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29/07/2024 | CJUE | N°C-774/22

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, JX contre FTI Touristik GmbH., 29/07/2024, C-774/22


 ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)

29 juillet 2024 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière civile – Compétence judiciaire, reconnaissance et exécution des décisions en matière civile et commerciale – Règlement (UE) no 1215/2012 – Article 18 – Compétence judiciaire en matière de contrats conclus par les consommateurs – Détermination de la compétence internationale et territoriale des juridictions d’un État membre – Élément d’extranéité – Voyage dans un État tiers »

Dans l’affaire C

‑774/22,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par l’Amtsger...

 ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)

29 juillet 2024 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière civile – Compétence judiciaire, reconnaissance et exécution des décisions en matière civile et commerciale – Règlement (UE) no 1215/2012 – Article 18 – Compétence judiciaire en matière de contrats conclus par les consommateurs – Détermination de la compétence internationale et territoriale des juridictions d’un État membre – Élément d’extranéité – Voyage dans un État tiers »

Dans l’affaire C‑774/22,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par l’Amtsgericht Nürnberg (tribunal de district de Nuremberg, Allemagne), par décision du 7 décembre 2022, parvenue à la Cour le 21 décembre 2022, dans la procédure

JX

contre

FTI Touristik GmbH,

LA COUR (deuxième chambre),

composée de Mme A. Prechal, présidente de chambre, MM. F. Biltgen (rapporteur), N. Wahl, J. Passer et Mme M. L. Arastey Sahún, juges,

avocat général : M. N. Emiliou,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

– pour FTI Touristik GmbH, par Me F. Simon, Rechtsanwalt,

– pour le gouvernement tchèque, par Mme A. Edelmannová, MM. M. Smolek et J. Vláčil, en qualité d’agents,

– pour la Commission européenne, par MM. P. Kienapfel et S. Noë, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 7 mars 2024,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 18, paragraphe 1, du règlement (UE) no 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2012, L 351, p. 1).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant JX à FTI Touristik GmbH, un organisateur de voyages, au sujet de dommages et intérêts demandés par JX en raison du fait qu’il n’aurait pas été suffisamment informé par FTI Touristik des conditions d’entrée et des visas requis pour son voyage dans l’État tiers concerné.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

Le règlement no 1215/2012

3 Les considérants 3, 4, 15, 18 et 26 du règlement no 1215/2012 sont libellés comme suit :

« (3) L’Union [européenne] s’est donné pour objectif de maintenir et de développer un espace de liberté, de sécurité et de justice, entre autres en facilitant l’accès à la justice, notamment par le principe de reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires et extrajudiciaires en matière civile. En vue de l’établissement progressif de cet espace, l’Union doit adopter des mesures relevant du domaine de la coopération judiciaire dans les matières civiles ayant une incidence transfrontière,
notamment lorsque cela est nécessaire au bon fonctionnement du marché intérieur.

(4) Certaines différences entre les règles nationales en matière de compétence judiciaire et de reconnaissance des décisions rendent plus difficile le bon fonctionnement du marché intérieur. Des dispositions permettant d’unifier les règles de conflit de juridictions en matière civile et commerciale ainsi que de garantir la reconnaissance et de l’exécution rapides et simples des décisions rendues dans un État membre sont indispensables.

[...]

(15) Les règles de compétence devraient présenter un haut degré de prévisibilité et s’articuler autour de la compétence de principe du domicile du défendeur. Cette compétence devrait toujours être disponible, sauf dans quelques cas bien déterminés où la matière en litige ou l’autonomie des parties justifie un autre critère de rattachement. S’agissant des personnes morales, le domicile doit être défini de façon autonome de manière à accroître la transparence des règles communes et à éviter les
conflits de compétence.

[...]

(18) S’agissant des contrats d’assurance, de consommation et de travail, il est opportun de protéger la partie la plus faible au moyen de règles de compétence plus favorables à ses intérêts que ne le sont les règles générales.

[...]

(26) La confiance réciproque dans l’administration de la justice au sein de l’Union justifie le principe selon lequel les décisions rendues dans un État membre devraient être reconnues dans tous les États membres sans qu’une procédure spéciale [soit] nécessaire. En outre, la volonté de réduire la durée et les coûts des litiges transfrontières justifie la suppression de la déclaration constatant la force exécutoire préalable à l’exécution dans l’État membre requis. [...] ».

