ARRÊT DE LA COUR (huitième chambre)
26 juin 2025 ( *1 )
« Pourvoi – Aides d’État – Article 108, paragraphe 3, TFUE – Régime fiscal – Dispositions concernant l’impôt sur les sociétés permettant aux sociétés fiscalement domiciliées en Espagne d’amortir la survaleur résultant de prises de participations dans des sociétés fiscalement domiciliées en dehors de cet État membre – Décisions de la Commission européenne qualifiant ces dispositions de régime d’aides d’État et ordonnant la récupération des aides, à l’exception de celles relatives aux participations
directes et indirectes prises avant une certaine date fixée par la Commission aux fins de la protection de la confiance légitime – Décision ultérieure de la Commission ordonnant la récupération de l’ensemble des aides relatives aux participations indirectes – Sécurité juridique »
Dans les affaires jointes C‑776/23 P à C‑780/23 P,
ayant pour objet cinq pourvois au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduits le 14 décembre 2023,
Commission européenne, représentée par Mme P. Němečková, MM. B. Stromsky et C. Urraca Caviedes, en qualité d’agents,
partie requérante,
les autres parties à la procédure étant :
Royaume d’Espagne, représenté initialement par Mme A. Gavela Llopis et M. I. Herranz Elizalde, puis par Mme A. Gavela Llopis, en qualité d’agents,
partie demanderesse en première instance (C‑776/23 P),
Banco Santander SA, établie à Santander (Espagne),
Santusa Holding SL, établie à Boadilla del Monte (Espagne),
représentées par Mes E. Abad Valdenebro, R. Calvo Salinero, A. Lamadrid de Pablo et V. Romero Algarra, abogados,
Abertis Infraestructuras SA, établie à Barcelone (Espagne), représentée par Mes E. Abad Valdenebro, R. Calvo Salinero, M. Cenzual Aldaz, A. Lamadrid de Pablo et V. Romero Algarra, abogados,
Axa Mediterranean Holding SA, établie à Palma de Majorque (Espagne), représentée par Mes E. Abad Valdenebro, R. Calvo Salinero, A. Lamadrid de Pablo, I. Otaegi Amundarain et V. Romero Algarra, abogados,
parties demanderesses en première instance (C‑777/23 P),
Sociedad General de Aguas de Barcelona SA, établie à Barcelone, représentée par Me J. Huelin Martínez de Velasco, abogado,
partie demanderesse en première instance (C‑778/23 P),
Telefónica SA, établie à Madrid (Espagne), représentée par Mes J. Domínguez Pérez et J. Ruiz Calzado, abogados,
Iberdrola SA, établie à Bilbao (Espagne), représentée par Mes S. Centeno Huerta, J. Domínguez Pérez et J. Ruiz Calzado, abogados,
parties demanderesses en première instance (C‑779/23 P),
Ferrovial SE, anciennement Ferrovial SA, établie à Amsterdam (Pays-Bas),
Serveo Servicios SA, anciennement Ferrovial Servicios SA, établie à Madrid,
Amey UK Ltd, anciennement Amey UK plc, établie à Londres (Royaume-Uni),
représentées par Mes E. Abad Valdenebro, R. Calvo Salinero, A. Lamadrid de Pablo et V. Romero Algarra, abogados,
Arcelormittal Spain Holding SL, établie à Madrid, représentée par Mes M. Muñoz Pérez et A. Santander Ruiz, abogados,
parties demanderesses en première instance (C‑780/23 P),
LA COUR (huitième chambre),
composée de M. S. Rodin, président de chambre, M. C. Lycourgos (rapporteur), président de la troisième chambre, faisant fonction de juge de la huitième chambre, et Mme O. Spineanu‑Matei, juge,
avocat général : M. A. Rantos,
greffier : M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,
rend le présent
Arrêt
1 Par ses pourvois, la Commission européenne demande l’annulation des arrêts du Tribunal de l’Union européenne du 27 septembre 2023, Espagne/Commission (T‑826/14, EU:T:2023:582) (affaire C‑776/23 P), du 27 septembre 2023, Banco Santander e.a./Commission (T‑12/15, T‑158/15 et T‑258/15, EU:T:2023:583) (affaire C‑777/23 P), du 27 septembre 2023, Sociedad General de Aguas de Barcelona/Commission (T‑253/15, EU:T:2023:585) (affaire C‑778/23 P), du 27 septembre 2023, Telefónica et Iberdrola/Commission
(T‑256/15 et T‑260/15, EU:T:2023:586) (affaire C‑779/23 P), ainsi que du 27 septembre 2023, Ferrovial e.a./Commission (T‑252/15 et T‑257/15, EU:T:2023:584) (affaire C‑780/23 P) (ci-après les « arrêts attaqués »), par lesquels le Tribunal a annulé la décision (UE) 2015/314 de la Commission, du 15 octobre 2014, relative à l’aide d’État SA.35550 (13/C) (ex 13/NN) (ex 12/CP) mise à exécution par l’Espagne – Régime relatif à l’amortissement fiscal de la survaleur financière en cas de prise de
participations étrangères (JO 2015, L 56, p. 38, ci-après la « décision litigieuse »).
Les antécédents du litige
2 Le 27 décembre 2001, le législateur espagnol a adopté la Ley 24/2001, de Medidas Fiscales, Administrativas y del Orden Social (loi 24/2001, portant adoption de mesures fiscales, administratives et d’ordre social) (BOE no 313, du 31 décembre 2001, p. 50493). Cette loi introduisait, avec effet au 1er janvier 2002, un nouvel article 12, paragraphe 5, dans la Ley del Impuesto sobre Sociedades (loi relative à l’impôt sur les sociétés). Cette disposition s’inscrivait dans une réforme qui a conduit, par
l’adoption du Real Decreto Legislativo 4/2004, por el que se aprueba el texto refundido de la Ley del Impuesto sobre Sociedades (décret législatif royal 4/2004, portant approbation du texte remanié de la loi relative à l’impôt sur les sociétés), du 5 mars 2004 (BOE no 61, du 11 mars 2004, p. 10951), à une refonte de la loi relative à l’impôt sur les sociétés (ci-après le « TRLIS »).
3 L’article 12, paragraphe 5, du TRLIS, lu en combinaison avec l’article 21 de celui-ci, prévoyait que toute société fiscalement domiciliée en Espagne ayant pris, puis détenu de manière ininterrompue pendant au moins un an, une participation directe ou indirecte d’au moins 5 % dans une société qui, premièrement, était fiscalement domiciliée dans un autre pays, deuxièmement, y était assujettie à un impôt analogue à l’impôt sur les sociétés appliqué en Espagne et, troisièmement, générait des revenus
dont au moins 85 % provenaient de la réalisation d’activités en dehors de l’Espagne pouvait déduire, sous forme d’amortissement, la survaleur financière résultant de cette participation de ses revenus imposables en Espagne.
4 Par des questions écrites posées au cours des années 2005 et 2006, portant les références E-4431/05, E-4772/05, E-5800/06 et P-5509/06, des membres du Parlement européen ont interrogé la Commission sur la compatibilité du régime fiscal prévu à l’article 12, paragraphe 5, du TRLIS avec les règles du droit de l’Union en matière d’aides d’État.
5 Dans ses réponses des 19 janvier et 17 février 2006, données respectivement aux questions E-4431/05 et E-4772/05, la Commission a fait savoir que ce régime fiscal ne lui semblait pas entrer dans le champ d’application de ces règles.
6 Par lettre du 26 mars 2007, la Commission a néanmoins invité le Royaume d’Espagne à lui fournir des informations afin d’évaluer la portée et les effets dudit régime fiscal. Elle souhaitait, en particulier, savoir quels types d’opérations étaient couverts par celui-ci.
7 Par lettre du 4 juin 2007, les autorités espagnoles ont répondu à la Commission que, selon l’interprétation administrative du régime fiscal prévu à l’article 12, paragraphe 5, du TRLIS, ce régime s’appliquait uniquement à la survaleur financière résultant de prises de participations directes (ci-après la « lettre du 4 juin 2007 »).
8 Par lettre du 10 octobre 2007, dont un résumé a été publié le 21 décembre 2007 (JO 2007, C 311, p. 21), la Commission a notifié au Royaume d’Espagne sa décision d’ouvrir une procédure formelle d’examen conformément à l’article 88, paragraphe 2, CE à l’égard du régime fiscal prévu à l’article 12, paragraphe 5, du TRLIS.
9 En ce qui concerne les participations dites « intracommunautaires », à savoir celles par lesquelles des sociétés fiscalement domiciliées en Espagne détenaient une partie du capital de sociétés fiscalement domiciliées dans un autre État membre, cette procédure formelle d’examen a été clôturée par la décision 2011/5/CE de la Commission, du 28 octobre 2009, relative à l’amortissement fiscal de la survaleur financière en cas de prise de participations étrangères C 45/07 (ex NN 51/07, ex CP 9/07)
appliqué par l’Espagne (JO 2011, L 7, p. 48).
