ARRÊT DU TRIBUNAL (cinquième chambre)
4 juillet 2013 ( *1 )
«Médicaments à usage humain — Demande d’autorisation de mise sur le marché du médicament Orphacol — Décision de refus de la Commission — Règlement (CE) no 726/2004 — Directive 2001/83/CE — Usage médical bien établi — Circonstances exceptionnelles»
Dans l’affaire T‑301/12,
Laboratoires CTRS, établis à Boulogne-Billancourt (France), représentés par Mmes K. Bacon, barrister, M. Utges Manley et M. Barnden, solicitors,
partie requérante,
soutenus par
République tchèque, représentée par MM. M. Smolek et D. Hadroušek, en qualité d’agents,
par
Royaume de Danemark, représenté par Mme V. Pasternak Jørgensen et M. C. Thorning, en qualité d’agents,
par
République française, représentée par M. D. Colas, Mme F. Gloaguen et M. S. Menez, en qualité d’agents,
par
République d’Autriche, représentée par Mme C. Pesendorfer et M. A. Posch, en qualité d’agents,
et par
Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, représenté initialement par Mme S. Behzadi-Spencer, en qualité d’agent, puis par Mme C. Murrel et enfin par M. L. Christie, en qualité d’agents, assistés de M. J. Holmes, barrister,
parties intervenantes,
contre
Commission européenne, représentée par M. E. White, Mme M. Šimerdová et M. L. Banciella, en qualité d’agents,
partie défenderesse,
soutenue par
République de Pologne, représentée initialement par MM. B. Majczyna et M. Szpunar, puis par M. Majczyna, en qualité d’agents,
partie intervenante,
ayant pour objet une demande d’annulation de la décision d’exécution de la Commission C (2012) 3306 final, du 25 mai 2012, refusant une autorisation de mise sur le marché conformément au règlement (CE) no 726/2004 du Parlement européen et du Conseil pour le médicament orphelin à usage humain «Orphacol – Acide cholique»,
LE TRIBUNAL (cinquième chambre),
composé de MM. S. Papasavvas, président, V. Vadapalas (rapporteur) et K. O’Higgins, juges,
greffier : Mme S. Spyropoulos, administrateur,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 12 avril 2013,
rend le présent
Arrêt
Antécédents du litige
1 La requérante, les Laboratoires CTRS, a élaboré le médicament Orphacol, destiné à traiter deux rares mais très sérieuses affections hépatiques. Ces maladies, à défaut de traitement approprié dans les premières semaines ou premiers mois de la vie, pourraient entraîner le décès.
2 Le 30 octobre 2009, la requérante a déposé une demande d’autorisation de mise sur le marché (ci-après l’«AMM») de ce médicament, en vertu de la procédure prévue par le règlement (CE) no 726/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, établissant des procédures communautaires pour l’autorisation et la surveillance en ce qui concerne les médicaments à usage humain et à usage vétérinaire, et instituant une Agence européenne des médicaments (JO L 136, p. 1), tel que modifié par le
règlement (CE) no 1901/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2006, relatif aux médicaments à usage pédiatrique, modifiant également le règlement (CEE) no 1768/92 et les directives 2001/20/CE et 2001/83/CE (JO L 378, p. 1).
3 Le 16 décembre 2010, le comité des médicaments à usage humain (ci-après le «CMUH»), relevant de l’Agence européenne des médicaments, a émis un avis favorable, recommandant que soit accordée l’AMM pour ledit médicament. Le 14 avril 2011, à la suite de précisions demandées par la Commission européenne, ledit comité a émis un avis révisé, également favorable.
4 Le 7 juillet 2011, la Commission a soumis au comité permanent des médicaments à usage humain (ci-après le «comité permanent») un projet de décision refusant de délivrer à la requérante une AMM pour le médicament Orphacol.
5 Le 13 septembre 2011, le comité permanent a discuté du projet de décision de la Commission refusant l’AMM, mais n’a pas procédé à un vote et a repoussé la discussion à sa prochaine réunion.
6 Le 13 octobre 2011, le comité permanent a délivré un avis défavorable à l’égard du projet de décision de la Commission refusant l’AMM.
7 Le 24 octobre 2011, la Commission a soumis au comité d’appel le projet de décision refusant l’AMM.
8 Le 8 novembre 2011, le comité d’appel a également émis un avis défavorable à l’égard du projet de décision de la Commission refusant l’AMM.
