ARRÊT DU TRIBUNAL (neuvième chambre élargie)
20 mars 2024 ( *1 )
« Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises en raison de la situation en Biélorussie et de l’implication de la Biélorussie dans l’agression russe contre l’Ukraine – Gel des fonds – Listes des personnes, des entités et des organismes auxquels s’applique le gel des fonds et des ressources économiques – Inscription et maintien du nom du requérant sur les listes – Soutien au régime de Loukachenko – Soutien financier – Entreprise appartenant à l’État – Répression de la
société civile – Erreur d’appréciation »
Dans l’affaire T‑115/22,
Belshyna AAT, établie à Bobrouïsk (Biélorussie), représentée par Mes N. Tuominen et L. Engelen, avocats,
partie requérante,
contre
Conseil de l’Union européenne, représenté par MM. A. Boggio-Tomasaz et A. Antoniadis, en qualité d’agents,
partie défenderesse,
LE TRIBUNAL (neuvième chambre élargie),
composé de MM. S. Papasavvas, président, L. Truchot, H. Kanninen (rapporteur), Mmes R. Frendo et T. Perišin, juges,
greffier : Mme I. Kurme, administratrice,
vu la phase écrite de la procédure,
à la suite de l’audience du 21 juin 2023,
rend le présent
Arrêt ( 1 )
1 Par le présent recours fondé sur l’article 263 TFUE, la requérante, Belshyna AAT, demande l’annulation, premièrement, de la décision d’exécution (PESC) 2021/2125 du Conseil, du 2 décembre 2021, mettant en œuvre la décision 2012/642/PESC concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Biélorussie (JO 2021, L 430 I, p. 16), et du règlement d’exécution (UE) 2021/2124 du Conseil, du 2 décembre 2021, mettant en œuvre l’article 8 bis, paragraphe 1, du règlement (CE) no 765/2006
concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Biélorussie (JO 2021, L 430 I, p. 1) (ci-après les « actes initiaux »), et, deuxièmement, de la décision (PESC) 2023/421 du Conseil, du 24 février 2023, modifiant la décision 2012/642/PESC concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Biélorussie et de l’implication de la Biélorussie dans l’agression russe contre l’Ukraine (JO 2023, L 61, p. 41), et du règlement d’exécution (UE) 2023/419 du Conseil, du 24 février 2023,
mettant en œuvre l’article 8 bis du règlement (CE) no 765/2006 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Biélorussie et de l’implication de la Biélorussie dans l’agression russe contre l’Ukraine (JO 2023, L 61, p. 20) (ci-après les « actes de maintien »), en tant que ces actes la concernent.
Antécédents du litige et faits postérieurs à l’introduction du recours
2 La requérante est une entreprise produisant des pneumatiques, établie à Bobrouïsk (Biélorussie).
3 La présente affaire s’inscrit dans le cadre des mesures restrictives adoptées par l’Union européenne depuis 2004 en raison de la situation en Biélorussie en ce qui concerne la démocratie, l’État de droit et les droits de l’homme.
4 Le Conseil de l’Union européenne a adopté, le 18 mai 2006, sur le fondement des articles [75 et 215 TFUE], le règlement (CE) no 765/2006 concernant des mesures restrictives à l’encontre du président Loukachenko et de certains fonctionnaires de Biélorussie (JO 2006, L 134, p. 1), dont l’intitulé a été remplacé, aux termes de l’article 1er, paragraphe 1, du règlement (UE) no 588/2011 du Conseil, du 20 juin 2011 (JO 2011, L 161, p. 1), par l’intitulé « Règlement (CE) no 765/2006 du Conseil du 18 mai
2006 concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Biélorussie ».
5 Le 15 octobre 2012, le Conseil a adopté, sur le fondement de l’article 29 TUE, la décision 2012/642/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Biélorussie (JO 2012, L 285, p. 1).
