Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaires, enregistrés les 18 août et 18 décembre 1992, présentés pour la société QUILLERY, dont le siège est ... et la société BOPP-DINTZER-WAGNER, dont le siège est ... ; la société QUILLERY et la société BOPP-DINTZERWAGNER demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler sans renvoi l'arrêt du 11 juin 1992 par lequel la cour administrative de Nancy n'a fait que partiellement droit à leur demande tendant, en premier lieu, à l'annulation du jugement du 18 décembre 1990 par lequel le tribunal administratif de Nancy a rejeté comme irrecevable leur demande tendant à ce que l'Etat leur verse les intérêts moratoires sur le montant des pénalités qui leur ont été retenues et la somme de 15 527 270,12 F avec intérêts de droit et capitalisation en réparation du préjudice subi du fait du bouleversement du marché concernant le centre hospitalier de Neufchâteau, en second lieu, à ce que leur demande soit déclarée recevable et à la condamnation de l'Etat à leur verser lesdites sommes, en troisième lieu, à ce qu'il soit jugé que la réfaction de 187 000 F HT effectuée par le maître de l'ouvrage n'est pas justifiée et que le terme du délai contractuel doit être fixé au 30 janvier 1982, date de réception de l'ouvrage ;
2°) de condamner l'Etat, au besoin après expertise, à leur verser la somme de 15 527 270,12 F HT, soit 18 260 069 F TTC, avec intérêts moratoires et capitalisation des intérêts ;
3°) de condamner l'Etat à leur verser les intérêts moratoires sur la somme de 2 099 172,38 F TTC, lesdits intérêts moratoires portant intérêt au taux légal, eux-mêmes capitalisés ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi du 28 pluviôse an VIII ;
Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
Vu le code des marchés publics ;
Vu le code civil ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de Mlle Lagumina, Auditeur,
- les observations de la SCP Guiguet, Bachellier, Potier de la Varde, avocat de la société QUILLERY et de la société BOPP-DINTZER-WAGNER,
- les conclusions de M. Savoie, Commissaire du gouvernement ;
Considérant que, par l'arrêt attaqué du 11 juin 1992 rectifié par un arrêt du 10 décembre 1992, la cour administrative d'appel de Nancy a, d'une part, annulé le jugement du tribunal administratif de Nancy rejetant comme non recevable la demande des sociétés QUILLERY et BOPP-DINTZER-WAGNER tendant au paiement par l'Etat de diverses sommes en règlement du marché de construction du nouvel hôpital de Neufchâteau et, d'autre part, fait partiellement droit aux conclusions des sociétés ; que celles-ci demandent la réformation de l'arrêt en tant qu'il n'a fait que partiellement droit à leur demande cependant que, par la voie du pourvoi incident, le ministre du travail et des affaires sociales demande son annulation en tant qu'il n'a pas confirmé l'irrecevabilité opposée par le tribunal administratif ;
Sur les conclusions du ministre du travail et des affaires sociales :
Considérant que, pour rejeter comme tardives les conclusions des sociétés requérantes, le tribunal administratif s'est fondé sur ce qu'elles avaient été présentées après l'expiration du délai imparti par l'article 50-32 du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux ; que ce moyen qui n'est pas d'ordre public avait été soulevé uniquement par le centre hospitalier de Neufchâteau qui n'était pas partie au contrat dontl'exécution est contestée et n'avait pas été mis en cause par les sociétés requérantes ;
Considérant qu'en rejetant comme non recevables les conclusions du centre hospitalier tendant au rejet de l'appel des sociétés et à ce qu'elles soient condamnées à lui verser 30 000 F au titre des frais exposés et non compris dans les dépens après avoir annulé le jugement du tribunal administratif au motif que le centre n'avait pas été mis en cause par les requérantes ou par l'Etat, qu'il n'établissait ni devant le tribunal ni devant la cour que la décision à rendre sur la demande des sociétés était susceptible de préjudicier à ses droits et notamment comment les sommes demandées par elles pouvaient être mises à sa charge, la cour administrative d'appel n'a entaché son arrêt ni d'erreur de droit, ni de contradiction ; que, par suite et sans qu'il soit besoin de statuer sur la recevabilité de son pourvoi, le ministre du travail et des affaires sociales n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêt attaqué ;
Sur les conclusions des sociétés QUILLERY et BOPP-DINTZER-WAGNER, tendant à l'annulation de l'article 2 de l'arrêt attaqué en tant qu'il condamne l'Etat à leur payer la somme 542 412 F hors taxe :
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que les sociétés requérantes avaient présenté devant le tribunal administratif des demandes d'indemnités évaluées "hors taxes" et n'ont pas modifié ces demandes en appel ; que, dès lors, ces sociétés sont sans intérêt à se pourvoir contre l'arrêt attaqué, qui ne leur fait pas grief sur ce point, en tant qu'il leur alloue une indemnité hors taxe au titre de l'allongement de la durée du chantier et des travaux supplémentaires non prévus au contrat ;
