ARRÊT DU TRIBUNAL (quatrième chambre)
19 mars 2025 ( *1 )
« Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises en raison de la situation en Biélorussie et de l’implication de la Biélorussie dans l’agression russe contre l’Ukraine – Gel des fonds – Listes des personnes, des entités et des organismes auxquels s’applique le gel des fonds et des ressources économiques – Inscription du nom du requérant sur la liste – Soutien au régime de Loukachenko – Profit tiré du régime de Loukachenko – Entreprise appartenant à l’État – Erreur
d’appréciation – Droit de propriété – Liberté d’entreprise »
Dans l’affaire T‑1042/23,
AAT Byelorussian Steel Works – management company of « Byelorussian Metallurgical Company » holding (BSW – management company of « BMC » holding), établie à Jlobine (Biélorussie), représentée par Mes N. Montag et M. Krestiyanova, avocates,
partie requérante,
contre
Conseil de l’Union européenne, représenté par MM. A. Boggio-Tomasaz et A. Antoniadis, en qualité d’agents, assistés de Me E. Raoult, avocate,
partie défenderesse,
LE TRIBUNAL (quatrième chambre),
composé de M. R. da Silva Passos, président, Mme N. Półtorak (rapporteure) et M. H. Cassagnabère, juges,
greffier : Mme M. Zwozdziak-Carbonne, administratrice,
vu la phase écrite de la procédure,
–à la suite de l’audience du 21 novembre 2024,
rend le présent
Arrêt
1 Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, la requérante, AAT Byelorussian Steel Works – management company of « Byelorussian Metallurgical Company » holding (BSW – management company of « BMC » holding), demande l’annulation, d’une part, de la décision d’exécution (PESC) 2023/1592 du Conseil, du 3 août 2023, mettant en œuvre la décision 2012/642/PESC concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Biélorussie et de l’implication de la Biélorussie dans l’agression russe contre
l’Ukraine (JO 2023, L 195 I, p. 31), et, d’autre part, du règlement d’exécution (UE) 2023/1591 du Conseil, du 3 août 2023, mettant en œuvre l’article 8 bis, paragraphe 1, du règlement (CE) no 765/2006, concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Biélorussie et de l’implication de la Biélorussie dans l’agression russe contre l’Ukraine (JO 2023, L 195 I, p. 1) (ci-après, pris ensemble, les « actes attaqués »), pour autant qu’ils la concernent.
Antécédents du litige
2 La requérante est une société biélorusse active dans le domaine des produits sidérurgiques.
3 La présente affaire s’inscrit dans le cadre des mesures restrictives adoptées par l’Union européenne depuis 2004 en raison de la situation en Biélorussie en ce qui concerne la démocratie, l’État de droit et les droits de l’homme et de l’implication de la Biélorussie dans l’agression russe contre l’Ukraine.
4 Le Conseil de l’Union européenne a adopté, le 18 mai 2006, sur le fondement des articles 75 et 215 TFUE, le règlement (CE) no 765/2006, concernant des mesures restrictives à l’encontre du président Loukachenko et de certains fonctionnaires de Biélorussie (JO 2006, L 134, p. 1), et, le 15 octobre 2012, sur le fondement de l’article 29 TUE, la décision 2012/642/PESC, concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Biélorussie (JO 2012, L 285, p. 1).
5 Dans leur version applicable à la date d’adoption des actes attaqués, l’article 4, paragraphe 1, sous b), de la décision 2012/642 et l’article 2, paragraphes 1 et 5, du règlement no 765/2006 prévoient que sont gelés tous les fonds et ressources économiques possédés, détenus ou contrôlés par, notamment, les personnes physiques ou morales, les entités ou les organismes qui profitent du régime du président Loukachenko ou le soutiennent.
6 Le 24 février 2022, la Fédération de Russie a agressé militairement l’Ukraine.
7 Ainsi qu’il ressort du considérant 2 des actes attaqués, ces derniers ont été adoptés en raison de la gravité de la situation en Biélorussie et de l’implication de ce pays dans l’agression russe contre l’Ukraine.
8 Par les actes attaqués, le nom de la requérante a été inscrit à la ligne 37 du tableau B de la liste des personnes, entités et organismes visés par les mesures restrictives qui figure en annexe de la décision 2012/642 et à l’annexe I du règlement no 765/2006 (ci-après, prises ensemble, les « listes en cause »).
9 L’inscription du nom de la requérante sur les listes en cause a été justifiée par les motifs suivants :
« La société par actions ouverte “BSW – management company of ‘BMC’ holding” est une entreprise d’État unique de l’industrie métallurgique en Biélorussie, et l’une des plus grandes entreprises du pays. En tant que telle, elle représente une source importante de revenus pour le régime de Loukachenk[o]. L’État biélorusse tire directement profit des revenus générés par la société par actions ouverte “BSW – management company of ‘BMC’ holding”. En outre, l’entreprise bénéficie d’importantes
subventions publiques et d’un soutien politique du régime de Loukachenk[o]. Le directeur général de la société par actions ouverte “BSW – management company of ‘BMC’ holding” a été personnellement nommé par le président Loukachenk[o].
Des employés de la société par actions ouverte “BSW – management company of ‘BMC’ holding” qui avaient manifesté et fait grève à la suite du scrutin présidentiel de 2020 en Biélorussie ont été licenciés. Depuis lors, l’entreprise continue de prendre des mesures à l’encontre des employés qui tentent d’organiser des grèves, sous la forme de menaces et de licenciements. La société par actions “BSW – management company of ‘BMC’ holding” tire donc profit du régime de Loukachenk[o] et le soutient. En
outre, elle est responsable de la répression de la société civile en Biélorussie. »
10 Le 4 août 2023, le Conseil a publié au Journal officiel de l’Union européenne un avis à l’attention des personnes et des entités faisant l’objet des mesures restrictives prévues dans les actes attaqués (JO 2023, C 275, p. 21). Les personnes et entités concernées par cet avis pouvaient, conformément à ce dernier, soumettre au Conseil, avant le 30 novembre 2023, une demande de réexamen de la décision par laquelle leur nom avait été inscrit sur les listes en cause.
11 Le 5 août 2023, la requérante a demandé à avoir accès aux informations et aux preuves étayant ladite inscription.
12 Le 11 août 2023, le Conseil a communiqué à la requérante le document de travail portant la référence WK 10044/2023 INIT contenant les éléments pris en compte aux fins de l’inscription de son nom sur les listes en cause.
Conclusions des parties
13 La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– annuler les actes attaqués en ce qu’ils la concernent ;
– condamner le Conseil aux dépens.
14 Le Conseil conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– rejeter le recours ;
– condamner la requérante aux dépens.
En droit
15 À l’appui de son recours, la requérante invoque deux moyens, tirés, le premier, d’une erreur « manifeste » d’appréciation et, le second, de la violation du droit de propriété et de la liberté d’entreprise.
