Vu la requête sommaire, la requête sommaire rectificative et le mémoire ampliatif présentés pour la Compagnie des chemins de fer de l'Est, dont le siège est à Paris, rue d'Alsace, n° 23, lesdites requêtes et ledit mémoire enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, les 1er mai et 30 septembre 1901 et 4 octobre 1902, et tendant à ce qu'il plaise au Conseil annuler pour excès de pouvoir, un décret, en date du 1er mars 1901, publié au Journal officiel du 4 mars, et publié à nouveau avec rectifications au Journal officiel du 23 août, portant modification de l'ordonnance du 15 novembre 1846 relative à la police des chemins de fer ; Vu les lois du 11 juin 1842 article 9 et du 15 juillet 1845 article 21 ; et l'ordonnance du 25 novembre 1846 ; Vu la loi du 24 mai 1872, article 9 ;
Sur la fin de non recevoir opposée par le ministre des Travaux publics et tirée de ce que le décret du 1er mars 1901, étant un règlement d'administration publique, ne serait pas susceptible d'être attaqué par la voie du recours pour excès de pouvoir : Considérant qu'aux termes des lois des 11 juin 1842 art. 9 et 15 juillet 1845 art. 21 , des règlements d'administration publique déterminent les mesures et dispositions nécessaires pour garantir la police, la sûreté, la conservation, l'usage et l'exploitation des chemins de fer ; que les conclusions des Compagnies de chemin de fer tendent à faire décider que les dispositions édictées par le règlement d'administration publique du 1er mars 1901 excèdent les limites de la délégation donnée au Gouvernement par les lois précitées ;
Considérant qu'aux termes de l'article 9 de la loi du 24 mai 1872 le recours en annulation pour excès de pouvoir est ouvert contre les actes des diverses autorités administratives ;
Considérant que, si les actes du chef de l'Etat portant règlement d'administration publique sont accomplis en vertu d'une délégation législative et comportent en conséquence l'exercice dans toute leur plénitude des pouvoirs qui ont été conférés par le législateur au Gouvernement dans ce cas particulier, ils n'échappent pas néanmoins, et en raison de ce qu'ils émanent d'une autorité administrative, au recours prévu par l'article 9 précité ; que, dès lors, il appartient au Conseil d'Etat statuant au contentieux d'examiner si les dispositions édictées par le règlement d'administration publique rentrent dans la limite de ces pouvoirs ;
Sur le moyen tiré de ce que, la promulgation de l'ordonnance du 15 novembre 1846 ayant épuisé la délégation donnée au chef de l'Etat par les lois du 11 juin 1842 art. 9 et du 15 juillet 1845 art. 21 le décret du 1er mars 1901 n'aurait pu, en l'absence d'une délégation nouvelle du législateur, modifier les dispositions de ladite ordonnance : Considérant que, lorsque le chef de l'Etat est chargé par le législateur d'assurer l'exécution d'une loi par un règlement d'administration publique, ce mandat n'est pas en principe épuisé par le premier règlement fait en exécution de cette loi ; qu'en effet, à moins d'exception résultant de l'objet même de la délégation ou d'une disposition expresse de la loi, cette délégation comporte nécessairement le droit pour le Gouvernement d'apporter au règlement primitif les modifications que l'expérience ou des circonstances nouvelles ont révélé comme nécessaires pour assurer l'exécution de la loi ;
Sur le moyen tiré de ce que les dispositions de l'ordonnance du 15 novembre 1846 ayant servi de base au contrat intervenu entre l'Etat et les Compagnies, ne pouvaient pas être modifiées par l'Etat sans entente préalable avec ces dernières : Considérant que les pouvoirs de réglementation exercés par l'Etat en matière de chemins de fer, bien que rappelés expressément par l'article 33 du cahier des charges, dérivent, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, des lois des 11 juin 1842 et 15 juillet 1845 et non pas du contrat de concession lequel ne saurait faire obstacle à leur exercice ; qu'ainsi, en édictant le décret du 1er mars 1901, le Gouvernement a usé d'un droit qui lui appartenait ;
Considérant d'ailleurs que si les Compagnies requérantes se croient fondées à soutenir que les mesures prescrites par le décret attaqué introduisent dans les charges de l'exploitation des éléments qui n'ont pu entrer dans les prévisions des parties contractantes, et qu'il est porté atteinte aux conventions intervenues entre les parties, il leur appartient de porter telles réclamations que de droit devant le conseil de préfecture, compétent pour statuer sur les litiges en matière de concessions de travaux publics par application de la loi du 28 pluviôse an VIII ;