9 Le 12 janvier 2012, la requérante a introduit un recours visant à faire constater une carence de la Commission en ce que celle-ci se serait illégalement abstenue d’adopter une décision définitive quant à la demande d’AMM du médicament Orphacol et, à titre subsidiaire, une demande d’annulation de la décision, prétendument contenue dans une lettre de la Commission du 5 décembre 2011, de ne pas lui accorder ladite AMM.
10 Le 23 avril 2012, la Commission a soumis au comité permanent un projet modifié de décision refusant également de délivrer l’AMM à la requérante.
11 Le 8 mai 2012, le comité permanent s’est réuni, mais n’a pas pu émettre un avis, faute de majorité qualifiée lors du vote concernant ledit projet modifié.
12 Le 25 mai 2012, la Commission a adopté la décision d’exécution C (2012) 3306 final, refusant une AMM conformément au règlement no 726/2004 pour le médicament orphelin à usage humain «Orphacol – Acide cholique» (ci-après «la décision attaquée»), en indiquant, en substance, que les conditions d’octroi d’une AMM n’étaient pas remplies en l’espèce.
13 Dans l’arrêt du Tribunal du 4 juillet 2012, Laboratoires CTRS/Commission (T‑12/12), le Tribunal a déclaré, d’une part, que la demande en carence était irrecevable et, d’autre part, que la décision attaquée ayant procédé au remplacement de la décision portant refus de l’AMM contenue dans la lettre du 5 décembre 2011, il n’y avait plus lieu de statuer sur la demande en annulation formulée par la requérante.
Procédure et conclusions des parties
14 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 10 juillet 2012, la requérante a introduit le présent recours.
15 Par acte séparé, déposé au greffe du Tribunal le même jour, la requérante a introduit une demande de procédure accélérée au titre de l’article 76 bis du règlement de procédure du Tribunal.
16 Par décision du 26 juillet 2012, le Tribunal (cinquième chambre) n’a pas fait droit à cette demande, mais a décidé d’accorder à cette affaire un traitement prioritaire.
17 Respectivement les 12 septembre, 8, 9 octobre, 13 et 26 septembre 2012, la République tchèque, le Royaume de Danemark, la République française, la République d’Autriche et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord ont demandé à être admis à intervenir au soutien des conclusions de la requérante. Le 9 octobre 2012, la République de Pologne a demandé à intervenir au soutien des conclusions de la Commission. Ces demandes en intervention ont été signifiées aux parties, lesquelles ont
fait part de leurs observations dans les délais impartis. Il a été fait droit à ces demandes par ordonnance du président de la cinquième chambre du Tribunal du 23 octobre 2012.
18 Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal a décidé d’ouvrir la procédure orale et, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 64 du règlement de procédure, a, le 7 mars 2013, invité la Commission et la République française à répondre à des questions écrites avant l’audience. La Commission et la République française ont répondu à ces questions dans les délais impartis.
19 Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales posées par le Tribunal lors de l’audience du 12 avril 2013.
20 La requérante, soutenue par la République tchèque sur les deux moyens qu’elle avance, par le Royaume de Danemark sur le premier moyen, par la République française, la République d’Autriche et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord sur le second moyen, conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
— annuler la décision attaquée ;
— condamner la Commission aux dépens.
21 Dans ses observations sur les mémoires en intervention, la requérante demande, indépendamment de la décision du Tribunal sur le premier moyen, que le Tribunal statue sur les deux moyens qu’elle avance.
22 La Commission, soutenue sur le second moyen par la République de Pologne, conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
— rejeter le recours comme non fondé ;
— condamner la requérante aux dépens.
En droit
23 À l’appui de son recours, la requérante avance deux moyens. Le premier est tiré d’une violation du règlement (UE) no 182/2011 du Parlement européen et du Conseil, du 16 février 2011, établissant les règles et principes généraux relatifs aux modalités de contrôle par les États membres de l’exercice des compétences d’exécution par la Commission (JO L 55, p. 13), qui abroge la décision 1999/468/CE du Conseil, du 28 juin 1999, fixant les modalités de l’exercice des compétences d’exécution conférées à
la Commission (JO L 184, p. 23). Dans le cadre du second moyen, que le Tribunal considère utile d’examiner en premier lieu, la requérante soutient que les trois raisons, figurant dans l’annexe I de la décision attaquée, pour lesquelles la Commission a pris une décision négative à l’encontre de sa demande d’AMM sont manifestement incorrectes. Ce serait à tort que la Commission a considéré, premièrement, que l’utilisation de l’acide cholique en tant qu’«usage médical bien établi» n’avait pas été
démontrée, deuxièmement, que les données bibliographiques devaient être complètes et que la notion de «circonstances exceptionnelles» ne pouvait être évoquée et, troisièmement, qu’accorder une AMM en l’espèce porterait atteinte, d’une part, aux objectifs du règlement no 1901/2006 et, d’autre part, à la protection de l’innovation.
