ARRÊT DU TRIBUNAL (dixième chambre)
10 novembre 2021 ( *1 )
« Droit institutionnel – Initiative citoyenne européenne – Politique de cohésion – Régions à minorité nationale – Décision d’enregistrement – Recours en annulation – Acte susceptible de recours – Recevabilité – Article 4, paragraphe 2, sous b), du règlement (UE) no 211/2011 – Obligation de motivation »
Dans l’affaire T‑495/19,
Roumanie, représentée par Mmes E. Gane, R. Haţieganu, L. Liţu et L.‑E. Baţagoi, en qualité d’agents,
partie requérante,
contre
Commission européenne, représentée par M. H. Stancu, Mme I. Martínez del Peral et M. H. Krämer, en qualité d’agents,
partie défenderesse,
soutenue par
Hongrie, représentée par M. M. Fehér, Mmes M. Tátrai et K. Szíjjártó, en qualité d’agents,
partie intervenante,
ayant pour objet une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation de la décision (UE) 2019/721 de la Commission, du 30 avril 2019, relative à la proposition d’initiative citoyenne intitulée « Politique de cohésion pour l’égalité des régions et le maintien des cultures régionales » (JO 2019, L 122, p. 55),
LE TRIBUNAL (dixième chambre),
composé de MM. A. Kornezov, président, E. Buttigieg (rapporteur) et Mme K. Kowalik‑Bańczyk, juges,
greffier : Mme I. Kurme, administratrice,
vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 21 mai 2021,
rend le présent
Arrêt
Antécédents du litige
1 Le 18 juin 2013, la proposition d’initiative citoyenne (ci-après l’« ICE ») intitulée « Politique de cohésion pour l’égalité des régions et le maintien des cultures régionales » (ci-après la « proposition d’ICE litigieuse ») a été présentée à la Commission européenne conformément à l’article 11, paragraphe 4, TUE et au règlement (UE) no 211/2011 du Parlement européen et du Conseil, du 16 février 2011, relatif à l’initiative citoyenne (JO 2011, L 65, p. 1).
2 Il ressortait des informations fournies par les organisateurs de la proposition d’ICE litigieuse, au titre des informations requises pour l’enregistrement d’une proposition d’ICE conformément à l’annexe II du règlement no 211/2011, que cette proposition visait à ce que l’Union européenne, dans le cadre de la politique de cohésion, accorde une attention particulière aux régions dont les caractéristiques ethniques, culturelles, religieuses ou linguistiques diffèrent de celles des régions
environnantes. Pour ces régions, incluant des zones géographiques dépourvues de structures dotées de compétences administratives, la prévention de tout écart ou de tout retard de développement économique par rapport aux régions environnantes, le soutien au développement économique et la préservation des conditions de la cohésion économique, sociale et territoriale devaient être assurés de telle manière que leurs caractéristiques demeurent inchangées. Pour cela, ces régions devaient bénéficier des
mêmes opportunités d’accès aux différents fonds de l’Union et la préservation de leurs caractéristiques ainsi qu’un développement économique correct devaient leur être garantis, de telle sorte que le développement de l’Union puisse être durable et que la diversité culturelle de cette dernière soit préservée.
3 Par décision C(2013) 4975 final, du 25 juillet 2013, et en application de l’article 4, paragraphe 2, sous b), du règlement no 211/2011, la Commission a rejeté la demande d’enregistrement de la proposition d’ICE litigieuse au motif qu’elle se situait manifestement en dehors du cadre de ses attributions lui permettant de présenter une proposition d’acte juridique de l’Union aux fins de l’application des traités.
4 Par arrêt du 10 mai 2016, Izsák et Dabis/Commission (T‑529/13, EU:T:2016:282), le Tribunal a rejeté le recours en annulation introduit contre la décision C(2013) 4975 final.
5 Saisie sur pourvoi, la Cour, par arrêt du 7 mars 2019, Izsák et Dabis/Commission (C‑420/16 P, EU:C:2019:177), a annulé l’arrêt du 10 mai 2016, Izsák et Dabis/Commission (T‑529/13, EU:T:2016:282), et, statuant elle-même définitivement sur le litige, a annulé la décision C(2013) 4975 final.
6 Le 30 avril 2019, la Commission a adopté la décision (UE) 2019/721, relative à la proposition d’ICE litigieuse (JO 2019, L 122, p. 55, ci-après la « décision attaquée »), par laquelle elle a procédé à son enregistrement au sens de l’article 4 du règlement no 211/2011.
7 Aux considérants 1 et 2 de la décision attaquée, la Commission a identifié l’objet et les objectifs de la proposition d’ICE litigieuse selon les termes présentés au point 2 ci-dessus.
8 Aux considérants 3 et 4 de la décision attaquée, la Commission a relevé que, afin d’encourager le recours par le citoyen de l’Union au mécanisme de l’ICE et, en fin de compte, à la vie démocratique de l’Union, les procédures et les conditions requises pour l’ICE devaient être claires, simples, faciles à appliquer et proportionnées à la nature de l’ICE.
9 Au considérant 5 de la décision attaquée, la Commission a précisé :
« Il peut être adopté, aux fins de l’application des traités, des actes juridiques de l’Union pour définir les missions, les objectifs prioritaires et l’organisation des fonds à finalité structurelle, conformément à l’article 177 du traité [FUE]. »
10 Au considérant 6 de la décision attaquée, la Commission a indiqué que la proposition d’ICE litigieuse, « en ce qu’elle port[ait] sur la présentation, par [elle-même], de propositions d’actes juridiques définissant les missions, les objectifs prioritaires et l’organisation des fonds à finalité structurelle et pour autant que les actions à financer tend[ai]ent au renforcement de la cohésion économique, sociale et territoriale de l’Union », ne sortait manifestement pas du cadre de ses attributions,
au sens de l’article 4, paragraphe 2, sous b), du règlement no 211/2011.
11 Au considérant 7 de la décision attaquée, la Commission a constaté que la proposition d’ICE litigieuse remplissait les conditions prévues à l’article 4, paragraphe 2, sous a), c) et d), du règlement no 211/2011 et, au considérant 8, elle a conclu qu’il y avait lieu de l’enregistrer.
12 L’article 1er de la décision attaquée dispose ce qui suit :
« 1. La proposition d’initiative citoyenne intitulée “Politique de cohésion pour l’égalité des régions et le maintien des cultures régionales” est enregistrée.
2. Les déclarations de soutien en faveur de cette proposition d’initiative citoyenne peuvent être recueillies sur la base du constat qu’elle porte sur la présentation, par la Commission, de propositions d’actes juridiques définissant les missions, les objets prioritaires et l’organisation des fonds à finalité structurelle et pour autant que les actions à financer tendent au renforcement de la cohésion économique, sociale et territoriale de l’Union. »
13 L’article 3 de la décision attaquée précise que les organisateurs de la proposition d’ICE litigieuse sont les destinataires de celle-ci.
Procédure et conclusions des parties
14 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 8 juillet 2019, la Roumanie a introduit le présent recours.
15 La Commission a déposé le mémoire en défense le 27 septembre 2019.
16 Par acte déposé au greffe du Tribunal le 8 octobre 2019, la Hongrie a demandé à intervenir dans la présente procédure au soutien des conclusions de la Commission.
17 La réplique a été déposée le 16 décembre 2019.
18 Par décision du président de la dixième chambre du 7 janvier 2020, la Hongrie a été admise à intervenir.
19 La duplique a été déposée le 27 janvier 2020.
20 La Hongrie a déposé son mémoire en intervention le 18 février 2020 et la Roumanie a déposé ses observations sur celui-ci le 21 mai 2020, dans le délai imparti. La Commission n’a pas déposé d’observations sur le mémoire en intervention susvisé.
21 Par acte déposé au greffe du Tribunal le 30 juillet 2020, la Roumanie a présenté une demande d’audience de plaidoiries conformément à l’article 106, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal.
22 Sur proposition du juge rapporteur, le Tribunal (dixième chambre) a décidé d’ouvrir la phase orale de la procédure et, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 89 du règlement de procédure, a demandé à la Commission et à la Hongrie de soumettre des observations, si elles le souhaitaient, sur l’argumentation de la Roumanie relative à la recevabilité du recours. Les deux parties ont soumis leurs observations dans le délai imparti.
23 Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal à l’audience du 21 mai 2021.
24 La Roumanie conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– annuler la décision attaquée ;
– condamner la Commission aux dépens.
25 La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– rejeter le recours ;
– condamner la Roumanie aux dépens.
26 La Hongrie conclut à ce qu’il plaise au Tribunal de rejeter le recours.
En droit
Sur la recevabilité du recours
27 La Roumanie, abordant la question de la recevabilité du recours sous l’angle du caractère attaquable de la décision attaquée et sous celui de l’existence d’un intérêt à agir, a soutenu que ledit recours était recevable.