4 L’article 7 de ce règlement est rédigé dans les termes suivants :

« Une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut être attraite dans un autre État membre :

1) a) en matière contractuelle, devant la juridiction du lieu d’exécution de l’obligation qui sert de base à la demande ;

[...] »

5 La section 4 du chapitre II dudit règlement, intitulée « Compétence en matière de contrats conclus par les consommateurs », comprend les articles 17 à 19 de ce dernier. L’article 17 du même règlement dispose :

« 1.   En matière de contrat conclu par une personne, le consommateur, pour un usage pouvant être considéré comme étranger à son activité professionnelle, la compétence est déterminée par la présente section, sans préjudice de l’article 6 et de l’article 7, point 5) :

a) lorsqu’il s’agit d’une vente à tempérament d’objets mobiliers corporels ;

b) lorsqu’il s’agit d’un prêt à tempérament ou d’une autre opération de crédit liés au financement d’une vente de tels objets ; ou

c) lorsque, dans tous les autres cas, le contrat a été conclu avec une personne qui exerce des activités commerciales ou professionnelles dans l’État membre sur le territoire duquel le consommateur a son domicile ou qui, par tout moyen, dirige ces activités vers cet État membre ou vers plusieurs États, dont cet État membre, et que le contrat entre dans le cadre de ces activités.

2.   Lorsque le cocontractant du consommateur n’est pas domicilié sur le territoire d’un État membre mais possède une succursale, une agence ou tout autre établissement dans un État membre, il est considéré pour les contestations relatives à leur exploitation comme ayant son domicile sur le territoire de cet État membre.

3.   La présente section ne s’applique pas aux contrats de transport autres que ceux qui, pour un prix forfaitaire, combinent voyage et hébergement. »

6 L’article 18, paragraphes 1 et 2, du règlement no 1215/2012 prévoit :

« 1.   L’action intentée par un consommateur contre l’autre partie au contrat peut être portée soit devant les juridictions de l’État membre sur le territoire duquel est domiciliée cette partie, soit, quel que soit le domicile de l’autre partie, devant la juridiction du lieu où le consommateur est domicilié.

2.   L’action intentée contre le consommateur par l’autre partie au contrat ne peut être portée que devant les juridictions de l’État membre sur le territoire duquel est domicilié le consommateur. »

7 L’article 19, point 3, de ce règlement est libellé comme suit :

« Il ne peut être dérogé aux dispositions de la présente section que par des conventions :

[...]

3) qui, passées entre le consommateur et son cocontractant ayant, au moment de la conclusion du contrat, leur domicile ou leur résidence habituelle dans un même État membre, attribuent compétence aux juridictions de cet État membre, sauf si la loi de celui-ci interdit de telles conventions. »

8 L’article 24, point 1, dudit règlement énonce :

« Sont seules compétentes les juridictions ci-après d’un État membre, sans considération de domicile des parties :

1) en matière de droits réels immobiliers et de baux d’immeubles, les juridictions de l’État membre où l’immeuble est situé.

Toutefois, en matière de baux d’immeubles conclus en vue d’un usage personnel temporaire pour une période maximale de six mois consécutifs, sont également compétentes les juridictions de l’État membre dans lequel le défendeur est domicilié, à condition que le locataire soit une personne physique et que le propriétaire et le locataire soient domiciliés dans le même État membre ».

9 L’article 25, paragraphe 1, du même règlement dispose :

« Si les parties, sans considération de leur domicile, sont convenues d’une juridiction ou de juridictions d’un État membre pour connaître des différends nés ou à naître à l’occasion d’un rapport de droit déterminé, ces juridictions sont compétentes, sauf si la validité de la convention attributive de juridiction est entachée de nullité quant au fond selon le droit de cet État membre. [...] »

Le règlement (CE) no 1896/2006

10 L’article 3, paragraphe 1, du règlement (CE) no 1896/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2006, instituant une procédure européenne d’injonction de payer (JO 2006, L 399, p. 1), prévoit :

« Aux fins du présent règlement, un litige transfrontalier est un litige dans lequel au moins une des parties a son domicile ou sa résidence habituelle dans un État membre autre que l’État membre de la juridiction saisie. »