Sur le premier moyen, tiré d’une erreur d’appréciation
16 Le premier moyen est divisé en trois branches, tirées, la première, de ce que la requérante ne représente pas une source importante de revenus pour le régime de Loukachenko, la deuxième, de ce qu’elle ne tire pas profit dudit régime et ne le soutient pas et, la troisième, de ce qu’elle n’est pas responsable de la répression de la société civile en Biélorussie.
17 En l’espèce, le Tribunal estime opportun de commencer par l’examen des motifs des actes attaqués relatifs au fait que la requérante soutient le régime de Loukachenko et en tire profit.
18 La requérante fait valoir qu’elle ne tire pas profit du régime de Loukachenko et ne le soutient pas.
19 À cet égard, en premier lieu, s’agissant du motif tiré de ce que la requérante soutient le régime de Loukachenko, elle fait valoir qu’elle ne soutient pas ledit régime. Elle observe également que, tel que formulé dans les actes attaqués, ce motif vise uniquement une « source importante de revenus », dont la réalité n’a pas été prouvée, et non un « soutien d’importance quantitative ou qualitative » ou un « soutien stratégique ».
20 La requérante fait valoir qu’elle ne représente pas une source importante de revenus pour le régime de Loukachenko. De plus, son bénéfice aurait été faible en 2021 et en 2022. Elle soutient que, au titre de la période allant de 2018 à 2022, le montant des versements de dividendes a été insignifiant et que, selon le dossier du Conseil, elle avait besoin de l’aide de l’État.
21 La requérante ajoute que, en tant qu’entreprise publique, elle est tenue par la loi de verser des dividendes à l’État, pouvant être perçus par les autorités fiscales, et, conformément à l’édit du président de la République de Biélorussie no 637, du 28 décembre 2005, relatif à la procédure d’inscription au budget d’une partie des bénéfices des entreprises d’État, des associations d’État qui sont des organisations commerciales, ainsi que des revenus tirés de dividendes (des parts du capital social)
des sociétés économiques détenues par l’État ou les communes, et à la formation d’un fonds budgétaire spécifique de l’État pour le développement national (Registre national des actes juridiques de la République de Biélorussie no 1/7075, du 29 décembre 2005) (ci-après l’« édit no 637 »), les entités commerciales définies comme étant publiques transfèrent au budget de la République de Biélorussie leurs bénéfices proportionnellement au nombre d’actions détenues par l’État et les unités
administratives et territoriales dans les fonds statutaires de ces entités commerciales.
22 La requérante précise que ni le paiement d’impôts ni le paiement de dividendes obligatoires ne sauraient être qualifiés de soutien à un régime, dans la mesure où il s’agit d’obligations légales.
23 La requérante ajoute que la seule détention d’une entreprise par un État ne saurait suffire afin de satisfaire au critère relatif au soutien d’un régime.
24 En second lieu, s’agissant du motif tiré de ce que la requérante tire profit du régime, elle indique que le président de la République de Biélorussie n’a pas nommé son directeur général. Au demeurant, le profit tiré du régime par ce dernier n’équivaudrait pas à un profit tiré par la requérante elle-même.
25 La requérante ajoute que la possibilité d’émettre des obligations dans des conditions conformes au marché ne constitue pas une preuve de soutien financier par le régime.
26 La requérante fait également valoir que la réception d’un remboursement d’intérêts au titre de l’utilisation de prêts bancaires pour la mise en œuvre d’un projet d’investissement a été soumise à des conditions de performance. Cette prestation ferait l’objet d’une procédure de sélection et la requérante n’en serait pas la seule bénéficiaire. De plus, une des aides en cause aurait été reçue par une banque et non par la requérante.
27 En outre, s’agissant des récompenses que la requérante ou son directeur général auraient reçues tout comme d’autres personnes, la requérante précise qu’elles sont décernées par des sociétés privées sur la base de critères transparents liés au seul mérite.
28 Enfin, toutes les distinctions accordées à la requérante, à son directeur général et à ses produits seraient des déclarations adressées par des personnalités publiques à un certain nombre d’entreprises biélorusses, même déficitaires.
29 Le Conseil conteste l’argumentation de la requérante.
30 En l’espèce, tout d’abord, il convient de préciser que le premier moyen doit être considéré comme tiré d’une erreur d’appréciation, et non d’une erreur manifeste d’appréciation. En effet, s’il est vrai que le Conseil dispose d’un certain pouvoir d’appréciation pour déterminer au cas par cas si les critères juridiques sur lesquels se fondent les mesures restrictives en cause sont remplis, il n’en reste pas moins que les juridictions de l’Union doivent assurer un contrôle, en principe complet, de
la légalité de l’ensemble des actes de l’Union (voir arrêt du 6 septembre 2023, Pumpyanskiy/Conseil, T‑291/22, non publié, EU:T:2023:499, point 40 et jurisprudence citée).
31 Par ailleurs, il convient de rappeler que l’effectivité du contrôle juridictionnel garanti par l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») exige notamment que, au titre du contrôle de la légalité des motifs sur lesquels est fondée la décision d’inscrire ou de maintenir le nom d’une personne ou d’une entité sur les listes de personnes visées par des mesures restrictives, le juge de l’Union s’assure que cette décision, qui revêt une portée
individuelle pour cette personne ou cette entité, repose sur une base factuelle suffisamment solide. Cela implique une vérification des faits allégués dans l’exposé des motifs qui sous-tend ladite décision, de sorte que le contrôle juridictionnel ne soit pas limité à l’appréciation de la vraisemblance abstraite des motifs invoqués, mais porte sur la question de savoir si ces motifs, ou, à tout le moins, l’un d’eux considéré comme suffisant en soi pour soutenir cette même décision, sont étayés
(arrêt du 13 septembre 2023, Synesis/Conseil, T‑97/21 et T‑215/22, non publié, EU:T:2023:531, point 35).
32 C’est, en effet, à l’autorité compétente de l’Union qu’il appartient, en cas de contestation, d’établir le bien-fondé des motifs retenus à l’encontre de la personne ou de l’entité concernée et non à ces dernières d’apporter la preuve négative de l’absence de bien-fondé desdits motifs (voir arrêt du 13 septembre 2023, Synesis/Conseil, T‑97/21 et T‑215/22, non publié, EU:T:2023:531, point 37 et jurisprudence citée).
33 Si l’autorité compétente de l’Union fournit des informations ou des éléments de preuve pertinents, le juge de l’Union doit vérifier l’exactitude matérielle des faits allégués au regard de ces informations ou éléments et apprécier la force probante de ces derniers en fonction des circonstances de l’espèce et à la lumière des éventuelles observations présentées, notamment, par la personne ou l’entité concernée à leur sujet (voir arrêt du 13 septembre 2023, Synesis/Conseil, T‑97/21 et T‑215/22, non
publié, EU:T:2023:531, point 38 et jurisprudence citée).
