ARRÊT DE LA COUR (dixième chambre)
16 janvier 2025 ( *1 )
« Renvoi préjudiciel – Récupération d’une aide illégale et incompatible – Règlement (UE) 2015/1589 – Article 16 – Bénéficiaire d’une aide individuelle identifié dans la décision de récupération de la Commission européenne – Exécution de la décision de récupération – Transfert de l’aide à une autre entreprise postérieurement à la décision de récupération – Continuité économique – Appréciation – Autorité compétente – Extension de l’obligation de récupération au bénéficiaire effectif – Principe du
contradictoire – Articles 41 et 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne »
Dans l’affaire C‑588/23,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Tribunale amministrativo regionale della Campania (tribunal administratif régional de Campanie, Italie), par décision du 18 septembre 2023, parvenue à la Cour le 25 septembre 2023, dans la procédure
Scai Srl
contre
Regione Campania,
LA COUR (dixième chambre),
composée de M. D. Gratsias, président de chambre, M. I. Jarukaitis, président de la quatrième chambre, et M. Z. Csehi (rapporteur), juge,
avocat général : M. A. Rantos,
greffier : M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
considérant les observations présentées :
– pour Scai Srl, par Mes A. Raviele et L. Visone, avvocati,
– pour le gouvernement italien, par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de M. S. Fiorentino, avvocato dello Stato,
– pour la Commission européenne, par Mme A. Steiblytė, M. B. Stromsky et Mme F. Tomat, en qualité d’agents,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 108, 263 et 288 TFUE, des articles 41 et 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») ainsi que des articles 16 et 31 du règlement (UE) 2015/1589 du Conseil, du 13 juillet 2015, portant modalités d’application de l’article 108 [TFUE] (JO 2015, L 248, p. 9).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Scai Srl à la Regione Campania (région de Campanie, Italie) au sujet de l’obligation faite à Scai de rembourser le montant correspondant à une aide illégale et incompatible avec le marché intérieur dont avait bénéficié initialement une autre société.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
Le règlement 2015/1589
3 Le considérant 25 du règlement 2015/1589 énonce :
« En cas d’aide illégale incompatible avec le marché intérieur, une concurrence effective devrait être rétablie. À cette fin, il importe que l’aide, intérêts compris, soit récupérée sans délai. Il convient que cette récupération se déroule conformément aux procédures du droit national. L’application de ces procédures ne devrait pas faire obstacle au rétablissement d’une concurrence effective en empêchant l’exécution immédiate et effective de la décision de la Commission [européenne]. Afin
d’atteindre cet objectif, les États membres devraient prendre toutes les mesures nécessaires pour garantir l’effet utile de la décision de la Commission. »
4 Sous le chapitre II de ce règlement, intitulé « Procédure concernant les aides notifiées », l’article 9 de celui-ci, lui-même intitulé « Décisions de la Commission de clore la procédure formelle d’examen », dispose, à son paragraphe 5 :
« Lorsque la Commission constate que l’aide notifiée est incompatible avec le marché intérieur, elle décide que ladite aide ne peut être mise à exécution (ci-après dénommée “décision négative”). »
5 Le chapitre III dudit règlement, relatif aux procédures en matière d’aides illégales, comprend, notamment, les articles 16 et 17 de celui‑ci.
6 L’article 16 du même règlement, intitulé « Récupération de l’aide », prévoit :
« 1. En cas de décision négative concernant une aide illégale, la Commission décide que l’État membre concerné prend toutes les mesures nécessaires pour récupérer l’aide auprès de son bénéficiaire (ci–après dénommée “décision de récupération”). La Commission n’exige pas la récupération de l’aide si, ce faisant, elle allait à l’encontre d’un principe général du droit de l’Union.
[...]
3. Sans préjudice d’une ordonnance de la Cour de justice de l’Union européenne prise en application de l’article 278 [TFUE], la récupération s’effectue sans délai et conformément aux procédures prévues par le droit national de l’État membre concerné, pour autant que ces dernières permettent l’exécution immédiate et effective de la décision de la Commission. À cette fin, et en cas de procédure devant les tribunaux nationaux, les États membres concernés prennent toutes les mesures prévues par
leurs systèmes juridiques respectifs, y compris les mesures provisoires, sans préjudice du droit de l’Union. »
7 L’article 31 du règlement 2015/1589, intitulé « Destinataire des décisions », dispose :
« 1. Les décisions adoptées en vertu de l’article 7, paragraphe 7, de l’article 8, paragraphes 1 et 2, et de l’article 9, paragraphe 9, sont adressées à l’entreprise ou à l’association d’entreprises concernée. La Commission notifie la décision sans délai au destinataire et donne à ce dernier la possibilité de lui indiquer les informations qu’il juge couvertes par l’obligation du secret professionnel.
2. Toutes les autres décisions de la Commission adoptées en vertu des chapitres II, III, V, VI et IX sont adressées à l’État membre concerné. [...] »
8 Les dispositions du règlement 2015/1589 mentionnées aux points 4 à 7 du présent arrêt ont été reprises de celles qui figuraient dans le règlement (CE) no 659/1999 du Conseil, du 22 mars 1999, portant modalités d’application de l’article 108 [TFUE] (JO 1999, L 83, p. 1), tel que modifié par le règlement (UE) no 734/2013 du Conseil, du 22 juillet 2013 (JO 2013, L 204, p. 15), que le règlement 2015/1589 a abrogé.
