ARRÊT DU TRIBUNAL (quatrième chambre élargie)
9Â novembre 2022Â ( *1 )
« Concurrence – Ententes – Marché des ronds à béton – Décision constatant une infraction à l’article 65 CA, après l’expiration du traité CECA, sur le fondement du règlement (CE) no 1/2003 – Fixation des prix – Limitation et contrôle de la production et des ventes – Décision prise à la suite de l’annulation de décisions antérieures – Tenue d’une nouvelle audition en présence des autorités de concurrence des États membres – Droits de la défense – Principe de bonne administration – Délai raisonnable –
Obligation de motivation – Proportionnalité – Principe non bis in idem – Exception d’illégalité – Infraction unique, complexe et continue – Preuve de la participation à l’entente – Distanciation publique – Compétence de pleine juridiction »
Dans l’affaire T‑657/19,
Feralpi Holding SpA, établie à Brescia (Italie), représentée par Mes G. Roberti et I. Perego, avocats,
partie requérante,
contre
Commission européenne, représentée par MM. P. Rossi, G. Conte et Mme C. Sjödin, en qualité d’agents, assistés de Me P. Manzini, avocat,
partie défenderesse,
ayant pour objet une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation de la décision C(2019) 4969 final de la Commission, du 4 juillet 2019, relative à une violation de l’article 65 du traité CECA (affaire AT.37956 – Ronds à  béton) et/ou à la suppression ou à la réduction du montant de l’amende infligée à la requérante,
LE TRIBUNAL (quatrième chambre élargie),
composé, lors des délibérations, de MM. S. Gervasoni, président, L. Madise, P. Nihoul (rapporteur), Mme R. Frendo et M. J. MartÃn y Pérez de Nanclares, juges,
greffier : M. J. Palacio González, administrateur principal,
vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 3 juin 2021,
rend le présent
Arrêt ( 1 )
I. Antécédents du litige
1 La requérante, Feralpi Holding SpA (anciennement Feralpi Siderurgica SpA et Federalpi Siderurgica SRL), est un fabricant de ronds à béton basé en Italie.
A.  Première décision de la Commission (2002)
2 D’octobre à décembre 2000, la Commission des Communautés européennes a effectué, conformément à l’article 47 CA, des vérifications auprès d’entreprises italiennes productrices de ronds à béton, dont la requérante, et d’une association d’entreprises, la Federazione Imprese Siderurgiche Italiane (Fédération des entreprises sidérurgiques italiennes, ci-après la « Federacciai »). Elle leur a également adressé des demandes de renseignements, en application de cette disposition.
3 Le 26 mars 2002, la Commission a ouvert une procédure d’application de l’article 65 CA et formulé des griefs au titre de l’article 36 CA (ci-après la « communication des griefs ») notifiés notamment à la requérante. Celle-ci a répondu à la communication des griefs le 31 mai 2002.
4 Une audition des parties à la procédure administrative a eu lieu le 13 juin 2002.
5 Le 12 août 2002, la Commission a adressé, aux mêmes destinataires, des griefs supplémentaires (ci-après la « communication des griefs supplémentaires »), sur le fondement de l’article 19, paragraphe 1, du règlement no 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d’application des articles [81] et [82 CE] (JO 1962, 13, p. 204). Elle y a expliqué sa position concernant la poursuite de la procédure après l’expiration du traité CECA, le 23 juillet 2002. La requérante a répondu à la
communication des griefs supplémentaires le 20 septembre 2002.
6 Une nouvelle audition des parties à la procédure administrative, en présence des autorités de concurrence des États membres, a eu lieu le 30 septembre 2002. Elle concernait l’objet de la communication des griefs supplémentaires, à savoir les conséquences juridiques de l’expiration du traité CECA sur la poursuite de la procédure.
7 À l’issue de la procédure administrative, la Commission a adopté la décision C(2002) 5087 final, du 17 décembre 2002, relative à une procédure d’application de l’article 65 du traité CECA (COMP/37.956 – Ronds à  béton) (ci-après la « décision de 2002 »), adressée à la Federacciai et à huit entreprises, dont la requérante. Elle y a constaté que ces dernières avaient, entre décembre 1989 et juillet 2000, mis en œuvre une entente unique, complexe et continue sur le marché italien des ronds à béton en
barres ou en rouleaux (ci-après les « ronds à béton ») ayant pour objet ou pour effet la fixation des prix et la limitation ou le contrôle de la production ou des ventes, contraire à l’article 65, paragraphe 1, CA. Elle a, à ce titre, infligé une amende d’un montant de 10,25 millions d’euros à la requérante.
8 Le 4 mars 2003, la requérante a formé un recours devant le Tribunal contre la décision de 2002. Le Tribunal a annulé ladite décision à l’égard de la requérante (arrêt du 25 octobre 2007, Feralpi Siderurgica/Commission, T‑77/03, non publié, EU:T:2007:319) et des autres entreprises destinataires, au motif que la base juridique utilisée, soit l’article 65, paragraphes 4 et 5, CA, n’était plus en vigueur au moment de l’adoption de cette décision. De ce fait, la Commission n’avait pas compétence, sur
le fondement de ces dispositions, pour constater et sanctionner une infraction à l’article 65, paragraphe 1, CA après l’expiration du traité CECA. Le Tribunal n’a pas examiné les autres aspects de cette décision.
9 La décision de 2002 est devenue définitive à l’égard de la Federacciai, qui n’a pas introduit de recours devant le Tribunal.
B.  Deuxième décision de la Commission (2009)
10 Par lettre du 30 juin 2008, la Commission a informé la requérante et les autres entreprises concernées de son intention d’adopter une nouvelle décision, en corrigeant la base juridique utilisée. Elle a, en outre, précisé que ladite décision serait fondée sur les preuves présentées dans la communication des griefs et la communication des griefs supplémentaires. Sur invitation de la Commission, la requérante a présenté des observations écrites le 31 juillet 2008.
11 Par télécopies du 24 juillet et du 25 septembre 2008, puis du 13 mars, du 30 juin et du 15 juillet 2009, la Commission a demandé à la requérante des informations relatives à l’évolution de sa structure et son chiffre d’affaires. La requérante a répondu à ces demandes de renseignements, respectivement, par courriels du 4 septembre et du 17 octobre 2008, puis du 3 avril, du 6 juillet et du 22 juillet 2009.
12 Le 30 septembre 2009, la Commission a adopté la décision C(2009) 7492 final, relative à une procédure d’application de l’article 65 du traité CECA (affaire COMP/37.956 – Ronds à béton, réadoption), adressée aux mêmes entreprises que la décision de 2002, dont la requérante. Cette décision a été adoptée sur le fondement des règles procédurales du traité CE et du règlement (CE) no 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles [101]
et [102 TFUE] (JO 2003, L 1, p. 1). Elle reposait sur les éléments visés dans la communication des griefs et la communication des griefs supplémentaires et reprenait, en substance, la teneur et les conclusions de la décision de 2002. En particulier, le montant de l’amende infligée à la requérante, de 10,25 millions d’euros, restait inchangé.
13 Le 8 décembre 2009, la Commission a adopté une décision modificative, intégrant, dans son annexe, les tableaux illustrant les variations de prix omis de sa décision du 30 septembre 2009 et corrigeant les renvois numérotés auxdits tableaux dans huit notes en bas de page.
14 Le 19 février 2010, la requérante a formé un recours devant le Tribunal contre la décision de la Commission du 30 septembre 2009, telle que modifiée (ci-après la « décision de 2009 »). Le 9 décembre 2014, le Tribunal a rejeté ce recours (arrêt du 9 décembre 2014, Feralpi/Commission, T‑70/10, non publié, EU:T:2014:1031). Le Tribunal a annulé partiellement la décision de 2009 à l’égard d’un autre de ses destinataires, réduit le montant de l’amende infligée à deux autres de ses destinataires et
rejeté les autres recours introduits.
15 Le 19 février 2015, la requérante a introduit un pourvoi contre l’arrêt du 9 décembre 2014, Feralpi/Commission (T‑70/10, non publié, EU:T:2014:1031). Par arrêt du 21 septembre 2017, Feralpi/Commission (C‑85/15 P, EU:C:2017:709), la Cour a annulé ledit arrêt du Tribunal ainsi que la décision de 2009 à l’égard, notamment, de la requérante.
16 Dans l’arrêt du 21 septembre 2017, Feralpi/Commission (C‑85/15 P, EU:C:2017:709), la Cour a jugé que, lorsqu’une décision était adoptée sur le fondement du règlement no 1/2003, la procédure aboutissant à cette décision devait être conforme aux règles de procédure prévues par ce règlement ainsi que par le règlement (CE) no 773/2004 de la Commission, du 7 avril 2004, relatif aux procédures mises en œuvre par la Commission en application des articles [101] et [102 TFUE] (JO 2004, L 123, p. 18), même
si cette procédure avait commencé avant leur entrée en vigueur.
