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26/06/2025 | CJUE | N°C-484/23

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, Mainova AG contre Commission européenne., 26/06/2025, C-484/23


 ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)

26 juin 2025 ( *1 )

« Pourvoi – Concurrence – Concentrations – Décision déclarant une concentration compatible avec le marché intérieur – Recours introduit par un tiers – Recevabilité – Article 263, quatrième alinéa, TFUE – Qualité pour agir »

Dans l’affaire C‑484/23 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 27 juillet 2023,

Mainova AG, établie à Francfort-sur-le-Main (Allem

agne), représentée par Me C. Schalast, Rechtsanwalt,

partie requérante,

les autres parties à la procédure étant :

Comm...

 ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)

26 juin 2025 ( *1 )

« Pourvoi – Concurrence – Concentrations – Décision déclarant une concentration compatible avec le marché intérieur – Recours introduit par un tiers – Recevabilité – Article 263, quatrième alinéa, TFUE – Qualité pour agir »

Dans l’affaire C‑484/23 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 27 juillet 2023,

Mainova AG, établie à Francfort-sur-le-Main (Allemagne), représentée par Me C. Schalast, Rechtsanwalt,

partie requérante,

les autres parties à la procédure étant :

Commission européenne, représentée par MM. G. Meessen et I. Zaloguin, en qualité d’agents, assistés de Mes F. C. Haus et J. Mädler, Rechtsanwälte,

partie défenderesse en première instance,

République fédérale d’Allemagne, représentée par MM. J. Möller et R. Kanitz, en qualité d’agents,

E.ON SE, établie à Essen (Allemagne), représentée initialement par Mes C. Barth, C. Grave, D.-J. dos Santos Goncalves et R. Seifert, Rechtsanwälte, puis par Mes C. Barth, A. Fuchs, C. Grave et D.‑J. dos Santos Goncalves, Rechtsanwälte,

RWE AG, établie à Essen, représentée initialement par Mes U. Scholz, J. Siegmund et J. Ziebarth, Rechtsanwälte, puis par Mes U. Scholz, J. Siegmund et M. von Armansperg, Rechtsanwälte,

parties intervenantes en première instance,

LA COUR (cinquième chambre),

composée de Mme M. L. Arastey Sahún, présidente de chambre, MM. D. Gratsias, E. Regan, J. Passer (rapporteur) et B. Smulders, juges,

avocat général : Mme L. Medina,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

vu la décision prise, l’avocate générale entendue, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1 Par son pourvoi, Mainova AG demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 17 mai 2023, Mainova/Commission (T‑320/20, ci‑après l’« arrêt attaqué », EU:T:2023:264), par lequel celui‑ci a rejeté comme étant irrecevable son recours tendant à l’annulation de la décision C(2019) 1711 final de la Commission, du 26 février 2019, déclarant une concentration compatible avec le marché intérieur et avec l’accord EEE (affaire M.8871 – RWE/E.ON Assets) (JO 2020, C 111, p. 1, ci‑après la
« décision litigieuse »).

Les antécédents du litige

2 Les antécédents du litige sont exposés aux points 2 à 14 de l’arrêt attaqué et peuvent être résumés comme suit.

Le contexte de la concentration

3 RWE AG est une société de droit allemand qui intervenait, au moment de la notification de l’opération de concentration envisagée, dans l’ensemble de la chaîne de fourniture d’énergie, y compris dans les domaines de la production, de la fourniture en gros, du transport, de la distribution, du commerce de détail d’énergie, ainsi que des services énergétiques aux consommateurs. RWE et ses filiales, y compris innogy SE, opèrent dans plusieurs États membres.

4 E.ON SE est une société de droit allemand qui, au même moment, exerçait ses activités dans l’ensemble de la chaîne de fourniture d’électricité, qu’il s’agisse de production, de vente en gros, de distribution ou de commerce de détail d’électricité. E.ON possède et exploite des actifs de production d’électricité dans plusieurs États membres.

5 La requérante est une entreprise régionale de fourniture et de production d’énergie en Allemagne.

6 La concentration en cause en l’espèce s’inscrit dans le cadre d’un échange complexe d’éléments d’actifs entre RWE et E.ON, annoncé les 11 et 12 mars 2018 par les deux entreprises concernées (ci‑après l’« opération globale »). Ainsi, par la première opération de concentration, à savoir la concentration en cause en l’espèce, RWE souhaite acquérir le contrôle exclusif ou le contrôle en commun de certains actifs de production d’E.ON. La deuxième opération de concentration consiste en l’acquisition par
E.ON du contrôle exclusif des activités de distribution et de commerce de détail ainsi que de certains actifs de production d’innogy, société contrôlée par RWE. Quant à la troisième opération de concentration, elle prévoit que RWE acquière 16,67 % des parts d’E.ON.

7 La requérante a envoyé, le 22 juin 2018, un courrier à la Commission européenne par lequel elle a exprimé le souhait de participer à la procédure relative aux première et deuxième opérations de concentration et, par conséquent, de recevoir les documents afférents.

8 Le 28 septembre 2018, une réunion s’est tenue entre la requérante et la Commission.

9 La deuxième opération de concentration (ci‑après l’« opération M.8870 ») a été notifiée à la Commission le 31 janvier 2019. La Commission a adopté la décision C(2019) 6530 final, du 17 septembre 2019, déclarant une concentration compatible avec le marché intérieur et avec l’accord EEE (affaire M.8870 – E.ON/Innogy) (JO 2020, C 379, p. 16).