Le droit allemand

11 Aux termes de l’article 12 de la Zivilprozessordnung (code de procédure civile), du 5 décembre 2005 (BGBl. 2005 I, p. 3202), telle que modifiée en dernier lieu par la loi du 7 novembre 2022 (BGBl. 2022 I, p. 1982) (ci-après la « ZPO »), intitulé « Compétence judiciaire générale – Notion » :

« La juridiction qui a compétence générale pour une personne est compétente pour tous les recours dirigés contre elle, à l’exception des recours pour lesquels est prévue une compétence exclusive. »

12 Conformément à l’article 17, paragraphe 1, de la ZPO, dans le cas de personnes morales, la compétence générale est fonction du lieu de leur siège.

13 L’article 21, paragraphe 1, de la ZPO, intitulé « Compétence spéciale pour la succursale », prévoit :

« Lorsqu’aux fins de l’exploitation d’une usine, d’un commerce ou d’une autre activité commerciale, une personne dispose d’une succursale à partir de laquelle les opérations sont effectuées directement, cette personne peut être attraite, pour toute action qui se rapporte à l’exploitation de cette succursale, devant la juridiction du lieu où cette succursale est située. »

14 Aux termes de l’article 29 de la ZPO, intitulé « Compétence spéciale du lieu d’exécution » :

« 1.   La juridiction compétente pour connaître des litiges nés d’une relation contractuelle et relatifs à son existence est la juridiction du lieu où l’obligation litigieuse doit être exécutée.

[...] »

Le litige au principal et la question préjudicielle

15 Le 15 décembre 2021, JX, un particulier domicilié à Nuremberg (Allemagne), a conclu un contrat de voyage à forfait avec FTI Touristik, un organisateur de voyages ayant son siège à Munich (Allemagne). La réservation de ce voyage a été effectuée par l’intermédiaire d’une agence de voyages établie à Nuremberg, qui n’est ni une partie au contrat ni une succursale de FTI Touristik.

16 Estimant qu’il n’a pas été suffisamment informé sur les conditions d’entrée et sur les visas nécessaires pour son voyage dans l’État tiers concerné, JX a introduit une action en paiement de dommages et intérêts à concurrence d’un montant de 1499,86 euros devant la juridiction du lieu de son domicile, à savoir l’Amtsgericht Nürnberg (tribunal de district de Nuremberg, Allemagne), qui est la juridiction de renvoi. Selon JX, la compétence territoriale de cette juridiction découle des articles 17
et 18 du règlement no 1215/2012.

17 FTI Touristik excipe de l’incompétence territoriale de la juridiction de renvoi en faisant valoir que le règlement no 1215/2012 ne s’applique pas à des situations purement internes comme celle en cause en l’espèce, dans laquelle le voyageur et l’organisateur de voyages sont domiciliés dans le même État membre. Dans une telle situation, l’élément d’extranéité requis pour que ce règlement soit applicable ferait défaut.

18 S’agissant de la détermination de sa compétence territoriale, la juridiction de renvoi rappelle que les règles de compétence générale énoncées aux articles 12 et 17 de la ZPO désignent la juridiction du siège de la défenderesse au principal comme territorialement compétente, nonobstant le fait que le demandeur au principal est un consommateur et la défenderesse au principal un professionnel. Les règles de compétence dérogatoire visées à l’article 21, paragraphe 1, et à l’article 29 de la ZPO
seraient inapplicables, étant donné que l’agence de voyages sise à Nuremberg, par l’intermédiaire de laquelle le demandeur au principal a réservé son voyage, n’est pas une succursale de la défenderesse au principal et qu’aucun élément du dossier n’indique que les obligations de cette défenderesse découlant du contrat de voyage en cause auraient dû être exécutées dans le ressort de l’Amtsgericht Nürnberg (tribunal de district de Nuremberg).

19 La seule disposition susceptible de justifier en l’occurrence la compétence territoriale de la juridiction de renvoi serait dès lors l’article 18, paragraphe 1, du règlement no 1215/2012. Or, dans l’affaire au principal, le consommateur et l’organisateur de voyages étant tous deux domiciliés dans le même État membre, l’élément d’extranéité permettant, le cas échéant, de faire application de cette disposition ne pourrait être que la destination du voyage à l’étranger.