La communication sur la récupération
9 La section 4.3 de la communication de la Commission, du 23 juillet 2019, sur la récupération des aides d’État illégales et incompatibles avec le marché intérieur (JO 2019, C 247, p. 1, ci-après la « communication sur la récupération »), relative à l’« [i]dentification des bénéficiaires auprès desquels il convient de récupérer les aides », énonce, à son point 83 :
« Les aides illégales jugées incompatibles avec le marché intérieur doivent être récupérées auprès des bénéficiaires qui en ont eu la jouissance effective [...]. Lorsque les bénéficiaires des aides ne sont pas identifiés dans la décision de récupération, l’État membre concerné doit examiner la situation individuelle de chaque entreprise concernée [...] »
10 La section 4.3.2 de la communication sur la récupération, intitulée « Extension de l’ordre de recouvrement ; continuité économique », contient le passage suivant :
« 89. Si, au stade de l’exécution de la décision de récupération, l’aide ne peut être récupérée auprès du bénéficiaire original et a été transférée à une autre entreprise, l’État membre devrait étendre la procédure de récupération à l’entreprise qui bénéficie effectivement de l’avantage à la suite du transfert d’activités et veiller à ce que l’obligation de récupération ne soit pas contournée [...]
90. La Cour de justice a établi une distinction entre deux moyens de transférer les activités d’une entreprise. Il s’agit i) de la cession de l’ensemble ou d’une partie de ses actifs, à la suite de quoi l’activité n’est plus exercée par la même entité juridique (“asset deal”) ; et ii) de la cession de ses actions ou parts sociales, à la suite de quoi l’entreprise bénéficiaire de l’aide conserve sa personnalité juridique et continue d’exercer ses activités (“share deal”) [...]
4.3.2.1 Cession d’actifs (“asset deal”)
91. Lorsque le bénéficiaire d’une aide incompatible avec le marché intérieur crée une nouvelle société ou transfère ses actifs à une autre entreprise pour continuer une partie ou l’ensemble de ses activités, la poursuite de ces activités peut prolonger la distorsion de concurrence induite par l’aide. En conséquence, la société nouvellement créée ou l’acheteur des actifs peut, s’il conserve cet avantage, être tenu de rembourser l’aide en question.
92. Dans le scénario d’un asset deal, la Commission examine l’existence d’une continuité économique entre les entreprises au cas par cas, au moyen d’un ensemble ouvert de critères non cumulatifs. En particulier, elle peut prendre en compte les critères suivants [...] : i) l’objet du transfert (actifs [...] et passifs, maintien de la force de travail et/ou de la direction) ; ii) le prix du transfert [...] ; iii) l’identité des actionnaires ou des propriétaires du vendeur et de l’acheteur ; iv) le
moment où le transfert a lieu (au cours de l’examen préliminaire réalisé en vertu de l’article 4 du règlement de procédure, au cours de la procédure formelle d’examen ouverte en vertu de l’article 6 dudit règlement, ou après l’adoption de la décision de récupération) ; v) la logique économique de l’opération [...] »
Le droit italien
11 L’article 48 de la legge n. 234 – Norme generali sulla partecipazione dell’Italia alla formazione e all’attuazione della normativa delle politiche dell’Unione europea (loi no 234, portant règles générales sur la participation de l’Italie à la formation et à la mise en œuvre de la réglementation et des politiques de l’Union européenne), du 24 décembre 2012 (GURI no 3, du 4 janvier 2013), dans sa version applicable aux faits au principal (ci-après la « loi no 234/2012 »), intitulé « Procédures de
récupération », énonce, à ses paragraphes 1 à 3 :
« 1. La société Equitalia SpA collecte les montants dus par l’effet des décisions de récupération visées à l’article 16 du règlement [2015/1589], indépendamment de la forme de l’aide et de l’entité qui l’a octroyée.
2. À la suite de la notification d’une décision de récupération visée au paragraphe 1, par un décret à adopter dans un délai de quarante-cinq jours à compter de la date de notification de la décision, le ministre compétent en la matière désigne, le cas échéant, les personnes tenues au remboursement de l’aide, établit les montants dus et détermine les modalités et les délais du paiement. En présence de plusieurs administrations compétentes, le président du Conseil des ministres nomme, par
décret, dans un délai de quinze jours à compter de la date de notification de la décision de récupération, un administrateur extraordinaire, à identifier au sein des administrations qui ont octroyé les aides faisant l’objet de la décision de récupération ou de celles qui sont territorialement concernées par les mesures d’aide, et définit les modalités de mise en œuvre de la décision de récupération visée au paragraphe 1. L’administrateur extraordinaire identifie, par décision propre, dans les
quarante-cinq jours suivant le décret de nomination, les personnes tenues au remboursement de l’aide, établit les montants dus et détermine les modalités et les délais de paiement. Les administrations qui ont octroyé l’aide faisant l’objet de la procédure de récupération fournissent sans délai à l’administrateur extraordinaire, à sa demande, les données et tout autre élément nécessaire à la bonne exécution de la décision de récupération visée au paragraphe 1. L’administrateur extraordinaire n’a
droit à aucune rémunération. L’administrateur extraordinaire exerce les activités liées à la mission qui lui a été confiée avec les ressources humaines, financières et matérielles des administrations compétentes, prévues par la législation en vigueur. Le décret du ministre compétent, la décision de l’administrateur extraordinaire et la décision visée au paragraphe 3 constituent des titres exécutoires à l’encontre de leurs destinataires.