10 La troisième opération de concentration a été notifiée au Bundeskartellamt (Office fédéral des ententes, Allemagne), qui l’a autorisée par décision du 26 février 2019 (affaire B8‑28/19).

La procédure administrative

11 Le 22 janvier 2019, la Commission a reçu notification d’un projet de concentration en application de l’article 4 du règlement (CE) no 139/2004 du Conseil, du 20 janvier 2004, relatif au contrôle des concentrations entre entreprises (« le règlement CE sur les concentrations ») (JO 2004, L 24, p. 1), par laquelle RWE souhaitait acquérir, au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous b), de ce règlement, le contrôle exclusif ou le contrôle en commun de certains actifs de production d’E.ON.

12 Le 31 janvier 2019, la Commission a procédé à la publication au Journal officiel de l’Union européenne de la notification préalable de cette concentration (affaire M.8871 – RWE/E.ON Assets) (JO 2019, C 38, p. 22, ci‑après l’« opération M.8871 »), conformément à l’article 4, paragraphe 3, du règlement no 139/2004.

13 Dans le cadre de son examen de l’opération M.8871, la Commission a réalisé une enquête de marché et a donc transmis à certaines entreprises, dont la requérante, un questionnaire auquel celle-ci a répondu le 4 février 2019.

14 Par courriel du 28 janvier 2019, la requérante a demandé au conseiller‑auditeur de lui reconnaître le statut de tiers intéressé afin d’être entendue dans le cadre de la procédure relative à l’opération M.8871. Celui‑ci a accédé à cette demande par courrier du 7 février 2019.

La décision litigieuse

15 Le 26 février 2019, la Commission a adopté la décision litigieuse par laquelle l’opération M.8871 a été déclarée compatible avec le marché intérieur lors de la phase d’examen prévue à l’article 6, paragraphe 1, sous b), du règlement no 139/2004 et à l’article 57 de l’accord sur l’Espace économique européen (EEE), du 2 mai 1992 (JO 1994, L 1, p. 3).

Le recours devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

16 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 27 mai 2020, la requérante a introduit un recours tendant à l’annulation de la décision litigieuse.

17 La requérante a invoqué six moyens d’annulation tirés, le premier, d’une violation de son droit à une protection juridictionnelle effective, le deuxième, de la violation de son droit d’être entendue, le troisième, d’une scission erronée de l’analyse de l’opération globale, le quatrième, d’erreurs manifestes d’appréciation, le cinquième, de la violation de l’obligation de diligence et, le sixième, d’un détournement de pouvoir.

18 Par l’arrêt attaqué, le Tribunal a rejeté le recours comme étant irrecevable, au motif que la requérante n’était pas individuellement concernée par la décision litigieuse, au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, et, par suite, n’avait pas qualité pour agir.

19 À cet égard, aux points 25 à 46 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a examiné l’ampleur et l’importance de la participation de la requérante à la phase administrative relative à l’opération M.8871 et a relevé, en substance, que la réponse de la requérante à l’enquête de marché menée par la Commission, qui est intervenue en réaction à une demande formulée par cette dernière, ne saurait déterminer le caractère « actif » de cette participation. Ainsi, après avoir rejeté certains arguments de la
requérante visant à remettre en cause cette appréciation, le Tribunal est parvenu à la conclusion que celle-ci n’avait pas participé de manière active à la phase administrative relative à l’opération M.8871. Compte tenu, par ailleurs, de l’absence de circonstances particulières relatives à l’affectation, par cette opération, de la position de la requérante sur le marché, le Tribunal a jugé que celle-ci n’était pas individuellement concernée par la décision litigieuse, au sens de l’article 263,
quatrième alinéa, TFUE.

La procédure devant la Cour et les conclusions des parties au pourvoi

20 Par requête déposée au greffe de la Cour le 27 juillet 2023, la requérante a introduit le présent pourvoi.

21 Le même jour, la requérante, qui avait, par ailleurs, introduit, au cours de l’année 2021, un recours en annulation de la décision C(2019) 6530 final (affaire T‑64/21), toujours pendant devant le Tribunal au 27 juillet 2023, a demandé la suspension de l’examen du présent pourvoi jusqu’au prononcé de l’arrêt du Tribunal à intervenir dans ledit recours en annulation.

22 Par décision du 19 septembre 2023, le président de la Cour, après avoir entendu les parties sur cette demande de suspension ainsi que sur une éventuelle jonction de neuf pourvois – dont le présent pourvoi – dans les affaires C‑464/23 P, C‑465/23 P, C‑466/23 P, C‑467/23 P, C‑468/23 P, C‑469/23 P, C‑470/23 P, C‑484/23 P et C‑485/23 P, introduits contre les arrêts du Tribunal dans les affaires T‑312/20, T‑313/20, T‑314/20, T‑315/20, T‑317/20, T‑318/20, T‑319/20, T‑320/20 et T‑321/20, a rejeté ladite
demande de suspension et a ordonné la jonction des seuls pourvois dans les affaires C‑464/23 P, C‑465/23 P, C‑467/23 P, C‑468/23 P et C‑470/23 P concernant des arrêts du Tribunal rendus sur le fond, à l’exclusion des quatre autres pourvois, dont le présent, introduits contre des arrêts du Tribunal déclarant les recours irrecevables.