6 Selon l’article 4, paragraphe 1, sous a) et b), de la décision 2012/642 et l’article 2, paragraphes 4 et 5, du règlement no 765/2006, tel que modifié par le règlement (UE) no 1014/2012 du Conseil, du 6 novembre 2012 (JO 2012, L 307, p. 1), la dernière disposition renvoyant à la première, sont gelés tous les fonds et les ressources économiques possédés, détenus ou contrôlés par, notamment, des personnes, des entités ou des organismes responsables de violations graves des droits de l’homme ou de la
répression à l’égard de la société civile et de l’opposition démocratique, ou dont les activités nuisent gravement, d’une autre manière, à la démocratie ou à l’État de droit en Biélorussie, ainsi que des personnes physiques ou morales, des entités ou des organismes qui, notamment, soutiennent le régime de Loukachenko.
7 Le 2 décembre 2021, le Conseil a adopté les actes initiaux. Il ressort des considérants 4 de ceux-ci que, « [e]u égard à la gravité de la situation en Biélorussie, il convient d’inscrire dix-sept personnes et onze entités sur la liste des personnes physiques et morales, des entités et des organismes faisant l’objet de mesures restrictives ».
8 Par les actes initiaux, le nom de la requérante a été inséré à la ligne 26 du tableau B de la liste des personnes physiques et morales, des entités et des organismes visés à l’article 3, paragraphe 1, et à l’article 4, paragraphe 1, de la décision 2012/642 figurant à l’annexe de ladite décision et à la ligne 26 du tableau B de la liste des personnes physiques et morales, des entités et des organismes visés à l’article 2, paragraphe 1, du règlement no 765/2006 figurant à l’annexe I dudit règlement
(ci‑après, prises ensemble, les « listes litigieuses »).
9 Dans les actes initiaux, s’agissant de la requérante, le Conseil a inscrit les informations d’identification « [n]om : [s]ociété par actions ouverte ‘Belshina’ », « [a]dresse : 4, rue Minskoe Shosse, Bobruisk, 213824 Biélorussie », « [d]ate d’enregistrement : 10.1.1994 », « [n]uméro d’enregistrement : 700016217 » et « [s]ite internet : http ://www.belshinajsc.by/ », et a justifié l’adoption des mesures restrictives à son égard par la mention des motifs suivants :
« [La requérante] est l’une des principales entreprises publiques de Biélorussie et un grand fabricant de pneumatiques pour véhicules. En tant que telle, elle représente une source importante de revenus pour le régime de Loukachenk[o]. L’État biélorusse tire directement profit des revenus générés par [la requérante]. [La requérante] soutient donc le régime de Loukachenk[o].
Des employés de [la requérante] qui avaient manifesté et fait grève à la suite du scrutin présidentiel de 2020 en Biélorussie ont été licenciés. [La requérante] est donc responsable de la répression de la société civile. »
10 Par lettre du 3 décembre 2021, le Conseil a informé la requérante que son nom était inscrit sur les listes litigieuses.
11 Par lettre du 30 décembre 2021, la requérante a demandé au Conseil l’accès aux informations et aux preuves étayant l’inscription de son nom sur les listes litigieuses ainsi que le réexamen de cette inscription.
12 Par lettre du 14 janvier 2022, le Conseil a communiqué à la requérante les documents contenant les preuves utilisées pour décider de l’inscription de son nom sur les listes litigieuses et déclaré qu’il l’informerait ultérieurement de la suite donnée à la demande de réexamen.
13 Le 24 février 2022, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2022/307 modifiant la décision 2012/642 (JO 2022, L 46, p. 97) et le règlement d’exécution (UE) 2022/300 mettant en œuvre l’article 8 bis du règlement no 765/2006 (JO 2022, L 46, p. 3) (ci-après, les « actes du 24 février 2022 »), par lesquels il a maintenu le nom de la requérante sur les listes litigieuses pour des motifs en substance identiques à ceux retenus dans les actes initiaux.
14 Par lettre du 21 décembre 2022, le Conseil a signifié à la requérante son intention de proroger les mesures restrictives à son égard en s’appuyant sur un document joint à ladite lettre.
15 Par lettre du 20 janvier 2023, la requérante a répondu que le document communiqué par le Conseil ne justifiait pas le maintien de l’inscription de son nom sur les listes litigieuses.