34 Il convient également de constater que les motifs relatifs au profit que la requérante tire du régime de Loukachenko et au soutien de celui-ci sont fondés sur les critères prévus à l’article 4, paragraphe 1, sous b), de la décision 2012/642, disposition à laquelle renvoie l’article 2, paragraphe 5, du règlement no 765/2006, étant précisé qu’il ressort de l’article 4, paragraphe 1, sous b), de la décision 2012/642 que le « soutien » au régime de Loukachenko et le « profit » tiré de ce régime sont
des critères d’inscription distincts sur les listes en cause (voir arrêt du 18 octobre 2023, Belaz-upravljajusaja kompanija holdinga Belaz Holding/Conseil, T‑533/21, non publié, EU:T:2023:657, point 40 et jurisprudence citée).
35 En l’espèce, en premier lieu, s’agissant du motif tiré du soutien de la requérante au régime de Loukachenko, au premier paragraphe des motifs mentionnés au point 9 ci-dessus, il est fait état de ce que la requérante est une entreprise d’État unique de l’industrie métallurgique en Biélorussie et l’une des plus grandes entreprises du pays et de ce que, en tant que telle, elle représente une source importante de revenus pour le régime de Loukachenko, dont celui-ci tire directement profit.
36 Ce motif est fondé sur le critère du « soutien » au régime de Loukachenko prévu à l’article 4, paragraphe 1, sous b), de la décision 2012/642, disposition à laquelle renvoie l’article 2, paragraphe 5, du règlement no 765/2006.
37 Il y a donc lieu d’examiner, dans un premier temps, si les éléments factuels avancés par le Conseil exposés au point 35 ci-dessus sont établis et, le cas échéant, dans un second temps, s’ils relèvent de l’article 4, paragraphe 1, sous b), de la décision 2012/642.
38 D’une part, s’agissant du caractère établi de ces éléments factuels, tout d’abord, il est constant que la requérante appartient à l’État, la totalité de son capital étant détenue par la République de Biélorussie.
39 En outre, il ressort du dossier du Conseil que la requérante est reconnue par le président Loukachenko comme l’un des « vaisseaux amiraux » de la Biélorussie, qui figure parmi les cinq plus grandes entreprises du pays et qui exporte sa production dans plus de 60 pays dans le monde. Cette affirmation du président Loukachenko trouve appui dans l’article publié sur le site Internet « belta.by » de l’agence de presse nationale publique de la République de Biélorussie le 3 juillet 2021 figurant au
dossier du Conseil, selon lequel « [l]e secteur manufacturier de Biélorussie […] détermine entièrement l’image, le statut du pays et représente le fondement de sa souveraineté économique et politique » et qui désigne la requérante comme étant une « entreprise industrielle géante ». De surcroît, la requérante affirme qu’elle employait 11633 personnes au 30 septembre 2023, qu’elle fait partie des principaux exportateurs biélorusses de produits sidérurgiques et que sa zone géographique d’exportation
couvrait auparavant plus de 100 pays dans le monde, y compris plusieurs États membres de l’Union.
40 Enfin, dans ses écritures, la requérante affirme qu’elle a versé des dividendes à l’État biélorusse à hauteur de 2817224,38 roubles biélorusses (BYN) (environ 1171208,27 euros) au titre de l’année 2018, 0 BYN au titre de l’année 2019, 406004,70 BYN (environ 146265,83 euros) au titre de l’année 2020, 1432841,5 BYN (environ 476819,1 euros) au titre de l’année 2021 et 1741862,61 BYN (environ 632737,33 euros) au titre de l’année 2022. Du reste, la requérante ne conteste pas avoir payé, en 2021, ainsi
qu’il ressort de l’élément de preuve no 3 du dossier du Conseil, premièrement, un impôt sur le revenu d’un montant de 11,6 millions de dollars américains (USD), deuxièmement, des contributions au fonds de protection sociale d’un montant de 27,9 millions d’USD et, troisièmement, une taxe foncière sur le bâti et le non‑bâti d’un montant de 6,78 millions d’USD.
41 Partant, le Conseil n’a pas commis d’erreur en considérant que la requérante est une entreprise d’État unique de l’industrie métallurgique en Biélorussie et l’une des plus grandes entreprises du pays et que, en tant que telle, elle représente une source importante de revenus pour le régime de Loukachenko, dont ce dernier tire directement profit.
42 D’autre part, s’agissant de l’argumentation de la requérante tirée de ce que les éléments exposés aux points 38 à 40 ci-dessus ne démontrent pas l’existence d’un « soutien au régime » au sens de l’article 4, paragraphe 1, sous b), de la décision 2012/642, il convient de rappeler que, comme il ressort des considérants 1 à 5 et 8 de la décision 2012/642, les mesures restrictives à l’encontre de la Biélorussie ont été prises et prolongées du fait du non-respect persistant, dans ce pays, des droits
de l’homme, de la démocratie et de l’État de droit. Ces mesures sont, de ce fait, dirigées contre les personnes responsables de fraudes et d’atteintes aux normes électorales internationales à l’occasion de certaines procédures électorales ou référendaires en Biélorussie ainsi qu’à l’encontre des personnes responsables de violations graves des droits de l’homme et de la répression exercée à l’égard de manifestants pacifiques après lesdites procédures.
43 En outre, ainsi qu’il résulte du considérant 6 de la décision 2012/642, étant donné la gravité de la situation, des mesures ont également été imposées à l’encontre, notamment, des personnes et des entités qui profitent du régime de Loukachenko ou le soutiennent, en particulier les personnes et entités le soutenant financièrement ou matériellement.
44 Ainsi, en consacrant, à l’article 4, paragraphe 1, sous b), de la décision 2012/642, le soutien au régime de Loukachenko en tant que critère justifiant l’inscription d’un nom sur les listes en cause, le Conseil, au vu de la gravité et de la persistance de la violation des droits de l’homme, de la démocratie et de l’État de droit ainsi que de la répression à l’égard de la société civile et de l’opposition démocratique en Biélorussie, a entendu accroître la pression exercée sur ledit régime en
élargissant le cercle des personnes et des entités visées par les mesures restrictives de l’Union. À ce titre, le Conseil a prévu la possibilité d’appliquer des mesures de gel de fonds et des ressources économiques aux personnes et aux entités qui soutiennent le régime de Loukachenko et, en particulier, celles qui le soutiennent financièrement (voir, en ce sens, arrêts du 18 octobre 2023, MAZ-upravljajusaja kompanija holdinga Belavtomaz/Conseil, T‑532/21, non publié, EU:T:2023:656, point 60, et
du 18 octobre 2023, Belaz-upravljajusaja kompanija holdinga Belaz Holding/Conseil, T‑533/21, non publié, EU:T:2023:657, point 57).