23 La requérante demande à la Cour :

– d’annuler l’arrêt attaqué et la décision litigieuse ;

– à titre subsidiaire, d’annuler l’arrêt attaqué et de renvoyer l’affaire devant le Tribunal, et

– de condamner la Commission aux dépens des deux instances.

24 La Commission et les autres parties demandent à la Cour :

– de rejeter le pourvoi et

– de condamner la requérante aux dépens.

Sur le pourvoi

25 Au soutien de son pourvoi, la requérante invoque quatre moyens, tirés d’une interprétation erronée de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE (premier moyen), de la violation du principe et des règles de l’État de droit (deuxième moyen), d’une scission erronée des procédures administratives (troisième moyen) et d’erreurs dans la prise en considération de l’Investor Relationship Agreement (accord de relations entre investisseurs) conclu entre RWE et E.ON (quatrième moyen).

26 Il convient d’examiner, d’abord, le premier moyen pris en ses première et troisième branches, ensuite, le deuxième moyen puis, enfin, le premier moyen, pris en sa deuxième branche.

Sur le premier moyen, tiré d’une interprétation erronée de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, pris en ses première et troisième branches

Sur la première branche

– Argumentation des parties

27 Par la première branche du premier moyen, la requérante fait valoir que le Tribunal a commis une erreur de droit en se référant uniquement à son degré de participation à la procédure et en considérant, par la suite, que sa participation à la procédure administrative avait été insignifiante et que sa contribution n’était pas de nature à influencer l’issue de cette procédure. Le caractère erroné d’une telle appréciation serait attesté par le fait que, sur la base de l’appréciation par la Commission
de l’influence effective sur l’issue de la procédure, celle-ci serait en mesure de décider de la qualité pour agir. En réalité, il suffirait que la contribution du requérant intéressé soit seulement susceptible d’influencer l’issue de la procédure. En outre, la requérante estime que, ainsi que le démontrent les considérants 68 et 69 de la décision litigieuse, la Commission a tenu compte des observations qu’elle avait exprimées, de sorte qu’elle aurait influencé l’issue de la procédure. Par
conséquent, la position du Tribunal concernant l’insuffisance de la contribution de la requérante ne trouverait aucun fondement en droit ou en fait.

28 En outre, le Tribunal aurait négligé le fait que la participation de la requérante à la procédure relative à l’opération M.8871 devait être examinée conjointement avec sa participation à la procédure relative à l’opération M.8870.

29 La Commission, soutenue par E.ON et RWE, conteste les arguments de la requérante.

– Appréciation de la Cour

30 À titre liminaire, il convient de rappeler que, conformément à l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, une personne physique ou morale ne peut former un recours contre une décision adressée à une autre personne que si ladite décision la concerne directement et individuellement.

31 À cet égard, il ressort d’une jurisprudence constante de la Cour que les sujets autres que les destinataires d’une décision ne sauraient prétendre être individuellement concernés que si cette décision les atteint en raison de certaines qualités qui leur sont particulières ou d’une situation de fait qui les caractérise par rapport à toute autre personne et, de ce fait, les individualise d’une manière analogue à celle dont le destinataire d’une telle décision le serait (arrêt du 14 septembre 2023,
Land Rheinland-Pfalz/Deutsche Lufthansa, C‑466/21 P, EU:C:2023:666, point 77 et jurisprudence citée).

32 Dans le cas d’une décision constatant la compatibilité d’une opération de concentration avec le marché intérieur, et s’agissant d’une entreprise tierce, c’est en fonction d’un faisceau d’indices concordants ou de faits pouvant porter tant sur la participation de cette entreprise à la procédure administrative que sur l’affectation de sa position sur le marché qu’il y a lieu de déterminer si elle est individuellement concernée. Comme le Tribunal l’a correctement relevé au point 26 de l’arrêt
attaqué, si une simple participation à la procédure administrative ne suffit certes pas, à elle seule, à établir que la partie requérante est individuellement concernée par la décision, en particulier dans le domaine des concentrations dont l’examen minutieux exige un contact régulier avec de nombreuses entreprises, il n’en reste pas moins que la participation active à cette procédure constitue un élément régulièrement pris en considération par la jurisprudence en matière de concurrence, y
compris dans le domaine plus spécifique du contrôle des concentrations, pour établir, en conjonction avec d’autres circonstances spécifiques, la recevabilité du recours. En outre, la position actuelle et future d’une entreprise tierce à une opération de concentration sur un marché pouvant être influencé par cette opération doit être affectée de façon substantielle pour que cette entreprise puisse être individuellement concernée par la décision constatant la compatibilité de ladite opération avec
le marché intérieur (voir, en ce sens, arrêt du 31 mars 1998, France e.a./Commission, C‑68/94 et C‑30/95, EU:C:1998:148, points 54 à 56 ainsi que jurisprudence citée).

33 En ce qui concerne le grief portant sur l’appréciation du Tribunal selon laquelle la participation de la requérante à la procédure administrative aurait été trop faible pour être qualifiée d’active, cette appréciation n’est entachée d’aucune erreur de droit.