28 La Commission, dans ses observations sur l’argumentation de la Roumanie (voir point 22 ci-dessus), a émis des doutes sur la recevabilité du recours.
29 Plus spécifiquement, la Commission a émis des doutes sur le caractère attaquable de la décision attaquée, dans la mesure où celle-ci pourrait être considérée comme constituant un acte préparatoire en tant que « première étape du mécanisme de l’initiative citoyenne » qui trouverait son aboutissement à l’adoption par la Commission de la communication prévue à l’article 10, paragraphe 1, sous c), du règlement no 211/2011, laquelle constituerait un acte attaquable. À cet égard, la Commission a
soutenu que, selon une jurisprudence constante, s’agissant d’actes ou de décisions dont l’élaboration s’effectue en plusieurs phases, notamment au terme d’une procédure interne, ne constituent, en principe, des actes susceptibles de faire l’objet d’un recours en annulation que les mesures qui fixent définitivement la position de l’institution concernée au terme de cette procédure, à l’exclusion des mesures intermédiaires dont l’objectif est de préparer la décision finale.
30 Pour justifier ses doutes, la Commission a également soutenu qu’il ressortait de la jurisprudence du Tribunal qu’un recours en annulation pouvait être formé, y compris par un État membre, contre des actes destinés à produire des effets juridiques susceptibles de faire grief. Or, selon la Commission, dans le cas d’une décision d’enregistrement d’une proposition d’ICE, il est difficile de savoir quels effets juridiques découlant du contenu de cette proposition d’ICE pourraient causer un préjudice
et à qui. La Commission a invoqué spécifiquement l’arrêt du 21 mai 2010, France/Commission (T‑425/04, T‑444/04, T‑450/04 et T‑456/04, EU:T:2010:216, point 119).
31 Eu égard aux considérations susvisées, la Commission a laissé la question du caractère attaquable de la décision attaquée à l’appréciation du Tribunal.
32 En revanche, la Commission a souscrit à l’analyse de la Roumanie selon laquelle l’exercice par les États membres du droit de former un recours en annulation contre un acte de l’Union n’est pas conditionné par la démonstration d’un intérêt à agir.
33 La Hongrie, dans ses observations sur l’argumentation de la Roumanie (voir point 22 ci-dessus), s’est prononcée en faveur de la recevabilité du recours en soutenant, notamment, que la décision attaquée constituait un acte attaquable. La Hongrie a également considéré comme étant justifié que le Tribunal se prononce sur cette question juridique afin de lever toute incertitude.
34 Il ressort de l’argumentation des trois parties que celles-ci ne contestent pas que l’exercice par les États membres du droit de former un recours en annulation contre un acte de l’Union n’est pas conditionné par la démonstration d’un intérêt à agir. En effet, il ressort de la jurisprudence qu’un État membre, tel que la Roumanie en l’espèce, est recevable à introduire un recours en annulation d’un acte produisant des effets de droit obligatoires sans qu’il doive démontrer un intérêt à agir (voir
arrêt du 13 octobre 2011, Deutsche Post et Allemagne/Commission, C‑463/10 P et C‑475/10 P, EU:C:2011:656, point 36 et jurisprudence citée). Un État membre n’a donc pas à démontrer qu’un acte de l’Union qu’il attaque produit des effets juridiques à son égard pour que son recours soit recevable (voir arrêt du 20 septembre 2012, France/Commission, T‑154/10, EU:T:2012:452, point 37 et jurisprudence citée). L’arrêt du 21 mai 2010, France/Commission (T‑425/04, T‑444/04, T‑450/04 et T‑456/04,
EU:T:2010:216), invoqué par la Commission (voir point 30 ci-dessus), lequel, au demeurant, a été annulé sur pourvoi par l’arrêt du 19 mars 2013, Bouygues et Bouygues Télécom/Commission e.a. et Commission/France e.a. (C‑399/10 P et C‑401/10 P, EU:C:2013:175), ne remet aucunement en cause la jurisprudence susvisée.
35 Dans la mesure où la Commission a exprimé des doutes sur le caractère attaquable de la décision attaquée au sens de l’article 263 TFUE et compte tenu de la demande de la Hongrie que le Tribunal se prononce explicitement sur cette question, il convient d’émettre les considérations ci-après.
36 Il ressort d’une jurisprudence constante développée dans le cadre de recours en annulation introduits par des États membres ou des institutions que sont considérées comme des actes attaquables au sens de l’article 263 TFUE toutes dispositions adoptées par les institutions, quelle qu’en soit la forme, qui visent à produire des effets de droit obligatoires (voir arrêt du 13 octobre 2011, Deutsche Post et Allemagne/Commission, C‑463/10 P et C‑475/10 P, EU:C:2011:656, point 36 et jurisprudence
citée).
37 Pour déterminer si un acte produit des effets juridiques, il y a lieu de s’attacher notamment à son objet, à son contenu, à sa substance ainsi qu’au contexte factuel et juridique dans lequel il est intervenu (voir arrêt du 23 avril 2018, One of Us e.a./Commission, T‑561/14, EU:T:2018:210, point 70 et jurisprudence citée).
38 En l’espèce, il convient d’apprécier si la décision attaquée, adoptée par la Commission sur le fondement de l’article 4 du règlement no 211/2011, en vertu de laquelle celle-ci a procédé à l’enregistrement de la proposition d’ICE litigieuse, vise à produire des effets juridiques obligatoires, constituant ainsi un acte attaquable au sens de l’article 263 TFUE.
39 À cet égard, ainsi qu’il a déjà été précisé par le juge de l’Union (arrêt du 23 avril 2018, One of Us e.a./Commission, T‑561/14, EU:T:2018:210, point 73), le règlement no 211/2011, qui était applicable à la date d’adoption de la décision attaquée, fixe les procédures et les conditions requises pour la présentation d’une ICE. À son considérant 8, il précise qu’une structure caractérisée par un minimum d’organisation s’impose et, à cette fin, il prévoit la création d’un comité de citoyens composé
de personnes physiques (les organisateurs) provenant d’au moins sept États membres différents, qui est chargé de l’élaboration de l’ICE et de sa présentation à la Commission. Le règlement no 211/2011 prévoit, à son article 4, que la proposition d’ICE doit être enregistrée auprès de la Commission et que cet enregistrement s’effectue à condition que celle-ci constate qu’un certain nombre des conditions fixées dans la disposition susmentionnée sont remplies. Parmi ces conditions figure celle selon
laquelle la proposition d’ICE en cause n’est pas manifestement en dehors du cadre des attributions de la Commission, en vertu desquelles elle peut présenter une proposition d’acte juridique de l’Union aux fins de l’application des traités [article 4, paragraphe 2, sous b), du règlement no 211/2011]. L’article 4, paragraphe 4, du règlement no 211/2011 prévoit qu’une proposition d’ICE qui a été enregistrée est portée à la connaissance du public dans le registre prévu à l’article 4, paragraphe 1,
deuxième alinéa, du même règlement.
40 C’est uniquement à la suite de l’enregistrement de la proposition d’ICE en cause que la collecte des déclarations de soutien auprès d’un million de signataires au moins, provenant d’au moins un quart de l’ensemble des États membres, peut être entamée. Cette collecte doit s’effectuer dans le cadre de procédures et de conditions définies de manière détaillée aux articles 5 à 8 du règlement no 211/2011. En particulier, en vertu de l’article 8 du règlement no 211/2011, les organisateurs soumettent
les déclarations de soutien recueillies aux États membres concernés pour vérification et certification.
41 L’article 9, premier alinéa, du règlement no 211/2011 prévoit la possibilité pour les organisateurs, pour autant que l’ensemble des procédures et des conditions prévues par ledit règlement aient été respectées, de présenter l’ICE à la Commission en lui adjoignant des informations relatives à tout soutien et à tout financement obtenu pour cette initiative. Ces informations sont publiées dans le registre.
42 L’article 10, paragraphe 1, du règlement no 211/2011 prévoit que lorsque la Commission reçoit une ICE conforme à l’article 9 de ce règlement :
a) elle la publie sans tarder dans le registre ;
b) elle reçoit les organisateurs à un niveau approprié afin de leur permettre d’exposer dans le détail les questions soulevées par l’ICE ;
c) elle présente, dans un délai de trois mois, au moyen d’une communication, ses conclusions juridiques et politiques sur l’ICE, l’action qu’elle compte entreprendre, le cas échéant, ainsi que les raisons qu’elle a d’entreprendre ou de ne pas entreprendre cette action.
43 L’article 10, paragraphe 2, du règlement no 211/2011 prévoit que la communication susmentionnée doit être notifiée aux organisateurs ainsi qu’au Parlement européen et au Conseil de l’Union européenne et doit être rendue publique.
