Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 2 mai 1995 et 1er septembre 1995 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la société Cap Ile-de-France, dont le siège est ... ; la société Cap Ile-de-France demande au Conseil d'Etat d'annuler l'arrêt du 28 février 1995 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a, d'une part, annulé le jugement du 13 octobre 1993 du tribunal administratif de Paris qui avait annulé la décision du 27 avril 1992 du directeur départemental du travail et de l'emploi de la Seine-Saint-Denis, mettant à sa charge une somme de 235 152 F, à titre de pénalité, au motif qu'elle n'avait pas respecté, en 1991, les obligations pesant sur elle en matière d'emploi des travailleurs handicapés, ainsi que l'état exécutoire émis le 17 juin 1992 à son encontre pour le même montant, d'autre part, rejeté ses conclusions tendant à la décharge de cette pénalité et à ce que l'Etat soit condamné à lui payer une somme de 14 000 F au titre des frais exposé par elle et non compris dans les dépens ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code du travail ;
Vu la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 ;
Vu le décret n° 83-1025 du 28 novembre 1983 ;
Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M. Gervasoni, Maître des Requêtes,
- les observations de la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la société Cap Ile-de-France,
- les conclusions de M. Stahl, Commissaire du gouvernement ;
Considérant qu'aux termes de l'article L. 323-1 du code du travail, issu de la loi n° 87-517 du 10 juillet 1987 : "Tout employeur occupant au moins vingt salariés est tenu d'employer, à temps plein ou à temps partiel, des bénéficiaires de la présente section dans la proportion de 6 % de l'effectif total de ses salariés. Pour les entreprises à établissements multiples, cette obligation d'emploi s'applique établissement par établissement (...)" ; qu'aux termes du second alinéa de l'article L. 323-8-2 du même code : "Les employeurs mentionnés à l'article L. 323-1 peuvent s'acquitter de l'obligation instituée par cet article en versant au fonds pour l'insertion professionnelle des handicapés une contribution annuelle pour chacun des bénéficiaires de la présente section qu'ils auraient dû employer (...) ; qu'aux termes de l'article L. 323-8-6 : "Lorsqu'ils ne remplissent aucune des obligations définies aux articles L. 323-1, L. 323-8, L. 323-8-1 et L. 323-8-2, les employeurs mentionnés à l'article L. 323-1 sont astreints, à titre de pénalité, au versement au Trésor public d'une somme dont le montant est égal à celui de la contribution institué par l'article L. 323-8-2, majoré de 25 %, et qui fait l'objet d'un titre de perception émis par l'autorité administrative" ;
Considérant qu'il résulte des termes mêmes de l'article L. 323-8-6 que le versement au Trésor public auquel sont astreints à titre de pénalité les employeurs qui ne respectent aucune des obligations définies aux articles L. 323-1, L. 323-8, L. 323-8-1 et L. 323-8-2 a le caractère d'une sanction ; qu'ainsi, les décisions par lesquelles l'administration met à la charge des employeurs un tel versement doivent, en vertu de la loi du 11 juillet 1979, être motivées et, par suite, ne peuvent être prises qu'au terme de la procédure contradictoire prévue par l'article 8 du décret du 28 novembre 1983 ; qu'ainsi, en jugeant qu'il ressortait des dispositions précitées du code du travail que l'administration n'avait pas l'obligation de suivre une procédure contradictoire pour l'application de la pénalité prévue à l'article L. 323-8-6 et que la société Cap Ile-de-France ne pouvait donc utilement soutenir que la procédure suivie par l'administration pour mettre à sa charge, au titre de cette pénalité, une somme de 235 152 F avait été irrégulière, la cour administrative d'appel a entaché son arrêt d'erreur de droit ; que dès lors, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, cet arrêt doit être annulé ;
Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, par application de l'article 11 de la loi du 31 décembre 1987, de régler l'affaire au fond ;
Sur les conclusions dirigées contre la lettre du 27 avril 1992 :
Considérant que la lettre du 27 avril 1992, par laquelle le directeur départemental du travail et de l'emploi de la Seine-Saint-Denis, constatant que la société Cap Ile-de-France n'avait pas versé au fonds pour l'insertion professionnelle des handicapés la contribution annuelle pour chacun des bénéficiaires de l'obligation d'emploi qu'elle aurait dû employer, lui a enjoint de régulariser sa situation "dans les quinze jours", en versant à l'association de gestion de ce fonds une somme de 235 152 F, ne constituait que le premier acte de la procédure administrative pouvant éventuellement aboutir à l'émission du titre de perception prévu par l'article L. 323-8-6 du code du travail ; qu'elle ne constituait donc pas, par elle-même, une décision faisant grief, susceptible d'être déférée au juge administratif ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de son recours, que le ministre du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a admis la recevabilité des conclusions dirigées contre cette lettre et en a prononcé l'annulation ; qu'il y a lieu d'évoquer ces conclusions et de les rejeter comme non recevables ;