24 À titre liminaire, il convient de relever que, par sa décision C (2002) 5453, du 18 décembre 2002, adoptée conformément au règlement (CE) no 141/2000 du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 1999, concernant les médicaments orphelins (JO 2000, L 18, p. 1), la Commission a désigné l’acide cholique comme étant un médicament orphelin.
25 Par ailleurs, il résulte du dossier qu’aucun médicament contenant de l’acide cholique en tant que substance active n’a obtenu d’AMM dans l’Union européenne. En revanche, des capsules d’acide cholique ont été utilisées pour traiter des patients en France entre 1993 et octobre 2007 en tant que préparations hospitalières, prévues par l’article L. 5121-1 (2o) du code de la santé publique français. Depuis cette date, des capsules d’acide cholique sont autorisées en France, sous le nom d’Orphacol, en
vertu de l’article L. 5121-12 du code de la santé publique (délivrance à un «patient nommément désigné et à titre d’usage compassionnel»).
26 Il convient encore de relever qu’il résulte du deuxième considérant de la décision attaquée que la demande d’AMM déposée par la requérante était fondée sur l’article 10 bis de la directive 2001/83/CE du Parlement européen et du Conseil, du 6 novembre 2001, instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain (JO L 311, p. 67), telle que modifiée par la directive 2004/27/CE du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004 (JO L 136, p. 34), concernant l’usage médical bien
établi, et mentionnait l’existence de circonstances exceptionnelles au sens de l’article 14, paragraphe 8, du règlement no 726/2004.
27 Il convient, enfin, de relever, d’une part, que l’avis révisé du CMUH mentionne toute une liste de références bibliographiques, fournies par la requérante, concernant des études portant sur l’acide cholique, réalisées dans des hôpitaux, notamment en France, antérieures de plus de dix ans à la date de la demande d’AMM. D’autre part, le CMUH a considéré que le demandeur avait démontré qu’il n’était pas en mesure de fournir une documentation exhaustive quant à l’efficacité et à la sécurité de
l’acide cholique, en raison des circonstances exceptionnelles dans lesquelles cette substance avait été utilisée, et, à l’issue de son analyse, il a conclu que le demandeur avait suffisamment démontré que les bénéfices de l’Orphacol l’emportaient sur les risques pour donner un avis favorable à la demande d’AMM.
Sur la conclusion prétendument erronée selon laquelle l’utilisation de l’acide cholique en tant qu’usage médical bien établi n’a pas été démontrée
28 La requérante, soutenue par la République tchèque, la République française et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, rappelle que le CMUH a considéré que l’utilisation de l’acide cholique en tant que préparation hospitalière entre 1993 et 2007 était suffisamment systématique et bien documentée pour démontrer l’existence d’un usage médical bien établi pendant une période supérieure à dix ans.
29 La Commission, soutenue par la République de Pologne, souligne qu’elle ne conteste pas que l’acide cholique a été utilisé pendant une période de plus de dix ans dans l’Union, mais avance que cet usage doit être bien établi, au sens de l’article 10 bis de la directive 2001/83. Cette disposition, en tant que dérogation expresse aux exigences en matière de renseignements prévues à l’article 8, paragraphe 3, de la directive 2001/83, devrait être appliquée restrictivement. Or, la condition d’un usage
médical bien établi ne pourrait être satisfaite par le recours aux préparations hospitalières prévues par le droit français, car, d’une part, celles-ci n’entreraient pas dans le champ d’application de l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2001/83 et, d’autre part, il résulterait des termes de cette disposition une obligation de déclaration et de contrôle des médicaments concernés. Par ailleurs, lors de l’audience, à la suite d’une question posée par le Tribunal, la Commission a avancé que la
France ne pouvait avoir exclu les préparations hospitalières, en vertu de l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2001/83, des dispositions de cette directive, une telle exclusion ne devant pouvoir être faite que cas par cas.
30 La République de Pologne avance que la requérante ne peut pas invoquer l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2001/83 et renvoie, à cet égard, aux conclusions de l’avocat général M. Jääskinen sous l’arrêt de la Cour du 29 mars 2012, Commission/Pologne (C‑185/10), dont elle déduit que seuls les États membres disposent du droit d’exclure l’application des dispositions de la directive 2001/83 à l’égard de certains médicaments.