3. Dans les cas où l’autorité compétente n’est pas l’État, la décision identifiant les personnes tenues de rembourser l’aide, établissant les montants dus et déterminant les modalités et les délais de paiement est adoptée par la Région, la province autonome ou l’autorité territoriale compétente. Les activités visées au paragraphe 1 sont effectuées par le concessionnaire de la perception des recettes de l’entité territoriale concernée. »
Le litige au principal et les questions préjudicielles
12 Buonotourist Srl était une société privée qui exploitait des services de transport public local sur la base de concessions régionales et municipales.
13 Par une décision du 7 novembre 2012, le Consiglio di Stato (Conseil d’État, Italie) a reconnu le droit de Buonotourist de percevoir une compensation complémentaire de service public pour la fourniture de services de transport de voyageurs par autobus sur la base de concessions délivrées par la région de Campanie, pour les années 1996 à 2002, quantifiée à 1111572,00 euros avec les intérêts.
14 Le 5 décembre 2012, les autorités italiennes ont notifié à la Commission, conformément à l’article 108, paragraphe 3, TFUE, une aide d’État consistant en l’octroi à Buonotourist de la compensation complémentaire visée au point précédent, en exécution de la décision du Consiglio di Stato (Conseil d’État) du 7 novembre 2012. L’aide a été versée à Buonotourist par la région de Campanie le 21 décembre 2012.
15 Par lettre du 20 février 2014, la Commission a notifié à la République italienne sa décision d’ouvrir la procédure formelle d’examen prévue à l’article 108, paragraphe 2, TFUE.
16 Le 19 janvier 2015, la Commission a adopté la décision (UE) 2015/1075, relative à l’aide d’État SA.35843 (2014/C) (ex 2012/NN) mise à exécution par l’Italie – Compensation complémentaire de service public en faveur de Buonotourist (JO 2015, L 179, p. 128), par laquelle elle a constaté que la compensation complémentaire accordée à Buonotourist, en exécution de la décision du Consiglio di Stato (Conseil d’État) du 7 novembre 2012, constituait une aide d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1,
TFUE, incompatible avec le marché intérieur, octroyée à cette société en violation de l’article 108, paragraphe 3, TFUE, et a ordonné aux autorités italiennes sa récupération auprès de cette dernière (ci-après la « décision de la Commission du 19 janvier 2015 »).
17 Buonotourist a introduit devant le Tribunal de l’Union européenne un recours en annulation de la décision de la Commission du 19 janvier 2015. Ce recours a été rejeté par un arrêt du 11 juillet 2018, Buonotourist/Commission (T‑185/15, EU:T:2018:430). Le pourvoi introduit par Buonotourist a été rejeté par un arrêt de la Cour du 4 mars 2020, Buonotourist/Commission (C‑586/18 P, EU:C:2020:152).
18 En vertu d’un acte de scission partielle d’entreprise intervenu le 21 juillet 2011, Buonotourist TPL s’est substituée à Buonotourist dans le cadre d’un contrat d’attribution provisoire relatif à une ligne de transport régional par autobus. En vertu d’un autre acte de scission d’entreprise intervenu le 21 octobre 2013, Autolinee Buonotourist TPL Srl s’est substituée à Buonotourist TPL dans le cadre de ce contrat d’attribution provisoire. Sur la base d’un contrat de location‑gérance conclu le
10 mai 2019, qui a pris fin le 1er juillet 2021, Autolinee Buonotourist TPL a loué à Scai la branche d’activité comprenant, entre autres, les contrats de service, le personnel et les autobus pour l’exploitation des services minimum de transport public local. Afin de poursuivre le service de transport public local, la région de Campanie a confié l’exécution du service à AIR Campania, qu’elle détient partiellement. Cette société a fait l’acquisition auprès de Scai des moyens nécessaires à
l’exécution du service.
19 Buonotourist, Buonotourist TPL et Autolinee Buonotourist TPL ont été déclarées en faillite au cours de la période 2018-2020.
20 Après avoir vainement tenté de récupérer l’aide d’État visée par la décision de la Commission du 19 janvier 2015 auprès de Buonotourist, de Buonotourist TPL et d’Autolinee Buonotourist TPL, la région de Campanie a ordonné à Scai, par un décret du 7 février 2023, de rembourser cette aide, en se fondant sur l’existence d’une continuité économique entre Buonotourist et cette dernière (ci-après l’« ordre de récupération »).