17 Or, la Cour a constaté que, en l’espèce, l’audition du 13 juin 2002, la seule qui concernait le fond de la procédure, ne pouvait être considérée comme conforme aux exigences procédurales relatives à l’adoption d’une décision sur le fondement du règlement no 1/2003, en l’absence de participation des autorités de concurrence des États membres.
18 La Cour a conclu que le Tribunal avait commis une erreur de droit en jugeant que la Commission n’avait pas l’obligation, avant l’adoption de la décision de 2009, d’organiser une nouvelle audition, au motif que les entreprises avaient déjà eu la possibilité d’être entendues oralement lors des auditions des 13 juin et 30 septembre 2002.
19 Dans son arrêt du 21 septembre 2017, Feralpi/Commission (C‑85/15 P, EU:C:2017:709), la Cour a rappelé l’importance de la tenue, sur demande des parties concernées, d’une audition à laquelle les autorités de concurrence des États membres sont invitées, son omission constituant une violation des formes substantielles.
20 La Cour a jugé que, dès lors que ce droit explicité dans le règlement no 773/2004 n’avait pas été respecté, il n’était pas nécessaire pour l’entreprise dont le droit avait été ainsi violé de démontrer que cette violation avait pu influer à son détriment sur le déroulement de la procédure et le contenu de la décision litigieuse.
21 La Cour a également annulé d’autres arrêts du Tribunal adoptés le 9 décembre 2014 statuant sur la légalité de la décision de 2009, ainsi que cette décision, à l’égard de quatre autres entreprises, pour les mêmes motifs. La décision de 2009 est en revanche devenue définitive pour les entreprises destinataires qui n’ont pas formé de pourvoi contre lesdits arrêts.
C.  Troisième décision de la Commission (2019)
22 Par lettre du 15 décembre 2017, la Commission a informé la requérante de son intention de reprendre la procédure administrative et d’organiser, dans ce cadre, une nouvelle audition des parties à ladite procédure en présence des autorités de concurrence des États membres.
23 Les 20 décembre 2017 et 16 janvier 2018, la requérante a informé la Commission de son souhait de participer à cette audition. Par lettre du 1er février 2018, elle a présenté des observations dans lesquelles elle a contesté le pouvoir de la Commission de reprendre la procédure administrative et a ainsi invité cette dernière à ne pas procéder à cette reprise.
24 Le 23 avril 2018, la Commission a tenu une nouvelle audition concernant le fond de la procédure, à laquelle ont pris part, en présence des autorités de concurrence des États membres et du conseiller-auditeur, la requérante ainsi que trois autres entreprises destinataires de la décision de 2009.
25 Le 7 mai 2018, la requérante a déposé de nouvelles observations écrites sur l’affaire. Par lettres du 19 novembre 2018 ainsi que du 18 janvier et du 6 mai 2019, la Commission a envoyé trois demandes de renseignements à la requérante concernant l’évolution de sa structure et son chiffre d’affaires. La requérante a répondu à ces demandes de renseignements, respectivement, par lettres du 7 décembre 2018 ainsi que du 30 janvier et du 9 mai 2019.
26 Le 4 juillet 2019, la Commission a adopté la décision C(2019) 4969 final, relative à une procédure d’application de l’article 65 du traité CECA (affaire AT.37956 – Ronds à  béton) (ci-après la « décision attaquée »), adressée aux cinq entreprises à l’égard desquelles la décision de 2009 avait été annulée, à savoir, outre la requérante, Alfa Acciai SpA, Partecipazioni Industriali SpA (anciennement Riva Acciaio SpA puis Riva Fire SpA, ci-après « Riva »), Valsabbia Investimenti SpA et Ferriera
Valsabbia SpA et Ferriere Nord SpA.
27 Par l’article 1er de la décision attaquée, la Commission a constaté l’existence d’une infraction à l’article 65, paragraphe 1, CA dans le secteur des ronds à béton en Italie, entre le 6 décembre 1989 et le 4 juillet 2000, à laquelle avaient participé la requérante et ces quatre autres entreprises. L’infraction a consisté en un accord continu et/ou des pratiques concertées ayant pour objet ou pour effet la fixation des prix et la limitation ou le contrôle de la production ou des ventes sur le
marché italien des ronds à béton.
28 La Commission a retenu la responsabilité de la requérante en raison de sa participation à l’entente du 6 décembre 1989 au 27 juin 2000. Par l’article 2 de la décision attaquée, elle lui a ainsi infligé une amende d’un montant de 5,125 millions d’euros, après l’application d’une réduction de 50 % en raison de la durée de la procédure.
29 Le 18 juillet 2019, la décision attaquée a été notifiée à la requérante.
II. Procédure et conclusions des parties
30 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 28 septembre 2019, la requérante a introduit le présent recours.
31 Sur proposition de la quatrième chambre, le Tribunal a décidé, en application de l’article 28 de son règlement de procédure, de renvoyer l’affaire devant une formation de jugement élargie.
32 Sur proposition du juge rapporteur, le Tribunal (quatrième chambre élargie) a décidé d’ouvrir la phase orale de la procédure et, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 89 du règlement de procédure, a posé des questions écrites aux parties et leur a demandé de produire des documents. Les parties ont répondu à ces questions et à ces demandes de production de documents dans le délai imparti.
33 Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions écrites et orales posées par le Tribunal lors de l’audience du 3 juin 2021. Durant l’audience, à la suite d’une question du Tribunal, la requérante a accepté que les moyens soulevés dans la requête à l’appui du présent recours soient renumérotés aux fins de la rédaction de l’arrêt, ce dont il a été pris acte au procès-verbal d’audience.
34 La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– annuler, en tout ou en partie, la décision attaquée en ce que celle-ci la concerne ;
– et/ou supprimer ou, à tout le moins, réduire le montant de l’amende qui lui est infligée dans ladite décision ;
– le cas échéant, « déclarer illégal et inapplicable l’article 25, paragraphes 3 à  6, du règlement no 1/2003 » ;
– condamner la Commission aux dépens.
35 La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– rejeter le recours ;
– condamner la requérante aux dépens.
III. En droit
36 À titre liminaire, il convient de relever que la requérante demande, dans son troisième chef de conclusions, au Tribunal de « déclarer illégal et inapplicable l’article 25, paragraphes 3 à  6, du règlement no 1/2003 ».
37 Or, il ressort de la requête que, par cette demande, la requérante soulève, par la voie de l’exception, l’illégalité de l’article 25, paragraphes 3 à  6, du règlement no 1/2003 au soutien de la demande d’annulation de la décision attaquée ou de la demande de suppression ou de réduction de l’amende.
38 L’exception d’illégalité sera donc examinée, en tant que moyen, avec ceux développés au soutien de la demande d’annulation de la décision attaquée ou de la demande de suppression ou de réduction de l’amende.
39 À l’appui de la demande d’annulation de la décision attaquée ou de la demande de suppression ou de réduction de l’amende, la requérante soulève huit moyens :
– le premier est tiré de la violation des droits de la défense et des règles procédurales lors de l’audition du 23 avril 2018 ;
– le deuxième est tiré du refus illégal de la Commission de vérifier, avant d’adopter la décision attaquée, la compatibilité de cette décision avec le principe du délai raisonnable de la procédure ;
– le troisième est tiré de la violation du principe du délai raisonnable de la procédure ;
– le quatrième est tiré d’une violation de l’obligation de motivation, d’erreurs d’appréciation et de la violation du principe de proportionnalité ;
– le cinquième est tiré de la violation du principe non bis in idem et du principe de sécurité juridique ;
– le sixième est tiré de l’illégalité du régime de prescription organisé par l’article 25, paragraphes 3 à  6, du règlement no 1/2003 ;
– le septième est tiré d’une absence de preuve de sa participation à l’entente entre 1989 et 1995 ;
– le huitième est tiré d’une insuffisance de motivation de la décision attaquée quant au constat d’une infraction unique, complexe et continue à son égard entre le 6 décembre 1989 et le 27 juin 2000 et d’une absence de preuve du caractère unique et continu de cette infraction.
[omissis]
B.  Sur le deuxième moyen, tiré du refus illégal de la Commission de vérifier, avant d’adopter la décision attaquée, la compatibilité de cette décision avec le principe du délai raisonnable de la procédure
[omissis]
1. Sur le premier grief, tiré d’une erreur de droit
156 La requérante soutient que la Commission a violé l’article 41 de la Charte, en refusant d’apprécier, avant d’adopter la décision attaquée, la compatibilité de l’adoption de cette décision avec le principe du délai raisonnable.
157 À cet égard, il convient de relever que, comme le signale la requérante, la Commission est tenue de respecter le principe du délai raisonnable repris à l’article 41 de la Charte (voir, en ce sens, arrêts du 15 octobre 2002, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, C‑238/99 P, C‑244/99 P, C‑245/99 P, C‑247/99 P, C‑250/99 P à  C‑252/99 P et C‑254/99 P, EU:C:2002:582, point 179, et du 5 juin 2012, Imperial Chemical Industries/Commission, T‑214/06, EU:T:2012:275, point 285).