31 À cet égard, il convient de rappeler que l’article 8, paragraphe 3, de la directive 2001/83 prévoit notamment, en sa disposition sous i), que toute demande d’AMM doit être accompagnée des résultats des essais précliniques et cliniques dudit médicament.
32 L’article 10 bis de la directive 2001/83 prévoit toutefois que, par dérogation à l’article 8, paragraphe 3, sous i), de ladite directive, le demandeur n’est pas tenu de fournir les résultats des essais précliniques et cliniques s’il peut démontrer que les substances actives du médicament sont d’un usage médical bien établi depuis au moins dix ans dans la Communauté et présentent une efficacité reconnue ainsi qu’un niveau acceptable de sécurité en vertu des conditions prévues à l’annexe I. Dans ce
cas, les résultats de ces essais sont remplacés par une documentation bibliographique scientifique appropriée.
33 Selon l’annexe I, partie III, point 5, deuxième tiret, de la directive 2001/83, quand un demandeur d’une AMM d’un médicament orphelin invoque les dispositions de l’article 10 bis de ladite directive et de la partie II, point 1 (Usage médical bien établi), de cette annexe, l’utilisation systématique et documentée de la substance concernée peut se référer – à titre dérogatoire – à l’utilisation de cette substance conformément aux dispositions de l’article 5 de ladite directive.
34 Aux termes de l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2001/83, un État membre peut exclure de son champ d’application, en vue de répondre à des besoins spéciaux, les médicaments fournis pour répondre à une commande loyale et non sollicitée, élaborés conformément aux spécifications d’un professionnel de la santé agréé et destinés à ses malades particuliers, sous sa responsabilité personnelle directe.
35 Ainsi qu’il ressort du libellé de cette disposition, la mise en œuvre de la dérogation qu’elle prévoit est subordonnée à la réunion d’un ensemble de conditions cumulatives (arrêt de la Cour du 29 mars 2012, Commission/Pologne, C‑185/10, point 30).
36 Afin d’interpréter cette disposition, il convient de tenir compte de ce que, de manière générale, les dispositions qui ont le caractère de dérogation à un principe doivent, selon une jurisprudence constante, être interprétées de manière stricte (arrêt Commission/Pologne, précité, point 31).
37 La faculté, qui découle de l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2001/83, d’exclure l’application des dispositions de celle-ci ne peut donc être exercée qu’en cas de nécessité, en tenant compte des besoins spécifiques des patients. Une interprétation différente serait contraire à l’objectif de sauvegarde de la santé publique, qui est atteint par l’harmonisation des règles relatives aux médicaments, particulièrement celles qui régissent l’AMM (arrêt Commission/Pologne, précité, point 33).
38 La notion de «besoins spéciaux», visée à l’article 5, paragraphe 1, de cette directive, se réfère uniquement à des situations individuelles justifiées par des considérations médicales et présuppose que le médicament est nécessaire pour répondre aux besoins des patients (arrêt Commission/Pologne, précité, point 34).
39 De même, l’exigence que les médicaments soient fournis pour répondre à une «commande loyale et non sollicitée» signifie que le médicament doit avoir été prescrit par le médecin à l’issue d’un examen effectif de ses patients et en se fondant sur des considérations purement thérapeutiques (arrêt Commission/Pologne, précité, point 35).
40 En l’espèce, la Commission, dans la décision attaquée, a notamment considéré que, la notion de préparation hospitalière n’étant pas prévue par la directive 2001/83, il convenait de vérifier si l’utilisation de l’acide cholique en tant que préparation hospitalière pouvait être assimilée à l’utilisation prévue dans le cadre de l’article 5 de ladite directive. La Commission a, ensuite, conclu que les préparations hospitalières ne satisfaisaient pas aux prescriptions de l’article 5, paragraphe 1, de
la directive 2001/83 et que, dès lors, elles ne permettaient pas de démontrer un usage médical bien établi au sens de l’article 10 bis de la directive 2001/83, contrairement à ce qu’avait conclu le CMUH dans son avis révisé.
41 À cet égard, tout d’abord, il convient de relever qu’il résulte de l’article L. 5121-1 (2o) du code de la santé publique français que les préparations hospitalières sont des médicaments préparés selon les indications de la pharmacopée et en conformité avec les bonnes pratiques mentionnées dans la législation française, en raison de l’absence de spécialité pharmaceutique disponible ou adaptée par une pharmacie à usage intérieur d’un établissement de santé, ou par l’établissement pharmaceutique de
cet établissement de santé autorisé en application de ladite législation. Les préparations hospitalières sont dispensées sur prescription médicale à un ou plusieurs patients par une pharmacie à usage intérieur dudit établissement.