10 Cette décision est libellée comme suit :
« Article premier
1. Le régime d’aides exécuté par l’Espagne conformément à l’article 12, paragraphe 5, du [TRLIS], appliqué illégalement par le Royaume d’Espagne en violation de l’article 88, paragraphe 3, [CE], est incompatible avec le marché commun pour ce qui est des aides octroyées aux bénéficiaires lors de la prise de participations intracommunautaires.
2. Néanmoins, les déductions fiscales dont les bénéficiaires ont profité lors de prises de participations intracommunautaires et octroyées conformément à l’article 12, paragraphe 5, du TRLIS en ce qui concerne des droits possédés directement ou indirectement dans des entreprises étrangères qui remplissent les conditions pertinentes du régime d’aides avant le 21 décembre 2007, à l’exception de la condition de posséder ces participations durant une période ininterrompue d’au moins un an, pourront
continuer à s’appliquer durant toute la période d’amortissement prévue par le régime d’aides.
3. Les déductions fiscales octroyées aux bénéficiaires au titre de prises de participations intracommunautaires, en vertu de l’article 12, paragraphe 5, du TRLIS, qui sont liées à une obligation irrévocable, convenu[e] avant le 21 décembre 2007, de posséder les droits en question lorsque le contrat contient une condition suspensive liée au fait que la transaction en question est soumise à l’autorisation impérative d’une autorité de réglementation et lorsque la transaction a été notifiée avant
le 21 décembre 2007, pourront continuer de s’appliquer durant toute la période d’amortissement prévue par le régime d’aide pour la partie des droits possédés à partir de la date de levée de la condition suspensive.
[...]
Article 4
1. L’Espagne est tenue de récupérer l’aide incompatible correspondant à la réduction fiscale prévue en vertu du régime visé à l’article 1er, paragraphe 1, auprès des bénéficiaires dont les droits dans des entreprises étrangères, acquis dans le cadre de participation[s] intracommunautaires, ne remplissent pas les conditions visées à l’article 1er, paragraphe 2.
[...]
4. L’Espagne annule toutes les réductions fiscales en suspens octroyées au titre du régime visé à l’article 1er, paragraphe 1, à compter de la date d’adoption de la présente décision, à l’exception des réductions octroyées au titre de droits dans des entreprises étrangères remplissant les conditions visées à l’article 1er, paragraphe 2.
[...] »
11 L’article 1er, paragraphes 2 et 3, de ladite décision repose notamment sur les considérants suivants de celle-ci :
« (167) [...] la Commission estime que les bénéficiaires de la mesure litigieuse pouvaient légitimement penser que l’aide ne serait pas récupérée et, partant, elle ne réclame pas la récupération des aides fiscales octroyées à ces bénéficiaires dans le cadre d’une participation qu’une entreprise [acquéreuse] espagnole aurait directement ou indirectement prise dans une entreprise étrangère avant la date de publication au Journal officiel de l’Union européenne de la décision de la Commission
d’ouvrir la procédure formelle d’examen conformément à l’article 88, paragraphe 2, [CE] et qui aurait bénéficié alors de la mesure litigieuse. [...]
[...]
(170) [...] dans les cas où l’entreprise espagnole [acquéreuse] n’aurait pas possédé directement ou indirectement [s]es droits jusqu’après le 21 décembre 2007, il conviendra de récupérer auprès de ce bénéficiaire toute l’aide incompatible, sauf si : premièrement, avant le 21 décembre 2007, il a été convenu d’une obligation irrévocable, pour une entreprise espagnole [acquéreuse], de posséder ces droits ; deuxièmement, le contrat prévoyait une condition suspensive liée au fait que la transaction en
question est soumise à l’autorisation impérative d’une autorité de réglementation ; et, troisièmement, la transaction a été notifiée avant le 21 décembre 2007. [...]
[...]
(175) [...] étant donné l’existence d’une confiance légitime jusqu’à la date de publication de la décision d’ouvrir la procédure, la Commission renonce exceptionnellement à la récupération de tout avantage fiscal résultant de l’application du régime d’aides concernant les aides liées aux prises de participations dans des entreprises étrangères contrôlées directement ou indirectement par des entreprises espagnoles [acquéreuses] avant la date de publication au Journal officiel de l’Union européenne
de la décision de la Commission d’ouvrir la procédure formelle d’examen conformément à l’article 88, paragraphe 2, sauf si : premièrement, avant le 21 décembre 2007, il a été convenu d’une obligation irrévocable, pour une entreprise espagnole [acquéreuse], de posséder ces droits ; deuxièmement, le contrat prévoyait une condition suspensive liée au fait que la transaction en question est soumise à l’autorisation impérative d’une autorité de réglementation ; et, troisièmement, la transaction
a été notifiée avant le 21 décembre 2007. »
12 S’agissant des participations de sociétés fiscalement domiciliées en Espagne dans le capital de sociétés fiscalement domiciliées en dehors de l’Union européenne, la procédure formelle d’examen a été clôturée par la décision 2011/282/UE de la Commission, du 12 janvier 2011, relative à l’amortissement fiscal de la survaleur financière en cas de prise de participations étrangères C 45/07 (ex NN 51/07, ex CP 9/07) appliqué par l’Espagne (JO 2011, L 135, p. 1), qui a fait l’objet de correctifs
les 3 mars et 26 novembre 2011 (ci-après la « décision 2011/282 »).
13 Cette décision est libellée comme suit :
« Article premier
1. Le régime d’aides mis en œuvre par l’Espagne en vertu de l’article 12, paragraphe 5, du [TRLIS], appliqué illégalement par l’Espagne en violation de l’article 108, paragraphe 3, [TFUE], est incompatible avec le marché intérieur pour ce qui est des aides octroyées aux bénéficiaires lors de prises de participations en dehors de l’Union.
2. Néanmoins, les déductions fiscales dont les bénéficiaires ont profité lors de prises de participations en dehors de l’Union et octroyées en vertu de l’article 12, paragraphe 5, du TRLIS en ce qui concerne des droits détenus directement ou indirectement dans des entreprises étrangères qui remplissent les conditions pertinentes du régime d’aides avant le 21 décembre 2007, hormis l’obligation de détenir ces participations durant une période ininterrompue d’au moins un an, pourront continuer de
s’appliquer durant toute la période d’amortissement prévue par le régime d’aides.
3. Les déductions fiscales octroyées aux bénéficiaires, en vertu de l’article 12, paragraphe 5, du TRLIS, lors de prises de participations en dehors de l’Union qui sont liées à l’engagement irrévocable, pris avant le 21 décembre 2007, de détenir lesdits droits lorsque le contrat contient une condition suspensive du fait que l’opération en question est soumise à l’autorisation impérative d’une autorité de réglementation et lorsque l’opération a été notifiée avant le 21 décembre 2007, pourront
continuer de s’appliquer durant toute la période d’amortissement prévue par le régime d’aides pour la partie des droits détenus à partir de la date de levée de la condition suspensive.
4. De même, les déductions fiscales octroyées aux bénéficiaires, en vertu de l’article 12, paragraphe 5, du TRLIS, lors de prises de participations en dehors de l’Union à la date de publication de la présente décision au Journal officiel de l’Union européenne, qui sont liées aux participations majoritaires prises directement ou indirectement dans des entreprises étrangères établies en Chine, en Inde ou dans d’autres pays où l’existence d’obstacles juridiques explicites aux regroupements
transfrontières d’entreprises a été démontrée ou peut l’être, pourront continuer de s’appliquer durant toute la période d’amortissement prévue par le régime d’aides.
5. Les déductions fiscales octroyées aux bénéficiaires, en vertu de l’article 12, paragraphe 5, du TRLIS, lors de prises de participations en dehors de l’Union, qui sont liées à l’engagement irrévocable, pris avant la publication de la présente décision au Journal officiel de l’Union européenne, de détenir des droits dans des entreprises étrangères établies en Chine, en Inde ou dans d’autres pays où l’existence d’obstacles juridiques explicites aux regroupements transfrontières d’entreprises a
été démontrée ou peut l’être, lorsque le contrat contient une condition suspensive liée au fait que l’opération en question est soumise à l’autorisation impérative d’une autorité de réglementation et lorsque l’opération a été notifiée avant la publication de la présente décision au Journal officiel de l’Union européenne, pourront continuer de s’appliquer durant toute la période d’amortissement prévue par le régime d’aides à partir de la date de levée de la condition suspensive.
[...]
Article 4
1. L’Espagne récupère l’aide incompatible correspondant à la réduction fiscale prévue en vertu du régime visé à l’article 1er, paragraphe 1, auprès des bénéficiaires dont les droits dans des entreprises étrangères, acquis dans le cadre de prises de participations en dehors de l’Union, ne remplissent pas les conditions visées à l’article 1er, paragraphes 2 à 5.
[...]
4. L’Espagne annule toutes les réductions fiscales en suspens octroyées au titre du régime visé à l’article 1er, paragraphe 1, à compter de la date d’adoption de la présente décision, à l’exception des réductions octroyées pour les droits détenus dans des entreprises étrangères remplissant les conditions visées à l’article 1er, paragraphe 2.