Sur les conclusions tendant à l'annulation de l'article 2 de l'arrêt attaqué en tant que la condamnation de l'Etat à verser aux entreprises la somme de 542 412 F hors taxe est assortie des intérêts au taux légal :
Considérant qu'en assortissant des intérêts au taux légal la condamnation de l'Etat à verser aux entreprises requérantes une indemnité de 542 412 F hors taxe, alors qu'étaient applicables de droit les intérêts contractuels et que les parties n'en avaient pas disposé autrement, la cour administrative d'appel a entaché son arrêt sur ce point d'une erreur de droit ;
Considérant qu'aux termes de l'article 11 de la loi susvisé du 31 décembre 1987, le Conseil d'Etat, s'il prononce l'annulation d'une décision d'une juridiction administrative statuant en dernier ressort, peut "régler l'affaire au fond si l'intérêt d'une bonne administration de la justice le justifie" ; que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de régler l'affaire au fond ; Sur les intérêts et les intérêts des intérêts :
Considérant que la société QUILLERY et la société BOPP-DINTZERWAGNER ont droit aux intérêts de la somme de 542 412 F hors taxe à compter du 30 juin 1983 en application des dispositions des articles 13-42 et 13-43 du cahier des clauses administratives générales de 1976 applicables à la présente espèce ; que les sociétés ont demandé les 10 juillet 1985, 6 février 1991, 18 août 1992, 5 mai 1994, 24 mai 1995, 28 mai 1996 et 13 juin 1997 la capitalisation des intérêts afférents à l'indemnité que la cour administrative d'appel leur a accordée ; qu'à chacune de ces dates, dans la mesure où l'arrêt attaqué n'avait pas encore été exécuté, il était dû au moins une année d'intérêts ; que, dès lors, conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil, il y a lieu, sous la réserve sus-indiquée, de faire droit à ces demandes ;
Sur les conclusions tendant à l'annulation de l'arrêt attaqué en tant qu'il rejette la demande des sociétés requérantes tendant à la nomination d'un expert aux fins d'établir le bien-fondé de leur réclamation sur divers chefs de préjudice :
Considérant qu'en écartant les conclusions des sociétés tendant à la nomination d'un expert afin d'établir le bien-fondé de leur réclamation au motif qu'elles ne produisaient aucun commencement de preuve susceptible d'être communiqué à l'homme de l'art, la cour administrative d'appel a porté sur les faits et les mémoires des parties soumis à son examen une appréciation souveraine qui n'est pas entachée de dénaturation ;
Sur les conclusions tendant à l'annulation de l'article 3 de l'arrêt attaqué :
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que les sociétés requérantes avaient demandé que l'Etat soit condamné à leur verser des intérêts moratoires sur une somme chiffrée sans une autre précision à 1 785 010,53 F correspondant à des pénalités retenues à tort ; que l'article 3 de l'arrêt attaqué, rectifié par l'arrêt du 10 décembre 1992, fait droit à ces conclusions ; qu'ainsi, les sociétés requérantes ne sont pas recevables à en demander l'annulation au motif que la somme de 1 785 010,53 F ne comporterait pas la taxe à la valeur ajoutée ;
Considérant que les demandes de capitalisation des intérêts présentés les 10 juillet 1985 et 6 février 1991 ne portaient pas sur les sommes dues au titre des pénalités retenues à tort mais sur les sommes dues au titre de l'allongement de la durée du chantier et des travaux supplémentaires ; que, dès lors, en n'accordant pas la capitalisation des intérêts dus au titre des pénalités retenues à tort la cour n'a pas entaché son arrêt d'omission de statuer ;
Sur l'application des dispositions de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 :
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 et de condamner l'Etat à verser aux sociétés requérantes la somme de 15 000 F au titre des frais exposés par elles et non compris dans les dépens ;
Article 1er : L'article 2 de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Nancy en date du 11 juin 1992, rectifié par l'arrêt du 10 décembre 1992, est annulé en tant qu'il statue sur les intérêts.
Article 2 : L'Etat est condamné à verser à la société QUILLERY et à la société BOPPDINTZER-WAGNER les intérêts au taux contractuel sur la somme de 542 412 F hors taxe à compter du 30 juin 1983. Les intérêts afférents à cette indemnité et échus les 10 juillet 1985, 6 février 1991, 18 août 1992, 5 mai 1994, 24 mai 1995 et 28 mai 1996 seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la société QUILLERY et de la société BOPPDINTZER-WAGNER est rejeté.
Article 4 : Le pourvoi incident du ministre de l'équipement, du logement, des transports et du tourisme est rejeté.
Article 5 : L'Etat est condamné à payer à la société QUILLERY et à la société BOPPDINTZER-WAGNER la somme totale de 15 000 F au titre de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991.
Article 6 : La présente décision sera notifiée à la société QUILLERY, à la société BOPPDINTZER-WAGNER, au centre hospitalier de Neufchâteau et au ministre de l'emploi et de la solidarité.