Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 13 juillet et le 15 novembre 1993, présentés pour la VILLE DE SAINT ETIENNE par son maire en exercice, dûment mandaté ; la VILLE DE SAINT ETIENNE demande au Conseil d'Etat d'annuler l'arrêt en date du 11 mai 1993 par lequel la cour administrative d'appel de Lyon, réformant le jugement du 8 août 1991 du tribunal administratif de Lyon, a condamné solidairement la VILLE DE SAINT ETIENNE et les sociétés Stribick et fils et Otra à verser à la société d'entreprise générale immobilière (SEGI), d'une part une indemnité de 1 821 880,90 F avec intérêts au taux légal à compter du 8 novembre 1985 capitalisés, en réparation des préjudices que l'aménagement défectueux de la place publique du Forum de Saint Etienne lui a occasionnés, d'autre part la somme de 10 000 F au titre des frais irrépétibles ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de Mme de Guillenchmidt, Conseiller d'Etat,
- les observations de la SCP Le Prado, avocat de la VILLE DE SAINT-ETIENNE,
- et de Me Blondel, avocat de la société d'entreprises générales (SEGI),
- les conclusions de Mme Bergeal, Commissaire du gouvernement ;
Considérant que par une convention du 22 décembre 1967, la VILLE DE SAINT-ETIENNE a concédé à la société d'économie mixte d'aménagement de la VILLE DE SAINT-ETIENNE (SEMASET) l'aménagement de la zone à urbaniser en priorité de Montreynaud ; que par un acte notarié signé les 5 et 8 juillet 1974 la SEMASET a vendu à la société d'entreprises générales immobilières (SEGI) ainsi qu'à la société "Garage central du forum" un terrain destiné à l'aménagement de boxes de stationnement ; que l'acte de vente comportait une servitude spéciale obligeant les sociétés acquéreurs à reconstituer le sol du terrain vendu en couvrant le bâtiment, édifié en souterrains, par une dalle plafond en béton armé étanche destinée à permettre l'aménagement d'une place piétonnière ouverte au public, laquelle devait être ensuite remise par la SEMASET à la ville ; que les sociétés acquéreurs s'engageaient à entretenir la dalle plafond et la SEMASET à veiller à l'entretien et au bon usage du dallage mis en place par ses soins ; que les travaux de construction des garages ont été réalisés par la société Stribick sous la direction de M. Y..., architecte et réceptionnés définitivement en 1973 ; qu'en 1976, la SEGI a vendu à la compagnie immobilière de la VILLE DE SAINT-ETIENNE (C.I.V.S.E.) les garages dont elle était propriétaire ; que de son côté la SEMASET a confié l'aménagement de l'esplanade en surface à M. Y..., au bureau d'études Otra, ainsi qu'à la société Stribick ; que ces derniers travaux ont été réceptionnés définitivement en 1976 ; que certains garages ayant été rendu inutilisables du fait d'infiltrations d'eau, la CIVSE en qualité d'acquéreur des garages a obtenu du juge judiciaire la condamnation de la SEGI en sa qualité de vendeur à réparer son préjudice sur le fondement de l'article 1641 du code civil ; que, saisi par la SEGI de conclusions tendant à la réparation du préjudice subi par elle du fait de l'ouvrage public constitué par l'esplanade de surface, le tribunal administratif de Lyon a condamné la VILLE DE SAINT-ETIENNE, propriétaire de l'ouvrage depuis la réception définitive, à verser à la SEGI une indemnité de 242 362,51 F augmentée des intérêts et de leur capitalisation ; qu'enfin par l'arrêt attaqué en date du 11 mai 1993 contre lequel la VILLE DE SAINT-ETIENNE se pourvoit en cassation, la cour administrative d'appel de Lyon a porté cette indemnité à 1 821 880,90 F et condamné solidairement avec la ville les sociétés Stribick et fils et Otra ;
Sur le fondement de la responsabilité retenue par l'arrêt attaqué à l'encontre de la VILLE DE SAINT-ETIENNE :