42 Ensuite, il convient de relever que la République française, conformément à sa législation en vigueur, a exclu des dispositions de la directive 2001/83 les préparations hospitalières dès 1992, soit à une date antérieure aux préparations hospitalières à base d’acide cholique.
43 La République française a, en effet, expliqué, en réponse à une question écrite posée par le Tribunal, que c’est en définissant le régime juridique des préparations hospitalières dans la loi no 92-1279, du 8 décembre 1992, modifiant le livre V du code de la santé publique et relative à la pharmacie et au médicament (JORF du 11 décembre 1992, p. 16888), que le législateur français les a exclues du champ d’application de la législation de l’Union en matière de médicaments à usage humain. Ainsi, la
République française a exclu les préparations hospitalières d’acide cholique dudit champ d’application depuis le début de l’utilisation de ce médicament, c’est-à-dire depuis 1993. La République française a, par ailleurs, indiqué que les préparations hospitalières étaient soumises à une obligation de déclaration depuis l’entrée en vigueur de l’article 21 de la loi no 98-535, du 1er juillet 1998 relative au renforcement de la veille sanitaire et du contrôle de la sécurité sanitaire des produits
destinés à l’homme (JORF du 2 juillet 1998, p. 910056). La République française a, enfin, précisé que les préparations hospitalières à base d’acide cholique avaient été préparées de manière individuelle.
44 Force est de constater que ces préparations hospitalières visaient à répondre à des «besoins spéciaux», en ce sens qu’elles répondaient à des situations individuelles justifiées par des considérations médicales et qu’elles étaient nécessaires pour répondre aux besoins des patients. En effet, il n’est pas contesté qu’il n’existe aucun médicament mis sur le marché susceptible de soigner les affections hépatiques en cause, susceptibles d’entraîner rapidement le décès de la personne affectée.
45 Ces préparations hospitalières répondaient, de plus, à une «commande loyale et non sollicitée», en ce sens que, comme l’a expliqué la République française à l’audience, sans être contredite par la Commission, elles étaient prescrites par un médecin à l’issue d’un examen effectif de ses patients et en se fondant sur des considérations purement thérapeutiques.
46 Dès lors, il ne peut qu’être constaté, en l’espèce, que les préparations hospitalières d’acide cholique étaient conformes aux conditions posées par l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2001/83.
47 Aucun des arguments de la Commission ne saurait remettre en cause cette conclusion.
48 En premier lieu, l’argument de la Commission selon lequel les préparations hospitalières ne relèvent pas du champ d’application de l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2001/83 ne saurait être retenu, cette disposition n’écartant aucun type de médicament de son champ d’application.
49 En deuxième lieu, l’argument de la Commission selon lequel il existe une obligation de déclaration et de contrôle des médicaments visés par l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2001/83 ne saurait être retenu, étant donné qu’il ne résulte pas des termes de cette disposition, même de manière implicite, qu’il existe une telle obligation.
50 En troisième lieu, contrairement à ce que la Commission a avancé lors de l’audience, il convient également de relever qu’il ne résulte pas de cette disposition qu’un État membre ne pourrait exclure les médicaments des dispositions de la directive 2001/83 que cas par cas, et non par catégories de médicaments, telles que celle des préparations hospitalières.
51 Quant à l’argument de la République de Pologne selon lequel seuls les États membres disposent du droit d’exclure l’application des dispositions de la directive 2001/83 à l’égard de certains médicaments, il ne peut qu’être constaté que c’est bien la République française, ainsi qu’il est exposé au point 42 ci-dessus, qui a exclu les préparations hospitalières de l’application des dispositions de ladite directive.
52 Il résulte de ce qui précède qu’il convient de rejeter les arguments de la Commission et de la République de Pologne.
53 Dès lors, il convient de constater que c’est à tort que la Commission a considéré que l’usage de l’acide cholique en tant que préparation hospitalière en France entre 1993 et octobre 2007 ne démontrait pas un usage médical bien établi au sens de l’article 10 bis de la directive 2001/83.