21 Scai a introduit un recours contre l’ordre de récupération devant le Tribunale amministrativo regionale della Campania (tribunal administratif régional de Campanie, Italie), qui est la juridiction de renvoi, en invoquant notamment une violation des articles 108, 109 et 288 TFUE, une violation de l’article 48 de la loi no 234/2012, un excès de pouvoir et une violation de la communication sur la récupération.
22 À l’appui de son recours, Scai a soutenu, tout d’abord, que la région de Campanie, en ayant émis l’ordre de récupération, avait illégalement exercé les compétences dévolues à la Commission. En effet, alors que la décision de la Commission du 19 janvier 2015 était adressée, selon Scai, à des destinataires précis, à savoir la République italienne et Buonotourist, la région de Campanie en aurait étendu le champ d’application, méconnaissant ainsi l’article 288 TFUE et la communication sur la
récupération.
23 Scai a ajouté que, ce faisant, l’ordre de récupération avait été adopté en faisant référence à une procédure qui s’était déroulée devant la Commission et à laquelle elle n’avait pas participé. En outre, elle a estimé qu’elle aurait été privée du droit à une protection juridictionnelle effective, puisqu’elle n’aurait pas été recevable à saisir le Tribunal d’un recours contre la décision de la Commission du 19 janvier 2015, dont elle n’était pas destinataire. Elle souligne qu’elle n’a pu se
prononcer ni sur l’existence de l’aide en cause au principal, ni sur la compatibilité de cette dernière avec le marché intérieur, ni sur la légalité de l’extension de l’ordre de récupération.
24 Ensuite, Scai a rejeté l’existence d’une continuité économique entre elle-même et Autolinee Buonotourist TPL, une telle continuité ne pouvant être déduite, selon elle, de la circonstance que cette dernière société lui avait donné en location une branche d’activité.
25 Scai a également contesté l’idée qu’elle ait obtenu, par le contrat de location-gérance, un avantage anticoncurrentiel, puisqu’aucun achat de biens ou de services à des conditions plus favorables que celles du marché n’aurait pu être constaté. En particulier, la location de la branche d’activité d’Autolinee Buonotourist TPL, qui avait déjà pris fin au cours de l’année 2021, aurait été conclue pour un loyer raisonnable, compte tenu de l’objet limité du contrat de location, et, en fin de contrat,
Scai n’aurait conservé aucun bien matériel ou immatériel du bailleur.
26 En défense, la région de Campanie soutient devant la juridiction de renvoi qu’elle était compétente pour adopter l’ordre de récupération à l’égard de la requérante au principal puisqu’il existait des indices objectifs et subjectifs établissant l’existence d’une continuité économique entre les sociétés concernées antérieurement et Scai, ainsi qu’il découlerait de ses échanges avec la Commission. En effet, Scai aurait obtenu, en vertu du contrat de location-gérance, le droit d’utiliser tous les
actifs corporels et incorporels nécessaires à l’exercice de l’activité de la société ayant initialement bénéficié de l’aide, ainsi qu’un droit d’option et de préemption, qui lui assurerait, sous certaines conditions, d’être privilégiée en cas de vente d’Autolinee Buonotourist TPL.
27 La région de Campanie a précisé qu’elle était en droit d’étendre la portée subjective de la décision de la Commission du 19 janvier 2015 puisqu’il résulte de l’article 48, paragraphes 2 et 3, de la loi no 234/2012 que, à la suite d’une décision de récupération de la Commission, le ministre compétent en la matière ou l’autorité territoriale compétente désigne, le cas échéant, les personnes tenues au remboursement de l’aide.
28 La juridiction de renvoi s’interroge, en premier lieu, sur la conformité aux articles 108 et 288 TFUE ainsi qu’au règlement 2015/1589 d’une législation nationale, telle que celle en cause au principal, qui permet aux autorités nationales compétentes, lorsque la Commission a identifié dans sa décision de récupération l’entreprise devant rembourser l’aide en cause, d’étendre la qualité de bénéficiaire de l’aide au motif qu’il existe une continuité économique entre cette entreprise identifiée dans
la décision de récupération et l’entreprise à l’égard de laquelle cette extension est réalisée. En effet, une telle législation nationale empiéterait sur les compétences de la Commission telles que prévues par le droit de l’Union, puisque, dans le cas où cette institution a adressé une décision de récupération à un destinataire déterminé, seule ladite institution pourrait décider d’une éventuelle extension justifiée par une continuité économique.
29 La juridiction de renvoi ajoute que, si l’adoption de la décision d’extension était laissée à la compétence des autorités nationales, dans le cas où le destinataire de la décision de récupération a été exactement identifié par la Commission, cette possibilité irait au-delà de la simple exécution des décisions de la Commission, de sorte que le juge national, qui est chargé du contrôle de la légalité de l’acte national de récupération, en viendrait indirectement à contrôler des questions relevant
de la compétence exclusive de la Commission.
