ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)
16 janvier 2025 ( *1 )
« Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière pénale – Directive (UE) 2016/343 – Article 8 – Droit d’assister à son procès – Information sur la tenue du procès et sur les conséquences d’un défaut de comparution – Impossibilité de localiser la personne poursuivie nonobstant les efforts raisonnables déployés par les autorités compétentes – Possibilité d’un procès et d’une décision par défaut – Article 9 – Droit à un nouveau procès ou à une autre voie de droit permettant une nouvelle
appréciation du fond de l’affaire – Absence de ce droit lorsque l’intéressé se soustrait à l’action de la justice »
Dans l’affaire C‑644/23 [Stangalov] ( i ),
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Sofiyski gradski sad (tribunal de la ville de Sofia, Bulgarie), par décision du 26 octobre 2023, parvenue à la Cour le 26 octobre 2023, dans la procédure pénale contre
IR,
en présence de :
Sofiyska gradska prokuratura,
LA COUR (quatrième chambre),
composée de M. C. Lycourgos (rapporteur), président de la troisième chambre, faisant fonction de président de la quatrième chambre, M. S. Rodin et Mme O. Spineanu-Matei, juges,
avocat général : M. J. Richard de la Tour,
greffier : M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
considérant les observations présentées :
– pour la Commission européenne, par Mme J. Vondung et M. I. Zaloguin, en qualité d’agents,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 8 et 9 de la directive (UE) 2016/343 du Parlement européen et du Conseil, du 9 mars 2016, portant renforcement de certains aspects de la présomption d’innocence et du droit d’assister à son procès dans le cadre des procédures pénales (JO 2016, L 65, p. 1), ainsi que de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’une procédure pénale engagée contre IR au sujet de faits susceptibles de constituer des infractions fiscales passibles de peines privatives de liberté.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
3 Les considérants 33, 35 à 39, 47 et 48 de la directive 2016/343 énoncent :
« (33) Le droit à un procès équitable constitue l’un des principes fondamentaux d’une société démocratique. Sur celui-ci repose le droit des suspects ou des personnes poursuivies d’assister à leur procès, qui devrait être garanti dans l’ensemble de l’Union [européenne].
[...]
(35) Le droit du suspect ou de la personne poursuivie d’assister à son procès ne revêt pas de caractère absolu. Sous certaines conditions, le suspect ou la personne poursuivie devrait pouvoir y renoncer de manière expresse ou tacite, mais sans équivoque.
(36) Dans certaines circonstances, une décision statuant sur la culpabilité ou l’innocence du suspect ou de la personne poursuivie devrait pouvoir être rendue même si la personne concernée n’est pas présente au procès. Tel pourrait être le cas quand le suspect ou la personne poursuivie a été informé, en temps utile, de la tenue du procès et des conséquences d’un défaut de comparution, et ne s’est néanmoins pas présenté. Informer le suspect ou la personne poursuivie de la tenue du procès devrait
signifier que ledit suspect ou ladite personne poursuivie est cité en personne ou est informé officiellement, par d’autres moyens, de la date et du lieu fixés pour le procès, de manière à lui permettre d’avoir connaissance du procès. Informer le suspect ou la personne poursuivie des conséquences d’un défaut de comparution devrait signifier, en particulier, que cette personne est informée qu’une décision pourrait être rendue si elle ne se présente pas au procès.
(37) Un procès pouvant donner lieu à une décision statuant sur la culpabilité ou l’innocence devrait également pouvoir avoir lieu en l’absence du suspect ou de la personne poursuivie lorsque cette personne a été informée de la tenue du procès et a donné mandat à un avocat qui a été désigné par cette personne ou par l’État pour la représenter au procès et qui a représenté le suspect ou la personne poursuivie.
(38) Lorsqu’il s’agit de déterminer si la manière dont l’information est fournie est suffisante pour garantir que l’intéressé a connaissance du procès, une attention particulière devrait, le cas échéant, être également accordée, d’une part, à la diligence dont ont fait preuve les autorités publiques pour informer la personne concernée et, d’autre part, à la diligence dont a fait preuve la personne concernée pour recevoir l’information qui lui est adressée.
(39) Lorsque les États membres prévoient la possibilité que des procès se tiennent en l’absence du suspect ou de la personne poursuivie, mais que les conditions pour rendre une décision en l’absence d’un suspect ou d’une personne poursuivie déterminé ne sont pas réunies, parce que le suspect ou la personne poursuivie n’a pu être localisé en dépit des efforts raisonnables consentis à cet effet, par exemple parce que la personne a pris la fuite ou s’est évadée, il devrait néanmoins être possible de
rendre une décision en l’absence du suspect ou de la personne poursuivie, et que cette décision soit exécutoire. Dans de tels cas, les États membres devraient veiller à ce que les suspects ou les personnes poursuivies, lorsqu’ils sont informés de la décision, en particulier au moment de leur arrestation, soient également informés de la possibilité de contester cette décision et du droit à un nouveau procès, ou à une autre voie de droit. [...]
[...]
(47) La présente directive respecte les droits fondamentaux et les principes reconnus par la [Charte] et la [convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la “CEDH”)] [...] Il convient de tenir compte, en particulier, de l’article 6 [TUE], qui dispose que l’Union reconnaît les droits, les libertés et les principes énoncés dans la [Charte] et que les droits fondamentaux, tels qu’ils sont garantis par la CEDH et
tels qu’ils résultent des traditions constitutionnelles communes aux États membres, font partie du droit de l’Union en tant que principes généraux.