34 En effet, d’une part, le Tribunal a correctement rappelé, aux points 25 et 26 de l’arrêt attaqué, la jurisprudence applicable, à savoir la jurisprudence mentionnée aux points 31 et 32 du présent arrêt.

35 D’autre part, au point 29 de l’arrêt attaqué, il a relevé, sans être contredit, que, lors de la réunion du 28 septembre 2018 avec la Commission, qui devait porter sur les opérations M.8870 et M.8871, la présentation préparée par la requérante ne contenait aucune observation sur l’opération M.8871. En outre, toujours à ce point 29, le Tribunal a relevé que le procès‑verbal de cette réunion mettait également en évidence que les discussions avaient uniquement porté sur l’opération M.8870.

36 Le Tribunal, après avoir décrit, aux points 28 à 32 de cet arrêt, les différentes modalités de la participation de la requérante à la procédure administrative, a retenu, au point 33 dudit arrêt,sans que la preuve du contraire ait été apportée, que, en ce qui concerne l’opération M.8871, seule en cause en l’espèce, les observations de la requérante s’étaient résumées à ses réponses à l’enquête de marché menée par la Commission, ajoutant que les observations contenues dans la lettre de la
requérante du 22 juin 2018 avaient été formulées de manière générale et visaient principalement à démontrer l’intérêt de celle-ci pour la procédure afin de pouvoir, par la suite, être admise à exposer plus longuement et de manière plus précise son avis à la Commission, de sorte que ces observations n’étaient pas déterminantes. Enfin, aux points 34 et 36 du même arrêt, après avoir observé à bon droit que la réponse à un questionnaire d’enquête de marché ne pouvait, à elle seule, être considérée
comme étant un élément suffisant pour individualiser un opérateur, le Tribunal en a conclu que, dans le cas d’espèce, la réponse de la requérante à l’enquête de marché dans la procédure relative à l’opération M.8871 ne pouvait déterminer le caractère actif de sa participation à cette procédure.

37 En ce que la requérante allègue que le Tribunal n’a pas tenu compte du fait qu’il ressort des considérants 68 et 69 de la décision litigieuse que la Commission a pris en compte ses observations au cours de la procédure administrative, force est de constater que, dans ces considérants, la Commission répond à des préoccupations de certaines parties tierces à la concentration sans qu’il soit établi que la requérante faisait partie de ces parties tierces.

38 En outre, c’est en vain que la requérante invoque les arrêts du 3 avril 2003, BaByliss/Commission (T‑114/02, EU:T:2003:100), et du 4 juillet 2006, easyJet/Commission (T‑177/04, EU:T:2006:187), pour en déduire qu’elle aurait participé à la procédure administrative au-delà de ce qu’exige la jurisprudence. En effet, il convient d’observer que, dans les affaires ayant donné lieu à ces arrêts, les parties avaient, contrairement à ce qui a été le cas dans la présente affaire, présenté des observations
détaillées sur la procédure en cause, répondu à des questions de la Commission et participé à des discussions à ce propos.

39 C’est également en vain que la requérante soutient, en se référant à l’arrêt de la Cour du 28 janvier 1986, Cofaz e.a./Commission (169/84, EU:C:1986:42), ainsi qu’à l’arrêt du Tribunal du 21 octobre 2004, Lenzing/Commission (T‑36/99, EU:T:2004:312), qu’il serait suffisant, pour caractériser l’existence d’une participation active à la procédure administrative, que la contribution d’une partie intéressée soit seulement susceptible d’influencer l’issue de cette procédure. En effet, indépendamment du
fait qu’une participation n’est susceptible d’influencer l’issue de ladite procédure que si elle introduit dans celle-ci des éléments d’information suffisamment pertinents et importants à cette fin, ce qui, ainsi qu’il ressort du point 35 du présent arrêt, n’a pas été le cas en l’espèce, il convient de relever que, dans chacune des affaires ayant donné lieu aux arrêts invoqués par la requérante, la participation de la partie intéressée avait déterminé le déroulement et l’issue de la procédure
administrative.

40 Quant à l’argument selon lequel l’appréciation de la participation de la requérante dans la procédure relative à l’opération M.8871 aurait dû être effectuée conjointement avec celle de sa participation dans la procédure relative à l’opération M.8870, c’est à juste titre que le Tribunal n’a pris en considération que la participation de la requérante relative à la première de ces procédures, seule pertinente aux fins de la vérification de sa qualité pour agir en annulation de la décision litigieuse
adoptée à l’issue de cette première procédure.

41 Il résulte des considérations qui précèdent que, contrairement à ce que prétend la requérante, le Tribunal a vérifié de manière adéquate et approfondie la question de sa participation à la procédure administrative et n’a pas entaché d’erreur de droit sa conclusion selon laquelle cette participation ne constituait pas une participation « active », au sens de la jurisprudence visée au point 32 du présent arrêt.

42 Dans ces conditions, il convient de rejeter la première branche du premier moyen.

Sur la troisième branche

– Argumentation des parties

43 Par la troisième branche du premier moyen, la requérante fait valoir que sa qualité pour agir résultait déjà de la violation de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. En effet, la scission des procédures administratives et l’examen parallèle des différentes parties de l’opération globale par la Commission et l’Office fédéral des ententes auraient conduit à une diminution de la protection juridictionnelle des entreprises concernées.

