ORDONNANCE DU TRIBUNAL (quatrième chambre élargie)
9 mars 2022 ( *1 )
« Recours en annulation – Représentation par un avocat n’ayant pas la qualité de tiers indépendant de la partie requérante – Irrecevabilité »
Dans l’affaire T‑727/20,
Nigar Kirimova, demeurant à Munich (Allemagne), représentée par Mes A. Parassina et A. García López, avocats,
partie requérante,
contre
Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), représenté par Mmes G. Predonzani et A. Söder, en qualité d’agents,
partie défenderesse,
ayant pour objet une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation de la décision du directeur exécutif de l’EUIPO du 30 septembre 2020 rejetant la demande de dérogation de la requérante à l’exigence d’être ressortissant de l’un des États membres de l’Espace économique européen (EEE) dont dépend l’inscription sur la liste des mandataires agréés par cet office,
LE TRIBUNAL (quatrième chambre élargie),
composé de MM. S. Gervasoni, président, L. Madise, P. Nihoul, Mme R. Frendo (rapporteure) et M. J. Martín y Pérez de Nanclares, juges,
greffier : M. E. Coulon,
rend la présente
Ordonnance
Antécédents du litige
1 La requérante, Mme Nigar Kirimova, était, à l’époque des faits, juriste au sein du cabinet Brandstock Legal Rechtsanwaltgesellschaft mbH (ci-après « Brandstock Legal »). Elle a présenté à l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), le 10 octobre 2019, une demande d’inscription sur la liste des mandataires agréés auprès de cet office conformément à l’article 120 du règlement (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil, du 14 juin 2017, sur la marque de l’Union
européenne (JO 2017, L 154, p. 1). Étant de nationalité azérie, elle a simultanément sollicité, sur la base du paragraphe 4, sous b), de cet article, une dérogation à l’exigence d’être ressortissante de l’un des États membres de l’Espace économique européen (EEE) énoncée à l’article 120, paragraphe 2, sous a), dudit règlement (ci-après la « condition de nationalité »).
2 Par courrier du 30 janvier 2020, l’EUIPO a informé la requérante que sa demande de dérogation était irrecevable, en ce qu’elle n’était pas étayée par les éléments de preuve requis.
3 Les 9 et 13 mars 2020, la requérante a présenté ses observations en réponse à la lettre du 30 janvier précédent.
4 Le 30 septembre 2020, le directeur exécutif de l’EUIPO a rejeté la demande de dérogation à la condition de nationalité introduite par la requérante (ci-après la « décision attaquée »).
Procédure et conclusions des parties
5 Par requête signée par une avocate membre du cabinet Brandstock Legal et déposée au greffe du Tribunal le 7 décembre 2020, la requérante a introduit le présent recours.
6 Le Tribunal, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 89 de son règlement de procédure, a invité la requérante à indiquer toute relation d’emploi qu’elle pourrait avoir avec son avocate. La requérante a répondu à cette invitation le 20 janvier 2021.
7 L’EUIPO a déposé le mémoire en défense le 21 avril 2021.
8 Le 7 juin 2021, la requérante a déposé la réplique et, le 23 juillet 2021, l’EUIPO a déposé la duplique.
9 Par décision du 21 septembre 2021, en application de l’article 27, paragraphe 3, du règlement de procédure, le président du Tribunal a réattribué la présente affaire à un autre juge rapporteur, dans l’objectif d’une optimisation des capacités de jugement du Tribunal et donc dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice.
10 Sur proposition de la quatrième chambre du Tribunal, le Tribunal a décidé, en application de l’article 28 du règlement de procédure, de renvoyer l’affaire devant une formation de jugement élargie.
11 La partie requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– annuler la décision attaquée ;
– réformer la décision attaquée en lui accordant une dérogation à la condition de nationalité sur le fondement de l’article 120, paragraphe 4, sous b), du règlement 2017/1001 ;
– réformer la décision attaquée en ordonnant à l’EUIPO de l’inscrire sur la liste des mandataires agréés en application de l’article 120 du règlement 2017/1001 ;
– condamner l’EUIPO aux dépens.