(48) La présente directive établissant des règles minimales, les États membres devraient pouvoir étendre les droits définis dans celle-ci afin d’offrir un niveau plus élevé de protection. Le niveau de protection offert par les États membres ne devrait jamais être inférieur aux normes prévues par la [Charte] et la CEDH, telles qu’elles sont interprétées par la Cour de justice et par la Cour européenne des droits de l’homme. »
4 L’article 1er de cette directive, intitulé « Objet », dispose :
« La présente directive établit des règles minimales communes concernant :
a) certains aspects de la présomption d’innocence dans le cadre des procédures pénales ;
b) le droit d’assister à son procès dans le cadre des procédures pénales. »
5 L’article 8 de ladite directive, intitulé « Droit d’assister à son procès », prévoit :
« 1. Les États membres veillent à ce que les suspects et les personnes poursuivies aient le droit d’assister à leur procès.
2. Les États membres peuvent prévoir qu’un procès pouvant donner lieu à une décision statuant sur la culpabilité ou l’innocence du suspect ou de la personne poursuivie peut se tenir en son absence, pour autant que :
a) le suspect ou la personne poursuivie ait été informé, en temps utile, de la tenue du procès et des conséquences d’un défaut de comparution ; ou
b) le suspect ou la personne poursuivie, ayant été informé de la tenue du procès, soit représenté par un avocat mandaté, qui a été désigné soit par le suspect ou la personne poursuivie, soit par l’État.
3. Une décision prise conformément au paragraphe 2 peut être exécutée à l’encontre du suspect ou de la personne poursuivie concerné.
4. Lorsque les États membres prévoient la possibilité que des procès se tiennent en l’absence du suspect ou de la personne poursuivie, mais qu’il n’est pas possible de respecter les conditions fixées au paragraphe 2 du présent article parce que le suspect ou la personne poursuivie ne peut être localisé en dépit des efforts raisonnables consentis à cet effet, les États membres peuvent prévoir qu’une décision peut néanmoins être prise et exécutée. Dans de tels cas, les États membres veillent à ce
que les suspects ou les personnes poursuivies, lorsqu’ils sont informés de la décision, en particulier au moment de leur arrestation, soient également informés de la possibilité de contester cette décision et de leur droit à un nouveau procès ou à une autre voie de droit, conformément à l’article 9.
[...] »
6 L’article 9 de la même directive, intitulé « Droit à un nouveau procès », est libellé comme suit :
« Les États membres veillent à ce que les suspects ou les personnes poursuivies, lorsqu’ils n’ont pas assisté à leur procès et que les conditions prévues à l’article 8, paragraphe 2, n’étaient pas réunies, aient droit à un nouveau procès ou à une autre voie de droit, permettant une nouvelle appréciation du fond de l’affaire, y compris l’examen de nouveaux éléments de preuve, et pouvant aboutir à une infirmation de la décision initiale. À cet égard, les États membres veillent à ce que lesdits
suspects et personnes poursuivies aient le droit d’être présents, de participer effectivement, conformément aux procédures prévues par le droit national, et d’exercer les droits de la défense. »
Le droit bulgare
7 L’article 94, paragraphes 1 et 3, du Nakazatelno-protsesualen kodeks (code de procédure pénale)(DV no 86, du 28 octobre 2005), dans sa version applicable à la procédure au principal (ci-après le « NPK »), dispose :
« 1. La participation d’un représentant au procès pénal est obligatoire lorsque [...] l’affaire est examinée en l’absence de la personne poursuivie ;
[...]
3. Lorsque l’intervention d’un représentant est obligatoire, les autorités compétentes désignent un avocat en tant que représentant. »
8 L’article 219, paragraphe 3, point 3, du NPK prévoit :
« L’ordonnance de mise en accusation [...] doi[t] préciser [...] les faits pour lesquels [la personne concernée] est mis[e] en accusation et la qualification juridique de ces faits. »
9 Aux termes de l’article 246, paragraphe 1, du NPK :
« Le procureur établit l’acte d’accusation, lorsqu’il est convaincu qu’ont été recueillis les éléments de preuve nécessaires pour [...] procéder à l’accusation devant le tribunal [...] »
10 L’article 247 c, paragraphe 1, du NPK dispose :
« Une copie de l’acte d’accusation est remise à la personne poursuivie sur ordre du juge rapporteur. La signification de l’acte d’accusation informe la personne poursuivie de la date fixée pour l’audience préliminaire [...] et de ce que l’affaire peut être examinée et jugée en l’absence de celle-ci, dans les conditions prévues à l’article 269. »
11 L’article 269 du NPK prévoit :
« 1. La présence de la personne poursuivie au procès est obligatoire lorsque celle-ci est accusée d’une infraction pénale grave.
[...]
3. Lorsque cela n’empêche pas de découvrir la vérité objective, l’affaire peut être examinée en l’absence de la personne poursuivie si :
1) celle-ci ne se trouve pas à l’adresse qu’elle a indiquée ou en a changé sans en informer les autorités compétentes ;
2) son lieu de résidence en Bulgarie n’est pas connu et n’a pas été établi à la suite d’une recherche approfondie ;
[...]