45 À la lumière de ces considérations, il convient de relever que, contrairement à ce que soutient la requérante, le Conseil ne s’est pas seulement appuyé sur la circonstance qu’elle appartient à l’État biélorusse pour considérer qu’elle soutient le régime de Loukachenko, ainsi qu’il ressort des points 39 et 40 ci-dessus.
46 En effet, il y a lieu d’observer que, aux termes du considérant 6 de la décision 2012/642, le critère du soutien prévu à l’article 4, paragraphe 1, sous b), de la décision 2012/642 vise « en particulier » les personnes ou les entités soutenant financièrement le régime de Loukachenko.
47 Il en découle que la notion de « soutien au régime » comprend d’autres formes de soutien que le soutien politique au régime de Loukachenko (voir, en ce sens, arrêt du 21 février 2024, Grodno Azot et KhimvoloknoPlant/Conseil, T‑117/22, non publié, sous pourvoi, EU:T:2024:112, point 52).
48 À cet égard, en ce qui concerne le versement de dividendes, il y a lieu de rappeler que la circonstance selon laquelle la requérante, à savoir une entreprise appartenant à l’État biélorusse et réalisant des bénéfices, verse des dividendes à l’État biélorusse en tant qu’unique actionnaire, qui sont dès lors à la disposition du régime de Loukachenko, permet d’établir qu’elle constitue une source de revenus pour ce même régime et de démontrer l’existence d’un soutien financier (voir, en ce sens,
arrêts du 18 octobre 2023, MAZ-upravljajusaja kompanija holdinga Belavtomaz/Conseil, T‑532/21, non publié, EU:T:2023:656, point 72, et du 18 octobre 2023, Belaz-upravljajusaja kompanija holdinga Belaz Holding/Conseil, T‑533/21, non publié, EU:T:2023:657, point 69).
49 Il est vrai que le Tribunal a jugé, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 6 octobre 2015, Chyzh e.a./Conseil (T‑276/12, non publié, EU:T:2015:748, point 169), que le Conseil ne saurait inférer du simple paiement d’impôts un « soutien au régime », dans la mesure où un tel paiement constitue une obligation légale applicable à l’ensemble des contribuables biélorusses.
50 Toutefois, en l’espèce, l’argument de la requérante tiré de l’assimilation des dividendes aux impôts au sens de la jurisprudence citée au point 49 ci-dessus ne saurait être retenu.
51 En effet, il ressort du paragraphe 1-1 de l’édit no 637 que les entreprises sur lesquelles pèse l’obligation de verser une part des bénéfices à l’État ou à des entités infraétatiques sont celles dont l’État ou lesdites entités déterminent les décisions. Ainsi, cette obligation ne concerne qu’une catégorie délimitée d’opérateurs économiques, et non l’ensemble des contribuables biélorusses (voir, en ce sens, arrêts du 18 octobre 2023, MAZ-upravljajusaja kompanija holdinga Belavtomaz/Conseil,
T‑532/21, non publié, EU:T:2023:656, point 79, et du 18 octobre 2023, Belaz-upravljajusaja kompanija holdinga Belaz Holding/Conseil, T‑533/21, non publié, EU:T:2023:657, point 76).
52 En outre, aux termes du paragraphe 1-2 de l’édit no 637, la part du bénéfice des entreprises concernées qui doit être obligatoirement versée aux autorités publiques biélorusses est calculée à partir de la différence entre le bénéfice réalisé et, notamment, les charges d’impôts et de taxes. Par conséquent, le versement dont il s’agit est formellement distinct des impôts et s’ajoute à ceux-ci. Le fait que, comme il ressort du paragraphe 3-1 dudit édit, le recouvrement de cette part du bénéfice
relève de la compétence de l’administration fiscale, suivant les procédures fiscales pertinentes, n’est pas susceptible de remettre en cause ce constat (voir, en ce sens, arrêts du 18 octobre 2023, MAZ-upravljajusaja kompanija holdinga Belavtomaz/Conseil, T‑532/21, non publié, EU:T:2023:656, point 80, et du 18 octobre 2023, Belaz-upravljajusaja kompanija holdinga Belaz Holding/Conseil, T‑533/21, non publié, EU:T:2023:657, point 77).
53 Partant, la circonstance selon laquelle la requérante est tenue de verser ses bénéfices à l’État en vertu de l’édit no 637 ne contredit pas l’appréciation selon laquelle elle soutient financièrement le régime de Loukachenko. Au contraire, un tel élément confirme ladite appréciation dès lors que, par ce même édit, ledit régime a accru le contrôle qu’il exerçait déjà, en tant qu’unique actionnaire, sur les ressources de requérante en s’assurant de disposer régulièrement des bénéfices qu’elle
réalise (voir, en ce sens, arrêts du 18 octobre 2023, MAZ-upravljajusaja kompanija holdinga Belavtomaz/Conseil, T‑532/21, non publié, EU:T:2023:656, point 81, et du 18 octobre 2023, Belaz-upravljajusaja kompanija holdinga Belaz Holding/Conseil, T‑533/21, non publié, EU:T:2023:657, point 78).
54 Dès lors, c’est sans commettre d’erreur d’appréciation que le Conseil a estimé que les éléments de preuve et les faits analysés ci-dessus relatifs aux dividendes que la requérante verse au régime de Loukachenko constituaient des éléments lui permettant de considérer qu’elle avait apporté du soutien à celui-ci au sens de l’article 4, paragraphe 1, sous b), de la décision 2012/642.
55 En ce qui concerne par ailleurs les versements d’impôts, il y a lieu de relever que, pour considérer que la requérante soutient le régime, le Conseil a également tenu compte des montants considérables des impôts versés par la requérante à l’État biélorusse.
56 À cet égard, il est vrai qu’il a déjà été jugé, dans l’arrêt du 6 octobre 2015, Chyzh e.a./Conseil (T‑276/12, non publié, EU:T:2015:748, point 169), que le Conseil ne saurait inférer du simple paiement d’impôts un « soutien au régime », dans la mesure où un tel paiement constitue une obligation légale applicable à l’ensemble des contribuables biélorusses (voir point 49 ci-dessus). Néanmoins, il y a lieu de préciser que la situation dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt était différente de
celle de l’espèce, dans la mesure où était en cause le soutien du régime par des personnes physiques et des personnes morales privées, qui sont soumises à l’obligation de payer des impôts en tant qu’« obligation légale applicable à l’ensemble des contribuables biélorusses ».