12 L’EUIPO conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– rejeter le recours ;
– condamner la requérante aux dépens.
En droit
13 Sans soulever une exception d’irrecevabilité par acte séparé sur le fondement de l’article 130, paragraphe 1, du règlement de procédure, l’EUIPO excipe de l’irrecevabilité du recours.
14 L’EUIPO soutient que, en vertu de l’article 19, troisième alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, une partie n’est pas autorisée à agir elle-même, mais doit recourir aux services d’un avocat et qu’il résulte de la jurisprudence qu’un avocat au sens de cette disposition est un tiers indépendant de la partie qu’il représente en justice, d’un point de vue structurel, hiérarchique et fonctionnel. Or, l’avocate qui a introduit le recours au nom de la requérante était, à la date
de l’introduction du recours, avocate dans le même cabinet que la requérante, exerçait les fonctions de supérieure hiérarchique de celle-ci, et ne remplirait donc pas la condition d’être un tiers indépendant. Le recours serait, dès lors, entaché d’un vice non régularisable et, comme tel, irrecevable.
15 En vertu de l’article 129 du règlement de procédure, sur proposition du juge rapporteur, le Tribunal peut, à tout moment, d’office, les parties entendues, décider de statuer par voie d’ordonnance motivée sur les fins de non-recevoir d’ordre public. En l’espèce, le Tribunal, s’estimant suffisamment éclairé par les pièces du dossier, décide de statuer par la voie d’une ordonnance motivée sans poursuivre la procédure.
16 Il convient de rappeler que, l’article 19, troisième alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, applicable au Tribunal en vertu de l’article 53, premier alinéa, dudit statut, dispose que les parties autres que les États membres et les institutions de l’Union européenne, les États parties à l’accord sur l’EEE et l’Autorité de surveillance de l’Association européenne de libre-échange, visée par ledit accord, doivent être représentées par un avocat. Le quatrième alinéa précise
que seul un avocat habilité à exercer devant une juridiction d’un État membre ou d’un autre État partie à l’accord sur l’EEE peut représenter ou assister une partie devant les juridictions de l’Union.
17 S’agissant de la notion d’avocat, il y a lieu d’observer que, en l’absence de renvoi par l’article 19, troisième alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne au droit national des États membres, il convient de l’interpréter de manière autonome et uniforme dans toute l’Union, en tenant compte non seulement du libellé de cette disposition, mais également de son contexte et de son objectif (voir arrêt du 4 février 2020, Uniwersytet Wrocławski et Pologne/REA, C‑515/17 P
et C‑561/17 P, EU:C:2020:73, point 57 et jurisprudence citée).
18 Selon une jurisprudence constante, il ressort du libellé de l’article 19, troisième alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne que, aux fins de l’introduction d’un recours devant le Tribunal, une partie, au sens de cette disposition, est tenue de recourir aux services d’un tiers (voir, en ce sens, arrêt du 4 février 2020, Uniwersytet Wrocławski et Pologne/REA, C‑515/17 P et C‑561/17 P, EU:C:2020:73, point 58 et jurisprudence citée).
19 L’objectif de l’exigence d’une représentation légale assurée par un tiers correspond à la conception du rôle de l’avocat, qui intervient dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, et surtout pour protéger et défendre au mieux les intérêts de son mandant, en toute indépendance ainsi que dans le respect de la loi et des règles professionnelles et déontologiques (voir, en ce sens, arrêt du 4 février 2020, Uniwersytet Wrocławski et Pologne/REA, C‑515/17 P et C‑561/17 P, EU:C:2020:73,
points 61 et 62 et jurisprudence citée).
