ARRÊT DU TRIBUNAL (quatrième chambre)
18 janvier 2023 ( *1 )
« FEAGA et Feader – Dépenses exclues du financement – Dépenses effectuées par la Roumanie – Programme national de développement rural 2007-2013 – Méthodes de calcul des taux de soutien afférents à la sous-mesure “1a” de la mesure 215 – Paiements en faveur du bien-être des “porcs d’engraissement” et “cochettes” – Augmentation d’au moins 10 % de l’espace disponible alloué à chaque animal – Obligation de motivation – Confiance légitime – Sécurité juridique – Qualification juridique des faits –
Article 12, paragraphes 6 et 7, du règlement délégué (UE) no 907/2014 – Lignes directrices relatives au calcul des corrections financières dans le cadre des procédures d’apurement de conformité et d’apurement des comptes »
Dans l’affaire T‑33/21,
Roumanie, représentée par Mmes E. Gane et L.-E. Baţagoi, en qualité d’agents,
partie requérante,
contre
Commission européenne, représentée par Mme J. Aquilina, MM. A. Biolan et M. Kaduczak, en qualité d’agents,
partie défenderesse,
LE TRIBUNAL (quatrième chambre),
composé, lors des délibérations, de MM. S. Gervasoni, président, L. Madise (rapporteur) et J. Martín y Pérez de Nanclares, juges,
greffier : Mme I. Kurme, administratrice,
vu la phase écrite de la procédure,
à la suite de l’audience du 14 juillet 2022,
rend le présent
Arrêt
1 Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, la Roumanie demande l’annulation de la décision d’exécution (UE) 2020/1734 de la Commission, du 18 novembre 2020, écartant du financement de l’Union européenne certaines dépenses effectuées par les États membres au titre du Fonds européen agricole de garantie (FEAGA) et du Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader) (JO 2020, L 390, p. 10), en ce que celle-ci écarte certaines dépenses qu’elle a engagées pour les exercices 2017 à 2019
pour un montant de 18717475,08 euros (ci-après la « décision attaquée »).
Antécédents du litige
2 Par sa décision C(2008) 3831, du 16 juillet 2008, la Commission européenne a approuvé le programme national de développement rural de la Roumanie pour la période 2007-2013 (ci-après le « PNDR 2007-2013 »).
3 Le 14 septembre 2011, le ministère de l’Agriculture et du Développement rural roumain a transmis à la Commission une demande de révision du PNDR 2007-2013, en vertu de l’article 6, paragraphe 1, sous a), du règlement (CE) no 1974/2006 de la Commission, du 15 décembre 2006, portant modalités d’application du règlement (CE) no 1698/2005 du Conseil concernant le soutien au développement rural par le Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader) (JO 2006, L 368, p. 15). L’une des
modifications proposées était l’introduction de la mesure 215 – Paiements en faveur du bien-être des animaux (ci-après la « mesure 215 »). Au titre de cette mesure, des paiements compensatoires avaient été prévus pour les pertes de revenus et les coûts supplémentaires supportés par les agriculteurs éleveurs de volaille et de porcs qui, conformément au PNDR 2007-2013, auraient assumé volontairement la mise en œuvre de certaines normes en matière de bien-être animal. L’aide était octroyée dans le
cadre d’engagements pluriannuels pris par les agriculteurs pour une période minimale de cinq ans.
4 Par sa lettre ARES(2011) 1344895, du 13 décembre 2011, la Commission a indiqué à la Roumanie avoir reçu et analysé la proposition de modification du PNDR 2007-2013. Elle a précisé que, en l’état, la proposition de modification n’était pas acceptable et a demandé des clarifications. S’agissant en particulier de la mesure 215, la Commission a, notamment, fait référence aux méthodes de calcul des taux de soutien afférents à la mesure 215 en demandant des corrections.
5 Le 22 mars 2012, les autorités roumaines ont chargé dans le système de gestion des fonds de l’Union SFC2007 les méthodes de calcul révisées.
6 Par sa lettre ARES(2012) 411175, du 4 avril 2012, la Commission a donné son accord pour la septième modification du PNDR 2007-2013, y compris pour la mesure 215. D’après cette lettre, « [l]es services de la Commission [avaie]nt analysé les modifications proposées » et avaient considéré que ces « modifications […] respect[ai]ent les dispositions pertinentes du règlement [(CE)] no 1698/2005 [du Conseil, du 20 septembre 2005, concernant le soutien au développement rural par le Fonds européen agricole
pour le développement rural (Feader) (JO 2005, L 277, p. 1)] et du règlement no 1974/2006 » et que, « [e]n conséquence, les propositions [étaie]nt acceptées ».
7 Par la décision d’exécution C(2012) 3529 final de la Commission, du 25 mai 2012, le PNDR 2007-2013 a été modifié et la mesure 215 a été introduite.
8 Du 18 au 29 mai 2015, la Cour des comptes européenne a réalisé une mission d’audit en Roumanie et a constaté des erreurs en ce qui concernait les paiements effectués en application de la mesure 215. Selon ses constatations préliminaires, notifiées aux autorités roumaines le 18 septembre 2015, des erreurs dans la méthode de calcul des paiements compensatoires au titre des différentes sous-mesures de la mesure 215 avaient été décelées. Ces erreurs auraient donné lieu à l’octroi d’une surcompensation
aux agriculteurs et, de ce fait, à une violation de l’article 40 du règlement (CE) no 1698/2005 du Conseil, du 20 septembre 2005, concernant le soutien au développement rural par le Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader) (JO 2005, L 277, p. 1). Parmi les sous-mesures de la mesure 215 concernées par les constatations de la Cour des comptes figurait la sous-mesure « 1a » : « porcs d’engraissement », « cochettes » et « truies » – Augmentation d’au moins 10 % de l’espace
disponible alloué à chaque animal (s’agissant uniquement des « porcs d’engraissement » et « cochettes ») (ci-après la « sous-mesure litigieuse »).
9 Par leur lettre no 493, du 7 janvier 2016, et leur lettre E7324, du 24 mars 2016, les autorités roumaines ont demandé le soutien de la Commission afin d’identifier une solution et ont signalé que le PNDR 2007-2013 ne pouvait plus être modifié au moment des constatations de la Cour des comptes, à savoir le 18 septembre 2015.
10 Par sa lettre du 25 janvier 2016, la Cour des comptes a notamment conclu à l’inéligibilité des dépenses afférentes à la sous-mesure litigieuse, au motif que la méthode de calcul des taux de soutien appliqués était erronée.
11 Après avoir analysé les constatations de la Cour des comptes et les réponses des autorités roumaines, la Commission a décidé de lancer un premier audit administratif, sous la référence RD 2/2016/031/RO, concernant la mesure 215 relative au bien-être des animaux en Roumanie pour les exercices 2014 à 2016 (ci-après le « premier audit »).
12 Par sa lettre ARES(2016) 1403661, du 21 mars 2016, la Commission a considéré que les paiements afférents notamment à la sous-mesure litigieuse contenaient des erreurs systémiques et n’étaient pas conformes à l’article 40, paragraphe 3, du règlement no 1698/2005. Elle a demandé aux autorités roumaines de fournir davantage d’informations concernant notamment cette sous-mesure. En effet, sur la base des informations dont elle disposait, un contrôle clé apparaissait absent et les paiements effectués
au titre de ladite sous-mesure semblaient caractérisés par des irrégularités généralisées susceptibles de rendre les dépenses correspondantes non éligibles pour le financement de l’Union.
13 Par sa lettre ARES(2017) 1331659, du 14 mars 2017, la Commission a demandé aux autorités roumaines de procéder à un nouveau calcul des taux de paiement et a proposé l’application d’une correction financière pour les exercices 2014 à 2016. Plus précisément, elle a, notamment, proposé l’application d’une correction financière forfaitaire de 25 % des dépenses résultant des paiements compensatoires effectuées par l’organisme agréé roumain, au titre de la sous-mesure litigieuse et des corrections
calculées de manière ponctuelle pour les dépenses effectuées au titre des sous-mesures différentes de la sous-mesure litigieuse.
14 Les autorités roumaines ont engagé une procédure de conciliation sous la référence 17/RO/796 (ci-après la « procédure 17/RO/796 ») pour le montant de 28087745,37 euros afférent aux paiements effectués dans le cadre de la sous-mesure litigieuse, durant les exercices 2014 à 2016.
15 Dans son rapport présenté dans le cadre de la procédure 17/RO/796, figurant dans sa lettre ARES(2017) 4685136, du 26 septembre 2017, l’organe de conciliation a conclu qu’une correction forfaitaire de 25 % était injustifiée, au motif, notamment, que les circonstances de l’espèce ne permettaient pas de considérer qu’un contrôle clé était absent (voir point 12 ci-dessus), et a exprimé des doutes quant à l’application d’une correction pour la période antérieure à la date de notification des
constatations préliminaires de la mission d’audit réalisée par la Cour des comptes.
16 Dans sa position finale, figurant dans sa lettre ARES(2018) 1348956, du 12 mars 2018, ainsi que dans son rapport de synthèse ARES(2018) 2487854, du 16 mai 2018, la Commission a, notamment, maintenu sa conclusion selon laquelle les paiements effectués au titre de la sous-mesure litigieuse enfreignaient l’article 40, paragraphe 3, du règlement no 1698/2005.
17 Le 13 juin 2018, la Commission a adopté la décision d’exécution (UE) 2018/873, écartant du financement de l’Union européenne certaines dépenses effectuées par les États membres au titre du Fonds européen agricole de garantie (FEAGA) et du Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader) (JO 2018, L 152, p. 29). Par cette décision, la Commission a notamment appliqué à la Roumanie une correction financière forfaitaire de 25 % correspondant à un montant de 13184846,61 euros pour les
exercices financiers 2015 et 2016, en raison de la surestimation du montant des paiements effectués par l’organisme agréé roumain au titre de la sous-mesure litigieuse, relevant du système intégré de gestion et de contrôle (SIGC) dans le cadre du Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader).
18 La Roumanie a introduit un recours visant à l’annulation partielle de la décision d’exécution 2018/873. Ce recours a été rejeté comme irrecevable en raison de sa tardiveté par l’ordonnance du 30 avril 2019, Roumanie/Commission (T‑530/18, EU:T:2019:269). Le pourvoi formé par la Roumanie contre ladite ordonnance a été rejeté par l’arrêt du 10 septembre 2020, Roumanie/Commission (C‑498/19 P, non publié, EU:C:2020:686).
19 Après la clôture de l’exercice 2016, la Commission a réalisé un nouvel audit, sous la référence RD 2/2018/031/RO, qui a visé les exercices 2017 à 2019 (ci-après le « second audit »). Considérant que les autorités roumaines avaient violé l’article 40, paragraphe 3, du règlement no 1698/2005, la Commission a notamment proposé d’exclure du financement par le Feader le montant de 18717475,08 euros correspondant à une correction financière forfaitaire de 25 % des dépenses effectuées au titre de la
sous-mesure litigieuse du PNDR 2007-2013. S’agissant de cette sous-mesure prévoyant des paiements compensatoires pour les éleveurs de « porcs d’engraissement », au taux de soutien de 41,40 euros par unité de gros bétail (UGB), de « cochettes », au taux de soutien de 165 euros par UGB et de « truies », au taux de soutien de 23,30 euros par UGB, la Commission a relevé les mêmes erreurs que lors du premier audit. Plus précisément, selon la Commission, les taux de paiement pour les catégories « porcs
d’engraissement » et « cochettes » étaient surestimés, étant donné que les économies en fourrage ne tenaient pas compte de l’augmentation réelle du poids des animaux et que le prix d’entrée initial des animaux non élevés n’avait pas été déduit. En application de l’article 41, paragraphe 1, du règlement (UE) no 1306/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 17 décembre 2013, relatif au financement, à la gestion et au suivi de la politique agricole commune et abrogeant les règlements (CEE)
no 352/78, (CE) no 165/94, (CE) no 2799/98, (CE) no 814/2000, (CE) no 1200/2005 et no 485/2008 du Conseil (JO 2013, L 347 p. 549), la Commission a donc systématiquement suspendu 25 % de tous les montants réclamés par les autorités roumaines pour la sous-mesure litigieuse.
20 Par leur lettre no 545, du 9 juillet 2018, les autorités roumaines ont fourni des informations complémentaires concernant, notamment, les modalités utilisées pour effectuer les paiements compensatoires dans le cadre de la mesure 215 et ont, une nouvelle fois, fait part à la Commission de l’impossibilité objective de modifier le PNDR 2007-2013. Lesdites autorités ont également informé la Commission que des recours avaient été introduits devant les juridictions nationales par les bénéficiaires
ayant reçu des paiements compensatoires inférieurs à ceux qui étaient prévus par les engagements pris en application de la mesure 215 du PNDR 2007-2013.
21 Par sa lettre ARES(2018) 638947, du 12 décembre 2018, la Commission a demandé aux autorités roumaines des éclaircissements et leur a transmis le procès-verbal d’une réunion bilatérale du 20 novembre 2018. Les autorités roumaines ont répondu par leur lettre no 241040, du 8 janvier 2019, et par leur lettre no 133, du 12 février 2019, sollicitant, notamment, des clarifications quant au mode de révision du PNDR 2007-2013, au motif que, selon elles, pour modifier les taux de paiement afférents à la
sous-mesure litigieuse, il était nécessaire de modifier ledit programme et que l’échéance pour le faire était dépassée au moment de la notification des constatations de la Cour des comptes.