16 Le 24 février 2023, le Conseil a adopté les actes de maintien par lesquels il a maintenu le nom de la requérante sur les listes litigieuses pour des motifs identiques à ceux retenus dans les actes du 24 février 2022.
17 Par lettre du 27 février 2023, le Conseil a indiqué que les observations figurant dans la lettre du 20 janvier 2023 ne remettaient pas en cause son appréciation selon laquelle il y avait lieu de maintenir l’inscription du nom de la requérante sur les listes litigieuses.
Conclusions des parties
18 À la suite de l’adaptation de la requête sur le fondement de l’article 86 du règlement de procédure du Tribunal, la requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– annuler les actes initiaux et de maintien, en tant qu’ils la concernent ;
– condamner le Conseil aux dépens ;
– rejeter la demande subsidiaire du Conseil visant à ordonner que les effets de la décision d’exécution 2021/2125 soient maintenus en ce qui la concerne jusqu’à ce que l’annulation partielle du règlement d’exécution 2021/2124 prenne effet.
19 Le Conseil conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– rejeter le recours ;
– condamner la requérante aux dépens ;
– à titre subsidiaire, dans l’hypothèse où le Tribunal annulerait les mesures restrictives adoptées contre la requérante, ordonner que les effets de la décision d’exécution 2021/2125 soient maintenus en ce qui la concerne jusqu’à ce que l’annulation partielle du règlement d’exécution 2021/2124 prenne effet.
En droit
[omissis]
Sur la demande d’annulation partielle des actes de maintien
84 Par un mémoire en adaptation, la requérante demande l’annulation des actes de maintien en ce qu’ils la concernent.
85 Dans ses observations sur le mémoire en adaptation, le Conseil soutient que la demande d’annulation partielle des actes de maintien est recevable et qu’elle doit être rejetée comme non fondée.
Sur la recevabilité de l’adaptation de la requête
86 Considérant que l’examen de la recevabilité des recours était d’ordre public et qu’il convient donc, en cas d’adaptation de la requête, de vérifier si les conditions posées à l’article 86, paragraphe 1, du règlement de procédure sont satisfaites (voir, en ce sens, arrêt du 14 décembre 2018, Hamas/Conseil, T‑400/10 RENV, EU:T:2018:966, points 139 à 145 et jurisprudence citée), le Tribunal a interrogé les parties à cet égard lors de l’audience.
87 En réponse aux questions du Tribunal, tant la requérante que le Conseil ont soutenu que le fait que la requérante n’avait pas, dans le cadre de la présente affaire, adapté ses conclusions pour demander l’annulation des actes du 24 février 2022, en tant que ces actes la concernaient, ne devait pas avoir d’incidence sur la recevabilité de l’adaptation de la requête pour demander également l’annulation partielle des actes de maintien.
88 Au soutien de leur thèse, les parties font valoir que les enseignements résultant des points 141 et 142 de l’arrêt du 14 décembre 2018, Hamas/Conseil (T‑400/10 RENV, EU:T:2018:966), et des points 90 et 96 de l’arrêt du 24 novembre 2021, LTTE/Conseil (T‑160/19, non publié, EU:T:2021:817), ne peuvent être transposés au cas d’espèce. Elles affirment que les affaires ayant donné lieu à ces arrêts concernaient les mesures restrictives prises par l’Union en vertu de la position commune 2001/931/PESC du
Conseil, du 27 décembre 2001, relative à l’application de mesures spécifiques en vue de lutter contre le terrorisme (JO 2001, L 344, p. 93), dans le cadre de laquelle les actes juridiques dressant la liste des personnes et entités concernées par les mesures restrictives sont abrogés et remplacés par de nouveaux actes lors du réexamen périodique auquel procède le Conseil, alors que, dans le cadre des mesures restrictives concernant la Biélorussie, le réexamen périodique des listes litigieuses
prend la forme d’actes juridiques modifiant la période d’application ou les annexes de la décision 2012/642 et du règlement no 765/2006. Le Conseil a également soutenu que considérer comme recevable la demande d’annulation des actes de maintien était conforme à l’objectif d’économie de la procédure.