158 Ainsi, l’écoulement du délai doit être pris en compte lorsque, faisant usage de la marge d’appréciation qui lui est conférée par le droit de l’Union, la Commission apprécie si, dans l’application des règles de concurrence, des poursuites doivent être engagées et une décision adoptée.
159 Il ressort de la décision attaquée que, contrairement à ce que soutient la requérante, l’obligation de tenir compte de l’écoulement du délai lorsqu’elle apprécie si de telles poursuites doivent être engagées et une décision de sanction adoptée n’a pas été violée par la Commission. La décision attaquée indique en effet que cette institution a examiné, avant de se prononcer, si, en l’espèce, la procédure pouvait être reprise et si celle-ci pouvait aboutir à l’adoption d’une telle décision,
imposant une amende.
[omissis]
170 Ainsi, il ressort de la décision attaquée que, contrairement à ce que soutient la requérante, la Commission a vérifié, avant d’adopter cette décision, si le principe du délai raisonnable avait été respecté, en analysant la longueur de la procédure administrative, phases administratives et interruptions dues au contrôle juridictionnel comprises, les causes pouvant expliquer la durée de la procédure et les conséquences susceptibles d’en être tirées.
171 Cette conclusion est contestée par la requérante, selon laquelle la Commission, dans la décision attaquée, a refusé de se prononcer sur la longueur déraisonnable de la procédure au motif que cette appréciation devait être réservée au juge de l’Union sans qu’elle puisse se prononcer à ce sujet.
172 À cet égard, il convient de relever que le juge de l’Union peut être saisi de questions relatives à la durée des procédures. Au contentieux de la responsabilité, il doit condamner les institutions, organes ou organismes de l’Union lorsque ces derniers ont causé un dommage en violant le principe du délai raisonnable (arrêts du 26 novembre 2013, Kendrion/Commission, C‑50/12 P, EU:C:2013:771, point 94, et du 11 juillet 2019, Italmobiliare e.a./Commission, T‑523/15, non publié, EU:T:2019:499,
point 159). Au contentieux de l’annulation, la durée d’une procédure peut avoir pour conséquence l’annulation d’une décision attaquée si deux conditions sont satisfaites de manière cumulative, la première étant que cette longueur apparaisse comme ayant été déraisonnable et la seconde étant que le dépassement du délai raisonnable ait entravé l’exercice des droits de la défense (arrêts du 21 septembre 2006, Technische Unie/Commission, C‑113/04 P, EU:C:2006:593, points 47 et 48 ; du 8 mai 2014,
Bolloré/Commission, C‑414/12 P, non publié, EU:C:2014:301, points 84 et 85, et du 9 juin 2016, PROAS/Commission, C‑616/13 P, EU:C:2016:415, points 74 à  76).
173 Comme le signale la requérante, la compétence ainsi confiée au juge de l’Union ne saurait affranchir la Commission de l’appréciation qu’elle doit effectuer au moment de déterminer les suites qu’il convient de donner à un arrêt d’annulation en application de l’article 266 TFUE.
174 Comme cela a été indiqué, la Commission doit prendre en compte, lorsqu’elle effectue une telle appréciation, l’ensemble des éléments de la cause, notamment l’opportunité d’adopter une nouvelle décision, celle d’infliger une sanction et celle, le cas échéant, de réduire la sanction envisagée s’il apparaît, notamment, que, sans constituer en elle-même un manquement fautif, la durée de la procédure, en ce qu’elle a comporté des phases administratives mais aussi, le cas échéant, des interruptions
dues au contrôle juridictionnel, a pu avoir une incidence sur les éléments à prendre en compte pour fixer le montant de l’amende, et notamment sur son caractère éventuellement dissuasif lorsqu’elle intervient longtemps après les faits constitutifs de l’infraction.
175 Cette appréciation, portant notamment sur la durée globale de la procédure, phases juridictionnelles comprises, a été principalement effectuée au considérant 528 de la décision attaquée.
176 Il s’ensuit que, contrairement à ce que soutient la requérante, la Commission a vérifié, dans la décision attaquée, si la durée de la procédure pouvait faire obstacle à la reprise de la procédure tout en reconnaissant qu’une telle appréciation était placée sous le contrôle du juge de l’Union au contentieux de la légalité et, le cas échéant, de la responsabilité.
[omissis]
180 Le grief doit donc être rejeté.
[omissis]
C.  Sur le troisième moyen, tiré de la violation du principe du délai raisonnable de la procédure
185 La requérante soutient que la décision attaquée doit être annulée, car celle-ci a été adoptée au terme d’une procédure qui aurait dépassé le délai raisonnable. Selon elle, la durée excessive de la procédure a pour conséquence que la Commission ne disposait plus du pouvoir de sanction. L’argumentation développée au soutien du troisième moyen comporte, en substance, quatre griefs, tous contestés par la Commission.
186 Avant d’examiner ces griefs, il convient de rappeler que, selon la Cour, la durée d’une procédure peut avoir pour conséquence l’annulation d’une décision attaquée si deux conditions sont satisfaites de manière cumulative, la première étant que cette longueur apparaisse comme ayant été déraisonnable et la seconde étant que le dépassement du délai raisonnable ait entravé l’exercice des droits de la défense (voir point 172 ci-dessus).
187 Il en résulte qu’une décision de la Commission ne pourrait être annulée au seul motif du dépassement du délai raisonnable si les droits de la défense de la requérante n’ont pas été affectés par ce dépassement.
[omissis]
1. Sur le premier grief, concernant la durée des phases administratives
189 La requérante soutient que l’affirmation de la Commission selon laquelle les phases administratives de la procédure ont toujours été menées « rapidement et sans interruptions injustifiées » ne tient pas compte de la réalité des faits et ne peut être considérée comme correcte, tout au plus, que pour la phase d’adoption de la décision de 2002, cette phase ayant globalement duré deux ans et deux mois.
190 Les autres étapes procédurales administratives qui ont débouché sur l’adoption, respectivement, de la décision de 2009 et de la décision attaquée, auraient été marquées par des périodes d’inactivité de la Commission manifestement déraisonnables.
191 La durée de l’ensemble de la procédure administrative serait également en elle-même déraisonnable, notamment au regard de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 15 octobre 2002, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission (C‑238/99 P, C‑244/99 P, C‑245/99 P, C‑247/99 P, C‑250/99 P à  C‑252/99 P et C‑254/99 P, EU:C:2002:582).
192 À cet égard, il convient de relever que le droit de l’Union exige des institutions qu’elles traitent dans un délai raisonnable les affaires dans le cadre des procédures administratives qu’elles mènent (voir, en ce sens, arrêt du 5 juin 2012, Imperial Chemical Industries/Commission, T‑214/06, EU:T:2012:275, point 284).
193 En effet, l’obligation d’observer un délai raisonnable dans la conduite des procédures administratives constitue un principe général de droit repris, notamment, à l’article 41, paragraphe 1, de la Charte (arrêts du 15 octobre 2002, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, C‑238/99 P, C‑244/99 P, C‑245/99 P, C‑247/99 P, C‑250/99 P à  C‑252/99 P et C‑254/99 P, EU:C:2002:582, point 167 ; du 11 avril 2006, Angeletti/Commission, T‑394/03, EU:T:2006:111, point 162, et du 7 juin 2013,
Italie/Commission, T‑267/07, EU:T:2013:305, point 61).
194 En l’espèce, il ressort du dossier que quatre phases, ayant duré au total six ans et un mois, se sont succédé devant la Commission au cours du traitement de l’affaire :
– une première phase, d’une durée d’un an et cinq mois, a séparé les premières mesures d’enquête de l’envoi de la communication des griefs à la Federacciai et aux entreprises concernées ;
– les trois phases suivantes sont celles qui ont respectivement abouti à l’adoption de la décision de 2002, de celle de 2009 et de la décision attaquée et qui ont chacune respectivement duré neuf mois, deux ans et un mois et un an et neuf mois.
195 Selon la jurisprudence, le caractère raisonnable du délai doit être apprécié en considérant les circonstances propres à chaque affaire et, notamment, l’enjeu du litige pour l’intéressé, la complexité de l’affaire ainsi que le comportement de la partie requérante et celui des autorités compétentes (voir, en ce sens, arrêt du 15 octobre 2002, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, C‑238/99 P, C‑244/99 P, C‑245/99 P, C‑247/99 P, C‑250/99 P à  C‑252/99 P et C‑254/99 P, EU:C:2002:582,
points 187 et 188).
196 Ainsi, même à supposer que, dans d’autres affaires, la phase administrative ayant suivi l’annulation d’une décision de la Commission par le juge de l’Union, dans le cadre d’une procédure reprise pour adopter une nouvelle décision, ait été plus courte que dans les circonstances de l’espèce, cela ne permettrait pas, en soi, de conclure à la violation du principe du délai raisonnable.
197 En effet, il convient d’examiner le caractère raisonnable du délai en considérant les circonstances propres de chaque affaire au regard notamment des critères mentionnés au point 195 ci-dessus.