[...] »
14 L’article 1er, paragraphes 2 à 5, de ladite décision repose notamment sur le considérant 210 de celle-ci, qui énonce :
« Néanmoins, étant donné l’existence d’une confiance légitime jusqu’à la date de publication de la décision d’ouvrir la procédure, la Commission renonce exceptionnellement à la récupération et accepte que continue d’être appliqué pendant toute la période d’amortissement prévue dans le régime d’aides tout avantage fiscal résultant de l’application du régime d’aides aux prises de participations dans des entreprises étrangères contrôlées directement ou indirectement par des entreprises acquéreuses
espagnoles avant la date de publication au Journal officiel de l’Union européenne de la décision de la Commission d’ouvrir la procédure formelle d’examen conformément à l’article 108, paragraphe 2, [TFUE] sauf si, premièrement, une entreprise acquéreuse espagnole s’est irrévocablement engagée, avant le 21 décembre 2007, à détenir ces droits ; deuxièmement, le contrat prévoyait une condition suspensive liée au fait que l’opération en question est soumise à l’autorisation impérative d’une autorité
de réglementation et, troisièmement, l’opération a été notifiée avant le 21 décembre 2007. La Commission doit, par ailleurs, renoncer à la récupération et accepte que continue d’être appliqué pendant toute la période d’amortissement prévue dans le régime d’aides tout avantage fiscal résultant de l’application du régime d’aides aux opérations d’actionnariat majoritaire réalisées avant la publication de la présente décision qui se réfèrent à des pays tiers où l’existence d’obstacles juridiques
explicites aux regroupements transfrontières est dûment justifiée conformément aux principes établis dans la présente décision ».
15 Par courrier électronique du 12 avril 2012, les autorités espagnoles ont informé la Commission que, le 21 mars 2012, la Dirección General de Tributos (direction générale des impôts, Espagne) (ci-après la « DGT ») avait adopté un avis administratif contraignant, qui était également applicable aux opérations réalisées avant cette date.
16 Selon cet avis, l’article 12, paragraphe 5, du TRLIS, lu en combinaison avec l’article 21 du TRLIS, devait être compris en ce sens qu’il s’applique tant aux participations directes qu’aux participations indirectes. À cet égard, il y aurait lieu de considérer que les activités effectuées à l’étranger visées par l’article 21 du TRLIS peuvent, le cas échéant, être exercées par une entité opérationnelle d’une filiale de deuxième niveau ou de niveau inférieur d’une société holding. Dès lors que
l’article 12, paragraphe 5, du TRLIS vise à encourager l’internationalisation et l’investissement à l’étranger des entreprises espagnoles, il serait contraire à l’esprit de cette disposition d’exclure de son champ d’application les investissements réalisés dans des holdings établies à l’étranger. L’article 21 du TRLIS se référerait d’ailleurs explicitement aux participations indirectes et les décisions 2011/5 ainsi que 2011/282 feraient, elles aussi, référence à ces participations.
17 Entre le 4 juillet 2012 et le 1er juillet 2013, la Commission a adressé au Royaume d’Espagne diverses questions et demandes d’informations au sujet de cette interprétation administrative.
18 Par lettre du 17 juillet 2013, dont un résumé a été publié le 7 septembre 2013 (JO 2013, C 258, p. 8), la Commission a notifié au Royaume d’Espagne sa décision d’ouvrir la procédure formelle d’examen, prévue à l’article 108, paragraphe 2, TFUE, eu égard aux effets qui découleraient de ladite interprétation administrative, introduite le 21 mars 2012 et modifiant celle qui avait été communiquée à la Commission par la lettre du 4 juin 2007.
19 Dans cette décision, telle que résumée au Journal officiel de l’Union européenne, la Commission a considéré ce qui suit :
« Le 28 octobre 2009 et le 12 janvier 2011, la Commission a adopté deux décisions négatives de récupération concernant les aides accordées aux bénéficiaires sur la base de l’article 12, paragraphe 5, du TRLIS [...] La Commission a néanmoins décidé de limiter le champ d’application de l’obligation de récupération en raison de l’existence d’une confiance légitime.
[...] en mars 2012, en réponse à une demande d’avis fiscal, le ministère espagnol des Finances a adopté une interprétation administrative contraignante de l’article 12, paragraphe 5, du TRLIS, avec effet rétroactif, permettant d’appliquer à divers niveaux de participation des déductions fiscales en cas de survaleur financière. Comme expliqué par l’Espagne au cours de la procédure administrative qui a conduit [aux décisions 2011/5 et 2011/282], il était jusque[-]là de pratique constante que la
mesure ne puisse être appliquée qu’à la survaleur financière résultant de prises de participations directes.
[...]
Même si [les décisions 2011/5 et 2011/282] font référence à des prises de participations à la fois directes et indirectes, cela est simplement dû au fait que ces décisions renvoyaient au texte des dispositions législatives applicables. La Commission observe toutefois que la portée d’une décision en matière d’aides d’État doit être appréciée non seulement au regard du libellé exact de cette décision mais également en prenant en compte le régime d’aide tel que décrit par l’État membre concerné au
cours de la procédure administrative. [...]
À ce stade, la Commission est d’avis qu’en élargissant le champ d’application de la mesure et, par conséquent, le nombre d’opérations et, à terme, également de bénéficiaires potentiels du régime, l’Espagne a introduit des modifications substantielles du régime, ce qui constitue, selon la Commission, une aide d’État illégale et incompatible.
[...]
Ainsi, à ce stade, [la Commission] estime que la nouvelle interprétation administrative constitue une aide nouvelle.
À ce stade, elle estime également que la confiance légitime reconnue dans les [décisions 2011/5 et 2011/282] ne peut être étendue (rétroactivement) à des situations (prises de participations indirectes) qui n’étaient pas couvertes par le champ d’application de la mesure au moment de l’adoption de [ces] décisions. »
20 À l’issue de cette procédure formelle d’examen, la Commission a adopté la décision litigieuse, libellée comme suit :
« Article premier
La nouvelle interprétation administrative adoptée par le Royaume d’Espagne, qui élargit le champ d’application de l’article 12, paragraphe 5, du [TRLIS], afin de couvrir les prises de participations indirectes dans des entreprises étrangères par l’intermédiaire d’une prise de participations directes dans des holdings étrangères, et exécutée de manière illégale par le Royaume d’Espagne en violation de l’article 108, paragraphe 3, [TFUE] est incompatible avec le marché intérieur.
[...]
Article 4
1. Le Royaume d’Espagne est tenu de mettre fin au régime d’aides visé à l’article 1er, en ce qui concerne les aides octroyées aux bénéficiaires ayant réalisé des prises de participations indirectes dans des entreprises étrangères par l’intermédiaire d’une prise de participations directes dans une holding, dans la mesure où il est incompatible avec le marché commun.
2. Le Royaume d'Espagne est tenu de récupérer auprès des bénéficiaires l’aide incompatible octroyée au titre du régime visé à l’article 1er.
3. Les sommes à récupérer produisent des intérêts à partir de la date à laquelle elles ont été mises à la disposition des bénéficiaires, jusqu’à leur récupération effective.
[...]
5. Le Royaume d’Espagne annule tous les paiements en cours de l’aide accordée en vertu du régime visé à l’article 1er, avec effet à la date d’adoption de la présente décision.
[...] »
21 Au considérant 25 de cette décision, la Commission a expliqué qu’elle entend par « participation directe » une participation aux capitaux propres d’une entreprise par une autre entreprise, et par « participation indirecte » une participation aux capitaux propres d’une filiale de deuxième niveau ou de niveau inférieur par une autre entreprise en conséquence d’une prise de participation directe antérieure, l’entreprise acquéreuse devenant ainsi indirectement détentrice de participations dans des
filiales de deuxième niveau ou de niveau inférieur.
22 Au considérant 26 de ladite décision, la Commission a précisé que, en l’espèce, les participations indirectes résultent de prises de participations directes aux capitaux propres d’une holding étrangère, la notion de « holding » se référant à une entreprise dont l’objectif principal est la détention d’actions ou de parts dans d’autres entreprises, qui sont opérationnelles, tandis qu’une holding n’exerce aucune activité économique à proprement parler et ne peut donc pas, par elle-même, générer une
survaleur, cette dernière pouvant en revanche être générée aux niveaux inférieurs par des entreprises opérationnelles.
23 Aux considérants 33 à 36 de la même décision sont mentionnés des documents dont il ressort que, initialement, la DGT et le Tribunal Económico-Administrativo Central (tribunal économico-administratif central, Espagne) avaient exclu les participations indirectes du champ d’application de l’article 12, paragraphe 5, du TRLIS.