20 La question de l’indépendance de l’avocat doit également être appréciée par rapport au droit de toute personne à un recours effectif devant un tribunal et au droit de s’y faire conseiller, défendre et représenter, garantis par l’article 47, premier et deuxième alinéas, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (voir, en ce sens, conclusions de l’avocat général Bobek dans les affaires jointes Uniwersytet Wrocławski et Pologne/REA, C‑515/17 P et C‑561/17 P, EU:C:2019:774, points 78
et 104). Doit à cet égard être pris en compte le fait que la représentation en justice exige une relation de confiance fondée sur un choix privé et de nature contractuelle, le justiciable étant libre de choisir son avocat, celui-ci étant libre, en principe, de choisir ses clients (voir, en ce sens, conclusions de l’avocat général Bobek dans les affaires jointes Uniwersytet Wrocławski et Pologne/REA, C‑515/17 P et C‑561/17 P, EU:C:2019:774, point 111).
21 Compte tenu dès lors du rôle qu’assume l’avocat dans la protection juridictionnelle effective des intérêts de son mandant (voir point 19 ci-dessus) et de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux, toute ingérence dans la relation entre celui-ci et son client doit être fondée sur des motifs sérieux caractérisant une nécessité manifeste et impérieuse de « protéger le requérant de son avocat » (conclusions de l’avocat général Bobek dans les affaires jointes Uniwersytet Wrocławski et
Pologne/REA, C‑515/17 P et C‑561/17 P, EU:C:2019:774, point 111). Par conséquent, ainsi que l’a jugé la Cour, l’indépendance de l’avocat s’entend comme l’absence, non pas de tout lien quelconque avec son client, mais de l’absence de liens qui portent manifestement atteinte à sa capacité à assurer sa mission de défense en servant au mieux les intérêts de celui-ci (arrêt du 4 février 2020, Uniwersytet Wrocławski et Pologne/REA, C‑515/17 P et C‑561/17 P, EU:C:2020:73, points 64 et 67).
22 Au vu de l’article 19, troisième alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, de la jurisprudence fondée sur celui-ci et de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux, la possibilité pour le juge de l’Union de rejeter les requêtes comme irrecevables étant ainsi limitée aux seuls cas d’absence manifeste d’indépendance de l’avocat, il en résulte, a contrario, que la compétence pour résoudre toutes les autres difficultés résultant de conflits ou de confusions d’intérêts
appartient, en principe, aux autorités nationales habilitées à cet effet, en particulier à celles investies de compétences déontologiques et disciplinaires, le juge de l’Union ne devant intervenir que de manière exceptionnelle.
23 Or, selon une jurisprudence constante, les exceptions sont d’interprétation stricte afin que les règles générales ne soient pas vidées de leur substance (voir arrêt du 22 avril 2010, Commission/Royaume-Uni, C‑346/08, EU:C:2010:213, point 39 et jurisprudence citée).
24 Il s’ensuit que les cas de figure de nature à empêcher l’avocat de représenter son mandant doivent être d’une nature et d’un degré tels qu’il apparaît de façon évidente que l’avocat, bien qu’il soit formellement un tiers par rapport au requérant, a des liens économiques ou personnels soit avec le litige, soit avec l’une des parties qui mettent en cause sa véritable indépendance (conclusions de l’avocat général Bobek dans les affaires jointes Uniwersytet Wrocławski et Pologne/REA, C‑515/17 P
et C‑561/17 P, EU:C:2019:774, point 137). En d’autres termes, ces liens doivent constituer des motifs sérieux conduisant à considérer que l’avocat n’est pas suffisamment détaché pour protéger et défendre au mieux les intérêts de son client (voir, en ce sens, arrêt du 4 février 2020, Uniwersytet Wrocławski et Pologne/REA, C‑515/17 P et C‑561/17 P, EU:C:2020:73, points 61 et 62).
25 À cet égard, pour s’assurer que l’avocat a véritablement la qualité de tiers indépendant, il convient de tenir compte de l’environnement professionnel dans lequel il intervient à l’occasion de l’affaire portée devant le juge de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 6 septembre 2012, Prezes Urzędu Komunikacji Elektronicznej et Pologne/Commission, C‑422/11 P et C‑423/11 P, EU:C:2012:553, point 25).