Sur la légalité des articles 2, 6, 7, 12, 15, 24, 43, 65 et 68 du décret du 1er mars 1901 : Considérant que les Compagnies requérantes soutiennent que les pouvoirs réglementaires de l'Administration ne pouvaient s'exercer que dans l'intérêt de la sécurité et qu'ainsi il ne lui appartenait ni de réglementer dans l'intérêt de l'hygiène ou de la commodité des voyageurs ni de régler les conditions du travail des agents, ni de se substituer à elles pour déterminer les installations nécessaires, le nombre des trains et la marche générale du service ;
En ce qui concerne les articles 6, 15 et 68 : Considérant que ces dispositions relatives à l'éclairage des tunnels, à l'hygiène publique et au travail de ceux des agents qui sont nécessaires à la sûreté de l'exploitation rentrent toutes dans les mesures intéressant la sécurité des voyageurs ; qu'ainsi les Compagnies ne sauraient en contester la légalité ;
En ce qui concerne les articles 12 et 24 : Considérant que l'Administration tient des articles précités des lois du 11 juin 1842 et du 15 juillet 1845 le pouvoir de réglementer tout ce qui touche à l'usage et à l'exploitation des chemins de fer ; que ce pouvoir comporte le droit de prescrire les mesures nécessaires pour la commodité des voyageurs, ainsi que l'avait déjà édicté, par le même article 12, l'ordonnance du 15 novembre 1846 ; qu'il suit de là que le décret du 1er mars 1901 a pu valablement imposer l'obligation de chauffer les voitures pendant la saison froide et conférer au ministre le soin de fixer le minimum de places affecté à chaque voyageur ;
En ce qui concerne l'article 7 : Considérant qu'à l'égard du matériel roulant n'appartenant pas aux Compagnies, le paragraphe 2 de l'article 7, rapproché du paragraphe 1er du même article, ne donne au ministre le droit de déterminer que les conditions techniques auxquelles le matériel doit satisfaire pour être admis à circuler sur leurs réseaux ; qu'ainsi cette disposition n'excède pas les pouvoirs appartenant au ministre des Travaux publics ;
En ce qui concerne l'article 43 : Considérant que les pouvoirs conférés au Gouvernement par les lois du 11 juin 1842 et du 15 juillet 1845 visent tout à la fois, comme il a été dit ci-dessus, la sécurité et l'exploitation ; qu'ils impliquent en conséquence, pour l'Administration, le droit non seulement d'approuver les horaires de trains au point de vue de la sécurité de la circulation, mais encore de prescrire à toute époque les modifications et additions nécessaires pour assurer dans l'intérêt du public la marche normale du service ; que l'article 43 du décret du 1er mars 1901 n'a fait au surplus que préciser à cet égard les droits que le même article 43 de l'ordonnance du 15 novembre 1846 avait attribués au ministre des Travaux publics. Qu'ainsi ces prescriptions rentraient dans les mesures qu'il appartenait au chef de l'Etat d'édicter par application des lois précitées ; que d'ailleurs, au cas où, dans l'exercice des pouvoirs que lui confère ledit article 43, le ministre des Travaux publics porterait atteinte aux droits que les Compagnies tiennent de leur contrat, il leur appartiendrait de former devant le conseil de préfecture telles réclamations que de droit au sujet des charges extra-contractuelles qui leur auraient été imposées ;
En ce qui concerne les articles 2 et 65 : Considérant que le décret attaqué se borne à disposer que, si les installations des gares, leur personnel ou le matériel roulant sont insuffisants pour permettre à la Compagnie d'assurer dans les circonstances normales la marche régulière du service, en observant les conditions et délais déterminés par les règlements et tarifs, le ministre devra prendre les mesures nécessaires pour y pourvoir ; que ces prescriptions n'excèdent pas les pouvoirs que la loi a entendu conférer au Gouvernement dans l'intérêt de l'exploitation ;
DECIDE : Article 1er : Les requêtes susvisées des compagnies de chemins de fer du nord, d'Orléans, du midi, de l'Est, de l'Ouest sont rejetées. Article 2 : Expédition de la présente décision sera transmise au Ministre des Travaux publics.