Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat les 13 février et 18 février 1997, présentés par M. Bruno-François X..., demeurant ... ; M. X... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 96-1026 du 26 novembre 1996 relatif à la situation des fonctionnaires de l'Etat et de certains magistrats dans les territoires d'outre-mer de Nouvelle-Calédonie, de Polynésie française et de Wallis-et-Futuna, en tant que ce décret limite à une durée de deux ans, renouvelable une fois, l'affectation dans ces territoires des professeurs agrégés exerçant leurs fonctions dans l'enseignement supérieur ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 5 000 F en application de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi n° 84-52 du 26 janvier 1984 ;
Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M. Pêcheur, Conseiller d'Etat,
- les conclusions de M. Combrexelle, Commissaire du gouvernement ;
Sur la légalité du décret n° 96-1026 du 26 novembre 1996 :
Considérant, en premier lieu, que le défaut de visa de la loi n° 84-52 du 26 janvier 1984 sur l'enseignement supérieur est, en tout état de cause, sans influence sur la légalité du décret attaqué ;
Considérant, en second lieu, que l'article 2 du décret attaqué limite à une durée de deux ans, renouvelable une fois, l'affectation des fonctionnaires de l'Etat dans les territoires d'outre-mer de Nouvelle-Calédonie, de Polynésie française et de Wallis-et-Futuna et que l'article 3-2° exonère de cette obligation les membres des corps d'enseignants chercheurs régis par le décret n° 84-431 du 6 juin 1984, ainsi que des corps de chercheurs régis par le décret n° 83-1260 du 30 décembre 1983 ; que, lorsqu'ils sont affectés dans un établissement d'enseignement supérieur, les professeurs agrégés ne cessent pas pour autant d'appartenir à ce corps ; que, par suite, le requérant ne saurait utilement se prévaloir de ce que le décret attaqué aurait méconnu le principe d'égalité de traitement des agents publics en n'incluant pas les professeurs agrégés dans la liste des corps bénéficiant de la dérogation instituée à son article 3 ;
Considérant, en troisième lieu, qu'aux termes de l'article 3, 1er alinéa, de la loi susvisée du 26 janvier 1984 : "Le service public de l'enseignement supérieur est laïc et indépendant de toute emprise politique, économique, religieuse ou idéologique ; il tend à l'objectivité du savoir ; il respecte la diversité des opinions. Il doit garantir à l'enseignement et à la recherche leurs possibilités de libre développement scientifique, créateur et critique ..." ; et qu'aux termes de l'article 57 de la même loi : "Les enseignants-chercheurs, les enseignants et les chercheurs jouissent d'une pleine indépendance et d'une entière liberté d'expression dans l'exercice de leurs fonctions d'enseignement et de leurs activités de recherche, sous les réserves que leur imposent, conformément aux traditions universitaires et aux dispositions de la présente loi, les principes de tolérance et d'objectivité" ; que si les principes d'indépendance ainsi énoncés bénéficient, dans l'exercice de leurs fonctions, aux professeurs agrégés affectés dans les établissements d'enseignement supérieur régis par la loi du 26 janvier 1984, comme à tous les personnels enseignants de ces établissements, mentionnés à l'article 54 de cette même loi, ces principes ne font pas obstacle à ce que, par le décret attaqué, le gouvernement ait pu, eu égard à la spécificité des conditions de service dans les territoires d'outre-mer et aux exigences du bon fonctionnement des services publics, limiter la durée d'affectation dans ces territoires des professeurs agrégés ainsi que des autres catégories de fonctionnaires définies à l'article 1er dudit décret ; que ni la fixation d'une durée d'affectation de deux ans, ni la possibilité ouverte à l'administration de reconduire cette affectation pour une durée de deux ans, ne sont, en ellesmêmes, de nature à compromettre l'indépendance du service public de l'enseignement supérieur et la liberté d'expression des personnels enseignants qui lui sont affectés ;
Considérant, en quatrième lieu, que si l'article 20, 4e alinéa, de la loi susmentionnée du 26 janvier 1984 dispose, s'agissant des établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel : "Ils sont autonomes. Exerçant les missions qui leur sontconférées par la loi, ils définissent leur politique de formation, de recherche et de documentation dans le cadre de la réglementation nationale et dans le respect de leurs engagements contractuels", ces dispositions ne font pas obstacle à ce que le gouvernement, dans l'exercice des pouvoirs qu'il tient de la Constitution, définisse les obligations statutaires des fonctionnaires affectés dans ces établissements et, si les nécessités du service l'exigent, limite la durée de leur affectation, dès lors qu'aucun principe de leur statut ne s'oppose à cette limitation ;
Considérant en dernier lieu que, si les articles 32 et 33 de la loi susvisée du 26 janvier 1984 fixent à une durée de 5 ans, renouvelable une fois, le mandat des directeurs des unités de formation et de recherche, des instituts et des écoles faisant partie des universités, ces dispositions, qui sont relatives à l'organisation du service, sont sans conséquence quant à la détermination des droits et obligations statutaires des personnels enseignants ayant vocation à exercer ces fonctions de direction ; que, dès lors, le moyen tiré de ce que le décret attaqué aurait méconnu les dispositions des articles 32 et 33 susmentionnés, est inopérant ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. X... n'est pas fondé à demander l'annulation du décret attaqué ;
Sur les conclusions de M. X... tendant à l'application des dispositions de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 :
Considérant que les dispositions de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce que l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, soit condamné à payer à M. X... la somme qu'il demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;
Article 1er : La requête de M. X... est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. Bruno-François X..., au Premier ministre, au ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie et au ministre de l'intérieur.