26 Ainsi, la représentation de la partie requérante par une personne qui est sa salariée ou qui est économiquement dépendante d’elle ne saurait satisfaire l’exigence d’une représentation par un tiers indépendant (ordonnance du 5 septembre 2013, ClientEarth/Conseil, C‑573/11 P, non publiée, EU:C:2013:564, point 13).
27 Toutefois, la méconnaissance de l’exigence d’indépendance de l’avocat est susceptible d’être constatée dans une grande variété d’autres situations factuelles qui doivent, dès lors, être examinées au cas par cas (voir, en ce sens, ordonnance du 20 novembre 2017, BikeWorld/Commission, T‑702/15, EU:T:2017:834, point 35, et conclusions de l’avocat général Bobek dans les affaires jointes Uniwersytet Wrocławski et Pologne/REA, C‑515/17 P et C‑561/17 P, EU:C:2019:774, point 64).
28 Ainsi, la Cour a, certes, jugé que le simple lien résultant d’un contrat de droit civil portant sur une charge d’enseignement était insuffisant pour dénier à l’enseignant en cause la capacité de représenter son université en tant qu’avocat (arrêt du 4 février 2020, Uniwersytet Wrocławski et Pologne/REA, C‑515/17 P et C‑561/17 P, EU:C:2020:73, points 66 à 68). Toutefois, le litige portait en l’occurrence sur la résiliation d’une convention entre l’université requérante et l’Agence exécutive pour
la recherche (REA) relative à la subvention d’un projet de recherche Cossar (Cooperative Spectrum Sensing Algorithms for Cognitive Radio Networks) qui ne concernait en rien le contexte professionnel de son représentant, lequel consistait seulement à enseigner le droit international privé. En d’autres termes, le litige n’avait aucun rapport avec le travail de l’avocat au sein de sa mandante.
29 Illustrant la diversité des cas de figure à prendre en considération, la Cour a, en revanche, considéré comme n’étant pas suffisamment indépendant de la personne morale qu’il représente l’avocat qui est investi de compétences administratives importantes au sein de celle-ci ou qui y occupe de hautes fonctions de direction (voir, en ce sens, ordonnances du 29 septembre 2010, EREF/Commission, C‑74/10 P et C‑75/10 P, non publiée, EU:C:2010:557, points 50 et 51, et du 6 avril 2017, PITEE/Commission,
C‑464/16 P, non publiée, EU:C:2017:291, point 25).
30 De même, le Tribunal a estimé que le fait de détenir 10 % du capital de la société requérante empêchait l’avocat de satisfaire à la condition d’avoir la qualité de tiers indépendant par rapport à celle-ci (ordonnance du 20 novembre 2017, BikeWorld/Commission, T‑702/15, EU:T:2017:834, points 37, 38, 40 et 41 ; conclusions de l’avocat général Bobek dans les affaires jointes Uniwersytet Wrocławski et Pologne/REA, C‑515/17 P et C‑561/17 P, EU:C:2019:774, point 43), et cela en l’absence même de tout
lien de subordination résultant d’un contrat de travail entre ceux-ci.
31 De même encore, la Cour a jugé que les avocats employés, non pas par la partie qu’ils représentaient, mais par une entité qui lui était liée, ne respectaient pas l’exigence d’indépendance dans la mesure où, même si ces deux entités étaient formellement séparées, leurs intérêts étaient largement communs (arrêt du 6 septembre 2012, Prezes Urzędu Komunikacji Elektronicznej et Pologne/Commission, C‑422/11 P et C‑423/11 P, EU:C:2012:553, point 25).
32 En l’espèce, il ressort du dossier que la requérante occupait, à la date du dépôt de la requête, un emploi de juriste au sein du cabinet Brandstock Legal et que Me Parassina, avocate signataire du recours, était avocate dans le même cabinet. Plus précisément, la requérante faisait même partie de l’équipe que celle-ci dirigeait et était son adjointe.