44 Or, le Tribunal n’aurait pas abordé cette question et n’aurait pas tenu compte de l’influence considérable exercée par les parties à la concentration ainsi que par la Commission sur cette protection juridictionnelle. En effet, ce serait précisément grâce à la scission intentionnelle de l’opération globale en plusieurs opérations qui, considérées individuellement, ne suscitent apparemment pas ou peu de doutes en matière de droit de la concurrence qu’il aurait été possible d’approuver l’opération
globale.

45 La Commission, soutenue par E.ON et RWE, conteste les arguments de la requérante.

– Appréciation de la Cour

46 Selon une jurisprudence constante, si les conditions de recevabilité prévues à l’article 263, quatrième alinéa, TFUE doivent être interprétées à la lumière du droit fondamental à une protection juridictionnelle effective, il n’en reste pas moins qu’une telle interprétation ne saurait aboutir à écarter les conditions expressément prévues par ledit traité (voir, en ce sens, arrêts du 25 juillet 2002, Unión de Pequeños Agricultores/Conseil, C‑50/00 P, EU:C:2002:462, point 44, et du 1er avril 2004,
Commission/Jégo-Quéré, C‑263/02 P, EU:C:2004:210, point 36).

47 C’est donc à tort que la requérante se prévaut d’une prétendue violation de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux pour alléguer l’existence d’une qualité pour agir que le Tribunal aurait dû constater.

48 Au surplus, dans la mesure où la requérante prétend que, si sa participation aux procédures relatives aux opérations M.8870 et M.8871 avait été considérée dans son ensemble, elle aurait été jugée suffisante afin de lui conférer une qualité pour agir au titre de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, il convient de relever que la requérante n’avance à cet égard aucun élément de nature à démontrer une erreur de droit qu’aurait commise le Tribunal dans l’interprétation des conditions de recevabilité
prévues à cette disposition. En effet, par cet argument, la requérante vise, en réalité, à critiquer non pas des points spécifiques de l’arrêt attaqué, mais la décision prise sur le fond par la Commission d’approuver chacune de ces deux opérations individuellement. Ledit argument doit, dès lors, être rejeté comme étant irrecevable.

49 Dans ces conditions, la troisième branche du premier moyen doit être rejetée.

Sur le deuxième moyen, tiré d’une violation du principe et des règles de l’État de droit

Sur la première branche

– Argumentation des parties

50 Par la première branche du deuxième moyen, la requérante fait valoir que le Tribunal n’a pas tenu compte de la circonstance que, s’étant fiée au courrier du conseiller-auditeur du 7 février 2019 lui indiquant, notamment, qu’elle se verrait accorder un délai pour présenter ses observations écrites, elle n’avait pas pris d’autres mesures de participation active dans les 19 jours précédant l’adoption de la décision litigieuse. Sans ce courrier, elle aurait continué à présenter des arguments, comme
elle l’avait déjà annoncé dans son courriel du 28 janvier 2019.

51 Certes, le Tribunal aurait constaté que, en dépit de cette indication, la Commission n’avait pas fixé de délai pour la présentation d’observations écrites à propos de l’opération M.8871. Toutefois, le Tribunal n’aurait pas tenu compte de cet élément et aurait préféré faire état d’une prétendue contradiction dans le comportement de la requérante, en indiquant que celle‑ci, d’un côté, prétendait avoir participé activement et, de l’autre, expliquait ne pas avoir présenté davantage d’arguments en se
fiant au conseiller-auditeur. Ce point de vue ignorerait le principe de protection de la confiance légitime. Étant donné que seule cette confiance légitime de la requérante dans le conseiller-auditeur aurait fait que sa participation n’a pas atteint un niveau qui a été jugé suffisant par le Tribunal, il conviendrait d’admettre sa qualité pour agir pour cette seule raison, et ce d’autant plus que le conseiller‑auditeur avait reconnu à la requérante le statut de tiers intéressé et que l’octroi de
ce statut avait ainsi créé une situation de confiance légitime.

52 La Commission, soutenue par E.ON et RWE, conteste les arguments de la requérante.

– Appréciation de la Cour

53 La requérante reproche au Tribunal de ne pas avoir constaté une violation par la Commission de la confiance légitime, qu’aurait suscitée chez elle le courrier du conseiller-auditeur du 7 février 2019, dans le fait qu’un délai lui serait accordé ultérieurement pour présenter des observations.

54 À cet égard, au point 41 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a fait observer que, lors de l’audience devant lui, la requérante avait indiqué que, contrairement à ce qui avait été annoncé dans la décision du conseiller‑auditeur du 7 février 2019, la Commission n’avait pas fixé de délai pour la présentation de ses observations écrites sur l’opération M.8871. Au point 42 de cet arrêt, le Tribunal a examiné cet argument et, après avoir constaté, notamment, que celui‑ci avait été avancé pour la première
fois lors de l’audience, l’a rejeté comme étant manifestement irrecevable.

55 Toutefois, devant la Cour, si la requérante reproche au Tribunal de n’avoir pas examiné son argumentation à cet égard sur le fond, elle se borne, en réalité, à répéter l’essentiel de cette argumentation, sans démontrer en quoi le Tribunal aurait commis une erreur de droit en constatant que ladite argumentation, telle qu’avancée devant lui, était manifestement irrecevable.