198 En premier lieu, concernant l’enjeu du litige pour l’intéressé, il convient de rappeler que, en cas de litige concernant une infraction au droit de la concurrence, l’exigence fondamentale de sécurité juridique dont doivent bénéficier les opérateurs économiques ainsi que l’objectif d’assurer que la concurrence n’est pas faussée dans le marché intérieur présentent un intérêt considérable non seulement pour la partie requérante et pour ses concurrents, mais également pour les tiers, en raison du
grand nombre de personnes concernées et des intérêts financiers en jeu (voir arrêt du 1er février 2017, Aalberts Industries/Union européenne, T‑725/14, EU:T:2017:47, point 40 et jurisprudence citée).
199 En l’espèce, la Commission a constaté dans la décision attaquée que la requérante avait enfreint l’article 65, paragraphe 1, CA, en participant, du 6 décembre 1989 au 27 juin 2000, à un accord continu ou à des pratiques concertées concernant les ronds à béton, qui avaient pour objet ou pour effet la fixation des prix et la limitation ou le contrôle de la production ou des ventes sur le marché intérieur.
200 Sur la base de cette constatation, la Commission a infligé à la requérante une amende de 5,125 millions d’euros.
201 Tenant compte de ces éléments, il est permis de considérer que l’enjeu de l’affaire était important pour la requérante.
202 En deuxième lieu, concernant la complexité de l’affaire, il convient de relever que les erreurs commises par la Commission concernent les conséquences qu’il convenait de tirer, pour la procédure, de l’expiration du traité CECA.
203 Or, il convient de rappeler que les questions liées aux règles applicables aux faits de la cause, tant pour ce qui concerne le fond que pour ce qui a trait à la procédure, en raison de l’expiration du traité CECA, présentaient, comme l’a indiqué la Commission, une certaine complexité.
204 Par ailleurs, l’entente couvrait une période relativement longue (10 ans et 7 mois), concernait un nombre significatif d’acteurs (8 entreprises, comprenant au total 11 sociétés, et une association professionnelle) et impliquait un important volume de documents fournis ou obtenus au cours des inspections (environ 20000 pages).
205 Au vu de ces éléments, l’affaire doit être considérée comme étant complexe.
206 En troisième lieu, s’agissant du comportement des parties, il y a lieu de relever que la Commission a mené une activité continue en raison des sollicitations abondantes qui lui parvenaient des parties à la procédure administrative.
207 Ainsi, la Commission a dû traiter, dans le contexte de l’adoption de la décision attaquée, de nombreux courriers, en même temps qu’elle devait préparer l’audition du 23 avril 2018 et examiner une proposition de transaction présentée par certaines parties à la procédure administrative le 4 décembre 2018.
208 De ces éléments considérés dans leur ensemble, il résulte que la durée des phases administratives de la procédure n’apparaît pas comme ayant été déraisonnable au regard des circonstances propres à l’affaire et, notamment, de sa complexité, dans un contexte où aucune période d’inactivité inexpliquée ne peut être reprochée à la Commission au cours des étapes ayant jalonné lesdites phases administratives.
209 Le grief doit donc être rejeté.
2. Sur le deuxième grief, concernant la durée des phases juridictionnelles
210 La requérante critique le caractère déraisonnable, selon elle, de la durée des procédures juridictionnelles. D’une part, la durée totale de ces procédures aurait été de douze ans. D’autre part, chaque procédure devant le Tribunal (affaires T‑77/03 et T‑70/10) aurait duré presque cinq ans.
211 À cet égard, il convient de rappeler que l’obligation d’observer un délai raisonnable dans la conduite des procédures administratives constitue un principe général de droit repris notamment à l’article 41, paragraphe 1, de la Charte.
212 Dans le même sens, le non-respect d’un délai de jugement raisonnable constitue une irrégularité de procédure (arrêt du 16 juillet 2009, Der Grüne Punkt – Duales System Deutschland/Commission, C‑385/07 P, EU:C:2009:456, point 191).
213 En effet, toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle conformément à l’article 47 de la Charte et à l’article 6 de la CEDH (voir, en ce sens, arrêts du 16 juillet 2009, Der Grüne Punkt – Duales System
Deutschland/Commission, C‑385/07 P, EU:C:2009:456, points 177 à  179, et du 5 juin 2012, Imperial Chemical Industries/Commission, T‑214/06, EU:T:2012:275, points 282 et 283).
214 Selon la jurisprudence, une violation, par une juridiction de l’Union, de son obligation de juger dans un délai raisonnable doit trouver sa sanction, non dans un recours en annulation et en suppression ou en réduction du montant de l’amende, mais dans un recours en indemnité, un tel recours constituant un remède effectif (voir, en ce sens et par analogie, arrêts du 26 novembre 2013, Gascogne Sack Deutschland/Commission, C‑40/12 P, EU:C:2013:768, point 89, et du 21 septembre 2017,
Feralpi/Commission, C‑85/15 P, EU:C:2017:709, point 54).
215 Cette jurisprudence est expliquée par le souci, animant le juge de l’Union, de ne pas faire dépendre la légalité d’une décision adoptée par la Commission des conditions dans lesquelles une procédure juridictionnelle a été menée par le juge (voir, en ce sens, arrêt du 15 octobre 2002, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, C‑238/99 P, C‑244/99 P, C‑245/99 P, C‑247/99 P, C‑250/99 P à  C‑252/99 P et C‑254/99 P, EU:C:2002:582, point 203).
216 Le grief doit ainsi être rejeté comme étant inopérant.
3. Sur le troisième grief, concernant la durée globale de la procédure
217 La requérante conteste la durée globale qui a été requise pour le traitement du dossier, depuis les premiers actes d’instruction jusqu’à l’adoption de la décision attaquée. Selon elle, le fait que, lors de cette adoption, cette durée s’élevait à près de 19 ans et concernait des comportements dont certains s’étaient déroulés il y a plus de 30 ans rend cette durée contraire au principe du délai raisonnable.
218 À cet égard, il convient de relever que l’obligation de respecter un délai raisonnable s’applique à chaque étape s’insérant dans une procédure ainsi qu’à l’ensemble formé par elle (voir, en ce sens, arrêt du 15 octobre 2002, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, C‑238/99 P, C‑244/99 P, C‑245/99 P, C‑247/99 P, C‑250/99 P à  C‑252/99 P et C‑254/99 P, EU:C:2002:582, points 230 et 231, et conclusions de l’avocat général Kokott dans l’affaire Solvay/Commission, C‑109/10 P, EU:C:2011:256,
point 239).
219 En l’espèce, il convient de constater que la période sur laquelle s’est déroulé l’ensemble de la procédure administrative a été exceptionnellement longue, ce qui a d’ailleurs amené la Commission à réduire l’amende finalement infligée à la requérante (voir point 169 ci-dessus).
220 Cependant, la longueur globale de la procédure administrative peut être expliquée, en l’espèce, par la complexité du dossier, étant entendu que, pour certains aspects, elle est due à des éléments afférents à l’affaire proprement dite, tandis que, pour d’autres, elle est liée au contexte dans lequel s’est inscrit le dossier, à savoir l’expiration du traité CECA (voir points 202 à  205 ci-dessus).
221 Certes, des erreurs ont été commises par la Commission dans l’appréciation des conséquences à tirer de l’expiration du traité CECA et ces erreurs ont donné lieu à des annulations prononcées par le Tribunal, puis par la Cour.
222 Toutefois, ces erreurs ainsi que l’impact qu’elles ont pu avoir sur la durée de la procédure administrative doivent être appréciés en tenant compte de la complexité des questions posées.
223 Par ailleurs, la durée globale de la procédure administrative est en partie imputable aux interruptions dues au contrôle juridictionnel et est donc liée au nombre de recours introduits devant le juge de l’Union sur différents aspects de l’affaire.
224 À cet égard, il convient de relever que la possibilité pour des entreprises, dans une situation telle que celle de la requérante, de voir leurs affaires examinées plus d’une fois par les autorités administratives et, le cas échéant, les juridictions de l’Union est inhérente au système mis en place prévu par les rédacteurs des traités pour le contrôle des comportements et des opérations en matière de concurrence.
225 Ainsi, l’obligation pour l’autorité administrative d’accomplir diverses formalités et démarches avant de pouvoir adopter une décision finale dans le domaine de la concurrence et la possibilité que ces formalités ou démarches puissent donner lieu à un recours ne sauraient être utilisées par une entreprise comme arguments au terme du processus pour faire valoir que le délai raisonnable s’est trouvé dépassé (voir, en ce sens, conclusions de l’avocat général Wahl dans les affaires Feralpi
e.a./Commission, C‑85/15 P, C‑86/15 P et C‑87/15 P, C‑88/15 P et C‑89/15 P, EU:C:2016:940, point 70).
226 Dans ces conditions, il ne saurait être considéré que, appréciée dans son ensemble, la longueur de la procédure administrative a été excessive et, donc, qu’elle a pu faire obstacle à ce que soit adoptée, par la Commission, une nouvelle décision imposant une amende.
