Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 30 septembre 1997 et 28 janvier 1998 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour le SYNDICAT DES CASINOS DE FRANCE, dont le siège est ... ; le SYNDICAT DES CASINOS DE FRANCE demande au Conseil d'Etat l'annulation pour excès de pouvoir du décret n° 97-783 du 31 juillet 1997 relatif à l'organisation et à l'exploitation des jeux de loterie autorisés par l'article 136 de la loi du 31 mai 1933 et modifiant le décret n° 78-1067 du 9 novembre 1978;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi du 21 mai 1836 ;
Vu la loi de finances du 31 mai 1933, et notamment son article 136 ;
Vu la loi n° 80-639 du 16 juillet 1980 ;
Vu la loi n° 83-628 du 12 juillet 1983 modifiée par la loi n° 92-1336 du 16 décembre 1992 relative aux jeux de hasard ;
Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M. Mochon, Auditeur,
- les observations de la SCP Célice, Blancpain, Soltner, avocat du SYNDICAT DES CASINOS DE FRANCE et de la SCP Delaporte, Briard, avocat de la Francaise des Jeux,
- les conclusions de Mme Daussun, Commissaire du gouvernement ;
Sur l'intervention de la société "Française des Jeux":
Considérant que la société "Française des Jeux" a intérêt au maintien du décret attaqué ; qu'ainsi son intervention est recevable ;
Sur la fin de non-recevoir soulevée par la société "Française des Jeux" :
Considérant que le SYNDICAT DES CASINOS DE FRANCE, eu égard aux intérêts collectifs qu'il a pour vocation de défendre, justifie d'un intérêt lui donnant qualité pour contester le décret attaqué ;
Sur le moyen tiré du défaut de contreseing du ministre de l'intérieur :
Considérant que d'après l'article 22 de la Constitution : "Les actes du Premier ministre sont contresignés, le cas échéant, par les ministres chargés de leur exécution" ; que, s'agissant d'un acte de nature réglementaire et notamment d'un décret, les ministres chargés de son exécution au sens de l'article 22 précité sont ceux qui ont compétence pour signer ou contresigner les mesures réglementaires ou individuelles que comporte nécessairement l'exécution de cet acte ;
Considérant que le décret du 31 juillet 1997 présentement attaqué est relatif à l'organisation et à l'exploitation des jeux de loterie autorisés par l'article 136 de la loi du 31 mai 1933 ; que par les règles qu'il édicte il n'a pas entendu mettre à la disposition des participants aux jeux qu'il régit des appareils qui entreraient dans le champ d'application de la loi n° 83-628 du 12 juillet 1983 relative aux jeux de hasard ; qu'ainsi, le ministre de l'intérieur n'est compétent pour signer aucune mesure réglementaire ou individuelle que comporte nécessairement l'exécution du décret attaqué ; que, dès lors, le moyen tiré du défaut de contreseing de ce ministre doit être écarté ;
Sur le moyen tiré de la méconnaissance de l'habilitation conférée par la loi du 31 mai 1933 :
Considérant qu'aux termes de l'article 136 de la loi susvisée du 31 mai 1933 : "Dans le délai d'un mois à dater de la promulgation de la présente loi, le gouvernement fixera par décret les conditions d'organisation et les modalités d'une loterie dont le produit sera, après prélèvement d'une somme de cent millions de francs, affecté à la Caisse de solidarité contre les calamités agricoles, rattaché selon la procédure des fonds de concours au chapitre 14 du budget des pensions (retraite du combattant) dont le crédit sera réduit à due concurrence." ; que cette habilitation législative autorise le gouvernement à instituer des loteries, c'est-à-dire des jeux donnant aux parieurs une espérance de gain fondée sur le hasard, et assortis de conditions suffisantes de publicité et de contrôle public ;