Sur la conclusion prétendument erronée selon laquelle les données présentées dans la demande d’AMM auraient dû être complètes et, par suite, sur le rejet à tort de l’invocabilité de circonstances exceptionnelles
54 La requérante, soutenue par la République tchèque, la République française et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, reproche à la Commission d’avoir considéré, dans la décision attaquée, qu’une AMM sur le fondement d’un usage médical bien établi, prévu par l’article 10 bis de la directive 2001/83, ne saurait être accordée en l’absence de données complètes quant à l’efficacité ou à la sécurité du médicament en s’appuyant sur les circonstances exceptionnelles visées à
l’article 14, paragraphe 8, du règlement no 726/2004.
55 La Commission, soutenue par la République de Pologne, estime que la possibilité de présenter une demande d’AMM au titre de l’article 10 bis de la directive 2001/83 est exclue lorsque des informations complètes sur l’efficacité et la sécurité du produit ne sont pas disponibles, et que les notions d’usage médical bien établi et de circonstances exceptionnelles sont exclusives l’une de l’autre. Ainsi, conformément à l’article 12 du règlement no 726/2004, lu en combinaison avec l’article 6 dudit
règlement, la Commission serait tenue de refuser l’AMM si la demande bibliographique présentée ne comprenait pas spécifiquement et intégralement les renseignements et les documents visés à l’article 10 bis de la directive 2001/83.
56 À cet égard, il convient de rappeler que l’article 6 du règlement no 726/2004 indique que chaque demande d’AMM doit comporter spécifiquement et exhaustivement les renseignements et les documents visés, notamment, à l’article 8, paragraphe 3, à l’article 10 bis et à l’annexe I de la directive 2001/83.
57 De plus, selon l’article 12, paragraphe 1, du règlement no 726/2004, l’AMM est refusée si, après vérification des renseignements et des documents soumis conformément à l’article 6 dudit règlement, il apparaît que le demandeur n’a pas démontré de façon adéquate ou suffisante la qualité, la sécurité ou l’efficacité du médicament à usage humain.
58 Il convient également de rappeler que l’article 14, paragraphe 8, du règlement no 726/2004 et l’article 22 de la directive 2001/83 prévoient l’octroi, sous certaines conditions, d’une AMM dans des circonstances exceptionnelles. Celle-ci ne peut alors être octroyée que si le demandeur peut démontrer qu’il n’est pas en mesure, pour des raisons objectives et vérifiables, de fournir des informations complètes sur l’efficacité et la sécurité du médicament dans des conditions normales d’utilisation et
doit reposer sur l’un des motifs énoncés à l’annexe I de cette directive.
59 Par ailleurs, la partie II, point 6, de l’annexe I de la directive 2001/83 prévoit que, lorsque le demandeur peut démontrer qu’il n’est pas en mesure de fournir des renseignements complets sur l’efficacité et la sécurité dans des conditions normales d’emploi, car les indications prévues pour les produits en cause se présentent si rarement que le demandeur ne peut raisonnablement être tenu de fournir les renseignements complets, ou l’état d’avancement de la science ne permet pas de donner les
renseignements complets, ou des principes de déontologie médicale, communément admis, interdisent de recueillir ces renseignements, l’AMM peut alors être accordée sous réserve de certaines obligations spécifiques, telles que la délivrance du médicament concerné uniquement sur prescription médicale et, le cas échéant, une autorisation de l’administration dudit médicament sous contrôle médical strict, éventuellement en milieu hospitalier.
60 En l’espèce, il convient de relever que, selon l’avis révisé du CMUH, la requérante a démontré dans sa demande d’AMM qu’elle n’était pas en mesure de fournir des données complètes pour des raisons objectives et vérifiables, tenant à la rareté de la maladie en question ainsi qu’en raison de considérations déontologiques. Quant à la première raison, il résulte, en effet, du dossier que, en se fondant sur le nombre de cas observés au cours des quinze dernières années dans l’Union, à la date du dépôt
de la demande d’AMM, 90 patients étaient affectés, dont 19 étaient traités en France. Quant à la seconde raison, le CHMU a considéré, sans que cette appréciation soit remise en cause par la Commission, que, dans la mesure où la participation à un essai clinique exposerait les patients au risque de lésions hépatiques graves, voire de décès, il serait contraire aux principes de déontologie médicale d’effectuer une étude contrôlée sur l’efficacité de l’acide cholique dans le cadre des indications
concernées, car cette étude supposerait, selon les explications données par la requérante lors de l’audience, de partager les patients en deux groupes, l’un recevant le traitement testé et l’autre un placebo.
61 La requérante a, par ailleurs, fourni dans sa demande d’AMM, ainsi qu’il a été constaté au point 27 ci-dessus, une liste de références bibliographiques concernant des études portant sur l’acide cholique.