44 L’article 11 du règlement no 211/2011 prévoit notamment que, dans le délai de trois mois prévu à l’article 10, paragraphe 1, sous c), dudit règlement, les organisateurs se voient accorder la possibilité de présenter l’ICE lors d’une audition publique au Parlement.
45 Il ressort des dispositions présentées aux points 39 à 44 ci-dessus que la décision d’enregistrement d’une proposition d’ICE, telle que la décision attaquée en l’espèce, vise à produire des effets de droit obligatoires à l’égard des organisateurs, des institutions et des États membres concernés.
46 En effet, en ce qui concerne les organisateurs, la décision d’enregistrement susvisée déclenche le mécanisme de collecte des déclarations de soutien et leur fournit notamment, en premier lieu, le droit de présenter l’ICE à la Commission et de l’exposer dans le détail [voir points 41 et 42, sous b), ci-dessus], en deuxième lieu, le droit d’exiger de la Commission qu’elle présente la communication visée à l’article 10, paragraphe 1, sous c), du règlement no 211/2011 [voir point 42, sous c),
ci-dessus] et, en troisième lieu, le droit de présenter l’ICE lors d’une audition publique au Parlement (voir point 44 ci-dessus). Les droits susvisés, créés à l’égard des organisateurs, sont en même temps constitutifs d’obligations pour les institutions concernées, à savoir la Commission et le Parlement, en ce que la Commission est tenue de recevoir les organisateurs et de présenter la communication susvisée et le Parlement d’organiser l’audition publique susvisée.
47 En ce qui concerne les États membres concernés, la décision d’enregistrement d’une proposition d’ICE crée à leur égard l’obligation d’autoriser la collecte des déclarations de soutien, de les vérifier et de les certifier (voir point 40 ci-dessus).
48 Les doutes de la Commission concernant le caractère attaquable de la décision attaquée ne sont pas fondés.
49 À cet égard, il convient d’écarter l’analyse selon laquelle la décision d’enregistrement d’une proposition d’ICE constitue un acte préparatoire ou intermédiaire dont l’objectif serait de préparer l’adoption de la communication visée à l’article 10, paragraphe 1, sous c), du règlement no 211/2011 (voir point 29 ci-dessus).
50 En effet, ainsi que le juge de l’Union l’a déjà constaté, d’une part, l’objectif de la procédure d’enregistrement est d’éviter que les organisateurs fassent des efforts inutiles pour une ICE qui, d’emblée, ne peut pas aboutir au résultat souhaité et, d’autre part, la décision d’enregistrer une proposition d’ICE implique une première appréciation de celle-ci sur le plan juridique et ne préjuge pas de l’appréciation effectuée par la Commission dans le cadre de la communication adoptée sur le
fondement de l’article 10, paragraphe 1, sous c), du règlement no 211/2011, laquelle comporte ses « conclusions juridiques et politiques » sur l’ICE, l’action qu’elle compte entreprendre, le cas échéant, ainsi que les raisons qu’elle a d’entreprendre ou de ne pas entreprendre cette action (voir, en ce sens, arrêt du 23 avril 2018, One of Us e.a./Commission, T‑561/14, EU:T:2018:210, point 117 et jurisprudence citée).
51 Par ailleurs, la Cour, dans l’arrêt du 19 décembre 2019, Puppinck e.a./Commission (C‑418/18 P, EU:C:2019:1113, point 70), a précisé que la valeur ajoutée particulière du mécanisme de l’ICE résidait non pas dans la certitude de son issue, mais dans les possibilités et les opportunités qu’elle créait pour les citoyens de l’Union de déclencher un débat politique au sein des institutions de celle-ci sans devoir attendre le déclenchement d’une procédure législative. Or, ainsi que la Commission le note
à juste titre, le débat politique tant avec les citoyens qu’avec les institutions a lieu, notamment, au cours de la campagne visant à recueillir les déclarations de soutien, lors de la réunion avec la Commission et lors de l’audition publique au Parlement. Il s’avère ainsi que ce débat politique résulte de la décision d’enregistrement et de la procédure qui s’ensuit et a lieu avant que la Commission n’adopte la communication visée à l’article 10, paragraphe 1, sous c), du règlement no 211/2011.
52 Il s’avère ainsi que la décision d’enregistrement d’une proposition d’ICE constitue l’aboutissement d’une étape spécifique dans le processus d’ICE qui produit des effets juridiques obligatoires distincts de ceux produits par la communication prévue à l’article 10, paragraphe 1, sous c), du règlement no 211/2011, laquelle constitue d’ailleurs également un acte attaquable, conformément à l’arrêt du 23 avril 2018, One of Us e.a./Commission (T‑561/14, EU:T:2018:210).
53 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de conclure que la décision attaquée constitue un acte attaquable au sens de l’article 263 TFUE et que le présent recours est recevable.
Sur le fond
54 La Roumanie invoque deux moyens à l’appui de son recours. Le premier est tiré de la violation de l’article 4, paragraphe 2, sous b), du règlement no 211/2011 et le second de la violation de l’obligation de motivation. Il convient d’examiner d’abord le second moyen.
Sur le moyen tiré de la violation de l’obligation de motivation
55 La Roumanie soutient, à titre liminaire, que la Commission dispose d’un large pouvoir d’appréciation dans le cadre de l’examen du respect de la condition énoncée à l’article 4, paragraphe 2, sous b), du règlement no 211/2011 et que, par conséquent, l’obligation de motivation pesant sur elle revêt une importance fondamentale.
56 Dans ce contexte, en premier lieu, la Roumanie reproche à la Commission de ne pas exposer, dans la décision attaquée, les motifs pour lesquels elle serait compétente pour promouvoir des actes portant sur l’objet et les objectifs de la proposition d’ICE litigieuse, tels qu’identifiés dans cette décision.
57 En second lieu, la Roumanie reproche à la Commission de ne pas suffisamment motiver son approche, telle qu’exposée à l’article 1er, paragraphe 2, du dispositif de la décision attaquée, consistant à préciser que la collecte des déclarations de soutien en faveur de la proposition d’ICE litigieuse est autorisée « sur la base du constat qu’elle porte sur la présentation, par la Commission, de propositions d’actes juridiques définissant les missions, les objets prioritaires et l’organisation des fonds
à finalité structurelle et pour autant que les actions à financer tendent au renforcement de la cohésion économique, sociale et territoriale de l’Union ».
58 Selon la Roumanie, la motivation de l’approche susvisée de la Commission s’impose compte tenu, d’une part, du contexte d’adoption de la décision attaquée caractérisé, notamment, par le fait que la Commission avait initialement, par la décision C(2013) 4975 final, refusé l’enregistrement de la proposition d’ICE litigieuse et que la Cour, dans l’arrêt du 7 mars 2019, Izsák et Dabis/Commission (C‑420/16 P, EU:C:2019:177), n’avait pas relevé une erreur de droit commise par la Commission dans cette
décision et, d’autre part, du fait que, selon les dispositions du règlement no 211/2011, la décision d’enregistrement d’une proposition d’ICE doit être fondée sur l’analyse exacte de son objet et de ses objectifs, même si cette analyse est effectuée de manière abstraite et non pas concrète. La Roumanie observe que, en l’espèce, la Commission semble avoir enregistré la proposition d’ICE litigieuse sans savoir ce qu’elle visait réellement.
59 La Roumanie conclut que la décision attaquée n’explique pas pour quelle raison l’enregistrement de la proposition d’ICE litigieuse était possible et que la Commission a enfreint en l’espèce l’obligation de motivation prévue à l’article 296, deuxième alinéa, TFUE.
60 La Commission et la Hongrie contestent l’argumentation de la Roumanie.
61 Il convient de rappeler que l’obligation de motivation des actes juridiques prévue à l’article 296, deuxième alinéa, TFUE s’applique à tout acte susceptible de faire l’objet d’un recours en annulation (arrêt du 1er octobre 2009, Commission/Conseil, C‑370/07, EU:C:2009:590, point 42). Il s’ensuit que, nonobstant la circonstance que l’article 4, paragraphe 3, second alinéa, du règlement no 211/2011 n’évoque l’obligation de la Commission d’informer les organisateurs des motifs de sa décision que
lorsqu’elle refuse d’enregistrer la proposition d’ICE, la décision attaquée est soumise à l’obligation de motivation même en ce qu’elle renferme la décision de la Commission d’enregistrer la proposition d’ICE litigieuse (voir, en ce sens, arrêt du 24 septembre 2019, Roumanie/Commission, T‑391/17, sous pourvoi, EU:T:2019:672, point 79).