227 Le grief doit donc être rejeté.
4. Sur le quatrième grief, concernant l’effet, sur les droits de la défense, de la longueur de la procédure
228 La requérante soutient que la durée déraisonnable de la procédure administrative a affecté l’exercice de ses droits de la défense au cours de la troisième phase de cette procédure, comprise entre l’arrêt du 21 septembre 2017, Feralpi/Commission (C‑85/15 P, EU:C:2017:709) et l’adoption de la décision attaquée.
229 À cet égard, il convient de rappeler que, comme cela a été indiqué au point 186 ci-dessus, deux conditions doivent être réunies pour que le juge prononce l’annulation de la décision adoptée par la Commission au titre d’une violation du principe du délai raisonnable. La première (longueur déraisonnable de la procédure) n’étant pas remplie, il n’est pas nécessaire, en principe, de vérifier, en réponse au quatrième grief, si la longueur de la procédure administrative a entravé l’exercice des droits
de la défense. Il convient toutefois de procéder à cet examen, de manière surabondante, pour donner une pleine réponse aux préoccupations formulées par la requérante.
230 D’une part, il convient de constater que, au cours de la procédure envisagée dans son ensemble, la requérante a eu, à sept reprises au moins, l’occasion d’exprimer son point de vue et d’avancer ses arguments (voir points 3 à  6, 10, 23 et 24 ci-dessus).
231 En particulier, la requérante a pu exprimer son point de vue, durant la troisième phase administrative, dans ses observations du 1er février 2018, lors de l’audition du 23 avril 2018 et dans ses observations du 7 mai 2018 (voir points 23 à  25 ci-dessus).
232 D’autre part, l’examen du premier moyen a permis d’établir que les droits de la défense de la requérante n’avaient été affectés ni par le fait que tous les acteurs ayant participé aux auditions précédentes n’étaient pas présents lors de l’audition du 23 avril 2018, ni par le fait que les représentants des autorités de concurrence des États membres savaient, au moment d’exprimer leur avis au sein du comité consultatif, que deux décisions, dont l’une avait été confirmée par le Tribunal, avaient
été adoptées antérieurement à l’encontre des entreprises concernées (voir points 55 à  149 ci-dessus).
233 De ces éléments, il résulte que, même à supposer que la durée de la procédure administrative puisse être considérée comme contraire au principe du délai raisonnable, les conditions à satisfaire en vue d’obtenir une annulation de la décision attaquée ne seraient pas remplies, dès lors qu’aucune atteinte aux droits de la défense découlant de ladite durée n’a pu être établie par la requérante.
234 Dans ces conditions, il convient de considérer qu’aucune des exigences requises pour que le Tribunal puisse prononcer l’annulation de la décision attaquée au titre d’une violation du principe du délai raisonnable n’est satisfaite.
235 Le grief doit donc être rejeté et, avec lui, le troisième moyen considéré dans son ensemble.
D.  Sur le quatrième moyen, tiré de la violation de l’obligation de motivation, d’erreurs d’appréciation et de la violation du principe de proportionnalité
[omissis]
1. Sur le premier grief, concernant la décision erronée de la Commission d’adopter une nouvelle décision imposant une amende
237 La requérante soutient que la Commission a incorrectement exercé son pouvoir d’appréciation en faisant primer l’application effective et l’effet dissuasif des règles de concurrence sur le principe du délai raisonnable. La décision attaquée serait également entachée par une motivation insuffisante sur ce point.
238 À cet égard, il convient de relever que la Commission est investie par l’article 105, paragraphe 1, TFUE de la mission de veiller à l’application des articles 101 et 102 TFUE.
239 À ce titre, la Commission est appelée à définir et à mettre en œuvre, selon la jurisprudence, la politique de concurrence de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 16 octobre 2013, Vivendi/Commission, T‑432/10, non publié, EU:T:2013:538, point 22 et jurisprudence citée).
240 Dans ce cadre, la Commission dispose d’un large pouvoir d’appréciation attesté par le règlement no 1/2003, selon lequel, si elle constate l’existence d’une infraction, elle « peut », d’une part, obliger les entreprises intéressées à y mettre fin (article 7, paragraphe 1) et, d’autre part, infliger des amendes aux entreprises contrevenantes (article 23, paragraphe 2).
241 En matière de concurrence, la Commission s’est ainsi vu confier, indépendamment de la voie suivie pour porter le dossier à sa connaissance, à savoir notamment dans le cadre d’une plainte ou de sa propre initiative, le pouvoir de décider si des comportements doivent faire l’objet d’une poursuite, d’une décision et d’une amende, en fonction des priorités qu’elle définit dans le cadre de sa politique de concurrence.
242 Toutefois, l’existence de ce pouvoir n’exonère pas la Commission de son obligation de motivation (voir, en ce sens, arrêt du 12 mars 2020, LL-Carpenter/Commission, T‑531/18, non publié, EU:T:2020:91, point 90 et jurisprudence citée).
243 Dans un contexte où, comme en l’espèce, d’une part, une décision prise par la Commission a été annulée à deux reprises et où, d’autre part, le temps qui s’est écoulé entre les premiers actes d’instruction et l’adoption de la décision a été exceptionnellement long, il appartient à cette institution, au titre du principe de bonne administration, de tenir compte de la durée de la procédure et des conséquences qu’a pu avoir cette durée sur sa décision de poursuivre les entreprises concernées, cette
appréciation devant alors apparaître dans la motivation de la décision.
244 En premier lieu, il convient de relever que, comme il ressort de la réponse donnée au troisième moyen, le principe du délai raisonnable n’a pas été méconnu dans les circonstances de l’espèce.
245 Il en découle que l’argumentation de la requérante selon laquelle la Commission a incorrectement exercé son pouvoir d’appréciation, car elle n’aurait pas tenu compte du fait que la durée de la procédure avait dépassé un délai raisonnable, doit être d’emblée écartée.
246 En second lieu, il faut en tout état de cause relever, s’agissant de la motivation fournie par la Commission dans la décision attaquée, que celle-ci a indiqué dans le détail, d’une part, aux considérants 526 à  529 de la décision attaquée et, d’autre part, aux considérants 536 à  573 de cette décision, les raisons pour lesquelles elle a considéré qu’il fallait adopter une nouvelle décision établissant l’existence de l’infraction et infligeant une amende aux entreprises concernées.
247 Ainsi, la Commission a, d’abord, indiqué que la durée de la procédure n’emportait, selon elle, aucune violation du principe du délai raisonnable (considérants 528 et 555 de la décision attaquée) et que les droits de la défense des entreprises n’avaient pas été violés, dès lors que, d’une part, ces dernières avaient pu présenter leurs observations sur la reprise de la procédure et que, d’autre part, elles avaient également exposé leurs arguments au cours de l’audition du 23 avril 2018. À ce
sujet, elle a précisé que la requérante n’avait fourni aucun élément concret à l’appui de son allégation selon laquelle elle n’aurait pas été en mesure d’exercer pleinement ses droits de la défense (considérants 556 et 557 de ladite décision).
248 La Commission a, toutefois, admis avoir commis des erreurs de procédure et a reconnu que ces erreurs avaient pu contribuer à allonger la durée de la procédure.
249 C’est alors que la Commission a procédé à une mise en balance, dans la décision attaquée, de l’intérêt général qu’il y avait à garantir une application effective des règles en matière de concurrence et du souci de mitiger les conséquences possibles des erreurs de procédure commises (considérant 559 de la décision attaquée).
250 À ce titre, la Commission a relevé que les entreprises en cause avaient participé, pendant onze ans, à une infraction considérée comme l’une des restrictions les plus sérieuses en matière de concurrence. Elle a indiqué que, dans un tel contexte, ne pas réadopter une décision constatant la participation des entreprises à ladite infraction serait contraire à l’intérêt général de garantir une application effective du droit de la concurrence de l’Union et irait au-delà de l’intérêt qu’il y aurait de
mitiger les conséquences d’une éventuelle violation des droits fondamentaux subie par les entreprises destinataires (considérants 560 et 561 de la décision attaquée).
251 À l’issue de cette mise en balance, la Commission est arrivée à la conclusion que, dès lors qu’une infraction avait été commise, c’est seulement en adoptant la décision attaquée qu’elle pourrait s’assurer que les auteurs de l’infraction ne resteraient pas impunis et seraient effectivement dissuadés d’adopter un comportement similaire à l’avenir (considérants 563 à  569 de la décision attaquée).
252 Au terme de l’analyse, la Commission a précisé que, en vue de mitiger les conséquences négatives qui pourraient avoir été causées par la longueur de la procédure, laquelle visait à corriger les vices de procédure intervenus au cours de l’enquête non attribuables aux entreprises en cause, elle avait décidé de réduire de 50 % le montant des amendes infligées (considérants 570 à  573 de la décision attaquée).
