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06/02/2025 | CJUE | N°C-42/24

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, Emporiki Serron AE - Emporias kai Diathesis Agrotikon Proionton contre Ypourgos Anaptyxis kai Ependyseon et Ypourgos Agrotikis Anaptyxis kai Trofimon., 06/02/2025, C-42/24


 ARRÊT DE LA COUR (sixième chambre)

6 février 2025 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Protection des intérêts financiers de l’Union européenne – Règlement (CE, Euratom) no 2988/95 – Irrégularités – Article 3 – Délai de prescription – Durée et point de départ de ce délai – Réglementation nationale prévoyant un délai de prescription quinquennal à compter de la constatation de l’irrégularité »

Dans l’affaire C‑42/24,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TF

UE, introduite par Symvoulio tis Epikrateias (Conseil d’État, Grèce), par décision du 29 décembre 2023, parvenue à la Cour le 22 janvie...

 ARRÊT DE LA COUR (sixième chambre)

6 février 2025 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Protection des intérêts financiers de l’Union européenne – Règlement (CE, Euratom) no 2988/95 – Irrégularités – Article 3 – Délai de prescription – Durée et point de départ de ce délai – Réglementation nationale prévoyant un délai de prescription quinquennal à compter de la constatation de l’irrégularité »

Dans l’affaire C‑42/24,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par Symvoulio tis Epikrateias (Conseil d’État, Grèce), par décision du 29 décembre 2023, parvenue à la Cour le 22 janvier 2024, dans la procédure

Emporiki Serron AE – Emporias kai Diathesis Agrotikon Proionton

contre

Ypourgos Anaptyxis kai Ependyseon,

Ypourgos Agrotikis Anaptyxis kai Trofimon,

LA COUR (sixième chambre),

composée de M. A. Kumin, président de chambre, Mme I. Ziemele et M. S. Gervasoni (rapporteur), juges,

avocat général : M. M. Campos Sánchez-Bordona,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

– pour Ypourgos Anaptyxis kai Ependyseon et Ypourgos Agrotikis Anaptyxis kai Trofimon, par Mmes E. Leftheriotou et Mme A. Vasilopoulou, en qualité d’agents,

– pour le gouvernement hellénique, par Mmes E. Leftheriotou et A. Vasilopoulou, en qualité d’agents,

– pour la Commission européenne, par MM. T. Adamopoulos, M. Konstantinidis et Mme C. Valero, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 3 du règlement (CE, Euratom) no 2988/95 du Conseil, du 18 décembre 1995, relatif à la protection des intérêts financiers des Communautés européennes (JO 1995, L 312, p. 1), et du principe de sécurité juridique.

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant la société Emporiki Serron AE – Emporias kai Diathesis Agrotikon Proionton (ci-après la « société Emporiki Serron ») à l’Ypourgos Anaptyxis kai Ependyseon (ministre du Développement et des Investissements, Grèce) et à l’Ypourgos Agrotikis Anaptyxis kai Trofimon (ministre du Développement rural et des Denrées alimentaires, Grèce), au sujet de la récupération d’une aide financière perçue par cette société pour l’achat et l’égrenage de
coton non égrené.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3 Le troisième considérant du règlement no 2988/95 énonce :

« [...] il importe [...] de combattre dans tous les domaines les atteintes aux intérêts financiers [de l’Union européenne] ».

4 Aux termes de l’article 1er de ce règlement :

« 1.   Aux fins de la protection des intérêts financiers [de l’Union], est adoptée une réglementation générale relative à des contrôles homogènes et à des mesures et des sanctions administratives portant sur des irrégularités au regard du droit [de l’Union].

2.   Est constitutive d’une irrégularité toute violation d’une disposition du droit [de l’Union] résultant d’un acte ou d’une omission d’un opérateur économique qui a ou aurait pour effet de porter préjudice au budget général [de l’Union] ou à des budgets gérés par [celle]-ci, soit par la diminution ou la suppression de recettes provenant des ressources propres perçues directement pour le compte [de l’Union], soit par une dépense indue. »

5 L’article 3 dudit règlement est libellé comme suit :

« 1.   Le délai de prescription des poursuites est de quatre ans à partir de la réalisation de l’irrégularité visée à l’article 1er, paragraphe 1. Toutefois, les réglementations sectorielles peuvent prévoir un délai inférieur qui ne saurait aller en deçà de trois ans.