30 Selon la juridiction de renvoi, les arrêts de la Cour ont jusqu’à présent porté sur le principe de la continuité économique, mais pas sur la question de savoir quelle est l’autorité compétente pour apprécier l’existence d’une telle continuité économique. Néanmoins, elle fait référence à certaines décisions adoptées par la Commission qui étendent le champ des bénéficiaires en raison d’un transfert d’actifs et relève, à cet égard, que ces décisions montrent que, lorsque la continuité économique est
déduite, comme en l’occurrence, d’un accord de cession d’actifs, la décision d’extension correspondante a toujours été adoptée par la Commission. En outre, la juridiction de renvoi précise qu’elle ne s’interroge pas sur le point de savoir si la condition de continuité économique est remplie en l’occurrence.
31 La juridiction de renvoi fait observer que, en l’occurrence, le fait qu’il y ait eu des échanges entre l’autorité nationale compétente et la Commission ne signifie pas que celle-ci a exercé son pouvoir d’appréciation, puisque ces échanges auraient pris la forme non pas d’actes contraignants, mais de simples notes rédigées, de surcroît, en des termes dubitatifs et renvoyant à la nécessité d’une enquête factuelle plus approfondie.
32 En second lieu, la juridiction de renvoi s’interroge sur la conformité d’une législation nationale telle que celle en cause au principal aux garanties procédurales prévues par le droit de l’Union, en particulier au principe du contradictoire et au respect des droits de la défense, consacrés selon elle à l’article 41 de la Charte, ainsi qu’au droit à une protection juridictionnelle effective, consacré à l’article 47 de celle-ci. Elle relève que, devant elle, Scai a soutenu que, en raison du
non‑respect des compétences de la Commission, elle a été privée des garanties procédurales, tant en ce qui concerne la décision initiale de la Commission, que lorsqu’elle a été elle-même visée par l’obligation de récupération de l’aide, dans la mesure où son seul interlocuteur a été l’autorité nationale. La juridiction de renvoi est d’avis que la possibilité, pour une partie dans la situation de Scai, de contester devant le juge national les actes de l’autorité nationale ne suffit pas pour
assurer à l’intéressé le respect des garanties procédurales consacrées par le droit de l’Union ainsi qu’une protection juridictionnelle effective, dès lors que cela impliquerait de statuer sur l’existence d’une continuité économique, ce qui relèverait du pouvoir d’appréciation de la seule Commission.
33 Dans ces conditions, le Tribunale amministrativo regionale della Campania (tribunal administratif régional de Campanie) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) Les articles 108 et 288 TFUE ainsi que les articles 16 et 31 du règlement 2015/1589 s’opposent-ils à une réglementation nationale, telle que l’article 48 de la [loi no 234/2012], qui permet à l’autorité nationale, dans la phase d’exécution d’une décision de récupération, d’étendre le cercle des personnes tenues de rembourser une aide illégale, par le biais d’une appréciation de la continuité économique entre les entreprises, sans écarter ce pouvoir lorsque la Commission a déjà identifié les
destinataires directs, excluant ainsi la compétence de la Commission en matière d’aides d’État ?
2) Les articles 263 et 288 TFUE, les articles 41 et 47 de la Charte et les articles 16 et 31 du règlement 2015/1589 s’opposent-ils à une réglementation nationale, telle que l’article 48 de la loi [no 234/2012], en matière d’aides d’État, dans la mesure où – en prévoyant que l’État, lors de l’exécution d’une décision de récupération, identifie le cas échéant les personnes tenues de rembourser l’aide – elle permet que la décision soit également mise en œuvre à l’encontre d’une personne autonome,
autre que les destinataires de la décision, qui n’a pas participé à la procédure devant la Commission, n’a pas bénéficié des garanties du contradictoire et, par conséquent, n’est pas recevable à former un recours contre cette décision devant le Tribunal de l’Union européenne ? »
Sur les questions préjudicielles
34 Par ses deux questions, qu’il convient d’examiner ensemble,la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 108 et l’article 288, quatrième alinéa, TFUE, les articles 16 et 31 du règlement 2015/1589 ainsi que les articles 41 et 47 de la Charte doivent être interprétés en ce sens que, dans la situation où une décision de la Commission ordonne la récupération d’une aide d’État auprès d’un bénéficiaire qu’elle identifie, ils s’opposent à une législation nationale en vertu de laquelle les
autorités nationales compétentes, dans le cadre de leur mission d’exécution de cette décision, peuvent ordonner la récupération de cette aide auprès d’une autre entreprise en raison de l’existence d’une continuité économique entre cette dernière et le bénéficiaire de l’aide identifié dans ladite décision.
35 En premier lieu, il y a lieu de relever que l’article 288, quatrième alinéa, TFUE prévoit qu’une décision « est obligatoire dans tous ses éléments » et que, lorsqu’elle « désigne des destinataires », elle n’est obligatoire que pour ceux-ci.
36 Par ailleurs, il découle de l’article 31 du règlement 2015/1589 que les décisions constatant l’incompatibilité de l’aide notifiée avec le marché intérieur (« décisions négatives »), adoptées en vertu de l’article 9, paragraphe 5, de ce règlement, ainsi que les décisions ordonnant la récupération de l’aide, adoptées au titre de l’article 16 dudit règlement, sont adressées à l’État membre concerné, ce qui ressort également de la jurisprudence de la Cour (voir, en ce sens, arrêt du 24 septembre
2002, Falck et Acciaierie di Bolzano/Commission, C‑74/00 P et C‑75/00 P, EU:C:2002:524, points 81 à 83).