253 Il apparaît ainsi que, dans la décision attaquée, la Commission a fourni une motivation approfondie faisant apparaître, d’une façon claire et non équivoque, le raisonnement qu’elle avait suivi pour justifier l’adoption d’une nouvelle décision malgré les deux annulations intervenues dans le passé.
254 Le grief doit donc être rejeté.
[omissis]
4. Sur le quatrième grief, concernant la violation du principe de proportionnalité
268 La requérante a fait valoir, dans ses écritures et lors de l’audience, que, en raison de la durée déraisonnable de la procédure, l’adoption de la décision attaquée était contraire au principe de proportionnalité. Elle soulève à cet égard trois arguments. Premièrement, la procédure administrative n’aurait pas dû être reprise. Deuxièmement, ladite procédure ayant été reprise, la Commission aurait pu adopter une décision sans imposer de sanction. Troisièmement, la Commission ayant imposé à tort une
amende, le Tribunal devrait en réformer le montant.
269 À cet égard, il importe de rappeler que le principe de proportionnalité, qui fait partie des principes généraux du droit de l’Union, exige que les actes des institutions de l’Union ne dépassent pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire pour atteindre le but recherché, étant entendu que, lorsqu’un choix s’offre entre plusieurs mesures appropriées, il convient de recourir à la moins contraignante et que les inconvénients causés ne doivent pas être démesurés par rapport aux buts visés
(voir, en ce sens, arrêts du 13 novembre 1990, Fedesa e.a., C‑331/88, EU:C:1990:391, point 13, et du 14 juillet 2005, Pays-Bas/Commission, C‑180/00, EU:C:2005:451, point 103).
270 Sur le premier argument soulevé par la requérante, il convient de rappeler que, en l’espèce, la Commission a repris la procédure administrative, comme le lui permet la jurisprudence en cas d’annulation d’un acte qui émane d’elle (voir points 49 et 51 ci-dessus).
271 Ainsi qu’il ressort de l’analyse des premier et troisième moyens, la reprise de la procédure administrative ne saurait donner lieu à l’annulation de la décision attaquée, dès lors que la requérante n’a pas établi que la durée de ladite procédure avait été excessive ni que ses droits de la défense avaient été affectés conformément à la jurisprudence rappelée au point 172 ci-dessus. Or, en l’espèce, il ressort de l’analyse des premier et troisième moyens que la requérante ne peut se prévaloir de
telles violations.
272 Nonobstant cela, la Commission a pris soin de justifier, dans la décision attaquée, les raisons pour lesquelles la reprise de la procédure administrative ainsi que l’adoption d’une nouvelle décision et l’imposition d’une sanction lui paraissaient justifiées, à savoir :
– garantir une application effective du droit de la concurrence et éviter une impunité des entreprises en cause ;
– dissuader les entreprises impliquées de commettre une nouvelle infraction au droit de la concurrence ;
– faciliter les actions en réparation introduites par les éventuelles victimes de l’entente.
273 Dans ces conditions, il convient de rejeter le premier argument de la requérante.
274 Sur le deuxième argument de la requérante, il convient de rappeler que la Commission a veillé à mitiger les conséquences de la longueur de la procédure administrative, pour les entreprises destinataires de la décision attaquée, en leur accordant une réduction de 50 % du montant de l’amende.
275 Selon la requérante, le principe de proportionnalité impliquait toutefois que, en l’espèce, si une troisième décision était adoptée, aucune amende ne lui soit infligée.
276 À cet égard, comme il a été rappelé au point 172 ci-dessus, un dépassement du délai raisonnable, à le supposer établi, ne suffit pas en lui-même pour entraîner une annulation de la décision attaquée, une telle annulation étant réservée aux situations où pareil dépassement a entravé l’exercice des droits de la défense.
277 En outre, comme il a été rappelé au point 172 ci-dessus, lorsque le dépassement du délai raisonnable n’entrave pas l’exercice des droits de la défense, la réparation du dommage causé peut être demandée dans le cadre d’un recours en indemnité devant le juge de l’Union.
278 Cette position est critiquée par la requérante, pour qui l’introduction d’un recours en indemnité n’est pas un « remède effectif », car cela retarderait encore la constatation de la violation de son droit à un délai raisonnable.
279 À cet égard, il convient de rappeler que le droit à un recours effectif est consacré par l’article 47, paragraphe 1, de la Charte et constitue une prérogative dont le juge de l’Union doit assurer le respect. Ce droit doit être exercé à l’intérieur du système formé par les voies de recours qui sont organisées dans le traité, le recours en annulation servant à contrôler la légalité des actes de l’Union, tandis que le recours en indemnité tend à obtenir la réparation d’un dommage causé par un
comportement illégal adopté par ses institutions, ses organes ou ses organismes. Dans ce système, pour obtenir l’annulation d’un acte faisant grief, la requérante doit établir que la validité de cet acte a été entachée par le comportement illégal de son auteur.
280 En l’espèce, la requérante n’a pas démontré que la décision attaquée était entachée d’une quelconque illégalité tirée d’une violation du droit au délai raisonnable ou d’une atteinte aux droits de la défense susceptible de conduire à son annulation.
281 Le deuxième argument de la requérante doit donc être rejeté.
282 Dans son troisième argument, la requérante demande en substance au Tribunal d’exercer sa compétence de pleine juridiction en réformant le montant de l’amende qui lui a été infligée pour tenir compte des circonstances de l’espèce, en conformité avec le principe de proportionnalité.
283 À cet égard, il convient de rappeler que le juge de l’Union est habilité à exercer une compétence de pleine juridiction au titre de l’article 261 TFUE et de l’article 31 du règlement no 1/2003 lorsque la question du montant de l’amende est soumise à son appréciation (arrêt du 10 avril 2014, Commission/Siemens Österreich e.a. et Siemens Transmission & Distribution e.a./Commission, C‑231/11 P à  C‑233/11 P, EU:C:2014:256, point 126).
284 En l’espèce, la requérante a présenté une telle demande au Tribunal, ainsi qu’il ressort, en particulier, du point 158 de la requête, dans lequel, résumant ses demandes, elle indique souhaiter obtenir, à tout le moins, une réduction du montant de l’amende au titre, notamment, de l’article 261 TFUE.
285 Lorsqu’il exerce sa compétence de pleine juridiction, le juge de l’Union est habilité, au-delà du simple contrôle de légalité, qui ne permet que de rejeter le recours en annulation ou d’annuler (en tout ou en partie) l’acte attaqué, à tenir compte de toutes les circonstances de fait pour, le cas échéant, modifier le montant de la sanction [voir, en ce sens, arrêts du 3 septembre 2009, Prym et Prym Consumer/Commission, C‑534/07 P, EU:C:2009:505, point 86 et jurisprudence citée, et du 10 novembre
2021, Google et Alphabet/Commission (Google Shopping), T‑612/17, sous pourvoi, EU:T:2021:763, point 605].
286 Dans le cadre de l’exercice de sa compétence de pleine juridiction, le juge de l’Union peut supprimer, réduire, voire augmenter l’amende infligée (voir arrêt du 19 décembre 2013, Siemens e.a./Commission, C‑239/11 P, C‑489/11 P et C‑498/11 P, non publié, EU:C:2013:866, point 334 et jurisprudence citée).
287 Dans ces conditions, le juge de l’Union peut aussi, le cas échéant, porter des appréciations différentes de celles retenues par la Commission pour la détermination du montant de l’amende infligée (voir arrêt du 21 janvier 2016, Galp EnergÃa España e.a./Commission, C-603/13 P, EU:C:2016:38, point 75).
288 Dans la décision attaquée, la Commission, sans constater ni une violation du délai raisonnable ni une violation des droits de la défense, a accordé à la requérante une réduction du montant de l’amende, qu’elle a justifiée de la manière suivante :
– « compte tenu de […] l’insécurité créée par la transition entre les deux traités, circonstance exceptionnelle qui, à l’époque, n’était pas expressément régie par la jurisprudence, […] la Commission considère comme opportun que les parties destinataires de la présente décision bénéficient d’une réduction de l’amende » (considérant 570) ;
– cette réduction est accordée « en vue de mitiger les conséquences négatives pour ces parties qui pourraient avoir été causées par la longue durée de la procédure qui [a été] nécessaire pour pallier certains vices de procédure intervenus au cours de celle-ci et qui ne sont pas attribuables aux parties destinataires de la présente décision » (considérant 570) ;
– « l’octroi spontané, par la Commission, d’une réduction du montant de l’amende […] doit être considéré comme suffisant […] pour mitiger les éventuels effets préjudiciables subis par les parties destinataires à cause de la longue durée de la procédure » (considérant 572) ;
– « [l]es parties destinataires pourront […] bénéficier d’une réduction adéquate des amendes […] afin de mitiger les éventuels effets préjudiciables causés par les erreurs procédurales commises par la Commission » (considérant 573) ;
– « la Commission considère […] que les erreurs procédurales qu’elle a commises dans le cadre de la transition entre le traité CECA et le traité CE et la durée plus longue qui peut avoir découlé de ces erreurs peut justifier une réparation appropriée pour les destinataires de la présente décision » (considérant 991) ;
– « compte tenu du pouvoir d’appréciation dont dispose la Commission en matière de fixation des amendes, elle peut […] [accorder] aux destinataires de la présente décision une réduction de l’amende qui devrait être mesurée de telle façon qu’elle ne pénalise pas les entreprises destinataires pour des erreurs de procédure non commises par elles mais qui, en même temps, ne sont pas graves au point de porter atteinte au principe en vertu duquel les cartels sont des violations très graves du droit de
la concurrence » (considérant 992) ;
– « [a]fin de prendre dûment en considération ces facteurs, la Commission conclut qu’une réduction de l’amende de 50 % au titre d’une circonstance atténuante extraordinaire doit être reconnue à tous les destinataires de la présente décision » (considérant 994).