Pour les irrégularités continues ou répétées, le délai de prescription court à compter du jour où l’irrégularité a pris fin. Pour les programmes pluriannuels, le délai de prescription s’étend en tout cas jusqu’à la clôture définitive du programme.

La prescription des poursuites est interrompue par tout acte, porté à la connaissance de la personne en cause, émanant de l’autorité compétente et visant à l’instruction ou à la poursuite de l’irrégularité. Le délai de prescription court à nouveau à partir de chaque acte interruptif.

Toutefois, la prescription est acquise au plus tard le jour où un délai égal au double du délai de prescription arrive à expiration sans que l’autorité compétente ait prononcé une sanction, sauf dans les cas où la procédure administrative a été suspendue conformément à l’article 6, paragraphe 1.

2.   Le délai d’exécution de la décision prononçant la sanction administrative est de trois ans. Ce délai court à compter du jour où la décision devient définitive.

Les cas d’interruption et de suspension sont réglés par les dispositions pertinentes du droit national.

3.   Les États membres conservent la possibilité d’appliquer un délai plus long que celui prévu respectivement au paragraphe 1 et au paragraphe 2. »

Le droit grec

6 L’article 102 la Nómos 2362/1995 peri Dimosiou Logistikou, eleghou ton dapanon tou kratous kai alles diatakseis (loi no 2362/1995 relative aux finances de l’État, au contrôle de dépenses de l’État et autres dispositions) (FEK Α’ 247/27.11.1995), intitulé « Récupération des sommes indûment versées », dispose :

« Les financements, aides ou subventions à des personnes physiques ou morales ou à des organismes, qui sont versés dans le cadre de politiques [de l’Union] sur des fonds nationaux ou des fonds de l’Union [...], sont récupérés par l’État s’il est établi par les organismes compétents concernés qu’ils ont été versés indûment ou illégalement.

Les sommes versées jusqu’à la date d’entrée en vigueur de la présente loi relèvent également de ces dispositions.

Les sommes récupérées à ce titre sont constatées en tant que recettes du budget de l’État et sont recouvrées, conformément aux dispositions du code de recouvrement des recettes publiques, tel qu’en vigueur.

Les dispositions en vigueur sur l’adoption de mesures administratives, coercitives et judiciaires pour le recouvrement des recettes de l’État s’appliquent également dans ce cas. »

7 L’article 103 de cette loi, intitulé « Prescription des créances publiques », prévoit :

« La récupération des sommes visées à l’article précédent se prescrit par cinq ans à compter de la date à laquelle la perception indue ou illégale a été constatée, sauf disposition contraire [de l’Union].

Les sommes mises en recouvrement se prescrivent par vingt ans, sauf disposition contraire du droit [de l’Union].

Les dispositions relatives à la suspension, à l’interruption et aux effets du délai de prescription prévues par la présente loi qui s’appliquent aux créances de l’État s’appliquent mutatis mutandis aux créances visées au présent article, sauf disposition contraire du droit [de l’Union]. »

Le litige au principal et les questions préjudicielles

8 Au cours de l’année 2001, la société Emporiki Serron a bénéficié d’aides financières du Fonds européen d’orientation et de garantie agricole (FEOGA) pour l’achat et l’égrenage de coton-graine au titre de la période 2000-2001. Elle a cessé son activité et a été placée en liquidation au mois de juin 2001.

9 Un contrôle au siège de la société Emporiki Serron s’est déroulé les 4 et 5 juillet 2006, ainsi que du 31 octobre au 2 novembre 2006. Ce contrôle a mis en évidence qu’aucune vente n’avait été enregistrée par celle-ci pour 3618 balles de coton égrené, correspondant à plus de 750000 kilogrammes de coton égrené.

10 Le 14 juillet 2009, le ministre du Développement rural et des Denrées alimentaires a adopté une décision de récupération de l’aide versée à la société Emporiki Serron pour un montant de 322568,90 euros, majoré des intérêts, correspondant aux 3618 balles de coton égrené mentionnées ci-dessus.