33 Il s’ensuit que la requérante et son avocate entretenaient des relations professionnelles singulièrement étroites.
34 Aussi, il ne peut être accordé foi aux affirmations contraires fournies par la requérante dans ses réponses à la mesure d’organisation de la procédure visée au point 6 ci-dessus, soit après que son attention a été attirée sur le problème que pouvait susciter sa représentation, selon lesquelles il n’existerait entre son avocate et elle aucun lien de dépendance structurelle ou fonctionnelle, leur relation étant de nature horizontale et non verticale, et qu’elles feraient même partie de deux
structures organisationnelles distinctes.
35 De plus, les liens entre la requérante et Me Parassina étaient d’autant plus étroits que le présent litige concerne directement la profession de la requérante, profession qu’elle exerçait, à la date du dépôt du recours, au sein du même cabinet que Me Parassina et sous sa direction. En effet, le recours a pour objet le refus d’accorder à la requérante une dérogation, sans laquelle elle ne peut obtenir un agrément en tant que représentante de personnes physiques ou morales devant l’EUIPO. Or, son
travail chez Brandstock Legal et au sein de l’équipe dirigée par Me Parassina consistait précisément à traiter des dossiers de propriété intellectuelle.
36 Il y a également lieu de relever, à cet égard, que la requérante a introduit sa demande d’inscription sur la liste des mandataires agréés auprès de l’EUIPO et sa demande de dérogation à la condition de nationalité à partir du télécopieur de son employeur et que, si elle a mentionné des adresses postale et électronique privées dans ces deux demandes, elle a aussi indiqué son adresse électronique professionnelle. C’est aussi depuis le même télécopieur que la requérante a présenté ses observations
en réponse à la lettre du 30 janvier 2020, les 9 et 13 mars suivant.
37 Il ressort également des pièces du dossier et des écrits de procédure que Brandstock Legal, en général, et Me Parassina, en particulier, ont fait état de manière récurrente de leur intérêt pour la demande adressée par la requérante à l’EUIPO et pour la solution du litige.
38 Premièrement, une lettre de recommandation datée du 6 mars 2020, signée par l’avocate de la requérante sous l’entête et au nom de Brandstock Legal, a été rédigée pour les besoins de la procédure devant l’EUIPO, à l’appui de la demande de réexamen du 9 mars 2020, et produite en annexe à cette demande. Dans cette lettre, l’avocate de la requérante soulignait la contribution significative que cette dernière apportait au travail du cabinet et terminait en indiquant que « nous serions très
reconnaissants si [celle-ci] était agréée comme mandataire » par l’EUIPO.
39 Deuxièmement, ainsi que le fait observer l’EUIPO, la requête mentionne que Brandstock Legal, dont l’activité, selon la requérante, est exclusivement consacrée aux marques et à la propriété intellectuelle, « supporte tous les frais liés à l’inscription de [celle-ci] au registre irlandais [des marques], car il est également dans l’intérêt [du cabinet] que la qualification formelle de la requérante reflète correctement la substance de son travail ».
40 Troisièmement, la requête indique que « la requérante est représentée par Me Parassina elle-même, car en tant que superviseur, elle sait mieux que quiconque que la requérante est hautement qualifiée ». Afin d’illustrer ces propos, la requête précise que « dans les différents appels d’offres visant à conquérir de nouveaux clients, l’équipe Brandstock [Legal] fournit [des] “organigrammes” indiquant l’équipe chargée de travailler sur les portefeuilles, dans lesquels la requérante est présentée comme
l’un des membres les plus anciens et les plus expérimentés de l’équipe chargée de promouvoir [le cabinet] ».
41 Quatrièmement, la requête fait état de ce que « la requérante a été affectée au portefeuille spécifique [d’un] client […] compte tenu des demandes de [celui-ci], de son portefeuille volumineux et de son importance pour Brandstock Legal, parce qu’elle est l’une des meilleures et des plus compétentes employées du cabinet ».