62 Selon une jurisprudence constante relative à l’article 296 TFUE, la motivation des actes juridiques doit être adaptée à la nature de l’acte en cause et faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution, auteur de l’acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle (voir arrêt du 12 septembre 2017, Anagnostakis/Commission, C‑589/15 P, EU:C:2017:663, point 28 et
jurisprudence citée).
63 Ainsi qu’il ressort également d’une jurisprudence constante, l’exigence de motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l’espèce. Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents dans la mesure où la question de savoir si la motivation d’un acte satisfait aux exigences de l’article 296 TFUE doit être appréciée au regard non seulement du libellé de cet acte, mais aussi du contexte de celui-ci ainsi que de l’ensemble des règles
juridiques régissant la matière concernée (voir arrêt du 12 septembre 2017, Anagnostakis/Commission, C‑589/15 P, EU:C:2017:663, point 29 et jurisprudence citée).
64 En outre, il est nécessaire de distinguer l’obligation de motivation en tant que formalité substantielle du contrôle du bien-fondé des motifs, lequel relève du contrôle de légalité au fond de l’acte et suppose que le juge vérifie si les motifs sur lesquels l’acte est fondé sont ou non entachés d’erreurs (voir, en ce sens, arrêt du 2 avril 1998, Commission/Sytraval et Brink’s France, C‑367/95 P, EU:C:1998:154, points 66 à 68).
65 Il importe également de rappeler que, ainsi que le juge de l’Union l’a déjà noté, la Commission ne dispose pas d’un large pouvoir d’appréciation aux fins de l’enregistrement d’une proposition d’ICE, l’article 4, paragraphe 2, du règlement no 211/2011 énonçant que ladite institution « enregistre » une proposition d’ICE dès lors que les conditions énoncées à l’article 4, paragraphe 2, sous a) à d), de ce règlement sont remplies, à savoir notamment lorsque la proposition d’ICE en cause n’est pas
manifestement en dehors du cadre des attributions de la Commission en vertu desquelles elle peut présenter une proposition d’acte juridique de l’Union aux fins de l’application des traités. À l’inverse, si, au terme d’une première analyse, il est manifeste que cette dernière condition n’est pas remplie, la Commission « refuse » d’enregistrer la proposition d’ICE en cause ainsi qu’il est énoncé à l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement no 211/2011 (arrêt du 24 septembre 2019,
Roumanie/Commission, T‑391/17, sous pourvoi, EU:T:2019:672, point 84). La thèse de la Roumanie présentée au point 55 ci‑dessus doit, dès lors, être rejetée.
66 C’est à l’aune des considérations énoncées aux points 61 à 65 ci‑dessus qu’il convient d’apprécier en l’espèce si la décision attaquée est motivée à suffisance de droit.
67 S’agissant du contexte dans lequel la décision attaquée a été adoptée, il convient de rappeler que la Commission, dans un premier temps, par la décision C(2013) 4975 final, a refusé d’enregistrer la proposition d’ICE litigieuse au motif qu’elle se situait manifestement en dehors du cadre de ses attributions, au sens de l’article 4, paragraphe 2, sous b), du règlement no 211/2011.
68 La Commission a relevé que le principal objectif de la proposition d’ICE litigieuse était d’assurer l’« égalité des régions et la durabilité des cultures régionales » en accordant une « attention particulière aux régions qui, par leurs caractéristiques nationales, ethniques, culturelles, religieuses ou linguistiques, se distingu[ai]ent des régions avoisinantes ». La Commission a considéré que les articles 174 à 178 TFUE, mentionnés dans la proposition susvisée en tant que dispositions des traités
pertinentes pour l’action proposée, ne pouvaient pas servir de bases juridiques aux fins de l’adoption de l’acte juridique proposé, puisque toutes les mesures adoptées au titre de la politique de cohésion devaient avoir pour objectif le renforcement de la cohésion économique, sociale et territoriale, tel que défini à l’article 174 TFUE. Selon la Commission, améliorer la situation des minorités nationales ne pouvait pas être compris comme contribuant à« réduire l’écart entre les niveaux de
développement des diverses régions » et le retard de certaines régions, comme le prévoit l’article 174, deuxième alinéa, TFUE. À cet égard, la Commission a considéré que la liste des « handicaps » énumérés à l’article 174, troisième alinéa, TFUE, qui entraînent une obligation d’accorder « une attention particulière » à une région donnée, était exhaustive.
69 Cette décision de la Commission a été validée par le Tribunal qui a rejeté le recours en annulation contre celle‑ci (arrêt du 10 mai 2016, Izsák et Dabis/Commission, T‑529/13, EU:T:2016:282).
70 La Cour, dans l’arrêt du 7 mars 2019, Izsák et Dabis/Commission (C‑420/16 P, EU:C:2019:177), a annulé l’arrêt visé au point 69 ci-dessus.
71 En premier lieu, d’une part, la Cour, fournissant des clarifications quant aux obligations de la Commission dans le cadre de l’examen de la condition d’enregistrement prévue à l’article 4, paragraphe 2, sous b), du règlement no 211/2011, a rappelé que cette condition d’enregistrement doit être interprétée et appliquée par la Commission de manière à assurer un accès facile à l’ICE. Ainsi, ce n’est que si une proposition d’ICE est, eu égard à son objet et à ses objectifs tels qu’ils ressortent des
informations obligatoires et, le cas échéant, supplémentaires qui ont été fournies par les organisateurs en application de l’annexe II du règlement no 211/2011, manifestement en dehors du cadre des attributions en vertu desquelles la Commission peut présenter une proposition d’acte juridique de l’Union aux fins de l’application des traités que celle‑ci est habilitée à refuser l’enregistrement de cette proposition d’ICE au titre de l’article 4, paragraphe 2, sous b), dudit règlement (arrêt du
7 mars 2019, Izsák et Dabis/Commission, C‑420/16 P, EU:C:2019:177, points 53 et 54).
72 D’autre part, la Cour a précisé que la question de savoir si la mesure proposée dans le contexte d’une ICE relève du cadre des attributions de la Commission constitue, de prime abord, non pas une question de fait ou d’appréciation de preuve sujette, en tant que telle, aux règles en matière de charge de la preuve, mais essentiellement une question d’interprétation et d’application des dispositions des traités en cause. Ainsi, lorsque la Commission est saisie d’une demande d’enregistrement d’une
proposition d’ICE, il ne lui appartient pas, à ce stade, de vérifier que la preuve de tous les éléments de fait invoqués est rapportée ni que la motivation qui sous-tend la proposition et les mesures proposées est suffisante. Elle doit se borner à examiner, aux fins d’apprécier le respect de la condition d’enregistrement prévue à l’article 4, paragraphe 2, sous b), du règlement no 211/2011, si, d’un point de vue objectif, de telles mesures envisagées dans l’abstrait pourraient être prises sur le
fondement des traités (arrêt du 7 mars 2019, Izsák et Dabis/Commission, C‑420/16 P, EU:C:2019:177, points 61 et 62).
73 En deuxième lieu, la Cour a conclu que le Tribunal avait commis une erreur de droit en ayant considéré que, pour l’enregistrement de la proposition d’ICE litigieuse, les organisateurs étaient tenus de rapporter la preuve que la condition prévue à l’article 4, paragraphe 2, sous b), du règlement no 211/2011 était remplie. Selon la Cour, le Tribunal avait procédé à une appréhension erronée de la condition d’enregistrement susvisée et de la répartition des tâches entre les organisateurs d’une ICE et
la Commission dans le cadre du processus d’enregistrement qui en découle (arrêt du 7 mars 2019, Izsák et Dabis/Commission, C‑420/16 P, EU:C:2019:177, points 63 et 72).
74 En troisième lieu, la Cour a contrôlé l’interprétation de l’article 174 TFUE, lu en combinaison avec l’article 4, paragraphe 2, sous c), TFUE, opérée par le Tribunal dans l’arrêt visé au point 69 ci‑dessus. Dans ce contexte, la Cour a énoncé ce qui suit :
« 68. […] il est vrai que l’article 174 TFUE décrit les objectifs de la politique de cohésion de l’Union en des termes généraux et confère à l’Union une marge de manœuvre étendue quant aux actions qu’elle est susceptible d’entreprendre en matière de cohésion économique, sociale et territoriale compte tenu d’une conception large des régions susceptibles d’être concernées par ces actions.
69. En particulier, la liste, figurant à l’article 174, troisième alinéa, TFUE, des régions “qui souffrent de handicaps naturels ou démographiques graves et permanents” présente, ainsi que le met en évidence l’utilisation des termes “parmi les régions concernées” et “telles que” dans cette disposition, un caractère indicatif, et non exhaustif.
