Vu la requête, enregistrée le 28 février 1996 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour M. Jean-Pierre X..., demeurant ... ; M. X... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux en date du 28 décembre 1995, d'une part, en tant que cet arrêt a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation de la décision du 30 mai 1990 par laquelle le maire de Châtellerault a mis fin à son contrat de professeur de violon, d'autre part, en tant que cet arrêt, réformant sur ce point le jugement du tribunal administratif de Poitiers en date du 18 mai 1994, a condamné la ville de Châtellerault à payer une indemnité de 10 000 F à M. X... ;
2°) statuant au fond, de condamner la ville de Châtellerault à lui payer une indemnité de 364 510 F majorée des intérêts ;
3°) de condamner la ville de Châtellerault à lui payer la somme de 12 000 F au titre de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 ; Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi n° 82-213 du 2 mars 1982, modifiée notamment par la loi n° 82-623 du 22 juillet 1982 ;
Vu la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984, modifiée ;
Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de Mlle Hédary, Auditeur,
- les observations de Me Guinard, avocat de M. Jean-Pierre X... et de la SCP Vincent, Ohl, avocat de la ville de Châtellerault,
- les conclusions de M. Stahl, Commissaire du gouvernement ;
Considérant qu'aux termes de l'article 3 de la loi du 26 janvier 1984, modifiée par la loi du 13 juillet 1987 et applicable au présent litige : "Les collectivités et établissements mentionnés à l'article 2 ne peuvent recruter des agents non titulaires pour occuper des emplois permanents que pour assurer le remplacement momentané de titulaires autorisés à exercer leurs fonctions à temps partiel ou indisponibles en raison d'un congé de maladie, d'un congé de maternité ou d'un congé parental, ou de l'accomplissement du service national, du rappel ou du maintien sous les drapeaux, ou pour faire face temporairement et pour une durée maximale d'un an à la vacance d'un emploi qui ne peut être immédiatement pourvu dans les conditions prévues par la présente loi./ Ces collectivités et établissements peuvent, en outre, recruter des agents non titulaires pour exercer des fonctions correspondant à un besoin saisonnier pour une durée maximale de six mois pendant une même période de douze mois et conclure pour une durée maximale de trois mois, renouvelable une seule fois à titre exceptionnel, des contrats pour faire face à un besoin occasionnel./ Des emplois permanents peuvent être occupés par des agents contractuels dans les mêmes cas et selon les mêmes conditions de durée que ceux applicables aux agents de l'Etat./ Toutefois, dans les communes de moins de 2000 habitants et dans les groupements de communes dont la moyenne arithmétique des nombres d'habitants ne dépasse pas ce seuil, des contrats peuvent être conclus pour une durée déterminée et renouvelés par reconduction expresse pour pourvoir des emplois permanents à temps non complet et correspondant à un nombre maximal d'heures de travail qui n'excède pas celui mentionné à l'article 107 de la présente loi." ; qu'aux termes des prescriptions de l'article 4 de la loi du 11 janvier 1984 rendues applicables aux agents territoriaux par l'article 3 précité de la loi du 26 janvier 1984 : "Les agents ainsi recrutés sont engagés par des contrats d'une durée maximale de trois ans qui ne peuvent être renouvelés que par reconduction expresse" ;
Considérant qu'il résulte des dispositions législatives précitées que les contrats passés par les collectivités et établissements publics territoriaux en vue de recruter des agents non-titulaires doivent, sauf disposition législative spéciale contraire, être conclus pour une durée déterminée et ne peuvent être renouvelés que par reconduction expresse ; que, par suite, dans le cas où, contrairement à ces prescriptions, le contrat de recrutement d'un agent non-titulairecomporte une clause de tacite reconduction, cette stipulation ne peut légalement avoir pour effet de conférer au contrat dès son origine une durée indéterminée ; que le maintien en fonction à l'issue du contrat initial a seulement pour effet de donner naissance à un nouveau contrat, conclu lui aussi pour une période déterminée et dont la durée est soit celle prévue par les parties, soit, à défaut, celle qui était assignée au contrat initial ;
Sur les conclusions du pourvoi tendant à l'annulation de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux en tant qu'il statue sur la légalité de la décision du 30 mai 1990 :