11 Saisi par cette société d’un recours contre cette décision, le Trimeles Dioikitiko Protodikeio Athinon (tribunal administratif en formation à trois juges d’Athènes, Grèce) l’a annulée au motif que le délai de prescription de quatre ans prévu à l’article 3, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement no 2988/95 n’avait pas été respecté. Cette juridiction a en effet estimé que l’article 103 de la loi no 2362/1995, en ce qu’il retenait comme point de départ du délai de prescription la date à laquelle
l’irrégularité avait été constatée et non, comme le prévoit l’article 3 du règlement no 2988/95, la date à laquelle elle avait été commise, était contraire à ce dernier article. Il a donc écarté l’application de l’article 103 de la loi no 2362/1995.

12 Saisi en appel par l’État grec, le Trimeles Dioikitiko Efeteio Athinon (cour administrative d’appel en formation à trois juges d’Athènes, Grèce) a annulé le jugement rendu en première instance. Cette juridiction a en effet estimé que l’article 3, paragraphe 3, du règlement no 2988/95 permettait d’adopter une disposition telle que l’article 103 de la loi no 2362/1995. Elle a considéré que, en application de ce dernier article, le délai de prescription avait commencé à courir le 29 novembre 2006,
date à laquelle le contrôleur du ministère du Développement rural et des Denrées alimentaires avait établi son rapport. Elle en a déduit que, à la date de la décision de récupération de l’aide, soit le 14 juillet 2009, le délai de prescription de cinq ans applicable en vertu du droit national n’était pas écoulé. Partant, elle a considéré que l’aide financière avait été indûment versée.

13 La société Emporiki Serron a saisi le Symvoulio Tis Epikrateias (Conseil d’État, Grèce), qui est la juridiction de renvoi, d’un pourvoi contre l’arrêt rendu par le Dioikitiko Efeteio (cour administrative d’appel), en faisant valoir que l’Elegktiko Synedrio (Cour des comptes, Grèce) avait retenu une solution contraire à celle retenue dans cet arrêt dans une affaire dans laquelle était contestée la légalité d’un acte de correction financière.

14 La juridiction de renvoi indique que, par la suite, l’Elegktiko Synedrio (Cour des comptes) a jugé, en formation plénière, que l’article 103 de la loi no 2362/1995 était conforme à l’article 3 du règlement no 2988/95 ainsi qu’aux principes de proportionnalité et de sécurité juridique, dans la mesure où la durée totale écoulée entre la date de réalisation d’une irrégularité et la clôture de la procédure administrative de recouvrement en rapport avec celle-ci est raisonnable et où cette durée ne
dépasse pas le délai de prescription absolu prévu à l’article 3, paragraphe 1, quatrième alinéa, de ce règlement.

15 La juridiction de renvoi précise que l’irrégularité en cause dans le litige dont elle est saisie a eu lieu au plus tard le 20 ou le 30 juin 2001, de sorte que, au moment du premier contrôle, effectué au mois de juillet 2006, le délai de prescription quadriennal prévu à l’article 3, paragraphe 1, du règlement no 2988/95, s’il était applicable, avait déjà expiré.

16 C’est dans ce contexte que le Symvoulio Tis Epikrateias (Conseil d’État) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) Une disposition nationale telle [que] celle de l’article 103 de la loi [no 2362/95] – qui non seulement fixe un délai de prescription de cinq ans pour la récupération des [aides] indûment versées à des opérateurs économiques à la suite d’un acte ou d’une omission de leur part qui a ou aurait pour effet de porter préjudice au budget général [de l’Union] ou à des budgets gérés par [celle]-ci, mais fait en outre courir ce délai de prescription à compter de la constatation de la perception indue
ou illégale de l’aide et non à compter de la date où l’irrégularité a été commise – est-elle conforme aux dispositions de l’article 3 du règlement no 2988/1995 et au principe général de sécurité juridique ?

2) Lorsque la législation nationale prévoit, en application de l’article 3, paragraphe 3, du règlement no 2988/95, un délai de prescription plus long que le délai quadriennal prévu à l’article 3, paragraphe 1, de ce règlement, convient-il [d’interpréter] son article 3, paragraphe 1, quatrième alinéa, en ce sens qu’il établit pour la demande de remboursement des aides indûment ou illégalement versées un délai de prescription maximal de huit ans à compter de la date où l’irrégularité a été commise,
ou en ce sens qu’il établit un délai de prescription maximal dont la durée est [égale au] double du plus long délai établi par la réglementation nationale ?