70. Néanmoins, et ainsi que l’a relevé le Tribunal aux points 87 et 89 de son arrêt, les caractéristiques ethniques, culturelles, religieuses ou linguistiques spécifiques des régions à minorité nationale ne sauraient être regardées comme constituant systématiquement, pour le développement économique, un handicap par rapport aux régions environnantes.
71. Il s’ensuit que, en ayant exclu, aux points 85 à 89 de l’arrêt attaqué, qu’une région à minorité nationale puisse, au regard de ses caractéristiques ethniques, culturelles, religieuses ou linguistiques spécifiques, faire systématiquement partie des “régions qui souffrent de handicaps naturels ou démographiques graves et permanents”, au sens de l’article 174, troisième alinéa, TFUE, le Tribunal a correctement interprété la notion de “région concernée” figurant [dans] cette disposition et,
dès lors, n’a pas commis une erreur de droit sur ce point. »
75 En quatrième lieu, la Cour a accueilli le pourvoi et annulé l’arrêt visé au point 69 ci‑dessus sur la base de la conclusion présentée au point 73 ci-dessus (arrêt du 7 mars 2019, Izsák et Dabis/Commission, C‑420/16 P, EU:C:2019:177, point 73).
76 En cinquième lieu, la Cour, estimant que l’affaire était en état d’être jugée, a annulé la décision de refus d’enregistrement de la proposition d’ICE litigieuse, prise par la Commission. Plus spécifiquement, la Cour, sur la base du constat que le Tribunal avait commis une erreur de droit [en considérant que, pour l’enregistrement de la proposition d’ICE en cause, les requérants étaient tenus de rapporter la preuve que la condition prévue à l’article 4, paragraphe 2, sous b), du règlement
no 211/2011 était remplie], a considéré que le moyen du recours des requérants, tiré de la violation de cette disposition, était fondé. De cette conclusion, la Cour a déduit que la décision de refus d’enregistrement de la proposition d’ICE litigieuse, prise par la Commission, devait être annulée (arrêt du 7 mars 2019, Izsák et Dabis/Commission, C‑420/16 P, EU:C:2019:177, points 74 à 77).
77 C’est à la suite de l’arrêt du 7 mars 2019, Izsák et Dabis/Commission (C‑420/16 P, EU:C:2019:177), que la Commission a adopté la décision attaquée par laquelle elle a enregistré la proposition d’ICE litigieuse.
78 Il ressort du libellé de la décision attaquée (voir points 7 à 13 ci‑dessus) que, en premier lieu, la Commission a identifié l’objet et les objectifs de la proposition d’ICE litigieuse. En second lieu, la Commission a effectué l’analyse juridique préliminaire requise, d’une part, en identifiant, au considérant 5 de la décision attaquée, le fondement juridique qui lui permettrait de présenter une proposition d’acte juridique de l’Union afin de donner suite à l’ICE litigieuse, à savoir
l’article 177 TFUE et, d’autre part, en précisant, au considérant 6 ainsi qu’à l’article 1er, paragraphe 2, de la décision attaquée, que les actions à financer à la suite de cette ICE devaient viser au renforcement de la cohésion économique, sociale et territoriale de l’Union. En d’autres termes, la Commission, dans le cadre de cette analyse, a identifié les limites de la compétence de l’Union en ce qui concerne la proposition d’ICE litigieuse.
79 Eu égard au libellé de la décision attaquée, au contexte de son adoption et aux règles juridiques pertinentes en la matière, le Tribunal considère que la décision attaquée est motivée à suffisance de droit. Cette conclusion n’est pas remise en cause par les griefs de la Roumanie.
80 S’agissant, tout d’abord, du premier grief de la Roumanie, tiré de ce que la Commission n’aurait pas exposé les motifs pour lesquels elle serait compétente pour proposer l’adoption d’un acte juridique de l’Union donnant suite à l’ICE litigieuse (point 56 ci‑dessus), il ressort du libellé de la décision attaquée que la Commission a considéré que la proposition d’ICE litigieuse avait trait à la politique de cohésion économique, sociale et territoriale de l’Union, visée dans le titre XVIII de la
troisième partie du traité FUE, et que l’article 177 TFUE pouvait constituer la base légale d’un acte de l’Union donnant suite à l’ICE litigieuse. La Commission a également exposé, au considérant 6 et à l’article 1er, paragraphe 2, de la décision attaquée, les limites de la compétence de l’Union en la matière. Dans ces circonstances, le premier grief de la Roumanie n’est pas fondé et doit être rejeté.
81 Dans le cadre de son second grief (points 57 et 58 ci‑dessus), la Roumanie soutient, en substance, que la décision attaquée n’explique pas suffisamment le changement de position de la Commission concernant la proposition d’ICE litigieuse, attesté par le fait que la Commission avait initialement, dans le cadre de la décision C(2013) 4975 final, refusé son enregistrement.
82 Le Tribunal considère que ce second grief n’est pas davantage fondé. En effet, il convient de noter que le changement de position de la Commission trouve son explication dans l’arrêt du 7 mars 2019, Izsák et Dabis/Commission (C‑420/16 P, EU:C:2019:177), qui fait partie du contexte d’adoption de la décision attaquée.
83 Premièrement, dans l’arrêt du 7 mars 2019, Izsák et Dabis/Commission (C‑420/16 P, EU:C:2019:177), la Cour a invalidé l’analyse de la Commission, retenue dans la décision C(2013) 4975 final, selon laquelle la liste figurant à l’article 174, troisième alinéa, TFUE des régions « qui souffrent de handicaps naturels ou démographiques graves et permanents » présente un caractère exhaustif. Selon la Cour, cette liste présente un caractère indicatif.
84 Deuxièmement, dans l’arrêt du 7 mars 2019, Izsák et Dabis/Commission (C‑420/16 P, EU:C:2019:177, point 62), la Cour a précisé que, lorsque la Commission est saisie d’une demande d’enregistrement d’une proposition d’ICE, elle doit se borner à examiner si, d’un point de vue objectif, et sans vérification des éléments de fait invoqués et de la suffisance de la motivation sous-tendant cette proposition et les mesures proposées, de telles mesures, envisagées dans l’abstrait, pourraient être prises sur
le fondement des traités.
85 Troisièmement, par l’arrêt du 7 mars 2019, Izsák et Dabis/Commission (C‑420/16 P, EU:C:2019:177, point 62), la Cour a annulé non seulement l’arrêt du Tribunal visé au point 4 ci-dessus, mais également la décision C(2013) 4975 final de la Commission. Celle-ci devait, dès lors, adopter une nouvelle décision relative à la proposition d’ICE litigieuse, tirant toutes les conséquences de l’arrêt susvisé de la Cour.
86 Les éléments présentés aux points 83 à 85 ci‑dessus, connus par la Roumanie, expliquent le fait que la Commission, nonobstant sa position initiale exprimée dans la décision C(2013) 4975 final, a finalement enregistré la proposition d’ICE litigieuse par la décision attaquée. Ces éléments expliquent également son approche, au considérant 6 et à l’article 1er, paragraphe 2, de la décision attaquée, consistant à exposer le domaine dans lequel des actes juridiques de l’Union peuvent être adoptés
(« pour autant que les actions à financer tendent au renforcement de la cohésion économique, sociale et territoriale de l’Union »), lequel correspond au domaine dans lequel la présentation d’actes juridiques est demandée par les organisateurs de l’ICE litigieuse (« [l]a proposition d’[ICE litigieuse], en ce qu’elle porte sur la présentation, par la Commission, des propositions d’actes juridiques définissant les missions, les objectifs prioritaires et l’organisation des fonds à finalité
structurelle »), pour en déduire que la proposition d’ICE litigieuse n’est pas manifestement en dehors du cadre de ses attributions au sens de l’article 4, paragraphe 2, sous b), du règlement no 211/2011.
87 S’agissant de l’allégation de la Roumanie selon laquelle la Commission semble avoir enregistré la proposition d’ICE litigieuse sans savoir ce qu’elle visait réellement (voir point 58 ci‑dessus), cette allégation concerne plutôt le fond du litige et est abordée dans le cadre de l’examen du premier moyen.
88 Sur le fondement des considérations qui précèdent, le présent moyen doit être rejeté.
Sur le moyen tiré de la violation de l’article 4, paragraphe 2, sous b), du règlement no 211/2011
89 La Roumanie soutient que la proposition d’ICE litigieuse est manifestement en dehors du cadre des attributions de la Commission en vertu desquelles celle‑ci peut présenter une proposition d’acte juridique de l’Union aux fins de l’application des traités, au sens de l’article 4, paragraphe 2, sous b), du règlement no 211/2011, et que, par conséquent, la décision attaquée enfreint cette disposition.
90 En premier lieu, la Roumanie fait valoir que les articles 174 à 178 TFUE relatifs à la cohésion économique, sociale et territoriale de l’Union ne constituent pas des bases légales valables pour une action de l’Union dans le sens visé par la proposition d’ICE litigieuse.