Considérant que l'auteur du décret attaqué, après avoir précisé les conditions d'organisation et d'exploitation des jeux de loterie, et notamment les caractéristiques essentielles des jeux susceptibles d'être offerts au public ainsi que les conditions de contrôle public auxquels ils sont soumis, a pu sans méconnaître l'étendue de sa compétence, renvoyer à un règlement particulier l'établissement des règlements de jeux, et notamment leurs caractéristiques techniques, les conditions de participation offertes au public, les montants des mises et les modalités techniques de détermination et d'attribution aux gagnants des gains ou lots ;
Considérant que le décret attaqué prévoit la possibilité de versement au budget de l'Etat du solde des fonds de réserve des jeux de répartition ; qu'ainsi, le moyen tiré par le syndicat requérant de ce que cette disposition méconnaîtrait l'article 136 de la loi du 31 mai 1933 manque en fait ;
Sur le moyen tiré de la méconnaissance de la loi du 12 juillet 1983 modifiée ;
Considérant qu'aux termes des deux premiers alinéas de l'article 2 de la loi du 12 juillet 1983 : "L'importation ou la fabrication de tout appareil dont le fonctionnement repose sur le hasard et qui permet, éventuellement par l'apparition de signes, de procurer moyennant enjeu un avantage direct ou indirect de quelque nature que ce soit, même sous forme de parties gratuites, est punie de deux ans d'emprisonnement et de 200 000 F d'amendes. Sont punies des mêmes peines la détention, la mise à la disposition de tiers, l'installation et l'exploitation de ces appareils sur la voie publique et ses dépendances, dans des lieux publics ou ouverts au public et dans les dépendances, même privées, de ces lieux publics ainsi que l'exploitation de ces appareils ou leur mise à disposition de tiers par une personne privée, physique ou morale, dans des lieux privés." ; que les autres alinéas du même article énoncent les cas où il est dérogé à cette interdiction ;
Considérant que le décret attaqué n'a pas pour objet et ne saurait avoir légalement pour effet d'autoriser la société "Française des Jeux" à mettre à la disposition de ses clients des "appareils dont le fonctionnement repose sur le hasard" au sens de la loi précitée du 12 juillet 1983 ; que, dès lors, le syndicat requérant ne saurait valablement soutenir que le décret attaqué méconnaîtrait la loi du 12 juillet 1983 ;
Sur le moyen tiré de la violation du principe d'égalité :
Considérant que la réglementation des loteries autorisées sur le fondement de l'article 136 de la loi du 31 mai 1933 est en principe, distincte des conditions dans lesquelles les jeux de hasard soumis aux prescriptions de la loi n° 83-628 du 12 juillet 1983 peuvent être autorisées ; qu'en tout état de cause et comme il a été dit ci-dessus, le décret attaqué n'autorise pas la société "Francaise des Jeux" à mettre à la disposition de ses clients des "appareils" en violation de la loi du 12 juillet 1983 ; que dans ces conditions, le syndicat requérant n'est pas fondé à soutenir que le décret attaqué porterait atteinte au principe d'égalité en ne soumettant pas la société "Française des Jeux" aux obligations prescrites par cette dernière loi dans les hypothèses où les appareils dont le fonctionnement repose sur le hasard sont autorisés ;
Sur les conclusions de la société "Française des Jeux" tendant à l'application des dispositions de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991:
Considérant que, la société "Française des Jeux", intervenant en défense, n'étant pas partie à la présente instance, les dispositions de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à la condamnation du SYNDICAT DES CASINOS DE FRANCE à lui payer la somme qu'elle demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
Article 1er : L'intervention de la société "Française des Jeux" est admise.
Article 2 : La requête du SYNDICAT DES CASINOS DE FRANCE est rejetée.
Article 3 : Les conclusions de la société "Française des Jeux" tendant à l'application de l'article 75-I dela loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée au SYNDICAT DES CASINOS DE FRANCE, à la société "Française des Jeux", au Premier ministre et au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.