Vu la requête enregistrée le 22 novembre 1993 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour M. Jacques Y... demeurant ... en Polynésie Française (98700) ; M. Y... demande que le Conseil d'Etat :
1°) annule l'arrêt en date du 24 septembre 1993 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation du jugement du 22 octobre 1991 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser une indemnité de 10 000 000 F en réparation du préjudice causé par la décision du 7 juin 1984 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice, a fixé à 5 600 000 F la valeur des parts détenues par le requérant dans l'office notarial "Jacques Y... - Dominique X..." ;
2°) annule le jugement susrappelé du tribunal administratif de Paris ;
3°) condamne l'Etat à lui verser une somme de 10 000 000 F avec les intérêts de droit à compter du 20 juillet 1988, et la capitalisation de ceux-ci à la date du 22 novembre 1993 ;
4°) condamne l'Etat à lui verser une somme de 20 000 F sur le fondement des dispositions de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 modifiée relative à la motivation des actes administratifs et à l'amélioration des relations entre l'administration et le public ;
Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
Vu le décret n° 67-868 du 2 octobre 1967 ;
Vu le décret n° 83-1025 du 28 novembre 1983 concernant les relations entre l'administration et les usagers ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Vu le décret n° 63-766 du 30 juillet 1963 modifié par le décret n° 88-905 du 2 septembre 1988 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de Mme de Silva, Maître des Requêtes,
- les observations de la SCP de Chaisemartin, Courjon, avocat de M. Y...,
- les conclusions de M. Lamy, Commissaire du gouvernement ;
Considérant que, par l'arrêt attaqué, la cour administrative d'appel de Paris a relevé "qu'à supposer même que la décision du 7 juin 1984 eût été entachée dans ses motifs d'erreur de droit" relative au coefficient multiplicateur des produits demi-nets, "et d'erreur de fait" en ce qu'elle fait état d'une baisse sensible et continue du nombre d'actes et du montant des produits réalisés par l'office, "ces illégalités ne seraient de nature à justifier l'indemnisation d'un préjudice subi par M. Y... que pour autant que ladite décision soit entachée, compte-tenu de sa nature et de l'absence de conditions légales prévues par les textes applicables en ce qui concerne les paramètres à retenir pour l'évaluation, d'une erreur manifeste d'appréciation" ; que la cour a également relevé que "la décision du 7 juin 1984 ne peut être regardée comme entachée d'erreur manifeste d'appréciation et qu'ainsi son illégalité n'aurait pu être, en tout état de cause, susceptible de justifier l'indemnisation du préjudice que M. Y... prétend avoir subi en raison de la faute qu'elle aurait constitué" ; qu'en estimant ainsi que la responsabilité de l'Etat du fait d'une éventuelle illégalité de la décision du 7 juin 1984 ne pouvait être engagée qu'en cas d'erreur manifeste d'appréciation, la cour administrative d'appel de Paris a entaché son arrêt d'erreur de droit ; que M. Y... est par suite fondé à demander l'annulation de l'arrêt susvisé de la cour administrative d'appel de Paris en date du 24 septembre 1993 ;
Considérant qu'aux termes de l'article 11 de la loi susvisée du 31 décembre 1987, le Conseil d'Etat "s'il prononce l'annulation d'une décision d'une juridiction statuant en dernier ressort, ... peut ... régler l'affaire au fond, si l'intérêt d'une bonneadministration de la justice le justifie" ; que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de régler l'affaire au fond ;
Considérant que M. Y..., en sa qualité d'ancien notaire associé au sein de la société civile professionnelle "Jacques Chardonnet- Dominique X..." demande la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 10 000 000 F en réparation du préjudice que lui aurait causé la décision du 7 juin 1984 du garde des sceaux, ministre de la justice, fixant à 5 600 000 F le prix de cession des parts sociales détenues par lui dans l'office notarial où il avait cessé d'exercer son activité ;