24 Aux considérants 95 à 101 de la décision litigieuse, la Commission a souligné que les décisions 2011/5 et 2011/282 avaient eu pour objet d’évaluer la compatibilité avec le marché intérieur du régime prévu à l’article 12, paragraphe 5, du TRLIS tel que présenté par les autorités espagnoles pendant la procédure ayant conduit à ces décisions. Dans la lettre du 4 juin 2007, le Royaume d’Espagne avait expliqué que seule la déduction de la survaleur financière résultant de participations directes était
autorisée. Eu égard, en outre, à la pratique de la DGT et du Tribunal Económico-Administrativo Central (tribunal économico-administratif central), les décisions 2011/5 et 2011/282 n’auraient concerné que les participations directes. La nouvelle interprétation administrative établie depuis le mois de mars 2012 ne serait donc pas couverte par ces décisions.
25 Aux termes du considérant 151 de la décision litigieuse :
« [...] la distinction entre les prises de participations directes et indirectes n’a pas été considérée comme pertinente aux fins de l’appréciation requise dans les [décisions 2011/5 et 2011/282]. [...] »
26 Au considérant 189 de la décision litigieuse, la Commission a observé que le Royaume d’Espagne et les tiers intéressés ont fait valoir que la confiance légitime reconnue dans les décisions 2011/5 et 2011/282 couvrait les participations indirectes.
27 Pour les raisons exposées aux considérants 190 à 200 de la décision litigieuse, la Commission n’a pas partagé cette argumentation. À cet égard, elle a considéré, notamment, ce qui suit :
« (190) La Commission [...] considère que la confiance légitime reconnue dans les [décisions 2011/5 et 2011/282] ne pouvait être étendue à des situations (prises de participations indirectes résultant de la prise de participations dans une holding) qui n’étaient pas couvertes par le champ d’application de la mesure en cause au moment de l’adoption des [décisions 2011/5 et 2011/282]. En effet, la confiance légitime peut uniquement être fondée sur des éléments de fait connus au moment de l’adoption
d’une décision et non au cours d’événements futurs comme, par exemple, l’introduction d’une nouvelle interprétation administrative.
[...]
(193) [...] La Commission estime que les entreprises qui ont effectué des prises de participations indirectes ne peuvent invoquer la confiance légitime en ce que les prises de participations indirectes étaient couvertes par l’article 12, paragraphe 5, du TRLIS, étant donné que ces entreprises avaient connaissance de la pratique administrative de l’administration fiscale et du [Tribunal Económico-Administrativo Central (tribunal économico-administratif central)] qui a été appliquée jusqu’en 2012.
[...]
[...]
(197) Concernant les allégations de l’Espagne et des tiers intéressés, d’après lesquelles les réponses aux questions parlementaires écrites ont suscité une confiance légitime chez les bénéficiaires de l’aide, la Commission fait observer que ces questions parlementaires ne portaient pas sur la distinction entre une prise de participations directes et une prise de participations indirectes, mais [portaient] sur le fait de déterminer si le régime établi à l’article 12, paragraphe 5, du TRLIS
pourrait constituer une aide d’État. Par conséquent, il n’était pas possible de conclure des réponses fournies par la Commission aux questions parlementaires écrites que les prises de participations aussi bien directes qu’indirectes auraient été couvertes.
[...]
(199) Par ailleurs, la Commission considère qu’en dépit du fait que le contenu des décisions [2011/5 et 2011/282] ne reflète pas les échanges entre les autorités espagnoles et la Commission, dans lesquels il était expliqué que, dans la pratique, il est uniquement possible de déduire la survaleur financière générée par des prises de participations directes dans des entreprises opérationnelles, les bénéficiaires de l’aide ne pouvaient légitimement penser que les prises de participations indirectes
étaient également couvertes par l’article 12, paragraphe 5, du TRLIS. Les bénéficiaires de l’aide avaient déjà connaissance de la pratique constante consistant à exclure du champ d’application de l’article 12, paragraphe 5, du TRLIS les prises de participations indirectes réalisées par l’intermédiaire de la prise de participations directes dans une holding [...] »
Les procédures devant le Tribunal et les arrêts attaqués
L’affaire T‑826/14
28 Par un recours fondé sur quatre moyens, le Royaume d’Espagne a demandé l’annulation de la décision litigieuse ou, à titre subsidiaire, de l’ordre de récupération contenu à l’article 4 de celle-ci.
29 Le premier moyen était pris d’une violation de l’obligation de motivation.
30 Le deuxième moyen était pris d’une violation de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, en raison d’une erreur de droit en ce qui concernait la condition de sélectivité.
31 Le troisième moyen était pris de l’absence d’aide nouvelle au sens, notamment, de l’article 108, paragraphe 3, TFUE.
32 Le quatrième moyen, formulé à titre subsidiaire, était pris d’une violation, notamment, des principes de protection de la confiance légitime et de sécurité juridique.
33 Dans des observations écrites déposées au Tribunal le 15 novembre 2021, le Royaume d’Espagne a, au regard des arrêts du 6 octobre 2021, Sigma Alimentos Exterior/Commission (C‑50/19 P, EU:C:2021:792), du 6 octobre 2021, World Duty Free Group et Espagne/Commission (C‑51/19 P et C‑64/19 P, EU:C:2021:793), du 6 octobre 2021, Banco Santander/Commission (C‑52/19 P, EU:C:2021:794), du 6 octobre 2021, Banco Santander e.a./Commission (C‑53/19 P et C‑65/19 P, EU:C:2021:795), du 6 octobre 2021, Axa
Mediterranean/Commission (C‑54/19 P, EU:C:2021:796), ainsi que du 6 octobre 2021, Prosegur Compañía de Seguridad/Commission (C‑55/19 P, EU:C:2021:797), renoncé aux premier et deuxième moyens, en reconnaissant que la Cour avait, par ces arrêts, statué sur le caractère sélectif du régime prévu à l’article 12, paragraphe 5, du TRLIS et sur la légalité des décisions 2011/5 et 2011/282.
34 Par son arrêt dans l’affaire T‑826/14, le Tribunal a accueilli le troisième moyen du recours et annulé la décision litigieuse.
Les affaires jointes T‑12/15, T‑158/15 et T‑258/15
35 Par des recours fondés sur quatre moyens, Banco Santander SA, Santusa Holding SL (ci-après « Santusa »), Abertis Infraestructuras SA (ci-après « Abertis »), Abertis Telecom Satélites SA et Axa Mediterranean Holding SA (ci-après « Axa ») ont demandé l’annulation de la décision litigieuse.
36 Le premier moyen était tiré d’une violation de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, en raison d’une erreur de droit en ce qui concernait la condition de sélectivité.
37 Le deuxième moyen était tiré d’une erreur de droit dans l’identification des bénéficiaires du régime fiscal prévu à l’article 12, paragraphe 5, du TRLIS.
38 Le troisième moyen était tiré de l’absence d’aide nouvelle au sens, notamment, de l’article 108, paragraphe 3, TFUE.
39 Le quatrième moyen était tiré d’une violation des principes de protection de la confiance légitime, d’estoppel (ou des actes propres) et de sécurité juridique.
40 Dans des observations écrites déposées au Tribunal le 15 novembre 2021, ces sociétés ont, au regard des arrêts mentionnés au point 33 du présent arrêt, renoncé aux premier et deuxième moyens de leurs recours.
41 Par son arrêt dans les affaires jointes T‑12/15, T‑158/15 et T‑258/15, le Tribunal a accueilli les troisième et quatrième moyens, et annulé la décision litigieuse.
L’affaire T‑253/15
42 Par un recours fondé sur sept moyens, Sociedad General de Aguas de Barcelona SA (ci-après « SGAB ») a demandé l’annulation de la décision litigieuse ou, à titre subsidiaire, la limitation de l’ordre de recouvrement des aides fondées sur l’article 12, paragraphe 5, du TRLIS.
43 Le premier moyen était tiré d’une violation de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, en raison d’une erreur de droit en ce qui concernait la condition de sélectivité.
44 Le deuxième moyen était tiré d’une violation de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, dans la mesure où il n’y aurait pas eu d’avantage concurrentiel, SGAB ayant restitué l’avantage fiscal dont elle avait bénéficié.
45 Le troisième moyen était tiré d’une violation de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, dès lors que le régime fiscal prévu à l’article 12, paragraphe 5, du TRLIS constituerait une mesure générale.
46 Les quatrième à septième moyens étaient tirés, respectivement, de l’absence d’aide nouvelle, d’un détournement de pouvoir, de l’inapplicabilité de la nouvelle interprétation administrative à SGAB, et d’une violation des principes d’égalité de traitement et de protection de la confiance légitime.
47 Dans des observations écrites déposées au Tribunal le 17 novembre 2021, SGAB a, au regard des arrêts mentionnés au point 33 du présent arrêt, renoncé aux premier et troisième moyens de son recours.
48 Par son arrêt dans l’affaire T‑253/15, le Tribunal a accueilli les quatrième et septième moyens du recours, et annulé la décision litigieuse.
Les affaires jointes T‑256/15 et T‑260/15
49 Par des recours fondés sur six moyens, Telefónica SA et Iberdrola SA ont demandé l’annulation de la décision litigieuse ou, à titre subsidiaire, la limitation de l’ordre de récupération contenu à l’article 4 de celle-ci.