22 Par sa lettre ARES(2019) 1368242, du 28 février 2019, la Commission a indiqué que le PNDR 2007-2013 ne pouvait plus faire l’objet d’une révision, mais qu’elle pourrait accepter, en principe, que les modifications du montant des paiements afférents à la mesure 215 soient reflétées dans un amendement au programme national de développement rural pour la période 2014-2020.
23 À la suite de discussions et d’échanges d’informations entre les autorités roumaines et la Commission, cette dernière a, par sa lettre ARES(2019) 5096803, du 5 août 2019, notifié à la Roumanie sa proposition d’exclure du financement de l’Union le montant de 18717475,08 euros représentant une correction forfaitaire de 25 % des dépenses effectuées au titre de la sous-mesure litigieuse, pour les exercices 2017 à 2019. Dans ladite lettre, la Commission a précisé que, conformément à l’article 12,
paragraphe 7, sous c), du règlement délégué (UE) no 907/2014, du 11 mars 2014, complétant le règlement no 1306/2013 en ce qui concerne les organismes payeurs et autres entités, la gestion financière, l’apurement des comptes, les garanties et l’utilisation de l’euro (JO 2014, L 255, p. 18), il existait un risque accru de pertes pour le budget de l’Union, car il pouvait raisonnablement être présumé que la liberté de soumettre impunément des demandes irrégulières était susceptible d’entraîner des
dommages financiers exceptionnellement élevés pour le budget de l’Union. Selon la Commission, la Roumanie avait commis des « irrégularités généralisées », au sens du point 3.2.5 des lignes directrices relatives au calcul des corrections financières dans le cadre des procédures d’apurement de conformité et d’apurement des comptes, telles qu’elles figurent dans la communication de la Commission C(2015) 3675 final, du 8 juin 2015 (ci-après les « lignes directrices relatives au calcul des corrections
financières »), justifiant l’application d’un taux de correction égal à 25 %.
24 Par leur lettre no 662, du 11 septembre 2019, les autorités roumaines ont signalé que la solution proposée par la Commission, visée au point 22 ci-dessus, était inapplicable. Elles ont donc engagé à nouveau une procédure de conciliation, sous la référence 19/RO/856, en ce qui concernait le montant de 18717475,08 euros (ci-après la « procédure 19/RO/856 »).
25 Dans son rapport présenté dans le cadre de la procédure 19/RO/856, figurant dans sa lettre ARES(2019) 7587324, du 10 décembre 2019, l’organe de conciliation a constaté qu’une conciliation n’était pas possible et a notamment indiqué qu’il n’était pas convaincu que les éléments retenus dans l’affaire en cause relevaient de la notion d’« irrégularité » au sens des lignes directrices relatives au calcul des corrections financières (voir point 23 ci-dessus).
26 Par sa lettre ARES(2020) 2031991, du 14 avril 2020, contenant sa position finale, et par son rapport de synthèse ARES(2020) 5780976, du 22 octobre 2020, la Commission a conclu que les paiements effectués au titre de la sous-mesure litigieuse violaient l’article 40, paragraphe 3, du règlement no 1698/2005. C’est ainsi qu’elle a indiqué que le montant de 18717475,08 euros, correspondant à 25 % des dépenses afférentes à ladite sous-mesure, devait être écarté du financement de l’Union.
27 Le 18 novembre 2020, la Commission a adopté la décision attaquée, et a notamment appliqué à la Roumanie une correction financière forfaitaire en vertu de laquelle 25 % des dépenses engagées par l’organisme payeur agréé roumain et déclarées dans le cadre du Feader, pour un montant de 18717475,08 euros, étaient écartés en raison de la surestimation du montant des paiements compensatoires effectués au titre de la sous-mesure litigieuse, pendant les exercices 2017 à 2019.
Conclusions des parties
28 La Roumanie conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– annuler la décision attaquée en ce que celle-ci écarte les dépenses engagées par l’organisme payeur agréé roumain, au titre du Feader, en application de la sous-mesure litigieuse pour les exercices 2017 à 2019, pour un montant de 18717475,08 euros ;
– condamner la Commission aux dépens.
29 La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– rejeter le recours ;
– condamner la Roumanie aux dépens.
En droit
30 À l’appui de son recours, la Roumanie soulève, en substance, deux moyens. Le premier moyen est tiré de l’exercice inapproprié de la compétence de la Commission pour écarter certaines dépenses du financement de l’Union sur le fondement de l’article 52 du règlement no 1306/2013 et comporte six griefs. Le second moyen est tiré d’une violation de l’obligation de motivation.
31 Il convient d’analyser d’abord le second moyen.
32 En outre, il importe de noter que, dans le cadre du second moyen, la Roumanie fait également valoir que la Commission a commis une erreur de droit. Un argument identique étant également soulevé dans le cadre du troisième grief du premier moyen, il y a lieu d’y apporter une réponse lors de l’examen de ce moyen et du grief correspondant.
Sur le second moyen, tiré de la violation de l’obligation de motivation
33 La Roumanie fait valoir que la Commission n’explique pas les raisons pour lesquelles elle a exclu la somme totale de 18717475,08 euros du financement de certaines dépenses effectuées dans le cadre du Feader pour les exercices 2017 à 2019.
34 Selon la Roumanie, la Commission n’a pas suffisamment expliqué en quoi une méthodologie de calcul supposément erronée constituait une situation relevant des hypothèses prévues à l’article 12, paragraphes 6 et 7, du règlement délégué no 907/2014, à savoir une irrégularité, au sens des lignes directrices relatives au calcul des corrections financières. Par ailleurs, la Commission n’aurait pas invoqué l’hypothèse de négligence dans la lutte contre les pratiques irrégulières ou frauduleuses afin de
justifier l’application d’une correction forfaitaire de 25 % des dépenses et n’aurait pas davantage justifié sa position changeante concernant la qualification juridique d’une méthodologie de calcul supposément erronée (voir points 12, 15, 23 et 25 ci-dessus). Le changement de la terminologie utilisée par la Commission pour justifier l’application d’une correction forfaitaire entraverait les efforts déployés par les autorités roumaines pour comprendre les motifs fondant la décision attaquée.
35 La Commission conteste les arguments de la Roumanie.
36 Il convient de rappeler que l’obligation de motivation prévue à l’article 296 TFUE constitue une formalité substantielle qui doit être distinguée de la question du bien-fondé des motifs, celui-ci relevant de la légalité au fond de l’acte litigieux. Dans cette perspective, la motivation doit être adaptée à la nature de l’acte en cause et doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution, auteure de l’acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les
justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle (voir arrêt du 16 février 2017, Roumanie/Commission, T‑145/15, EU:T:2017:86, point 42 et jurisprudence citée).
37 En particulier, l’obligation de motiver un acte faisant grief, qui constitue un corollaire du principe du respect des droits de la défense, a pour but, d’une part, de fournir à l’intéressé une indication suffisante pour savoir si l’acte est bien fondé ou s’il est éventuellement entaché d’un vice permettant d’en contester la validité devant le juge de l’Union et, d’autre part, de permettre à ce dernier d’exercer son contrôle sur la légalité de cet acte (voir arrêt du 16 février 2017,
Roumanie/Commission, T‑145/15, EU:T:2017:86, point 43 et jurisprudence citée).
38 Il ne saurait cependant être exigé que la motivation spécifie tous les différents éléments de fait et de droit pertinents. En effet, la question de savoir si la motivation d’une décision satisfait aux exigences, ainsi rappelées aux points 36 et 37 ci-dessus, doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (voir arrêt du 16 février 2017, Roumanie/Commission, T‑145/15, EU:T:2017:86,
point 44 et jurisprudence citée).
39 En outre, lorsqu’une décision a été adoptée dans un contexte bien connu de l’intéressé, elle peut être motivée de manière sommaire (arrêt du 12 mai 2011, Région Nord-Pas-de-Calais et Communauté d’agglomération du Douaisis/Commission, T‑267/08 et T‑279/08, EU:T:2011:209, point 44 ; voir également, en ce sens, arrêt du 30 septembre 2003, Allemagne/Commission, C‑301/96, EU:C:2003:509, points 89 et 92).
40 Il y a également lieu de rappeler que, dans le contexte particulier de l’élaboration des décisions relatives à l’apurement des comptes, la motivation d’une décision doit être considérée comme étant suffisante dès lors que l’État membre destinataire a été étroitement associé au processus d’élaboration de cette décision et qu’il connaissait les raisons pour lesquelles la Commission estimait ne pas devoir mettre à la charge des fonds agricoles la somme litigieuse (voir, en ce sens, arrêt du
9 septembre 2004, Grèce/Commission, C‑332/01, EU:C:2004:496, point 67 et jurisprudence citée).
41 Au regard de la jurisprudence citée aux points 36 à 40 ci-dessus, il convient d’examiner si la Commission a expliqué de manière suffisante les raisons l’ayant conduite à considérer qu’elle était en présence des circonstances, visées à l’article 12, paragraphes 6 et 7, du règlement délégué no 907/2014 et au point 3.2.5 des lignes directrices relatives au calcul des corrections financières, qui indiquent un degré de gravité élevé des lacunes constatées et, partant, un risque accru de perte pour le
budget de l’Union et pour lesquelles lesdites dispositions prévoient l’application d’un taux de correction forfaitaire égal à 25 %.
42 À cet égard, en premier lieu, il y a lieu de relever que la décision d’exécution 2018/873 et le dialogue administratif tenu avant l’adoption de la décision attaquée font partie du contexte dans lequel s’inscrit ladite décision et peuvent, dès lors, en application de la jurisprudence citée au point 40 ci-dessus, être pris en compte aux fins d’apprécier le caractère suffisamment motivé de celle-ci. D’ailleurs, la Commission elle-même, dans le contexte du second audit, a fait référence à plusieurs
reprises au premier audit en signalant que les éléments essentiels avaient déjà été discutés et décidés et qu’elle se servait du premier audit pour compléter ses réponses aux éléments signalés par les autorités roumaines.
43 En second lieu, en application de la jurisprudence citée au point 40 ci-dessus, il convient de tenir compte des échanges officiels entre la Commission et les autorités roumaines en vue de l’adoption de la décision attaquée, étant donné qu’ils contiennent un résumé des principaux points discutés au cours de la procédure et qu’ils font également partie du contexte dans lequel s’inscrit ladite décision. Ces échanges comprennent la lettre relative aux constatations du 8 mai 2018, à laquelle la
Roumanie a répondu par sa lettre du 9 juillet 2018, la réunion bilatérale du 20 novembre 2018, dont le procès-verbal a été communiqué à la Roumanie par lettre du 12 décembre 2018, à laquelle la Roumanie a également répondu le 8 janvier 2019, la lettre de conciliation du 5 août 2019, la position finale figurant dans la lettre du 14 avril 2020 et le rapport de synthèse relatif à la décision attaquée.
44 Il ressort des documents mentionnés aux points 42 et 43 ci-dessus que la Commission a indiqué aux autorités roumaines que les taux de paiement appliqués au titre de la sous-mesure litigieuse étaient trop élevés. Plus précisément, la Commission a exposé dans lesdits documents que la méthode de calcul utilisée par la Roumanie pour établir les taux de paiement ne tenait pas compte, lors du calcul des économies en fourrage, de l’augmentation réelle du poids des animaux, à savoir de ce que les animaux
passaient de 30 à 103 kilogrammes (kg) avant d’être livrés. En outre, la Commission a également indiqué aux autorités roumaines que, en application de ladite méthode de calcul du taux de soutien compensatoire, il n’était procédé à aucune déduction du prix d’entrée initial des animaux non achetés. Selon la Commission, lors du calcul du taux de compensation couvrant les coûts supplémentaires et la perte de revenus au titre de la sous-mesure litigieuse, il convenait de déduire le prix des animaux
qui n’étaient plus achetés en raison des engagements pris volontairement par les éleveurs de porcs d’augmenter de 10 % l’espace disponible pour chaque animal.
45 L’absence de prise en compte de l’augmentation réelle du poids des animaux pour le calcul des économies en fourrage et l’absence de déduction du prix d’entrée initial des animaux pour la fixation des taux de soutien ont été considérés par la Commission comme étant contraires aux dispositions de l’article 40, paragraphe 3, du règlement no 1698/2005, selon lequel les paiements en faveur du bien-être des animaux couvrent les coûts supplémentaires et les pertes de revenus résultant des engagements
pris. Le raisonnement suivi par la Commission a été de considérer qu’une certaine partie de tous les paiements compensatoires effectués au titre de la sous-mesure litigieuse ne pouvait pas être financée par le budget de l’Union, en raison du caractère systématique de l’usage de taux surestimés pour calculer lesdits paiements. C’est donc afin de protéger les fonds agricoles que la Commission a systématiquement suspendu 25 % de tous les montants demandés par les autorités roumaines pour la
sous-mesure litigieuse, puis appliqué une correction forfaitaire de 25 % des dépenses afférentes à ladite sous-mesure.
46 La Roumanie conteste le caractère suffisant des explications fournies par la Commission pour justifier l’application d’une correction forfaitaire de 25 % et considère comme un obstacle à la compréhension de ladite correction le changement de terminologie utilisée pour qualifier la prétendue erreur afférente à la méthode de calcul des taux de soutien prévus par la sous-mesure litigieuse.