91 À cet égard, la Roumanie soutient que, dans le domaine de la cohésion économique, sociale et territoriale (dans lequel s’inscrirait la proposition d’ICE litigieuse), l’Union ne peut atteindre l’objectif de protection des droits des personnes appartenant aux minorités nationales que dans la mesure où la finalité de la politique de cohésion établie par le traité poursuit la réalisation dudit objectif. Tout autre mode d’action méconnaîtrait le principe d’attribution, exprimé à l’article 4,
paragraphe 1, et à l’article 5, paragraphes 1 et 2, TUE.
92 Or, selon la Roumanie, la politique de cohésion économique, sociale et territoriale vise le développement harmonieux de l’ensemble de l’Union à travers, notamment, la réduction de l’écart entre les niveaux de développement des diverses régions et du retard des régions les moins favorisées. Selon la Roumanie, ce qui est pertinent pour une action s’inscrivant dans le cadre de cette politique est le critère du niveau de développement des différentes régions et non pas celui des caractéristiques
nationales, ethniques, culturelles, religieuses et linguistiques des régions. Par ailleurs, on ne saurait retenir l’existence d’un lien valable et systématique entre la composition ethnique de certaines régions et leur niveau de développement par rapport aux régions avoisinantes.
93 La Roumanie conclut que le critère tenant aux particularités des régions peuplées par des minorités nationales n’est pas pertinent pour l’appréciation du niveau de développement d’une région, de sorte qu’il ne saurait jouer le moindre rôle dans la mise en œuvre de la politique de cohésion. Partant, un acte fondé sur un tel critère ne permettrait pas d’atteindre les objectifs de la politique de cohésion visant à réduire l’écart entre les niveaux de développement des diverses régions de l’Union et,
par conséquent, ne saurait se fonder sur les articles 174 à 178 TFUE.
94 Dans ce contexte, la Roumanie note que la Cour, dans l’arrêt du 7 mars 2019, Izsák et Dabis/Commission (C‑420/16 P, EU:C:2019:177), n’a pas abordé la question de savoir si les mesures visées par la proposition d’ICE litigieuse et « envisagées dans l’abstrait pourraient être prises sur le fondement des traités ». En revanche, la Cour aurait confirmé l’analyse du Tribunal selon laquelle une région à minorité nationale ne pouvait, au regard de ses caractéristiques ethniques, culturelles, religieuses
ou linguistiques spécifiques, faire systématiquement partie des « régions qui souffrent de handicaps naturels ou démographiques graves et permanents », au sens de l’article 174, troisième alinéa, TFUE. La Roumanie en déduit que la Cour a considéré qu’une réglementation allant dans le sens visé par les organisateurs ne saurait se fonder sur les dispositions du traité relatives à la politique de cohésion.
95 En second lieu, la Roumanie fait valoir que la rédaction du considérant 6 de la décision attaquée révèle l’existence d’une réserve dans l’appréciation de la Commission. Cette réserve indiquerait que, selon la Commission, l’objet et les objectifs de la proposition d’ICE litigieuse ne sont pas clairs et qu’il n’apparaît pas clairement non plus de quelle manière ceux-ci pourraient être atteints à travers l’adoption d’actes juridiques fondés sur les articles 174 à 178 TFUE. Or, cette démarche de la
Commission ne serait pas conforme au règlement no 211/2011. Selon la Roumanie, la décision d’enregistrer une proposition d’ICE doit être fondée sur l’analyse exacte de son objet et de ses objectifs, même si ladite analyse est effectuée de manière abstraite et non pas concrète. Cette analyse ne saurait être reportée à une étape ultérieure du parcours de l’ICE, telle que celle établie à l’article 10 du règlement no 211/2011.
96 Dans la réplique, la Roumanie, développant davantage l’argumentation présentée au point 95 ci-dessus, fait grief à la Commission de se rapporter uniquement à une partie réduite des informations fournies par les organisateurs sur l’ICE litigieuse, à savoir à l’objectif général et vague déclaré, interprétant ainsi de manière erronée la notion d’« analyse dans l’abstrait » à laquelle la Cour a fait référence dans l’arrêt du 7 mars 2019, Izsák et Dabis/Commission (C‑420/16 P, EU:C:2019:177). La
Roumanie soutient que la Commission devait tenir compte tant des informations obligatoires que des informations supplémentaires fournies par les organisateurs en application de l’annexe II du règlement no 211/2011 et que, dans ce contexte, l’identification correcte de l’objet et des objectifs réels de la proposition d’ICE litigieuse constitue une condition sine qua non de l’identification du domaine de compétence de l’Union ou du fondement juridique d’un acte de l’Union éventuellement adopté.
97 Plus spécifiquement, la Roumanie fait valoir que la Commission devait tenir compte du fait que la proposition d’ICE litigieuse évoquait la nécessité de l’élaboration d’une définition de la notion de « région à minorité nationale » ainsi que d’une liste de ces régions. La Commission aurait dû également tenir compte du fait que la transposition de la proposition d’ICE litigieuse dans la législation européenne présupposait la reconfiguration de l’ensemble du système statistique prévu dans le
règlement (CE) no 1059/2003 du Parlement européen et du Conseil, du 26 mai 2003, relatif à l’établissement d’une nomenclature commune des unités territoriales statistiques (NUTS) (JO 2003, L 154, p. 1), et la modification du mode d’organisation administrative au niveau des États membres dans une nouvelle configuration territoriale qui devait tenir compte du critère ethnique, religieux, linguistique ou culturel. Or, selon la Roumanie, l’organisation administrative et territoriale des États membres
relève de leur compétence exclusive et, conformément à l’article 4, paragraphe 2, TUE, l’Union a l’obligation de respecter l’ordre constitutionnel des États membres.
98 Sur le fondement de l’argumentation présentée ci-dessus, la Roumanie conclut que la décision attaquée enfreint l’article 4, paragraphe 2, sous b), du règlement no 211/2011.
99 La Commission et la Hongrie contestent l’argumentation de la Roumanie.
100 Avant d’aborder spécifiquement les griefs formulés par la Roumanie envers la Commission dans le cadre du présent moyen, il importe de rappeler les caractéristiques de l’examen auquel la Commission doit procéder au titre de l’article 4, paragraphe 2, sous b), du règlement no 211/2011.
101 À cet égard, il convient de rappeler que la condition d’enregistrement d’une proposition d’ICE doit être interprétée et appliquée par la Commission de manière à assurer un accès facile à l’ICE. Ainsi, ce n’est que si une proposition d’ICE est, eu égard à son objet et à ses objectifs tels qu’ils ressortent des informations obligatoires et, le cas échéant, supplémentaires fournies par les organisateurs, manifestement en dehors du cadre des attributions en vertu desquelles la Commission peut
présenter une proposition d’acte juridique de l’Union aux fins de l’application des traités que celle-ci est habilitée à refuser l’enregistrement de cette proposition d’ICE au titre de l’article 4, paragraphe 2, sous b), dudit règlement (voir point 71 ci‑dessus).
102 Par ailleurs, une distinction existe entre l’examen auquel la Commission est tenue de procéder au titre de l’article 4, paragraphe 2, sous b), du règlement no 211/2011 et celui auquel elle est tenue de procéder au titre de l’article 10, paragraphe 1, sous c), du même règlement.
103 Au titre de l’article 4, paragraphe 2, sous b), du règlement no 211/2011, la Commission doit se borner à examiner si, d’un point de vue objectif, les mesures proposées dans le cadre de l’ICE en cause, envisagées dans l’abstrait, pourraient être prises sur le fondement des traités. Il n’appartient pas à la Commission, à ce stade, de vérifier que la preuve de tous les éléments de fait invoqués est rapportée ni que la motivation qui sous-tend la proposition et les mesures proposées est suffisante
(arrêt du 7 mars 2019, Izsák et Dabis/Commission, C‑420/16 P, EU:C:2019:177, point 62).
104 La décision d’enregistrer une proposition d’ICE implique une première appréciation de celle-ci sur le plan juridique et ne préjuge pas de l’appréciation effectuée par la Commission dans le cadre de la communication adoptée sur le fondement de l’article 10, paragraphe 1, sous c), du règlement no 211/2011, cette communication renfermant la position définitive de la Commission sur la question de savoir si elle présentera ou non une proposition d’acte juridique de l’Union en réponse à l’ICE en
question (voir, en ce sens, arrêt du 23 avril 2018, One of Us e.a./Commission, T‑561/14, EU:T:2018:210, points 77, 79 et 117).