56 Or, selon la jurisprudence de la Cour, un pourvoi ne peut se limiter à répéter les moyens et les arguments qui ont déjà été présentés devant le Tribunal sans avancer des arguments visant à établir que celui‑ci aurait commis une erreur de droit (arrêt du 2 avril 2009, France Télécom/Commission, C‑202/07 P, EU:C:2009:214, point 69 et jurisprudence citée).

57 Il convient donc de rejeter la première branche du deuxième moyen comme étant irrecevable.

Sur la seconde branche

– Argumentation des parties

58 Par la seconde branche du deuxième moyen, la requérante considère que la question se pose de savoir si la qualité pour agir ne devrait pas être fondée sur des critères objectifs susceptibles d’être vérifiés. Sur ce point, elle estime qu’il convient d’examiner la situation juridique dans l’État membre particulièrement concerné, à savoir la République fédérale d’Allemagne, où le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice, Allemagne) aurait jugé, dans une décisiondu 7 novembre 2006, que la qualité
pour agir existe lorsque la personne concernée remplit les conditions subjectives de l’intervention dans la procédure administrative, peu importe qu’elle ait effectivement été associée ou que sa demande en intervention ait été rejetée pour de simples raisons d’économie de procédure. Cette juridiction nationale aurait précisé que, si l’autorité compétente choisissait une entreprise parmi celles qui demandent à intervenir et dont les intérêts sont similaires et rejetait les demandes d’autres
entreprises pouvant également faire valoir que leurs intérêts économiques sont affectés de manière significative par la décision attendue, il y aurait une inégalité de traitement dans la protection juridictionnelle.

59 Il n’en irait, selon la requérante, pas autrement en l’espèce. Si l’arrêt attaqué était confirmé, la Commission pourrait, à l’avenir, en fonction des possibilités de participation à la procédure administrative qu’elle accorde, autoriser ou refuser l’exercice d’une voie de recours aux personnes concernées.

60 La Commission, soutenue par E.ON et RWE, conteste les arguments de la requérante.

– Appréciation de la Cour

61 Force est de constater que, par la présente branche, la requérante se borne à avancer des considérations générales qui ne visent aucun point de l’arrêt attaqué. Cette branche est donc irrecevable au regard des exigences de l’article 169, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour.

62 La seconde branche du deuxième moyen et, par suite, le second moyen dans son ensemble doivent, partant, être rejetés.

Sur le premier moyen, tiré d’une interprétation erronée de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, pris en sa deuxième branche

Argumentation des parties

63 Par la deuxième branche du premier moyen, la requérante fait valoir que le Tribunal a ignoré l’existence de circonstances spécifiques, autres que la participation à la procédure, qu’elle avait fait valoir devant le Tribunal, de sorte que l’arrêt attaqué serait entaché d’une erreur de droit.

64 Elle précise que l’une de ces circonstances spécifiques serait l’affectation de sa position sur le marché, puisqu’elle serait l’un des principaux concurrents de RWE et d’E.ON dans son segment de marché. Du reste, ce serait précisément en raison d’une telle situation de concurrence et de l’affectation qui en résulte pour la position sur le marché que, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 4 juillet 2006, easyJet/Commission (T‑177/04, EU:T:2006:187), le Tribunal a admis l’existence d’une
affectation individuelle. En l’espèce, la requérante serait le principal fournisseur d’énergie de la région de Francfort (Allemagne) et de ses environs, et figurerait parmi les dix premières régies municipales en Allemagne. En outre, sa production d’électricité serait presque trois fois supérieure à celle de l’entreprise ayant introduit un recours contre la décision litigieuse dans l’affaire T‑312/20, dont l’affectation individuelle de la position sur le marché aurait été admise par le Tribunal.
Ces éléments démontreraient que le seul fait de porter atteinte à la position de la requérante sur le marché suffit à établir son affectation individuelle.

65 Enfin, la Cour aurait admis qu’il existe des circonstances permettant de constater une individualisation, en particulier lorsque le groupe des personnes concernées est, à la date de la décision en cause, connu par son nombre et les personnes qui le composent. Or, en l’espèce, la requérante remplirait cette condition. Comme elle l’aurait déjà fait valoir devant le Tribunal, de nombreuses circonstances la distingueraient du reste des personnes et individualiseraient sa situation d’une manière
analogue à celle du destinataire. Parmi ces circonstances figurerait le fait qu’elle s’est vu reconnaître le statut de tiers intéressé dans la procédure relative à l’opération M.8871. Or, le Tribunal n’aurait pas tenu compte du fait que, à la connaissance de la requérante, seules 18 entreprises avaient, dans ce cadre, obtenu un tel statut.

66 La Commission, soutenue par E.ON et RWE, conteste les arguments de la requérante.

Appréciation de la Cour

67 Par les arguments qu’elle avance au titre de la présente branche, la requérante invoque, en réalité, une violation par le Tribunal de l’obligation de motivation s’agissant de sa qualité pour agir.