50 Le premier moyen était tiré d’une violation de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, en raison d’erreurs de droit et d’appréciation en ce qui concernait la condition de sélectivité.
51 Le deuxième moyen était tiré d’une erreur de droit en ce qui concernait la condition d’atteinte à la concurrence et aux échanges entre les États membres.
52 Le troisième moyen était tiré d’erreurs de droit et d’appréciation en ce que la Commission avait considéré que la nouvelle interprétation administrative était susceptible de constituer une aide nouvelle.
53 Le quatrième moyen était tiré d’erreurs de droit et d’appréciation en ce que la Commission avait considéré que les décisions 2011/5 et 2011/282 ne couvraient pas les prises de participations indirectes.
54 Le cinquième moyen était tiré d’une violation des principes de sécurité juridique, d’estoppel et de bonne administration.
55 Le sixième moyen était tiré d’une violation du principe de protection de la confiance légitime.
56 Dans des observations écrites déposées au Tribunal, respectivement, les 13 et 15 novembre 2021, les requérantes dans les affaires T‑256/15 et T‑260/15 ont, au regard des arrêts mentionnés au point 33 du présent arrêt, renoncé aux premier et deuxième moyens de leurs recours.
57 Par son arrêt dans ces affaires, le Tribunal a accueilli les troisième et sixième moyens des recours, et annulé la décision litigieuse.
Les affaires jointes T‑252/15 et T‑257/15
58 Par des recours fondés, respectivement, sur cinq et sur quatre moyens, Ferrovial SA, Ferrovial Servicios SA, Amey UK plc, d’une part, et Arcelormittal Spain Holding SL (ci-après « Arcelormittal Spain »), d’autre part, ont demandé l’annulation de la décision litigieuse ou, à titre subsidiaire, de l’ordre de récupération contenu à l’article 4, paragraphe 2, de celle-ci.
59 L’ensemble des requérantes ont soulevé quatre moyens, tirés, respectivement, d’une violation de l’obligation de motivation, d’une violation de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, en raison d’une erreur de droit en ce qui concernait la condition de sélectivité, de l’absence d’aide nouvelle et d’une violation des principes de protection de la confiance légitime, d’estoppel et de sécurité juridique.
60 Par ailleurs, Ferrovial, Ferrovial Servicios et Amey UK ont soulevé un cinquième moyen, tiré de la nullité de l’ordre de récupération en ce que celui-ci n’excluait pas les opérations antérieures au 10 mars 2005.
61 Dans des observations écrites déposées au Tribunal, respectivement, les 13 et 15 novembre 2021, les requérantes dans les affaires T‑252/15 et T‑257/15 ont, au regard des arrêts mentionnés au point 33 du présent arrêt, renoncé aux premier et deuxième moyens de leurs recours.
62 Par son arrêt dans ces affaires, le Tribunal a accueilli les troisième et quatrième moyens des recours, et annulé la décision litigieuse.
Les conclusions des parties et la procédure devant la Cour
63 La Commission demande :
– d’annuler les arrêts attaqués ;
– de rejeter les recours, et
– de condamner les parties demanderesses en première instance à supporter leurs propres dépens ainsi que ceux exposés par la Commission, tant en première instance que dans le cadre des pourvois.
64 Les autres parties à la procédure demandent :
– de rejeter les pourvois et
– de condamner la Commission à supporter ses propres dépens ainsi que ceux exposés par les autres parties à la procédure, tant en première instance que dans le cadre des pourvois.
65 Par décision du président de la Cour du 18 décembre 2024, les affaires ont été jointes.
Sur les pourvois
66 La Commission présente deux moyens à l’appui de son pourvoi dans l’affaire C‑776/23 P et trois moyens, dont les deux premiers correspondent aux moyens de pourvoi dans cette affaire, à l’appui de ses pourvois dans les affaires C‑777/23 P à C‑780/23 P.
Sur le premier moyen dans les affaires C‑776/23 P à C‑780/23 P, tiré d’une erreur de droit relative à la portée des décisions 2011/5 et 2011/282
Argumentation des parties
67 Selon la Commission, c’est à tort que le Tribunal a considéré que les décisions 2011/5 et 2011/282 concernent aussi bien les prises de participations directes que celles indirectes.
68 Cette institution rappelle qu’elle avait été informée, par la lettre du 4 juin 2007, que le régime fiscal prévu à l’article 12, paragraphe 5, du TRLIS ne s’appliquait qu’aux prises de participations directes. Ce serait au regard de cette information que les décisions 2011/5 et 2011/282 doivent être comprises.
69 La Commission cite, notamment, les arrêts du 16 décembre 2010, Kahla Thüringen Porzellan/Commission (C‑537/08 P, EU:C:2010:769, point 44), et du 20 septembre 2018, Carrefour Hypermarchés e.a. (C‑510/16, EU:C:2018:751, point 38), dont il ressortirait que la portée d’une décision en matière d’aides d’État doit être déterminée non seulement en se référant à son libellé, mais également en prenant en considération les informations fournies par l’État membre concerné.
70 En s’abstenant d’appliquer cette jurisprudence, au motif que celle-ci serait circonscrite aux cas où la Commission décide qu’un régime d’aides notifié est compatible avec le marché intérieur, le Tribunal aurait commis une erreur de droit. À cet égard, la Commission allègue, en se référant à l’arrêt du 16 décembre 2010, Kahla Thüringen Porzellan/Commission (C‑537/08 P, EU:C:2010:769, point 45), que, lors de l’examen d’un régime d’aides, que celui-ci ait été notifié ou non, elle est tenue de se
fonder sur les informations communiquées par l’État membre concerné, ces informations faisant indissociablement partie de ce régime d’aides.
71 En opérant une distinction entre les aides notifiées et les aides non notifiées, le Tribunal aurait, par ailleurs, méconnu la jurisprudence selon laquelle l’examen effectué par la Commission afin de déterminer l’existence d’une aide d’État ne saurait favoriser les États membres qui versent des aides en violation de l’article 108, paragraphe 3, TFUE, au détriment de ceux qui notifient les aides à l’état de projet et s’abstiennent de les mettre en œuvre dans l’attente de la décision finale adoptée
par cette institution (arrêt du 4 mars 2021, Commission/Fútbol Club Barcelona, C‑362/19 P, EU:C:2021:169, point 92 et jurisprudence citée).
72 En outre, en s’appuyant sur les enseignements tirés de l’arrêt du 15 novembre 2011, Commission et Espagne/Government of Gibraltar et Royaume-Uni (C‑106/09 P et C‑107/09 P, EU:C:2011:732, point 165), la Commission soutient que ce ne serait que si elle décide de s’écarter du champ d’application du régime d’aides tel que délimité par l’État membre concerné qu’elle doit l’indiquer dans sa décision, après avoir donné à l’État membre la possibilité de présenter des observations à ce sujet. En l’espèce,
en l’absence d’indication dans les décisions 2011/5 et 2011/282 de ce que la Commission s’écartait de l’interprétation du droit national fournie dans la lettre du 4 juin 2007, ces décisions auraient dû, selon cette institution, être lues par le Tribunal en ce sens qu’elles portent uniquement sur les prises de participations directes.
73 La Commission précise que le fait que les décisions 2011/5 et 2011/282 contiennent des références aux prises de participations indirectes tient au libellé de l’article 21 du TRLIS, auquel renvoie l’article 12, paragraphe 5, de celui-ci. Ces références n’impliqueraient cependant pas que l’examen, effectué par la Commission dans ces décisions, couvre les prises de participations indirectes. La Commission observe au demeurant que, à la date à laquelle elle a pris lesdites décisions, elle n’était pas
en mesure de savoir qu’une nouvelle interprétation administrative, étendant le champ d’application du régime d’aides prévu à l’article 12, paragraphe 5, du TRLIS aux prises de participations indirectes, serait adoptée.
74 En méconnaissant, dans son interprétation des décisions 2011/5 et 2011/282, les diverses composantes, mentionnées ci-dessus, de la jurisprudence en matière d’aides d’État, le Tribunal se serait livré à une interprétation qui ne tient compte ni du contexte dans lequel ces décisions ont été adoptées ni de la finalité des règles dans ce domaine. Il se serait ainsi écarté de la jurisprudence selon laquelle l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union doit tenir compte non seulement des
termes de celle-ci, mais également de son contexte et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie.
75 La Commission observe que le seul élément des décisions 2011/5 et 2011/282 favorable au Royaume d’Espagne et aux entreprises bénéficiaires du régime d’aides prévu à l’article 12, paragraphe 5, du TRLIS porte sur les exceptions à l’obligation de récupération. Dès lors que l’obligation de récupération vise à éliminer les effets de l’application illégale de ce régime et est donc orientée vers le passé, il serait d’autant plus important de lire ces décisions, y compris leurs dispositions
reconnaissant de telles exceptions, en tenant compte de la situation initiale décrite par les autorités espagnoles, caractérisée par l’inapplicabilité dudit régime aux participations indirectes.
