février 2023, Staatssecretaris van Justitie en Veiligheid e.a. (Retrait du droit de séjour d’un travailleur turc), C‑402/21, EU:C:2023:77, points 58 et 59].
35 En l’occurrence, il ressort de la décision de renvoi que, depuis le mois de mai 2013, le requérant au principal est titulaire d’un titre de séjour temporaire au Danemark, prolongé jusqu’au 15 octobre 2026, lui donnant le droit de travailler et d’étudier dans cet État membre. Partant, le requérant au principal bénéficie du statut de travailleur séjournant légalement dans ledit État membre et relève du champ d’application de l’article 6, paragraphe 1, de la décision no 1/80.
36 Il convient de rappeler que cette disposition confère au travailleur turc le droit, après une certaine période d’emploi régulier, de continuer à exercer son activité salariée auprès du même employeur ou dans la même profession auprès d’un employeur de son choix, ou encore d’accéder librement à toute activité salariée de son choix. Cela implique nécessairement, sous peine de priver de tout effet le droit d’accéder au marché de l’emploi et d’exercer un emploi, l’existence d’un droit de séjour
corrélatif (voir, en ce sens, arrêts du 6 juin 1995, Bozkurt, C‑434/93, EU:C:1995:168, point 28, ainsi que du 2 juin 2005, Dörr et Ünal, C‑136/03, EU:C:2005:340, point 66 et jurisprudence citée).
37 Or, le refus opposé par les autorités nationales compétentes d’accorder, en application de la loi sur les étrangers, un droit de séjour permanent aux travailleurs turcs qui, comme le requérant au principal, relèvent de l’article 6, paragraphe 1, de la décision no 1/80 et sont titulaires d’un titre de séjour temporaire au Danemark n’a pas pour effet d’empêcher ces derniers de continuer à exercer leur activité professionnelle et à bénéficier des droits conférés par cette disposition, notamment d’un
droit de séjour dans cet État membre. Un tel refus ne porte, dès lors, pas atteinte à l’exercice, par les travailleurs turcs relevant du champ d’application de ladite disposition qui séjournent légalement dans ledit État membre, de leur droit à la libre circulation.
38 Il s’ensuit que, bien que la loi sur les étrangers, qui prévoit notamment que les étrangers âgés de plus de 18 ans peuvent obtenir un titre de séjour permanent à condition qu’ils aient séjourné légalement au Danemark pendant au moins six ans et qu’ils aient occupé un emploi salarié à temps plein ou exercé une activité indépendante pendant au moins deux ans et six mois au cours des trois années précédant la délivrance de ce titre, constitue un durcissement des conditions d’obtention d’un titre de
séjour permanent par rapport à celles qui étaient applicables à la date de l’entrée en vigueur de la décision no 1/80 dans cet État membre, cette loi ne constitue pas une « nouvelle restriction », au sens de l’article 13 de cette décision. En effet, ladite loi ne porte pas atteinte à l’exercice, par les ressortissants turcs relevant du champ d’application de l’article 6, paragraphe 1, de ladite décision qui séjournent légalement dans ledit État membre, de leur droit à la libre circulation sur le
territoire de ce dernier.
39 Toute interprétation contraire reviendrait à méconnaître le fait que les travailleurs turcs ne sauraient tirer un droit de séjour permanent dans un État membre de l’article 13 de la décision no 1/80, lu en combinaison avec l’article 45, paragraphe 3, sous d), TFUE. En effet, le régime applicable au titre de l’article 45 TFUE ne peut être transposé automatiquement aux travailleurs turcs (voir, en ce sens, arrêt du 6 juin 1995, Bozkurt, C‑434/93, EU:C:1995:168, point 41) et la clause de standstill
énoncée à cet article 13 n’est pas, par elle-même, de nature à conférer aux ressortissants turcs, sur le seul fondement de la réglementation de l’Union, un droit à la libre circulation des travailleurs ni un droit de séjour qui en constitue le corollaire (voir, par analogie, arrêts du 20 septembre 2007, Tum et Dari, C‑16/05, EU:C:2007:530, point 52, ainsi que du 24 septembre 2013, Demirkan, C‑221/11, EU:C:2013:583, point 54).
40 Par conséquent, il convient de répondre à la première question que l’article 13 de la décision no 1/80 doit être interprété en ce sens qu’une réglementation d’un État membre qui subordonne l’obtention d’un titre de séjour permanent, par un travailleur turc séjournant légalement dans cet État membre et relevant du champ d’application de l’article 6, paragraphe 1, de cette décision, à des conditions plus strictes que celles qui étaient applicables à la date de l’entrée en vigueur de ladite décision
dans ledit État membre ne constitue pas une « nouvelle restriction », au sens de l’article 13 de la même décision, dès lors qu’elle ne porte pas atteinte à l’exercice, par les ressortissants turcs séjournant légalement dans le même État membre, de leur droit à la libre circulation sur le territoire de ce dernier.
Sur la seconde question
41 Compte tenu de la réponse apportée à la première question, il n’y a pas lieu de répondre à la seconde question, dès lors que celle-ci n’est posée par la juridiction de renvoi que dans l’hypothèse d’une réponse affirmative à cette première question.
Sur les dépens
42 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (septième chambre) dit pour droit :
L’article 13 de la décision no 1/80 du conseil d’association, du 19 septembre 1980, relative au développement de l’association entre la Communauté économique européenne et la Turquie,
doit être interprété en ce sens que :
une réglementation d’un État membre qui subordonne l’obtention d’un titre de séjour permanent, par un travailleur turc séjournant légalement dans cet État membre et relevant du champ d’application de l’article 6, paragraphe 1, de cette décision, à des conditions plus strictes que celles qui étaient applicables à la date de l’entrée en vigueur de ladite décision dans ledit État membre ne constitue pas une « nouvelle restriction », au sens de l’article 13 de la même décision, dès lors qu’elle ne
porte pas atteinte à l’exercice, par les ressortissants turcs séjournant légalement dans le même État membre, de leur droit à la libre circulation sur le territoire de ce dernier.
Signatures
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
( *1 ) Langue de procédure : le danois.
( i ) Le nom de la présente affaire est un nom fictif. Il ne correspond au nom réel d’aucune partie à la procédure.