4) se situe en dehors du territoire bulgare et [...] son lieu de résidence est inconnu. »
12 Aux termes de l’article 423, paragraphe 1, du NPK :
« Dans un délai de six mois à compter de la prise de connaissance de la condamnation pénale définitive [...], la personne condamnée par défaut peut demander la réouverture de [la procédure] pénale en invoquant son absence lors de [cette procédure]. Il est fait droit à cette demande, à moins que la personne condamnée, après communication des chefs d’accusation pendant l’instruction, n’ait pris la fuite, de sorte que la procédure prévue à l’article 247 c, paragraphe 1, n’a pas pu être exécutée, ou
bien, après que cette dernière procédure a été exécutée, qu’elle n’ait pas comparu à l’audience sans motif valable. »
La procédure au principal et les questions préjudicielles
13 Au cours l’année 2016, il a été reproché à IR d’avoir participé en bande organisée à une organisation criminelle en vue de commettre des infractions fiscales, qui sont passibles de peines privatives de liberté.
14 Le 19 avril 2016, IR s’est vu notifier l’ordonnance de mise en accusation relative à ces infractions, émise en application de l’article 219 du NPK.
15 À la suite de cette mise en accusation, qui avait lieu dans le cadre de l’instruction, IR a eu recours aux services d’un avocat mandaté par lui et a fourni une adresse à laquelle il pourrait être joint.
16 Le 8 juin 2016, l’instruction a été achevée et le dossier a été transmis au procureur.
17 Le 9 décembre 2016, le procureur a établi l’acte d’accusation en application de l’article 246 du NPK et a porté l’affaire contre IR devant le Spetsializiran nakazatelen sad (tribunal pénal spécialisé, Bulgarie).
18 Malgré les tentatives du Spetsializiran nakazatelen sad (tribunal pénal spécialisé) de citer IR en personne afin que celui-ci comparaisse à l’audience, IR n’a pu être localisé ni à l’adresse qu’il avait fournie ni ailleurs. Dans ces circonstances, les démarches prévues à l’article 247 c, paragraphe 1, du NPK, dont la remise à IR d’une copie de l’acte d’accusation visé à l’article 246 du NPK, n’ont pas pu être effectuées.
19 Un avocat a été commis d’office pour défendre IR. Cet avocat n’a, cependant, pas réussi à entrer en contact avec celui-ci et a renoncé à le défendre. Les autres avocats qui ont ultérieurement été commis d’office n’ont pas non plus été en mesure d’établir un contact avec IR.
20 Dès lors qu’il s’est avéré que l’acte d’accusation était entaché d’une irrégularité, cet acte a été déclaré nul et la procédure a été clôturée en conséquence. Par la suite, un nouvel acte d’accusation a été établi en application de l’article 246 du NPK et une nouvelle procédure a été ouverte. À cette occasion, IR a une nouvelle fois été recherché, y compris par l’intermédiaire des membres de sa famille, de ses anciens employeurs et des opérateurs de téléphonie mobile, mais, une nouvelle fois, il
n’a pu être localisé.
21 Par une décision du 27 octobre 2020, le Spetsializiran nakazatelen sad (tribunal pénal spécialisé) avait alors décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) L’article 8, paragraphe 2, sous b), lu [en combinaison] avec les considérants 36 à 39 de la directive [2016/343], [...] [doit-il] être interprét[é] comme couvrant le cas dans lequel la personne poursuivie a été informée de l’accusation portée contre elle, dans sa version initiale, et, par suite de sa fuite, ne peut objectivement pas être informée du procès et est représentée par un avocat commis d’office, avec lequel elle n’entretient aucun contact ?
2) En cas de réponse négative :
Une disposition nationale (l’article 423 [...] du [NPK]), ne prévoyant pas de voie de recours contre des actes d’enquête effectués par défaut et contre une condamnation par défaut si la personne poursuivie, après avoir été informée de la version initiale de l’accusation, s’est enfuie et, pour cette raison, n’a pas pu être informée de la date et du lieu du procès et des conséquences d’un défaut de comparution, est-elle conforme à l’article 9 [...] de la directive [2016/343] [...] ?
3) En cas de réponse négative :
L’article 9 de la directive [2016/343], lu [en combinaison] avec l’article 47 de la Charte, a-t-il un effet direct ? »
22 Cette demande de décision préjudicielle a donné lieu à l’arrêt du 19 mai 2022, Spetsializirana prokuratura (Procès d’un accusé en fuite) (C‑569/20, EU:C:2022:401), dont le dispositif est libellé comme suit :
« Les articles 8 et 9 de la directive [2016/343] doivent être interprétés en ce sens qu’une personne poursuivie que les autorités nationales compétentes, en dépit de leurs efforts raisonnables, ne réussissent pas à localiser et à laquelle ces autorités n’ont, de ce fait, pas réussi à remettre les informations relatives au procès dirigé contre elle peut faire l’objet d’un procès et, le cas échéant, d’une condamnation par défaut, mais doit dans ce cas, en principe, avoir la possibilité, après la
communication de cette condamnation, de se prévaloir directement du droit, conféré par cette directive, d’obtenir la réouverture du procès ou l’accès à une voie de droit équivalente conduisant à un nouvel examen, en sa présence, du fond de l’affaire. Ce droit peut toutefois être refusé à ladite personne s’il ressort d’indices précis et objectifs que celle-ci a reçu des informations suffisantes pour savoir qu’un procès allait être tenu contre elle et a, par des actes délibérés et dans l’intention
de se soustraire à l’action de la justice, empêché les autorités de l’informer officiellement de la tenue de ce procès. »
23 Le Sofiyski gradski sad (tribunal de la ville de Sofia, Bulgarie), qui, depuis la suppression du Spetsializiran nakazatelen sad (tribunal pénal spécialisé), a repris la procédure pénale engagée contre IR et qui est, dès lors, la juridiction de renvoi, constate que, depuis le prononcé de l’arrêt du 19 mai 2022, Spetsializirana prokuratura (Procès d’un accusé en fuite) (C‑569/20, EU:C:2022:401), la jurisprudence bulgare relative à l’article 423 du NPK est restée inchangée. En particulier, le
Varhoven kasatsionen sad (Cour suprême de cassation, Bulgarie), qui est exclusivement compétent pour examiner les demandes d’un nouveau procès, continuerait à appliquer l’article 423 du NPK en ce sens que toute personne ayant pris la fuite après avoir reçu l’ordonnance de mise en accusation visée à l’article 219 du NPK est, en cas de condamnation par défaut, privée du droit à un nouveau procès.