289 Il en résulte que, pour accorder la réduction du montant de l’amende infligée à la requérante, la Commission s’est fondée, en substance, sur les éléments suivants :
– l’affaire a été traitée lorsqu’expirait le traité CECA ;
– cette situation a provoqué des difficultés quant à l’identification des règles applicables ;
– ces difficultés ont donné lieu aux annulations des décisions de 2002 et de 2009 par les juridictions de l’Union ;
– ces annulations ont entraîné un allongement de la procédure, dans une mesure qui a pu avoir une incidence défavorable sur la situation des entreprises concernées ;
– ces circonstances pouvaient être prises en compte pour déterminer le montant de l’amende.
290 À cet égard, il convient de relever que la Commission indique à plusieurs reprises dans les considérants cités au point 288 ci-dessus que, en accordant la réduction du montant de l’amende en cause, elle entendait « mitiger » ou « réparer » les « effets préjudiciables », c’est-à -dire un dommage ayant pu être causé par des « erreurs » qui lui seraient imputables.
291 Bien que de tels termes soient généralement associés à des procédures de nature indemnitaire, il ne ressort pas de la décision attaquée que, en accordant la réduction du montant de l’amende en cause, l’intention de la Commission était d’accorder une réparation pour un dommage causé par un comportement illégal. Nulle part dans ladite décision la Commission ne reconnaît avoir adopté un comportement illégal, par exemple en dépassant le délai raisonnable de la procédure ou en violant les droits de
la défense de la requérante. Dans plusieurs passages de cette décision, elle renvoie au contraire à la jurisprudence selon laquelle le remède, en cas de grief concernant la durée de la procédure, doit être trouvé dans le cadre d’un recours en indemnité (considérants 568 et 578).
292 Ainsi, il convient de considérer, en prenant en compte ces différents éléments, que la réduction du montant de l’amende en cause consentie par la Commission ne visait pas pour cette dernière à réparer un comportement illégal, mais simplement à tenir compte des circonstances de l’espèce dans le cadre du large pouvoir d’appréciation qui lui est reconnu pour l’imposition des sanctions notamment par l’arrêt du 19 mars 2009, Archer Daniels Midland/Commission (C‑510/06 P, EU:C:2009:166, point 82)
(voir point 288 ci-dessus).
293 Dans le cadre de l’exercice de sa compétence de pleine juridiction, le Tribunal estime que, en l’espèce, l’amende ne saurait être supprimée, du fait, notamment, de la nécessité d’assurer la pleine application du droit de la concurrence à l’infraction particulièrement grave et d’une durée significativement longue retenue à l’encontre de la requérante, la motivation et la preuve de ladite infraction, ainsi que la participation de la requérante à celle-ci n’étant pas valablement contestées (voir
septième et huitième moyens ci-dessous).
294 Cela étant, il doit être tenu compte du fait que l’amende n’a pas été infligée à la requérante dans les quelques années qui ont suivi la commission des derniers comportements anticoncurrentiels constatés par la Commission, mais l’a été près de 20 ans après.
295 À cet égard, il y a lieu de prendre en compte en l’espèce, dans la détermination du montant de l’amende, parmi l’ensemble des circonstances pertinentes, son caractère dissuasif.
296 En effet, la prise en compte du caractère dissuasif vise à assurer que le montant de l’amende incitera, dans une mesure suffisante, l’entreprise concernée, et, de manière générale, l’ensemble des opérateurs économiques, à respecter les règles de concurrence de l’Union (voir arrêt du 17 juin 2010, Lafarge/Commission, C-413/08 P, EU:C:2010:346, point 102).
297 En l’espèce, l’objectif de dissuasion a déjà été mis en œuvre à l’égard de la requérante, pour partie en tout cas, d’une part, par la sanction qui lui a été infligée dans la décision de 2002, puis dans celle de 2009, ainsi que, d’autre part, par la perspective que cette sanction puisse être maintenue au terme de la procédure, si les recours juridictionnels introduits par la requérante contre ces décisions étaient rejetés ou si, en cas d’annulation desdites décisions, une nouvelle décision
prononçant à nouveau une sanction était adoptée (voir point 257 ci-dessus).
298 Dans ces conditions, il convient de considérer, dans le cadre de l’exercice de la compétence de pleine juridiction, que, compte tenu du temps écoulé entre les derniers comportements anticoncurrentiels et l’adoption de la décision attaquée, la fixation du montant de l’amende à un niveau inférieur au montant de base de 10,25 millions d’euros déterminé par la Commission, dans ladite décision, en application de ses lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de
l’article 15, paragraphe 2, du règlement no 17 et de l’article 65, paragraphe 5, [CA] (JO 1998, C 9, p. 3), lesquelles peuvent guider les juridictions de l’Union lorsqu’elles exercent ladite compétence (voir, en ce sens, arrêt du 6 décembre 2012, Commission/Verhuizingen Coppens, C-441/11 P, EU:C:2012:778, point 80), s’avère suffisante, en l’espèce, pour produire l’effet dissuasif recherché.
299 Au vu de ce qui précède, une réduction de 50 % du montant de l’amende en raison du temps écoulé entre les derniers comportements anticoncurrentiels et l’adoption de la décision attaquée est appropriée.
300 En conclusion, il convient de :
– rejeter le grief et, avec lui, le quatrième moyen en ce qu’ils visent à obtenir une annulation totale ou partielle de la décision attaquée ;
– rejeter le grief et, avec lui, le quatrième moyen en ce qu’ils visent à obtenir la suppression ou la réduction du montant de l’amende infligée à la requérante, en considérant que la réduction du montant de l’amende de 50 % accordée par la Commission dans la décision attaquée était appropriée au vu de l’atténuation du nécessaire effet dissuasif de la sanction du fait du temps écoulé entre la fin de l’infraction et le prononcé de l’amende.
E.  Sur le cinquième moyen, tiré de la violation du principe non bis in idem et du principe de sécurité juridique
301 La requérante soutient que le principe non bis in idem ainsi que le principe de sécurité juridique qui le sous-tend faisaient obstacle à l’adoption de la décision attaquée.
302 La Commission conteste l’argumentation de la requérante.
303 À cet égard, il convient de relever que le principe non bis in idem se trouve exprimé :
– d’une part, à l’article 50 de la Charte, selon lequel « [n]ul ne peut être poursuivi ou puni pénalement en raison d’une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné dans l’Union par un jugement pénal définitif conformément à la loi » ;
– d’autre part, à l’article 4, paragraphe 1, du protocole no 7 de la CEDH.
304 Corollaire de l’autorité de la chose jugée, le principe non bis in idem garantit la sécurité juridique et l’équité en assurant que, lorsqu’elle a été poursuivie et le cas échéant condamnée, la personne concernée a la certitude qu’elle ne sera pas de nouveau poursuivie pour la même infraction (arrêt du 3 avril 2019, Powszechny Zakład Ubezpieczeń na Życie, C‑617/17, EU:C:2019:283, point 33).
305 En matière de concurrence, en particulier, le principe non bis in idem interdit, en principe, qu’une entreprise soit condamnée ou poursuivie une nouvelle fois du fait d’un comportement anticoncurrentiel pour lequel elle a été sanctionnée ou dont elle a été déclarée non responsable par une décision antérieure qui n’est plus susceptible de recours (voir, en ce sens, arrêts du 15 octobre 2002, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, C‑238/99 P, C‑244/99 P, C‑245/99 P, C‑247/99 P, C‑250/99 P
à  C‑252/99 P et C‑254/99 P, EU:C:2002:582, point 59, et du 1er juillet 2009, ThyssenKrupp Stainless/Commission, T‑24/07, EU:T:2009:236, point 178).
306 L’application du principe non bis in idem suppose notammentqu’il ait été statué sur la matérialité de l’infraction ou que la légalité de l’appréciation portée sur celle-ci ait été contrôlée (arrêt du 15 octobre 2002, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, C‑238/99 P, C‑244/99 P, C‑245/99 P, C‑247/99 P, C‑250/99 P à  C‑252/99 P et C‑254/99 P, EU:C:2002:582, point 60).