105 Il ressort des considérations présentées aux points 100 à 104 ci‑dessus que la Commission ne peut refuser l’enregistrement d’une proposition d’ICE que si, lors de l’examen effectué dans le cadre de l’article 4, paragraphe 2, sous b), du règlement no 211/2011, elle arrive à la conclusion qu’il peut être totalement exclu qu’elle puisse présenter une proposition d’acte juridique de l’Union aux fins de l’application des traités. En revanche, si la Commission ne peut pas arriver à une telle
conclusion, elle est obligée d’enregistrer la proposition d’ICE en question.
106 La conclusion présentée au point 105 ci-dessus est corroborée par la précision de la Cour selon laquelle la valeur ajoutée particulière du mécanisme de l’ICE réside non pas dans la certitude de son issue, mais dans les possibilités et les opportunités qu’elle crée pour les citoyens de l’Union de déclencher un débat politique au sein des institutions de celle-ci sans devoir attendre le déclenchement d’une procédure législative (voir point 51 ci‑dessus). Il ressort de cette précision que la
Commission, même en présence de forts doutes sur le fait de savoir si la proposition d’ICE en cause relève du cadre de ses attributions au sens de l’article 4, paragraphe 2, sous b), du règlement no 211/2011, doit enregistrer ladite proposition afin de permettre le débat politique au sein des institutions, déclenché à la suite de cet enregistrement.
107 C’est à la lumière des considérations présentées aux points 101 à 106 ci-dessus qu’il convient d’apprécier les griefs de la Roumanie.
108 En ce qui concerne le grief de la Roumanie, présenté aux points 95 à 97 ci-dessus, selon lequel la Commission n’avait pas pris en compte toutes les informations fournies par les organisateurs dans la proposition d’ICE litigieuse et n’avait pas, en substance, identifié correctement le contenu de cette proposition, il importe de noter, à titre liminaire, que, selon la jurisprudence, les informations relatives à l’objet et aux objectifs de la proposition d’ICE qui sont fournies par les
organisateurs de l’ICE soit de manière obligatoire soit de manière facultative, conformément à l’annexe II du règlement no 211/2011, doivent être prises en considération par la Commission lors de l’examen effectué en vertu, notamment, de l’article 4, paragraphe 2, sous b), de ce règlement (arrêt du 7 mars 2019, Izsák et Dabis/Commission, C‑420/16 P, EU:C:2019:177, points 51 et 54). Par ailleurs, il a été précisé que, lorsque, conformément à l’annexe II susvisée, les organisateurs de l’ICE
joignent en annexe de leur proposition, comme ils l’ont fait en l’espèce, des informations plus détaillées sur l’objet, les objectifs et le contexte de celle‑ci, la Commission est tenue d’examiner ces informations avec soin et impartialité (arrêt du 12 septembre 2017, Anagnostakis/Commission, C‑589/15 P, EU:C:2017:663, point 35).
109 En l’espèce, en premier lieu, il convient de noter que, aux considérants 1 et 2 de la décision attaquée, la Commission a identifié l’objet et les objectifs de cette proposition en reprenant les informations obligatoires fournies par les organisateurs en vertu de l’annexe II du règlement no 211/2011 (voir point 2 ci‑dessus).
110 En deuxième lieu, il convient de noter que l’article 177 TFUE, identifié par la Commission au considérant 5 de la décision attaquée en tant que base légale potentielle des actes juridiques de l’Union qui pourraient être adoptés en tant que suite à donner à l’ICE litigieuse, figurait parmi les dispositions citées par les organisateurs dans la proposition d’ICE litigieuse, en vertu de l’annexe II du règlement no 211/2011, en tant que dispositions pertinentes pour l’action proposée.
111 En troisième lieu, il y a lieu de rappeler que la Commission a enregistré la proposition d’ICE litigieuse « sur la base du constat qu’elle porte sur la présentation, par [elle-même], de propositions d’actes juridiques définissant les missions, les objectifs prioritaires et l’organisation des fonds à finalité structurelle » et « pour autant que les actions à financer tendent au renforcement de la cohésion économique, sociale et territoriale de l’Union » (article 1er, paragraphe 2, de la décision
attaquée).
112 Les éléments présentés aux points 108 à 111 ci-dessus, examinés à la lumière de l’ensemble des informations fournies par les organisateurs de la proposition d’ICE litigieuse, démontrent que la Commission, conformément à l’arrêt du 7 mars 2019, Izsák et Dabis/Commission (C‑420/16 P, EU:C:2019:177, point 62), a examiné, d’un point de vue objectif, les mesures proposées, envisagées dans l’abstrait, en se bornant, en substance, à présenter l’objet et les objectifs de la proposition d’ICE litigieuse
et à constater que cette proposition relevait de la politique de cohésion de l’Union. Envisagée de cette manière, la proposition d’ICE litigieuse est correctement présentée dans la décision attaquée et aucune dénaturation de son contenu ne peut être constatée.
113 Il est vrai que, ainsi que la Roumanie le relève, les organisateurs de l’ICE litigieuse ont évoqué, dans le cadre des informations supplémentaires et facultatives communiquées conformément à l’annexe II du règlement no 211/2011, la nécessité que l’acte juridique de l’Union, adopté à la suite de l’ICE litigieuse, contienne une définition de la notion de « régions à minorité ethnique ou nationale » ainsi qu’une liste de ces régions. Les organisateurs ont également évoqué la nécessité que, lors de
la détermination des régions visées dans le règlement no 1059/2003, il soit tenu compte de leurs frontières ethniques, religieuses, linguistiques ou culturelles.
114 Cela étant, il convient de constater qu’il ressortait de l’ensemble des informations communiquées par les organisateurs que les éléments présentés au point 113 ci-dessus constituaient, selon eux, des moyens pour atteindre l’objectif de l’ICE litigieuse, tel que décrit au considérant 2 de la décision attaquée. Il s’ensuit que, dans la mesure où la Commission, lors de l’appréciation effectuée au titre de l’article 4, paragraphe 2, sous b), du règlement no 211/2011, se trouvait dans l’obligation
juridique d’examiner, d’un point de vue objectif, les mesures proposées, envisagées dans l’abstrait, sans pouvoir vérifier que la preuve de tous les éléments de fait invoqués était rapportée ni que la motivation sous-tendant la proposition d’ICE litigieuse et lesdites mesures était suffisante (arrêt du 7 mars 2019, Izsák et Dabis/Commission, C‑420/16 P, EU:C:2019:177, point 62), il convient de conclure qu’il n’est pas démontré que la Commission n’a pas pris en compte l’ensemble des informations
fournies par les organisateurs de la proposition d’ICE litigieuse, y compris les informations supplémentaires et facultatives, ni qu’elle a dénaturé le contenu de cette proposition.
115 En outre, l’argument de la Roumanie selon lequel la Commission avait assorti son appréciation d’une « réserve » qui serait, en substance, contraire au règlement no 211/2011 (voir point 95 ci‑dessus) doit être écarté.
116 En effet, force est de constater que la démarche de la Commission consistant à enregistrer la proposition d’ICE litigieuse « sur la base du constat qu’elle porte sur la présentation, par [elle-même], de propositions d’actes juridiques définissant les missions, les objectifs prioritaires et l’organisation des fonds à finalité structurelle et pour autant que les actions à financer tendent au renforcement de la cohésion économique, sociale et territoriale de l’Union » est conforme au règlement
no 211/2011, tel qu’interprété par la Cour notamment dans l’arrêt du 7 mars 2019, Izsák et Dabis/Commission (C‑420/16 P, EU:C:2019:177), dans la mesure où, ainsi qu’il a déjà été noté, la Commission doit interpréter et appliquer la condition d’enregistrement prévue à l’article 4, paragraphe 2, sous b), du règlement susvisé de manière à assurer un accès facile à l’ICE. La Commission peut, dès lors, le cas échéant, procéder à un « cadrage », à une « qualification » ou même à un enregistrement
partiel de la proposition d’ICE en cause afin d’assurer l’accès facile à celle‑ci, à condition qu’elle respecte l’obligation de motivation qui lui incombe et que le contenu de cette proposition ne soit pas dénaturé. En effet, cette manière de procéder permet à la Commission, au lieu de refuser l’enregistrement d’une proposition d’ICE, d’enregistrer celle-ci de manière qualifiée, afin de préserver l’effet utile de l’objectif poursuivi par le règlement no 211/2011. Cette conclusion s’impose
d’autant plus que les organisateurs d’une telle proposition ne sont pas obligatoirement des juristes ayant le sens de la précision dans l’expression écrite et des connaissances sur les compétences de l’Union et les attributions de la Commission. En outre, il convient de noter que l’allégation de la Roumanie selon laquelle l’existence d’une« réserve » dans l’appréciation de Commission indique l’existence de doutes et d’interrogations de sa part (voir point 95 ci‑dessus) non seulement n’est pas
démontrée mais est aussi inopérante, dans la mesure où, ainsi qu’il a déjà été noté, l’existence de tels doutes et d’interrogations ne devrait pas empêcher la Commission d’enregistrer la proposition d’ICE litigieuse.