57 En outre, la Cour a jugé que la qualification d’impôt ou de dividende au titre duquel les sommes sont versées au gouvernement n’est pas déterminante pour identifier un « appui au gouvernement ». En effet, dans l’un et l’autre cas, il s’agit de sommes versées à l’État par une entité publique telle que celle en cause, en application d’une réglementation étatique imposant ce versement. Exclure de tels versements de cette notion d’« appui au gouvernement », au seul motif que les sommes dues sont
qualifiées d’impôts, pourrait permettre de contourner les règles de l’Union par une augmentation du taux d’imposition des bénéfices, réalisés par de telles entités, en contrepartie d’une diminution du montant des dividendes, dont le paiement au profit de l’État est imposé à toutes les sociétés publiques par la législation nationale (voir, par analogie, arrêt du 12 mai 2016, Bank of lndustry and Mine/Conseil, C‑358/15 P, non publié, EU:C:2016:338, point 80).
58 En l’espèce, il convient de rappeler, ainsi qu’il ressort du point 38 ci-dessus, qu’il est constant que la requérante est, à la différence des personnes en cause dans l’arrêt du 6 octobre 2015, Chyzh e.a./Conseil (T‑276/12, non publié, EU:T:2015:748), une personne morale publique qui appartient à l’État, la totalité de son capital étant détenue par la République de Biélorussie.
59 À cet égard, à la différence de ceux des personnes physiques et morales privées, l’État peut disposer des revenus et des profits de la requérante en utilisant à la fois des instruments de droit public, comme les impôts, et des instruments dérivés du droit de la propriété, comme les dividendes. La forme sous laquelle les ressources de la requérante seront transférées à l’État dépend également de ce dernier, en tant que législateur et propriétaire. Pour ce qui concerne les ressources reçues pour
soutenir le régime, il importe peu que l’État les reçoive sous forme d’impôts payés par une entreprise publique ou sous forme de dividendes, c’est-à-dire sous la forme d’une participation au bénéfice de cette entreprise après impôts. En effet, compte tenu du fait que la requérante est entièrement détenue par l’État biélorusse, il en résulte que, en l’absence d’éléments de preuve contraires dans le dossier, elle ne fixe pas indépendamment de l’État biélorusse ses décisions en ce qui concerne le
soutien financier qu’elle fournit au régime.
60 De plus, ainsi qu’il ressort des motifs d’inscription du nom de la requérante sur les listes en cause, celle-ci « est une entreprise d’État unique de l’industrie métallurgique en Biélorussie et l’une des plus grandes entreprises du pays » et, « [e]n tant que telle, elle représente une source importante de revenus pour le régime de Loukachenko ». Il s’ensuit que tous les revenus ou profits générés par la requérante sont susceptibles d’être versés à l’État, indépendamment de la forme qu’un tel
soutien pourrait revêtir.
61 Par conséquent, s’agissant d’une entreprise dont la totalité du capital est détenue par l’État, le paiement des dividendes, ainsi que des impôts, peut être pris en considération pour établir si elle représente une source importante de revenus pour le régime dans le cadre de l’analyse de l’éventuel soutien à ce régime. Or, en l’espèce, en 2021, ainsi qu’il ressort de l’élément de preuve no 3 du dossier du Conseil, dont les données chiffrées ne sont pas contestées par la requérante, celle-ci a
versé, premièrement, un impôt sur le revenu d’un montant de 11,6 millions d’USD, deuxièmement, des contributions au fonds de protection sociale d’un montant de 27,9 millions d’USD et, troisièmement, une taxe foncière sur le bâti et le non‑bâti d’un montant de 6,78 millions d’USD.
62 Dès lors, il y a lieu de conclure que le Conseil n’a pas commis d’erreur d’appréciation en considérant que la requérante constitue une source importante de revenus pour le régime de Loukachenko ainsi que pour l’État biélorusse qui tire directement profit de ces revenus et que, par conséquent, elle soutient le régime de Loukachenko au sens de l’article 4, paragraphe 1, sous b), de la décision 2012/642.
63 En second lieu, s’agissant du motif tiré de ce que la requérante a tiré profit du régime de Loukachenko, figurant dans le premier paragraphe des motifs mentionnés au point 9 ci-dessus, il est fait état de ce que la requérante bénéficie d’importantes subventions publiques et d’un soutien politique du régime de Loukachenko et de ce que son directeur général a été personnellement nommé par le président Loukachenko.
64 Ce motif est fondé sur le critère du « profit » tiré du régime de Loukachenko prévu à l’article 4, paragraphe 1, sous b), de la décision 2012/642, disposition à laquelle renvoie l’article 2, paragraphe 5, du règlement no 765/2006.
65 Il y a donc lieu d’examiner, dans un premier temps, si les éléments factuels avancés par le Conseil exposés au point 63 ci-dessus sont établis et, le cas échéant, dans un second temps, s’ils relèvent de l’article 4, paragraphe 1, sous b), de la décision 2012/642.
66 S’agissant, d’une part, de l’exactitude matérielle des faits, il convient, premièrement, de relever qu’il ressort de l’article publié sur le site Internet « belta.by » de l’agence de presse nationale publique de la République de Biélorussie le 3 juillet 2021, figurant en tant qu’élément de preuve no 7 du dossier du Conseil, que, en 2023, le gouvernement biélorusse a décidé de compenser les pertes subies par une banque biélorusse sur les crédits à l’exportation accordés à la requérante, à hauteur
de 2,65 milliards de roubles russes (RUB) (environ 25 millions d’euros), avec un taux d’intérêt s’élevant à 2/3 du taux directeur de la Banque centrale de Russie et sous réserve d’une assurance contre les risques à l’exportation ou d’une assurance contre les risques à l’exportation avec soutien de l’État. À cet égard, si la requérante, qui ne conteste pas cette circonstance, fait valoir que le soutien de l’État a été reçu non par elle-même, mais par une banque, il n’en demeure pas moins qu’elle
s’avère avoir été la bénéficiaire finale de l’aide en cause, qui lui a permis de ne pas subir la charge financière d’un prêt d’un montant important, par ailleurs octroyé à des conditions préférentielles et avec le soutien de l’État.
67 Dans le même sens, il ressort d’un article de presse du 19 février 2021 tiré du site Internet du média « Nasha Niva », figurant en tant qu’élément de preuve no 33 du dossier du Conseil, qu’une partie des dettes de la requérante a été transférée à l’État et convertie en dette publique, alors que la société rencontrait des difficultés à honorer ses crédits ou faire face à ses échéances d’emprunt. À cet égard, si la requérante fait valoir que cet élément de preuve repose sur des données « non
fondées concernant un prétendu mystérieux soutien de l’État », il n’en demeure pas moins qu’il suffit à corroborer l’existence d’un soutien financier de la part de l’État biélorusse.