Considérant qu'il ressort du dossier soumis aux juges du fond que M. X... a été recruté par la commune de Châtellerault en qualité de professeur de violon par un contrat conclu pour l'année scolaire 1988-1989 et comportant une clause de tacite reconduction d'année en année ; qu'en exécution de cette clause, il est resté en fonction l'année scolaire suivante jusqu'à ce que, par décision du 30 mai 1990, le maire de Châtellerault mette fin à ses fonctions à compter du 31 août 1990 ; qu'en application des principes ci-dessus énoncés résultant des prescriptions de la loi du 26 janvier 1984, M. X... doit être regardé comme ayant bénéficié au cours de l'année scolaire 1989-1990 d'un nouveau contrat à durée déterminée conclu pour une année scolaire ; que, dès lors, par la décision attaquée du 30 mai 1990, le maire de Châtellerault doit être regardé comme n'ayant pas procédé au licenciement de M. X... mais comme s'étant borné à constater que le nouveau contrat liant ce dernier à la commune était arrivé à son terme normal et à refuser de le renouveler ;
Considérant que la décision par laquelle un maire constate qu'un contrat à durée déterminée est arrivé à son terme et refuse de le renouveler ne figure pas dans la liste établie par le II de l'article 2 de la loi du 2 mars 1982 qui énumère les décisions qui doivent être transmises au représentant de l'Etat dans le département ou à son délégué dans l'arrondissement ; qu'ainsi, la décision du 30 mai 1990 n'avait pas à être transmise au préfet ; que ce motif, qui répond à un moyen invoqué devant les juges du fond et qui est exclusif de toute appréciation de fait, doit être substitué au motif juridiquement erroné retenu par l'arrêt attaqué de la cour administrative d'appel de Bordeaux dont il justifie légalement le dispositif ; que, par suite, les conclusions du pourvoi de M. X... tendant à l'annulation de l'arrêt attaqué, en tant que celui-ci statue sur la légalité de la décision du 30 mai 1990, doivent être rejetées ;
Sur les conclusions du pourvoi de M. X... et sur les conclusions incidentes de la commune de Châtellerault dirigées contre l'arrêt attaqué en tant qu'il statue sur la demande d'indemnité :
Considérant que, par l'arrêt attaqué, la cour administrative d'appel de Bordeaux a accordé à M. X... une indemnité de 10 000F ; que le requérant conteste le montant de cette indemnité, tandis que la commune de Châtellerault, par la voie du recours incident, critique le principe même de sa responsabilité ;
Considérant qu'ainsi qu'il a été dit ci-dessus, la décision du 30 mai 1990 du maire de Châtellerault n'avait pas à être transmise au préfet ; qu'en jugeant que la commune avait commis une faute en s'abstenant de procéder à cette transmission, la cour administrative d'appel de Bordeaux a commis une erreur de droit ; que l'arrêt attaqué doit, par suite, être annulé en tant qu'il statue sur la demande d'indemnité ;
Considérant qu'aux termes de l'article 11 de la loi du 31 décembre 1987, le Conseil d'Etat, s'il prononce l'annulation d'une décision d'une juridiction administrative statuanten dernier ressort, peut "régler l'affaire au fond si l'intérêt d'une bonne administration de la justice le justifie" ; que, dans les circonstances de l'espèce il y a lieu de régler l'affaire au fond ;
Considérant, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, qu'en s'abstenant de transmettre au préfet la décision du 30 mai 1990 par laquelle son maire a mis fin aux fonctions de M. X... au terme du nouveau contrat dont celui-ci a bénéficié en 1989-1990, et a refusé de renouveler ce contrat, la commune de Châtellerault n'a commis aucune faute de nature à engager sa responsabilité ; que, par suite, M. X... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande d'indemnité ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 :
Considérant, d'une part, que ces dispositions font obstacle à ce que la commune de Châtellerault, qui n'est pas dans la présente espèce la partie perdante, soit condamnée à payer à M. X... la somme que celui-ci demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;
Considérant, d'autre part, qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce de condamner M. X... à payer à la commune de Châtellerault la somme que celle-ci demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
Article 1er : L'arrêt du 28 décembre 1995 de la cour administrative de Bordeaux est annulé en tant qu'il accorde une indemnité à M. X....
Article 2 : Les conclusions de l'appel de M. X... tendant à obtenir une indemnité sont rejetées.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de M. X... est rejeté.
Article 4 : Les conclusions de la commune de Châtellerault tendant à l'application de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. Jean-Pierre X..., à la commune de Châtellerault et au ministre de l'intérieur.