24 La juridiction de renvoi en déduit que, en cas de condamnation par défaut d’IR, l’éventuelle demande ultérieure de celui-ci visant à la tenue d’un nouveau procès, serait vouée à l’échec.
25 Or, selon cette juridiction, IR devrait, en vertu de son droit fondamental à un procès équitable reconnu à l’article 47 de la Charte et reflété à l’article 8, paragraphe 4, et à l’article 9 de la directive 2016/343, bénéficier du droit à un nouveau procès.
26 À cet égard, ladite juridiction attire l’attention sur le fait que l’ordonnance de mise en accusation personnellement reçue par IR le 19 avril 2016 relevait de la phase de l’instruction, laquelle précède la transmission du dossier au procureur. Cet acte d’accusation préliminaire ne contiendrait qu’un bref exposé des éléments de fait et de droit, afin d’informer le suspect qu’il lui est reproché la commission d’une infraction déterminée et de lui donner la possibilité de fournir des explications à
cet égard.
27 La juridiction de renvoi souligne que, au moment où l’intéressé reçoit cet acte d’accusation préliminaire, l’ensemble des preuves à charge et à décharge n’est pas encore connu. La décision du procureur d’établir l’acte d’accusation visé à l’article 246 du NPK et de porter ainsi l’affaire devant le juge compétent n’est pas non plus connue lors de l’instruction.
28 Ce ne serait donc qu’à la réception de l’acte d’accusation établi en application de l’article 246 du NPK que l’intéressé comprend pour la première fois qu’il y aura un procès. Ce ne serait également qu’à ce stade que celui-ci est informé de la possibilité que l’affaire soit jugée en son absence.
29 Selon la juridiction de renvoi, tant l’article 423, paragraphe 1, du NPK que la jurisprudence du Varhoven kasatsionen sad (Cour suprême de cassation) relative à cette disposition sont incompatibles avec l’article 8, paragraphe 4, et l’article 9 de la directive 2016/343, en ce qu’ils privent du droit à un nouveau procès des personnes ayant fait l’objet d’un procès par défaut alors même que les conditions prévues à l’article 8, paragraphe 2, de cette directive n’étaient pas réunies.
30 Dans ces conditions, la juridiction de renvoi souhaite, avant de procéder, le cas échéant, à la condamnation par défaut d’IR, obtenir des précisions supplémentaires de la Cour sur le champ d’application personnel du droit à un nouveau procès. S’il devait effectivement ressortir de ces précisions que le droit de l’Union s’oppose à l’article 423, paragraphe 1, du NPK, il faudrait également déterminer si la juridiction de renvoi peut, voire doit, refuser de statuer dans le procès par défaut pendant
contre IR, afin d’éviter que celui-ci soit, ultérieurement, soumis à une violation du droit à un procès équitable.
31 À cet égard, la juridiction de renvoi observe qu’elle dispose d’informations sûres dont il découle que le Varhoven kasatsionen sad (Cour suprême de cassation) refuserait de reconnaître le droit d’IR à un nouveau procès. Ces informations tiendraient au fait que cette juridiction suprême n’a pas adapté sa jurisprudence après le prononcé de l’arrêt du 19 mai 2022, Spetsializirana prokuratura (Procès d’un accusé en fuite) (C‑569/20, EU:C:2022:401), et refuse de manière persistante de tenir compte de
la directive 2016/343.
32 Dans ces conditions, le Sofiyski gradski sad (tribunal de la ville de Sofia) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) Une disposition nationale (l’article 423, paragraphe 1, seconde phrase, première alternative, du NPK), selon laquelle une personne poursuivie qui a été condamnée en son absence n’a pas droit à un nouveau procès en sa présence, si elle s’est enfuie après avoir été informée des éléments les plus généraux de l’accusation, dans le cadre de la phase préliminaire, et que c’est précisément en raison de cette fuite qu’il n’a pas été possible de l’informer de cette accusation dans son intégralité, de
la procédure juridictionnelle engagée sur la base de ladite accusation et des conséquences de son défaut de comparution dans cette procédure ; et selon laquelle cette personne n’a pas droit à un nouveau procès en sa présence dès lors qu’elle est défendue par un avocat commis d’office, indépendamment du fait qu’il n’y a aucun contact entre elle et cet avocat, est-elle compatible avec l’article 9 de la directive 2016/343, lu en combinaison avec l’article 8, paragraphes 2 et 4, de celle-ci ?