37 Il ressort des considérations qui précèdent que, en l’occurrence, la décision de la Commission du 19 janvier 2015 a pour seul destinataire la République italienne et que Buonotourist, désignée dans cette décision comme étant le bénéficiaire de l’aide d’État en cause, n’est pas destinataire de cette décision.
38 En deuxième lieu, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, l’État membre destinataire d’une décision l’obligeant à récupérer des aides illégales est tenu, en vertu de l’article 288 TFUE, de prendre toutes les mesures propres à assurer l’exécution de cette décision [arrêt du 15 septembre 2022, Fossil (Gibraltar), C‑705/20, EU:C:2022:680, point 39 et jurisprudence citée].
39 À cet égard, il ressort du considérant 25 et de l’article 16, paragraphe 3, première phrase, du règlement 2015/1589 que la récupération d’une aide s’effectue sans délai et conformément aux procédures prévues par le droit national de l’État membre concerné, pour autant que ces dernières permettent l’exécution immédiate et effective de la décision de la Commission. À cette fin, les États membres concernés prennent, conformément à l’article 16, paragraphe 3, dernière phrase, de ce règlement,
« toutes les mesures » prévues par leurs systèmes juridiques respectifs, y compris les mesures provisoires, sans préjudice du droit de l’Union (voir, en ce sens, arrêts du 20 mai 2010, Scott et Kimberly Clark, C‑210/09, EU:C:2010:294, point 28, ainsi que du11 septembre 2014, Commission/Allemagne, C‑527/12, EU:C:2014:2193, point 38). L’État membre doit parvenir à une récupération effective des sommes dues (arrêt du 5 mai 2011, Commission/Italie, C‑305/09, EU:C:2011:274, point 27).
40 En outre, selon la jurisprudence de la Cour, le principal objectif visé par le remboursement d’une aide d’État versée illégalement étant l’élimination de la distorsion de concurrence causée par l’avantage concurrentiel procuré par l’aide illégale, une telle aide doit être récupérée auprès de la société qui poursuit l’activité économique de l’entreprise ayant bénéficié de cette aide lorsqu’il est établi que cette société conserve la jouissance effective de l’avantage concurrentiel lié au bénéfice
de ladite aide (arrêt du 7 mars 2018, SNCF Mobilités/Commission, C‑127/16 P, EU:C:2018:165, points 104 et 106 ainsi que jurisprudence citée). C’est d’ailleurs ce que rappelle le point 83, première phrase, de la communication sur la récupération.
41 Les considérations exposées aux points 38 à 40 du présent arrêt s’opposent ainsi à une interprétation de l’article 288 TFUE en ce sens que les États membres seraient tenus de récupérer une aide d’État déclarée illégale et incompatible par une décision de la Commission uniquement auprès du bénéficiaire de l’aide en cause identifié dans cette décision.
42 En effet, en ce qui concerne une décision de récupération identifiant précisément, comme en l’occurrence, le bénéficiaire d’une aide individuelle, il y a lieu de relever que cette identification correspond seulement, ainsi que le souligne la Commission dans ses observations, à une évaluation de la situation effectuée lors de l’adoption de cette décision, en fonction des informations dont cette institution dispose à ce moment précis.
43 Partant, ladite identification fait partie de l’identification de l’aide visée par la décision de la Commission. Dès lors, cette dernière décision ne saurait être interprétée en ce sens qu’elle empêche l’État membre concerné de récupérer l’aide en cause auprès d’une autre entreprise lorsque, conformément à la jurisprudence citée au point 40 du présent arrêt, cette autre entreprise poursuit l’activité économique du bénéficiaire de l’aide et conserve la jouissance effective de l’avantage
concurrentiel lié au bénéfice de l’aide.
44 En effet, il peut survenir que l’avantage concurrentiel lié au bénéfice d’une aide individuelle soit transmis à une autre entreprise postérieurement à l’adoption de la décision de récupération par la Commission, par exemple à l’occasion d’une cession d’actifs, ainsi que le rappellent les points 89 à 92 de la communication sur la récupération.
45 Concernant le cas d’un transfert d’actifs, une continuité économique entre les sociétés parties au transfert s’apprécie en fonction de l’objet du transfert, à savoir les actifs et les passifs, le maintien de la force de travail, les actifs groupés, du prix du transfert, de l’identité des actionnaires ou des propriétaires de l’entreprise repreneuse et de l’entreprise de départ, du moment où le transfert a lieu, à savoir après le début de l’enquête, l’ouverture de la procédure ou la décision
finale, ou encore de la logique économique de l’opération (arrêt du 7 mars 2018, SNCF Mobilités/Commission, C‑127/16 P, EU:C:2018:165, point 108 et jurisprudence citée).
46 Par conséquent, dans le cadre de leur mission de récupération de l’aide et afin de garantir la pleine effectivité d’une décision de récupération de la Commission identifiant précisément le bénéficiaire de l’aide ainsi que d’éliminer effectivement la distorsion de concurrence causée par l’avantage concurrentiel lié à la perception de l’aide, les autorités et les juridictions nationales sont tenues d’identifier une autre entreprise que celle identifiée dans cette décision de récupération dans
l’hypothèse où l’avantage lié à l’aide en cause a été effectivement transféré à cette autre entreprise postérieurement à l’adoption de ladite décision de récupération.