20 À cet égard, la juridiction de renvoi relève que, selon un courant jurisprudentiel largement dominant en Allemagne, l’élément d’extranéité requis pour l’application du règlement no 1215/2012 fait défaut si le seul élément de rattachement avec l’étranger est la destination du voyage organisé. Cette approche serait étayée notamment par le fait que les dispositions de ce règlement sont d’interprétation stricte ainsi que par les enseignements des arrêts du 17 novembre 2011, Hypoteční banka (C‑327/10,
EU:C:2011:745), et du 19 décembre 2013, Corman-Collins (C‑9/12, EU:C:2013:860). Elle serait également corroborée par l’objectif dudit règlement, qui consiste à déterminer la compétence internationale de manière à garantir que les parties à un litige disposent d’un for certain et qu’elles ne soient pas contraintes de rechercher une protection juridictionnelle dans un autre État membre ou dans un État tiers et à ne pas empiéter sur les règles de compétence juridictionnelles nationales lorsque
celles-ci assurent une protection appropriée dans l’État dont relève la partie, et par la nécessité de se fonder sur un élément d’extranéité normatif et non pas purement factuel.

21 La juridiction de renvoi observe toutefois que certains auteurs faisant autorité dans la doctrine admettent l’existence d’un élément d’extranéité sans qu’il soit toujours nécessaire que la partie requérante et la partie défenderesse soient domiciliées dans deux États membres différents. Les articles 18, 24 et 25 du règlement no 1215/2012 pourraient étayer cette approche. En outre, il ne serait pas possible d’opérer de distinction entre les caractères normatif et factuel de l’élément d’extranéité,
lequel pourrait résulter des circonstances de l’espèce, telles que, en l’occurrence, la destination du voyage.

22 Dans ces conditions, l’Amtsgericht Nürnberg (tribunal de district de Nuremberg) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« L’article 18, paragraphe 1, du règlement [no 1215/2012] doit-il être interprété en ce sens qu’il régit non seulement la compétence internationale, mais contient également une règle concernant la compétence territoriale des tribunaux nationaux en matière de contrat de voyage, dont le respect s’impose au tribunal saisi, lorsque le consommateur en tant que voyageur et son cocontractant, l’organisateur de voyages, sont tous les deux domiciliés dans le même État membre alors que la destination du
voyage ne se situe pas dans cet État membre, mais à l’étranger (les “fausses situations internes”), avec pour conséquence que, en complément des règles nationales de compétence, le consommateur peut faire valoir devant le tribunal de son domicile des droits contractuels à l’encontre de l’organisateur de voyages ? »

Sur la question préjudicielle

23 Par sa question préjudicielle, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 18 du règlement no 1215/2012 doit être interprété en ce sens qu’il détermine la compétence tant internationale que territoriale de la juridiction de l’État membre dans le ressort de laquelle est domicilié le consommateur, lorsqu’une telle juridiction est saisie, par ce consommateur, d’un litige l’opposant à un organisateur de voyages à la suite de la conclusion d’un contrat de voyage à forfait, et que ces
deux cocontractants sont l’un et l’autre domiciliés dans cet État membre, mais que la destination du voyage se situe à l’étranger.

24 Afin de répondre à cette question, il convient, en premier lieu, de déterminer si un litige, tel que celui au principal, dans lequel le demandeur et le défendeur ont leur domicile dans le même État membre, est susceptible de relever du champ d’application de ce règlement.

25 À cet égard, il ressort d’une jurisprudence constante que l’application des règles de compétence du règlement no 1215/2012 requiert l’existence d’un élément d’extranéité. Or, tout en employant respectivement, à ses considérants 3 et 26, les notions de « matières civiles ayant une incidence transfrontière » et de « litiges transfrontières », ce règlement ne contient aucune définition de cet élément d’extranéité (voir, en ce sens, arrêt du 8 février 2024, Inkreal, C‑566/22, EU:C:2024:123, points 18
et 19 ainsi que jurisprudence citée).