76 Les parties demanderesses en première instance contestent tant la recevabilité que le fond du premier moyen.
77 Elles estiment, notamment, que ce moyen des pourvois est irrecevable. Tout en cherchant à créer l’apparence d’une erreur de droit, la Commission se limiterait, en réalité, à faire des assertions factuelles, sans pour autant invoquer une dénaturation des faits.
78 À cet égard, le Royaume d’Espagne souligne que la Commission fonde essentiellement son argumentation sur l’interprétation du droit national qui ressortirait de la lettre du 4 juin 2007, puis de l’avis contraignant du 21 mars 2012. Or, en droit de l’Union, l’interprétation du droit national constituerait un élément de fait. Il ne serait donc pas possible d’en tirer une erreur de droit dans le cadre d’un pourvoi devant la Cour.
79 Selon Banco Santander, Santusa, Abertis, Axa, Ferrovial, Serveo Servicios, Amey UK et Arcelormittal Spain, le premier moyen des pourvois est également irrecevable en ce que, notamment, il porte atteinte au principe de l’autorité de la chose jugée.
80 À cet égard, ces sociétés observent que le fait que les décisions 2011/5 et 2011/282 concernent le régime fiscal prévu à l’article 12, paragraphe 5, du TRLIS, sans distinguer entre son application à des participations directes et à des participations indirectes, a déjà été constaté dans divers arrêts qui sont définitifs et ont donc acquis l’autorité de la chose jugée. À l’appui de cette position, elles se réfèrent à l’arrêt du 19 décembre 2013, Telefónica/Commission (C‑274/12 P, EU:C:2013:852),
aux points 29 et 30 de l’arrêt du 15 novembre 2018, Deutsche Telekom/Commission (T‑207/10, EU:T:2018:786), ainsi que à l’arrêt du 6 octobre 2021, Banco Santander e.a./Commission (C‑53/19 P et C‑65/19 P, EU:C:2021:795). Par le premier moyen de ses pourvois, la Commission viserait, en substance, à obtenir un arrêt de la Cour qui revienne sur une constatation opérée dans les motifs d’une décision pourvue de l’autorité de la chose jugée, ce qui rendrait ce moyen irrecevable.
81 Telefónica, Iberdrola et Arcelormittal Spain ajoutent que le premier moyen des pourvois est, en outre, inopérant, dès lors que la Commission a omis de contester une composante de l’appréciation du Tribunal qui justifie à elle seule l’annulation de la décision litigieuse, à savoir celle constatant que cette décision portait, en substance, révocation des décisions 2011/5 et 2011/282, alors même que les conditions de révocation prévues par le règlement (CE) no 659/1999 du Conseil, du 22 mars 1999,
portant modalités d’application de l’article [108 TFUE] (JO 1999, L 83, p. 1), n’étaient pas réunies. La Commission n’ayant pas remis en cause ce constat, son moyen serait inopérant. En effet, les erreurs qui entacheraient les arrêts attaqués invoqués dans ce moyen, à supposer même qu’elles existent, ne sauraient conduire à l’annulation de ces arrêts, l’annulation de la décision litigieuse opérée par ceux-ci étant de toute manière justifiée en raison du constat de révocation des décisions 2011/5
et 2011/282.
Appréciation de la Cour
– Sur la recevabilité et le caractère opérant du moyen
82 Par son premier moyen, la Commission reproche au Tribunal d’avoir erronément interprété les décisions 2011/5 et 2011/282, en ce qu’il se serait exclusivement fondé sur le libellé de ces décisions, omettant ainsi de tenir compte du contexte dans lequel elles ont été adoptées – dont fait partie l’information fournie par le Royaume d’Espagne, avant l’adoption desdites décisions, sur la portée du droit national – et de la finalité des règles dans le domaine des aides d’État.
83 Ce moyen soulève ainsi le point de savoir si le Tribunal a méconnu les principes régissant l’interprétation des actes de l’Union, ce qui est une question de droit.
84 Certes, les arrêts du 19 décembre 2013, Telefónica/Commission (C‑274/12 P, EU:C:2013:852, points 29 et 30), ainsi que du 15 novembre 2018, Deutsche Telekom/Commission (T‑207/10, EU:T:2018:786), ou l’arrêt du 6 octobre 2021, Banco Santander e.a./Commission (C‑53/19 P et C‑65/19 P, EU:C:2021:795), auxquels se réfèrent Banco Santander, Santusa, Abertis, Axa, Ferrovial, Serveo Servicios, Amey UK et Arcelormittal Spain, sont pourvus de l’autorité de la chose jugée. Toutefois, leur contenu ne corrobore
ni n’infirme la position de ces sociétés selon laquelle les décisions 2011/5 et 2011/282 concernent tant les prises de participations directes que les prises de participations indirectes. Il ne saurait donc être affirmé que la Commission méconnaît le principe de l’autorité de la chose jugée en faisant valoir que ces décisions ne concernent que les prises de participations directes.
85 Dans la mesure où certaines parties demanderesses en première instance allèguent encore que le premier moyen des pourvois est inopérant, la Commission ne contestant pas l’appréciation du Tribunal, qui serait à elle seule décisive, selon laquelle la décision litigieuse révoque en substance les décisions 2011/5 et 2011/282, force est de constater que cette allégation repose sur une lecture erronée de ce moyen. En faisant valoir que le Tribunal a commis une erreur de droit dans l’interprétation des
décisions 2011/5 et 2011/282, la Commission soutient que, si le Tribunal n’avait pas commis cette erreur, il aurait nécessairement constaté que ces décisions portent uniquement sur les prises de participations directes. Par cette argumentation, la Commission exprime clairement sa position selon laquelle la décision litigieuse, qui concerne les prises de participations indirectes, ne révoque pas les décisions 2011/5 et 2011/282. Ainsi, il ne saurait être affirmé que cette institution s’abstient de
remettre en cause l’appréciation du Tribunal selon laquelle la décision litigieuse opère, en substance, une telle révocation.
86 Par conséquent, le premier moyen est recevable et n’est pas inopérant.
– Sur le fond
87 Il est constant entre les parties que l’article 12, paragraphe 5, du TRLIS autorisait sous certaines conditions, aux fins de la détermination de l’impôt sur les sociétés en Espagne, la déduction de la survaleur financière résultant de participations prises par des sociétés fiscalement domiciliées en Espagne dans le capital de sociétés fiscalement domiciliées dans d’autres pays.
88 Par les décisions 2011/5 et 2011/282, dont la première s’applique aux participations prises dans le capital de sociétés fiscalement domiciliées dans un État membre de l’Union autre que le Royaume d’Espagne et la seconde aux participations prises dans le capital de sociétés fiscalement domiciliées en dehors de l’Union, la Commission a qualifié l’article 12, paragraphe 5, du TRLIS de régime d’aides d’État illégalement mis en œuvre.
89 Dans ces décisions, la Commission a ordonné la cessation de ce régime et la récupération des sommes correspondant aux déductions fiscales appliquées, tout en autorisant explicitement, par souci de protection de la confiance légitime, la continuation dudit régime en ce qui concerne les prises de participations directes et indirectes qui remplissaient les conditions pertinentes du régime d’aides avant le 21 décembre 2007, date de la publication du résumé de la décision d’ouvrir la procédure
formelle d’examen. Par ailleurs, la Commission a autorisé la continuation du même régime en ce qui concerne, notamment, les participations majoritaires prises au plus tard le 21 mai 2011, date de la publication de la décision 2011/282, directement ou indirectement dans des entreprises étrangères établies en Chine, en Inde ou dans d’autres pays où l’existence d’obstacles juridiques explicites aux regroupements transfrontières d’entreprises a été démontrée ou peut l’être.
90 Par les arrêts mentionnés au point 33 du présent arrêt, la Cour a rejeté les pourvois dirigés contre les arrêts du Tribunal portant rejet des recours tendant à l’annulation des décisions 2011/5 et 2011/282.
91 Par conséquent, sous réserve d’une révision des arrêts mentionnés au point 33 du présent arrêt par la Cour, la légalité des décisions 2011/5 et 2011/282 est définitivement établie.
92 En ce qui concerne l’interprétation de la portée de ces décisions, c’est à bon droit que le Tribunal a considéré, au point 46 de l’arrêt attaqué dans l’affaire C‑776/23 P, au point 52 de l’arrêt attaqué dans l’affaire C‑777/23 P, au point 62 de l’arrêt attaqué dans l’affaire C‑778/23 P, au point 53 de l’arrêt attaqué dans l’affaire C‑779/23 P et au point 52 de l’arrêt attaqué dans l’affaire C‑780/23 P, que le principe de sécurité juridique, qui exige que les règles de droit soient claires,
précises et prévisibles dans leurs effets, afin que les intéressés puissent s’orienter dans les situations et relations juridiques relevant de l’ordre juridique de l’Union et prendre leurs dispositions en conséquence, s’applique lorsque la Commission adopte une décision en matière d’aides d’État.