47 À ce titre, il importe de rappeler que les critères et la méthodologie pour l’application de corrections dans le cadre de l’article 52, paragraphe 1, du règlement no 1306/2013 sont prévus à l’article 12 du règlement délégué no 907/2014. Il ressort de l’article 12, paragraphe 6, de ce règlement délégué que, lorsque les montants à exclure du financement de l’Union ne peuvent être déterminés par le calcul ou par l’extrapolation visés à l’article 12, paragraphes 2 et 3, de ce règlement délégué, la
Commission applique des corrections forfaitaires appropriées, en tenant compte de la nature et de la gravité de l’infraction et de sa propre estimation du risque de préjudice financier pour l’Union. Selon l’article 12, paragraphe 7, du même règlement délégué, en établissant le niveau des corrections forfaitaires, la Commission tient spécifiquement compte des circonstances qui indiquent un degré de gravité plus élevé des lacunes constatées et, partant, un risque accru de perte pour le budget de
l’Union. Parmi ces circonstances, il est fait mention, à l’article 12, paragraphe 7, sous c), dudit règlement délégué, de l’application par l’État membre d’un système de contrôle jugée absente ou gravement déficiente et de l’existence de preuves « d’irrégularités et de négligence importantes dans la lutte contre les pratiques irrégulières ou frauduleuses ».
48 Dans les lignes directrices relatives au calcul des corrections financières, la Commission a exposé les principes généraux et le niveau de la correction forfaitaire qu’elle pouvait proposer en vertu de l’article 52, paragraphe 1, du règlement no 1306/2013 et de l’article 12, paragraphes 6 et 7, du règlement délégué no 907/2014. Au point 3.2.5 desdites lignes, il est indiqué que, « [si l]’application par un État membre d’un système de contrôle est jugée absente ou gravement déficiente, et [s’]il
existe des preuves d’irrégularités et de négligence importantes dans la lutte contre les pratiques irrégulières ou frauduleuses […], il convient alors d’appliquer une correction à hauteur de 25 %, dans la mesure où il peut être raisonnablement estimé que la liberté de soumettre impunément des demandes irrecevables occasionnera des préjudices financiers extrêmement élevés pour le budget de l’Union ».
49 Dans sa position finale et dans son rapport de synthèse, établis dans le cadre du second audit et dont la Roumanie a eu connaissance, la Commission a précisé que, selon elle, les irrégularités résultaient, en l’espèce, du fait que les autorités roumaines avaient systématiquement utilisé une méthodologie de calcul erronée pour l’établissement des taux de paiement pour la sous-mesure litigieuse, et non de la mise en œuvre de cette mesure à l’égard de chaque bénéficiaire en contrepartie des
engagements pris par ce dernier. Dans lesdits documents, la Commission a indiqué que, sur la base des informations disponibles, le système de gestion et de contrôle de la sous-mesure litigieuse en Roumanie apparaissait gravement déficient et qu’il existait des indices d’irrégularités généralisées conduisant à une surcompensation systématique des agriculteurs. Les autorités roumaines n’ayant pas fourni de calcul du risque encouru par les fonds agricoles, et ayant cependant indiqué la population à
risque, la Commission a estimé que l’application d’une correction d’au moins 25 % était conforme à l’article 12, paragraphe 7, sous c), du règlement délégué no 907/2004 ainsi qu’aux lignes directrices relatives au calcul des corrections financières et couvrait les dépenses effectuées au titre des exercices 2017 à 2019 (du 16 octobre 2016 au 31 décembre 2018).
50 Dans les documents mentionnés au point 49 ci-dessus, la Commission a souligné que la Cour des comptes avait calculé une surcompensation de 38,41 % et que, en revanche, elle avait proposé un taux de correction moins élevé afin de tenir compte de certains arguments présentés par les autorités roumaines, lesquels auraient effectivement pu entraîner un risque de surcompensation moindre, mais qui n’auraient pas pu être quantifiés par des moyens purement mathématiques. En effet, les autorités roumaines
avaient demandé à prendre en compte la technologie d’alimentation ad libitum (à volonté), l’augmentation du poids moyen pour l’abattage au cours des dernières années et l’augmentation des coûts fixes pour les animaux restants. Étant donné que les autorités roumaines n’avaient pas fourni un nouveau calcul des taux de paiement, la Commission a considéré que le taux forfaitaire de 25 % était la meilleure estimation du risque pour les fonds agricoles pouvant être effectuée avec un effort
proportionné.
51 La référence, dans les actes préparatoires de la décision attaquée mentionnés au point 49 ci-dessus, à l’existence d’« irrégularités généralisées » et de « négligence dans la lutte contre les pratiques irrégulières ou frauduleuses » pour justifier l’application d’une correction forfaitaire de 25 % constitue une motivation suffisante pour permettre aux autorités roumaines de comprendre l’application de ladite correction financière. C’est la conclusion quant au caractère systématique de la
surcompensation, affectant l’ensemble des paiements compensatoires effectués au titre de la sous-mesure litigieuse, qui a conduit la Commission à considérer qu’il s’agissait d’irrégularités généralisées et à estimer que, en l’absence d’un calcul ponctuel de ladite surcompensation fourni par les autorités roumaines, 25 % des montants dépensés au titre de la sous-mesure litigieuse devaient être exclus du financement de l’Union en application de l’article 52 du règlement no 1306/2013, de
l’article 12 du règlement délégué no 907/2014 et des lignes directrices relatives au calcul des corrections financières.
52 Par ailleurs, il importe de noter que les autorités roumaines ont exercé la faculté dont elles disposaient de formuler des observations sur les défaillances constatées. Une partie de leurs arguments a d’ailleurs amené la Commission à considérer qu’elle n’était pas en présence d’une absence de contrôle clé, mais, plutôt, d’irrégularités généralisées (voir points 12, 15, 23 et 25 ci-dessus). Il ressort également de ces échanges, mentionnés au point 43 ci-dessus, que les questions litigieuses dans
la présente affaire ont été exposées et débattues devant l’organe de conciliation, qui a, par ailleurs, soutenu la position de la Roumanie. Dès lors, l’affirmation selon laquelle la Commission n’a pas expliqué les raisons pour lesquelles elle avait exclu la somme totale de 18717475,08 euros du financement de certaines dépenses effectuées dans le cadre du Feader pour les exercices 2017 à 2019 doit être écartée. En effet, la Commission a identifié de manière détaillée chacun des documents ayant
fait l’objet de ces échanges comme faisant partie intégrante du rapport de synthèse et a indiqué de manière suffisante les raisons de l’exclusion dudit montant du financement de l’Union.
53 De surcroît, dans le cadre du troisième grief du premier moyen, la Roumanie conteste le bien-fondé des motifs ayant justifié l’application d’une correction forfaitaire en soutenant que la qualification juridique de la méthode de calcul des paiements compensatoires afférents à la sous-mesure litigieuse d’« irrégularités généralisées », utilisée par la Commission pour justifier l’application d’une correction forfaitaire, est erronée. Cette circonstance est révélatrice de ce que la Roumanie a été à
même de comprendre la motivation de la décision de la Commission d’appliquer une correction forfaitaire de 25 %.
54 Il y a donc lieu de conclure que la Commission a fourni une motivation suffisante pour permettre à la Roumanie de comprendre les raisons de l’application d’une correction financière forfaitaire et d’en contester le bien-fondé ainsi que pour permettre au Tribunal d’exercer son contrôle de légalité.
55 Cette conclusion n’est pas remise en cause par l’argument tiré de ce que la Commission, en perpétuant l’approche erronée suivie lors du dialogue administratif tenu dans le cadre de l’adoption de la décision d’exécution 2018/873, consistant à considérer que la méthode de calcul prétendument erronée devait être qualifiée d’« absence d’un contrôle clé », entraverait les efforts déployés par les autorités roumaines pour comprendre les motifs fondant la décision attaquée.
56 À ce titre, force est de constater que, si, dans le rapport de synthèse du 22 octobre 2020, la Commission affirme que le système de gestion et de contrôle de la mesure relative au bien-être des animaux était gravement déficient, elle ne fait plus référence, comme dans le rapport de synthèse du 16 mai 2018, à l’absence de « contrôle clé » ou à une carence dans un « contrôle clé », mais uniquement à des « irrégularités généralisées » conduisant à une surcompensation systématique des agriculteurs.
Dans le rapport de synthèse du 22 octobre 2020, la Commission a précisé que, en l’espèce, l’irrégularité résultait de l’application systématique de taux de paiement trop élevés et de la liberté de présenter impunément des demandes irrégulières entraînant des dommages financiers exceptionnellement élevés pour le budget de l’Union. De surcroît, interrogée lors de l’audience, la Commission a précisé que, selon elle, la négligence des autorités roumaines dans la lutte contre les pratiques
irrégulières serait devenue « grave », dès lors que ces dernières avaient continué à appliquer la même méthode de calcul des taux de paiement afférents à la sous-mesure litigieuse après les constatations de la Cour des comptes selon lesquelles ladite méthode donnait lieu à une surcompensation des bénéficiaires de l’aide.
57 Ainsi, il est vrai que, par rapport à la décision d’exécution 2018/873, la Commission a changé la terminologie utilisée pour qualifier l’utilisation d’une méthode de calcul des taux de paiement afférents à la sous-mesure litigieuse qu’elle considérait comme étant erronée et que, au lieu de faire référence à l’« absence de contrôle clé », elle a mis l’accent sur l’existence d’« irrégularités généralisées et d’une négligence dans la lutte contre les pratiques irrégulières » pour justifier
l’application d’une correction financière forfaitaire de 25 %. Toutefois, la Roumanie ne saurait soutenir que le changement de terminologie utilisée par la Commission a entravé les efforts déployés par les autorités roumaines pour comprendre les motifs fondant la décision attaquée.
58 En effet, ainsi que cela a été indiqué au point 53 ci-dessus, la Roumanie a pu contester, dans le cadre du troisième grief du premier moyen, le bien-fondé de l’approche suivie par la Commission l’ayant conduite à considérer que l’application d’une méthode prétendument erronée de calcul des taux de paiement afférents à la sous-mesure litigieuse devait être qualifiée « d’irrégularités généralisées et de négligence dans la lutte contre les pratiques irrégulières ou frauduleuses » et justifiait
l’application d’une correction forfaitaire conformément à l’article 12, paragraphe 7, sous c), du règlement délégué no 907/2014, lu conjointement avec les lignes directrices relatives au calcul des corrections financières.
59 Or, la question de savoir si la qualification juridique d’« irrégularités généralisées » est correcte et justifie l’application d’une correction forfaitaire de 25 % au regard des lignes directrices relatives au calcul des corrections financières ne relève pas d’une insuffisance de motivation, mais du bien-fondé de celle-ci et sera, par conséquent, abordée dans le cadre de l’analyse du troisième grief du premier moyen, qui soulève précisément le caractère juridiquement erroné de ladite
qualification.
60 La conclusion exposée au point 54 ci-dessus ne saurait davantage être infirmée par l’argument de la Roumanie selon lequel la Commission expose des allégations incohérentes, étant donné que, dans le mémoire en défense, elle soutient, d’une part, que la décision attaquée et les actes préparatoires du second audit mentionnent l’existence d’« irrégularités généralisées » et d’une « négligence dans la lutte contre les pratiques irrégulières ou frauduleuses » et, d’autre part, que, dans le cadre du
second audit et dans sa position finale, elle n’a plus mentionné d’irrégularités au sens des lignes directrices relatives au calcul des corrections financières.
61 En effet, cette prétendue incohérence du mémoire en défense ne fait pas obstacle à la possibilité de comprendre, sur la base des documents mentionnés au point 49 ci-dessus, la motivation de la correction forfaitaire. Cette dernière a été appliquée, car, selon la Commission, le système de gestion et de contrôle de la sous-mesure litigieuse en Roumanie apparaissait gravement déficient, en ce sens qu’il existait des indices d’irrégularités généralisées conduisant à une surcompensation systématique
des agriculteurs. Ainsi que cela a été confirmé lors de l’audience, selon la Commission, d’une part, le risque pour les fonds agricoles était élevé et, d’autre part, les informations fournies par les autorités roumaines ne permettaient pas d’établir un calcul ponctuel dudit risque. Par conséquent, la Commission a appliqué une correction forfaitaire de 25 % sur le fondement de l’article 12, paragraphes 6 et 7, du règlement délégué no 907/2014, lu conjointement avec les lignes directrices relatives
au calcul des corrections financières, qui font tous référence à la notion d’« irrégularité ».
62 Au vu de ce qui précède, il convient de rejeter le second moyen en ce qu’il soulève le caractère insuffisamment motivé de l’application, dans la décision attaquée, d’une correction forfaitaire de 25 % des dépenses engagées par la Roumanie au titre de la sous-mesure litigieuse.
Sur le premier moyen, tiré de ce que la Commission a exercé de manière inappropriée sa compétence pour écarter certains montants du financement de l’Union sur le fondement de l’article 52 du règlement no 1306/2013
63 Le premier moyen, tiré de l’exercice inapproprié des compétences de la Commission en violation de l’article 52 du règlement no 1306/2013, comporte six griefs.