68 Deuxièmement, dans des publications figurant sur le site officiel de la requérante s’agissant de ses états financiers consolidés pour les années 2017 à 2019, figurant en tant qu’éléments de preuve nos 10 à 12 du dossier du Conseil, il est fait état de ce qu’elle a perçu, de 2016 à 2019, plusieurs subventions publiques importantes, pour des montants de 21976000 BYN (environ 6 millions d’euros), de 42790000 BYN (environ 12 millions d’euros), de 24525000 BYN (environ 7 millions d’euros) et de
24683000 BYN (environ 7 millions d’euros). Ces éléments de preuve sont corroborés par l’article publié sur le site Internet « belta.by » de l’agence de presse nationale publique de la République de Biélorussie le 22 décembre 2021, figurant en tant qu’élément de preuve no 18 du dossier du Conseil, dans lequel est reprise une déclaration du président Loukachenko selon laquelle la requérante avait reçu un « soutien public majeur ».
69 À cet égard, si la requérante indique que ces subventions ont été assorties de conditions strictes pour le développement du complexe de construction mécanique de la République de Biélorussie pour la période 2017‑2020, qui a pris fin en 2020, elle ne conteste pas leur versement et n’oppose aucun élément de preuve à ceux fournis par le Conseil. Dans ces conditions, elle reste en défaut de contester sérieusement l’existence et l’importance des subventions en cause. En outre, selon la jurisprudence,
la circonstance que les motifs d’inscription du nom du requérant sur les listes en cause aient fait référence à des faits qui se seraient produits avant l’adoption des actes attaqués et qui seraient terminés à cette date n’implique pas nécessairement l’obsolescence des mesures restrictives maintenues à l’égard de la personne ou de l’entité visée par ces actes. En effet, afin d’établir que la requérante profite du régime du président Loukachenko ou soutient celui-ci, une telle référence ne
saurait, par principe, être considérée comme dépourvue de pertinence au seul motif que certains agissements relèvent d’un passé plus ou moins éloigné (voir, en ce sens, arrêts du 12 février 2020, Boshab/Conseil, T‑171/18, non publié, EU:T:2020:55, point 84 et jurisprudence citée, et du 7 juin 2023, Shakutin/Conseil, T‑141/21, non publié, EU:T:2023:303, point 163).
70 Troisièmement, il ressort d’un article publié sur le site Internet « lidergoda.by », figurant en tant qu’élément de preuve no 13 du dossier du Conseil, que le directeur général de la requérante s’est vu décerner le grand prix de leader de l’année 2020, permettant d’attirer l’attention des consommateurs sur les produits et services de la requérante et de faire ressortir leur qualité élevée. Ce prix aurait été décerné sur décision d’un conseil d’expert, composé de représentants des milieux
d’affaires, des ministères et des services concernés ainsi que d’organisations publiques.
71 De même, ainsi qu’en atteste une publication sur le site officiel de la requérante, figurant en tant qu’élément de preuve no 14 du dossier du Conseil, celle-ci a obtenu un grand prix dans le cadre des prix récompensant les leaders de l’année en 2021. Ces prix bénéficieraient d’un soutien du ministère de l’Industrie et du ministère de la Santé et de l’Éducation biélorusses, ainsi que du Comité d’État pour la science et la technologie et de la Confédération républicaine de l’entrepreneuriat.
72 Dans le même sens, il ressort de l’élément de preuve no 17 du dossier du Conseil, contenant une publication sur le site de l’agence Gosstandart, laquelle, sans que cela soit contesté par la requérante, serait une agence du conseil des ministres biélorusse, que la requérante a obtenu le prix du meilleur produit décerné par cette agence.
73 Ces trois éléments de preuve concordants démontrent ainsi l’attribution à la requérante, par le régime biélorusse, de plusieurs récompenses qui, ainsi que le soutient à juste titre le Conseil, permettent à ce régime de donner son aval à l’activité de la requérante et de la promouvoir aux yeux du public, en attirant l’attention des consommateurs sur ses produits et services. Si la requérante soutient que ces distinctions, à l’échelle nationale, visent à promouvoir des produits fabriqués en
Biélorussie et non les siens en particulier et que les prix sont décernés par un conseil d’experts, il n’en demeure pas moins qu’une telle argumentation, qui se limite, en substance, à contester les modalités d’octroi du soutien qu’elle aurait reçu sans remettre en cause la réalité des circonstances relatées dans les éléments de preuve fournis par le Conseil, ne lui permet pas de contester l’existence, à son profit, de récompenses honorifiques octroyées par le régime au soutien de son activité.
74 Quatrièmement, il ressort d’un article publié sur le site « primepress.by », figurant en tant qu’élément de preuve no 8 du dossier du Conseil, que la nomination du directeur général de la requérante, ancien ministre adjoint de l’Industrie biélorusse, a été approuvée par le président Loukachenko en 2019. Or, une telle nomination, approuvée par le chef de l’État, d’un membre du gouvernement à la tête de la requérante suffit à établir l’existence d’un lien étroit entre celle-ci et le régime en
place, de même qu’une forme de soutien politique. Dans ces conditions, est dépourvue de pertinence l’argumentation de la requérante tirée de ce que, d’une part, ce changement de poste ne saurait être considéré comme une promotion et, d’autre part, un prétendu profit retiré du régime par son directeur général ne saurait prouver qu’elle retire elle-même un tel profit. En outre, bien que la requérante ajoute que le président de la République de Biélorussie ne ferait que valider la nomination de son
directeur général, ce qui n’équivaudrait pas à une nomination à proprement parler, il n’en demeure pas moins qu’une telle procédure atteste d’une approbation finale de cette nomination par le président, et, partant, par le régime.
75 Partant, il ressort de l’ensemble de ces considérations que le Conseil n’a pas commis d’erreur d’appréciation en estimant que la requérante avait bénéficié d’importantes subventions publiques et d’un soutien politique du régime de Loukachenko et que son directeur général avait été personnellement nommé par le président Loukachenko.
76 D’autre part, en ce qui concerne la question de savoir si les faits sur lesquels le Conseil s’est fondé caractérisent un « profit tiré du régime » par la requérante au sens de l’article 4, paragraphe 1, sous b), de la décision 2012/642, il convient de relever que, si celle-ci estime que tel n’est pas le cas, elle n’oppose aucun argument ou élément de preuve pertinent à cet égard.
77 En effet, ainsi qu’il ressort de ce qui est exposé aux points 66 à 69 ci-dessus, la requérante ne conteste pas avoir reçu les subventions en cause, mais soutient que l’octroi de ces subventions a été assorti de conditions strictes. Or, ceci ne remet pas en cause l’octroi effectif et le montant important desdites subventions et, partant, d’un soutien financier à son profit. De même, la requérante ne saurait considérer que la compensation par l’État des pertes subies par une banque biélorusse sur
les crédits à son exportation ne constitue pas un soutien financier du régime à son profit, dès lors qu’une telle mesure lui permet, grâce à l’État, de bénéficier d’un crédit à des conditions particulièrement avantageuses. Il est vrai que, lors de l’audience, la requérante a indiqué que cette mesure n’avait pas fait disparaître ses dettes, mais les avait temporairement suspendues. Toutefois, même à considérer cette allégation établie, sans que la requérante ait fourni le moindre élément de preuve
à cet égard, un allègement temporaire de son déficit constitue un soutien financier octroyé par le régime, ceci attestant qu’elle en tire profit.