42 Cinquièmement, la requête souligne explicitement que « l’inscription de la requérante sur la liste des mandataires agréés de l’EUIPO est [...] importante pour [le cabinet] et l’équipe », de sorte que « la décision attaquée cause un préjudice non seulement à la requérante, mais aussi [audit cabinet] ».
43 D’une part, il ressort clairement de tels éléments que le cabinet Brandstock Legal, dont Me Parassina dirigeait un département, avait, à la date du dépôt du recours, un intérêt direct à la solution du litige. D’autre part, il en ressort également qu’il ne peut être accordé de crédit aux affirmations de la requérante, figurant dans la réplique, selon lesquelles Me Parassina la représenterait seulement en tant qu’amie et que Brandstock Legal n’aurait pas un intérêt particulier à ce qu’elle soit
enregistrée en tant qu’agent en matière de marques.
44 La requérante prétend certes qu’elle n’avait pas besoin d’une inscription sur la liste des mandataires agréés par l’EUIPO pour conserver son emploi.
45 Il n’en reste pas moins que, au regard, d’une part, de l’environnement professionnel caractérisant la présente affaire, à savoir l’existence de rapports étroits entre la requérante, sa représentante et Brandstock Legal, et au regard, d’autre part, de la profonde, et explicite, convergence d’intérêts économiques des protagonistes, Me Parassina n’était, à l’évidence, à la date de l’introduction du recours, pas suffisamment détachée pour protéger et défendre au mieux les intérêts de sa cliente et se
trouvait donc dans une situation portant manifestement atteinte à sa capacité à assurer cette mission (voir points 19 et 21 et 24 ci-dessus).
46 Partant, il y a lieu de considérer que Me Parassina ne pouvait être regardée comme un tiers indépendant et, partant, se présenter comme un « avocat » tiers indépendant, au sens de l’article 19, troisième alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne.
47 Par ailleurs, le lien particulier qui unissait Brandstock Legal et Me Parassina à la requérante et qui suscitait l’intérêt spécifique de ceux-ci au litige a certes été rompu, après l’introduction du recours, du fait que cette dernière a choisi de poursuivre sa carrière en qualité de conseil en matière de marques auprès du siège allemand d’une société internationale, et la requérante est certes aussi assistée désormais par un second avocat, extérieur au cabinet Brandstock Legal. Toutefois, force
est de rappeler, d’une part, que la recevabilité d’un recours s’apprécie par référence à la situation au moment où la requête est déposée [voir ordonnance du 16 janvier 2020, Hemp Foods Australia/EUIPO – Cabrejos (Sativa), T‑128/19, non publiée, EU:T:2020:3, point 20 et jurisprudence citée] et, d’autre part, que l’exigence relative à la signature par un avocat habilité à exercer devant une juridiction d’un État membre ou d’un autre État partie à l’accord EEE constitue une condition de forme
substantielle, qui, au titre de l’article 78, paragraphe 6, du règlement de procédure, ne figure pas au nombre des exigences susceptibles de faire l’objet d’une régularisation après l’expiration du délai de recours (voir, par analogie, ordonnances du 5 septembre 2013, ClientEarth/Conseil, C‑573/11 P, non publiée, EU:C:2013:564, points 22 et 23, et du 17 juillet 2014, Brown Brothers Harriman/OHMI, C‑101/14 P, non publiée, EU:C:2014:2115, point 21).
48 Au vu de tout ce qui précède, il y a lieu de conclure que le recours doit être rejeté comme irrecevable.
Sur les dépens
49 Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.
50 En l’espèce, la requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner à supporter ses propres dépens et ceux de l’EUIPO, conformément aux conclusions de celui-ci.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (quatrième chambre élargie)
ordonne :
1) Le recours est rejeté comme irrecevable.
2) Mme Nigar Kirimova est condamnée à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO).
Fait à Luxembourg, le 9 mars 2022.
Le greffier
E. Coulon
Le président
S. Gervasoni
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( *1 ) Langue de procédure : l’anglais.