64 Premièrement, la Roumanie fait valoir que la Commission doit assumer sa responsabilité dans le cas où la sous-mesure litigieuse, figurant dans le PNDR 2007-2013, que cette dernière a approuvé, se révélerait contraire à l’article 40, paragraphe 3, du règlement no 1698/2005. Toute autre approche serait contraire aux articles 76 à 78 du règlement (CE, Euratom) no 1605/2002, du Conseil, du 25 juin 2002, portant règlement financier applicable au budget général des Communautés européennes (JO 2002,
L 248, p. 1). Deuxièmement, la Commission aurait considéré à tort que la Roumanie avait procédé à une surcompensation des bénéficiaires de l’aide, en violation de l’article 40, paragraphe 3, du règlement no 1698/2005. Troisièmement, la Commission aurait appliqué de manière erronée l’article 12, paragraphes 6 et 7, du règlement délégué no 907/2014 ainsi que les lignes directrices relatives au calcul des corrections financières. Quatrièmement, la Commission n’aurait pas respecté le principe de
protection de la confiance légitime. Cinquièmement, la Commission aurait méconnu le principe de sécurité juridique. Sixièmement, la Commission n’aurait pas respecté le principe de bonne administration.
65 Il convient d’abord d’examiner ensemble les quatrième et cinquième griefs du premier moyen, qui sont étroitement liés et fondés sur les mêmes éléments factuels.
Sur les quatrième et cinquième griefs du premier moyen, tirés, l’un, de la violation du principe de protection de la confiance légitime et, l’autre, du principe de sécurité juridique
66 La Roumanie fait valoir que la Commission n’a pas respecté les principes de protection de la confiance légitime et de sécurité juridique lors de l’adoption de la décision attaquée. Plus précisément, d’une part, la lettre de la Commission du 4 avril 2012 (voir point 6 ci-dessus) et l’approbation par cette dernière de la septième modification du PNDR 2007-2013, par la décision C(2012) 3529 final, du 25 mai 2012 (voir point 7 ci-dessus), auraient fait naître, chez les autorités roumaines et chez les
bénéficiaires concernés, des attentes légitimes dans le fait que les engagements pris pour financer la sous-mesure litigieuse seraient respectés. Ces attentes n’auraient pas été prises en compte, à tort, lors de l’adoption de la décision attaquée. D’autre part, les positions divergentes et la réaction tardive de la Commission, dans le cadre d’une situation qu’elle avait elle-même créée, auraient porté atteinte au principe de sécurité juridique et auraient rendu impossible, pour les autorités
roumaines, la mise en œuvre de mesures appropriées.
67 La Commission conteste les arguments de la Roumanie. Selon la Commission, tout d’abord, son approbation de la septième modification du PNDR 2007-2013 a été effectuée sur la base d’informations incorrectes. Ainsi, sa lettre du 4 avril 2012 (voir point 6 ci-dessus) ne contiendrait pas des assurances précises, inconditionnelles et concordantes de nature à faire naître une confiance légitime dans le fait que les taux de paiement prévus par la sous-mesure litigieuse continueraient à être appliqués. En
n’ayant pas introduit de clause de réexamen dans ses contrats avec les bénéficiaires concernés, la Roumanie se serait rendue responsable des attentes de ces derniers. Ensuite, aucune violation du principe de sécurité juridique n’aurait été commise par elle, qui n’aurait pas davantage communiqué trop tard aux autorités roumaines une possible solution pour éviter toute surcompensation des bénéficiaires concernés. Enfin, le postulat de la Roumanie selon lequel le PNDR 2007-2013 et les taux de
paiement établis sur la base de la méthode qui aurait été approuvée devraient être strictement respectés jusqu’à leur modification serait erroné. L’article 19 du règlement no 1698/2005, lu conjointement avec l’article 6, paragraphe 1, sous c), et l’article 9, paragraphe 3, du règlement 1974/2006, ne concernerait que la révision et la modification des programmes nationaux de développement rural et serait sans préjudice des règles relatives au financement, à la gestion et au suivi de la politique
agricole commune et des obligations de la Commission en ce qui concerne les paiements effectués en violation de ces règles.
68 À titre liminaire, il importe de rappeler que le principe de sécurité juridique, qui fait partie des principes généraux du droit de l’Union, exige que les règles de droit soient claires, précises et prévisibles dans leurs effets, afin que les intéressés puissent s’orienter dans des situations et des relations juridiques relevant de l’ordre juridique de l’Union (voir arrêt du 8 décembre 2011, France Télécom/Commission, C‑81/10 P, EU:C:2011:811, point 100 et jurisprudence citée).
69 Un corollaire du principe de sécurité juridique est le principe de protection de la confiance légitime, en vertu duquel le droit de se prévaloir de ladite protection appartient à tout justiciable à l’égard duquel une institution de l’Union, en lui fournissant des assurances précises, a fait naître des espérances fondées. Constituent de telles assurances, quelle que soit la forme sous laquelle ils sont communiqués, des renseignements précis, inconditionnels et concordants. En revanche, nul ne peut
invoquer une violation de ce principe en l’absence desdites assurances (voir arrêt du 13 septembre 2017, Pappalardo e.a./Commission, C‑350/16 P, EU:C:2017:672, point 39 et jurisprudence citée). Le principe de protection de la confiance légitime peut être invoqué également par un État membre (voir arrêt du 5 juillet 2018, Espagne/Commission, T‑88/17, EU:T:2018:406, point 107 et jurisprudence citée).
70 Afin de vérifier le respect du principe de protection de la confiance légitime, il convient, dans un premier temps, de déterminer si les actes des autorités administratives ont créé, dans l’esprit d’un opérateur économique prudent et avisé, une confiance raisonnable. Si la réponse à cette question se révèle positive, il y a lieu, dans un second temps, d’établir le caractère légitime de cette confiance (voir arrêt du 14 septembre 2006, Elmeka, C‑181/04 à C‑183/04, EU:C:2006:563, point 32 et
jurisprudence citée).
71 Lorsqu’un opérateur économique prudent et avisé est en mesure de prévoir l’adoption d’une mesure de l’Union de nature à affecter ses intérêts, il ne saurait invoquer le bénéfice d’un tel principe lorsque cette mesure est adoptée (voir arrêt du 16 octobre 1996, Efisol/Commission, T‑336/94, EU:T:1996:148, point 31 et jurisprudence citée).
72 Il convient d’établir si, au regard des circonstances de l’espèce, la Commission a respecté le principe de protection de la confiance légitime et le principe de sécurité juridique.
73 En l’espèce, il importe de rappeler que, par sa décision C(2008) 3831, du 16 juillet 2008, la Commission a approuvé le PNDR 2007-2013 proposé par les autorités roumaines (voir point 2 ci-dessus). Le 14 septembre 2011, la Commission a reçu une demande de révision dudit programme pour y inclure de nouvelles « mesures » (voir point 3 ci-dessus). Parmi ces mesures figurait la mesure 215, comportant plusieurs sous-mesures (voir point 7 ci-dessus) établissant des paiements compensatoires des pertes de
revenus et des coûts supplémentaires supportés par les agriculteurs, éleveurs de volailles et de porcs, qui s’engageaient volontairement à mettre en œuvre certaines normes en matière de bien-être animal. Il n’est pas contesté que la mesure 215, y compris donc la sous-mesure litigieuse, a fait l’objet de plusieurs échanges entre les autorités roumaines et la Commission avant que cette dernière n’approuve, par la décision d’exécution C(2012) 3529 final, du 25 mai 2012 (voir point 7 ci-dessus), la
modification proposée du PNDR 2007-2013 et l’insertion, parmi d’autres, de la mesure 215 dans ledit programme en tant que conforme à la législation de l’Union et notamment au règlement no 1698/2005.
74 Cependant, à la suite d’audits postérieurs à sa décision d’exécution C(2012) 3529 final, du 25 mai 2012 (voir point 7 ci-dessus), la Commission a considéré, dans sa lettre de conciliation du 14 mars 2017 (voir point 13 ci-dessus), que la mesure 215 n’était pas conforme à l’article 40, paragraphe 3, du règlement no 1698/2005, selon lequel, ainsi que cela a été précisé au point 45 ci-dessus, « [l]es paiements sont accordés annuellement et couvrent les coûts supplémentaires et la perte de revenus
dus aux engagements pris » et, « [l]e cas échéant, […] peuvent également couvrir les coûts induits ».
75 Cela étant rappelé, en premier lieu, il convient d’examiner l’argument de la Commission selon lequel l’approbation de la modification du PNDR 2007-2013 pour y inclure la mesure 215 n’a pas pu faire naître une confiance légitime dans le fait que les taux de paiement compensatoires afférents à la sous-mesure litigieuse seraient respectés, dans la mesure où elle ne disposait pas de tous les éléments utiles pour établir la conformité de cette sous-mesure avec la législation de l’Union et, notamment,
au règlement no 1698/2005 (voir point 67 ci-dessus).
76 À cet égard, premièrement, il ressort de la lettre ARES(2011) 1344895, du 13 décembre 2011 (voir point 4 ci-dessus), que la Commission a indiqué aux autorités roumaines que, en l’état, la proposition de modification du PNDR 2007-2013 n’était pas acceptable et a demandé ainsi des clarifications. Plus précisément, la Commission a observé que le financement des éleveurs semblait reposer sur l’hypothèse que le nombre d’animaux diminuait et que, en même temps, les dépenses liées à l’amortissement des
étables, du travail manuel et de la consommation d’électricité persistaient, ce qui lui apparaissait représenter un double emploi de l’aide. Elle a donc exigé des clarifications.
77 Deuxièmement, il ressort de la lettre du 4 avril 2012 (voir point 6 ci-dessus) que des clarifications ont été fournies à la Commission. En effet, dans cette lettre, la Commission a indiqué, notamment, que les modifications proposées du PNDR 2007-2013 respectaient les dispositions pertinentes du règlement no 1698/2005 et du règlement no 1974/2006 et étaient donc acceptées. C’est ainsi qu’elle a adopté la décision d’exécution C(2012) 3529 final, du 25 mai 2012, approuvant la septième modification
du PNDR 2007-2013, qui incluait, notamment, la mesure 215 et ses sous-mesures (voir point 7 ci-dessus).
78 Troisièmement, il ressort du rapport de l’organe de conciliation rendu dans le cadre de la procédure 17/RO/796 (voir point 15 ci-dessus) que les autorités roumaines lui ont montré un courriel daté du 17 février 2012 qui confirmait que des discussions entre ces dernières et la Commission, impliquant des demandes de modification de la méthode de calcul des paiements compensatoires afférents à la sous-mesure litigieuse, avaient eu lieu. L’organe de conciliation a donc considéré que tous les éléments
de calcul avaient été mis à la disposition de la Commission, à savoir non seulement le résultat final, mais également la manière dont ce résultat avait été obtenu.
79 Quatrièmement, il ressort de la lettre du 11 septembre 2019 (voir point 24 ci-dessus), par laquelle les autorités roumaines ont demandé l’ouverture de la procédure 19/RO/856, que, lors du processus de négociation avec la Commission visant la modification du PNDR 2007-2013 pour y introduire, notamment, la mesure 215, la méthode de calcul afférente à celle-ci a fait l’objet d’une correspondance par courriels des 17 février et 14 mars 2012 et également de rencontres bilatérales du 27 juillet 2011 et
des 13 et 14 février 2012. Dans la lettre du 11 septembre 2019, il est indiqué que les échanges d’informations et les tableaux de négociation sur les aspects techniques de la mesure 215 ont conduit à des modifications et à des adaptations des versions de la fiche technique de ladite mesure et des méthodes de calcul qui y étaient afférentes afin d’en assurer la conformité avec la législation de l’Union. Plus précisément, dans cette lettre, les autorités roumaines ont indiqué que les économies de
fourrage avaient été analysées en détail et qu’il n’avait pas été jugé nécessaire d’inclure les économies résultant de l’acquisition d’un nombre moins élevé d’animaux. En outre, il a été précisé que les méthodes de calcul afférentes à toutes les sous-mesures de la mesure 215 avaient été mises à la disposition de la Commission par le biais du système de gestion des fonds de l’Union SFC2007, une première fois, le 14 septembre 2011, dans leur version initiale, et, une seconde fois, le 22 mars 2012,
dans leur version finale approuvée par la Commission.
80 En réponse à une mesure d’organisation de la procédure adoptée par le Tribunal, la Roumanie a produit deux captures d’écran du système de gestion des fonds de l’Union SFC2007 montrant que les méthodes de calcul afférentes à la sous-mesure litigieuse avaient effectivement été mises à la disposition de la Commission, d’abord, le 14 septembre 2011, dans leur version initiale, et, ensuite, le 22 mars 2012, dans leur version finale approuvée par la Commission. De surcroît, en réponse à une question
posée par le Tribunal lors de l’audience, la Roumanie a précisé que les coûts fixes avaient été mis à la disposition de la Commission dans le cadre des discussions ayant eu lieu lors du premier audit et que cette dernière les avait pris en compte et considérés comme étant intégrés dans la méthode de calcul proposée par les autorités roumaines. Par conséquent, lesdits coûts n’auraient plus été mentionnés dans la version finale de la mesure 215 approuvée par la Commission.