62 De plus, il convient de relever que les préparations hospitalières répondaient aux obligations spécifiques visées dans la partie II, point 6, de l’annexe I de la directive 2001/83. En effet, il résulte des termes mêmes de l’article L. 5121-1 (2o) du code de la santé publique français (voir point 41 ci-dessus) que ces préparations étaient dispensées sur prescription médicale par une pharmacie à usage intérieur d’un établissement de santé.
63 Toutefois, selon la Commission, une demande d’AMM ne pourrait être accordée en l’absence de documentation complète et des circonstances exceptionnelles ne pourraient être invoquées pour une demande d’AMM déposée dans le cadre d’un usage médical bien établi.
64 En ce qui concerne la question de la documentation complète, il convient de relever que l’annexe I, partie II, point 1, sous c), de la directive 2001/83 envisage la possibilité qu’une AMM soit octroyée même dans l’hypothèse de données manquantes, pour autant que soient justifiées les raisons pour lesquelles il peut être soutenu que la sécurité et/ou l’efficacité du produit est établie malgré l’absence de certaines études. L’hypothèse qu’une AMM soit accordée même en l’absence d’une documentation
complète n’est donc pas exclue. De plus, comme il vient d’être relevé, ces raisons ont, en l’espèce, été justifiées.
65 En ce qui concerne la question de l’application simultanée des notions d’usage médical bien établi et de circonstances exceptionnelles, il convient de constater qu’aucune disposition du règlement no 726/2004 ou de la directive 2001/83 n’exclut une telle application.
66 L’argument évoqué par la Commission selon lequel la partie II de l’annexe I de la directive 2001/83, qui vise les dérogations telles que celles fondées sur un usage médical bien établi, ne prévoit pas la possibilité d’invoquer des circonstances exceptionnelles lorsque le demandeur invoque un tel usage ne saurait être décisif, faute de mention explicite en ce sens.
67 Au contraire, il importe de relever que, dans le contexte particulier des médicaments orphelins tels que l’Orphacol, la directive 2001/83 se réfère explicitement à la possibilité d’appliquer les dispositions relatives aux circonstances exceptionnelles ainsi que celles relatives à la revendication d’un usage médical bien établi.
68 En effet, d’une part, selon la partie III, point 5, premier tiret de l’annexe I de la directive 2001/83, en présence d’un médicament orphelin, les dispositions générales de la partie II, point 6 (Circonstances exceptionnelles), peuvent s’appliquer. Le demandeur doit alors justifier dans les résumés non-cliniques et cliniques les raisons pour lesquelles il n’est pas possible de fournir l’information complète et il doit fournir une justification du bilan risque/bénéfice pour le médicament orphelin
concerné, ce que la requérante a fait en l’espèce, ainsi qu’il a déjà été relevé (voir point 27 ci-dessus).
69 D’autre part, selon le second tiret de cette disposition, lorsqu’un demandeur d’une AMM d’un médicament orphelin invoque les dispositions de la partie II, point 1, de cette annexe (Usage médical bien établi), l’utilisation systématique et documentée de la substance concernée peut se référer – à titre dérogatoire – à l’utilisation de cette substance conformément aux dispositions de l’article 5 de ladite directive. En l’espèce, l’acide cholique a bien été utilisée conformément à cette dernière
disposition, ainsi qu’il résulte des points 41 et suivants ci-dessus.
70 Force est donc de constater que ces conditions ont été satisfaites. Par ailleurs, contrairement à ce que soutient la Commission, la séparation des paragraphes en deux tirets distincts ne saurait laisser entendre que ces dispositions sont exclusives l’une de l’autre. Une telle exclusivité ne saurait en effet être envisagée que si le texte de ce point avait clairement exprimé l’impossibilité de mettre en œuvre simultanément ces deux dispositions.
71 Il résulte de ce qui précède qu’il convient de rejeter les arguments de la Commission.
72 Dès lors, il convient de constater que c’est à tort que la Commission a considéré dans la décision attaquée que les données présentées par la requérante auraient dû être complètes et qu’elle ne pouvait pas évoquer l’existence de circonstances exceptionnelles dans le cadre de sa demande fondée sur un usage médical bien établi.