68 Il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, la motivation d’un arrêt doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement du Tribunal (arrêt du 11 juin 2015, EMA/Commission, C‑100/14 P, EU:C:2015:382, point 67 et jurisprudence citée), l’obligation de motivation, qui incombe au Tribunal en vertu de l’article 36 et de l’article 53, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, n’imposant pas à celui-ci de fournir un exposé qui suivrait
exhaustivement et un par un tous les raisonnements articulés par les parties au litige. Si la motivation peut donc être implicite, celle-ci doit néanmoins permettre aux intéressés de connaître les raisons pour lesquelles le Tribunal n’a pas fait droit à leurs arguments et à la Cour de disposer des éléments suffisants pour exercer son contrôle dans le cadre d’un pourvoi (arrêt du 18 juin 2020, Primart/EUIPO, C‑702/18 P, EU:C:2020:489, point 61 et jurisprudence citée).

69 Il ressort également de la jurisprudence de la Cour, d’une part, que, dans le cadre du pourvoi, le contrôle de la Cour a pour objet, notamment, de vérifier si le Tribunal a répondu à suffisance de droit à l’ensemble des arguments invoqués par le requérant et, d’autre part, que le moyen tiré d’un défaut de réponse du Tribunal à des arguments invoqués en première instance revient, en substance, à invoquer une violation de l’obligation de motivation (arrêt du 14 septembre 2023, Land
Rheinland-Pfalz/Deutsche Lufthansa, C‑466/21 P, EU:C:2023:666, point 93 et jurisprudence citée).

70 En l’espèce, tout d’abord, au point 26 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a indiqué que, dans le cas d’une décision constatant la compatibilité d’une opération de concentration avec le marché intérieur, et s’agissant d’une entreprise tierce, c’est en fonction, d’une part, de sa participation à la procédure administrative et, d’autre part, de l’affectation de sa position sur le marché qu’il y a lieu de déterminer si elle est individuellement concernée. À ce point 26, il a ajouté que, si une simple
participation à la procédure ne suffit certes pas, à elle seule, à établir que la requérante est individuellement concernée par la décision, en particulier dans le domaine des concentrations dont l’examen minutieux exige un contact régulier avec de nombreuses entreprises, il n’en demeure pas moins que la participation active à la procédure administrative constitue un élément régulièrement pris en considération par la jurisprudence en matière de concurrence, y compris dans le domaine plus
spécifique du contrôle des concentrations, pour établir, en conjonction avec d’autres circonstances spécifiques, la recevabilité de son recours.

71 Ensuite, le Tribunal a examiné, aux points 27 à 44 de l’arrêt attaqué, la question de savoir s’il pouvait être considéré que la requérante avait participé activement à la procédure relative à l’opération M.8871 et il a conclu qu’elle n’avait pas activement participé à cette procédure.

72 Enfin, au point 45 de cet arrêt, le Tribunal a indiqué que, la requérante n’ayant pas activement participé à ladite procédure, il y avait lieu de considérer, compte tenu, en outre, de l’absence de circonstance particulière relative à l’affectation de sa position sur le marché, qu’elle n’est pas individuellement affectée par la décision litigieuse.

73 Or, à l’instar de ce qu’expose la requérante au soutien de son pourvoi, celle-ci avait invoqué, dans sa requête, un certain nombre d’éléments portant sur l’affectation, prétendument substantielle, de sa position sur le marché à la suite de l’opération M.8871, lesquels étaient, selon elle, aptes à établir que la décision litigieuse la concerne individuellement, au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE.

74 Force est de constater que, en se limitant à constater l’absence de circonstance particulière relative à l’affectation de la position de la requérante sur le marché, le Tribunal n’a fourni aucun élément de motivation, même succinct, permettant, d’une part, à la requérante de comprendre si les arguments qu’elle a invoqués pour soutenir que sa position sur le marché était substantiellement affectée ont été examinés et, dans cette hypothèse, pour quelles raisons ils ont été considérés inaptes à
établir une telle affectation et, d’autre part, à la Cour de disposer d’éléments suffisants pour exercer son contrôle, ainsi que l’exige la jurisprudence rappelée au point 68 du présent arrêt.

75 Dans ces conditions, le Tribunal a violé l’obligation de motivation qui lui incombe en vertu de l’article 36 et de l’article 53, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne.

76 Il s’ensuit que la deuxième branche du premier moyen doit être accueillie.

77 Par conséquent, il y a lieu d’annuler l’arrêt attaqué en ce que le Tribunal a constaté, au point 45 de cet arrêt, l’absence de circonstance particulière relative à l’affectation de la position de la requérante sur le marché et a conclu, au point 46 dudit arrêt, en se fondant, notamment, sur ce motif, que la requérante n’est pas individuellement concernée par la décision litigieuse, de sorte que son recours devait être rejeté comme étant irrecevable.

Sur le recours devant le Tribunal

78 Conformément à l’article 61, premier alinéa, seconde phrase, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, la Cour peut, en cas d’annulation de la décision du Tribunal, statuer elle-même définitivement sur le litige, lorsque celui-ci est en état d’être jugé.