93 Cela vaut, en particulier, pour les décisions négatives par lesquelles la Commission ordonne la cessation et la récupération d’aides. L’État membre destinataire d’une décision l’obligeant à récupérer des aides est tenu, en vertu de l’article 288, quatrième alinéa, TFUE, de prendre toutes les mesures propres à assurer l’exécution d’une telle décision. Il est donc indispensable, en vertu du principe de sécurité juridique, qu’une décision de ce type indique de manière claire, précise et prévisible
quelles aides doivent être récupérées (voir, en ce sens, arrêt du 8 décembre 2011, France Télécom/Commission, C‑81/10 P, EU:C:2011:811, points 100 à 104).
94 En l’espèce, il ressort explicitement de l’article 1er, paragraphe 2, de la décision 2011/5, ainsi que des considérants 167, 170 et 175 de celle-ci, de même que de l’article 1er, paragraphes 2 et 4, et du considérant 210 de la décision 2011/282 que les exceptions aux obligations de cessation et de récupération visées par ces décisions concernent aussi bien les prises de participations directes, qui couvrent, selon l’explication de la Commission, citée au point 21 du présent arrêt, les
participations au capital d’une entreprise, que les prises de participations indirectes, qui couvrent, selon la même explication, les participations au capital d’une filiale de deuxième niveau ou de niveau inférieur.
95 Dans ces conditions, le Tribunal non seulement pouvait, mais devait, déduire du libellé même des décisions 2011/5 et 2011/282 que ces décisions portaient aussi bien sur les prises de participations directes qu’indirectes. Interpréter lesdites décisions dans un sens contraire à leur libellé clair porterait atteinte au principe de sécurité juridique rappelé ci‑dessus et serait par ailleurs incompatible avec la jurisprudence constante selon laquelle, lorsque le sens d’une disposition du droit de
l’Union ressort sans ambiguïté du libellé même de celle-ci, le juge de l’Union ne saurait s’en départir (arrêts du 8 décembre 2005, BCE/Allemagne, C‑220/03, EU:C:2005:748, point 31, et du 16 janvier 2025, DYKA Plastics, C‑424/23, EU:C:2025:15, point 37).
96 Au demeurant, contrairement à ce qu’affirme la Commission, il ne saurait être reproché au Tribunal d’avoir omis d’examiner le contexte dans lequel les décisions 2011/5 et 2011/282 ont été adoptées, en particulier l’information fournie par les autorités espagnoles dans la lettre du 4 juin 2007, ou la finalité des règles en matière d’aides d’État.
97 S’agissant de l’information contenue dans la lettre du 4 juin 2007, selon laquelle l’article 12, paragraphe 5, du TRLIS portait uniquement, selon l’interprétation administrative alors appliquée par les autorités espagnoles, sur les prises de participations directes, force est de constater que le Tribunal a intégré cet élément de contexte dans son raisonnement. Il en est ainsi, notamment, aux points 49 à 53 de l’arrêt attaqué dans l’affaire C‑776/23 P, aux points 55 à 59 de l’arrêt attaqué dans
l’affaire C‑777/23 P, aux points 65 à 69 de l’arrêt attaqué dans l’affaire C‑778/23 P, aux points 56 à 60 de l’arrêt attaqué dans l’affaire C‑779/23 P et aux points 55 à 59 de l’arrêt attaqué dans l’affaire C‑780/23 P.
98 Ainsi que le Tribunal l’a constaté dans ces passages des arrêts attaqués, la Commission a elle-même estimé, au considérant 151 de la décision litigieuse, que la distinction entre les prises de participations directes et les prises de participations indirectes n’était pas pertinente aux fins de l’appréciation contenue dans les décisions 2011/5 et 2011/282. Il apparaît ainsi que, par ces décisions, la Commission a apprécié l’article 12, paragraphe 5, du TRLIS en faisant abstraction de
l’interprétation administrative du TRLIS suivie par les autorités espagnoles et que celles-ci lui avaient communiquée.
99 Au regard de ces circonstances, il n’y a aucun besoin, aux fins de l’interprétation des décisions 2011/5 et 2011/282, d’examiner l’argument de la Commission selon lequel serait transposable au cas d’espèce, et cela nonobstant le fait que celui-ci porte sur un régime non notifié, la jurisprudence, rappelée au point 69 du présent arrêt, selon laquelle la portée d’une décision par laquelle la Commission ne soulève pas d’objection à l’égard d’un régime d’aides notifié doit être déterminée non
seulement en se référant au texte même de cette décision, mais également en tenant compte de la notification effectuée par l’État membre concerné.
100 Pour ce qui concerne la finalité des règles en matières d’aides d’État, il y a lieu de considérer que, parmi les objectifs poursuivis par ces règles, celui de la prévisibilité des relations juridiques, qui relève du principe de sécurité juridique rappelé au point 92 du présent arrêt, est d’une importance particulière lorsque le litige concerne, comme en l’espèce, l’adoption par la Commission de plusieurs décisions consécutives se rapportant à un même système fiscal national. Dès lors que la
Commission a, par la décision litigieuse, qualifié les déductions fiscales de la survaleur financière résultant des prises de participations indirectes d’aides d’État et ordonné leur cessation et leur récupération, alors même que, sous réserve de remplir les conditions décrites à l’article 1er, paragraphe 2, de la décision 2011/5 et à l’article 1er, paragraphes 2 et 4, de la décision 2011/282, ces déductions pouvaient continuer à s’appliquer, c’est effectivement au regard des principes généraux
du droit de l’Union, dont le principe de sécurité juridique, qu’il incombait au Tribunal de se prononcer, sans qu’il lui soit besoin d’opérer un examen exhaustif des objectifs des règles en matière d’aides d’État.
101 Au regard de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu d’écarter le premier moyen des pourvois.
Sur le deuxième moyen dans les affaires C‑776/23 P à C‑780/23 P, tiré d’une erreur de droit relative à la valeur d’une pratique administrative contraignante
Argumentation des parties
102 Selon la Commission, le Tribunal a commis une erreur de droit en considérant qu’une nouvelle interprétation administrative ne saurait étendre le champ d’application d’un régime d’aides.
103 À cet égard, la Commission rappelle la jurisprudence selon laquelle, lors de l’examen de la question de savoir si une mesure constitue une aide d’État, ce sont ses effets qui comptent (voir, en ce sens, arrêts du 22 décembre 2008, British Aggregates/Commission, C‑487/06 P, EU:C:2008:757, point 89, ainsi que du 21 décembre 2016, Commission/Aer Lingus et Ryanair Designated Activity, C‑164/15 P et C‑165/15 P, EU:C:2016:990, point 69). Il ressortirait également de la jurisprudence de la Cour que les
circulaires administratives peuvent déterminer les effets d’un régime d’aides (voir, en ce sens, arrêt du 8 novembre 2022, Fiat Chrysler Finance Europe/Commission, C‑885/19 P et C‑898/19 P, EU:C:2022:859, point 91).
104 Dans les arrêts attaqués, le Tribunal aurait reconnu que, jusqu’à la nouvelle interprétation administrative, les autorités espagnoles n’appliquaient le régime fiscal prévu à l’article 12, paragraphe 5, du TRLIS qu’aux prises de participations directes. Il aurait, par ailleurs, reconnu que cette nouvelle interprétation liait ces autorités et que celles-ci avaient, depuis l’introduction de ladite interprétation, appliqué ce régime aux prises de participations indirectes. Dans ces conditions, il
est évident, selon la Commission, que le Tribunal aurait dû constater que la nouvelle interprétation administrative avait élargi le champ d’application dudit régime.
105 Dans la mesure où le Tribunal a fait l’appréciation inverse au motif que la nouvelle interprétation administrative ne pouvait élargir le champ d’application du régime d’aides dès lors qu’elle ne liait pas les assujettis concernés, la Commission soutient que le fait que certaines entreprises puissent avoir eu une interprétation différente de ce régime et aient donc appliqué la déduction fiscale dans des cas de prises de participations indirectes avant l’adoption de la nouvelle interprétation
administrative, ce qui a pu, dans certains cas, échapper au contrôle de l’administration en raison du système d’autoliquidation de l’impôt sur les sociétés espagnoles, ne change rien au champ d’application dudit régime.
106 Au demeurant, le fait même que chaque entreprise peut avoir une interprétation différente du champ d’application d’un régime d’aides et qu’il appartient en définitive aux juridictions de clarifier quelle est la portée de celui-ci démontrerait à quel point il est indispensable, lors de la procédure administrative conduisant à la décision de la Commission sur ce régime, de prendre en considération les informations fournies par l’État membre. Cette institution rappelle, à cet égard, que le régime
d’aides prévu à l’article 12, paragraphe 5, du TRLIS est entré en vigueur le 1er janvier 2002. Il serait évident que la Commission ne pouvait pas attendre que les juridictions nationales se prononcent définitivement sur la portée de ce régime.
107 Les parties demanderesses en première instance font valoir que ce deuxième moyen des pourvois est irrecevable car il viserait, sans que soit invoquée une dénaturation, à obtenir un réexamen de l’interprétation du droit national effectuée par le Tribunal, ce qui constituerait une question de fait et reposerait sur une lecture erronée des arrêts attaqués.