2) En cas de réponse négative, l’article 8 de la directive 2016/343 et l’article 47 de la Charte imposent-ils ou permettent-ils à la juridiction de renvoi de refuser de statuer sur le fond de l’accusation portée contre ladite personne et de prononcer une condamnation par défaut à son égard si elle est convaincue, sur la base d’informations sûres, que la juridiction suprême nationale concernée, qui a la compétence exclusive pour statuer sur une demande d’une personne condamnée par défaut tendant à
la tenue d’un nouveau procès en sa présence, ne fera pas droit, dans l’affaire au principal, à une telle demande et ne rouvrira pas l’affaire dans la mesure où elle n’appliquera pas la règle énoncée à l’article 9 de cette directive, lu en combinaison avec l’article 8, paragraphes 2 et 4, de celle-ci, mais appliquera, en lieu et place, le droit national et privera ainsi la même personne, condamnée par défaut, de son droit d’assister à la procédure pénale, garanti par le droit de l’Union
européenne ? »
Sur les questions préjudicielles
Sur la première question
33 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les articles 8 et 9 de la directive 2016/343 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale selon laquelle une personne qui prend la fuite après avoir reçu un acte d’accusation préliminaire établi contre elle pendant la phase d’instruction d’une procédure pénale, qui empêche ainsi les autorités de l’informer en personne de l’acte d’accusation définitif de même que de la date et du
lieu de la tenue de son procès, qui est défendue pendant ce procès par un avocat commis d’office qui n’a pas de contact avec elle et qui, dans ces conditions, est condamnée par défaut, n’aura, si elle est localisée et arrêtée en vue de l’exécution de sa peine, pas droit à un nouveau procès.
34 Il convient de rappeler que la directive 2016/343 a, conformément à son article 1er, pour objet d’établir des règles minimales communes concernant certains éléments des procédures pénales, dont le « droit d’assister à son procès ». Ainsi que le confirme expressément le considérant 33 de cette directive, ce droit fait partie intégrante du droit fondamental à un procès équitable [arrêt du 19 mai 2022, Spetsializiranaprokuratura (Procès d’un accusé en fuite), C‑569/20, EU:C:2022:401, point 25].
35 Les États membres peuvent toutefois, conformément à l’article 8 de la directive 2016/343, prévoir, sous certaines conditions, la tenue d’un procès par défaut, étant entendu que, lorsqu’un tel procès est mené alors même que les conditions prévues à l’article 8, paragraphe 2, de cette directive ne sont pas réunies, l’intéressé a, en vertu de l’article 8, paragraphe 4, et de l’article 9 de ladite directive, qui sont d’effet direct, droit « à un nouveau procès ou à une autre voie de droit, permettant
une nouvelle appréciation du fond de l’affaire [...] et pouvant aboutir à une infirmation de la décision initiale » (ci-après le « droit à un nouveau procès ») [voir, en ce sens, arrêt du 19 mai 2022, Spetsializirana prokuratura (Procès d’un accusé en fuite), C‑569/20, EU:C:2022:401, points 26 à 28].
36 Il s’ensuit qu’une personne condamnée par défaut ne peut être privée du droit à un nouveau procès que si les conditions prévues à l’article 8, paragraphe 2, de la directive 2016/343 sont réunies [arrêt du 19 mai 2022, Spetsializirana prokuratura (Procès d’un accusé en fuite), C‑569/20, EU:C:2022:401, point 31].
37 Partant, lorsque la personne concernée n’a pas été informée, en temps utile, de la tenue de son procès ou lorsque, tout en ayant été informée de la tenue de celui-ci, cette personne n’a pas été informée des conséquences d’un défaut de comparution et n’a pas non plus été représentée par un avocat mandaté à ce procès, ladite personne bénéficie, en principe, à compter de sa prise de connaissance de la décision rendue par défaut, du droit à un nouveau procès. La directive 2016/343 s’oppose, dès lors,
à une réglementation nationale qui écarte ce droit au seul motif que l’intéressé a pris la fuite et que les autorités n’ont pas réussi à le localiser [voir, en ce sens, arrêt du 19 mai 2022, Spetsializirana prokuratura (Procès d’un accusé en fuite), C‑569/20, EU:C:2022:401, points 41 à 47].
38 Ainsi qu’il découle du considérant 38 de cette directive, il y a lieu, pour déterminer si l’intéressé a été informé de la tenue de son procès, d’accorder une attention particulière, d’une part, à la diligence dont ont fait preuve les autorités publiques pour informer la personne concernée de la tenue de ce procès et, d’autre part, à la diligence dont a fait preuve cette personne pour recevoir les informations qui y sont relatives. Par conséquent, il doit être considéré que ladite personne ne
bénéficie pas du droit à un nouveau procès lorsqu’il ressort d’indices précis et objectifs que celle-ci, tout en ayant été informée officiellement qu’elle est accusée d’avoir commis une infraction pénale et, sachant ainsi qu’un procès allait être organisé contre elle, fait délibérément en sorte d’éviter de recevoir officiellement les informations relatives à la date et au lieu de ce procès. L’existence de tels indices précis et objectifs peut, par exemple, être constatée lorsque la même personne
a communiqué délibérément une adresse erronée aux autorités nationales compétentes en matière pénale ou ne se trouve plus à l’adresse qu’elle a communiquée [arrêt du 19 mai 2022, Spetsializirana prokuratura (Procès d’un accusé en fuite), C‑569/20, EU:C:2022:401, points 48 à 50].
