Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 26 octobre 1998 et 25 février 1999 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. BARROUX, demeurant n° 1 Nassim Hill à Singapour (258466) ; M. BARROUX demande :
1°) l'annulation de la décision du 11 juin 1998 par laquelle le trésorier payeur général pour l'étranger a rejeté le recours gracieux qu'il a formé contre la décision du 20 mai 1998 suspendant le bénéfice du supplément familial de traitement, ensemble ladite décision du 20 mai 1998 ;
2°) la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 10 000 F sur le fondement de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le décret n° 67-290 du 28 mars 1967 modifié ;
Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M. Mochon, Auditeur,
- les observations de la SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, avocat de M. X...,
- les conclusions de Mme Daussun, Commissaire du gouvernement ;
Considérant que le décret du 28 mars 1967 fixant les modalités de calcul des émoluments des personnels de l'Etat et des établissements publics de l'Etat à caractère administratif en service à l'étranger fait figurer dans son article 2 parmi les "avantages familiaux" servis aux agents, en sus des majorations familiales pour enfants à charge, le supplément familial pour les personnels mariés dont le conjoint n'exerce pas d'activité professionnelle et pour les personnels célibataires, veufs, séparés de corps ou divorcés, ayant au moins un enfant à charge ; que l'article 7 du même décret reprend dans son premier alinéa ces dernières dispositions en précisant ce qu'il y a lieu d'entendre par enfant à charge au moyen d'un renvoi à l'article 8 du même décret ;
Considérant, toutefois, que le troisième alinéa de l'article 7 du décret, devenu à la suite de l'intervention du décret du 25 mars 1993 son deuxième alinéa, a institué une dérogation à la règle de principe qui subordonne l'attribution du supplément familial au profit de l'agent marié à la circonstance que son conjoint n'exerce pas d'activité professionnelle, en énonçant que "le supplément familial peut néanmoins être attribué lorsque le conjoint est également un agent de l'Etat et que le montant de sa rémunération est inférieur à deux fois le montant du supplément familial" ;
Considérant que le principe général d'égalité ne s'oppose pas à ce que l'autorité investie du pouvoir réglementaire règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'elle déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que dans l'un comme dans l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l'objet de la norme qui l'établit ;
Considérant que l'octroi d'un supplément familial aux agents de l'Etat en service à l'étranger répond à une finalité d'ordre social qui est, soit de permettre à un agent célibataire, veuf, divorcé ou séparé de corps qui a au moins un enfant à charge de subvenir aux besoins de ce dernier, soit, dans le cas d'un agent marié dont le conjoint n'exerce pas d'activité professionnelle, de concourir aux dépenses du couple ;
Considérant que s'il était loisible à l'auteur du décret du 28 mars 1967 d'atténuer la portée de l'exigence liée à l'absence d'activité professionnelle du conjoint et de prévoir l'attribution du supplément familial à l'agent marié même si son conjoint exerce une activité dès lors que la rémunération perçue à ce titre est d'un montant réduit, en revanche, le fait de réserver une telle mesure au cas où le conjoint exerçant une activité est lui aussi un agent de l'Etat, introduit une différence de traitement selon le statut professionnel du conjoint qui ne repose sur aucune justification fondée sur l'objet ou la finalité de la réglementation dont s'agit ; qu'il est, par suite, contraire au principe général d'égalité devant la loi et les règlements ;
Considérant que l'illégalité des dispositions réglementaires dont s'agit a pour conséquence de priver de base légale les décisions individuelles prises sur son fondement ; qu'il incombe en conséquence à l'autorité administrative de procéder à la modification des dispositions susmentionnées du décret du 28 mars 1967 à l'effet d'en permettre une application conforme au principe général d'égalité ;
Considérant qu'il suit de là que M. BARROUX, conseiller des affaires étrangères en service à l'étranger qui s'est vu retirer le bénéfice du supplément familial au motif que son conjoint, bien que recevant une rémunération inférieure à deux fois le supplément familial touchait celle-ci, non en qualité d'agent de l'Etat mais comme salariée de l'Alliance française, est fondé à demander l'annulation tant de la décision du 20 mai 1998 suspendant le bénéfice du supplément familial de traitement que de la décision du 11 juin 1998 ayant rejeté son recours gracieux ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article 75-I de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 :
Considérant que dans les circonstances de l'affaire il y a lieu de faire droit aux conclusions par lesquelles le requérant, en se prévalant des dispositions de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991, demande que l'Etat soit condamné à lui payer la somme de 10 000 F au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;
Article 1er : Sont annulées la décision du Trésorier payeur général pour l'étranger du 20 mai 1998 suspendant le bénéfice du spplément familial alloué à M. BARROUX ainsi que la décision du 11 juin 1998 rejetant le recours gracieux formé contre la précédente décision.
Article 2 : L'Etat versera à M. BARROUX la somme de 10 000 F au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. Pierre BARROUX, au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, au ministre des affaires étrangères et au Premier ministre.