Vu 1°), sous le n° 130 300, la requête, enregistrée au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat le 21 octobre 1991, présentée par la Fédération nationale des accidentés du travail et des handicapés, dont le siège est ..., représentée par son secrétaire général régulièrement mandaté ; la Fédération nationale des accidentés du travail et des handicapés demande au Conseil d'Etat l'annulation pour excès de pouvoir de l'article 2 du décret n° 91-877 du 3 septembre 1991 modifiant le tableau de maladies professionnelles n° 16 bis annexé au livre IV du code de la sécurité sociale, en tant que ce tableau ne mentionne le cancer broncho-pulmonaire primitif que "reconnu en relation avec" les goudrons de houille, les huiles de houille, les brais de houille et les suies de combustion du charbon ;
Vu 2°), sous le n° 131099, la requête enregistrée au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat le 5 novembre 1991 présentée par l'Association pour l'étude des risques du travail dont le siège est ..., représentée par son président et son vice-président régulièrement mandatés ; l'Association pour l'étude des risques du travail demande l'annulation pour excès de pouvoir de l'article 2 du décret n°91-877 du 3 septembre 1991, modifiant le tableau de maladies professionnelles n° 16 bis annexé au livre IV du code de la sécurité sociale, en tant que ce tableau ne mentionne le cancer broncho-pulmonaire primitif que "reconnu en relation avec" les goudrons de houille, les huiles de houille, les brais de houille et les suies de combustion du charbon ;
Vu 3°), sous le n° 131229, la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat le 6 novembre 1991 et le 4 mars 1992, présentés pour la Confédération générale du travail, dont le siège est ... (Seine-St-Denis) ; la Confédération générale du travail demande au Conseil d'Etat :
- d'annuler pour excès de pouvoir l'article 2 du décret n° 91-877 du 3 septembre 1991 modifiant le tableau de maladies professionnelles n° 16 bis annexé au livre IV du code de la sécurité sociale, en tant que ce tableau, d'une part ne mentionne le cancer broncho-pulmonaire primitif que "reconnu en relation avec" les goudrons de houille, les huiles de houille, les brais de houille et les suies de combustion du charbon, et d'autre part énumère limitativement les travaux susceptibles de provoquer le cancer broncho-pulmonaire primitif et les tumeurs bénignes ou malignes de la vessie ;
- de condamner l'Etat à lui verser une somme de 11 860 F au titre de l'article 75-I de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu le code de la sécurité sociale ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de Mme Roul, Maître des Requêtes,
- les observations de la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat du groupement information et de soutien des travailleurs immigrés et de la SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, avocat de la Confédération générale du travail,
- les conclusions de M. Bonichot, Commissaire du gouvernement ;
Considérant que les requêtes de la Fédération nationale des accidentés du travail et des handicapés, de l'Association pour l'étude des risques du travail et de la Confédération générale du travail sont dirigées contre des dispositions d'un même décret ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par une même décision ;
Sur l'intervention du groupe d'information et de soutien des travailleurs immigrés :
Considérant que le groupe d'information et de soutien des travailleurs immigrés a intérêt à l'annulation des dispositions attaquées par l'Association pour l'étude des risques du travail ; qu'ainsi, son intervention à l'appui de la requête présentée par cette association est recevable ;
Sur la légalité du décret attaqué :
Considérant que les moyens tirés d'irrégularités qui entacheraient les consultations préalables au décret attaqué et de l'insuffisance des contreseings, ne sont pas assortis de précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé ;
Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article L.461-2 du code de la sécurité sociale : "Des tableaux annexés aux décrets au Conseil d'Etat énumèrent les manifestations morbides d'intoxications aiguës ou chroniques présentées par les travailleurs exposés d'une façon habituelle à l'action des agents nocifs mentionnés par lesdits tableaux, qui donnent, à titre indicatif, la liste des principaux travaux comportant la manipulation ou l'emploi de ces agents. Ces manifestations morbides sont présumées d'origine professionnelle" ; qu'aux termes du troisième alinéa du même article : "D'autres tableaux peuvent déterminer des affections présumées résulter d'une ambiance ou d'attitudes particulières nécessitées par l'exécution des travaux limitativement énumérés" ;
Considérant qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que, en l'état des connaissances médicales existant à la date du 3 septembre 1991 à laquelle est intervenu le décret insérant le cancer broncho-pulmonaire et les tumeurs bénignes ou malignes de la vessie dans le tableau n° 16 bis relatif aux affections cancéreuses provoquées par les goudrons, huiles et brais de houille et par les suies de combustion de charbon, les auteurs de ce décret aient fait, en considérant ces maladies, non comme des intoxications aiguës ou chroniques présentées par les travailleurs exposés d'une façon habituelle à l'action d'agents nocifs, visées par les dispositions précitées du premier alinéa de l'article L.461-2 du code de la sécurité sociale, mais comme des affections présumées résulter d'une ambiance ou d'attitudes particulières au sens des dispositions précitées du troisième alinéa dudit article, une inexacte application de ces dispositions ; qu'il en résulte que la Confédération générale du travail n'est pas fondée à demander l'annulation de l'article 2 du décret du 3 septembre 1991 modifiant le tableau de maladies professionnelles n° 16 bis annexé au livre IV du code de la sécurité sociale, en tant que ce tableau comporte, conformément aux prescriptions du 3ème alinéa de l'article L. 461-2, une énumération limitative des travaux susceptibles de provoquer le cancer broncho-pulmonaire primitif et les tumeurs bénignes ou malignes de la vessie ;
Considérant en revanche que les dispositions du décret attaqué selon lesquelles le cancer broncho-pulmonaire primitif n'est une maladie professionnelle que s'il est "reconnu en relation avec" les goudrons, huiles et brais de houille et les suies de combustion de charbon ont été prises en méconnaissance du principe de présomption d'imputabilité posé par le troisième alinéa de l'article L.461-2 du code de la sécurité sociale ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article 75-I de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 :
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article 75-I de la loi susvisée du 10 juillet 1991, qui sont applicables au recours pour excès de pouvoir, et de condamner l'Etat à payer à la Confédération générale du travail la somme qu'elle demande au titre des sommes exposées par elle et non comprises dans les dépens ;
Article 1er : L'intervention du groupe d'information et de soutien des travailleurs immigrés est admise.
Article 2 : L'article 2 du décret n° 91-877 du 3 septembre 1991 modifiant le tableau des maladies professionnelles n° 16 bis annexé au livre IV du code de la sécurité sociale est annulé en tant que ce tableau ne mentionne le cancer broncho-pulmonaire primitif que s'il est "reconnu en relation avec" les goudrons de houille, les huiles de houille, les brais de houille et les suies de combustion du charbon.
Article 3 : L'Etat versera à la Confédération générale du travail une somme de 11 860 F au titre de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de la confédération générale du travail est rejeté.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la Fédération nationale des accidentés du travail et des handicapés, à l'Association pour l'étude des risques du travail, à la Confédération générale du travail, au groupe d'information et de soutien des travailleurs immigrés, au ministre d'Etat, ministre des affaires sociales, de la santé et de la ville et au Premier ministre.