307 S’il est satisfait à cette exigence, le principe non bis in idem interdit une nouvelle appréciation au fond de la matérialité de l’infraction lorsque cette nouvelle appréciation aurait pour conséquence :
– soit l’imposition d’une seconde sanction, s’ajoutant à la première, dans l’hypothèse où la responsabilité serait une nouvelle fois retenue ;
– soit l’imposition d’une première sanction, dans l’hypothèse où la responsabilité, écartée par la première décision, serait retenue par la seconde (arrêt du 15 octobre 2002, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, C‑238/99 P, C‑244/99 P, C‑245/99 P, C‑247/99 P, C‑250/99 P à  C‑252/99 P et C‑254/99 P, EU:C:2002:582, point 61).
308 En revanche, le principe non bis in idem ne s’oppose pas à une reprise des poursuites ayant pour objet le même comportement anticoncurrentiel lorsqu’une première décision a été annulée pour des motifs de forme sans qu’il ait été statué au fond sur les faits reprochés, la décision d’annulation ne valant pas alors « acquittement » au sens donné à ce terme dans les matières répressives (arrêts du 15 octobre 2002, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, C‑238/99 P, C‑244/99 P, C‑245/99 P,
C‑247/99 P, C‑250/99 P à  C‑252/99 P et C‑254/99 P, EU:C:2002:582, point 62, et du 1er juillet 2009, ThyssenKrupp Stainless/Commission, T‑24/07, EU:T:2009:236, point 190).
309 Dans un tel cas, les sanctions imposées par la nouvelle décision ne s’ajoutent pas, en effet, à celles prononcées par la décision annulée, mais se substituent à elles (arrêts du 15 octobre 2002, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, C‑238/99 P, C‑244/99 P, C‑245/99 P, C‑247/99 P, C‑250/99 P à  C‑252/99 P et C‑254/99 P, EU:C:2002:582, point 62, et du 1er juillet 2009, ThyssenKrupp Stainless/Commission, T‑24/07, EU:T:2009:236, point 190).
310 En l’espèce, il doit être constaté que, à ce jour, aucune décision n’a statué de façon définitive sur le fond de l’affaire en ce qui concerne la participation de la requérante aux infractions qui lui sont reprochées. La décision de 2002 a été annulée par le Tribunal en raison de la base juridique utilisée par la Commission et la décision de 2009 a été annulée pour violation des formes substantielles, sans que, dans aucun de ces deux cas, une position définitive ait été adoptée sur les moyens de
fond invoqués par la requérante, relatifs à sa participation aux faits qui lui sont reprochés. L’arrêt du 9 décembre 2014, Feralpi/Commission (T‑70/10, non publié, EU:T:2014:1031) est le seul à s’être prononcé sur de tels moyens, mais il a été intégralement annulé par la Cour. Dans ces conditions, il ne saurait être considéré que, en adoptant la décision attaquée, la Commission ait sanctionné ou poursuivi deux fois la requérante pour les mêmes faits (voir, en ce sens, arrêt du 15 octobre 2002,
Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, C‑238/99 P, C‑244/99 P, C‑245/99 P, C‑247/99 P, C‑250/99 P à  C‑252/99 P et C‑254/99 P, EU:C:2002:582, point 63).
311 Quant à la sanction infligée à la requérante dans la décision attaquée, elle se substitue à celle prononcée dans la décision de 2009, qui, elle-même, avait remplacé la sanction infligée dans la décision de 2002. Les montants payés par la requérante au titre de l’amende infligée dans la décision de 2002, puis dans celle de 2009, lui ont été remboursés à la suite des annulations de ces deux décisions.
312 Dans ces conditions, il ne saurait être considéré que le principe non bis in idem ait été violé.
313 La violation du principe de sécurité juridique qui résulterait d’une violation du principe non bis in idem doit donc également être écartée et, partant, le cinquième moyen doit être rejeté.
F.  Sur le sixième moyen, tiré de l’illégalité du régime de prescription organisé par l’article 25, paragraphes 3 à  6, du règlement no 1/2003
314 La requérante soulève une exception d’illégalité à l’encontre du régime d’interruption et de suspension de la prescription énoncé à l’article 25, paragraphes 3 à  6, du règlement no 1/2003. Selon elle, ce régime devrait être déclaré inapplicable dans la présente procédure. En effet, il conduirait à des situations où, comme en l’espèce, la Commission pourrait adopter de nouvelles décisions après annulation, sans que soit imposée une limite temporelle à cette possibilité. Un tel résultat serait
contraire, d’une part, aux articles 41 et 47 de la Charte et, d’autre part, à l’article 6 de la CEDH, qui, tous, consacrent l’obligation de respecter un délai raisonnable dans les procédures.
315 La Commission conteste l’argumentation de la requérante.
316 À cet égard, il convient de rappeler que, en matière de concurrence, le délai de prescription est régi par l’article 25 du règlement no 1/2003 de la manière suivante :
– ce délai a une durée de cinq ans [paragraphe 1, sous b), lu en combinaison avec l’article 23, paragraphe 2, sous a), dudit règlement] ;
– il peut être interrompu par tout acte de la Commission qui vise à l’instruction ou à la poursuite de l’infraction (paragraphe 3) ; dans un tel cas, l’interruption anéantit rétroactivement le délai qui a déjà couru et marque le point de départ d’un nouveau délai ; en cas d’interruption, la prescription est acquise, au plus tard, à l’expiration d’un délai de dix ans sans que la Commission ait prononcé une amende ou une astreinte (paragraphe 5) ;
– le délai est suspendu durant les procédures de recours introduites devant la Cour contre la décision de la Commission, auquel cas il est prolongé de la période pendant laquelle est intervenue la suspension (paragraphe 6).
317 Quant au principe du délai raisonnable, il n’est pas fixé ou déterminé à l’avance de manière abstraite pour l’ensemble des procédures susceptibles d’être concernées, mais doit être apprécié en considérant les circonstances propres à chaque affaire, notamment l’enjeu du litige, la complexité de l’affaire, le comportement de la requérante et celui des autorités compétentes (voir, en ce sens, arrêt du 15 octobre 2002, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, C‑238/99 P, C‑244/99 P, C‑245/99 P,
C‑247/99 P, C‑250/99 P à  C‑252/99 P et C‑254/99 P, EU:C:2002:582, points 187 et 188).
318 La requérante reproche au législateur de l’Union de n’avoir pas prévu, dans l’article 25 du règlement no 1/2003, un délai maximal au-delà duquel toute intervention de la Commission serait exclue même si le délai de prescription avait fait l’objet de suspensions.
319 À cet égard, il convient de relever que, tel qu’il a été rédigé, l’article 25 du règlement no 1/2003 résulte d’une conciliation effectuée par le législateur de l’Union, dans l’exercice des compétences qui lui sont conférées, entre deux objectifs pouvant requérir des mesures allant en sens contraires, à savoir, d’une part, la nécessité d’assurer la sécurité juridique en évitant que puissent être indéfiniment mises en cause des situations consolidées avec l’écoulement du temps ainsi que, d’autre
part, l’exigence d’assurer le respect du droit en poursuivant, établissant et sanctionnant les infractions au droit de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 6 octobre 2005, Sumitomo Chemical et Sumika Fine Chemicals/Commission, T‑22/02 et T‑23/02, EU:T:2005:349, point 82).
320 Or, la requérante n’a pas démontré, en l’espèce, que le législateur de l’Union avait dépassé, dans la conciliation qu’il a effectuée entre ces objectifs distincts, la marge qui doit lui être reconnue dans ce cadre. En effet, le pouvoir de procéder à des vérifications et d’infliger des sanctions se trouve encadré par des limites strictes. Certes, le délai de prescription est suspendu en cas de recours introduit devant le juge de l’Union. Cependant, cette possibilité requiert, en vue de sa mise en
œuvre, une démarche à assurer par les entreprises elles-mêmes. Le législateur de l’Union ne peut se voir reprocher la circonstance que, à la suite de l’introduction de plusieurs recours, chacun de ces derniers étant introduits par les entreprises concernées, la décision intervenant au terme de la procédure soit adoptée après un certain délai.
321 La conciliation ainsi réalisée par le législateur de l’Union paraît d’autant plus appropriée que les justiciables se plaignant d’une procédure déraisonnablement longue peuvent contester cette durée en poursuivant l’annulation de la décision adoptée à l’issue de cette procédure, une telle annulation étant réservée aux situations où le dépassement du délai raisonnable a entravé l’exercice des droits de la défense, ou, lorsque le dépassement du délai raisonnable ne donne pas lieu à une violation
des droits de la défense, en introduisant un recours en indemnité devant le juge de l’Union (voir point 172 ci-dessus).
322 Partant, il convient de rejeter le sixième moyen.
[omissis]
 Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (quatrième chambre élargie)
déclare et arrête :
 1) Le recours est rejeté.
 2) Feralpi Holding SpA est condamnée aux dépens.
Gervasoni
Madise
Nihoul
 Frendo
MartÃn y Pérez de Nanclares
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 9 novembre 2022.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : l’italien.
( 1 ) Ne sont reproduits que les points du présent arrêt dont le Tribunal estime la publication utile.