89 Il convient de rappeler que l’article 86, paragraphe 1, du règlement de procédure dispose que, lorsqu’un acte dont l’annulation est demandée est remplacé ou modifié par un autre acte ayant le même objet, la partie requérante peut, avant la clôture de la phase orale de la procédure ou avant la décision du Tribunal de statuer sans phase orale de la procédure, adapter la requête pour tenir compte de cet élément nouveau.
90 En l’espèce, il convient d’observer, premièrement, que tant les actes initiaux que les actes de maintien, en tant qu’ils concernent la requérante, ont pour objet d’imposer à celle-ci des mesures restrictives individuelles consistant en un gel de tous ses fonds et ressources économiques, en application de l’article 4, paragraphe 1, sous a) et b), de la décision 2012/642 et de l’article 2, paragraphes 4 et 5, du règlement no 765/2006.
91 Deuxièmement, comme l’ont relevé à juste titre les parties, dans le cadre du régime instaurant des mesures restrictives à l’encontre de la Biélorussie, les mesures restrictives individuelles prennent la forme d’une inscription du nom des personnes, des entités ou des organismes ciblés sur les listes litigieuses qui figurent dans les annexes de la décision 2012/642 et du règlement no 765/2006.
92 Dans ce contexte, les actes initiaux ont modifié les annexes de la décision 2012/642 et du règlement no 765/2006 pour inscrire, notamment, le nom de la requérante sur les listes litigieuses. Quant aux actes de maintien, il y a lieu de constater, d’une part, que la décision 2023/421 a prorogé jusqu’au 28 février 2024 l’applicabilité de la décision 2012/642, dont l’annexe I, telle que modifiée par la décision d’exécution 2021/2125, mentionne le nom de la requérante et, d’autre part, que le
règlement d’exécution no 2023/419 a modifié l’annexe I du règlement no 765/2006, tout en maintenant, à tout le moins implicitement, l’inscription du nom de la requérante sur ladite annexe. Partant, les actes de maintien doivent être vus comme ayant modifié les actes initiaux au sens de l’article 86, paragraphe 1, du règlement de procédure.
93 Il s’ensuit que, conformément à l’objectif d’économie de la procédure qui sous-tend l’article 86 du règlement de procédure (voir, en ce sens, arrêt du 13 septembre 2018, Almaz-Antey/Conseil, T‑515/15, non publié, EU:T:2018:545, points 43 et 44), la requérante ayant demandé l’annulation des actes initiaux dans la requête était en droit, dans le cadre de la présente procédure, d’adapter la requête afin de demander, également, l’annulation des actes de maintien, et ce quand bien même elle n’avait
pas auparavant adapté la requête pour demander l’annulation des actes du 24 février 2022.
94 Il y a donc lieu de considérer que la demande d’adaptation de la requête est recevable.
[omissis]
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (neuvième chambre élargie)
déclare et arrête :
1) La décision d’exécution (PESC) 2021/2125 du Conseil, du 2 décembre 2021, mettant en œuvre la décision 2012/642/PESC concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Biélorussie, le règlement d’exécution (UE) 2021/2124 du Conseil, du 2 décembre 2021, mettant en œuvre l’article 8 bis, paragraphe 1, du règlement (CE) no 765/2006 concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Biélorussie, la décision (PESC) 2023/421 du Conseil, du 24 février 2023, modifiant la décision
2012/642/PESC concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Biélorussie et de l’implication de la Biélorussie dans l’agression russe contre l’Ukraine, et le règlement d’exécution (UE) 2023/419 du Conseil, du 24 février 2023, mettant en œuvre l’article 8 bis du règlement (CE) no 765/2006 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Biélorussie et de l’implication de la Biélorussie dans l’agression russe contre l’Ukraine, sont annulés en tant qu’ils
concernent Belshyna AAT.
2) Le Conseil de l’Union européenne est condamné aux dépens.
Papasavvas
Truchot
Kanninen
Frendo
Perišin
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 20 mars 2024.
Signatures
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
( *1 ) Langue de procédure : l’anglais.
( 1 ) Ne sont reproduits que les points du présent arrêt dont le Tribunal estime la publication utile.