81 Au regard de ce qui précède, il y a lieu de constater que les discussions entre les autorités roumaines et la Commission, avant l’approbation, par cette dernière, de la modification du PNDR 2007-2013 en mai 2012, ont concerné, notamment, les méthodes de calcul des paiements compensatoires afférents à la sous-mesure litigieuse et que tant le résultat final que la manière dont ce résultat avait été calculé ont été mis à la disposition de la Commission. Par ailleurs, d’une part, dans ses écritures,
la Commission n’a pas contesté que les méthodes de calcul avaient été mises à sa disposition au moyen du système de gestion des fonds de l’Union SFC2007, prévu à l’article 63, paragraphe 1, du règlement no 1974/2006. D’autre part, en réponse à une mesure d’organisation de la procédure adoptée par le Tribunal, la Commission a reconnu que la lettre ARES(2011) 1344895, du 13 décembre 2011 (voir point 4 ci-dessus), montrait que les éléments de la méthode de calcul utilisée pour la sous-mesure
litigieuse avaient fait l’objet de discussions entre elle et la Roumanie.
82 Sur la base des éléments mis à la disposition du Tribunal, il y a lieu de considérer que, lorsqu’elle a approuvé la modification du PNDR 2007-2013, la Commission disposait des informations lui permettant d’apprécier la conformité avec l’article 40, paragraphe 3, du règlement no 1698/2005 de la sous-mesure litigieuse ainsi que des méthodes de calcul des taux de soutien propres à cette mesure. Par conséquent, l’argument de la Commission, selon lequel c’est uniquement après l’audit de la Cour des
comptes qu’elle a pris connaissance du fait que les économies liées aux animaux non achetés et les économies en fourrage liées à l’augmentation réelle du poids des animaux n’avaient pas été prises en compte dans le calcul des taux de paiement afférents à la sous-mesure litigieuse, doit être écarté.
83 La Roumanie soutient donc, à juste titre, que l’approbation du PNDR 2007-2013 représentait le consentement « éclairé » de la Commission à la mise en œuvre de la sous-mesure litigieuse, conformément aux exigences en matière budgétaire ainsi qu’au principe de concertation étroite entre cette institution de l’Union, en sa qualité d’ordonnatrice, et les États membres de l’Union.
84 En deuxième lieu, ainsi qu’il ressort des points 76 à 79 ci-dessus, il y a eu un débat entre les autorités roumaines et la Commission sur la méthode de calcul des taux de paiement afférents à la sous-mesure litigieuse, avant l’approbation de la modification du PNDR 2007-2013, pour y inclure ladite sous-mesure, et la Commission disposait des éléments nécessaires pour apprécier la conformité de cette sous-mesure avec l’article 40, paragraphe 3, du règlement no 1698/2005. Ce débat et les documents
mentionnés aux points 78 et 79 ci-dessus permettent de considérer que la Commission a fourni des « renseignements précis », au sens de la jurisprudence citée au point 69 ci-dessus, lorsqu’elle a envoyé la lettre du 4 avril 2012 et lorsqu’elle a approuvé la modification du PNDR 2007-2013. En outre, la formulation de la lettre de la Commission du 4 avril 2012 et la décision d’approbation de la modification du programme national de développement rural permettent de considérer que lesdits
renseignements étaient « inconditionnels » au sens de la jurisprudence citée au point 69 ci-dessus. Enfin, il y a lieu de retenir que les renseignements en cause étaient également « concordants » au sens de ladite jurisprudence. En effet, selon l’article 9, paragraphe 6, du règlement no 1974/2006, la Commission évalue les modifications des programmes de développement rural proposées par les États membres en appréciant le respect des dispositions du règlement no 1698/2005, la cohérence au regard
du plan stratégique national correspondant et le respect des dispositions du règlement no 1974/2006.
85 En outre, étant donné que, lors de l’approbation de la modification du PNDR 2007-2013, pour y inclure la mesure 215, la Commission a apprécié la conformité de la sous-mesure litigieuse avec le règlement no 1698/2005, y compris donc avec son article 40, paragraphe 3, il y a lieu de reconnaître que les autorités roumaines ont légitimement considéré que, en l’espèce, la décision de la Commission approuvant la modification du PNDR 2007-2013 constituait un engagement juridique au sens de l’article 23,
deuxième alinéa, du règlement (CE) no 1290/2005 du Conseil, du 21 juin 2005, relatif au financement de la politique agricole commune (JO 2005, L 209, p. 1). Selon cette disposition, « [l]a décision de la Commission adoptant chaque programme de développement rural soumis par l’État membre vaut décision de financement au sens de l’article 75, paragraphe 2, du règlement [...] no 1605/2002 et constitue, une fois notifiée à l’État membre concerné, un engagement juridique au sens de ce dernier
règlement ». Un tel engagement juridique, dans des circonstances particulières, comme celles du présent litige, peut être de nature à créer une confiance légitime dans le maintien d’une appréciation, par la Commission, de la conformité d’une mesure avec les règles en vigueur.
86 Au regard de ce qui précède, il convient de reconnaître que la Commission a fait naître chez les autorités roumaines une confiance légitime, au sens de la jurisprudence citée au point 70 ci-dessus, dans le fait que les taux de paiement compensatoire afférents à la sous-mesure litigieuse étaient conformes à la réglementation de l’Union et, par conséquent, que lesdits paiements étaient couverts par le financement de l’Union.
87 En troisième lieu, s’agissant de l’allégation de la Commission selon laquelle, à la suite de la communication aux autorités roumaines des constatations de la Cour des comptes, les attentes des autorités roumaines n’étaient plus « légitimes » au sens de la jurisprudence citée aux points 70 et 71 ci-dessus, il importe d’observer ce qui suit.
88 Premièrement, comme le relève à juste titre la Roumanie, la procédure d’audit devant la Cour des comptes constitue une étape intermédiaire dans le processus d’adoption de la décision attaquée et d’évaluation de la conformité des dépenses engagées en application du PNDR 2007-2013. Ladite étape est suivie par des démarches de la Commission, telles qu’un audit, des réunions bilatérales, d’éventuelles procédures de conciliation, la position finale de la Commission à la suite desdites procédures, un
rapport de synthèse et une décision sur l’exclusion du financement. Étant donné que la Commission a fourni des renseignements de nature à faire naître, chez la Roumanie, une confiance légitime dans le fait que les taux de paiement compensatoire afférents à la sous-mesure litigieuse, fixés par le PNDR 2007-2013 et repris dans la législation nationale, étaient respectés, le simple fait que la Commission ait pu revoir sa position à la suite des constatations de la Cour des comptes n’était pas de
nature à mettre fin à ladite confiance.
89 Par ailleurs, il ressort de la lecture des constatations de la Cour des comptes et de la lettre de conciliation de la Commission du 14 mars 2017 (voir point 13 ci-dessus) que les auditeurs de la Cour des comptes ont communiqué un taux d’erreur allant jusqu’à 78,87 % pour certaines sous-mesures et catégories d’animaux ainsi qu’un montant total de l’erreur de 160056272,18 euros, tandis que la Commission a proposé d’exclure du financement de l’Union le montant total de 73619746,33 euros au titre de
la sous-mesure litigieuse et des autres sous-mesures de la mesure 215 du PNDR 2007-2013. En outre, la Commission n’a pas effectué, dans son premier audit, d’évaluation de l’impact de l’erreur dans le cas de la sous-mesure litigieuse, bien que l’impact estimé par les auditeurs de la Cour des comptes ait été de 38,41 %. Comme cela ressort du rapport rendu par l’organe de conciliation dans le cadre de la procédure 19/RO/796, la Commission a indiqué, lors de l’audition devant ce dernier, qu’elle
n’avait été en mesure ni de vérifier ni de comprendre le calcul effectué par la Cour des comptes d’un taux d’erreur supérieur à 38 %.
90 Il ressort de ce qui précède que les constatations de la Cour des comptes ont été communiquées aux autorités roumaines antérieurement à la position modifiée de la Commission selon laquelle les paiements effectués au titre de la sous-mesure litigieuse enfreignaient l’article 40, paragraphe 3, du règlement no 1698/2005. Ainsi, il ne saurait être soutenu que, depuis la réception des constatations de la Cour des comptes, les autorités roumaines auraient dû raisonnablement anticiper que la Commission,
qui était à l’origine des renseignements précis, inconditionnels et concordants suivant lesquels la méthode de calcul des taux de paiement afférents à la sous-mesure litigieuse respectait les exigences du règlement no 1698/2005, aurait pu « retenir une méthode de calcul différente » de celle utilisée par les autorités roumaines, qui aurait différé d’ailleurs de celle proposée par la Cour des comptes.
91 Deuxièmement, l’article 9, paragraphe 3, du règlement no 1974/2006 prévoit que les modifications du PNDR 2007-2013 peuvent être effectuées jusqu’au 31 décembre 2015, pourvu qu’elles soient notifiées par les États membres le 31 août 2015 au plus tard. En l’espèce, il est constant que, conformément audit article, les dispositions du PNDR 2007-2013 et ainsi la mesure 215 mise en œuvre dans le cadre législatif de la politique agricole commune durant cette période ne pouvaient plus être modifiées au
moment de la communication des constatations de l’audit de la Cour des comptes. D’ailleurs, dans sa lettre du 28 février 2019, la Commission reconnaît qu’une modification du PNDR 2007-2013 n’était plus possible à cette date. Il ne saurait donc être soutenu que les autorités roumaines pouvaient appliquer des paiements différents de ceux approuvés par la décision C(2012) 3529 final de la Commission, du 25 mai 2012, alors même que cette dernière restait en vigueur, ni que, au moment des
constatations de la Cour des comptes, elles pouvaient modifier unilatéralement le programme national de développement rural après le 31 décembre 2015. Il convient également de constater que les autorités roumaines ont adressé de nombreuses demandes aux services de la Commission depuis 2016 en vue d’identifier une procédure de modification des dispositions de la fiche technique de la mesure 215 du PNDR 2007-2013 et que, contrairement à ce que soutient la Commission, une réponse utile à ces
interrogations ne leur a pas été apportée dès le 3 mars 2016.
92 En effet, il ne ressort pas de la lettre de la Commission du 3 mars 2016, qu’elle a produite devant le Tribunal en réponse à une mesure d’organisation de la procédure, qu’une réponse, s’agissant de la manière de procéder aux paiements compensatoires afférents à la sous-mesure litigieuse, aurait été fournie aux autorités roumaines à cette date. Dans la lettre du 3 mars 2016, la Commission fait référence aux paiements afférents à d’autres sous-mesures de la mesure 215 du PNDR 2007-2013. En tout
état de cause, à supposer même que, dans sa lettre du 3 mars 2016, la Commission ait formulé implicitement la proposition d’introduire des clauses de révision dans les engagements des bénéficiaires concernés, il convient de noter qu’une telle inclusion ne saurait suffire pour que les autorités roumaines cessent d’appliquer les taux de paiement afférents à la sous-mesure litigieuse fixés par un programme national de développement rural non modifié. Une réduction des taux de paiement afférents à la
sous-mesure litigieuse est devenue applicable pour les autorités roumaines à la suite d’une modification du PNDR 2007-2013, réalisée dans le respect des articles 18 et 19 du règlement no 1698/2005.
93 Aux termes de l’article 18 du règlement no 1698/2005, intitulé « Élaboration et approbation », il est prévu ce qui suit :
« 1. Tout programme de développement rural est établi par l’État membre à l’issue d’une concertation étroite avec les partenaires visés à l’article 6.
2. L’État membre soumet à la Commission pour chaque programme de développement rural une proposition comportant les éléments mentionnés à l’article 16.
3. La Commission évalue les programmes proposés en fonction de leur cohérence avec les orientations stratégiques de [l’Union] et le plan stratégique national ainsi qu’avec le présent règlement.
Lorsque la Commission considère qu’un programme de développement rural ne correspond pas aux orientations stratégiques de [l’Union], au plan stratégique national ou au présent règlement, elle invite l’État membre à revoir le programme proposé en conséquence.
4. Chaque programme de développement rural est approuvé conformément à la procédure visée à l’article 90, paragraphe 2. »
94 L’article 19 du règlement no 1698/2005, intitulé « Révision », dispose ce qui suit :
« 1. Les programmes de développement rural sont réexaminés et, le cas échéant, adaptés par l’État membre pour le reste de la période après approbation du comité de suivi. Les révisions tiennent compte des résultats des évaluations et des rapports de la Commission, en particulier en vue de renforcer ou d’adapter la prise en compte des priorités [de l’Union].
2. La Commission adopte une décision sur la révision des programmes de développement rural après qu’un État membre en a fait la demande conformément à la procédure visée à l’article 90, paragraphe 2. Les modifications nécessitant une décision d’approbation par la Commission sont définies conformément à la procédure visée à l’article 90, paragraphe 2. »
95 Lors du dialogue avec la Commission, les autorités roumaines ont fait état, à plusieurs reprises, de l’impossibilité objective de modifier le PNDR 2007-2013 et ont demandé le soutien de la Commission afin d’identifier une solution dès le 7 janvier 2016. Ainsi, la Commission ne saurait soutenir que les autorités roumaines n’ont pas agi avec toute la diligence requise afin de clarifier la situation le plus rapidement possible et d’identifier une option juridiquement viable.
96 Troisièmement, la Commission ne peut utilement invoquer sa proposition figurant dans sa lettre du 28 février 2019 selon laquelle, après le 31 décembre 2015, tous les paiements afférents à la mesure 215 étaient effectués au titre des dispositions transitoires relatives aux dépenses du programme national de développement rural pour la période 2014-2020 et elle pouvait, en principe, admettre que la modification des taux de paiement afférents à ladite sous-mesure se reflétât dans le texte du
programme national de développement rural, par le biais d’une modification de ce programme.
