Vu, 1°, sous le n° 144641, l'ordonnance en date du 21 janvier 1993 enregistrée le 25 janvier 1993 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, par laquelle le président de la cour administrative d'appel de Nancy a transmis au Conseil d'Etat, en application de l'article R. 75 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, la requête présentée à cette cour par la société Sofap-Marignan Immobilier ;
Vu la requête enregistrée le 18 janvier 1993 au greffe de la cour administrative d'appel de Nancy, présentée par la société SOFAP MARIGNAN Immobilier, dont le siège social est ... représentée par son président directeur général en exercice ; la société Sofap-Marignan Immobilier demande :
1°) l'annulation du jugement en date du 17 décembre 1992 par lequel le tribunal administratif de Lille a, à la demande de M. Michel Y... et autres, annulé d'une part la délibération du conseil municipal de Lille en date du 16 décembre 1991 ayant autorisé, pour permettre l'extension de l'Hôtel de ville, le maire de la ville à signer au profit de la société civile immobilière Desrousseaux un bail emphytéotique portant sur un terrain appartenant à la ville, et d'autre part l'arrêté du 26 mai 1992 du maire de Lille lui ayant délivré un permis de construire un immeuble permettant l'extension de l'Hôtel de ville, sur la parcelle donnée en bail emphytéotique ;
2°) le sursis à l'exécution de ce jugement ;
3°) la condamnation des demandeurs de première instance à lui verser la somme de 10.000 francs au titre de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu, 2°, sous le n° 145406, la requête sommaire et le mémoire complémentaire enregistrés les 17 février 1993 et 22 avril 1993 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la ville de Lille, représentée par son maire en exercice ; la ville de Lille demande au Conseil d'Etat ;
1°) d'annuler le jugement en date du 17 décembre 1992 par lequel le tribunal administratif de Lille a, à la demande de M. Michel Y... et autres, annulé d'une part la délibération en date du 16 décembre 1991 du conseil municipal de Lille autorisant, pour permettre l'extension de l'Hôtel de ville, le maire de Lille à signer au profit de la société civile immobilière Desrousseaux, un bail emphytéotique portant sur un terrain appartenant à la ville et d'autre part l'arrêté du 26 mai 1992 par lequel le maire de Lille a délivré à la société Sofap-Marignan Immobilier un permis de construire un immeuble permettant l'extension de l'Hôtel de ville, sur la parcelle donnée en bail emphytéotique ;
2°) d'ordonner le sursis à l'exécution de ce jugement ;
3°) de condamner les défendeurs à lui verser la somme de 20.000 francs au titre de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 ;
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu le code rural ;
Vu le code des communes ;
Vu le code de l'urbanisme ;
Vu la loi n° 88-13 du 5 janvier 1988 ;
Vu la loi du 10 juillet 1991, notamment son article 75-I ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M. Chabanol, Conseiller d'Etat,
- les observations de la SCP Peignot, Garreau avocat de la SA SOFAP-MARIGNAN Immobilier, de Me Odent avocat de M. Michel Y... et autres et de la SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, avocat de la commune de Lille,
- les conclusions de M. Arrighi de Casanova, Commissaire du gouvernement ;
Considérant que les requêtes susvisées sont dirigées contre le même jugement et concernent la même opération ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par une même décision ;
Considérant que, en vue d'étendre les locaux de l'hôtel de ville, le conseil municipal de la ville de Lille a, par délibération du 16 décembre 1991, autorisé le maire à signer avec la SCI Desrousseaux un bail emphytéotique mettant, pendant soixante cinq ans, des terrains dont la commune est propriétaire à la disposition de cette société, à charge pour cette dernière d'y réaliser un bâtiment destiné pour partie à l'extension de l'hôtel de ville, pour partie à abriter des bureaux privés, la société s'engageant à donner en location à la ville contre versement d'un loyer les surfaces répondant à ses besoins, et l'ensemble du bâtiment devant en fin de bail revenir à la ville ; que le permis de construire ce bâtiment a été délivré à la société Sofap-Marignan Immobilier, mandataire de la SCI Desrousseaux, par arrêté en date du 26 mai 1992 du maire de Lille ; que la ville de Lille et la société Sofap-Marignan Immobilier demandent l'annulation du jugement par lequel le tribunal administratif de Lille a annulé la délibération et le permis de construire susmentionnés ;
En ce qui concerne la délibération du 16 décembre 1991 :