26 Toutefois, il ressort également de la jurisprudence de la Cour qu’un élément d’extranéité existe lorsque la situation du litige concerné est de nature à soulever des questions relatives à la détermination de la compétence des juridictions dans l’ordre international (arrêt du 8 février 2024, Inkreal, C‑566/22, EU:C:2024:123, point 22 et jurisprudence citée).

27 S’agissant de la détermination du caractère international du rapport juridique en cause, la Cour s’est itérativement référée au domicile respectif des parties au litige (voir, en ce sens, arrêt du 7 mai 2020, Parking et Interplastics, C‑267/19 et C‑323/19, EU:C:2020:351, point 32 ainsi que jurisprudence citée).

28 Si l’élément d’extranéité est manifestement présent dans l’hypothèse où au moins une des parties a son domicile ou sa résidence habituelle dans un État membre autre que l’État membre de la juridiction saisie, le caractère international peut toutefois également résulter, ainsi que relevé par M. l’avocat général au point 32 de ses conclusions, d’autres facteurs liés, notamment, au fond du litige.

29 Ainsi, l’implication d’un État membre et d’un État tiers, en raison, par exemple, du domicile du demandeur et d’un défendeur dans le premier État et de la localisation des faits litigieux dans le second, est également susceptible de conférer un caractère international au rapport juridique en cause, dès lors que cette situation est de nature à soulever, dans l’État membre, des questions relatives à la détermination de la compétence des juridictions dans l’ordre international (voir, en ce sens,
arrêt du 8 septembre 2022, IRnova, C‑399/21, EU:C:2022:648, point 28 et jurisprudence citée).

30 Il découle de ce qui précède qu’un litige afférent à des obligations contractuelles supposées être exécutées soit dans un État tiers, soit dans un autre État membre que l’État membre dans lequel les deux parties sont domiciliées, est de nature à soulever des questions relatives à la détermination de la compétence des juridictions dans l’ordre international et remplit, dès lors, la condition de l’élément d’extranéité requise pour que le litige relève du champ d’application du règlement
no 1215/2012.

31 S’agissant des litiges entre consommateurs et professionnels, cette interprétation est, en outre, corroborée par l’article 18, paragraphe 1, du règlement no 1215/2012, qui prévoit que la règle qu’édicte cette disposition en faveur du consommateur s’applique « quel que soit le domicile de l’autre partie », de sorte que les consommateurs sont en mesure de s’en prévaloir à l’encontre de professionnels domiciliés non seulement dans d’autres États membres ou dans des États tiers, mais également dans
le même État membre que celui du domicile du consommateur.

32 De surcroît, ainsi qu’il ressort des termes de l’article 19, point 3, du règlement no 1215/2012, le législateur de l’Union a expressément visé l’hypothèse dans laquelle des conventions ont été « passées entre le consommateur et son cocontractant ayant, au moment de la conclusion du contrat, leur domicile ou leur résidence habituelle dans un même État membre ».

33 Une telle interprétation est également conforme à la finalité du règlement no 1215/2012, la Cour ayant itérativement jugé que celui-ci vise à unifier les règles de conflit de juridictions en matière civile et commerciale au moyen de règles de compétence qui présentent un haut degré de prévisibilité et poursuit ainsi un objectif de sécurité juridique qui consiste à renforcer la protection juridique des personnes établies dans l’Union, en permettant à la fois au demandeur d’identifier facilement la
juridiction qu’il peut saisir et au défendeur de prévoir raisonnablement celle devant laquelle il peut être attrait. Dans ce contexte, l’objectif de sécurité juridique exige que le juge national saisi puisse aisément se prononcer sur sa propre compétence, sans être contraint de procéder à un examen de l’affaire au fond (voir, en ce sens, arrêt du 8 février 2024, Inkreal, C‑566/22, EU:C:2024:123, point 27 et jurisprudence citée).

34 Ainsi que relevé par M. l’avocat général au point 51 de ses conclusions, si le rattachement entre la demande en justice et le pays étranger peut être plus au moins fort en fonction du litige en cause, l’appréciation de la question de savoir si un litige comporte un élément d’extranéité devrait demeurer suffisamment aisée pour la juridiction saisie. En l’occurrence, une affaire impliquant une demande d’un voyageur au sujet de problèmes rencontrés dans le cadre d’un voyage à l’étranger, organisé et
vendu par un organisateur de voyages, doit, indépendamment de la nature précise de ces problèmes, être considérée comme présentant un caractère international aux fins du règlement no 1215/2012, la destination du voyage étant un élément facile à vérifier et rendant le régime de compétence judiciaire applicable prévisible pour les parties.