3) Dans l’hypothèse où il serait répondu à la première question par l’affirmative et à la deuxième question que le dernier alinéa de l’article 3, paragraphe 1, du règlement no 2988/95 doit être interprété en ce sens qu’il établit un délai de prescription maximal dont la durée est le double du plus long délai établi par la législation nationale, la Cour est en outre saisie de la question suivante : si une réglementation nationale établit un délai de prescription plus long que celui prévu par
l’article 3, paragraphe 1, du règlement no 2988/95 et que, dans le même temps, elle fait courir ce délai de prescription à compter de la date de la constatation de l’irrégularité, le délai de prescription maximal commence-t-il à courir à compter de la commission ou de la constatation de l’irrégularité ? »

Sur les questions préjudicielles

Sur la première question

17 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 3, paragraphes 1 et 3, du règlement no 2988/95, lu à la lumière du principe de sécurité juridique, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale qui fixe un délai de prescription de cinq ans, courant à compter de la date à laquelle les autorités nationales ont constaté une irrégularité au regard des dispositions de ce règlement.

18 À titre liminaire, il convient de rappeler que, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour, le délai de prescription visé à l’article 3, paragraphe 1, du règlement no 2988/95 est applicable tant aux irrégularités conduisant à l’infliction d’une sanction administrative, au sens de l’article 5 de ce règlement, qu’à des irrégularités, telles que celles en cause au principal, faisant l’objet d’une mesure administrative tendant au retrait de l’avantage indûment obtenu, conformément à
l’article 4 dudit règlement (arrêt du 2 mars 2017, Glencore Céréales, C‑584/15, EU:C:2017:160, point 26 et jurisprudence citée).

19 Selon une jurisprudence constante de la Cour, pour déterminer la portée de dispositions du droit de l’Union, en l’occurrence l’article 3, paragraphes 1 et 3, du règlement no 2988/95, lu à la lumière du principe de sécurité juridique, il y a lieu de tenir compte à la fois de leurs termes, de leur contexte et de leurs finalités (arrêt du 6 octobre 2015, Firma Ernst Kollmer Fleischimport und -export, C‑59/14, EU:C:2015:660, point 22 et jurisprudence citée).

20 En ce qui concerne les termes employés à cet article 3, il convient de relever que celui-ci prévoit, à son paragraphe 1, premier et deuxième alinéas, un délai de prescription des poursuites d’une durée de quatre ans à compter de la commission de l’irrégularité ou, en cas d’irrégularité continue ou répétée, à compter du jour où cette irrégularité a pris fin, tout en précisant que des réglementations sectorielles peuvent prévoir un délai de prescription inférieur, ne pouvant aller en deçà de trois
ans.

21 Par ailleurs, il y a lieu de rappeler que l’article 1er, paragraphe 2, du règlement no 2988/95 définit la notion d’« irrégularité » comme désignant toute violation d’une disposition du droit de l’Union résultant d’un acte ou d’une omission d’un opérateur économique qui a ou aurait pour effet de porter préjudice au budget général de l’Union ou à des budgets gérés par celle-ci.

22 L’article 3, paragraphe 3, du règlement no 2988/95 dispose quant à lui que « [l]es États membres conservent la possibilité d’appliquer un délai plus long que celui prévu respectivement aux paragraphes 1 et 2 » de cet article 3. Il ressort de la jurisprudence de la Cour qu’un tel délai peut résulter de l’application de dispositions nationales déjà en vigueur antérieurement audit règlement ou de dispositions nationales nouvelles, postérieures à celui-ci (voir, en ce sens, arrêt du 2 mars 2017,
Glencore Céréales, C‑584/15, EU:C:2017:160, point 65 et jurisprudence citée).

23 En vertu de cet article 3, paragraphe 3, les États membres jouissent d’un large pouvoir d’appréciation quant à la durée des délais de prescription plus longs qu’ils entendent, le cas échéant, appliquer, sous réserve de respecter les principes généraux du droit de l’Union, dont fait partie le principe de proportionnalité (voir, en ce sens, arrêt du 2 mars 2017, Glencore Céréales, C‑584/15, EU:C:2017:160, points 64 et 72 ainsi que jurisprudence citée).