Sur les conclusions dirigées contre l'état exécutoire du 17 juin 1992 :
Considérant que les conclusions de la société Cap Ile-de-France contre la lettre du 27 avril 1992 devant, ainsi qu'il vient d'être dit, être rejetées, c'est à tort que, pour annuler l'état exécutoire du 17 juin 1992, le tribunal administratif s'est fondé sur ce qu'il devait être annulé par voie de conséquence de l'annulation de la lettre du 27 avril 1992 ;
Considérant, toutefois, qu'il appartient au Conseil d'Etat, saisi de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens présentés par la société Cap Ile-de-France devant le tribunal administratif de Paris à l'encontre de l'état exécutoire du 17 juin 1992 ;
Considérant que la société Cap Ile-de-France a été mise en demeure, par la lettre précitée du 27 avril 1992, de régulariser sa situation ; que, dès lors, le moyen tiré de ce que l'état exécutoire du 17 juin 1992 aurait été émis selon une procédure irrégulière, faute pour la société d'avoir pu faire valoir ses observations, ne peut qu'être écarté ;
Considérant qu'aux termes du I de l'article L. 323-4 du code du travail : "L'effectif total de salariés, visé au premier alinéa de l'article L. 323-1 est calculé selon les modalités définies à l'article L. 431-2 ; toutefois, les salariés occupant certaines catégories d'emplois exigeant des conditions d'aptitude particulières, déterminées par décret, ne sont pas décomptés dans cet effectif" ; qu'aux termes de l'article D. 323-3 du code du travail, issu du décret du 22 janvier 1988 : "Ne sont pas pris en compte dans l'effectif total de salariés visé à l'article L. 323-1 (1er alinéa) les salariés occupant les emplois qui relèvent des catégories d'emplois énumérées à la liste annexée au présent décret" ; qu'il résulte de ces dispositions que ne sont pas pris en compte dans l'effectif de l'entreprise ou de l'établissement en fonction duquel s'apprécie l'obligation d'emploi fixée par l'article L. 323-1 précité du code du travail les salariés qui occupent un emploi relevant de l'une des catégories d'emplois limitativement énumérées par la liste annexée à l'article D. 323-3 du code du travail et définies par référence expresse aux rubriques de la nomenclature des professions et catégories socio-professionnelles établie par l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) ;
Considérant que, dans la version de 1983 de cette nomenclature de l'INSEE, les vendeurs de rayon spécialisé de grand magasin ou de grande surface relevaient des rubriques 55-12 à 55-17, par le biais d'un commentaire figurant sous chacune de ces rubriques ; que la rubrique 55-10 intitulée "vendeurs de grand magasin" a été insérée dans la version de la nomenclature publiée en 1984, sans pour autant que les commentaires figurant sous les rubriques 55-12 à 55-17 aient été supprimés ; que, par suite, la rubrique 55-10 vise, depuis son insertion dans la nomenclature, les seuls vendeurs non spécialisés des grands magasins, la modification de son intitulé postérieurement à l'intervention du décret susmentionné du 22 janvier 1988, la rubrique visant depuis lors les vendeurs "polyvalents" des grands magasins, ayant eu pour seul objet de clarifier son contenu ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que les vendeurs de la société Cap Ile-de-France exercent leurs fonctions dans les rayons spécialisés en biens d'équipement ménager et en photographie des grandes surfaces et ne peuvent, par suite, être regardés comme des vendeurs de grand magasin au sens de la rubrique 55-10 figurant à la liste annexée à l'article D. 323-3 du code du travail ne devant pas être inclus dans l'effectif en fonction duquel s'apprécie l'obligation d'emploi de travailleurs handicapés ; que la société n'est, dès lors, pas fondée à soutenir, à l'appui de ses conclusions dirigées contre l'état exécutoire du 17 juin 1992, que les vendeurs en cause ne devaient pas être inclus dans l'effectif de ses salariés en fonction duquel a été appréciée son obligation d'emploi de travailleurs handicapés ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la société Cap Ile-de-France n'est pas fondée à demander la décharge de la somme de 235 152 F ayant fait l'objet de l'état exécutoire émis à son encontre le 17 juin 1992 ;
Sur les conclusions de la société Cap Ile-de-France tendant à l'application des dispositions de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 :
Considérant que les dispositions de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce que l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance la partie perdante, soit condamné à payer à la société Cap Ile-de-France la somme qu'elle demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris du 28 février 1995 et le jugement du tribunal administratif de Paris du 13 octobre 1993 sont annulés.
Article 2 : La demande présentée par la société Cap Ile-de-France devant le tribunal administratif de Paris, ainsi que les conclusions dont cette société a saisi la cour administrative d'appel de Paris, aux fins de remboursement des frais exposés par elle et non compris dans les dépens, sont rejetées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société Cap Ile-de-France et au ministre du travail et des affaires sociales.