Considérant qu'aux termes de l'article 13 de la loi susvisée du 5 janvier 1988 "II. Un bien immobilier appartenant à une collectivité territoriale peut faire l'objet, en faveur d'une personne privée, d'un bail emphytéotique prévu à l'article L. 451-1 du code rural, en vue de l'accomplissement, pour le compte de la collectivité territoriale, d'une mission de service public ou en vue de la réalisation d'une opération d'intérêt général relevant de sa compétence ..." ; que ces dispositions, qui étendent aux opérations qu'elles visent la possibilité pour une collectivité de consentir un bail emphytéotique sur les biens appartenant à son domaine privé ou public, n'excluent pas qu'un tel bail soit utilisé en vue de la réalisation d'un ouvrage mis à la disposition de la collectivité elle-même ;
Considérant, d'une part, qu'il est constant que le bail en cause répond aux conditions posées tant par l'article L. 451-1 du code rural que par les dispositions du paragraphe III de l'article 13 de la loi du 5 janvier 1988 qui définissent les conditions auxquelles doivent satisfaire les baux passés en application du paragraphe II du même article ; qu'il ne ressort pas du dossier que les clauses financières qu'il comporte révèleraient une dénaturation de l'objet d'une telle convention ; que si, contrairement aux dispositions de l'article L.451-5 du code rural, le bailleur a en l'espèce le droit de résilier unilatéralement la convention dans certaines hypothèses, une telle stipulation, exorbitante du droit commun, peut être insérée dans un bail souscrit en application des dispositions précitées de l'article 13 de la loi du 5 janvier 1988, sans que le contrat ainsi passé perde sa qualité de bail emphytéotique ; qu'enfin un tel bail peut valablement, compte tenu de l'objet qui lui est assigné par la loi, imposer au preneur des obligations tenant à l'utilisation qu'il fera du bien mis à sa disposition ;
Considérant qu'il suit de là que, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal administratif, le bail dont s'agit constitue, conformément à sa désignation, un bail emphytéotique dont la passation est autorisée par les dispositions précitées de l'article 13 de la loi du 5 janvier 1988 ;
Considérant d'autre part que, dans l'opération ainsi entreprise, la ville de Lille n'assurera pas la direction technique des actions de construction, ne deviendra propriétaire des ouvrages qu'au terme du bail, et ne jouera ainsi ni pendant la réalisation desdits ouvrages ni avant le terme fixé, le rôle de maître d'ouvrage ; que par suite l'opération en vue de laquelle a été passé le bail contesté ne présente pas, même si une partie des ouvrages répond aux besoins de la ville de Lille, le caractère d'une opération de travaux publics ; que c'est par suite à tort que le tribunal administratif s'est, pour annuler la délibération autorisant la passation du bail, fondé sur ce que ladite opération constituait en réalité un marché de travaux publics et ne pouvait être réalisée sur le fondement de l'article 13 de la loi du 5 janvier 1988 ;
Considérant qu'il appartient au Conseil d'Etat, saisi du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés en première instance à l'encontre de la délibération attaquée ;
Considérant en premier lieu que le moyen tiré de ce que la délibération ne désignerait pas le preneur manque en fait ; que la circonstance qu'à la date de cette délibération les formalités de constitution de la SCI Desrousseaux, preneur désigné, n'aient pas encore été achevées est sans influence sur la légalité de la délibération contestée ;
Considérant en second lieu que s'il résulte des dispositions de la loi du 12 juillet 1985 relative à la maîtrise d'ouvrage publique qu'il est interdit à un maître d'ouvrage public de se démettre de son rôle lorsqu'il fait édifier un ouvrage pour son compte, et que si l'ouvrage en cause répond pour partie aux besoins de la ville de Lille, cette dernière ne peut, ainsi qu'il vient d'être dit, être regardée comme maître d'ouvrage ; que par suite le moyen tiré de la violation des dispositions susmentionnées ne peut qu'être écarté ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la ville de Lille est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement en date du 17 décembre 1992, le tribunal administratif de Lille a annulé sa délibération du 16 décembre 1991 ;
En ce qui concerne le permis de construire délivré le 26 mai 1992 :
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal s'est fondé sur l'illégalité de la délibération susmentionnée pour prononcer l'annulation du permis de construire ;
Considérant qu'il appartient au Conseil d'Etat, saisi du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés en première instance à l'encontre du permis de construire attaqué ;
Considérant en premier lieu que si les demandeurs soutiennent que, la réalisation de la construction envisagée appelant la destruction d'arbres, la demande de permis de construire aurait dû être accompagnée d'une autorisation d'abattage d'arbres, il résulte des dispositions de l'article R.421-3-1 du code de l'urbanisme que la production d'une telle autorisation n'est exigée que pour les projets affectant un des espaces classés par le plan d'occupation des sols en application de l'article L.130-1 du même code ; qu'il est constant que tel n'est pas le cas du terrain sur lequel doit être édifiée la construction projetée ;