78 En outre, s’agissant des prix décernés à la requérante, ainsi qu’il ressort des considérations exposées aux points 70 à 73 ci-dessus, celle-ci ne remet pas en cause le fait qu’elle a reçu les prix en question et ne fournit aucun élément de preuve susceptible de remettre en cause l’influence du régime dans l’attribution de ces prix. De plus, le fait que d’autres entreprises ont reçu des prix est sans influence sur le fait que la requérante en a reçu également et sur le caractère probant et
pertinent de cette circonstance au soutien de la démonstration d’un soutien commercial et politique du régime à son profit.
79 Enfin, s’agissant de l’élément de preuve no 8 du dossier du Conseil, mentionné au point 74 ci-dessus, il ressort de celui-ci que, en 2019, le président Loukachenko a donné son accord à la nomination d’un membre du gouvernement en tant que directeur général de la requérante. S’il n’est effectivement pas établi qu’il ait procédé à sa nomination, toutefois, la requérante n’a ni soutenu ni démontré que cet accord était facultatif, de sorte que cette approbation du président Loukachenko apparaît en
avoir été le préalable nécessaire, ceci attestant un lien étroit entre le régime et la direction de la société et, partant, une forme de soutien politique à son profit.
80 Il ressort de ce qui précède que c’est sans commettre d’erreur d’appréciation que le Conseil a estimé que la requérante avait bénéficié d’importantes subventions publiques et d’un soutien politique du régime de Loukachenko, et que son directeur général a été personnellement nommé par le président Loukachenko, ce qui constituait ainsi, pris ensemble, des éléments suffisants pour considérer qu’elle a tiré profit dudit régime au sens de l’article 4, paragraphe 1, sous b), de la décision 2012/642.
81 En outre, le Tribunal estime que les motifs relatifs au soutien du régime par la requérante et au profit qu’elle tire de celui-ci, qui sont suffisamment précis et concrets et sont exempts d’erreur d’appréciation, constituent en eux-mêmes un fondement suffisant pour justifier l’inscription de son nom sur les listes en cause.
82 À cet égard, il convient de rappeler que, eu égard à la nature préventive des mesures restrictives en cause, si, dans le cadre de son contrôle de la légalité des actes attaqués, le juge de l’Union considère que, à tout le moins, l’un des motifs mentionnés dans l’exposé en cause est suffisamment précis et concret, qu’il est étayé et qu’il constitue en soi un fondement suffisant pour soutenir ces actes, la circonstance selon laquelle d’autres de ces motifs ne le seraient pas ne saurait justifier
l’annulation desdits actes (voir arrêt du 18 octobre 2023, Belaz-upravljajusaja kompanija holdinga Belaz Holding/Conseil, T‑533/21, non publié, EU:T:2023:657, point 38 et jurisprudence citée).
83 Par conséquent, il convient de rejeter le premier moyen, sans qu’il soit besoin d’examiner les arguments de la requérante dirigés contre le motif justifiant les actes attaqués tiré de ce que la requérante est responsable de la répression de la société civile en Biélorussie, puisque la circonstance selon laquelle celui-ci ne serait pas étayé ne saurait emporter l’annulation de ces mêmes actes.
Sur le second moyen, tiré de la violation du droit de propriété et de la liberté d’entreprise
84 La requérante fait valoir que le gel de fonds qui lui est imposé constitue une restriction de l’usage des droits et libertés reconnus par la Charte et de leur contenu essentiel.
85 À cet égard, la requérante soutient que, en raison d’une erreur d’appréciation, les actes attaqués ne sont pas valables et que les limitations de ses droits fondamentaux découlant de ces actes sont dépourvues de toute base juridique en droit de l’Union et, partant, ne sont pas « prévues par la loi » au sens de l’article 52, paragraphe 1, de la Charte.
86 La requérante ajoute que les mesures restrictives adoptées à son égard ne sont ni nécessaires ni appropriées au regard de leur objectif. En effet, il n’y aurait pas de lien entre l’inscription de son nom sur les listes en cause et l’objectif des actes attaqués lié à la guerre en Ukraine, sans que lesdits actes fournissent une motivation à cet égard. Qui plus est, la requérante subirait des préjudices du fait de cette guerre et n’en profiterait pas.
87 En outre, la question de savoir si la requérante a fait usage de dérogations spécifiques à la mesure de gel de fonds ne saurait démontrer qu’elle ne serait pas affectée dans ses droits par les actes attaqués.
88 Enfin, la requérante soutient qu’aucune explication n’a été donnée sur la manière dont les mesures restrictives contestées contribueront à la réalisation de l’objectif des actes attaqués, ce qui représente une violation de l’obligation de motivation, du droit à un procès équitable et du droit à une protection juridictionnelle effective.
89 Le Conseil conteste l’argumentation de la requérante.
90 À titre liminaire, il convient de préciser que, lors de l’audience, la requérante a affirmé, d’une part, que les griefs tirés de la violation de l’obligation de motivation, du droit à un procès équitable et du droit à une protection juridictionnelle effective ne constituaient pas de nouveaux griefs distincts de ceux tirés de la violation du droit de propriété et de la liberté d’entreprise et, d’autre part, que, dans le cadre du présent moyen, elle n’avait pas invoqué le principe de
proportionnalité visé par l’article 5 TUE, mais s’appuyait sur la violation des articles 16, 17 et 52 de la Charte.
91 À cet égard, il convient de rappeler que le droit de propriété fait partie des principes généraux du droit de l’Union et est consacré à l’article 17 de la Charte. En outre, la liberté d’entreprise est consacrée à l’article 16 de la Charte.
92 En l’espèce, les mesures restrictives frappant la requérante constituent des mesures conservatoires, qui ne sont pas censées priver les personnes concernées de leur propriété ou de leur liberté d’entreprise. Toutefois, les mesures en cause entraînent incontestablement une restriction de l’usage du droit de propriété et affectent la liberté d’exercer une activité économique de la requérante (voir, en ce sens, arrêt du 30 novembre 2016, Rotenberg/Conseil, T‑720/14, EU:T:2016:689, point 167 et
jurisprudence citée).
93 Cependant, les droits fondamentaux invoqués par la requérante, à savoir la liberté d’entreprise et le droit de propriété, ne constituent pas des prérogatives absolues et peuvent en conséquence faire l’objet de limitations, dans les conditions énoncées à l’article 52, paragraphe 1, de la Charte (voir arrêt du 13 septembre 2018, Gazprom Neft/Conseil, T‑735/14 et T‑799/14, EU:T:2018:548, point 161 et jurisprudence citée).