39 En l’occurrence, s’il devait s’avérer que l’acte d’accusation définitif établi en application de l’article 246 du NPK ainsi que le document mentionnant la date et le lieu du procès prévu ont été envoyés et effectivement délivrés à l’adresse qu’IR avait communiquée aux autorités chargées de l’instruction après réception de l’acte d’accusation préliminaire visé à l’article 219 du NPK, de telles circonstances pourraient, si le contenu de cet acte d’accusation définitif correspond, s’agissant des
faits reprochés et de leur qualification juridique, au contenu de cet acte d’accusation préliminaire, constituer des indices précis et objectifs permettant de considérer qu’IR, ayant été informé de l’accusation portée contre lui et, partant, disposant d’informations suffisantes pour savoir qu’un procès allait être organisé contre lui, a, en quittant, dans l’intention de se soustraire à l’action de la justice, l’adresse qu’il avait communiquée aux autorités, empêché ces dernières de l’informer
officiellement de la tenue de ce procès [voir, en ce sens, arrêt du 19 mai 2022, Spetsializirana prokuratura (Procès d’un accusé en fuite), C‑569/20, EU:C:2022:401, point 58].
40 Cette conclusion n’est pas infirmée par le fait qu’il n’est pas encore certain, pendant la phase d’instruction de la procédure pénale, que l’acte d’accusation préliminaire, dont l’intéressé a pris connaissance, sera suivi d’un acte d’accusation définitif et donc d’un procès. En effet, d’une part, il découle du libellé même des articles 8 et 9 de la directive 2016/343 que les règles minimales communes établies par ces articles s’appliquent tant aux « suspects » qu’aux « personnes poursuivies ».
Dès lors, les personnes qui sont soupçonnées d’avoir commis une infraction relèvent de ces règles, même si elles ne sont pas encore formellement poursuivies.
41 D’autre part, au regard de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, dont il importe, ainsi qu’il découle des considérants 47 et 48 de la directive 2016/343, de tenir compte dans l’interprétation de celle-ci, il suffit, aux fins de conclure que l’intéressé s’est délibérément soustrait à l’action de la justice en prenant la fuite alors même qu’il disposait d’informations lui permettant de savoir qu’un procès allait être organisé contre lui, qu’il ressorte des circonstances de
l’espèce que l’intéressé a pris la fuite après avoir compris que son affaire serait très probablement portée devant un tribunal (Cour EDH, 26 janvier 2017, Lena Atanasova c. Bulgarie, CE:ECHR:2017:0126JUD005200907, § 48).
42 Il est, par conséquent, permis aux États membres de considérer, en présence de telles circonstances, que l’envoi en temps utile, par les autorités compétentes, du document officiel mentionnant la date et le lieu d’un procès à l’adresse que la personne concernée a communiquée à ces autorités pendant l’instruction de l’affaire et la preuve apportée que ce document a effectivement été délivré à cette adresse valent information de cette personne, qui a pris la fuite, concernant cette date et ce lieu,
conformément à l’article 8, paragraphe 2, de la directive 2016/343. Il ne peut, cependant, en être ainsi qu’à condition que lesdites autorités aient déployé des efforts raisonnables afin de localiser ladite personne et de citer cette dernière en personne ou de l’informer officiellement, par d’autres moyens, de la date et du lieu de ce procès, ainsi que cela est envisagé au considérant 36 de cette directive. La personne concernée est, dans ce cas de figure, réputée avoir été informée de la tenue
dudit procès et avoir renoncé volontairement et de manière non équivoque à exercer son droit d’assister à celui-ci [voir, en ce sens, arrêt du 19 mai 2022, Spetsializirana prokuratura (Procès d’un accusé en fuite), C‑569/20, EU:C:2022:401, point 48].
43 Par ailleurs, il importe de préciser que, même lorsqu’il est ainsi réputé avoir été informé de la tenue de son procès et avoir renoncé volontairement et de manière non équivoque à exercer son droit d’assister à celui-ci, il faut encore, pour que les conditions prévues à l’article 8, paragraphe 2, de la directive 2016/343 aient été toutes réunies, que l’intéressé, conformément au point a) de cet article 8, paragraphe 2, ait été informé, en temps utile, des conséquences d’un défaut de comparution
ou qu’il soit, conformément au point b) dudit article 8, paragraphe 2, représenté par un avocat mandaté.
44 En l’occurrence, sous réserve de vérification par la juridiction de renvoi, il apparaît que l’article 423, paragraphe 1, du NPK a pour effet de priver du droit à un nouveau procès les personnes s’étant enfuies après avoir reçu un acte d’accusation préliminaire, émis en vertu de l’article 219 du NPK, sans que cet article 423, paragraphe 1, exige que soit examiné, d’une part, si, à la lumière de l’ensemble des circonstances pertinentes, en particulier celles mentionnées aux points 39 et 42 du
présent arrêt, l’intéressé peut être considéré comme ayant été informé par les autorités compétentes de la tenue de son procès et, d’autre part, si celui-ci a été informé par ces autorités des conséquences d’un défaut de comparution ou a été représenté à ce procès par un avocat mandaté.
45 Il appartient aux juridictions nationales d’examiner si l’article 423, paragraphe 1, du NPK peut néanmoins être interprété dans un sens qui permet de cantonner l’exclusion du droit à un nouveau procès qui y est prévue aux seuls cas de figure dans lesquels toutes les conditions prévues à l’article 8, paragraphe 2, de la directive 2016/343 sont réunies. En cas d’impossibilité de procéder à une interprétation de la législation bulgare qui soit conforme aux exigences du droit de l’Union, et dès lors
que, ainsi qu’il est rappelé au point 35 du présent arrêt, l’article 8, paragraphe 4, et l’article 9 de cette directive sont d’effet direct, ces juridictions seraient tenues de laisser inappliquée toute disposition nationale contraire à ces dispositions du droit de l’Union, sans qu’elles aient à demander ou à attendre l’élimination préalable de la disposition législative nationale qui est incompatible avec celles-ci [voir, par analogie, arrêt du 21 octobre 2021, ZX (Régularisation de l’acte
d’accusation), C‑282/20, EU:C:2021:874, points 40 et 41 ainsi que jurisprudence citée].