Considérant en deuxième lieu que, si l'un des demandeurs soutient que les plans accompagnant la demande de permis différaient des documents cadastraux, cette seule circonstance, à la supposer exacte, n'établit pas que l'autorité délivrant le permis de construire aurait commis, sur l'étendue et la consistance des droits de la société demandant ce permis, des erreurs affectant son droit à construire ;
Considérant en troisième lieu que le permis de construire contesté a été délivré après le retrait d'un précédent permis délivré quelques mois auparavant au même pétitionnaire pour le même projet ; que les circonstances de fait et de droit n'ayant pas changé entre la délivrance de l'une et l'autre des deux autorisations, l'autorité administrative n'avait pas à procéder à une nouvelle instruction avant de se prononcer à nouveau sur la demande dont elle était saisie ;
Considérant en quatrième lieu que ne sont soumises à la procédure de concertation instituée par la loi du 13 juillet 1991 que les opérations d'aménagement définies par l'article L.300-1 du code de l'urbanisme ; qu'aux termes de ce dernier article, "les actions ou opérations d'aménagement ont pour objet de mettre en oeuvre une politique locale de l'habitat, d'organiser le maintien, l'extension ou l'accueil des activités économiques, de favoriser le développement des loisirs et du tourisme, de réaliser des équipements collectifs, de lutter contre l'insalubrité, de sauvegarder ou de mettre en valeur le patrimoine bâti ou non bâti et les espaces naturels" ; que, même si elle a pour objet de réaliser un bâtiment qui sera partiellement consacré à la satisfaction de besoins publics, l'opération de construction envisagée ne peut être regardée comme une opération d'aménagement au sens de ces dispositions ; que par suite le moyen tiré de ce que le permis de construire ne pouvait être délivré qu'après déroulement d'une procédure de concertation doit être écarté ;
Considérant en cinquième lieu que, si certains demandeurs ont soutenu devant les premiers juges que le permis de construire accordé méconnaissait des règles de prospect, leur argumentation, tirée de ce que la construction envisagée porterait atteinte aux vues et commodités de l'immeuble qu'ils occupent, et méconnaîtrait des promesses qui leur auraient été faites sur ce point lors de sa construction, en 1962, ne fait état d'aucune disposition du plan d'occupation des sols que violerait le permis attaqué ; que par suite le moyen tiré de la méconnaissance des règles de prospect ne peut qu'être écarté ;
Considérant enfin que le bâtiment envisagé est doté d'un nombre de places de stationnement excédant celui qui résulte de l'article 12 du règlement du plan d'occupation des sols ; que par suite le moyen tiré de l'insuffisance du nombre de ces emplacements doit être écarté ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la société Sofap-Marignan Immobilier et la ville de Lille sont fondées à soutenir que c'est à tort que, par le jugement en date du 17 décembre 1992, le tribunal administratif de Lille a annulé le permis délivré le 26 mai 1992 ;
En ce qui concerne l'application des dispositions de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 :
Considérant qu'aux termes du I de l'article 75 de la loi du 10 juillet 1991, "Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées de ces mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation" ;
Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que la ville de Lille et la société Sofap-Marignan Immobilier, qui ne sont pas dans les présentes instances les parties perdantes, soient condamnées à payer aux défendeurs la somme qu'ils réclament au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
Considérant qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de condamner les défendeurs à payer à la ville de Lille et à la société Sofap-Marignan Immobilier les sommes qu'elles réclament au même titre ;
Article 1er : Les articles 2 et 3 du jugement du 17 décembre 1992 du tribunal administratif de Lille sont annulés.
Article 2 : Les demandes présentées au tribunal administratif de Lille par Mme X..., MM. Y..., Lecomte, Henneton, tendant à l'annulation de la délibération du conseil municipal de Lille en date du 16 décembre 1991, et les demandes présentées par Mme X..., MM. Z..., Lecomte, Henneton, l'association de défense des droits des riverains de l'Hôtel de ville et le syndicat des copropriétaires de l'ensemble immobilier du Beffroi, tendant à l'annulation du permis de construire délivré le 26 mai 1992 par le maire de Lille à la société Sofap-Marignan Immobilier sont rejetées.