94 À cet égard, il convient de rappeler que, aux termes de l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, d’une part, « [t]oute limitation de l’exercice des droits et libertés reconnus par la […] Charte doit être prévue par la loi et respecter le contenu essentiel desdits droits et libertés » et, d’autre part, « [d]ans le respect du principe de proportionnalité, des limitations ne peuvent être apportées que si elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus
par l’Union ou au besoin de protection des droits et libertés d’autrui ».
95 Ainsi, pour être conforme au droit de l’Union, une limitation de l’exercice des droits fondamentaux en cause doit répondre à une triple condition. Premièrement, la limitation doit être prévue par la loi. En d’autres termes, la mesure dont il s’agit doit avoir une base légale. Deuxièmement, la limitation doit viser un objectif d’intérêt général, reconnu comme tel par l’Union. Troisièmement, la limitation ne doit pas être excessive. D’une part, elle doit être nécessaire et proportionnelle au but
recherché. D’autre part, le « contenu essentiel », c’est‑à‑dire la substance, du droit ou de la liberté en cause ne doit pas être atteint (voir, en ce sens, arrêt du 30 novembre 2016, Rotenberg/Conseil, T‑720/14, EU:T:2016:689, points 170 à 173 et jurisprudence citée).
96 En l’espèce, ces trois conditions sont remplies.
97 En effet, s’agissant de la première condition, il convient de constater que les mesures restrictives en cause sont « prévues par la loi », car elles sont énoncées dans des actes ayant notamment une portée générale et disposant d’une base juridique claire en droit de l’Union, à savoir l’article 29 TUE, en ce qui concerne la décision d’exécution 2023/1592, et l’article 215 TFUE, en ce qui concerne le règlement d’exécution 2023/1591. Ces dispositions sont suffisamment prévisibles pour les intéressés
en ce qui concerne leur vocation à servir de bases juridiques pour l’adoption de mesures restrictives susceptibles de porter atteinte ou de limiter des droits fondamentaux (voir arrêt du 27 juillet 2022, RT France/Conseil, T‑125/22, EU:T:2022:483, point 149 et jurisprudence citée).
98 En outre, ainsi qu’il a été conclu dans le cadre de l’examen du premier moyen, le Conseil n’a pas commis d’erreur d’appréciation en inscrivant le nom de la requérante sur les listes en cause.
99 S’agissant de la deuxième condition, à l’égard de laquelle la requérante n’avance aucun argument, il convient de constater que les actes attaqués sont conformes, en ce qui concerne la requérante, à l’objectif visé à l’article 21, paragraphe 2, sous b) et c), TUE, à savoir celui de consolider et de soutenir la démocratie et l’État de droit et de préserver la paix, de prévenir les conflits et de renforcer la sécurité internationale.
100 S’agissant de la troisième condition, il y a lieu de rappeler que le principe de proportionnalité, en tant que principe général du droit de l’Union, exige que les actes des institutions de l’Union ne dépassent pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire à la réalisation des objectifs poursuivis par la réglementation en cause (voir arrêt du 14 juillet 2021, Cabello Rondón/Conseil, T‑248/18, EU:T:2021:450, point 123 et jurisprudence citée).
101 À cet égard, s’agissant du contrôle juridictionnel du respect du principe de proportionnalité, il convient de reconnaître un large pouvoir d’appréciation au législateur de l’Union dans des domaines qui impliquent de la part de ce dernier des choix de nature politique, économique et sociale et dans lesquels il est appelé à effectuer des appréciations complexes. Dès lors, seul le caractère manifestement inapproprié d’une mesure adoptée dans ces domaines, par rapport à l’objectif que l’institution
compétente entend poursuivre, peut affecter la légalité d’une telle mesure (voir arrêt du 14 juillet 2021, Cabello Rondón/Conseil, T‑248/18, EU:T:2021:450, point 124 et jurisprudence citée).
102 En ce qui concerne la possibilité de réaliser les objectifs poursuivis au moyen des mesures en cause, il convient de constater que, au regard d’objectifs d’intérêt général aussi fondamentaux pour la communauté internationale que ceux cités au point 99 ci-dessus, ces objectifs ne sauraient, en tant que tels, passer pour inadéquats (voir, en ce sens, arrêt du 15 novembre 2023, OT/Conseil, T‑193/22, EU:T:2023:716, point 199 et jurisprudence citée).
103 En outre, selon la jurisprudence, les inconvénients causés par les mesures restrictives ne sont pas démesurés par rapport aux objectifs poursuivis, compte tenu, d’une part, du fait que ces mesures présentent, par nature, un caractère temporaire et réversible et ne portent dès lors pas atteinte au « contenu essentiel » du droit de propriété et de la liberté d’entreprise et, d’autre part, du fait qu’il peut y être dérogé afin de couvrir les besoins fondamentaux, les frais de justice ou bien encore
les dépenses extraordinaires des personnes visées (arrêt du 21 février 2018, Klyuyev/Conseil, T‑731/15, EU:T:2018:90, point 182 ; voir également, en ce sens, arrêt du 27 juillet 2022, RT France/Conseil, T‑125/22, EU:T:2022:483, point 225).
104 À cet égard, il doit être rappelé que l’article 5, paragraphe 1, de la décision 2012/642 et l’article 3 du règlement no 765/2006 prévoient la possibilité d’autoriser le déblocage de certains fonds ou ressources économiques gelés pour que les personnes visées puissent faire face à des besoins fondamentaux ou satisfaire à certains engagements.
105 Enfin, il y a lieu de relever que l’importance de l’objectif poursuivi par les mesures restrictives contestées est de nature à justifier des conséquences négatives, même considérables, pour certains opérateurs qui n’auraient même aucune responsabilité quant à la situation ayant conduit à l’adoption des sanctions (voir arrêt du 6 mars 2024, BSW – management company of « BMC » holding/Conseil, T‑258/22, non publié, EU:T:2024:150, point 118 et jurisprudence citée).
106 Dans ces conditions, l’ingérence dans le droit de propriété et dans la liberté d’entreprise de la requérante ne saurait être considérée comme disproportionnée.
107 Il s’ensuit qu’il y a lieu de rejeter le second moyen.
108 Par conséquent, le premier moyen étant également rejeté, il y a lieu de rejeter le recours dans son intégralité.
Sur les dépens
109 Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.
110 La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions du Conseil.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (quatrième chambre)
déclare et arrête :
1) Le recours est rejeté.
2) AAT Byelorussian Steel Works – management company of « Byelorussian Metallurgical Company » holding (BSW – management company of « BMC » holding) est condamnée à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par le Conseil de l’Union européenne.
da Silva Passos
Półtorak
Cassagnabère
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 19 mars 2025.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : l’anglais.