108 Banco Santander, Santusa, Abertis, Axa et SGAB estiment que le deuxième moyen des pourvois est, en outre, inopérant, puisque le débat devant le Tribunal a consisté non pas à déterminer si la nouvelle interprétation administrative avait modifié le régime d’aides prévu à l’article 12, paragraphe 5, du TRLIS, mais à déterminer si les décisions 2011/5 et 2011/282 portaient aussi bien sur les prises de participations directes que sur les prises de participations indirectes.
109 La Commission soutient que l’éventuel rejet du premier moyen des pourvois signifierait non pas que la Cour confirme que les décisions 2011/5 et 2011/282 couvraient tant les prises de participations directes que les prises de participations indirectes, mais seulement que le Tribunal n’a pas commis d’erreur en laissant inappliquée la jurisprudence issue de l’arrêt du 16 décembre 2010, Kahla Thüringen Porzellan/Commission (C‑537/08 P, EU:C:2010:769). Le deuxième moyen des pourvois ne serait, dès
lors, pas inopérant.
Appréciation de la Cour
110 Par le deuxième moyen des pourvois, la Commission soutient que le Tribunal, en jugeant qu’une nouvelle interprétation administrative ne produisant d’effet contraignant qu’à l’égard de l’administration ne peut pas étendre le champ d’application d’un régime d’aides, a méconnu la jurisprudence de la Cour visée au point 103 du présent arrêt, selon laquelle la qualification d’une mesure d’aide d’État dépend non pas de sa forme, mais de ses effets. Contrairement à ce que soutiennent les parties
demanderesses en première instance, la Commission ne vise pas à contester, hors tout grief de dénaturation, l’interprétation par le Tribunal du droit national, mais invoque une erreur de droit. Le deuxième moyen est, dès lors, recevable.
111 Cela étant, ainsi qu’il ressort de l’examen du premier moyen des pourvois, au regard des principes régissant l’interprétation des actes de l’Union, le Tribunal non seulement pouvait, mais devait, constater que les décisions 2011/5 et 2011/282 concernaient aussi bien les prises de participations directes que les prises de participations indirectes.
112 Par conséquent, le droit de l’Union, dont fait partie le principe de sécurité juridique, s’opposait, comme le Tribunal l’a à bon droit constaté, à ce que la Commission qualifie les déductions fiscales de la survaleur financière résultant des prises de participations indirectes de nouveau régime d’aides d’État illégalement mis en œuvre.
113 Au regard de ce résultat de l’examen du premier moyen des pourvois, il apparaît que la prémisse sur laquelle est fondé le deuxième moyen, selon laquelle la nouvelle interprétation administrative a eu pour effet d’étendre le régime fiscal prévu à l’article 12, paragraphe 5, du TRLIS à une catégorie de participations, à savoir celle des participations indirectes, qui n’était pas couverte par les décisions 2011/5 et 2011/282, est erronée.
114 Ce deuxième moyen n’est donc pas susceptible de remettre en cause le bien-fondé des arrêts attaqués, et cela même s’il devait s’avérer que le Tribunal aurait commis une erreur de droit en ne reconnaissant pas qu’une nouvelle interprétation administrative peut, dans certaines circonstances, étendre le champ d’application d’un régime d’aides.
115 Il s’ensuit que le deuxième moyen des pourvois est inopérant.
Sur le troisième moyen soulevé dans les affaires C‑777/23 P à C‑780/23 P, tiré d’une erreur de droit dans l’interprétation et l’application du principe de protection de la confiance légitime
Argumentation des parties
116 La Commission rappelle que, au considérant 190 de la décision litigieuse, elle a exposé que la confiance légitime reconnue dans les décisions 2011/5 et 2011/282 ne pouvait concerner les prises de participations indirectes, dès lors que celles-ci n’étaient pas couvertes par le champ d’application de l’article 12, paragraphe 5, du TRLIS au moment de l’adoption de ces décisions. Elle observe, à cet égard, que la confiance légitime peut uniquement être fondée sur des éléments de fait connus au
moment de l’adoption d’une décision et non au cours d’événements futurs et incertains comme, en l’espèce, l’introduction d’une nouvelle interprétation administrative.
117 À cet égard, la Commission fait remarquer que, selon la jurisprudence du Tribunal, en particulier l’arrêt du 15 novembre 2018, Deutsche Telekom/Commission (T‑207/10, EU:T:2018:786, point 98), l’application du principe de protection de la confiance légitime vise le maintien d’une situation qui est, par définition, née avant l’acte générateur de cette confiance.
118 Le Tribunal aurait ignoré cette jurisprudence et ainsi commis une erreur de droit dans l’interprétation et l’application du principe de protection de la confiance légitime en jugeant, dans les arrêts attaqués, que les bénéficiaires du régime fiscal prévu à l’article 12, paragraphe 5, du TRLIS avaient, jusqu’au 21 décembre 2007, date de la décision d’ouverture de la procédure formelle d’examen, pu légitimement considérer, sur le fondement des réponses de la Commission aux questions parlementaires
visées au point 5 du présent arrêt, que ce régime n’était pas constitutif d’une aide d’État en ce qui concernait tant les prises de participations directes que les prises de participations indirectes, et en déduisant de ce constat que la Commission avait commis une erreur de droit en refusant, dans la décision litigieuse, de reconnaître une confiance légitime à ces bénéficiaires au titre de leurs prises de participations indirectes.
119 Banco Santander, Santusa, Abertis, Axa, SGAB, Telefónica, Iberdrola, Ferrovial, Serveo Servicios, Amey UK et Arcelormittal Spain contestent cette argumentation.
120 Selon elles, ce troisième moyen part de la prémisse erronée selon laquelle les prises de participations indirectes ne relèvent pas du champ d’application des décisions 2011/5 et 2011/282.
121 Par conséquent, si la Cour devait, dans le cadre de son examen des deux premiers moyens, constater que c’est à bon droit que le Tribunal a considéré que le champ d’application de ces décisions englobe les prises de participations indirectes, le troisième moyen deviendrait inopérant.
Appréciation de la Cour
122 Ainsi qu’il ressort de l’examen du premier moyen des pourvois, les décisions 2011/5 et 2011/282 doivent, au regard de leur libellé clair, être comprises en ce sens que la confiance légitime reconnue dans celles-ci par la Commission concerne aussi bien les prises de participations directes que les prises de participations indirectes.
123 Partant, à supposer même que le Tribunal ait commis une erreur dans l’interprétation ou l’application du principe de protection de la confiance légitime en constatant que les bénéficiaires du régime fiscal prévu à l’article 12, paragraphe 5, du TRLIS pouvaient, jusqu’au 21 décembre 2007, légitimement croire, sur la base des réponses de la Commission aux questions parlementaires visées au point 5 du présent arrêt, que ce régime ne constituait pas un régime d’aides d’État, il n’en demeurerait pas
moins que la Commission a elle-même constaté une telle confiance légitime dans les décisions 2011/5 et 2011/282, et cela, explicitement, aussi bien pour les prises de participations directes que pour les prises de participations indirectes.
124 Par conséquent, la prétendue erreur dans l’interprétation ou l’application du principe de protection de la confiance légitime commise par le Tribunal, alléguée par ce troisième moyen, n’est pas susceptible d’entacher d’erreur l’annulation de la décision litigieuse sur le fondement de la violation du principe de sécurité juridique, confirmée lors de l’examen du premier moyen des pourvois.
125 Le présent moyen étant donc inopérant, il doit être écarté.
126 Aucun moyen des pourvois ne pouvant être accueilli, les pourvois doivent être rejetés.
Sur les dépens
127 En vertu de l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, lorsque le pourvoi n’est pas fondé, la Cour statue sur les dépens.
128 L’article 138, paragraphe 1, de ce règlement, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, dudit règlement, dispose que toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.
129 Le Royaume d’Espagne, Banco Santander, Santusa, Abertis, Axa, SGAB, Telefónica, Iberdrola, Ferrovial, Serveo Servicios, Amey UK et Arcelormittal Spain ayant conclu à la condamnation de la Commission aux dépens et cette dernière ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par le Royaume d’Espagne, Banco Santander, Santusa, Abertis, Axa, SGAB, Telefónica, Iberdrola, Ferrovial, Serveo Servicios, Amey UK et Arcelormittal Spain dans le
cadre des pourvois.
Par ces motifs, la Cour (huitième chambre) déclare et arrête :
1) Les pourvois dans les affaires C‑776/23 P à C‑780/23 P sont rejetés.
2) La Commission européenne supportera ses propres dépens ainsi que ceux exposés par le Royaume d’Espagne, Banco Santander SA, Santusa Holding SL, Abertis Infraestructuras SA, Axa Mediterranean Holding SA, Sociedad General de Aguas de Barcelona SA, Telefónica SA, Iberdrola SA, Ferrovial SE, Serveo Servicios SA, Amey UK Ltd et Arcelormittal Spain Holding SL, afférents aux pourvois.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : l’espagnol.