97 En effet, la réglementation de l’Union prévoit des délais pour modifier le PNDR 2007-2013 et pour présenter des demandes de paiement en application d’une mesure dudit programme. À la date de la lettre de la Commission, le 28 février 2019, il n’était plus possible de modifier les paiements compensatoires par le biais d’un amendement au programme national de développement rural pour la période 2014-2020 qui aurait été applicable rétroactivement aux demandes de paiement déjà introduites en
application de la sous-mesure litigieuse. Les engagements avec les bénéficiaires avaient été conclus sur la base du PNDR 2007-2013 et la date pour la présentation des demandes de paiement pour la dernière année d’engagement des bénéficiaires de la mesure 215 était le 15 février 2019.
98 À cet égard, il convient de préciser que, ainsi qu’il ressort du dossier et qu’il a été précisé lors de l’audience, la mesure 215 du PNDR 2007-2013 a fait l’objet d’une transition, dans le cadre du programme national de développement rural pour la période 2014-2020, approuvé par la décision d’exécution C(2015) 3508 de la Commission, du 26 mai 2015, et a été mise en œuvre dans le cadre des dispositions transitoires sans que les conditions spécifiques des engagements au titre de la mesure 215 aient
été ajustées par une modification du programme national de développement rural pour la période 2014-2020. Ainsi, pour les autorités roumaines, le montant des paiements afférents à la sous-mesure litigieuse est resté celui du PNDR 2007-2013 jusqu’en 2019, dernière année des engagements transitoires de la mesure 215, pour lesquels les paiements compensatoires afférents à la sous-mesure litigieuse ont été effectués jusqu’à la date limite du 30 juin 2020, comme le prévoit l’article 75, paragraphe 1,
du règlement no 1306/2013.
99 Par ailleurs, comme cela est indiqué dans la lettre des autorités roumaines du 11 septembre 2019, les documents programmatiques sur la mise en œuvre des mesures du PNDR 2007-2013 (guide du demandeur, manuels et procédures pour l’administration des demandes de paiement, manuels et procédures pour l’autorisation de paiement) ont été approuvés par arrêté ministériel et constituent la législation nationale. Ceux-ci contiennent à leur tour les montants figurant dans la fiche de la mesure 215.
100 Quatrièmement, à l’instar de l’organe de conciliation dans son rapport rendu dans le cadre de la procédure 19/RO/796, il convient donc de reconnaître qu’un amendement au PNDR 2007-2013 et une décision approuvant ledit amendement étaient nécessaires afin que les autorités roumaines puissent réduire les paiements compensatoires versés. C’est en effet à juste titre que ces dernières ont fait valoir que le respect de la réglementation pertinente de l’Union et, plus précisément, de l’article 9,
paragraphe 3, du règlement no 1974/2006 (voir point 91 ci-dessus) ainsi que de la législation nationale pertinente, adoptée pour la mise en œuvre dudit programme, rendait impossible la modification, postérieurement à la date à laquelle elles ont été notifiées des constatations de la Cour des comptes, du taux de paiement et de la méthode de calcul afférents à la sous-mesure litigieuse approuvée par la Commission par la décision C(2012) 3529 final, du 25 mai 2012.
101 Ainsi, il y a lieu de considérer que, compte tenu des circonstances de l’espèce, à savoir que les méthodes de calcul des taux de paiement afférents à la sous-mesure litigieuse et ses résultats financiers avaient fait l’objet d’une négociation spécifique avec la Commission, laquelle, par lettre du 4 avril 2012 et par la décision C(2012) 3529 final, du 25 mai 2012, les avait expressément acceptés comme étant conformes au règlement no 1698/2005, les constatations de la Cour des comptes ne sont pas
susceptibles d’invalider, avec effet immédiat, lesdites méthodes et leurs résultats, avec pour conséquence de mettre fin aux attentes légitimes de la Roumanie.
102 Les attentes légitimes de la Roumanie quant au fait que les taux de paiement compensatoires afférents à la sous-mesure litigieuse, fixés par le PNDR 2007-2013, transposés au programme national de développement rural pour la période 2014-2020 (voir point 98 ci-dessus) et repris par la législation nationale (voir point 99 ci-dessus), seraient respectés pour toute la durée des engagements pris par les bénéficiaires étant prolongées à la suite des constatations de la Cour des comptes, la Commission
les a donc violées lorsqu’elle a décidé d’appliquer une correction forfaitaire de 25 % et d’écarter du financement de l’Union les dépenses correspondantes afférentes à ladite sous-mesure.
103 Cette conclusion n’est pas remise en cause par l’argument de la Commission tiré de l’application, en l’espèce, de l’arrêt du 14 mars 2013, Agrargenossenschaft Neuzelle (C‑545/11, EU:C:2013:169). En effet, au point 31 de cet arrêt, il est indiqué que l’article 31 du règlement no 1782/2003 prévoit que les régimes de soutien énumérés à l’annexe I de ce règlement sont mis en œuvre sans préjudice de réexamens éventuels à tout moment, en fonction de l’évolution des marchés et de la situation
budgétaire. Au point 32 du même arrêt, il est précisé que le considérant 22 dudit règlement énonce que les régimes communs de soutien doivent être adaptés aux circonstances, le cas échéant dans des délais très brefs, et que les bénéficiaires ne peuvent donc pas compter sur l’immuabilité des conditions d’octroi des aides et doivent se préparer à ce que les régimes soient revus en fonction de l’évolution des marchés. La Cour conclut, au point 33 dudit arrêt, qu’un opérateur économique prudent et
avisé était en mesure de prévoir que les paiements directs au titre des régimes de soutien des revenus pouvaient être réduits à la suite d’un réexamen, au regard de l’évolution des marchés et de la situation budgétaire. Toutefois, à la différence du cas examiné par la Cour dans l’arrêt du 14 mars 2013, Agrargenossenschaft Neuzelle (C‑545/11, EU:C:2013:169), en l’espèce, la législation de l’Union ne permet pas une modification du PNDR 2007-2013 et des engagements pris avec les bénéficiaires à
tout moment, ainsi que cela ressort de l’article 9, paragraphe 3, du règlement no 1974/2006, mentionné au point 91 ci-dessus.
104 En outre, la Commission ne saurait se fonder sur l’application en l’espèce de l’arrêt du 3 avril 2017, Allemagne/Commission (T‑28/16, EU:T:2017:242, points 93 à 97), afin d’exclure la persistance dans le temps des attentes légitimes de la Roumanie. En effet, dans cet arrêt, le Tribunal a jugé que l’approbation par la Commission du programme de développement de l’économie agricole et du milieu rural en Bavière (Allemagne) pour la période 2007-2013 ne pouvait avoir pour conséquence la renonciation
par celle-ci à l’exigence de critères de sélection comparatifs, ce qui, en toute hypothèse, l’aurait amenée à outrepasser ses pouvoirs. Or, la situation dans la présente affaire n’est pas comparable à celle examinée dans le cadre dudit arrêt. En effet, dans la présente affaire, la Commission, qui disposait de tous les éléments nécessaires, a décidé, dans le cadre de sa large marge d’appréciation, d’approuver la modification du PNDR 2007-2013 pour y inclure la mesure 215 (et ainsi la sous-mesure
litigieuse) en tant que conforme au règlement no 1698/2005, y compris donc à l’article 40, paragraphe 3, de ce règlement. Ce faisant, la Commission a approuvé une méthode de calcul des taux de paiement compensatoire afférente à la sous-mesure litigieuse qui ne prenait pas en compte les économies résultant des animaux qui n’étaient plus achetés et le poids réel des animaux pour calculer les économies en fourrage. De surcroît, il ne ressort pas de l’arrêt du 3 avril 2017, Allemagne/Commission
(T‑28/16, EU:T:2017:242), que les mesures du programme de développement concerné avaient fait l’objet, comme c’est le cas en l’espèce, d’une négociation spécifique.
105 La possibilité, avancée par la Commission lors de l’audience, d’appliquer en l’espèce la jurisprudence issue de l’arrêt du 22 novembre 2018, Portugal/Commission (T‑31/17, EU:T:2018:830, point 93), doit également être écartée.
106 En effet, certes, au point 93 de l’arrêt du 22 novembre 2018, Portugal/Commission (T‑31/17, EU:T:2018:830), il a été jugé que les programmes généraux présentaient un caractère prévisionnel, de telle sorte que, en les approuvant, la Commission ne prenait pas, en principe, position de façon définitive sur la conformité des mesures qu’ils contenaient avec l’ensemble des règles applicables du droit de l’Union et, partant, sur l’éligibilité de ces mesures au financement de l’Union. Le Tribunal a
ajouté qu’il ne saurait être déduit de la simple approbation par la Commission d’un programme général ni que les mesures figurant dans ce programme étaient nécessairement conformes à l’ensemble des règles applicables du droit de l’Union ni que l’éligibilité de ces mesures au financement de l’Union ne pouvait plus être remise en cause par la Commission, en particulier lors de la procédure d’apurement de conformité prévue à l’article 31 du règlement no 1290/2005, et s’est référé aux points 48, 49,
52 et 59 des conclusions de l’avocat général Kokott dans l’affaire République tchèque/Commission (C‑4/17 P, EU:C:2018:237).
107 Cependant, force est de constater que, au point 96 de l’arrêt du 22 novembre 2018, Portugal/Commission (T‑31/17, EU:T:2018:830), il est explicitement indiqué que la décision de la Commission d’approbation du programme national de développement rural en cause ne s’était pas spécifiquement prononcée sur la conformité de la sous-mesure du programme en cause avec l’ensemble des dispositions applicables en matière de Fonds européen agricole de garantie (FEAGA). De surcroît, le dispositif de la
décision de la Commission d’approbation de la modification dudit programme précisait que l’approbation à laquelle cette décision procédait « ne couvr[ait] pas les modalités de contrôle et les sanctions qui [auraient été] examinées dans le cadre des audits du FEAGA ». C’est donc au regard des termes de la décision d’approbation et du contexte juridique dans lequel elle était intervenue que le Tribunal a jugé que la Commission ne pouvait pas être regardée comme « ayant fourni aux autorités
portugaises, lors de l’adoption de cette décision, des renseignements précis, inconditionnels et concordants quant à l’éligibilité au financement de l’Union des dépenses afférentes aux activités de contrôle mentionnées au point 4.6 de l’annexe I du sous-programme pour la région autonome des Açores » (Portugal). Les appréciations effectuées dans ledit arrêt ne sauraient donc être transposées à la présente affaire. En effet, ainsi que cela a été constaté aux points 84, 101 et 102 ci-dessus, la
Commission a, en l’espèce, négocié de manière spécifique le contenu de la sous-mesure litigieuse. La décision d’approbation de la modification du PNDR 2007-2013 ne saurait donc présenter un caractère simplement « prévisionnel ».
108 S’agissant de l’argument de la Commission tiré de ce que, en dépit de l’absence de prévision, dans les contrats avec les bénéficiaires, de clauses de réexamen, la Roumanie aurait trouvé, dans son cadre juridique, un moyen de réduire les paiements pour les autres sous-mesures de la mesure 215 du PNDR 2007-2013 aussi après 2015, à la lumière des constatations figurant aux points 91 à 100 ci-dessus, il importe de noter que ledit argument ne démontre pas que, s’agissant de la sous-mesure litigieuse,
la Roumanie avait également pu trouver le moyen de réduire les taux de paiement compensatoire. Par ailleurs, la Roumanie a indiqué à la Commission, dans ses lettres du 9 juillet 2018 et des 8 janvier et 12 février 2019, que, en raison de la réduction des paiements compensatoires afférents aux autres sous-mesures, des procédures judiciaires avaient été entamées par les bénéficiaires réclamant le paiement intégral de l’aide conformément au PNDR 2007-2013 et à la législation nationale.
109 À cet égard, la Roumanie a pertinemment fait valoir, dans sa lettre du 11 septembre 2019, que la proposition de la Commission d’inclure, après la soumission des demandes de paiements pour la cinquième et dernière année d’engagement au titre de la mesure 215, de nouveaux éléments dans la méthodologie de calcul des paiements compensatoires s’ajoutant aux éléments connus au moment de la signature des engagements représentait un risque pour les bénéficiaires en raison de l’absence de prévisibilité
des facteurs pouvant influencer les indicateurs économiques et financiers dont dépendait la viabilité des exploitations, voire, dans certains cas extrêmes, la poursuite de l’activité économique des exploitations en difficulté.
110 Les engagements signés par les bénéficiaires dans le cadre de la mesure 215 ont valeur de contrat, sont conclus pour une période minimale de cinq ans et prévoient des obligations volontairement assumées par les bénéficiaires de se conformer aux exigences de base, aux exigences et aux actions spécifiques à chaque sous-mesure à laquelle ils ont accédé ainsi qu’aux normes d’écoconditionnalité applicables aux terres agricoles appartenant à l’exploitation concernée et aux activités agricoles
réalisées dans cette exploitation. En raison de ces engagements et de l’expiration du délai prévu pour proposer une modification du PNDR 2007-2013, il n’était pas possible pour les autorités roumaines d’appliquer des paiements compensatoires ne correspondant pas au niveau figurant dans la fiche technique de la mesure 215 du PNDR 2007-2013.