47 L’existence d’une telle obligation à la charge des autorités nationales est confirmée par la jurisprudence constante de la Cour, qui rappelle que les juridictions nationales et la Commission remplissent des rôles complémentaires et distincts (arrêt du 7 décembre 2023, RegioJet et STUDENT AGENCY, C‑700/22, EU:C:2023:960, point 13), et que les juridictions nationales peuvent, en matière d’aides d’État, être saisies de litiges les obligeant à interpréter et à appliquer la notion d’« aide », visée à
l’article 107, paragraphe 1, TFUE, mais ne sont pas compétentes pour statuer sur la compatibilité d’une aide d’État avec le marché intérieur, cette dernière appréciation relevant de la compétence exclusive de la Commission, agissant sous le contrôle du juge de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 4 mars 2020, Buonotourist/Commission, C‑586/18 P, EU:C:2020:152, point 90 et jurisprudence citée).
48 Quant aux doutes de la juridiction de renvoi sur la nature décisionnelle ou non des notes et des instructions informelles fournies par les services de la Commission aux autorités nationales pour effectuer l’analyse de la continuité économique, la Cour a jugé que de telles prises de position ne figurent pas parmi les actes pouvant être adoptés sur le fondement du règlement 2015/1589 et ne sauraient être considérées comme liant le juge national. Elle a précisé toutefois que, dans la mesure où les
éléments contenus dans des prises de position de cette nature ainsi que dans les avis de la Commission éventuellement sollicités par le juge national visent à faciliter l’accomplissement de la tâche des autorités nationales dans le cadre de l’exécution immédiate et effective de la décision de récupération, et eu égard au principe de coopération loyale énoncé à l’article 4, paragraphe 3, TUE, le juge national doit en tenir compte en tant qu’élément d’appréciation dans le cadre du litige dont il
est saisi et motiver sa décision au regard de l’ensemble des pièces du dossier qui lui a été soumis (voir, en ce sens, arrêt du 13 février 2014, Mediaset, C‑69/13, EU:C:2014:71, points 26, 28 et 31).
49 En troisième lieu, au regard des indications de la juridiction de renvoi, résumées au point 32 du présent arrêt, il convient, s’agissant des articles 41 et 47 de la Charte, de distinguer entre, d’une part, la possibilité, pour une entreprise placée dans une situation telle que celle de la requérante au principal, de participer à la procédure d’examen d’une aide d’État par la Commission et, le cas échéant, de contester la décision de cette dernière déclarant cette aide illégale et incompatible et,
d’autre part, la possibilité, pour cette entreprise, de participer à la procédure devant une autorité nationale susceptible d’aboutir à une décision constatant l’existence d’une continuité économique entre ladite entreprise et le bénéficiaire de l’aide identifié dans la décision de la Commission et obligeant la même entreprise à restituer l’aide en cause, ainsi que, le cas échéant, la possibilité de contester cette décision nationale.
50 Premièrement, concernant la procédure devant la Commission, il y a lieu de faire observer que la procédure de contrôle des aides d’État est, compte tenu de son économie générale, une procédure ouverte à l’égard de l’État membre responsable, au regard de ses obligations en vertu du droit de l’Union, de l’octroi de l’aide. Dans cette procédure, les parties intéressées autres que l’État membre concerné ne sauraient prétendre elles-mêmes à un débat contradictoire avec la Commission, tel que celui
ouvert au profit de cet État membre. Ladite procédure n’est pas une procédure ouverte contre le ou les bénéficiaires des aides, qui impliquerait que celui-ci ou ceux-ci puissent se prévaloir de droits aussi étendus que les droits de la défense en tant que tels (voir, en ce sens, arrêt du 11 mars 2020, Commission/Gmina Miasto Gdynia et Port Lotniczy Gdynia Kosakowo, C‑56/18 P, EU:C:2020:192, points 73 à 75).
51 S’agissant de l’hypothèse dans laquelle le bénéficiaire effectif d’une aide, désigné comme tel dans un acte national de récupération en raison de l’existence d’une continuité économique avec le bénéficiaire antérieur, n’aurait pas été recevable à former un recours en annulation au titre de l’article 263 TFUE contre la décision de la Commission déclarant cette aide illégale et incompatible et ordonnant sa récupération, il y a lieu de faire observer qu’un tel bénéficiaire effectif se voit néanmoins
garantir une protection juridictionnelle par le droit de l’Union.
52 En effet, il ressort de la jurisprudence de la Cour que le contrôle, par le juge national, d’un acte national visant la récupération d’une aide d’État illégale et incompatible doit être considéré comme étant la simple émanation du droit à une protection juridictionnelle effective consacré à l’article 47 de la Charte (voir, en ce sens, arrêt du 20 mai 2010, Scott et Kimberly Clark, C‑210/09, EU:C:2010:294, point 25 ainsi que jurisprudence citée).