Considérant qu'après avoir constaté que les désordres occasionnés aux garages souterrains trouvaient leur origine dans un défaut de conception et de mise en oeuvre des dispositifs prévus lors de l'aménagement de la place publique du forum aux fins d'assurer la protection de l'étanchéité mise en place sur la dalle de couverture du parc de stationnement, la cour administrative d'appel de Lyon a exactement qualifié les faits en estimant que la SEGI, qui n'a pas participé aux travaux d'aménagement de la place publique et n'en retire aucun bénéfice, se trouve en situation de tiers par rapport aux travaux publics incriminés, en sa qualité de propriétaire du bâtiment privé qu'elle a fait édifier et d'un certain nombre de garages qu'elle a ensuite revendus ;
Sur le partage des responsabilités :
Considérant que c'est par une appréciation souveraine des faits de l'espèce que la cour, dont l'arrêt est suffisamment motivé sur ce point, a estimé que les conséquences des infiltrations dues à l'aménagement défectueux de l'ouvrage public n'étaient imputables à la SEGI que dans une proportion de 10 % et a fixé en conséquence le partage des responsabilités entre la ville et la SEGI ;
Sur les chefs de préjudice :
Considérant que le tribunal administratif de Lyon avait écarté des chefs de préjudice une somme de 1 705 714 F que la société SEGI avait été condamnée par la cour d'appel de Lyon à verser à la CIVSE et à la société des garages du forum au motif que cette somme ne correspondait pas au préjudice subi par les propriétaires des garages endommagés du fait des défectuosités de l'ouvrage public mais "ainsi qu'il ressortait clairement du rapport d'expertise de M. X..., au coût des travaux qui sont nécessaires pour mettre fin aux désordres affectant l'ouvrage public lui-même et auxquels ni les propriétaires des garages endommagés ni la société requérante ne peuvent procéder eux-mêmes" ; que pour réformer sur ce point ledit jugement, la cour administrative d'appel a estimé "que contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, la circonstance que les travaux nécessaires pour mettre fin aux désordres ne peuvent être réalisés qu'après dépose du revêtement de l'ouvrage public que constitue la place du forum ne fait pas en soi obstacle à ce qu'une indemnité égale au coût desdits travaux soit allouée à la requérante" ; qu'en retenant ainsi, des dépenses relatives à la réfection de l'ouvrage public lui-même la cour a commis une erreur de droit ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'arrêt attaqué doit être annulé en tant qu'il inclut des frais de réfection de la place du forum dans le montant de l'indemnité mise à la charge de la VILLE DE SAINT-ETIENNE, seule à avoir formé un pourvoi en cassation ; que dans les circonstances de l'affaire, il y a lieu de renvoyer dans cette limite à la cour administrative d'appel de lyon le jugement de l'appel de la SEGI ; qu'en revanche, il y a lieu de rejeter le surplus des conclusions de la VILLE DE SAINT-ETIENNE ;
Sur l'application de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 :
Considérant que les dispositions de cet article font obstacle à ce que la VILLE DE SAINT-ETIENNE qui n'a pas dans la présente instance la qualité de partie perdante soit condamnée à verser à la SEGI la somme de 30 000 F que celle-ci réclame au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
Article 1er : L'arrêt susvisé du 11 mai 1993 de la cour administrative d'appel de Lyon est annulé en tant qu'il condamne la VILLE DE SAINT-ETIENNE à verser à la SEGI une indemnité comportant les frais de réfection de l'ouvrage public constitué par la place du forum.
Article 2 : Dans les limites de l'article 1er du présent arrêt, le jugement de l'appel de la SEGI est renvoyé à la cour administrative d'appel de Lyon.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la VILLE DE SAINT-ETIENNE est rejeté.
Article 4 : Les conclusions de la SEGI tendant à l'application de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la VILLE DE SAINT-ETIENNE, à la SEGI et au ministre de l'intérieur.