Considérant que la décision ministérielle précitée du 7 juin 1984 a été prise sur le fondement des dispositions du décret susvisé du 2 octobre 1967, lequel dispose, dans sa section II relative aux cessions et transmissions de parts sociales au sein des sociétés civiles professionnelles de notaires, en son article 27, alinéa 7, que le prix de cession et ses modalités de paiement sont fixés par les parties sous le contrôle du garde des sceaux, ministre de la justice, et précise en son article 28 que "Si les parties n'ont pu convenir du prix de cession, conformément aux dispositions de l'article 27, alinéa 7, ce prix est fixé par le garde des sceaux, ministre de la justice, après avis de la chambre départementale" ;
Considérant, en premier lieu, que la décision par laquelle le ministre de la justice fixe le prix de cession en application du quatrième alinéa de l'article 28, qui ne constitue pas une décision administrative individuelle défavorable, n'est pas au nombre des décisions soumises à motivation obligatoire en application de la loi du 11 juillet 1979 susvisée ; que, par suite, ladite décision n'est pas soumise aux dispositions de l'article 8 du décret du 28 novembre 1983 susvisé ; qu'aucune disposition législative ou réglementaire ni aucun principe n'obligeait le ministre, pour déterminer le prix de cession des parts de M. Y..., à mettre les intéressés à même de présenter leurs observations ; que, par suite, le requérant n'est pas fondé à soutenir que la décision aurait été prise au terme d'une procédure irrégulière et serait entachée de ce fait d'une illégalité de nature à entraîner la mise en cause de la responsabilité de l'Etat ;
Considérant, en deuxième lieu, que la décision ministérielle est notamment fondée sur une évaluation de l'actif social correspondant à la finance de l'office, elle-même calculée par l'application d'un coefficient 1,47 à la moyenne des produits demi-nets réalisés par l'office de 1977 à 1981 ; que si le requérant soutient que l'évaluation de cet actif social est erronée, il n'apporte pas d'élément probant à cet égard, notamment quant à l'allégation selon laquelle lesdits actifs n'auraient pas pu être tenus pour équivalents au capital social ; que le ministre a pu, sans erreur de droit, retenir un coefficient de 1,47 en se fondant sur l'importance des charges de l'office et sur la baisse sensible et continue du nombre d'actes et du montant des produits bruts, demi-nets et nets réalisés par l'office ; qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que le ministre se serait fondé sur des faits matériellement inexacts ou aurait entaché sa décision d'erreur manifeste d'appréciation ; que, dès lors, M. Y... n'est pas fondé à soutenir que la responsabilité de l'Etat serait engagée du fait de l'illégalité de ladite décision ;
Considérant, en troisième lieu, que les dispositions précitées du décret du 2 octobre 1967 n'impartissent aucun délai au ministre de la justice pour statuer ; que le requérant ne saurait utilement invoquer les dispositions de l'alinéa 1er de l'article 28 dudit décret aux termes desquelles "Dans le cas où la société refuse de consentir à la cession, elle dispose d'un délai d'un an ... pour notifier ... à l'associé qui persiste dans son intention de céder ses parts sociales un projet de cession ou d'achat de celles-ci", lesdites dispositions n'étant pas applicables au ministre de la justice lorsqu'il statue en application du 4ème alinéa de l'article 28 ; que, dans les circonstances de l'espèce, le ministre de la justice a justifié de démarches entreprises entre ladate à laquelle il a été saisi en vue de la fixation du prix de cession et l'intervention de la décision définitive ; qu'il ne résulte pas de l'instruction que la décision précitée en date du 7 juin 1984 ait été prise avec un retard anormal ; qu'il suit de là que M. Y... n'est pas fondé à invoquer de ce chef une faute susceptible d'engager la responsabilité de l'Etat ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. Y... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande ;
Sur les conclusions de M. Y... tendant à l'application de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 susvisée :
Considérant qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de condamner l'Etat à payer à M. Y... les sommes que celui-ci demande sur le fondement de ces dispositions ;
Article 1er : L'arrêt susvisé de la cour administrative d'appel de Paris en date du 24 septembre 1993 est annulé.
Article 2 : Les conclusions présentées par M. Y... devant la cour administrative d'appel de Paris et le surplus des conclusions de la requête de M. Y... sont rejetés.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. Jacques Y... et au garde des sceaux, ministre de la justice.