35 En outre, l’interprétation de la notion d’« extranéité » telle qu’elle ressort du point 30 du présent arrêt ne saurait être remise en cause par la référence faite, à titre surabondant, par la jurisprudence antérieure de la Cour à la notion de « litige transfrontalier » qui est définie à l’article 3, paragraphe 1, du règlement no 1896/2006, comme un litige dans lequel au moins une des parties a son domicile ou sa résidence habituelle dans un État membre autre que l’État membre de la juridiction
saisie (voir, en ce sens, arrêts du 7 mai 2020, Parking et Interplastics, C‑267/19 et C‑323/19, EU:C:2020:351, point 34, ainsi que du 3 juin 2021, Generalno konsulstvo na Republika Bulgaria, C‑280/20, EU:C:2021:443, point 33 et jurisprudence citée).

36 Ainsi que relevé par M. l’avocat général au point 37 de ses conclusions, alors même que le règlement no 1215/2012 et le règlement no 1896/2006 relèvent tous les deux du domaine de la coopération judiciaire dans les matières civiles ayant une incidence transfrontière, il n’en découle pas pour autant que les dispositions du règlement no 1215/2012 devraient être interprétées à la lumière de celles du règlement no 1896/2006, étant donné que l’objet et le champ d’application de ces deux instruments ne
sont pas équivalents.

37 En effet, si le règlement no 1215/2012 vise à unifier les règles de compétence en matière civile et commerciale et que ces règles doivent, en principe, recevoir application et prévaloir sur les règles nationales de compétence (voir, en ce sens, arrêt du 25 février 2021, Markt24, C‑804/19, EU:C:2021:134, points 30 et 32)), le règlement no 1896/2006 instaure un instrument uniforme et alternatif de recouvrement de créances, sans toutefois remplacer ou harmoniser les mécanismes de recouvrement de
créances prévus par le droit national (voir, en ce sens, arrêts du 14 juin 2012, Banco Español de Crédito, C‑618/10, EU:C:2012:349, point 79, et du 13 juin 2013, Goldbet Sportwetten, C‑144/12, EU:C:2013:393, point 28).

38 Cette interprétation de la notion d’« extranéité » ne saurait non plus être remise en cause par le fait que l’article 18 du règlement no 1215/2012 constitue une dérogation tant à la règle générale de compétence édictée à l’article 4 de ce règlement, attribuant la compétence aux juridictions de l’État membre sur le territoire duquel le défendeur est domicilié, qu’à la règle de compétence spéciale en matière de contrats, énoncée à l’article 7, point 1, dudit règlement, selon laquelle le tribunal
compétent est celui du lieu où l’obligation qui sert de base à la demande a été ou doit être exécutée, et qu’il doit nécessairement faire l’objet d’une interprétation stricte (voir, par analogie, arrêt du 28 janvier 2015, Kolassa, C‑375/13, EU:C:2015:37, point 28).

39 En effet, ainsi que souligné par M. l’avocat général au point 53 de ses conclusions, la notion d’« extranéité » permet de délimiter le champ d’application du règlement no 1215/2012 et son appréciation doit être effectuée de manière identique, peu important le caractère général ou dérogatoire de la règle de compétence en cause.

40 Il résulte de tout ce qui précède qu’un litige portant sur un contrat de voyage relève du champ d’application du règlement no 1215/2012, alors même que les parties contractantes, à savoir le consommateur et son cocontractant, sont toutes les deux domiciliées dans le même État membre dès lors que la destination du voyage se situe à l’étranger.

41 S’agissant, en second lieu, de la question de savoir si l’article 18 du règlement no 1215/2012 détermine la compétence tant internationale que territoriale de la juridiction concernée, il ressort du libellé même du paragraphe 1 de cet article que les règles de compétence juridictionnelles retenues par cette disposition, lorsque l’action est intentée par un consommateur, visent, d’une part, « les juridictions de l’État membre sur le territoire duquel est domiciliée [l’autre] partie » et, d’autre
part, « la juridiction du lieu où le consommateur est domicilié ».