53 Dans ce contexte, le bénéficiaire effectif peut aussi contester devant le juge national la validité de la décision de la Commission ayant déclaré l’aide illégale et incompatible, lorsque ce bénéficiaire effectif n’aurait pas été sans aucun doute recevable à introduire un recours direct, au titre de l’article 263 TFUE, à l’encontre de cette décision (voir, en ce sens, arrêts du 17 février 2011, Bolton Alimentari, C‑494/09, EU:C:2011:87, points 22 et 23 ainsi que jurisprudence citée, et du
25 juillet 2018, Georgsmarienhütte e.a., C‑135/16, EU:C:2018:582, point 17 ainsi que jurisprudence citée). Certes, le juge national n’est pas compétent pour constater lui-même l’invalidité d’une telle décision, la Cour seule étant habilitée à constater l’invalidité des actes de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 18 juillet 2007, Lucchini, C‑119/05, EU:C:2007:434, point 53 et jurisprudence citée). Toutefois, lorsqu’une juridiction nationale estime qu’un ou plusieurs moyens d’invalidité d’un acte
de l’Union avancés par les parties ou, le cas échéant, soulevés d’office sont fondés, elle doit surseoir à statuer et saisir la Cour d’une procédure de renvoi préjudiciel en appréciation de validité, cette dernière étant seule compétente pour constater l’invalidité d’un acte de l’Union (arrêt du 3 octobre 2013, Inuit Tapiriit Kanatami e.a./Parlement et Conseil, C‑583/11 P, EU:C:2013:625, point 96 ainsi que jurisprudence citée).
54 Deuxièmement, s’agissant du respect des droits du bénéficiaire effectif d’une aide dans le cadre d’une procédure devant une autorité nationale susceptible d’aboutir à une décision constatant l’existence d’une continuité économique et ordonnant la récupération de l’aide auprès de ce bénéficiaire effectif, il convient d’observer d’emblée que, ainsi qu’il ressort du point 32 du présent arrêt, la juridiction de renvoi part de la prémisse selon laquelle le constat de l’existence d’une continuité
économique relève du seul pouvoir d’appréciation de la Commission. Or, il ressort des points 41 et 43de cet arrêt que cette prémisse est erronée.
55 En tout état de cause, s’il résulte du libellé de l’article 41 de la Charte que celui-ci ne s’adresse pas aux États membres (arrêt du 17 juillet 2014, YS e.a., C‑141/12 et C‑372/12, EU:C:2014:2081, point 67), il n’en reste pas moins que, selon la jurisprudence de la Cour, l’obligation de respecter les droits de la défense des destinataires de décisions qui affectent de manière sensible leurs intérêts pèse aussi, en principe, sur les administrations des États membres lorsqu’elles prennent des
mesures entrant dans le champ d’application du droit de l’Union (arrêt du 10 septembre 2013, G. et R., C‑383/13 PPU, EU:C:2013:533, point 35). Il incombe, dès lors, à l’autorité nationale qui entend adopter une décision de récupération d’une aide déclarée illégale auprès du bénéficiaire effectif de cette aide d’assurer le respect des droits de la défense de ce dernier.
56 En outre, il ressort du point 52 du présent arrêt que le bénéficiaire effectif de l’aide doit disposer de la possibilité de faire contrôler une telle décision par une juridiction nationale, laquelle, si elle éprouve des doutes quant à l’interprétation du droit de l’Union, peut ou, selon le cas, doit saisir la Cour d’une procédure de renvoi préjudiciel, conformément à l’article 267 TFUE.
57 Eu égard à ce qui précède, il y a lieu de répondre aux questions posées que l’article 108 et l’article 288, quatrième alinéa, TFUE, les articles 16 et 31 du règlement 2015/1589 ainsi que les articles 41 et 47 de la Charte doivent être interprétés en ce sens que, dans la situation où une décision de la Commission ordonne la récupération d’une aide d’État auprès d’un bénéficiaire qu’elle identifie, ils ne s’opposent pas à une législation nationale en vertu de laquelle les autorités nationales
compétentes, dans le cadre de leur mission d’exécution de cette décision, peuvent ordonner la récupération de cette aide auprès d’une autre entreprise en raison de l’existence d’une continuité économique entre cette dernière et le bénéficiaire de l’aide identifié dans ladite décision.
Sur les dépens
58 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (dixième chambre) dit pour droit :
L’article 108 et l’article 288, quatrième alinéa, TFUE, les articles 16 et 31 du règlement (UE) 2015/1589 du Conseil, du 13 juillet 2015, portant modalités d’application de l’article 108 [TFUE], ainsi que les articles 41 et 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne,
doivent être interprétés en ce sens que :
dans la situation où une décision de la Commission européenne ordonne la récupération d’une aide d’État auprès d’un bénéficiaire qu’elle identifie, ils ne s’opposent pas à une législation nationale en vertu de laquelle les autorités nationales compétentes, dans le cadre de leur mission d’exécution de cette décision, peuvent ordonner la récupération de cette aide auprès d’une autre entreprise en raison de l’existence d’une continuité économique entre cette dernière et le bénéficiaire de l’aide
identifié dans ladite décision.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : l’italien.