111 En tout état de cause, le fait que la Roumanie puisse être en mesure de réduire les paiements et ainsi de diminuer ses pertes découlant du refus de prendre en charge ces dépenses par les fonds agricoles s’agissant de la sous-mesure litigieuse, contrairement à ce qui résultait du programme national de développement rural approuvé, n’est pas de nature à la priver de la possibilité de se fonder utilement sur sa confiance légitime dans le fait que les taux de paiement compensatoire afférents à la
sous-mesure litigieuse, fixés par le PNDR 2007-2013 et repris par la législation nationale (voir point 99 ci-dessus), soient respectés. D’ailleurs, la nécessité d’entamer, dans le cadre de la sous-mesure litigieuse, des procédures de modification des contrats et celle de faire face aux éventuelles procédures judiciaires en résultant, comme cela a été le cas dans le cadre des autres sous-mesures de la mesure 215 du PNDR 2007-2013, seraient justement les conséquences négatives d’une violation du
principe de protection de la confiance légitime de la Roumanie ainsi que du principe de sécurité juridique.
112 Certes, il y a lieu de reconnaître qu’il ressort de la jurisprudence que l’acceptation par la Commission d’un programme de développement rural ne confère pas à ce document de programmation une valeur juridique supérieure à celle de la législation de l’Union et que, par conséquent, tant la Commission que la Roumanie restent tenues au respect des dispositions de la législation de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 25 février 2015, Pologne/Commission, T‑257/13, non publié, EU:T:2015:111,
point 53). Cependant, la Roumanie appuie ses allégations visant à faire valoir que la Commission a violé le principe de protection de la confiance légitime non seulement sur l’approbation du PNDR 2007-2013, mais également sur la circonstance selon laquelle la mesure 215 et sa méthode de calcul des paiements compensatoires ont fait l’objet d’une négociation spécifique et sur la circonstance selon laquelle, au moment où les constatations de la Cour des comptes lui ont été communiquées, la
législation de l’Union, à savoir l’article 9, paragraphe 3, du règlement no 1974/2006, ne permettait plus une modification dudit programme. Or, la ratio legis de cette disposition est d’assurer la stabilité des engagements pris en application du PNDR 2007-2013.
113 Dans la mesure où le texte de l’article 40, paragraphe 3, du règlement no 1698/2005, selon lequel les paiements en faveur du bien-être des animaux couvrent les coûts supplémentaires et les pertes de revenus résultant des engagements pris (voir point 45 ci-dessus), n’indique pas comment calculer les surcoûts supportés par les éleveurs et dans la mesure où la Commission dispose d’une large marge d’appréciation pour décider si une méthode de calcul des taux de paiement compensatoire donne lieu à
une surcompensation des bénéficiaires de l’aide, il convient d’accorder une importance particulière à l’approbation, par celle-ci, à la suite d’une négociation spécifique avec les autorités roumaines, de la méthode identifiée par ces dernières. En d’autres termes, l’approbation par la Commission de la modification du PNDR 2007-2013 par la décision C(2012) 3529 final, du 25 mai 2012, et l’expiration du délai pour le modifier permettent de considérer que cette dernière a fait naître des espérances
fondées non seulement dans le fait que la sous-mesure litigieuse ne serait plus modifiée, mais également dans le fait que les attentes des autorités roumaines demeuraient légitimes au sens de la jurisprudence citée aux points 70 et 71 ci-dessus, après la signification à celles-ci des constatations de la Cour des comptes.
114 Compte tenu des circonstances particulières de l’espèce, il convient de reconnaître que le droit au financement de l’Union des paiements compensatoires afférents à la sous-mesure litigieuse selon le montant fixé dans le PNDR 2007-2013 et transposé au programme national de développement rural pour la période 2014-2020, approuvé par la décision d’exécution C(2015) 3508 de la Commission, du 26 mai 2015, en contrepartie des engagements pris et respectés par les agriculteurs sur une période de cinq
ans (à savoir augmenter de 10 % l’espace alloué à chaque animal et réduire en conséquence le nombre d’animaux), ne saurait être affecté et modifié en raison de faits postérieurs, tels que les constatations de la Cour des comptes, au motif que cela porterait atteinte à la confiance légitime des autorités roumaines.
115 Au regard de tout ce qui précède, il convient de conclure que, lors de l’adoption de la décision attaquée, la Commission n’a pas respecté le principe de protection de la confiance légitime et, par conséquent, le principe de sécurité juridique, dont le principe de protection de la confiance légitime constitue un corollaire (voir point 69 ci-dessus).
116 Il y a donc lieu d’accueillir les quatrième et cinquième griefs du premier moyen.
Sur le troisième grief du premier moyen, tiré de la violation de l’article 12, paragraphes 6 et 7, du règlement délégué no 907/2014 et des lignes directrices relatives au calcul des corrections financières
117 La Roumanie soutient que la Commission a appliqué de manière erronée l’article 12, paragraphes 6 et 7, du règlement délégué no 907/2014 et les lignes directrices relatives au calcul des corrections financières. Elle souligne que, comme cela avait été illustré par l’organe de conciliation dans son rapport présenté dans le cadre de la procédure 17/RO/796 (voir point 15 ci-dessus), ce problème avait déjà été évoqué en ce qui concernait la décision d’exécution 2018/873. Plus précisément, la
Commission aurait considéré à tort que l’existence d’une méthode de calcul prétendument erronée était assimilable aux cas d’irrégularités régies par l’article 12, paragraphes 6 et 7, du règlement délégué no 907/2014. En effet, le cas visé par ladite disposition concernerait le comportement des bénéficiaires des fonds. En l’espèce, il ne serait pas question de lacunes dans la vérification de la légalité et de la régularité des demandes ayant donné lieu à un paiement compensatoire au titre de la
sous-mesure litigieuse. De plus, en cas de méthode de calcul erronée, il serait possible de déterminer, sans effort disproportionné, le montant exact des corrections. Étant donné que le constat qu’une méthode de calcul est erronée ne saurait être rattaché aux hypothèses d’irrégularités au sens des dispositions susmentionnées, ledit constat ne pourrait entraîner l’application d’une correction forfaitaire.
118 La Commission rétorque qu’elle s’est fondée à juste titre sur l’article 12, paragraphes 6 et 7, du règlement délégué no 907/2014, étant donné que les informations issues du second audit ne lui permettaient pas de déterminer plus précisément le montant de la surcompensation par calcul ou par extrapolation, comme l’exige l’article 12, paragraphes 2 et 3, dudit règlement. La Commission reconnaît que, dans le cadre du premier audit, les irrégularités ont été qualifiées à la fois de « dépenses
inéligibles » et d’« absence de contrôle clé » concernant les vérifications correspondantes visant à contrôler la conformité de la demande avec tous les critères d’éligibilité énoncés dans la législation de l’Union et définis dans le PNDR 2007-2013. Cependant, la décision adoptée à la suite du premier audit ne ferait pas l’objet de la présente affaire et le second audit aurait débouché sur la constatation d’« irrégularités généralisées » et d’une « négligence dans la lutte contre les pratiques
irrégulières ou frauduleuses », sans mention d’une absence de contrôle clé au sens des lignes directrices sur le calcul des corrections financières. Selon la Commission, les termes « correction forfaitaire » ont été utilisés dans les deux audits et, s’agissant de la terminologie utilisée à des fins de correction, les termes « taux de paiement incorrects » et « montants de paiements surestimés » font référence au même aspect, à savoir au fait que les taux de paiement incorrects ont entraîné une
surestimation des montants à payer. Or, l’article 12, paragraphes 6 et 7, du règlement délégué no 907/2014 concernerait l’application de l’article 52, paragraphe 1, du règlement no 1306/2013, qui inclurait toute dépense non conforme au droit de l’Union et au Feader, ainsi que la surcompensation concernée en l’espèce, résultat de l’application d’une méthode de calcul erronée.
119 À cet égard, il convient de souligner que, conformément à l’article 52, paragraphe 1, du règlement no 1306/2013, lorsque la Commission considère que des dépenses n’ont pas été effectuées conformément au droit de l’Union, elle adopte une décision déterminant les montants à exclure du financement de l’Union. Aux termes de l’article 52, paragraphe 2, du même règlement, la Commission évalue les montants à exclure au vu, notamment, de l’importance de la non-conformité constatée. À cet effet, elle
tient compte de la nature de l’infraction ainsi que du préjudice financier causé à l’Union. En outre, elle fonde l’exclusion sur la mise en évidence des montants indûment dépensés et, lorsque ceux-ci ne peuvent être mis en évidence en déployant des efforts proportionnés, elle peut appliquer, notamment, des corrections forfaitaires. Des corrections forfaitaires ne sont appliquées que lorsque, en raison de la nature du cas ou parce que l’État membre n’a pas fourni les informations nécessaires à la
Commission, il n’est pas possible, en déployant des efforts proportionnés, de déterminer plus précisément le préjudice financier causé à l’Union.
120 L’article 12, paragraphes 2 et 3, du règlement délégué no 907/2014 prend en compte les hypothèses dans lesquelles les montants indûment dépensés peuvent ou non être mis en évidence en déployant des efforts proportionnés et avec l’aide des États membres.
121 Selon l’article 12, paragraphe 1, alinéa 2, du règlement délégué no 907/2014, « [a]fin de déterminer les montants pouvant être exclus du financement de l’Union, la Commission, lorsqu’elle constate que des dépenses n’ont pas été effectuées conformément à la législation de l’Union, et, en ce qui concerne le Feader, conformément à la législation applicable dans l’Union et dans l’État membre, se fonde sur ses propres conclusions et prend en considération les informations mises à disposition par les
États membres lors de la procédure d’apurement de conformité effectuée en application de l’article 52 du règlement […] no 1306/2013 ».
122 L’article 12, paragraphe 3, du règlement délégué no 907/2014 dispose ce qui suit :
« Lorsque les montants indûment dépensés ne peuvent être mis en évidence conformément au paragraphe 2, la Commission peut déterminer les montants à exclure en appliquant des corrections extrapolées. Pour permettre à la Commission de déterminer les montants correspondants, les États membres peuvent, dans le respect des délais prévus par la Commission durant la procédure d’apurement de conformité, soumettre un calcul du montant à exclure du financement de l’Union en extrapolant par des moyens
statistiques les résultats des contrôles effectués sur un échantillon représentatif de ces cas. L’échantillon est prélevé dans le groupe dans lequel la non-conformité constatée peut raisonnablement se produire. »
123 L’article 12, paragraphes 6 et 7, du règlement délégué no 907/2014 concerne les cas dans lesquels les conditions pour la détermination des montants à exclure du financement de l’Union visées à l’article 12, paragraphes 2 et 3, dudit règlement ne sont pas remplies. Ainsi, la Commission applique des corrections forfaitaires dont le niveau est établi en tenant compte de la nature et de la gravité de l’infraction et de sa propre estimation du risque de préjudice financier pour l’Union.
124 Aux termes de l’article 12, paragraphe 6, du règlement délégué no 907/2014, il est prévu ce qui suit :
« Lorsque les conditions pour la détermination des montants à exclure du financement de l’Union visées aux paragraphes 2 et 3 ne sont pas remplies ou lorsque la nature du cas est telle que les montants à exclure ne peuvent être déterminés sur la base de ces paragraphes, la Commission applique des corrections forfaitaires appropriées, en tenant compte de la nature et de la gravité de l’infraction et de sa propre estimation du risque de préjudice financier pour l’Union.
Le niveau de correction forfaitaire est établi en tenant compte notamment du type de non-conformité constatée. À cet effet, la distinction suivante est faite entre les insuffisances dans les contrôles clés et dans les contrôles secondaires :
a) les contrôles clés sont les vérifications administratives et les vérifications sur le terrain, nécessaires pour établir l’admissibilité de l’aide et l’application correspondante de réductions et de sanctions ;
b) les contrôles secondaires recouvrent toutes les autres opérations administratives requises pour traiter correctement les demandes.
Si, dans le cadre de la même procédure d’apurement de conformité, divers cas de non-conformité sont établis, et que ces cas, pris individuellement, donneraient lieu à différentes corrections forfaitaires, seul le niveau le plus élevé de correction forfaitaire s’applique. »
125 L’article 12, paragraphe 7, du règlement délégué no 907/2014 indique que, « [e]n établissant le niveau des corrections forfaitaires, la Commission tient spécifiquement compte des circonstances suivantes, qui indiquent un degré de gravité plus élevé des lacunes constatées et, partant, un risque accru de perte pour le budget de l’Union ».
126 S’agissant du degré de gravité, l’article 12, paragraphe 7, sous c), du règlement délégué no 907/2014 prévoit notamment que ce degré est plus élevé et, partant, qu’un risque accru de perte pour le budget de l’Union se produit, lorsque « [l]’application par un État membre d’un système de contrôle est jugée absente ou gravement déficiente, et [qu’]il existe des preuves d’irrégularités et de négligence importantes dans la lutte contre les pratiques irrégulières ou frauduleuses [...] ».
127 Il a été jugé qu’une correction arrêtée par la Commission conformément aux lignes directrices relatives au calcul des corrections financières tendait à éviter la mise à la charge des fonds de montants n’ayant pas servi au financement d’un objectif poursuivi par la réglementation de l’Union en cause et ne constituait pas une sanction. La jurisprudence a ainsi reconnu que les taux forfaitaires retenus dans lesdites lignes permettaient à la fois de faire respecter le droit de l’Union et la bonne
gestion des ressources de l’Union et d’éviter que la Commission n’exerçât son pouvoir discrétionnaire en imposant aux États membres des corrections démesurées et disproportionnées (voir, en ce sens, arrêt du 6 juillet 2015, Italie/Commission, T‑44/11, non publié, EU:T:2015:469, point 87 et jurisprudence citée).
