Vu, enregistré le 20 juin 1997 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'arrêt du 17 juin 1997 par lequel la cour administrative d'appel de Nantes, avant de statuer sur l'appel du ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie dirigé contre le jugement du 23 janvier 1996 par lequel le tribunal administratif de Caen a condamné l'Etat à verser à l'organisme de gestion des écoles catholiques (OGEC) de Saint-Sauveur-le-Vicomte la somme de 170 365,99 F représentant l'intégralité de la part patronale de la cotisation afférente au régime de prévoyance des cadres dont cette association a fait l'avance de 1990 à 1993 et pendant les neuf premiers mois de 1994, a décidé, en application de l'article 12 de la loi du 31 décembre 1987 portant réforme du contentieux administratif, de transmettre le dossier de cet appel au Conseil d'Etat, en soumettant à son examen les questions suivantes :
1°) La contestation de l'organisme de gestion du collège privé de l'Abbaye de Saint-Sauveur-le-Vicomte, qui réclame à l'Etat le remboursement de cotisations, dont elle a fait l'avance, à un régime de prévoyance souscrit en faveur des maîtres d'un établissement d'enseignement privé sous contrat, a-t-elle pour objet des droits et obligations de caractère civil au sens des stipulations de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et, dans l'affirmative, les dispositions de l'article 107 de la loi de finances pour 1996 et du décret du 16 juillet 1996 pris pour son application, qui font rétroactivement obstacle au remboursement intégral des sommes avancées, portent-elles atteinte au droit à un procès équitable énoncé par les stipulations de l'article 6 de la convention susmentionnée ?
2°) La créance sur l'Etat de l'organisme de gestion du collège privé de l'Abbaye de Saint-Sauveur-le-Vicomte doit-elle être regardée comme un bien au sens des stipulationsde l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention susmentionnée et, dans l'affirmative, les dispositions de l'article 107 de la loi de finances pour 1996 et du décret du 16 juillet 1996 pris pour son application portent-elles atteinte au respect des biens garantis par ces stipulations ?
3°) Dans l'hypothèse où la créance de l'organisme de gestion du collège privé de l'Abbaye de Saint-Sauveur-le-Vicomte peut être regardée comme un bien, les dispositions de l'article 107 de la loi de finances pour 1996 et du décret du 16 juillet 1996 pris pour son application portent-elles atteinte au principe de non discrimination énoncé par l'article 14 de la convention susmentionnée dès lors qu'elles ont pour effet de traiter différemment les organismes de gestion créanciers selon que leurs droits à remboursement ont ou non été reconnus par une décision de justice passée en force de chose jugée ?
Vu, enregistrées les 4 et 19 novembre 1997, les observations du ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la Constitution, notamment son article 55 ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Vu la loi n° 59-1557 du 31 décembre 1959 modifiée ;
Vu la loi n° 95-1346 du 30 décembre 1995 ;
Vu la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987, notamment son article 12 ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M. Courtial, Maître des Requêtes,
- les conclusions de M. Touvet, Commissaire du gouvernement ;
1°) Aux termes des stipulations du 1 de l'article 6 de la convention européennede sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : "Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...)".
En vertu des dispositions de l'article 15 de la loi du 31 décembre 1959 modifiée, l'Etat, à qui incombe la rémunération des maîtres contractuels ou agréés des établissements d'enseignement privés sous contrat, doit supporter les charges sociales légalement obligatoires afférentes à ces rémunérations dans la mesure où le taux des cotisations n'excède pas ce qui est nécessaire pour assurer l'égalisation des situations entre ces maîtres et les maîtres titulaires de l'enseignement public. L'organisme de gestion d'un établissement d'enseignement privé sous contrat, qui a payé les cotisations patronales afférentes au régime de retraite et de prévoyance des cadres institué par la convention collective nationale du 14 mars 1947 dont bénéficient les maîtres ayant un statut de cadre, a saisi la juridiction administrative d'une demande tendant au remboursement, par l'Etat, de cette dépense.
Le litige est relatif aux relations financières entre l'Etat et l'organisme de gestion d'un établissement d'enseignement privé sous contrat en ce qui concerne la prise en charge de cotisations patronales de sécurité sociale. Il a pour objet une contestation portant sur des droits et obligations de caractère civil au sens des stipulations de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
2°) Il ressort de ces stipulations que l'Etat ne peut, sans les méconnaître, porter atteinte au droit de toute personne à un procès équitable en prenant des mesures législatives à portée rétroactive dont la conséquence est une modification des règles que le juge doit appliquer pour statuer sur des litiges dans lesquels l'Etat est partie sauf lorsque l'intervention de ces mesures est justifiée par des motifs d'intérêt général.
L'article 107 de la loi susvisée du 30 décembre 1995 dispose que : "Sous réserve des décisions de justice passées en force de chose jugée, les obligations de l'Etat tenant, pour la période antérieure au 1er novembre 1995, au remboursement aux organismes de gestion des établissements d'enseignement privés sous contrat de la cotisation sociale afférente au régime de retraite et de prévoyance des cadres, institué par la convention collective du 14 mars 1947 et étendu par la loi n° 72-1223 du 29 décembre 1972 portant généralisation de la retraite complémentaire au profit des salariés et anciens salariés, sont égales à la part de cotisations nécessaires pour assurer l'égalisation des situations prévue par l'article 15 de la loi n° 59-1557 du 31 décembre 1959 sur les rapports entre l'Etat et les établissements d'enseignement privés, modifiée par la loi n° 77-1285 du 25 novembre 1977 ; cette part est fixée par décret en Conseil d'Etat".
Ces dispositions ont pour objet, non de réduire rétroactivement les obligations financières de l'Etat à l'égard des organismes de gestion des établissements d'enseignement privés, mais d'en réaffirmer l'étendue telle qu'elle a été définie par les prescriptions de l'article 15 ajouté à la loi du 31 décembre 1959 par la loi du 25 novembre 1977 et de permettre ainsi un règlement des dettes de l'Etat à l'égard des organismes de gestion conforme à ces prescriptions.
L'article 107 précité de la loi du 30 décembre 1995, qui ne fait pas obstacle au droit des organismes de gestion de demander la compensation des conséquences du retard mis par le gouvernement à prendre les mesures nécessaires à une exacte application des prescriptions de l'article 15 de la loi du 31 décembre 1959 modifiée, ne peut être regardé comme portant atteinte au principe du droit à un procès équitable énoncé par les stipulations de l'article 6 de laconvention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
3°) Il résulte de ce qui précède que la fraction des cotisations sociales qui excède ce qui est nécessaire pour parvenir à l'égalisation des situations entre les maîtres de l'enseignement privé et les maîtres titulaires de l'enseignement public, au remboursement de laquelle l'organisme de gestion d'un établissement d'enseignement privé qui l'a acquittée ne détient pas un droit, ne constitue pas un bien dont l'article 107 précité de la loi du 30 décembre 1995 aurait eu pour effet de déposséder cette personne morale. Il suit de là que cette disposition législative ne peut être regardée comme portant atteinte au droit de toute personne physique ou morale au respect des ses biens énoncé par l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
4°) La réponse donnée à la troisième question rend sans objet pour la solution du litige la dernière question posée par la cour administrative d'appel de Nantes.
Le présent avis sera notifié à la cour administrative d'appel de Nantes, à l'organisme de gestion du collège privé de l'Abbaye de Saint-Sauveur-le-Vicomte et au ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.
Il sera publié au Journal officiel de la République française.