Sur la conclusion prétendument erronée selon laquelle l’octroi d’une AMM porterait atteinte aux objectifs du règlement no 1901/2006 et à la protection de l’innovation
73 La requérante, soutenue par la République tchèque et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, conteste la troisième raison invoquée par la Commission dans la décision attaquée pour refuser l’AMM, à savoir le fait que l’octroi d’une AMM porterait atteinte, premièrement, aux objectifs du règlement no 1901/2006, lequel exigerait, selon la Commission, que les AMM pour de nouveaux médicaments à usage pédiatrique soient accompagnées d’études pédiatriques, et, deuxièmement, à la
protection de l’innovation, étant donné que la Commission considère qu’une stricte conformité aux exigences de l’article 10 bis de la directive 2001/83 est nécessaire afin d’éviter de décourager la publication de recherches et de porter atteinte à l’innovation dans l’Union.
74 La Commission avance, quant au premier argument, que, aux termes de l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 1901/2006, les demandes d’une AMM d’un médicament non encore autorisé doivent comprendre, en plus des renseignements et des documents visés à l’article 8, paragraphe 3, de la directive 2001/83, les résultats de toutes les études effectuées et les détails de toutes les données collectées conformément à un plan d’investigation pédiatrique approuvé. Quant au second argument, le
considérant 4 de la directive 1999/83/CE de la Commission, du 8 septembre 1999, portant modification de l’annexe de la directive 75/318/CEE du Conseil relative au rapprochement des législations des États membres concernant les normes et protocoles analytiques, toxico-pharmacologiques et cliniques en matière d’essais de spécialités pharmaceutiques (JO L 243, p. 9), illustrerait l’intention du législateur selon laquelle la possibilité de présenter une demande bibliographique ne devrait pas porter
atteinte à la recherche et à la publication des résultats d’essais cliniques. Or, si les critères qui s’appliquent à la démonstration d’un usage médical bien établi de dix ans étaient assouplis en acceptant le fait que des utilisations de substances actives en l’absence d’une AMM sont suffisantes pour démontrer l’existence d’un tel usage, le système de récompenses mis en place par la législation pour encourager l’innovation se trouverait gravement compromis.
75 À cet égard, quant au premier argument, il y a lieu de constater que, aux termes de l’article 9 du règlement no 1901/2006, l’article 7 dudit règlement n’est pas applicable aux produits autorisés notamment en vertu de l’article 10 bis de la directive 2001/83.
76 Or, il résulte de ce qui précède que la requérante a bien démontré l’existence d’un usage médical bien établi au sens de cette disposition.
77 Quant au second argument, il convient de relever qu’il n’apparaît pas, dans la décision attaquée, comme un motif de refus de l’AMM demandée, mais comme une simple remarque, qui ne saurait être susceptible de remettre en cause la constatation précédemment rappelée. Par ailleurs, quoi qu’il en soit, il ne peut qu’être constaté qu’il ne s’agit pas, en l’espèce, d’un assouplissement des critères s’appliquant à la démonstration d’un usage médical bien établi, mais de la mise en œuvre de cet usage dans
le cadre de circonstances exceptionnelles, conformément aux dispositions du règlement no 726/2004 et de la directive 2001/83.
78 Dès lors, il convient de constater que c’est à tort que la Commission a considéré dans la décision attaquée que l’octroi d’une AMM porterait, en l’espèce, atteinte aux objectifs du règlement no 1901/2006 et à la protection de l’innovation.
79 Il résulte de l’ensemble de ce qui précède que c’est à tort que la Commission a refusé l’AMM. En conséquence, sans qu’il soit besoin d’examiner le premier moyen, il y a lieu d’annuler la décision attaquée.
Sur les dépens
80 Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la requérante.
81 Aux termes de l’article 87, paragraphe 4, premier alinéa, du même règlement, les États membres qui sont intervenus au litige supportent leurs dépens. Il y a donc lieu d’ordonner que la République tchèque, le Royaume de Danemark, la République française, la République d’Autriche, la République de Pologne et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord supporteront leurs propres dépens.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (cinquième chambre)
déclare et arrête :
1) La décision d’exécution de la Commission C (2012) 3306 final, du 25 mai 2012, refusant une autorisation de mise sur le marché conformément au règlement (CE) no 726/2004 du Parlement européen et du Conseil pour le médicament orphelin à usage humain «Orphacol – Acide cholique», est annulée.
2) La Commission européenne est condamnée à supporter ses propres dépens ainsi que ceux des Laboratoires CTRS.
3) La République tchèque, le Royaume de Danemark, la République française, la République d’Autriche, la République de Pologne et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord supporteront leurs propres dépens.
Papasavvas
Vadapalas
O’Higgins
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 4 juillet 2013.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : l’anglais.