128 La jurisprudence a en outre précisé que, lorsqu’il n’était pas possible d’évaluer précisément les pertes subies par l’Union, une correction forfaitaire pouvait être envisagée par la Commission sur la base des orientations figurant dans les lignes directrices relatives au calcul des corrections financières (voir, en ce sens, arrêt du 6 juillet 2015, Italie/Commission, T‑44/11, non publié, EU:T:2015:469, point 89 et jurisprudence citée).
129 Comme cela a été rappelé au point 48 ci-dessus, le point 3.2.5 des lignes directrices relatives au calcul des corrections financières indique ce qui suit :
« “L’application par un État membre d’un système de contrôle est jugée absente ou gravement déficiente, et il existe des preuves d’irrégularités et de négligence importantes dans la lutte contre les pratiques irrégulières ou frauduleuses”, il convient alors d’appliquer une correction à hauteur de 25 %, dans la mesure où il peut être raisonnablement estimé que la liberté de soumettre impunément des demandes irrecevables occasionnera des préjudices financiers extrêmement élevés pour le budget de
l’Union.
[…] »
130 Il ressort de la jurisprudence que, conformément au point 3.2.5 des lignes directrices relatives au calcul des corrections financières, dans les circonstances qui indiquent un degré de gravité plus élevé des lacunes constatées et, partant, un risque accru de perte pour le budget de l’Union, visées à l’article 12, paragraphe 7, du règlement délégué no 907/2014, la Commission applique, en principe, une correction forfaitaire à un taux de 25 %. Cela étant, elle peut fixer un taux de correction à un
niveau encore plus élevé. Ainsi, une correction forfaitaire à un taux de 100 % est justifiée lorsque les déficiences du système de contrôle sont si graves qu’elles constituent un non-respect total des règles de l’Union de nature à rendre tous les paiements irréguliers (arrêt du 17 décembre 2020, France/Commission, C‑404/19 P, EU:C:2020:1041, point 58).
131 En l’espèce, il convient de relever que, ainsi qu’il ressort du rapport de synthèse et de la position finale figurant dans la lettre du 14 avril 2020, la Commission a fondé l’imposition d’une correction forfaitaire sur l’existence d’un risque important pour les fonds agricoles, en raison d’une application par les autorités roumaines d’un système de gestion et de contrôle de la mesure 215 relative au bien-être des animaux « gravement déficiente en ce qui concern[ait] les taux de paiement
afférents à la sous-mesure litigieuse ». Selon la Commission, cette défaillance, affectant tous les paiements au titre de la sous-mesure litigieuse, présentait un caractère systémique. Plus précisément, elle a estimé qu’il existait des indices d’irrégularités généralisées conduisant à une surcompensation systématique pour les agriculteurs. Étant donné que les autorités roumaines n’avaient pas fourni de calcul du risque encouru par les fonds agricoles et avaient toutefois établi la population à
risque, la Commission a conclu qu’il était raisonnable de supposer que la liberté de présenter impunément des demandes irrégulières entraînait des dommages financiers exceptionnellement élevés pour le budget de l’Union. Ainsi, en se fondant sur ses lignes directrices relatives au calcul des corrections financières, la Commission a décidé d’appliquer une correction forfaitaire de 25 %.
132 S’agissant du contrôle de la proportionnalité de la correction forfaitaire appliquée par la Commission, il convient de relever que, parmi les circonstances qui, selon l’article 12, paragraphe 7, sous c), du règlement délégué no 907/2014, indiquent un degré de gravité plus élevé des lacunes constatées et, partant, un risque accru de perte pour le budget de l’Union, figure le cas où il existe des preuves d’irrégularités et de négligence importantes dans la lutte contre les pratiques irrégulières
ou frauduleuses (voir point 126 ci-dessus).
133 Cette hypothèse est reprise au point 3.2.5 des lignes directrices relatives au calcul des corrections financières, selon lequel, lorsque « [l]’application par un État membre d’un système de contrôle est jugée absente ou gravement déficiente, et [qu’]il existe des preuves d’irrégularités et de négligence importantes dans la lutte contre les pratiques irrégulières ou frauduleuses […], il convient alors d’appliquer une correction à hauteur de 25 %, dans la mesure où il peut être raisonnablement
estimé que la liberté de soumettre impunément des demandes irrecevables occasionnera des préjudices financiers extrêmement élevés pour le budget de l’Union » (voir points 48 et 129 ci-dessus).
134 La notion d’« irrégularité » est définie au point 1.2 des lignes directrices relatives au calcul des corrections financières comme correspondant à « [t]oute violation d’une disposition du [droit de l’Union ou du droit national] résultant d’un acte ou d’une omission d’un opérateur économique qui a ou aurait pour effet de porter préjudice au budget général [de l’Union] ou à des budgets gérés par [celle-ci], soit par la diminution ou la suppression de recettes provenant des ressources propres
perçues directement pour le compte [de l’Union], soit par une dépense indue ».
135 Lorsqu’il définit la notion d’« irrégularité » justifiant l’application d’un taux de correction de 25 % des dépenses, le point 1.2 des lignes directrices relatives au calcul des corrections financières se réfère donc aux « actes » ou aux « omissions » des opérateurs économiques.
136 En l’espèce, comme l’affirme l’organe de conciliation dans son rapport présenté dans le cadre de la procédure 19/RO/856 (voir point 25 ci-dessus) et comme le réitère la Roumanie dans son recours, les opérateurs économiques, au sens du point 1.2 des lignes directrices relatives au calcul des corrections financières, sont les bénéficiaires ayant demandé une aide sur la base de taux de paiement prévus dans le PNDR 2007-2013 approuvé par la Commission.
137 Or, la violation de l’article 40, paragraphe 3, du règlement no 1698/2005 alléguée par la Commission ne résulte pas, en tout état de cause, d’« actes » ou d’« omissions » de la part des bénéficiaires de l’aide, mais d’une méthode de calcul des taux de soutien appliquée par les autorités roumaines.
138 Ainsi, la qualification juridique de la méthode de calcul afférente à la sous-mesure litigieuse et de son résultat financier d’« irrégularités généralisées » et de « négligence important[e] dans la lutte contre les pratiques irrégulières ou frauduleuses », aux termes des lignes directrices relatives au calcul des corrections financières, n’est pas correcte.
139 À cet égard, il importe de rappeler que, selon la jurisprudence, lorsque la Commission a adopté des lignes directrices, celles-ci s’imposent à elle et le juge de l’Union doit vérifier que cette institution a respecté les règles dont elle s’est dotée (voir, en ce sens, arrêt du 9 septembre 2009, Holland Malt/Commission, T‑369/06, EU:T:2009:319, point 167 et jurisprudence citée).
140 En outre, même à vouloir admettre que les « irrégularités » et « négligences importantes » visées par la Commission dans son rapport de synthèse et dans sa position finale puissent faire référence aux autorités roumaines et non aux bénéficiaires, il importe d’observer ce qui suit.
141 Certes, les autorités roumaines étaient informées, depuis la date de notification des constatations de la Cour des comptes, à savoir le 18 septembre 2015 (voir point 7 ci-dessus), et, également, depuis la lettre de la Commission du 21 mars 2016 (voir point 12 ci-dessus), de l’avis de cette dernière sur l’irrégularité des taux de paiement afférents à la sous-mesure litigieuse. Toutefois, c’est à tort que la Commission a considéré que les autorités roumaines avaient commis des irrégularités
généralisées ou avaient été gravement négligentes dans la lutte contre les pratiques irrégulières en continuant à présenter librement des demandes d’aide sur la base d’un taux donnant lieu à une surcompensation. En effet, l’attitude des autorités roumaines s’expliquait par le fait, d’une part, qu’elles avaient reçu des assurances que la méthode de calcul soumise à la Commission respectait les dispositions pertinentes du règlement no 1698/2005 et du règlement no 1974/2006 et, d’autre part, que,
en vertu de l’article 9, paragraphe 3, du règlement no 1974/2006, une modification du PNDR 2007-2013 pouvait être effectuée jusqu’au 31 décembre 2015 au plus tard, pourvu qu’elle soit notifiée par l’État membre le 31 août 2015 au plus tard.
142 La nature systématique de l’absence d’adoption de mesures visant à réduire les paiements compensatoires afférents à la sous-mesure litigieuse, voire à les suspendre, ne saurait donc être en l’espèce assimilée à une « irrégularité généralisée » au sens des lignes directrices relatives au calcul des corrections financières, justifiant l’application d’un taux de correction forfaitaire de 25 %.
143 Quant à la prétendue liberté de soumettre « impunément » des demandes irrégulières de la part des bénéficiaires concernés et quant à l’application de taux de paiement prétendument surestimés, il importe d’observer que cela est lié aux engagements pluriannuels pris en application du PNDR 2007-2013 et aux attentes légitimes dans le fait que la sous-mesure litigieuse demeurera applicable.
144 Enfin, le comportement tant des autorités roumaines que des bénéficiaires concernés ne saurait être assimilé à une négligence « importante » dans la lutte contre les pratiques irrégulières ou frauduleuses. En l’espèce, en raison de la confiance légitimement acquise par les autorités roumaines dans le fait que la méthode de calcul discutée en 2012 avec la Commission était respectueuse des règles en vigueur, aucune pratique irrégulière ou frauduleuse ne saurait être identifiée. En effet, les
demandes de paiement ont été « régulièrement » introduites conformément aux programme national de développement rural en vigueur et les paiements ont « régulièrement » été effectués en appliquant les taux prévus par la sous-mesure litigieuse préalablement approuvée par la Commission et en vigueur tant au moment de la signature des engagements par les bénéficiaires qu’au moment de l’introduction de leurs demandes de paiement auprès de l’organisme payeur.
145 Dans la mesure où ce sont l’existence et la gravité des irrégularités et des négligences commises par les autorités roumaines, résultant du caractère systématique de l’application de taux de paiement surestimés, qui ont conduit la Commission à présumer qu’il existait un risque de dommages financiers pour le budget de l’Union conformément à l’article 12, paragraphe 7, sous c), du règlement délégué no 907/2014 et où tant « l’existence » de prétendues irrégularités ou négligences que « leur gravité
ou caractère systématique » sont à exclure en l’espèce (voir points 142 à 144 ci-dessus), l’application d’une correction de 25 % est, à son tour, injustifiée au regard dudit article, lu conjointement avec les lignes directrices relatives au calcul des corrections financières.
146 La Commission a donc commis une erreur de qualification juridique en se fondant sur l’article 12, paragraphe 7, sous c), du règlement délégué no 907/2014, lu conjointement avec ses lignes directrices relatives au calcul des corrections financières, pour justifier l’application d’un taux de 25 % en tant que correction forfaitaire.
147 Par ailleurs, comme le fait valoir à bon droit la Roumanie, dans le cadre du premier audit, les irrégularités concernant la méthode de calcul afférente à la sous-mesure litigieuse et son résultat financier avaient été qualifiées par la Commission à la fois de « dépenses inéligibles » et d’« absence de contrôle clé » concernant les vérifications de la conformité d’une demande d’aide avec les critères d’éligibilité énoncés dans la législation de l’Union et définis dans le PNDR 2007-2013. Bien que,
comme le fait valoir à juste titre la Commission, la décision adoptée à la suite du premier audit ne fasse pas l’objet de la présente affaire, il n’en demeure pas moins que la qualification juridiquement erronée d’« absence de contrôle clé » démontre que, depuis le début de son enquête, la Commission n’a pas réussi à identifier le type d’infraction commise par les autorités roumaines et la correction financière applicable en l’espèce.
148 Il y a donc lieu d’accueillir le troisième grief du premier moyen et de juger que la Commission a considéré à tort que la correction financière de 25 % était justifiée en application de l’article 52 du règlement no 1306/2013, lu conjointement avec l’article 12 du règlement délégué no 907/2014 et le point 3.2.5 des lignes directrices relatives au calcul des corrections financières.
149 Au regard de tout ce qui précède, sans qu’il soit besoin d’examiner le premier grief du premier moyen, tiré de l’existence d’une responsabilité de la Commission en application des articles 76 à 78 du règlement no 1605/2002, ni le deuxième grief du premier moyen, tiré d’une erreur d’appréciation concernant la méthode de calcul du taux de paiement compensatoire, ni le sixième grief du premier moyen, tiré de la violation du principe de bonne administration, il y a lieu d’accueillir le premier
moyen, et partant, le recours dans son ensemble en annulant la décision attaquée en ce que celle-ci écarte certaines dépenses que la Roumanie a engagées au titre du Feader pour les exercices 2017 à 2019 et pour un montant de 18717475,08 euros.
Sur les dépens
150 Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.
151 La Commission ayant succombé, il convient de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Roumanie.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (quatrième chambre)
déclare et arrête :
1) La décision d’exécution (UE) 2020/1734 de la Commission, du 18 novembre 2020, écartant du financement de l’Union européenne certaines dépenses effectuées par les États membres au titre du Fonds européen agricole de garantie (FEAGA) et du Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader), est annulée en ce que celle-ci écarte certaines dépenses que la Roumanie a engagées au titre du Feader pour les exercices 2017 à 2019 et pour un montant de 18717475,08 euros.
2) La Commission européenne est condamnée aux dépens.
Gervasoni
Madise
Martín y Pérez de Nanclares
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 18 janvier 2023.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : le roumain.