79 Tel est le cas en l’espèce.

80 Il convient de rappeler, ainsi qu’il ressort du point 32 du présent arrêt, que, aux fins de l’appréciation de la qualité pour agir de la requérante, la position actuelle et future d’une entreprise tierce à une opération de concentration sur un marché pouvant être influencé par cette opération doit être affectée de façon substantielle pour que cette entreprise puisse être individuellement concernée par la décision constatant la compatibilité de ladite opération avec le marché intérieur. À ce
dernier égard, la seule circonstance qu’un acte tel que la décision litigieuse soit susceptible d’exercer une certaine influence sur les rapports de concurrence existant dans le marché pertinent et que l’entreprise concernée se trouvait dans une quelconque relation de concurrence avec le bénéficiaire de cet acte ne saurait, en tout état de cause, suffire pour que ladite entreprise puisse être considérée comme étant individuellement concernée par ledit acte (voir, par analogie, arrêt du
22 novembre 2007, Espagne/Lenzing, C-525/04 P, EU:C:2007:698, point 32).

81 Or, force est de constater que les considérations avancées par la requérante dans son recours devant le Tribunal, en ce qu’elles concernent sa propre position sur le marché, consistent, pour l’essentiel, à mentionner son chiffre d’affaires par rapport à celui d’autres producteurs d’énergie en Allemagne, son importance quantitative en tant que fournisseur régional d’électricité, le nombre de salariés qu’elle emploie ainsi que certaines activités qu’elle exerce en qualité de concurrente des parties
à l’opération M.8871, sans toutefois démontrer en quoi ces circonstances et activités, que cela soit en tant que concurrent ou investisseur, sont de nature à l’individualiser de manière analogue aux destinataires de la décision litigieuse. En effet, lesdites circonstances et activités sont susceptibles de caractériser tout autre producteur d’énergie et ne permettent pas de distinguer la requérante de manière singulière par rapport à ses autres concurrents sur le marché.

82 Ce même constat s’impose au regard des autres arguments invoqués par la requérante dans son recours, tenant au renforcement du rôle de RWE, étant précisé que les considérations avancées au sujet d’E.ON sont, quant à elles, dépourvues de pertinence, l’opération en cause en l’espèce étant l’opération M.8871 et non l’opération M.8870 mentionnée au point 9 du présent arrêt.

83 Il s’ensuit que la requérante n’a pas établi que sa position sur le marché est affectée de manière substantielle par l’opération concernée. Par ailleurs, ainsi qu’il ressort du point 32 du présent arrêt, même une participation active à la procédure administrative relative à une opération de concentration, au demeurant non établie en l’espèce ainsi qu’il ressort du point 41 du présent arrêt, ne saurait être considérée comme étant suffisante afin d’établir qu’une décision déclarant cette opération
compatible avec le marché intérieur concerne individuellement une entreprise, au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE.

84 Par conséquent, la requérante n’a pas établi qu’elle est individuellement concernée par la décision litigieuse, au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE. Les conditions de l’affectation directe et individuelle prévues à cette disposition étant cumulatives, ainsi qu’il ressort du point 30 du présent arrêt, il convient de rejeter son recours en annulation comme étant irrecevable.

85 Dans ces conditions, il n’y a pas lieu de statuer sur les troisième et quatrième moyens du pourvoi, lesquels comportent des arguments de fond reposant sur la prémisse erronée selon laquelle le recours en première instance était recevable.

Sur les dépens

86 En vertu de l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure, lorsque le pourvoi est fondé et que la Cour juge elle-même définitivement le litige, elle statue sur les dépens. L’article 138, paragraphe 3, de ce règlement, rendu applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui-ci, dispose que si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs, chaque partie supporte ses propres dépens.

87 En l’espèce, la deuxième branche du premier moyen du pourvoi de la requérante ayant été accueillie et son recours en annulation ayant été rejeté, il y a lieu de décider que chaque partie supportera ses propres dépens.

88 L’article 140, paragraphe 1, dudit règlement, également applicable à la procédure de pourvoi, dispose que les États membres qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens. La République fédérale d’Allemagne supportera donc ses propres dépens.

  Par ces motifs, la Cour (cinquième chambre) déclare et arrête :

  1) L’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 17 mai 2023, Mainova/Commission (T‑320/20, EU:T:2023:264), est annulé.

  2) Le recours de Mainova AG tendant à l’annulation de la décision C(2019) 1711 final de la Commission, du 26 février 2019, déclarant une concentration compatible avec le marché intérieur et avec l’accord EEE (affaire M.8871 – RWE/E.ON Assets), est rejeté comme étant irrecevable.

  3) Mainova AG, E.ON SE, RWE AG et la Commission européenne supportent chacune leurs propres dépens afférents à la procédure de première instance et à la procédure de pourvoi.

  4) La République fédérale d’Allemagne supporte ses propres dépens.

  Signatures

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( *1 ) Langue de procédure : l’allemand.


Synthèse
Formation : Cinquième chambre
Numéro d'arrêt : C-484/23
Date de la décision : 26/06/2025
Type d'affaire : Pourvoi
Type de recours : Recours en annulation

Analyses

Pourvoi – Concurrence – Concentrations – Décision déclarant une concentration compatible avec le marché intérieur – Recours introduit par un tiers – Recevabilité – Article 263, quatrième alinéa, TFUE – Qualité pour agir.


Parties
Demandeurs : Mainova AG
Défendeurs : Commission européenne.

Composition du Tribunal
Avocat général : Medina
Rapporteur ?: Passer

Origine de la décision
Date de l'import : 28/06/2025
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2025:482

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