46 Dans ce cas de figure, la juridiction de renvoi pourrait, ainsi qu’il ressort des points 82 à 85 de l’arrêt prononcé ce jour dans l’affaire C‑400/23, VB II, être amenée à examiner elle-même si les conditions prévues à l’article 8, paragraphe 2, de la directive 2016/343 sont ou non réunies en l’occurrence.
47 À cet égard, s’agissant du point de savoir si IR peut être réputé avoir été informé de la tenue de son procès et avoir renoncé volontairement et de manière non équivoque à exercer son droit d’assister à celui-ci, il appartiendra à la juridiction de renvoi de se fonder sur les indications fournies au point 58 de l’arrêt du 19 mai 2022, Spetsializirana prokuratura (Procès d’unaccusé en fuite) (C‑569/20, EU:C:2022:401), lesquelles sont rappelées et précisées aux points 39 et 42 du présent arrêt.
48 Il découle, pour le reste, des informations figurant dans la demande de décision préjudicielle qu’IR est représenté, lors de son procès par défaut, par un avocat commis d’office qui n’a aucun contact avec lui. Dans ces conditions, comme cela a été relevé au point 56 de l’arrêt du 19 mai 2022, Spetsializirana prokuratura (Procès d’un accusé en fuite) (C‑569/20, EU:C:2022:401), il semble, sous réserve de vérification par la juridiction de renvoi, qu’IR ne soit pas représenté par un « avocat
mandaté », au sens de l’article 8, paragraphe 2, sous b), de la directive 2016/343. Dès lors, le point de savoir si les conditions prévues à l’article 8, paragraphe 2, de cette directive sont réunies doit, en l’occurrence, être examiné au regard du point a) de cet article 8, paragraphe 2.
49 Conformément à cette dernière disposition, il appartiendra à la juridiction de renvoi d’examiner si IR a été informé en temps utile des conséquences d’un défaut de comparution.
50 À cet égard, il semble, sous réserve de vérification par cette juridiction, que, s’il découle de l’article 247 c, paragraphe 1, du NPK que la signification de l’acte d’accusation mentionné à l’article 246 du NPK vise notamment à ce que la personne poursuivie soit informée de ce que l’affaire peut être jugée en son absence, en particulier si elle ne se trouve pas à l’adresse qu’elle a indiquée ou si elle en a changé sans en informer les autorités compétentes, pareille obligation n’est pas prévue
en ce qui concerne l’acte d’accusation préliminaire visé à l’article 219 du NPK.
51 S’il devait être établi qu’IR n’a pas été informé de ce que, s’il se soustrayait aux autorités chargées de l’instruction ou s’il communiquait une adresse erronée à ces autorités aux fins de la notification éventuelle d’un acte d’accusation visé à l’article 246 du NPK, il s’exposait à la tenue d’un procès en son absence, il incomberait à la juridiction de renvoi de conclure que les conditions prévues à l’article 8, paragraphe 2, de la directive 2016/343 ne sont pas réunies en l’occurrence.
52 Eu égard à tout ce qui précède, il y a lieu de répondre à la première question que les articles 8 et 9 de la directive 2016/343 doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une réglementation nationale selon laquelle une personne qui prend la fuite après avoir reçu un acte d’accusation préliminaire établi contre elle pendant la phase d’instruction d’une procédure pénale, qui empêche ainsi les autorités compétentes de l’informer en personne de l’acte d’accusation définitif de
même que de la date et du lieu de la tenue de son procès et qui, dans ces conditions, est condamnée par défaut, n’aura, si elle est localisée et arrêtée en vue de l’exécution de sa peine, pas droit à un nouveau procès, à condition que cette réglementation limite cette exclusion du droit à un nouveau procès aux personnes qui, d’une part, au regard de l’ensemble des circonstances pertinentes, peuvent être considérées comme ayant été informées de la tenue de leur procès et qui, d’autre part, ont été
représentées, pendant le procès par défaut, par un avocat mandaté par elles ou, à défaut d’une telle représentation, ont été informées en temps utile de ce qu’elles s’exposeraient, si elles se soustrayaient à l’action de la justice, à la tenue d’un procès en leur absence.
Sur la seconde question
53 Par sa seconde question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si, au regard du refus du Varhoven kasatsionen sad (Cour suprême de cassation) de tenir compte de la directive 2016/343, l’article 8 de cette directive et l’article 47 de la Charte doivent être interprétés en ce sens qu’une juridiction pénale peut, voire doit, s’abstenir de statuer sur le fond de l’accusation portée contre la personne poursuivie et de prononcer une condamnation par défaut à l’égard de celle-ci, afin d’éviter
que cette personne voie, par la suite, sa demande de nouveau procès rejetée, à tort, par la juridiction suprême de cassation concernée, qui est exclusivement compétente pour examiner les demandes de nouveau procès dans des cas de figure tels que celui de l’affaire au principal.
54 Ainsi qu’il découle de la jurisprudence rappelée au point 45 du présent arrêt, en cas d’impossibilité de procéder à une interprétation de la réglementation nationale qui soit conforme à l’article 8, paragraphe 4, et à l’article 9 de la directive 2016/343, les juridictions nationales sont tenues de laisser inappliquée toute disposition nationale contraire à ces dispositions du droit de l’Union, sans qu’elles aient à demander ou à attendre l’élimination préalable de la disposition nationale en
question.