117 En outre, cette démarche de la Commission s’explique par son obligation d’adopter une nouvelle décision relative à la proposition d’ICE litigieuse à la suite de l’arrêt du 7 mars 2019, Izsák et Dabis/Commission (C‑420/16 P, EU:C:2019:177), tirant toutes les conséquences de cet arrêt, ainsi qu’il a été souligné au point 85 ci‑dessus.
118 Eu égard aux considérations contenues aux points 108 à 117 ci‑dessus, le grief de la Roumanie présenté aux points 95 à 97 ci‑dessus doit être rejeté.
119 S’agissant du grief de la Roumanie, présenté aux points 90 à 94 ci‑dessus, selon lequel les articles 174 à 178 TFUE ne constituent pas des bases légales valables pour une action de l’Union dans le sens visé par la proposition d’ICE litigieuse, il doit être rappelé que la Commission, sans commettre d’erreur (voir conclusions aux points 114 et 118 ci-dessus), a enregistré cette proposition « sur la base du constat qu’elle porte sur la présentation, par [elle-même], de propositions d’actes
juridiques définissant les missions, les objectifs prioritaires et l’organisation des fonds à finalité structurelle », cette présentation pouvant être faite sur la base de l’article 177 TFUE (article 1er, paragraphe 2, de la décision attaquée, lu en combinaison avec son considérant 5).
120 En effet, l’article 177, premier alinéa, TFUE prévoit notamment que « le Parlement […] et le Conseil, statuant par voie de règlements conformément à la procédure législative ordinaire […] définissent les missions, les objectifs prioritaires et l’organisation des fonds à finalité structurelle ». L’article 177 TFUE est placé sous le titre XVIII, intitulé « Cohésion économique, sociale et territoriale », de la troisième partie du traité FUE, intitulée « Les politiques et actions internes de
l’Union ».
121 Il ressort de l’article 4, paragraphe 2, sous c), TFUE que la cohésion économique, sociale et territoriale figure parmi les domaines de compétences partagées entre l’Union et les États membres. Conformément à l’article 2, paragraphe 6, TFUE, l’étendue et les modalités d’exercice de cette compétence de l’Union sont déterminées par les dispositions du titre XVIII de la troisième partie du traité FUE.
122 L’article 174, premier alinéa, TFUE, placé sous le titre XVIII susvisé, prévoit que l’Union, afin de promouvoir un développement harmonieux de son ensemble, développe et poursuive son action tendant au renforcement de sa cohésion économique, sociale et territoriale.
123 L’article 174, troisième alinéa, TFUE dispose :
« Parmi les régions concernées, une attention particulière est accordée aux zones rurales, aux zones où s'opère une transition industrielle et aux régions qui souffrent de handicaps naturels ou démographiques graves et permanents telles que les régions les plus septentrionales à très faible densité de population et les régions insulaires, transfrontalières et de montagne. »
124 La Cour a relevé que l’article 174 TFUE décrit les objectifs de la politique de cohésion de l’Union en des termes généraux et confère à l’Union une marge de manœuvre étendue quant aux actions qu’elle est susceptible d’entreprendre en matière de cohésion économique, sociale et territoriale compte tenu d’une conception large des régions susceptibles d’être concernées par ces actions (arrêt du 7 mars 2019, Izsák et Dabis/Commission, C‑420/16 P, EU:C:2019:177, point 68).
125 En outre, la Cour a précisé que la liste, figurant à l’article 174, troisième alinéa, TFUE, des régions « qui souffrent de handicaps naturels ou démographiques graves et permanents » présente un caractère indicatif, et non exhaustif (arrêt du 7 mars 2019, Izsák et Dabis/Commission, C‑420/16 P, EU:C:2019:177, point 69).
126 Il ressort des considérations présentées aux points 120 à 125 ci‑dessus que l’Union dispose de la compétence dans le domaine de la cohésion économique, sociale et territoriale. Par ailleurs, il est rappelé que l’article 177 TFUE prévoit l’adoption de règlements à travers la procédure législative ordinaire, laquelle, ainsi qu’il est précisé à l’article 289, paragraphe 1, TFUE, est déclenchée par la présentation d’une proposition de la Commission au Parlement et au Conseil.
127 Il ressort de ce qui précède que la Commission pouvait, sans commettre d’erreur, conclure, dans la décision attaquée, que la proposition d’ICE litigieuse, dans la mesure où elle portait sur la présentation par elle-même de propositions d’actes juridiques définissant les missions, les objectifs prioritaires et l’organisation des fonds à finalité structurelle et pour autant que les actions à financer tendaient au renforcement de la cohésion économique, sociale et territoriale de l’Union, ne se
situait manifestement pas en dehors du cadre de ses attributions au sens de l’article 4, paragraphe 2, sous b), du règlement no 211/2011. Cette conclusion s’impose au regard de la précision apportée par la Cour selon laquelle la question de savoir si la mesure proposée dans le contexte d’une ICE relève du cadre des attributions de la Commission au sens de la disposition susvisée constitue, de prime abord et essentiellement, une question d’interprétation et d’application des dispositions des
traités en cause (arrêt du 7 mars 2019, Izsák et Dabis/Commission, C‑420/16 P, EU:C:2019:177, point 61).
128 Il est vrai que, comme le note d’ailleurs la Roumanie, la Cour, dans l’arrêt du 7 mars 2019, Izsák et Dabis/Commission (C‑420/16 P, EU:C:2019:177), a validé l’analyse du Tribunal dans l’arrêt du 10 mai 2016, Izsák et Dabis/Commission (T‑529/13, EU:T:2016:282), selon laquelle les caractéristiques ethniques, culturelles, religieuses ou linguistiques spécifiques des régions à minorité nationale ne sauraient être regardées comme constituant systématiquement, pour le développement économique, un
handicap par rapport aux régions environnantes. La Cour a ainsi considéré que le Tribunal, en ayant exclu qu’une région à minorité nationale puisse, au regard de ses caractéristiques ethniques, culturelles, religieuses ou linguistiques spécifiques, faire systématiquement partie des « régions qui souffrent de handicaps naturels ou démographiques graves et permanents » au sens de l’article 174, troisième alinéa, TFUE, a correctement interprété la notion de « région concernée » figurant dans cette
disposition (arrêt du 7 mars 2019, Izsák et Dabis/Commission, C‑420/16 P, EU:C:2019:177, points 70 et 71).
129 Ces précisions apportées par la Cour ne remettent pas en cause la conclusion énoncée au point 127 ci‑dessus, selon laquelle la Commission n’a pas commis d’erreur en concluant que la proposition d’ICE litigieuse ne sortait manifestement pas du cadre de ses attributions. En effet, d’une part, la décision d’enregistrer une proposition d’ICE ne préjuge pas de l’appréciation effectuée par la Commission dans le cadre de la communication adoptée sur le fondement de l’article 10, paragraphe 1, sous c),
du règlement no 211/2011, laquelle comporte ses « conclusions juridiques et politiques » sur l’ICE, l’action qu’elle compte entreprendre, le cas échéant, ainsi que les raisons qu’elle a d’entreprendre ou de ne pas entreprendre cette action, ainsi qu’il a été rappelé aux points 50 et 104 ci‑dessus. D’autre part, ainsi que la Commission l’a précisé dans le mémoire en défense, elle peut, lors de la préparation de ladite communication et si elle l’estime nécessaire, examiner, en se fondant notamment
sur des données factuelles, si et dans quelle mesure les caractéristiques d’une région à minorité nationale peuvent avoir un impact sur son développement économique ou social par rapport aux régions environnantes et si et dans quelle mesure les différences constatées entre les niveaux de développement économique ou social appellent une action tendant au renforcement de la cohésion économique, sociale et territoriale.
130 Sur le fondement des considérations qui précèdent, il y a lieu de rejeter le grief de la Roumanie présenté aux points 90 à 94 ci‑dessus et, ainsi, le présent moyen. Par conséquent, le recours doit être rejeté.
Sur les dépens
131 Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Roumanie ayant succombé, elle supportera ses propres dépens ainsi que ceux exposés par la Commission, conformément aux conclusions de celle‑ci.
132 En application de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, les États membres qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens. Il s’ensuit que la Hongrie supportera ses propres dépens.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (dixième chambre)
déclare et arrête :
1) Le recours est rejeté.
2) La Roumanie supportera ses propres dépens ainsi que ceux exposés par la Commission européenne.
3) La Hongrie supportera ses propres dépens.
Kornezov
Buttigieg
Kowalik-Bańczyk
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 10 novembre 2021.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : le roumain.