24 Le respect de ce principe implique, concrètement, que l’application d’un délai de prescription national plus long, sur le fondement de l’article 3, paragraphe 3, du règlement no 2988/95 n’aille pas manifestement au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif de protection des intérêts financiers de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 2 mars 2017, Glencore Céréales, C‑584/15, EU:C:2017:160, point 74 et jurisprudence citée).

25 Ainsi, la Cour a déjà admis, par des motifs qui sont transposables à la présente affaire, qu’un délai de prescription de cinq ans, à l’instar de celui en cause au principal, ne va manifestement pas au-delà de ce qui est nécessaire pour permettre aux autorités nationales de poursuivre les irrégularités portant préjudice au budget de l’Union, ce délai n’étant supérieur que d’un an à celui prévu à l’article 3, paragraphe 1, du règlement no 2988/95, ce dont elle a déduit qu’un tel délai est conforme
au principe de proportionnalité (voir, en ce sens, arrêt du 2 mars 2017, Glencore Céréales, C‑584/15, EU:C:2017:160, point 74).

26 La Cour ne s’est en revanche pas prononcée, à ce jour, sur la question de savoir si l’article 3, paragraphe 3, du règlement no 2988/95 autorise les États membres à déroger au point de départ du délai de prescription prévu à l’article 3, paragraphe 1, premier et deuxième alinéas, de ce règlement, en prévoyant que ce délai court à compter de la date à laquelle les autorités nationales constatent l’existence d’une infraction aux dispositions dudit règlement.

27 À cet égard, il ressort des termes mêmes de l’article 3, paragraphes 1 et 3, du règlement no 2988/95, rappelés aux points 20 et 22 du présent arrêt, que, en édictant cette disposition, le législateur de l’Union a seulement entendu permettre aux États membres d’allonger la durée du délai de prescription par rapport à celle prévue à l’article 3, paragraphe 1, du règlement no 2988/95, à l’exclusion de toute modification du point de départ de ce délai.

28 Cette interprétation, fondée sur le libellé des dispositions en cause, est en adéquation avec le contexte dans lequel ces dispositions s’inscrivent ainsi qu’avec les objectifs poursuivis par celles-ci.

29 À cet égard, il convient de rappeler que, conformément à l’article 1er du règlement no 2988/95 et ainsi qu’il ressort du troisième considérant de ce règlement, celui-ci introduit une « réglementation générale relative à des contrôles homogènes et à des mesures et des sanctions administratives portant sur des irrégularités au regard du droit de [l’Union] », afin de « combattre dans tous les domaines les atteintes aux intérêts financiers de [l’Union] » (arrêt du 2 mars 2017, Glencore Céréales,
C‑584/15, EU:C:2017:160, point 23 et jurisprudence citée).

30 Dans ce cadre, la Cour a déjà jugé qu’incombe aux autorités nationales une obligation générale de diligence dans la vérification de la régularité des paiements qu’elles effectuent et qui pèsent sur le budget de l’Union, laquelle implique que celles-ci prennent les mesures destinées à remédier aux éventuelles irrégularités avec promptitude (voir, par analogie, arrêt du 11 juin 2015, Pfeifer & Langen, C‑52/14, EU:C:2015:381, point 67).

31 Or, admettre que le délai de prescription prévu à l’article 3, paragraphe 1, premier et deuxième alinéas, du règlement no 2988/95 ne commence à courir qu’à compter du moment où l’administration a constaté ces irrégularités pourrait encourager une certaine inertie des autorités nationales à poursuivre lesdites irrégularités, tout en exposant les opérateurs, d’une part, à une longue période d’incertitude juridique et, d’autre part, au risque de ne plus être en mesure d’apporter la preuve de la
régularité des opérations en cause (voir, par analogie, arrêt du 11 juin 2015, Pfeifer & Langen, C‑52/14, EU:C:2015:381, point 68 et jurisprudence citée).

32 Plus fondamentalement, il convient de rappeler que le principe de sécurité juridique s’oppose, en principe, à ce que les autorités publiques puissent faire indéfiniment usage de leurs pouvoirs pour remédier à une situation illégale [voir, en ce sens, arrêt du 27 janvier 2022, Commission/Espagne (Obligation d’information en matière fiscale), C‑788/19, EU:C:2022:55, point 39 et jurisprudence citée]. Or, fixer le point de départ du délai de prescription à la date à laquelle les autorités nationales
constatent une irrégularité irait à l’encontre de l’objectif poursuivi par l’institution d’un mécanisme de prescription des infractions au règlement no 2988/95. En effet, un tel choix permettrait à ces autorités d’agir sans limitation dans le temps au regard de la date à laquelle l’irrégularité a été commise ou de celle à laquelle elle a pris fin, ce qui comporterait le risque, en pratique, de faire échec à la prescription.