42 Si la première des deux règles ainsi énoncées se borne à conférer une compétence internationale au système juridictionnel de l’État désigné, pris dans son ensemble, la seconde règle confère directement une compétence territoriale à la juridiction du lieu du domicile du consommateur.

43 Ainsi que relevé par M. l’avocat général au point 18 de ses conclusions, cette seconde règle détermine non seulement la compétence judiciaire internationale de la juridiction concernée, mais aussi sa compétence territoriale, en désignant directement une juridiction précise au sein d’un État membre, sans opérer de renvoi aux règles de répartition de la compétence territoriale en vigueur dans cet État membre.

44 Cette interprétation se trouve confortée par les objectifs poursuivis par les dispositions de l’article 18 du règlement no 1215/2012. En effet, ainsi qu’il ressort du considérant 18 de ce règlement, la matière des contrats conclus par les consommateurs est caractérisée par un certain déséquilibre entre les parties, que les dispositions de l’article 18 dudit règlement visent à corriger en faisant bénéficier la partie plus faible de règles de compétence plus favorables à ses intérêts que ne le sont
les règles générales (voir par analogie, s’agissant des contrats d’assurance, arrêt du 30 juin 2022, Allianz Elementar Versicherung, C‑652/20, EU:C:2022:514, point 49).

45 En particulier, la règle spéciale de compétence prévue à l’article 18 du règlement no 1215/2012 a pour but de garantir que la partie plus faible qui entend assigner en justice la partie plus forte puisse le faire devant une juridiction d’un État membre facilement accessible (voir par analogie, s’agissant des contrats d’assurance, arrêt du 30 juin 2022, Allianz Elementar Versicherung, C‑652/20, EU:C:2022:514, point 50).

46 Ainsi que souligné par M. l’avocat général aux points 59 et 61 de ses conclusions, cette règle protège le consommateur en facilitant l’accès à la justice et montre la préoccupation du législateur de l’Union que le consommateur puisse être découragé d’agir en justice si la juridiction compétente, bien qu’elle soit située dans l’État membre dans lequel il vit, n’est pas celle de son domicile.

47 Il découle de tout ce qui précède qu’il y a lieu de répondre à la question posée que l’article 18 du règlement no 1215/2012 doit être interprété en ce sens qu’il détermine la compétence tant internationale que territoriale de la juridiction de l’État membre dans le ressort de laquelle est domicilié le consommateur, lorsqu’une telle juridiction est saisie, par ce consommateur, d’un litige l’opposant à un organisateur de voyages à la suite de la conclusion d’un contrat de voyage à forfait, et que
ces deux cocontractants sont l’un et l’autre domiciliés dans cet État membre, mais que la destination du voyage se situe à l’étranger.

Sur les dépens

48 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

  Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit :

  L’article 18 du règlement (UE) no 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale,

  doit être interprété en ce sens que :

  il détermine la compétence tant internationale que territoriale de la juridiction de l’État membre dans le ressort de laquelle est domicilié le consommateur, lorsqu’une telle juridiction est saisie, par ce consommateur, d’un litige l’opposant à un organisateur de voyages à la suite de la conclusion d’un contrat de voyage à forfait, et que ces deux cocontractants sont l’un et l’autre domiciliés dans cet État membre, mais que la destination du voyage se situe à l’étranger.

  Signatures

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( *1 ) Langue de procédure : l’allemand.


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : C-774/22
Date de la décision : 29/07/2024
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle, introduite par l'Amtsgericht Nürnberg.

Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière civile – Compétence judiciaire, reconnaissance et exécution des décisions en matière civile et commerciale – Règlement (UE) no 1215/2012 – Article 18 – Compétence judiciaire en matière de contrats conclus par les consommateurs – Détermination de la compétence internationale et territoriale des juridictions d’un État membre – Élément d’extranéité – Voyage dans un État tiers.

Espace de liberté, de sécurité et de justice

Coopération judiciaire en matière civile


Parties
Demandeurs : JX
Défendeurs : FTI Touristik GmbH.

Composition du Tribunal
Avocat général : Emiliou
Rapporteur ?: Biltgen

Origine de la décision
Date de l'import : 31/07/2024
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2024:646

Source

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