55 Dans cette hypothèse, les juridictions nationales, dont la juridiction suprême de cassation concernée en cas d’introduction d’une demande d’un nouveau procès, sont donc tenues de se fonder sur les règles minimales communes énoncées à l’article 8, paragraphe 4, et à l’article 9 de la directive 2016/343, qui, ainsi qu’il est rappelé au point 35 du présent arrêt, sont d’effet direct.
56 Dans la mesure où la juridiction de renvoi expose, dans la demande de décision préjudicielle, qu’il découle avec certitude de la jurisprudence du Varhoven kasatsionen sad (Cour suprême de cassation) que ce dernier refuse de tenir compte de la directive 2016/343, force est de constater que la juridiction de renvoi se fonde, par la place centrale occupée par une telle constatation dans la seconde question préjudicielle, sur la prémisse, par ailleurs également exposée dans la demande de décision
préjudicielle, selon laquelle il ressort de l’arrêt du 19 mai 2022, Spetsializirana prokuratura (Procès d’un accusé en fuite) (C‑569/20, EU:C:2022:401), que la directive 2016/343 s’oppose à l’article 423, paragraphe 1, du NPK.
57 En effet, selon le raisonnement exposé par la juridiction de renvoi, le refus du Varhoven kasatsionen sad (Cour suprême de cassation) de tenir compte de cette directive serait démontré par le fait que ce dernier n’a pas adapté sa jurisprudence depuis le prononcé de cet arrêt de la Cour et continue à appliquer l’article 423, paragraphe 1, du NPK sans déroger au libellé de cette disposition sur le fondement des règles minimales communes énoncées dans ladite directive.
58 Or, dans l’arrêt du 19 mai 2022, Spetsializirana prokuratura (Procès d’un accusé en fuite) (C‑569/20, EU:C:2022:401), la Cour ne s’est pas prononcée sur la question de savoir si la directive 2016/343 doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une disposition nationale, telle que l’article 423, paragraphe 1, du NPK, qui aurait pour effet de priver du droit à un nouveau procès les personnes s’étant enfuies après avoir reçu un acte d’accusation préliminaire. Ce n’est que dans le présent
arrêt, qui comporte des éléments d’interprétation supplémentaires par rapport à ceux fournis dans l’arrêt du 19 mai 2022, Spetsializirana prokuratura (Procès d’un accusé en fuite) (C‑569/20, EU:C:2022:401), que la Cour fournit plus avant des indications visant à aider les juridictions bulgares à déterminer si les modalités spécifiques du régime procédural prévu dans le NPK sont conformes à cette directive.
59 Dans ces conditions, le fait que le Varhoven kasatsionen sad (Cour suprême de cassation) a, à ce jour, continué à appliquer l’article 423, paragraphe 1, du NPK sans déroger, afin de faire primer les règles minimales communes énoncées dans la directive 2016/343, au libellé de cette disposition du NPK, ne témoigne pas nécessairement d’un refus de tenir compte de cette directive, mais peut refléter la conviction de cette juridiction suprême, laquelle devrait être réexaminée au regard des indications
fournies dans le présent arrêt de la Cour, que ladite disposition du NPK met correctement en œuvre ladite directive.
60 Ainsi, la lecture de l’arrêt du 19 mai 2022, Spetsializirana prokuratura (Procès d’un accusé en fuite) (C‑569/20, EU:C:2022:401), effectuée par la juridiction de renvoi, sur laquelle se fonde sa constatation selon laquelle le Varhoven kasatsionen sad (Cour suprême de cassation) refuse de tenir compte de la directive 2016/343, est erronée. Partant, dans la mesure où cette constatation de cette juridiction repose sur une prémisse erronée, la seconde question préjudicielle a un caractère
hypothétique et est, par conséquent, irrecevable (voir par analogie, notamment, arrêt du 24 juillet 2023, Lin, C‑107/23 PPU, EU:C:2023:606, point 69).
Sur les dépens
61 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) dit pour droit :
Les articles 8 et 9 de la directive (UE) 2016/343 du Parlement européen et du Conseil, du 9 mars 2016, portant renforcement de certains aspects de la présomption d’innocence et du droit d’assister à son procès dans le cadre des procédures pénales,
doivent être interprétés en ce sens que :
ils ne s’opposent pas à une réglementation nationale selon laquelle une personne qui prend la fuite après avoir reçu un acte d’accusation préliminaire établi contre elle pendant la phase d’instruction d’une procédure pénale, qui empêche ainsi les autorités compétentes de l’informer en personne de l’acte d’accusation définitif de même que de la date et du lieu de la tenue de son procès et qui, dans ces conditions, est condamnée par défaut, n’aura, si elle est localisée et arrêtée en vue de
l’exécution de sa peine, pas droit à un nouveau procès, à condition que cette réglementation limite cette exclusion du droit à un nouveau procès aux personnes qui, d’une part, au regard de l’ensemble des circonstances pertinentes, peuvent être considérées comme ayant été informées de la tenue de leur procès et qui, d’autre part, ont été représentées, pendant le procès par défaut, par un avocat mandaté par elles ou, à défaut d’une telle représentation, ont été informées en temps utile de ce
qu’elles s’exposeraient, si elles se soustrayaient à l’action de la justice, à la tenue d’un procès en leur absence.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : le bulgare.
( i ) Le nom de la présente affaire est un nom fictif. Il ne correspond au nom réel d’aucune partie à la procédure.