33 La circonstance que le droit de l’Union, et plus précisément l’article 3, paragraphe 1, quatrième alinéa, du règlement no 2988/95, enferme par ailleurs l’action des autorités nationales dans un délai de prescription absolu, égal au double du délai de prescription prévu à l’article 3, paragraphe 1, premier alinéa, de ce règlement ne saurait permettre aux États membres de s’affranchir du respect de ce dernier délai de prescription en retenant un point de départ qui reviendrait à le vider de toute
portée.

34 Il s’ensuit que l’article 3, paragraphe 3, du règlement no 2988/95, lu à la lumière du principe de sécurité juridique, s’oppose à ce que les États membres dérogent au point de départ du délai de prescription prévu à l’article 3, paragraphe 1, premier et deuxième alinéas, de ce règlement, ce point de départ demeurant dans tous les cas fixé, en vertu de ces dernières dispositions, à la date de la commission de l’irrégularité ou, en cas d’irrégularité répétée ou continue, à la date à laquelle cette
dernière a pris fin. La date à laquelle les autorités nationales ont connaissance ou constatent une irrégularité est, par conséquent, sans incidence sur le déclenchement de ce délai de prescription (voir, par analogie, arrêt du 11 juin 2015, Pfeifer & Langen, C‑52/14, EU:C:2015:381, point 67).

35 Il appartiendra à la juridiction de renvoi, compte tenu de la rédaction des dispositions nationales en cause au principal, de déterminer si le respect de l’exigence mentionnée au point précédent peut être assuré dans le cadre d’une interprétation conforme du droit interne au droit de l’Union ou, à défaut d’une telle possibilité, s’il implique d’écarter tout ou partie de ces dispositions.

36 À cet égard, il convient de rappeler que l’exigence d’interprétation conforme inclut l’obligation, pour les juridictions nationales, y compris celles statuant en dernier ressort, de modifier, le cas échéant, une jurisprudence établie si celle-ci repose sur une interprétation du droit national incompatible avec le droit de l’Union. Partant, une juridiction nationale ne saurait valablement considérer qu’elle se trouve dans l’impossibilité d’interpréter une disposition nationale en conformité avec
le droit de l’Union en raison du seul fait que cette disposition a été interprétée par d’autres juridictions dans un sens qui n’est pas compatible avec ce droit ou est appliquée d’une telle manière par les autorités nationales compétentes (arrêt du 7 avril 2022, Avio Lucos, C‑116/20, EU:C:2022:273, point 97 et jurisprudence citée).

37 Il résulte de ce qui précède qu’il convient de répondre à la première question que l’article 3, paragraphes 1 et 3, du règlement no 2988/95, lu à la lumière du principe de sécurité juridique, doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une réglementation nationale qui fixe un délai de prescription plus long que celui prévu à cet article 3, paragraphe 1, sous réserve du respect du principe de proportionnalité. Ces dispositions s’opposent, en revanche, à une réglementation nationale qui
prévoit que ce délai de prescription court à compter de la date à laquelle les autorités nationales ont constaté une irrégularité au regard des dispositions de ce règlement.

Sur la deuxième question

38 Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 3, paragraphe 1, quatrième alinéa, du règlement no 2988/95 doit être interprété en ce sens que, lorsqu’un État membre a fait usage de la possibilité offerte par l’article 3, paragraphe 3, de ce règlement de prévoir un délai de prescription plus long que celui prévu à l’article 3, paragraphe 1, premier alinéa, dudit règlement, le délai de prescription absolu fixé par cet article 3, paragraphe 1, quatrième
alinéa, doit être calculé par référence à ce délai de prescription plus long ou à celui prévu à l’article 3, paragraphe 1, premier alinéa, du même règlement.

39 L’article 3, paragraphe 1, quatrième alinéa, du règlement no 2988/95 institue une limite absolue s’appliquant à la prescription des poursuites d’une irrégularité, cette prescription étant acquise au plus tard le jour où un délai égal au double de celui prévu à cet article 3, paragraphe 1, premier alinéa, arrive à expiration sans que l’autorité compétente ait prononcé une sanction, sauf à ce que la procédure ait été suspendue conformément à l’article 6, paragraphe 1, de ce règlement (arrêt du
11 juin 2015, Pfeifer & Langen, C‑52/14, EU:C:2015:381, point 63).

40 Ce délai de prescription absolu contribue à renforcer la sécurité juridique des opérateurs économiques en empêchant que la prescription des poursuites afférentes à une irrégularité puisse être indéfiniment retardée par des actes interruptifs répétés (voir, en ce sens, arrêt du 11 juin 2015, Pfeifer & Langen, C‑52/14, EU:C:2015:381, point 64).

41 Il ressort de la jurisprudence de la Cour que, si un délai de prescription national plus long est appliqué en vertu de l’article 3, paragraphe 3, du règlement no 2988/95, le délai de prescription absolu prévu à l’article 3, paragraphe 1, quatrième alinéa, de ce règlement expire, en tout état de cause, le jour où un délai égal au double de ce délai de prescription plus long arrive à expiration (voir, en ce sens, arrêt du 2 mars 2017, Glencore Céréales, C‑584/15, EU:C:2017:160, point 71).

42 Il résulte de ce qui précède qu’il convient de répondre à la deuxième question que l’article 3, paragraphe 1, quatrième alinéa, du règlement no 2988/95 doit être interprété en ce sens que, lorsqu’un État membre a fait usage de la possibilité offerte par l’article 3, paragraphe 3, de ce règlement de prévoir un délai de prescription plus long que le délai de prescription quadriennal prévu à l’article 3, paragraphe 1, premier alinéa, dudit règlement, le délai de prescription absolu fixé par cet
article 3, paragraphe 1, quatrième alinéa, doit être calculé par référence à ce délai de prescription plus long.

Sur la troisième question

43 Compte tenu des réponses apportées aux première et deuxième questions, il n’y a pas lieu de répondre à la troisième question.

Sur les dépens

44 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

  Par ces motifs, la Cour (sixième chambre) dit pour droit :

  1) L’article 3, paragraphes 1 et 3, du règlement (CE, Euratom) no 2988/95 du Conseil, du 18 décembre 1995, relatif à la protection des intérêts financiers des Communautés européennes, lu à la lumière du principe de sécurité juridique, doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une réglementation nationale qui fixe un délai de prescription plus long que celui prévu à cet article 3, paragraphe 1, sous réserve du respect du principe de proportionnalité. Ces dispositions s’opposent, en
revanche, à une réglementation nationale qui prévoit que ce délai de prescription court à compter de la date à laquelle les autorités nationales ont constaté une irrégularité au regard des dispositions de ce règlement.

  2) L’article 3, paragraphe 1, quatrième alinéa, du règlement no 2988/95 doit être interprété en ce sens que, lorsqu’un État membre a fait usage de la possibilité offerte par l’article 3, paragraphe 3, de ce règlement de prévoir un délai de prescription plus long que le délai de prescription quadriennal prévu à l’article 3, paragraphe 1, premier alinéa, dudit règlement, le délai de prescription absolu fixé par cet article 3, paragraphe 1, quatrième alinéa, doit être calculé par référence à ce délai
de prescription plus long.

  Signatures

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( *1 ) Langue de procédure : le grec.


Synthèse
Formation : Sixième chambre
Numéro d'arrêt : C-42/24
Date de la décision : 06/02/2025
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle, introduite par Symvoulio tis Epikrateias.

Renvoi préjudiciel – Protection des intérêts financiers de l’Union européenne – Règlement (CE, Euratom) no 2988/95 – Irrégularités – Article 3 – Délai de prescription – Durée et point de départ de ce délai – Réglementation nationale prévoyant un délai de prescription quinquennal à compter de la constatation de l’irrégularité.

Ressources propres

Dispositions financières


Parties
Demandeurs : Emporiki Serron AE - Emporias kai Diathesis Agrotikon Proionton
Défendeurs : Ypourgos Anaptyxis kai Ependyseon et Ypourgos Agrotikis Anaptyxis kai Trofimon.

Composition du Tribunal
Avocat général : Campos Sánchez-Bordona
Rapporteur ?: Gervasoni

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2025
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2025:56

Source

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